M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Pour l’adoption | 90 |
Contre | 242 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 2. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Mes chers collègues, j’aimerais pouvoir parler sans ce brouhaha général ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne vois pas comment vous pouvez protester devant cette demande ! (Mme Esther Benbassa applaudit.)
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations (n° 364, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, « avec cette loi, on transfère aux préfets des pouvoirs que détiennent les juges. […] Nous touchons donc à l’État de droit, et c’est proprement inacceptable ! ». Ces mots, mes chers collègues, n’émanent pas d’un dangereux agitateur, mais sont ceux de Charles Amédée de Courson, député centriste de la Marne, connu pour ses convictions libérales sur le plan économique.
Nous nous retrouvons aujourd’hui, avec des hommes et des femmes d’horizon très divers, pour combattre une proposition de loi qui porte gravement atteinte à plusieurs libertés constitutionnelles, à commencer par le droit de manifester.
C’est le 7 janvier 2019 qu’Édouard Philippe, très martial, a annoncé sa volonté de reprendre pour le compte du Gouvernement la proposition de loi adoptée par le Sénat le 23 octobre 2018, trois semaines avant la première manifestation des « gilets jaunes », le 17 novembre.
Le changement d’attitude du Gouvernement par rapport à ce texte est manifeste : M. Nunez citait en octobre l’article de la Déclaration des droits de l’homme fondant le droit de manifester et recommandait d’attendre et de bien réfléchir avant de légiférer ; M. Soilihi annonçait que le groupe La République En Marche voterait contre le texte.
C’est donc sous la pression de l’événement, dans le cadre d’une stratégie de communication, qu’Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité ont tenté d’étouffer les revendications du mouvement des « gilets jaunes » par la mise en exergue d’actes violents, spectaculaires, qui sont le fait d’une infime minorité de manifestants.
Monsieur le ministre, je l’ai dit et répété le 7 mars dernier, lors de l’examen de notre proposition de loi visant à interdire les LBD 40 : les fonctionnaires de police ne sont pas responsables collectivement de la situation actuelle. Vous les envoyez en première ligne, avec des ordres et une doctrine qui ne permettent pas l’apaisement.
Notre opposition à ce texte, à la stratégie de la tension mise en œuvre, vise à protéger autant les policiers que les manifestants !
Comment ne pas faire le lien entre les mesures envisagées, sur lesquelles je reviendrai avant que mon amie Esther Benbassa ne les détaille dans la discussion générale, et ces propos dangereux, d’une responsabilité mal assurée, d’Emmanuel Macron : « il faut maintenant dire que, lorsqu’on va dans des manifestations violentes, on est complice du pire » ?
Avec ces propos, M. Macron ne calme pas le jeu ; il souffle sur les braises, espérant, comme nombre de ses prédécesseurs, que la provocation à la violence permettra un pourrissement du mouvement.
Face à la persistance du soutien de l’opinion et des manifestations, malgré les difficultés d’exercer ce droit constitutionnel, le Président de la République devrait plutôt regarder la vérité en face : seule une réponse politique aux aspirations populaires portées par ce mouvement et profondément ancrées dans les villes et les campagnes, seule une réponse politique à cette formidable exigence de dignité et de démocratie, seule une réponse politique aux salariés et aux retraités qui demandent tout simplement à vivre, qui attendent une nouvelle répartition des richesses assurant l’égalité, seule cette réponse politique permettra de résoudre cette crise !
Monsieur le ministre, par le passé, seule une réponse politique a permis de dénouer des crises qui, elles aussi, comportaient, comme tout soulèvement populaire, leur part de violence.
Depuis sa présentation, puis son adoption à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi suscite un véritable tollé. Comment ne pas rappeler les propos de M. Toubon ? Il l’estime « déséquilibrée, attentatoire aux libertés et susceptible d’exposer les forces de l’ordre à davantage de risques et de dégrader leur relation avec la population ». En cela, M. Toubon est fidèle aux valeurs d’une droite républicaine qui sait que l’usage disproportionné de la force met en danger l’équilibre de la société.
Le 7 mars dernier, j’ai évoqué la lettre dans laquelle le préfet Grimaud, en 1968, dans un contexte de grave crise, rappelait la doctrine française du maintien de l’ordre, une doctrine qui, malheureusement, appartient aujourd’hui au passé. Cet après-midi, mes chers collègues, je citerai cette lettre, car elle peut éclairer votre vote.
