Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. Les problèmes ne datent pas d’aujourd’hui, mais j’ai bien noté, monsieur le secrétaire d’État, votre volonté de trouver des solutions, de donner des moyens et de former les gens, même dans les cas les plus difficiles, voire presque impossibles ! Votre réponse me satisfait donc.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la couverture en services numériques est un enjeu majeur d’attractivité pour les activités économiques et pour l’installation des familles. Ce n’est pas par hasard que les trois principales demandes d’information dans nos communes concernent le numérique, l’école et l’accès aux soins !
Le Sénat n’a pas manqué d’alerter les gouvernements successifs sur les risques de fracture territoriale et sociale dans notre pays. La réorganisation des services publics et les réformes territoriales additionnées à l’absence de politique d’aménagement du territoire ont été vécues douloureusement, notamment par les communes concernées, qui avaient le sentiment d’être les seules à en être affectées, s’agissant de la justice, des armées, des finances publiques ou de la santé.
Enfin, je veux évoquer le droit des usagers face à la dématérialisation des formalités administratives : 27 % d’entre eux sont dépourvus d’accès à internet et 33 % ne maîtrisent pas l’outil, ce qui fait peser un risque de non-recours aux droits.
La dématérialisation de l’obtention des permis de conduire est symptomatique : on a supprimé ce service, avec pour résultat des délais excessifs. Les services de l’Agence nationale des titres sécurisés, l’ANTS, sont injoignables et une simple erreur matérielle dans la demande nécessite un renouvellement total et non une rectification simple à la charge de l’administration. C’est inadmissible !
Pour conclure, nous ne pouvons rester sur un constat d’échec. Fort heureusement, ça bouge dans nos départements ! En Charente-Maritime, nous avons pour ambition de couvrir 100 % du territoire en fibre optique d’ici à 2022, la désertification médicale fait l’objet d’un accompagnement des zones les plus isolées et les maisons de services au public sont au plus près des citoyens. Nous avons une obligation de réussite.
Monsieur le secrétaire d’État, la verticalité a ses limites et peut empêcher de voir l’horizon. Au Sénat, nous sommes la voix des territoires, merci de nous entendre !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Laurent, vous avez raison : la verticalité a ses limites et quand on pilote de trop haut, on tombe aussi de très haut.
C’est pour cela que je serai le 18 mars avec le président Dominique Bussereau, pour signer la charte Territoires d’actions pour un numérique inclusif, car, comme vous le dites très justement, votre département figure parmi ceux qui sont les plus avancés en la matière.
La signature de cette charte soulignera les accomplissements déjà réalisés ces dernières années par le département et permettra d’annoncer les ambitions pour les années à venir. Nous évoquerons ainsi le sujet de l’accueil physique : comment le met-on en place ? Comment structurer localement les associations, les points d’accueil et leur conférer des compétences partagées ? Nous devrons déterminer comment le département, l’État et les services sociaux déconcentrés vont, ensemble, participer, financièrement et en termes d’orientation, afin d’accompagner les personnes qui peuvent être formées.
Dans votre département, en effet, différents diagnostics ont permis de confirmer qu’une grande partie des personnes qui ne maîtrisent pas le numérique aujourd’hui pouvaient être formées en dix à vingt heures aux usages de base : se connecter à internet ou utiliser un login et un mot de passe.
C’est pour cela que votre département a mis en place, avec Pôle emploi, le fameux Pass numérique, sur lequel je reviendrai tout à l’heure, et que nous allons faire passer, cette année, à l’échelle nationale. Ainsi, nous formerons les agents de Pôle emploi à détecter une personne qui se présente, mais qui ne se connecte jamais au site ou qui n’a pas d’adresse e-mail, pour lui proposer ce Pass utilisable dans une association ou dans un lieu de médiation numérique proche de son domicile, afin qu’elle soit accompagnée dans cette phase d’accélération.
Ce dispositif concerne bien les Français identifiés comme étant capables de se former au numérique. Il est important, dès lors que l’on reconnaît cette capacité, de la nourrir plutôt que d’orienter immédiatement ces personnes vers quelqu’un qui ferait les démarches à leur place.
