M. le président. La parole est à M. Henri Leroy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri Leroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a vingt-huit ans, je rendais mon uniforme de la gendarmerie après avoir servi militairement notre pays pendant un quart de siècle. Aussi est-ce avec gravité et émotion que je prends la parole aujourd’hui.
Depuis de nombreux mois, nos forces de sécurité sont victimes d’une nouvelle forme de violence. Des individus armés et parfaitement organisés s’infiltrent dans des manifestations pour en découdre. Ces délinquants sont là pour blesser, mutiler nos policiers et nos gendarmes. Ils s’en prennent à nos institutions et n’hésitent pas non plus à piller et à dégrader les biens privés ou publics.
Les chiffres sont alarmants : depuis le début du mois de novembre 2018, 430 gendarmes et plus de 1 000 policiers ont été blessés, certains gravement, voire très gravement.
Notre arsenal juridique n’est plus adapté à ce nouveau contexte de violence, et l’occasion nous est enfin donnée d’y remédier. Permettez-moi de saluer le travail du président Bruno Retailleau, qui est à l’initiative de cette loi dite « anti-casseurs ».
À l’occasion d’une première lecture à l’Assemblée nationale, ce texte a été amendé. Nos collègues députés ont d’ailleurs conservé l’esprit du dispositif et n’ont pas totalement dénaturé les principales mesures de la proposition de loi.
Monsieur le ministre, c’est bien là la preuve de l’utilité de notre institution, ainsi que de la nécessité d’un dialogue entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Le message, je l’espère, sera entendu en haut lieu.
Toutefois, le Président de la République a fait savoir qu’il saisirait le Conseil constitutionnel, alors que cette loi n’a même pas encore été votée. C’est un message négatif transmis à nos forces de l’ordre confrontées aux agresseurs, à la violence des casseurs. Le Président doit clarifier sa position. Une loi de plus grande fermeté est en voie d’être votée, et nous attendons du Gouvernement, du Président de la République, un soutien sans ambiguïté à nos policiers, à nos gendarmes. Défendre et protéger nos forces de l’ordre ne peut être inconstitutionnel ; l’envisager, c’est déjà les affaiblir !
Le temps de la réflexion et de ce qui a été qualifié de « grand débat » est maintenant derrière nous. Il faut désormais agir, et agir vite. Combien de blessés supplémentaires faudra-t-il avant que ne soit prise la pleine mesure de la situation ? Monsieur le ministre de l’intérieur, voulez-vous continuer à être spectateur des agressions de nos forces de sécurité intérieure, vous qui êtes leur chef ?
La proposition de loi du président Retailleau est un texte d’équilibre, doté à la fois d’un volet préventif et d’un volet répressif. Il répond à une attente forte, à une sorte d’appel au secours du terrain pour quiconque écoute et côtoie nos policiers et nos gendarmes.
Interdire de manifester à une personne qui a commis des actes violents lors d’une précédente manifestation ou qui présenterait une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public relève tout simplement du bon sens.
Il s’agit là d’un moyen concret d’écarter les individus les plus à même de commettre des agressions à l’encontre des forces de l’ordre. Lors des précédents mouvements sociaux, la principale difficulté rencontrée par les préfectures et les forces de l’ordre résidait dans l’impossibilité qui leur était opposée de prendre des mesures en amont d’une manifestation. Désormais, il sera possible d’anticiper et de prévenir des atteintes aux personnes et aux biens.
Une deuxième mesure consiste à donner davantage de moyens juridiques aux policiers et aux gendarmes. Lorsque cette loi aura été promulguée, le recours aux fouilles de sacs ou de véhicules se trouvera élargi afin d’éviter l’introduction d’armes au sein d’une manifestation.
De même, les mesures personnelles d’interdiction de manifester seront inscrites dans le fichier des personnes recherchées. Ce type de fichage sera immédiatement opérationnel, car la police, la gendarmerie et les douanes disposent de tablettes permettant un accès direct au fichier des personnes recherchées.
