Sommaire
Présidence de M. Vincent Delahaye
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer, M. Victorin Lurel.
2. Désenclavement des territoires. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. Jean-Claude Requier. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 6 rectifié de M. Jean-Claude Requier. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 1 rectifié bis de M. Daniel Chasseing. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption, par scrutin public n° 57, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
3. L’hydrogène, une énergie d’avenir. – Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
4. Mise au point au sujet d’un vote
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
5. Communication relative à une commission mixte paritaire
6. Fracture numérique et inégalités d’accès aux services publics. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains
M. Guillaume Gontard ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Guillaume Gontard.
M. Joël Bigot ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Joël Bigot.
Mme Véronique Guillotin ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Jean Louis Masson ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Jean Louis Masson.
M. Bernard Delcros ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Bernard Delcros.
M. Alain Fouché ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Alain Fouché.
M. Daniel Laurent ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Françoise Cartron ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; Mme Françoise Cartron.
M. Jean-Claude Tissot ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Anne-Catherine Loisier ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement.
M. Yves Bouloux ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
Mme Viviane Artigalas ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Viviane Artigalas.
Mme Marta de Cidrac ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Dominique de Legge ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Dominique de Legge.
M. Hugues Saury ; M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
M. Michel Savin ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; M. Michel Savin.
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains
M. Julien Denormandie, ministre
compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Désenclavement des territoires
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, présentée par MM. Jacques Mézard, Jean-Claude Requier et Yvon Collin et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 234, texte de la commission n° 309, rapport n° 308).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Yves Roux, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires que nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui s’inscrit au cœur des missions institutionnelles du Sénat.
Le sujet du désenclavement n’est en rien nouveau, mais il revêt aujourd’hui une acuité toute particulière. Les grands débats qui se déroulent en ce moment dans toute la France l’ont remis à l’ordre du jour de manière plus aiguë encore, parfois plus douloureuse, dans ces territoires et départements enclavés, contournés, dont les habitants éprouvent un très fort sentiment d’abandon. Malheureusement, nous constatons que ce mouvement est appelé à s’accélérer. La révolte de nos concitoyens contre la suppression annoncée de dessertes de villes moyennes par la SNCF est là pour nous le rappeler. Plus que jamais, nous avons besoin d’un cadre et d’un socle national qui garantissent le développement équilibré de nos territoires, maintenant et pour le futur.
C’est la raison pour laquelle nous avons saisi cette occasion, avant même la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités, d’inscrire dans la loi un objectif national de désenclavement. Pour le groupe du RDSE, il s’agit d’adresser dès à présent un signal fort sur un sujet qui mérite de ne pas être dilué au milieu d’autres propositions. Il s’agit également d’affirmer l’objectif d’un désenclavement profondément rénové, multimodal et adapté, prenant en compte la réalité d’une France polycentrée, dont les territoires ont vocation à assurer, dans la perspective d’un enjeu environnemental majeur, leur propre trajectoire de développement durable.
Il y a près de vingt-cinq ans, le paragraphe 1 de l’article 17 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire prévoyait que, « en 2015, aucune partie du territoire français métropolitain continental ne [serait] située à plus de 50 kilomètres ou de 45 minutes d’automobile soit d’une autoroute ou d’une route expresse à 2x2 voies en continuité sur le réseau national, soit d’une gare desservie par le réseau ferré à grande vitesse ». La loi du 25 juin 1999 a, quant à elle, fait disparaître cet objectif, sans pour autant résoudre les problèmes ni constater de progrès.
En 2008, la sénatrice socialiste Jacqueline Alquier et le sénateur centriste Claude Biwer, dans un rapport intitulé « Pour une politique de désenclavement durable des territoires », avaient déjà posé le constat que « ce critère de 45 minutes/50 kilomètres constitue un minimum qui doit être atteint partout ». Ils identifiaient déjà précisément des types de territoires enclavés : certaines zones alpines, certaines zones pyrénéennes et une partie du massif du Morvan ; des espaces à dominante rurale peu densément peuplés, éventuellement structurés par des villes moyennes, telles certaines zones du Massif central ou du Limousin ; enfin, des bassins de vie centrés sur des villes, telles que Nevers ou Auch, dans le Gers.