« Frapper un manifestant à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. […] Il est encore plus grave de frapper des manifestants après leur arrestation. […] Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de camarades qui souhaitent se venger. Cette escalade n’a pas de limites. » Voilà les propos du préfet Grimaud !
M. Pierre-Yves Collombat. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le ministre, votre choix de l’escalade constitue un danger démocratique.
Cinquante-deux associations et syndicats l’affirment : « Cette loi de circonstance porte un lourd risque d’arbitraire des gouvernements d’aujourd’hui comme de demain. » Et de préciser : « Les violences contre les personnes, les biens, les institutions qui ont eu lieu ne peuvent justifier qu’un exécutif s’arroge des pouvoirs exorbitants et décrète qui peut ou ne peut pas manifester. »
M. Bruno Sido. Il ne s’agit pas de cela !
Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi met en péril la liberté de manifester !
Je présenterai quelques remarques sur les points essentiels de ce texte.
L’article 2, qui, dès l’origine sénatoriale, transférait le pouvoir d’interdire à une personne de manifester du juge au préfet, c’est-à-dire au représentant du pouvoir politique, courait le risque d’inconstitutionnalité au point, comme le reconnaît le président Bas, de devoir être strictement encadré. D’ailleurs, le Président de la République lui-même s’interroge, puisqu’il a annoncé, hier, vouloir saisir le Conseil constitutionnel.
En vérité, on marche sur la tête : pourquoi le Président de la République annonce-t-il, la veille du débat sénatorial, la saisine du Conseil constitutionnel, alors que le Sénat s’apprête à voter conforme ce texte, si la majorité Les Républicains le vote ainsi ?
À l’Assemblée nationale, plus de faux-semblants ni de préventions : l’article 2 a été musclé au point de prévoir que l’interdiction puisse être assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de manifester sur tout le territoire, pour une durée pouvant atteindre un mois. De plus, les députés ont décidé que les personnes interdites pourraient ne pas avoir été condamnées préalablement et pourraient n’avoir commis que des « agissements » durant un rassemblement précédent – terme vague, inspiré de la loi anti-hooligans. Mais, monsieur le ministre, mes chers collègues, supporter une équipe, ce n’est pas exercer un droit constitutionnel !
Cet élargissement important du champ de l’article 2 expose celui-ci à une censure, comme il a été souligné lors des interventions sur la motion d’irrecevabilité. D’ailleurs, Mme la rapporteure a rappelé ce danger, tout comme le président de la commission des lois, devant la presse et en commission.
Hier, donc, c’est M. Macron qui a annoncé sa volonté de saisir le Conseil constitutionnel, sans doute pour faire bonne figure. Pourquoi le législateur ne prend-il pas ses responsabilités ? Pourquoi renvoyer cette mission au Conseil constitutionnel, dont, je le rappelle, la légitimité n’est pas la même que celle des assemblées républicaines ?
L’article 3, qui concerne le fichage – un de plus… – des personnes interdites de manifestation, porte également atteinte aux libertés individuelles, d’autant que l’Assemblée nationale entend mêler dans un même fichier délinquants, terroristes et manifestants.
Quant à l’article 4, relatif à la pénalisation de la dissimulation du visage, même partielle, laquelle serait passible, selon vos souhaits, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, il s’expose aussi, selon Mme la rapporteure, à l’inconstitutionnalité, l’Assemblée nationale ayant supprimé, sur l’initiative d’un député En Marche, Mme Laurence Vichnievsky, l’élément intentionnel.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons constaté l’utilisation massive de gaz lacrymogènes durant les manifestations, déclarées ou non. Lors de certains rassemblements, des milliers de grenades ont été utilisées. Comment oser empêcher un manifestant de se protéger ? Si l’élément intentionnel est supprimé, même les personnes tentant de protéger leur respiration seront visées et ne pourront exercer le droit constitutionnel de manifester !
Pour vous dire le fond de ma pensée, ce texte me paraît particulièrement inopportun. À l’heure où je vous parle, si une trace doit rester dans l’histoire de ce mouvement, outre son originalité, sa force, sa persistance et, ne vous en déplaise, sa popularité, c’est la répression systématique et violente qui s’abat sur lui.