C’est vrai, l’inclusion numérique doit être une priorité, mais pour tous. C’est pour cela que l’illustration offerte par votre département est très importante à mes yeux. Ce 18 mars, nous en profiterons pour relater le travail que nous avons mené pendant dix-huit mois pour en arriver à cette signature.
Merci encore de votre question. J’espère vous retrouver à cette date autour du président Bussereau !
M. Daniel Laurent. Merci pour mon département.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le secrétaire d’État, depuis de nombreuses années maintenant, le numérique prend une importance considérable dans notre quotidien. Les infrastructures, leur implantation et leur accessibilité sont une problématique que nous abordons souvent dans cet hémicycle, afin de réduire ce que l’on appelle la fracture numérique.
Se posent également aujourd’hui, de façon systématique, la question des usages ainsi que celle de l’inclusion numérique.
Jeudi dernier, vous étiez en déplacement à Labège, près de Toulouse, pour échanger avec des acteurs impliqués dans ce domaine dans le cadre d’une étape du Tour de France des oubliés du numérique, visant à identifier les problématiques, mais aussi les initiatives remarquables en la matière.
À l’issue de ces présentations, une charte Territoires d’actions pour un numérique inclusif a été signée, prévoyant la prise en compte de l’ensemble des publics possiblement éloignés, des plus jeunes générations aux plus âgées.
Dans mon département, la Gironde, des assises des solidarités numériques étaient organisées au mois de décembre dernier. Dédiées au développement social, elles avaient pour objectif d’apporter aux collectivités et aux associations les outils nécessaires pour tendre vers un usage du numérique facilitant le lien social.
Alors que l’administration française migre de plus en plus vers des services numériques, alors qu’une directive européenne introduit l’obligation, pour les sites appartenant à une instance publique, d’être accessibles aux personnes handicapées, est-il prévu de mettre en place une plateforme d’échanges unique et identifiée ? Celle-ci pourrait regrouper les initiatives dans ce domaine, afin que chaque collectivité puisse prendre connaissance des bonnes pratiques et des projets développés à travers le pays et s’en inspirer. (Mme Noëlle Rauscent applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, merci d’avoir rappelé l’actualité de ce Tour de France des oubliés du numérique et d’avoir évoqué les chartes que nous avons signées avec les dix premiers territoires qui se sont engagés à travailler avec nous : la Creuse, les Pyrénées-Atlantiques, la Gironde, la Drôme, l’Ardèche, la Charente-Maritime, les régions Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France et Centre-Val de Loire et une intercommunalité, le Sicoval, près de Toulouse, où je me trouvais la semaine dernière.
Avec ces chartes, nous nous inscrivons dans une démarche gagnant-gagnant qui permet la mise à disposition d’une expertise de niveau national, issue de l’État, pour accompagner les collectivités locales concernées dans la définition d’un plan stratégique d’inclusion.
Ces plans, ces techniques et ces méthodes ont été développés non pas par la seule équipe de Société Numérique, à Paris, mais également avec les experts de ces territoires, qui se réunissent régulièrement à Paris et organisent aussi des ateliers en régions, auxquels j’ai eu l’occasion de participer. La personne qui dirige cette équipe est d’ailleurs à mes côtés et je l’en remercie.
Le travail de la mission Société Numérique, c’est le partage des connaissances et des communs. La MedNum, cette coopérative dont l’État et chacun des membres sont actionnaires, est là pour créer des outils communs partagés par tous. Une plateforme est née, inclusion.societenumerique.gouv.fr, sur laquelle on trouve des kits clés en main pour permettre aux petites collectivités de débattre d’une stratégie d’inclusion numérique locale, ainsi que des dossiers plus complets, destinés à aider les collectivités qui ont plus de moyens à identifier les interlocuteurs, les intermédiaires et les acteurs avec lesquels elles peuvent démarrer, prolonger ou amplifier leur stratégie. On y trouve, enfin, un benchmark, une analyse des meilleures pratiques des départements et des régions de France qui ont un pas d’avance sur ce sujet.