Madame la ministre, nous connaissons les lieux à désenclaver, pour lesquels la solidarité nationale doit s’exercer. Nous connaissons aussi votre souhait de privilégier les transports du quotidien. Les citoyens et les élus qui les représentent ont désormais besoin de garanties claires inscrites dans la loi. C’est ce que nous demandons aujourd’hui.
J’en viens au texte même.
Notre proposition de loi vise à améliorer l’accès aux infrastructures routières, ferroviaires et aériennes dans les territoires identifiés comme prioritaires.
La route constitue à cet égard le moyen universel de déplacement dans ces territoires. J’ai grand plaisir à prendre les transports en commun en venant à Paris, mais force est de constater que certains modèles ne sont pas exportables. Selon un récent rapport de l’INSEE, l’emploi du véhicule automobile prédomine dans nos départements, quelle que soit la distance à parcourir. Chez moi, dans les Alpes-de-Haute-Provence, en 2009, 82 % des personnes utilisaient leur voiture et 3,2 % les transports en commun. Pour me rendre à Paris, je dois faire une heure et demie de voiture au minimum pour accéder à un train, deux heures pour prendre l’avion. C’est cela, la réalité de l’enclavement ! J’en donnerai une autre illustration bien concrète : depuis presque trente ans, les élus des Alpes-de-Haute-Provence bataillent pour que leur ville préfecture – excusez du peu ! – soit reliée à l’autoroute… Depuis 1987, l’autoroute Grenoble-Sisteron figurait au schéma directeur routier national. Le projet de barreau autoroutier A585, qui devait relier Digne-les-Bains à l’autoroute A51, a été abandonné en 2012. Depuis plus de cinq ans, des travaux de désenclavement de Digne-Les-Bains sont prévus, mais ils ne seront pas terminés, tant s’en faut, au terme du contrat de plan État-région, en 2020. Tout l’est du département, à commencer par sa préfecture, n’en finit plus d’espérer l’achèvement de toutes les sections de travaux.
Pourtant, depuis plus de trente ans, des élus tentent de mettre en place des politiques de renforcement de l’attractivité de leur territoire, des politiques touristiques, sans bénéficier de moyen de communication rapide avec l’extérieur. Cela revient, ni plus ni moins, à nager à contre-courant. C’est aussi cela la réalité de l’enclavement et de l’isolement de nos territoires ! Nous avons besoin d’actes concrets.
L’article 1er du texte s’appuie sur la proposition de loi de 2017 de notre collègue Alain Bertrand et prévoit, à des fins d’impulsion, un délai plus court que celui de la loi Pasqua. Nous maintenons le critère de distance et de temps –50 kilomètres ou 45 minutes de voiture –, mais nous intégrons les bassins d’emploi, en prévoyant que ce critère de distance et de temps concernera aussi les unités urbaines comptant de 1 500 à 5 000 emplois. La commission a par ailleurs intégré, sur proposition de Ronan Dantec, l’accès à une ligne à grande vitesse dans l’objectif de désenclavement. Nous proposerons, par voie d’amendement, sur l’initiative notamment de mon collègue Jean-Pierre Corbisez, de préciser ces distances en intégrant la notion de distance parcourue par rapport à la ville préfecture, lieu de référence commun à toute la ruralité.
L’article 2 prévoit d’inscrire dans la loi un principe d’adaptation s’imposant à l’État, en vue de prendre en compte des projets plus adaptés aux réalités topographiques, économiques et financières. En 2014, dans son rapport sur l’hyper-ruralité, Alain Bertrand avait déjà fait le constat que l’uniformité avait entraîné l’élaboration de projets surdimensionnés, au coût pharaonique, qui n’ont pu voir le jour.