Après le Défenseur des droits, le Conseil de l’Europe, l’ONU même, ce sont trente-cinq ophtalmologistes, professeurs de renommée internationale, qui ont écrit à Emmanuel Macron pour demander un moratoire…
M. François Grosdidier. Sur les manifestations ?
Mme Éliane Assassi. … sur l’utilisation des LBD 40. Il faut aujourd’hui interdire cette arme !
Mes chers collègues, ce nouveau monde est étonnant : il reprend à son compte une vieille loi adoptée en 1970, la loi anti-casseurs. Faire du vieux avec du vieux pourrait être leur doctrine, votre doctrine, monsieur le ministre… Vous répétez à l’envi que vous ne changez pas de cap, mais, pour tenter désespérément de le maintenir, vous vous appuyez sur la répression !
Le vote conforme proposé au Sénat, qui vole au secours d’Emmanuel Macron en la matière, vise à contrer l’impopularité croissante de la politique répressive, y compris au sein de la majorité. Cette précipitation est un aveu de faiblesse.
Les valeurs profondes de notre République, qui ont marqué l’histoire de notre pays, malgré les tragédies et les souffrances, s’imposeront, j’en suis certaine. Le Sénat, qui s’affirme comme le gardien des libertés, n’a qu’une chose à faire pour ne pas trahir sa parole : rejeter d’emblée ce texte, dire « stop » à une incontestable dérive autoritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, cet après-midi, en réalité, que nous demande-t-on ?
Mme Éliane Assassi. De ne pas voter ce texte !
M. Roger Karoutchi. On nous demande de dire ce qu’est l’ordre républicain.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pas du tout…
M. Roger Karoutchi. L’ordre républicain, c’est un partage entre la liberté, la démocratie, la sécurité, la République.
La liberté, la « liberté chérie », selon la sixième strophe de La Marseillaise, selon Pierre Mendès France aussi, qui donna ce titre à un ouvrage remarquable, est aussi la valeur de référence de Léon Blum dans son magnifique livre À l’échelle humaine. Il y reconnaît avoir dû, en 1936, dissoudre les ligues et prendre des mesures difficiles, dures, pour que cessent les manifestations, pour que cessent les remises en cause de la République dans la rue.
Non, ce texte ne se réfère pas à celui de 1970. La République s’est régulièrement défendue, et la République doit se défendre.
La liberté est un droit ; manifester est un droit ; l’équilibre est un droit. Mais de quoi, de qui, parle-t-on ? Aujourd’hui, monsieur le ministre, l’armée de la République, la gendarmerie de la République, la police de la République ne sont pas, comme on le pensait encore voilà quatre-vingts ans, des forces liées à des mouvements extrêmes.
Or cette police, cette gendarmerie, cette armée font face à des ultras, à des gens qui ne respectent pas la démocratie, qui ne veulent pas de la République et qui, non seulement en France mais partout en Europe, remettent en cause les systèmes démocratiques.
Sur tel ou tel article, nous nous demandons : est-ce possible, est-ce équilibré ? Mais que faisons-nous face à cette remise en cause, dans toute l’Europe, de la République et de la démocratie, à part des contestations et des colloques ? Que faisons-nous, en réalité, devant cette évolution, inéluctable (L’orateur martèle son pupitre.), de la violence, de la remise en cause des droits et des libertés ?
Alors oui, la République doit se défendre. Oui, naturellement, la démocratie n’existe que si elle se défend.
Je ne suis pas – je l’ai toujours dit – un adepte des comparaisons avec les années trente, parce que les conditions politiques, économiques, militaires, internationales de l’époque n’avaient rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Mais, tout de même, lorsque la démocratie, la République étaient en jeu dans ces années-là, ceux qui ont hésité l’ont payé cher !
Je ne dis pas que nous sommes dans la même situation, mais je dis très tranquillement : donnez aux forces de l’ordre, aux forces de l’ordre de la République, aux autorités légitimes de la République, les moyens de faire en sorte qu’il y ait moins de violences, moins de casseurs, moins de difficultés, moins de remises en cause des libertés – et d’abord, madame la présidente Assassi, de la liberté de manifester.
Moi qui fais partie de l’ancien monde, monsieur le ministre, je me souviens des immenses manifestations de la CGT, où il n’y avait pas une casse, pas une remise en cause et où le service d’ordre du syndicat permettait à 200 000 personnes de défiler sans difficulté.