Vous avez raison, nous ne réussirons que grâce au maillage et à la dentelle locale. Aucun territoire ne ressemble à un autre, mais quelques solutions fonctionnent très bien et nous devons être capables de les partager.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.
Mme Françoise Cartron. Les maires ruraux sont de bons artisans de cette dentelle locale. J’étais hier avec le président de l’Association des maires ruraux de Gironde, laquelle met en place un wiki des maires, conçu comme une plateforme des bonnes pratiques issues du monde rural. Quand on fait appel à l’intelligence des territoires, beaucoup de choses sont possibles, en particulier dans le domaine du numérique !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Quand on parle de fracture numérique, on a tous en tête les difficultés induites par l’inégale couverture du territoire et les zones blanches. Je voudrais plutôt revenir sur un autre aspect de cette fracture : les difficultés liées à l’usage, que certains dénomment l’illettrisme numérique, ou l’illectronisme.
Aujourd’hui, 20 % de nos concitoyens ne savent pas utiliser internet, soit 13 millions de personnes, dont plus de la moitié ne se connecte jamais. Le coût de l’équipement est aussi un frein : selon une étude d’Emmaüs, 35 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n’utilisent jamais internet.
Alors que le mot d’ordre est la dématérialisation des services publics, cela pose une sérieuse question d’accès aux droits dans un nombre croissant de secteurs – la sécurité sociale, la recherche d’emploi, les déclarations PAC, pour les agriculteurs, l’orientation universitaire avec Parcoursup –, voire un problème d’accès à la démocratie, puisque même l’organisation du grand débat se fait essentiellement via internet.
La réforme de la justice, notamment, est une source d’inquiétude de ce point de vue, puisqu’elle comporte un large volet consacré à la dématérialisation de l’accès à la justice. En remettant en cause l’accès direct au juge, on fait reposer la garantie du respect des droits fondamentaux des citoyens sur le postulat d’un accès universel à l’outil informatique.
À l’heure où l’État tend à s’appuyer de plus en plus sur le numérique pour améliorer l’accès au droit, il doit absolument garantir à chaque individu, dans le même temps, la possibilité de disposer d’un accès à internet et de la capacité à l’utiliser.
Aujourd’hui, force est de constater que les réponses ne sont pas à la hauteur des besoins. Ainsi, le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté prévoyait, certes, des bornes d’accès au droit dans des lieux d’accueil de personnes en grande difficulté, mais pas l’accompagnement nécessaire pour que l’accès à ces bornes soit effectif.
De même, le Gouvernement présentera prochainement une liste d’une dizaine de lieux de médiation numérique pour conseiller et former les populations les plus éloignées d’internet, soit même pas un par grande région !
Pour que les progrès techniques soient véritablement synonymes de progrès social et non source d’une exclusion supplémentaire, le volontarisme des pouvoirs publics doit être identique à celui qui avait été déployé pour combattre l’illettrisme.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les intentions du Gouvernement pour répondre à ces enjeux ? Mettrez-vous en place un véritable plan national d’alphabétisation digitale, comme le demandent les associations de lutte contre l’exclusion depuis plusieurs années ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Tissot, quelle tristesse de vous entendre dire que nous allons ouvrir seulement dix lieux ! C’est beaucoup plus que cela : l’appel à projets prévoyait la création de dix hubs, de dix lieux de multiplication. Il s’agissait d’identifier, dans les territoires, les structures volontaires susceptibles d’animer les lieux présents partout, mais trop petits pour disposer des bonnes expertises.
Dans une commune rurale, par exemple, la médiation numérique passera souvent par une association, par un prestataire, voire par les services de la mairie, pour quelques heures par semaine. Ces lieux n’auront pas toujours les outils de bon niveau, les expertises pertinentes, la capacité d’accompagner le public. Dès lors, le hub le plus proche, dans le département ou dans la région, assistera et formera ces accompagnants, leur donnera les outils et mettra à jour régulièrement leur connaissance des procédures. Ces dix hubs ont donc vocation à rayonner et à avoir un effet multiplicateur.