Concernant le volet du transport aérien, la proposition de loi pose également clairement l’objectif d’améliorer le fonctionnement des lignes d’aménagement du territoire et infrarégionales. Je rappelle ici que le désenclavement aérien est censé être assuré par une couverture aérienne minimale. Les entreprises de transport concernées sont soumises à des obligations de service public et perçoivent des subventions à ce titre. Mais, concrètement, ces entreprises affectent du matériel ancien à ces lignes et ne parviennent pas à respecter leurs obligations. Il convenait donc à la fois de mieux contrôler le respect de ces obligations et de mieux sécuriser les financements.
L’article 3 vise à permettre aux départements et aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, de s’engager financièrement, sans empiéter sur les compétences régionales.
L’article 4 impose aux entreprises soumises à des obligations de service public de remettre un bilan d’activité tous les six mois.
L’article 5, remanié par la commission, prévoit, à l’instar de l’article 2, d’adapter l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure, avec pragmatisme et responsabilité. Nous avons déjà eu quelques débats sur ce sujet dans notre hémicycle. Force est de constater que le dossier n’est pas clos et que des aménagements sont possibles. La commission a ainsi proposé que le préfet et le président du conseil départemental puissent déroger à cet objectif national uniforme de 80 kilomètres par heure, par arrêté motivé et après avis de la commission départementale de la sécurité routière.
Dans le même esprit, l’article 6 prévoit que le Gouvernement avance la publication d’une évaluation sérieuse de la mesure, pour l’heure prévue l’année prochaine.
Mes chers collègues, cette proposition de loi répond à une urgence démocratique. Son adoption constituera la garantie concrète que l’État est bien aux côtés des territoires ruraux, qu’il prend l’engagement de soutenir en totalité la colonne vertébrale française, c’est-à-dire tous les territoires. Elle se fonde sur une conception rénovée et moderne de l’aménagement de la France métropolitaine. Avec la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, la proposition de loi de notre collègue Éric Gold visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux et la présente proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, nous signifions que nous croyons en une France polycentrée, capable d’assurer son propre développement pour être ainsi pleinement associée au destin républicain.
Nous sommes convaincus que les enjeux liés au réchauffement climatique plaident en faveur de déplacements plus courts, plus sobres, et que nos propositions donneront corps à cette exigence.
De la même manière, nous sommes convaincus qu’il convient d’accompagner le désir des Français de s’établir hors des très grandes villes afin de pouvoir bénéficier d’un cadre et d’un rythme de vie différents, avec des formes d’économie sociale et solidaire qui restent à inventer et à conforter.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Roux. Je conclus, monsieur le président.
C’est cette France polycentrée que nous défendons ici. Nous nous attacherons bien entendu à ce que le financement correspondant à cette ambition soit bien prévu, notamment au titre des prochains contrats de plan État-région.
M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 12 février, a déclaré, en parlant de la ruralité, que « le vrai sujet est celui de la démographie, et nous devons tout faire pour que les familles se réinstallent dans les territoires ruraux ». Je réponds : chiche ! Désenclavons nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi et que vient de nous présenter Jean-Yves Roux vise à faciliter le désenclavement des territoires.
Sur cette question, l’actualité parle d’elle-même. Nombre de ceux qui, depuis trois mois, manifestent dans la rue et sur les ronds-points, expriment un sentiment d’abandon face aux difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent, face à la disparition des services publics, mais aussi, et c’est un sujet dont il avait été peu question dans le débat public jusqu’alors, face à l’absence de solutions de mobilité.
Comment ne pas rappeler que la colère qui s’exprime aujourd’hui s’est cristallisée, au départ, sur l’augmentation de la fiscalité sur les carburants, pénalisant ceux qui utilisent en premier lieu leur véhicule pour se déplacer, c’est-à-dire, majoritairement, ceux qui n’ont pas accès à une offre de transports publics pour leurs trajets du quotidien.
Le manque de solutions de transport, c’est ce que vivent tous les jours ceux qui habitent dans des territoires enclavés. Il résulte d’une offre de mobilité insuffisante, notamment en matière de transports collectifs, mais aussi d’un manque d’infrastructures de transport adaptées, soit parce que ces infrastructures sont trop lointaines, soit parce qu’elles ne sont pas aménagées pour permettre une circulation rapide.
Pour répondre à cette difficulté, la proposition de loi prévoit trois axes d’action principaux.