M. François Grosdidier. C’était le bon temps !
M. Roger Karoutchi. On n’en est plus là ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Krasucki, reviens !
M. Roger Karoutchi. On a dit que les syndicats et des associations protestaient contre ce texte. C’est vrai, mais j’ai aussi entendu Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, dire, voilà trois mois : on hésite à appeler à manifester, parce que les gens connaissent et craignent les violences.
La liberté de manifester pour défendre ses convictions, que l’on soit de gauche ou de droite, ne doit pas être un risque pour sa personne. Manifester est un droit, mais un droit aujourd’hui contesté par une petite minorité, qui profite de toutes les manifestations, d’où qu’elles viennent, pour remettre en cause la République et la démocratie.
Alors oui, il est difficile de trouver un équilibre, difficile de donner plus de libertés tout en défendant la démocratie et la République, de garantir le droit de manifester en faisant en sorte que ces casseurs, ces ultras n’aient pas le pouvoir dans la République, ni dans la rue ni dans les urnes.
Mais que faire ? Faut-il ne toucher à rien, laisser faire et, au soir de chaque manifestation, se demander : mon Dieu, qu’avons-nous encore eu aujourd’hui ?
Mme Éliane Assassi. Il faut écouter les vrais manifestants !
M. Roger Karoutchi. Oui, madame la présidente Assassi, il faut un équilibre. Le pouvoir dont nous parlons, limité par rapport à l’intensité de la capacité à manifester, nous le donnons, je le répète, à ceux qui représentent la République, à la police, à la gendarmerie, à l’armée, aux autorités légitimes de la République.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. L’armée ?
M. Roger Karoutchi. À l’armée, oui. Qui s’occupe de Vigipirate ? Et de Sentinelle ? Qui assure la sécurité dans ce cadre ? L’armée. Quoi ! Le mot vous choque ? L’armée, ce n’est pas le coup d’État militaire : c’est l’armée de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Je préférais la situation d’il y a quelques années, quand, quelle que soit l’expression politique de chacun, elle passait par les urnes ou des manifestations calmes, où chacun s’exprimait et défendait ses convictions.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pourquoi ?
M. Jean Bizet. C’était l’ancien monde !
M. Roger Karoutchi. Je le regrette, mais ce n’est plus la situation d’aujourd’hui, et pas seulement en France.
Mme Sophie Taillé-Polian. Pourquoi ?
M. Roger Karoutchi. Voyez ce qui se passe partout en Europe, et même dans le monde : partout, les minorités violentes ont décidé de profiter des grandes manifestations, des manifestations de masse, pour déstabiliser la démocratie et la République.
Mme Éliane Assassi. Demandez-vous pourquoi !
M. Roger Karoutchi. En vérité, je n’aurai donc pas d’états d’âme pour voter cette proposition de loi.
Je ne comprends pas, monsieur le ministre, que le Président de la République n’ait pas attendu le vote du Sénat avant de la déférer éventuellement au Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
Le message n’est pas clair. Je ne doute pas un seul instant que le Président de la République veuille maintenir l’ordre républicain, mais il y a des moments où les forces de sécurité, les autorités légitimes de la République, le Parlement ont besoin que chacun soit dans son rôle, assume et incarne. En l’espèce, le Président de la République eût mieux fait d’attendre demain. Je ne suis pas de ceux qui s’opposent à lui pour s’opposer, mais, là, un peu d’attente n’aurait pas nui.
M. André Reichardt. Oui !
M. François Grosdidier. Absolument !
M. Roger Karoutchi. Mes chers collègues, le Parlement vote parfois des textes dont l’opportunité – comment dire ? – vaut pour les mois qui viennent, en attendant le prochain… Mais il est des moments, au-delà du texte d’aujourd’hui, où il est confronté à une réalité simple : voulons-nous, oui ou non, avec ce que cela veut dire, défendre la République, la démocratie dans notre pays ? Il faut les défendre ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc de la commission. – Mme Brigitte Lherbier se lève pour applaudir.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Pour les raisons que j’ai exposées précédemment, la commission a émis un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.
Face aux violences, aux dégradations, notre responsabilité de législateur est de doter rapidement nos forces de l’ordre de tous les moyens nécessaires pour garantir tant la liberté de manifester que la sécurité de nos concitoyens.