À l’issue du travail que nous avons mené avec les territoires, nous avons pris conscience que le numérique des services publics et de l’inclusion allait aussi vite que celui des réseaux sociaux et du commerce : un an après, on est un has been, deux ans après, on est vraiment très éloigné et trois ans après, le monde numérique que l’on a connu ne ressemble plus à celui qui se trouve sur l’écran. Ces hubs ont pour mission de donner à tous la capacité d’être toujours au meilleur niveau.
L’objectif est donc de créer non pas dix lieux, mais bien des milliers à travers le territoire. Dans les départements et les territoires dont j’ai fait la liste, la première mission assignée à la stratégie locale d’inclusion numérique est l’identification et la cartographie des acteurs.
Dès la mi-mars, nous mettrons en ligne une cartographie open source, donc librement disponible pour tous, de tous les lieux de médiation numérique. Chacun des départements pourra contribuer à cette carte nationale, afin de produire une photographie très claire des acteurs de l’accompagnement et des besoins des accompagnés comme des accompagnants. Le hub jouera alors un rôle d’accélération de l’expertise et des compétences.
Notre ambition est partagée et ce plan est national, avec 100 millions d’euros apportés par l’État et les collectivités, et certaines d’entre elles contribueront encore plus que prévu. Cela ne sera jamais assez, mais l’année 2019, c’est l’année de l’action !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour avoir accès aux services publics numériques, il faut remplir deux conditions : être connecté et savoir se servir d’internet.
Concernant le premier point, nous sommes tous vigilants pour assurer au plus vite une couverture opérationnelle sur l’ensemble du territoire et la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, nous permettra d’accélérer ce déploiement.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué les dispositifs Amel, pour appel à manifestation des engagements locaux. Combien en a-t-il été conclu à ce jour ?
En pratique, nous le savons, certains de nos concitoyens sont déjà pris en otage, victimes de la suppression de services publics au profit de leur version numérisée, avant même que ceux-ci ne leur soient accessibles. La méthode est quand même surprenante et fait peu de cas des usagers. Chez moi, on appelle cela mettre la charrue avant les bœufs !
Quant aux usages, le Gouvernement a lancé en septembre la stratégie nationale pour un numérique inclusif, comportant, notamment, les deux mesures phares que sont le Pass numérique pour 10 millions d’euros et la structuration des hubs pour, avais-je noté, 5 millions d’euros. Ce plan vous semble-t-il suffisant ? En réalité, nous le savons, il agrège des dispositions disparates dont la plupart existent déjà sur le territoire, mais qui ont échoué à régler la question de fond de l’illectronisme, qui conjugue fracture sociale, difficultés de mobilité, problèmes territoriaux, illettrisme et isolement.
Il est vrai que seules des actions de proximité menées dans la durée sont à même de faire évoluer les comportements. Je salue, à ce titre, tout ce qui est fait dans les établissements scolaires, dans les MSAP – encore faut-il pouvoir s’y rendre, et c’est un problème réel dans les territoires ruraux –, ou encore l’initiative Ardoiz, menée par La Poste, tablette qui accompagne les personnes âgées à leur domicile.
Je rends hommage, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, à la volonté de proximité et de formation que vous affirmez ; elle est essentielle à ce stade des déploiements et des besoins. Comment, cependant, l’État va-t-il assurer la mise en œuvre opérationnelle de son plan dans les délais impartis ? D’après votre stratégie, l’intégralité des services publics doit passer à internet en 2022. Cela va arriver vite !
Enfin, l’État prévoit-il une clause de protection, telle qu’évoquée par le Défenseur des droits, afin de sécuriser les usagers mal à l’aise et de leur éviter d’être tenus pour responsables d’éventuels problèmes techniques ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous posez beaucoup de questions, je vais répondre à plusieurs d’entre elles et M. Mahjoubi complétera mon propos lors de prochaines questions sur des sujets proches.