Le premier volet porte sur les infrastructures de transport.
La proposition de loi vise à faire du désenclavement des territoires l’un des piliers de la programmation de ces infrastructures, c’est-à-dire un véritable critère d’analyse. Dans cette perspective, elle prévoit que, d’ici à la fin de l’année 2025, aucune partie du territoire français métropolitain ne devra être située à une distance trop importante d’un centre urbain ou économique ou d’une voie de circulation rapide. En commission, nous avons ajouté un critère de distance à une gare desservie par une ligne à grande vitesse.
Il est en effet indispensable que l’objectif de désenclavement du territoire soit intégré dans la politique d’aménagement du territoire, c’est-à-dire dans les documents de planification de l’État et des collectivités, en particulier dans les contrats de plan État-région, comme étant un objectif prioritaire, comme l’a souligné en commission notre collègue Michel Vaspart.
Il n’est nul besoin de rappeler que, par le passé, les choix en matière d’investissements ont porté prioritairement sur la réalisation de grandes infrastructures de transport, certes nécessaires, mais onéreuses, au détriment de l’entretien et de l’aménagement des réseaux existants, qu’il s’agisse du réseau routier ou du réseau ferroviaire.
Vous nous direz sûrement, madame la ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez a décidé d’infléchir cette tendance – vous l’avez d’ailleurs rappelé hier lors des questions d’actualité au Gouvernement, en répondant à M. Éric Gold – et que le projet de loi d’orientation des mobilités que nous examinerons le mois prochain au Sénat apportera des réponses à la problématique du sous-investissement dans les infrastructures de transports du quotidien.
Certes, nous ne pouvons pas nier qu’un changement d’approche, en matière de financement des infrastructures, est intervenu. Pour autant, il nous paraît nécessaire d’inscrire des objectifs de désenclavement dans le marbre de la loi, d’en faire un critère de sélection, sinon ils passeront toujours au second plan dans les politiques d’investissements et risqueront même de servir de variable d’ajustement, dans un contexte où plane une grande incertitude sur le financement pérenne des infrastructures.
La proposition de loi prévoit, par ailleurs, que l’État devra veiller à adapter les infrastructures et leurs aménagements aux territoires et à leurs caractéristiques. Il s’agit, en cela, de faciliter la construction d’infrastructures routières moins lourdes, et donc moins coûteuses, dans les zones enclavées.
Il n’est bien évidemment pas question de construire des autoroutes ou des routes à 2x2 voies sur tout le territoire. Le désenclavement peut passer par l’aménagement d’une route existante afin de permettre une circulation plus rapide et de répondre à la demande des habitants du territoire concerné.
Le deuxième volet de la proposition de loi concerne le désenclavement des territoires par la voie aérienne.
Aujourd’hui, dans de nombreux territoires, en l’absence de TGV ou d’autoroute, seule une liaison aérienne permet une connexion rapide avec les grands centres urbains, Paris et les grandes métropoles. Lorsque l’équilibre économique d’une desserte n’est pas assuré, la puissance publique peut organiser des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public et verser, avec les collectivités et les chambres consulaires, des subventions d’équilibre aux compagnies exploitant ces lignes. De telles liaisons sont essentielles au désenclavement des territoires et sont souvent indispensables au maintien et au développement des activités économiques. Or, depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, qui a revu la répartition des compétences entre les collectivités territoriales, seuls l’État et les régions sont compétents pour organiser ces liaisons. Les autres collectivités territoriales, notamment les départements, ne peuvent le faire que par délégation des régions, s’agissant des liaisons intrarégionales, ou de l’État, s’agissant des liaisons interrégionales.
Pourtant, l’État s’est désengagé ces dernières années du financement de nombreuses liaisons d’aménagement du territoire. Certes, le Gouvernement a mis fin à cette tendance au travers du budget pour 2019, en consacrant 4 millions d’euros supplémentaires au financement de ces lignes, mais cela ne permettra de financer, au mieux, qu’une ou deux dessertes de plus.