Je souhaiterais revenir sur une dernière mesure, relative à la dissimulation du visage au sein ou aux abords d’une manifestation. Si, dans notre droit positif, la dissimulation du visage est aujourd’hui répréhensible, la difficulté porte sur l’établissement du lien entre personnes au visage dissimulé et dégâts causés, puisque ces personnes sont difficilement identifiables hors flagrance.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les maîtres mots de la proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau sont bon sens et efficacité. C’est la raison pour laquelle je voterai ce texte sans l’ombre d’une hésitation.
Nos policiers et nos gendarmes sont des personnes dévouées,…
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure !
M. Henri Leroy. … qui assurent notre protection parfois au péril de leur vie. À notre tour, soutenons-les et protégeons-les ! C’est un devoir pour nous, parlementaires. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations
Chapitre Ier
Mesures de police administrative
Article 1er A
(Non modifié)
Au deuxième alinéa de l’article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, les mots : « trois d’entre eux faisant élection de domicile dans le département » sont remplacés par les mots : « au moins l’un d’entre eux ».
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, N. Delattre et Costes, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Au début,
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq ».
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. La recrudescence des violences dans les cortèges nous contraint à réfléchir à toutes les évolutions possibles du cadre légal des manifestations.
Il ressort de nos recherches qu’un certain nombre de manifestations se tiennent sur la voie publique sans que les formalités nécessaires aient été accomplies en préfecture. On se trouve alors dans une zone grise, se situant entre la manifestation légale et l’attroupement, comme l’a dit ma collègue Maryse Carrère lors de la discussion générale, définie par le code pénal en l’absence d’un risque pour l’ordre public.
En outre, la marginalisation du fait syndical et l’essor des mobilisations citoyennes annoncées sur les réseaux sociaux rendent ce cadre légal en partie obsolète. Les forces de l’ordre ont déjà adapté leurs pratiques et les renforcent grâce au renseignement en ligne, afin de prévenir les mouvements qui pourraient éventuellement dégénérer.
Ces constatations doivent nous inciter à réfléchir à des évolutions législatives plus ambitieuses que celles présentées au travers de cette proposition de loi, qui se concentre uniquement sur les comportements individuels.
Nous pourrions évidemment envisager d’autres modalités de déclarer en préfecture la volonté de manifester –non pas de façon individuelle, car ce serait sans doute très lourd à gérer pour les préfectures. À l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement visant à réduire à deux le nombre minimal de déclarants en préfecture. Sachant que nous sommes partis du principe que l’interdiction administrative de manifester sera maintenue, et compte tenu du temps d’examen particulièrement restreint, le présent amendement consiste simplement, pour l’heure, en une adaptation du délai incompressible de déclaration avant la tenue de la manifestation, afin de rendre le droit au recours des personnes visées par ces interdictions plus effectif, et l’ensemble du dispositif plus opérationnel.
Nous sommes conscients que cela pourrait créer, en pratique, une certaine rigidité pour les organisateurs de manifestations, mais il s’agit de souligner l’importance des modifications législatives nécessaires pour garantir un exercice effectif du droit de recours en référé dans l’hypothèse d’un maintien de l’interdiction administrative de manifester et d’envisager des alternatives plus respectueuses du droit de recours. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission partage l’objectif de nos collègues. Je le rappelle, nous nous étions d’ailleurs attachés, en première lecture, à garantir un droit au recours effectif.
Néanmoins, le nouveau délai de cinq jours qu’il est proposé d’instituer serait beaucoup plus contraignant pour les organisateurs des manifestations. Il risquerait même de dissuader, encore plus qu’aujourd’hui, de déclarer les manifestations, alors que l’objet de l’article 1er A est d’inciter les organisateurs à le faire.