Je vous remercie d’évoquer les Amel ; nous en avons peu parlé, mais ce dispositif a en effet créé des inquiétudes. Il visait à donner la possibilité à certains maîtres d’ouvrage, dans les zones d’initiative publique, de faire appel à des financements privés. Des appréhensions sont nées parce que certains ont craint de voir remis en cause l’équilibre existant dans les contrats passés. Je veux les rassurer sur ce point : nous avons toujours dit que les Amel n’étaient pas obligatoires et que, à la fin, le décideur restait le maître d’ouvrage, donc la collectivité.
Pour répondre à votre question, nous avons reçu une quarantaine de manifestations d’intérêt. Certains des volontaires ont renoncé après analyse, et nous envisageons aujourd’hui le financement d’un million de prises – c’est important ! – grâce à ce nouveau dispositif, donc par le privé, dans les zones d’initiative publique.
Vous abordez ensuite la question des MSAP. M. Mahjoubi et moi-même disons depuis le début de ce débat qu’il n’existe pas de solution unique, mais qu’il faut faire de la dentelle territoriale. Les MSAP sont elles-mêmes toutes différentes : certaines sont mises en œuvre par La Poste, d’autres sont dans des mairies ou dans des gares SNCF, d’autres encore sont créées par les communes dans un lieu dédié. Certaines proposent de nombreux services publics, d’autres seulement quelques-uns. Nous essayons toujours de partir du territoire.
Dans la loi de finances, nous avons consolidé les financements des MSAP, avec 15 millions d’euros, tout en entamant une réflexion sur leur accessibilité et sur les services de demain, afin d’améliorer la qualité de leur apport dès 2020, en partant du territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous savez combien le Sénat est attaché au respect effectif du principe d’égalité devant le service public sur l’ensemble de nos territoires et pour tous nos concitoyens. J’y suis particulièrement sensible et attentif : je représente un territoire, la Vienne, dont les habitants sont directement concernés par les fractures territoriales, la fracture numérique et la fermeture ou l’éloignement des services publics.
Lorsque l’on évoque la fracture numérique, s’agissant de l’accès aux services publics, on pense spontanément à la dématérialisation des démarches et des formalités administratives. De très nombreux services sont concernés, tant pour les particuliers que pour les professionnels et les associations. Il suffit de se rendre sur les sites service-public.fr et justice.fr pour en prendre la mesure. Cette tendance devrait s’accentuer prochainement dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Deux grands obstacles doivent être pris en compte : la qualité trop souvent aléatoire des réseaux numériques dans certains territoires, et – ce n’est pas moins problématique – la part non négligeable de la population qui reste réfractaire à cet outil. Les troubles subis dans notre pays doivent faire comprendre à tous que les plus mal lotis, dans la France périphérique, doivent aussi être écoutés.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, jusqu’où le Gouvernement projette-t-il d’aller en matière de dématérialisation, tout particulièrement en ce qui concerne les fonctions régaliennes de l’État que sont la police et la justice ?
Le passage au tout-numérique reste éloigné et une approche humaine suppose des solutions complémentaires. Le Défenseur des droits recommande de préserver plusieurs modalités d’accès aux services publics, afin qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée. Cela me semble indispensable.
Quelles synergies envisagez-vous entre numérique et points de rencontre physiques, en particulier avec le réseau des MSAP ? Ces synergies doivent permettre de garantir l’accès aux services publics aux Français porteurs de différents handicaps. Comment intégrez-vous cette réalité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je me permettrai de considérer plus spécifiquement une autre des missions dont je suis responsable, celle de la numérisation des services publics. Quelles règles président à cette numérisation ? Comment anime-t-on le travail interministériel entre les différentes administrations ? Quelles sont les règles communes et quelles sont celles que nous avons mises en œuvre depuis deux ans, depuis que le Gouvernement est en place ?