Quant aux régions, elles ne sont pas le seul échelon pertinent pour appréhender la problématique du désenclavement et y répondre. C’est pourquoi j’aurais souhaité déposer un amendement visant à donner aux départements et aux EPCI la compétence pour organiser eux-mêmes des liaisons d’aménagement du territoire, sans avoir à en demander l’autorisation ou la délégation à la région ou à l’État, mais un tel amendement aurait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Je profite de votre présence aujourd’hui, madame la ministre, pour vous dire qu’il s’agit là d’un véritable sujet d’inquiétude pour les territoires enclavés, qui mérite d’être mieux pris en compte, d’autant que la réglementation européenne vous autorise à porter à 100 % les subventions d’équilibre pour ces liaisons. Pour l’instant, ce taux est de 50 %, mais je suis persuadé qu’une petite augmentation inciterait les départements et les EPCI à participer au financement de ces liaisons.
La proposition de loi prévoit que l’État devra s’assurer que les compagnies aériennes qui exploitent ces liaisons aériennes maintiennent des dessertes effectives et régulières. Ceux d’entre nous qui empruntent régulièrement ces liaisons ont pu constater, ces dernières années, une dégradation du service rendu par la filiale d’une grande compagnie aérienne française, avec des retards de vols fréquents et très importants ou des annulations.
Cette situation suscite des interrogations quant à la manière dont l’État contrôle l’exercice de ces délégations de service public. La proposition de loi vise d’ailleurs à renforcer ce contrôle, en prévoyant que les compagnies aériennes devront transmettre aux autorités publiques des informations sur le fonctionnement des lignes de manière plus fréquente et plus transparente.
Enfin, le troisième et dernier volet de la proposition de loi concerne la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure.
Certes, madame la ministre, cette question ne relève pas, en tant que telle, de la problématique du désenclavement des territoires. Cependant, il est légitime qu’elle soit abordée dans ce texte, car elle a contribué au sentiment d’abandon des citoyens vivant dans les territoires ruraux que j’évoquais en introduction.
La réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure a été décidée sans concertation et sans prendre en considération la réalité de nombreux territoires où la voiture est un moyen de déplacement incontournable. Cette décision a été le second facteur déclenchant du mécontentement national.
Pourtant, le Gouvernement aurait pu procéder différemment. Avant l’entrée en vigueur de la mesure, de nombreux départements ont demandé que cette décision soit décentralisée, afin qu’elle puisse être adaptée aux spécificités de chaque territoire. Le groupe de travail sur ce sujet créé au Sénat, composé de Michèle Vullien, Michel Raison et Jean-Luc Fichet, avait lui aussi recommandé une telle décentralisation de la décision. On sait ce qu’il est advenu de cette proposition…
Lors de l’ouverture du grand débat national, le 15 janvier, le Président de la République lui-même a indiqué être ouvert à des aménagements. Tel est le sens de l’amendement que nous avons adopté en commission à l’article 5. Il vise à donner aux présidents de département et aux préfets la possibilité de relever ou de moduler les limitations de vitesse sur les voies dont ils sont gestionnaires, après avis de la commission départementale de la sécurité routière. J’espère, madame la ministre, que vous soutiendrez notre proposition, même si ce sujet ne relève pas de votre ministère.
Vous l’aurez compris, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons cet après-midi répond à un impératif économique et social pour de nombreux territoires. Il constitue aussi une réponse, parmi d’autres, aux demandes fortes de nombreux élus locaux et de leur population. J’espère que vous serez nombreux, mes chers collègues, à le soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la question du désenclavement, soulevée par cette proposition de loi, est au cœur de mes préoccupations depuis plus d’un an et demi.
Effectivement – les Assises nationales de la mobilité ont permis d’en faire le constat –, trop de territoires et de citoyens se sentent laissés à l’écart, oubliés des politiques publiques.
Ce constat tient notamment au fait que la politique des transports a contribué, au cours des dernières années, aux fractures sociales et territoriales. C’est le constat de l’existence d’une France à deux vitesses : pendant que l’on construit des lignes à grande vitesse pour les métropoles, les trajets s’allongent sur les lignes classiques, insuffisamment entretenues, le réseau routier se dégrade et les projets de désenclavement se font attendre. En outre, une large partie de notre territoire est abandonnée au « tout-voiture ».