Par ailleurs, l’objectif affiché n’est en réalité pas vraiment atteint au travers de cet amendement, car l’article 2 du texte prévoit qu’une interdiction de manifester devra être prononcée 48 heures avant le début de la manifestation, et non 48 heures après la déclaration.
Enfin, la commission des lois a fait le choix d’une entrée en vigueur rapide de ce texte et n’a, en conséquence, pas souhaité l’amender.
L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Laborde, l’article auquel vous faites référence a été ajouté par l’Assemblée nationale en vue de simplifier la procédure de déclaration de manifestation. Votre proposition, au contraire, la compliquerait quelque peu. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement y est plutôt défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement soulève de nouveau la question, que j’ai évoquée précédemment, de la possibilité d’exercer un recours effectif contre la décision d’interdiction de manifester. Le délai est si court et le code de justice administrative est rédigé de telle manière que le juge administratif a quarante-huit heures pour statuer ; de fait, le requérant se trouve privé de son droit à exercer un recours effectif.
La solution proposée, au travers de cet amendement, est d’allonger le délai de déclaration avant la tenue de la manifestation. Pour autant, je crains qu’elle ne présente finalement l’inconvénient d’imposer de déclarer une manifestation cinq jours avant sa tenue et d’être, de ce fait, en quelque sorte contre-productive.
Peut-être eût-il fallu prévoir – mais, pour cela, il eût fallu aussi pouvoir discuter et déposer des amendements – que le juge administratif ne dispose que de vingt-quatre heures pour statuer. Le droit au recours effectif étant un droit constitutionnel, il faut imposer au juge administratif de statuer rapidement. J’ai bien entendu la rapporteure admettre, de manière assez sincère (M. Bruno Sido rit.), que le texte ne serait pas amélioré parce qu’il fallait le voter conforme… Mais, tout de même, ayons le sens des responsabilités ! Il vaudrait mieux, encore une fois, réduire de quarante-huit à vingt-quatre heures le délai accordé au juge administratif pour statuer. En l’état, cet amendement ne le permet pas. Par conséquent, et même si nous partageons l’objectif de ses auteurs, nous ne pourrons pas le voter.
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
… – Le deuxième alinéa du même article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle indique également les moyens mis en œuvre pour informer les manifestants sur les règles de dispersion des attroupements définies à l’article L. 211-9. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Si vous me le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps les amendements nos 10 et 11, qui sont tous deux des amendements d’appel.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 11, présenté par M. Grand et ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le premier alinéa de l’article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il peut également obliger les organisateurs à informer par tout moyen les manifestants sur les règles de dispersion des attroupements définies à l’article L. 211-9. »
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Grand. Fort judicieusement, le Sénat a rejeté, jeudi dernier, la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE qui visait à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre. À cette occasion, je n’ai pu évoquer la problématique sous-jacente des sommations. La discussion du présent texte me permet de le faire aujourd’hui.
Lors de manifestations, les attroupements peuvent être dissipés par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet. Il est procédé à ces sommations suivant des modalités propres à informer les personnes participant à l’attroupement de l’obligation de se disperser sans délai.
Dans les faits, l’autorité annonce sa présence par haut-parleur dans les termes suivants : « obéissance à la loi, dispersez-vous », puis : « première sommation, on va faire usage de la force », et enfin : « dernière sommation, on va faire usage de la force ». Si l’utilisation du haut-parleur est impossible ou manifestement inopérante, chaque annonce ou sommation peut-être remplacée ou complétée par le lancement d’une fusée rouge. Or, en plus d’être totalement désuètes, ces modalités de sommation sont très largement inconnues du grand public. S’agissant de mesures réglementaires, je souhaitais interpeller le Gouvernement sur cette procédure, en vue de la rendre plus efficace et plus audible.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’amendement n° 10 vise à obliger les organisateurs de manifestations à indiquer, lorsqu’ils déclarent une manifestation, les moyens qu’ils entendent mettre en œuvre pour informer les manifestants sur les règles relatives aux sommations.