Pouvons-nous encore tolérer que, chaque samedi, nos centres urbains soient saccagés par les pilleurs ? (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Pouvons-nous accepter que nos forces de l’ordre continuent, chaque semaine, d’être la cible de jets de pavés, de boules de pétanque et de bouteilles d’acide ? (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est évident que non !
C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission a décidé de se prononcer en faveur d’une adoption conforme du texte voté par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Éliane Assassi. Il n’a rien à dire…
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Nous avons bien entendu l’argumentation de M. Karoutchi, servie par un talent dont je suis toujours admiratif. Reste, mon cher collègue, que je ne reconnais pas dans la période que nous vivons les années trente auxquelles vous avez fait référence. Les « gilets jaunes », ce n’est pas le 6 février 1934 ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Raison. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. François Grosdidier. Les nuances du propos vous ont échappé !
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser l’orateur poursuivre.
M. Jérôme Durain. Le désordre dans la rue, non, mais dans l’hémicycle, oui ?
Comparaison n’est pas raison. Monsieur Karoutchi, vous convoquez les magnifiques manifestations d’antan – peut-être un souvenir de votre jeunesse… –, l’idée d’une splendide période de concorde. La réalité, c’est qu’on n’a pas attendu les « gilets jaunes » pour assister à des manifestations violentes.
Mme Éliane Assassi. Souvenez-vous de la loi El Khomri !
M. Jérôme Durain. Des chercheurs du CNRS ont bien montré que le niveau de violence était bien supérieur en 1968, par exemple, à celui que nous connaissons aujourd’hui, alors même que les forces de l’ordre étaient à l’époque bien plus démunies qu’aujourd’hui.
On parle d’équilibre, mais tâchons donc d’être équilibré dans les propositions et dans l’analyse.
Monsieur Karoutchi, vous avez raison : les questions se posent de la démocratie, de la liberté et de la sécurité. Personne sur les travées de mon groupe ne se refusera à applaudir les forces de l’ordre ou l’armée. Seulement, il ne suffit pas de convoquer la République et ses forces de l’ordre légitimes pour avoir raison sur le fond !
Ce texte est déséquilibré ; nous l’avons démontré. En particulier, il n’y a pas de recours possible devant le juge administratif. Nombre de mesures proposées ne permettent pas un traitement correct de tous, manifestants et forces de l’ordre. Nous avons la conviction que ce texte sera source de déséquilibres, de crispations et qu’il se retournera contre les forces de l’ordre !
M. François Grosdidier. Et laisser les policiers se faire tabasser, c’est équilibré ?
M. Jérôme Durain. Nous voterons donc la motion défendue par Mme Assassi.
À la vérité, derrière un peu d’idéologie et beaucoup d’idéalisation des rapports sociaux passés, il y a de nombreuses arrière-pensées politiques. On ne peut pas dire que ce texte a une constitutionnalité douteuse et, dans le même temps, vouloir l’adopter conforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. Au nom du groupe Les Républicains, j’appuie les propos à la fois déterminés et mesurés de Roger Karoutchi.
Notre groupe soutient ardemment ce texte, d’abord parce qu’il en est en partie à l’origine, ensuite parce qu’il entend s’adapter à la situation actuelle, dans laquelle nos forces de l’ordre subissent des violences et des attaques absolument inacceptables dans notre République.
Dans ce contexte, il est impératif que nous disposions des outils juridiques permettant à nos forces de l’ordre d’agir, dans un cadre légal équilibré comme celui qui nous est présenté.
En conséquence, nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Quel texte ?
M. Pierre-Yves Collombat. Je suis contre la proposition de loi et voterai donc la motion… Vous aviez bien compris ! (Exclamations et rires sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Franchement, mes chers collègues, un débat sur le maintien de l’ordre mérite plus d’ordre dans notre hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas là du désordre, monsieur le président !
Je disais donc que je suis contre ce texte, mais que je ne l’aurais pas été s’il était accompagné ou s’il avait été précédé de mesures de fond pour essayer de répondre au malaise social qui monte depuis des années, non seulement en France, mais, comme l’a souligné Roger Karoutchi, dans l’Europe entière.
On nous bassine avec la menace de l’extrême droite, mais vous fabriquez des électeurs d’extrême droite tous les jours, avec cette politique ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Vous légitimez l’extrême droite !