Je considère donc moi aussi qu’il est nécessaire de répondre au sentiment d’abandon d’une partie de nos territoires et de nos concitoyens. Je porte en outre la volonté de proposer des solutions de mobilité à tous. C’est bien le cœur du projet de loi d’orientation des mobilités que nous discuterons très prochainement.
En complément de l’approche de la proposition de loi, centrée sur les infrastructures, il me semble nécessaire de prendre en compte les services offerts. De même, au-delà des objectifs de développement des infrastructures, il ne faut pas perdre de vue l’enjeu lié à l’état des réseaux. Cet enjeu est essentiel, car il est bien qu’il y ait une gare, mais si le temps de parcours s’allonge, si le train est en retard parce que la ligne est insuffisamment entretenue, le sentiment d’abandon se renforce.
C’est la raison pour laquelle la priorité des priorités, dans la programmation des infrastructures que nous discuterons très bientôt, c’est l’entretien et la régénération. Les crédits dédiés augmenteront de 31 % sur la décennie 2018-2027 et de 25 % pour ce seul quinquennat.
L’accessibilité des territoires est la condition nécessaire au maintien des emplois. La connexion aux centres économiques est elle aussi un enjeu important à cet égard, j’en ai bien conscience.
C’est la raison pour laquelle j’ai annoncé un plan de désenclavement routier. Dans de nombreux territoires, l’accessibilité d’une ville, son attractivité pour les entreprises, les services de santé, les commerces va dépendre de la qualité et de la performance d’une route. Partout à travers le pays, de nombreux territoires attendent une amélioration de la qualité des routes, nécessaire à leur désenclavement, et constatent la lenteur des travaux.
Même si ces routes supportent des trafics modérés, le Gouvernement considère qu’elles sont essentielles pour l’aménagement du territoire. Il est devenu nécessaire et urgent d’agir. L’État prévoit donc de promouvoir des opérations sur une vingtaine d’itinéraires de désenclavement routier au sein des contrats de plan État-région, pour un montant de 1 milliard d’euros sur dix ans.
Ces opérations permettront d’améliorer les déplacements du quotidien, et donc la qualité de vie des habitants des territoires concernés. Ce sont des aménagements concrets tels que des déviations courtes, des contournements d’agglomération, des créneaux de dépassement, des rectifications de virages ou des aménagements de carrefours. Il s’agit non pas de couvrir notre territoire de routes à 2x2 voies, mais de réaliser des aménagements adaptés aux besoins, permettant de fiabiliser les temps de parcours, d’améliorer la sécurité routière et le cadre de vie des habitants.
Cette démarche s’inscrit dans une politique globale de cohésion des territoires reposant sur l’ensemble des modes de transport : modernisation du réseau ferroviaire, sur les lignes structurantes comme de desserte fine, liaisons aériennes d’aménagement du territoire…
Vous le voyez, je considère tout comme vous que le désenclavement de territoires oubliés pendant trop longtemps est un enjeu majeur.
Je partage la philosophie de l’article 2 de cette proposition de loi, car on a trop longtemps promis des voies à caractéristiques autoroutières avant de se rendre compte que la réalisation de ces projets pose des problèmes, notamment environnementaux, qui augmentent considérablement les coûts.
Nos concitoyens attendent des réponses concrètes. Il est temps de faire des promesses réalistes, que l’on soit en mesure de tenir. Cela passe notamment par le fait d’arrêter de promettre des routes à 2x2 voies et des autoroutes partout !
Cet article n’est pas normatif, mais je tiens à saluer la position des sénateurs, qui préfèrent un aménagement adapté et crédible au « tout-2x2 voies ».
Concernant l’article 3, la loi confère déjà implicitement aux départements et aux communes, ainsi qu’à toute personne publique intéressée, le droit de participer au financement des liaisons aériennes d’aménagement du territoire et des exploitants d’aéroports, sous réserve du respect de certaines règles. Une note méthodologique est d’ailleurs en cours de préparation entre le ministère de la cohésion des territoires et le ministère des transports afin de clarifier le droit existant sur ces questions de compétences et de financement.