Le constat dressé par notre collègue est tout à fait juste : tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le caractère désuet de la procédure de sommations et sur sa méconnaissance par de nombreux citoyens.
En revanche, la solution proposée ne me semble pas vraiment appropriée : il appartient aux autorités publiques, plus qu’aux organisateurs, d’améliorer la communication sur les règles de dispersion. Sa mise en œuvre alourdirait d’ailleurs la procédure de déclaration, alors que l’article 1er A de la proposition de loi vise justement à l’alléger.
Je crois savoir que le ministère de l’intérieur a engagé une réflexion en vue de revoir la procédure des sommations, ce qui devrait donner satisfaction à notre collègue. Peut-être le ministre pourra-t-il nous en dire davantage à ce sujet ?
Pour ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 11 a un objet similaire, mais son dispositif est quelque peu différent. Il s’agit de permettre aux préfets, lorsqu’il existe un risque de trouble à l’ordre public, d’obliger les organisateurs de manifestations à informer les manifestants par tout moyen des règles de dispersion des attroupements.
Comme je viens de l’indiquer, la commission partage le constat de M. Grand, mais a estimé que le dispositif proposé n’était pas vraiment adapté.
Enfin, sur le plan opérationnel, comment les organisateurs pourraient-ils de manière efficace informer l’ensemble des participants à une manifestation ?
La commission demande donc également le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Monsieur le sénateur Grand, je comprends parfaitement la logique de vos deux amendements, qui visent à améliorer l’information des manifestants sur les modalités de dispersion des attroupements.
Le système actuel, on le voit bien, est quelque peu archaïque. Le commissaire de police doit-il nécessairement être ceint d’une écharpe bleu-blanc-rouge ?
Mme la rapporteure l’a indiqué, j’ai demandé à la préfecture de police, à la direction générale de la gendarmerie nationale et à la direction générale de la police nationale de travailler à une révision de notre doctrine globale de maintien de l’ordre public. Je compte d’ailleurs constituer un groupe d’experts appelé à se prononcer sur les propositions qui nous seront faites. Je souhaiterais, monsieur le président de la commission des lois, qu’un sénateur participe aux travaux de ce groupe composé notamment de préfets et de représentants du ministère de la justice expérimentés. J’adresserai la même proposition à Mme la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale.
La question des modalités d’information sur les règles relatives à la dispersion d’un attroupement sera étudiée dans ce cadre. Dans cette perspective, le retrait de ces amendements me semblerait opportun.
M. le président. Monsieur Grand, les amendements nos 10 et 11 sont-ils maintenus ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 10 et 11 sont retirés.
Je mets aux voix l’article 1er A.
(L’article 1er A est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous indique à toutes fins utiles que, si nous n’avons pas achevé l’examen de ce texte à vingt heures, je suspendrai alors la séance, qui reprendra à vingt et une heures trente.
Article 1er
(Non modifié)
Après l’article 78-2-4 du code de procédure pénale, il est inséré un article 78-2-5 ainsi rédigé :
« Art. 78-2-5. – Aux fins de recherche et de poursuite de l’infraction prévue à l’article 431-10 du code pénal, les officiers de police judiciaire mentionnés aux 2° à 4° de l’article 16 du présent code et, sous la responsabilité de ces derniers, les agents mentionnés à l’article 20 et aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 peuvent, sur réquisitions écrites du procureur de la République, procéder sur les lieux d’une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats à :
« 1° L’inspection visuelle des bagages des personnes et leur fouille, dans les conditions prévues au III de l’article 78-2-2 ;
« 2° La visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public, dans les conditions prévues au II du même article 78-2-2.
« Le fait que les opérations prévues aux 1° et 2° du présent article révèlent d’autres infractions ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Cette proposition de loi comporte un volet préventif et un volet répressif.
Je souhaiterais d’abord souligner l’importance du volet préventif pour la mise en œuvre d’une politique de maintien de l’ordre efficace et adaptée.