La première d’entre elles, vous l’avez rappelée. J’ai reçu trois fois le Défenseur des droits, j’ai rencontré en sa présence tous les délégués territoriaux qui, chacun, ont témoigné d’histoires terribles, où l’on se retrouve face à un mur : un répondeur – jamais aucun être humain ne répond –, un site internet sur lequel on ne peut envoyer aucun message. Nous avons été très clairs sur ce sujet : il ne peut y avoir de service public en ligne qui ne propose pas d’être mis en relation avec un être humain, que ce soit physiquement, par téléphone, par le biais d’une réponse à un message ou au moyen de la médiation d’une autre personne.
J’ai pris précédemment l’exemple de l’ANTS et de la carte grise. Pour certaines démarches, nous ne pouvions à aucun moment entrer en relation avec un être humain. Aujourd’hui, c’en est fini ; nous faisons tout pour que, dans toutes les démarches en ligne, cela n’arrive plus jamais. Comment fait-on ?
Au sein de la Dinsic, la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, nous analysons les 200 démarches en ligne – nous rendrons bientôt public le tableau qui sera réalisé –, qui correspondent à plus de 90 % des démarches réalisées par les Français. Pour ce faire, nous regardons une liste de critères. Le premier d’entre eux concerne l’accessibilité.
Premier élément, la démarche en ligne est-elle bien accessible depuis un téléphone mobile, pour une personne en situation de handicap qui utiliserait un logiciel particulier ? Deuxième élément, utilise-t-elle FranceConnect, qui permet de se connecter à tous les services publics avec un seul login et un seul mot de passe ? Il n’est plus besoin de connaître tous les mots de passe pour tous les services publics. Troisième élément, on vérifie, pour chacun de ces services publics, à quel moment la mise en relation avec un être humain est proposée si la personne en a besoin. Le quatrième élément que vous allez voir apparaître dans tous les services publics en ligne dans les prochains mois, c’est la possibilité donnée à tous les Français de partager leur avis en disant à quel moment le service en ligne leur a posé problème. Cette option aujourd’hui facultative deviendra demain obligatoire pour toutes les démarches. Ce sera une manière pour nous de bien piloter les démarches qui excluent et celles qui ont les bonnes recettes pour accueillir. Vous l’avez redit précédemment, l’ingrédient majeur pour que tout se passe bien, c’est qu’un être humain soit là en cas de besoin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que de nombreux services publics poursuivent leur développement vers le tout-numérique, la dématérialisation de nombreuses démarches administratives suppose de bonnes conditions de connexion au réseau de téléphonie ou d’accès à internet.
Or une partie des territoires est encore, nous l’avons déjà dit, mal équipée, voire sous-équipée, rendant ces conditions difficiles, voire impossibles.
Dans certaines communes rurales d’Occitanie, notamment dans les Hautes-Pyrénées, le manque de couverture réseau pour les téléphones portables et les débits trop faibles d’accès à internet constituent une réelle fracture numérique pour un grand nombre de nos concitoyens.
L’aménagement des réseaux en très haut débit des Hautes-Pyrénées doit être finalisé d’ici à cinq ans. Cependant, on peut douter que les équipements soient totalement opérationnels en un laps de temps si court.
C’est une fracture à la fois sociale et territoriale.
En effet, les projets de fermeture ou d’éloignement des services publics traditionnels, comme les trésoreries ou les bureaux de poste, ainsi que la disparition de certaines compétences municipales, comme l’instruction des cartes nationales d’identité et des passeports, ajoutent de nouvelles difficultés.
C’est aussi une fracture sociale qui frappe surtout nos concitoyens les plus fragiles, les personnes âgées ou au chômage, qui ne sont pas toujours à l’aise avec les nouveaux usages numériques ou qui n’ont pas toujours les moyens de posséder un ordinateur et de se former à son utilisation.
Le désert numérique, qui s’ajoute très souvent à un désert médical, aggrave une inégalité territoriale totalement inconcevable et un sentiment d’abandon chez nombre de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, le tout-numérique ne peut être l’unique solution. Si la préservation de l’accès aux services publics, y compris dans les zones rurales les plus reculées, constitue bien une priorité pour le Gouvernement, il lui faudra conserver une diversité d’approches. Que comptez-vous faire alors pour le maintien, le développement et l’évolution des autres moyens d’accès aux services publics que le numérique ?