L’article 1er permet de renforcer les actions de prévention des forces de l’ordre, ce qui est une nécessité absolue. Chacun sait que nous sommes confrontés régulièrement – cela ne date pas de quelques mois ou de quelques semaines – à des formes graves de violence, auxquelles le droit, en son état actuel, ne permet pas de répondre, dès lors qu’il rend impossible l’interpellation au plus tôt de ceux qu’on appelle les casseurs.
Ces casseurs professionnels ou « cagoules noires » affaiblissent notre République. Ils instrumentalisent le droit de manifester pour agresser, pour saccager, pour piller tout ce qui peut ressembler, à leurs yeux, à un symbole de l’État « capitaliste et policier ».
Combien de nos concitoyens, y compris et d’ailleurs surtout ceux qui veulent manifester pacifiquement, ont été effarés devant le déferlement de violence des Black Blocs, ces groupes organisés, anonymisés, armés de tout ce qui permet de casser ? Le problème ne date pas de quelques mois : ce n’est donc pas ici un texte de pure circonstance, contrairement à ce qui a pu être dit précédemment, sauf à ne pas vouloir considérer que ces groupes anarcho-libertaires, qui déploient leur violence ici et là depuis une vingtaine d’années, ne cherchent qu’une chose : détruire, indépendamment de l’objet de la contestation.
C’est faire preuve non seulement de naïveté ou d’une vision irénique que de croire qu’il n’en est pas ainsi, mais aussi d’un aveuglement idéologique. Tout législateur responsable se doit de pallier les lacunes et les manquements du cadre juridique actuel, en dotant nos forces de l’ordre de nouveaux moyens de droit pour prévenir les violences dans les manifestations.
Cet article comporte des mesures de police administrative fortes qui permettront de conférer à l’autorité administrative de nouveaux instruments destinés à prévenir, le plus en amont possible, l’infiltration des manifestations pacifiques par des groupuscules ultraviolents.
Il s’agit là de mesures de bon sens, qui permettront d’éviter l’introduction, dans les manifestations, de tout objet susceptible de constituer une arme par destination, dans un objectif de protection des citoyens.
Je veux saluer ici nos policiers et nos gendarmes, qui doivent exercer leurs missions dans des conditions de plus en plus difficiles et harassantes. Les mesures introduites par cet article sont attendues tant par nos forces de l’ordre que par nos concitoyens, qui attendent du législateur une action rapide, ciblée et déterminée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Avec cet article, nous sommes vraiment dans ce qu’un expert du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale a décrit comme étant du « bricolage législatif ». Cet expert – en législation, pas en bricolage ! (Sourires.) –, c’est M. Éric Ciotti.
La position du groupe Les Républicains du Sénat me plonge dans des abîmes de perplexité.
Vous aviez imaginé, mes chers collègues, compléter le dispositif actuel du code de procédure pénale par des dispositions de droit administratif, en ouvrant aux préfets la possibilité de faire procéder à des fouilles, etc. Nous étions contre, mais votre proposition avait sa cohérence.
À l’Assemblée nationale, il a finalement été décidé de passer sur le terrain judiciaire. Cela n’apporte rien au droit positif, le code de procédure pénale prévoyant déjà des modes de réquisitions judiciaires permettant toute une série d’interventions, comme l’a notamment expliqué Éric Ciotti. Ici, il s’agit des fouilles : le Président de la République lui-même a considéré que l’affaire était quelque peu délicate et qu’il y avait matière à saisir le Conseil constitutionnel. Cependant, aujourd’hui, vous jugez que le dispositif adopté par l’Assemblée nationale est en définitive formidable, parce que vous êtes entièrement mus par la volonté de faire un mauvais coup, avec la complicité du Gouvernement, en faisant voter cette loi, même si le texte ne correspond absolument pas à ce que vous vouliez au départ…
Le groupe socialiste et républicain renvoie le groupe Les Républicains à ses contradictions, à ses changements de pied entre première et deuxième lectures. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Étant opposés au texte issu de l’Assemblée nationale comme nous étions opposés à celui qui avait été adopté par le Sénat en première lecture, nous voterons contre cet article.
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.
M. François Grosdidier. Au cours de la discussion générale, on a entendu beaucoup d’exercices rhétoriques sur la liberté de manifester, qui serait menacée, alors que ce texte vise d’abord, en réalité, à protéger le droit effectif de manifester pacifiquement.
Il faut empêcher les casseurs, les extrémistes, les violents de s’introduire systématiquement dans les manifestations pour les détourner. Nous nous sommes inspirés des dispositions qui avaient été prises pour lutter contre le hooliganisme dans les stades.
M. François Bonhomme. Ça a fonctionné !
M. François Grosdidier. Elles ont très bien fonctionné, en effet, puisque ce phénomène paraît aujourd’hui relever plutôt du passé.
Notre idée initiale était de faire définir un périmètre par le préfet, comme pour les périmètres de contrôle en vue de la prévention des attentats. L’Assemblée nationale a imaginé introduire une référence plus souple aux « abords immédiats » de la manifestation. Cela présente des avantages pratiques, une manifestation étant le plus souvent mobile : le dispositif que nous avions défini aurait pu se révéler trop rigide.
L’Assemblée nationale a en outre décidé de remplacer l’arrêté préfectoral par une réquisition du procureur. Dès lors, ma chère collègue, c’est vous qui êtes en contradiction avec vos propres positions,…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Non, nous voterons contre !
M. François Grosdidier. … puisque vous nous avez expliqué à longueur de discours qu’il était scandaleux de donner le pouvoir aux préfets et qu’il fallait plutôt le donner aux magistrats ! Or, c’est précisément ce que prévoit désormais le texte ! Vous êtes en totale contradiction avec vous-mêmes !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et vous ?
M. François Grosdidier. La bonne foi est de notre côté. C’est avec conviction que nous voterons cet article conforme.
M. Marc Daunis. En toute cohérence…
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Nous proposons la suppression de cet article, ses dispositions n’apportant aucune plus-value au droit existant.
Aujourd’hui, les officiers de police judiciaire ont toute latitude pour procéder, sous contrôle du procureur de la République, bien évidemment, à des fouilles de bagages et de véhicules en vue d’identifier les auteurs d’atteintes à la sécurité des biens ou des personnes ou pour prévenir lesdites atteintes. De fait, la recherche d’armes est déjà couverte par l’article 78-2-4 du code de procédure pénale et l’article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, ces dispositions satisfaisant à tous les impératifs de sécurité.
L’article 1er vise en fait à criminaliser la liberté de manifester en mettant sur le même plan manifestation et acte de terrorisme, car ses dispositions sont calquées sur la législation antiterroriste.
Un autre problème posé par cet article tient à son application à la détention d’armes par destination. De fait, il faut rappeler que la caractérisation d’arme par destination n’implique pas une faculté et une présomption de détournement d’un objet, mais résulte de la constatation du fait ou d’une preuve tangible d’une intention de détournement. Autrement, je ne vois pas quel objet du quotidien ne pourrait pas constituer une arme par destination…
Nous sommes ici loin de la rhétorique : de manière très concrète, une hampe de drapeau ou de banderole ne devient éventuellement une arme par destination que si l’on s’en sert pour porter des coups à une personne ou détruire une vitrine ou si l’on peut démontrer l’existence d’une telle intention. Or, de par son esprit même, l’article 1er pourrait modifier ce paradigme et faire d’un tel objet une arme par destination à tout moment, en tout lieu et en toute occasion.
On le voit bien, il s’agit là d’une tentative de vider de son sens la notion même d’arme par destination, au point de la rendre totalement inopérante, tout en créant une suspicion généralisée à l’encontre de manifestants mis sur le même plan que des délinquants ou des criminels.