L’article 4 traite plus particulièrement des liaisons d’aménagement du territoire. Ce sujet aurait pu l’être traité à l’article 1er, tant je suis convaincue que ces liaisons sont essentielles pour nos territoires. C’est bien d’ailleurs pour cette raison que j’ai souhaité les relancer en triplant le budget qui leur est consacré.
Je suis bien consciente que, aujourd’hui, la qualité de service n’est pas satisfaisante. Je suis tout aussi agacée que vous par le niveau de qualité de service sur ces liaisons ces dernières années. Cette situation est d’autant plus contrariante que de l’argent public est mobilisé. De fait, depuis 2017, HOP !, pour l’appeler par son nom, est confrontée à des difficultés d’exploitation récurrentes sur l’ensemble de son réseau. Il est bien sûr primordial de redresser la qualité de service ; je suis fortement mobilisée sur ce sujet.
J’avais demandé en juin 2018 un plan d’action à HOP !, qui a permis des améliorations notables. Le nombre d’annulations sur le périmètre des liaisons radiales exploitées par HOP ! sous délégation de service public est ainsi passé de quarante-huit en septembre 2017 à quinze en septembre 2018. Je suis toutefois consciente que la situation n’est pas homogène sur les différentes liaisons.
Vous le savez, HOP ! vient d’être réintégrée sous le nom Air France-KLM, ce qui réaffirme son appartenance au groupe. Je sais que le nouveau directeur général d’Air France-KLM est pleinement conscient de la nécessité d’améliorer la qualité de service sur les liaisons d’aménagement du territoire.
Par ailleurs, je vous rappelle que les modalités de suivi de l’exploitation subventionnée s’inscrivent dans le cadre contractuel conclu avec la collectivité ou la personne publique intéressée. Elles reposent sur une vérification du respect des obligations de service public et des équilibres économiques de la ligne. Des pénalités financières ou des amendes administratives peuvent être appliquées pour tout manquement aux obligations de service public.
Au demeurant, ces liaisons sont remises en concurrence régulièrement. On peut espérer qu’un nouvel opérateur ou que le même opérateur, sous sa nouvelle direction, pourra améliorer la situation.
Enfin, cette proposition de loi aborde le sujet de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure. Je suis bien consciente que cette mesure a pu être mal vécue, d’autant qu’elle a pu être considérée comme peu équitable entre les territoires.
M. Laurent Duplomb. Elle l’est toujours !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il est certain que l’abaissement de la vitesse autorisée ne touche guère les citadins. Cela dit, je me dois de rappeler que la mise en œuvre de cette mesure est à placer en regard du bilan de la mortalité routière, qui ne baissait plus.
L’objectif de sécurité routière ne doit pas être oublié. L’évaluation était prévue, dès le départ, au début de l’année 2020. C’est l’un des sujets discutés dans le cadre du grand débat, dont il ne faut pas préempter les conclusions. J’ajoute que, si le dispositif devait être adapté, il conviendrait naturellement de ne pas relâcher nos exigences en matière de sécurité routière.
L’une des difficultés de nos territoires, qui me tient à cœur, ce sont les déplacements du quotidien. Être à l’écart des métropoles ou des grands axes de communication, c’est insupportable. Mais je pense également à toutes les personnes qui n’ont pas d’autre option que leur véhicule individuel pour se déplacer, à ceux qui n’ont pas de voiture ou qui ne peuvent pas conduire.
Le développement des infrastructures peut être nécessaire, mais il n’est pas forcément suffisant. Je suis convaincue que l’on ne réglera pas les problèmes des territoires sans proposer des alternatives à l’usage individuel systématique de la voiture. Outre la question de l’enclavement, c’est aussi celle du pouvoir d’achat et de la capacité pour tous à accéder aux emplois, à la formation et aux services, ainsi que les enjeux de la protection de notre environnement, qui sont posés.
Pour lutter contre les fractures territoriales, sociales, environnementales, il faut une vision globale de la mobilité. C’est bien toute la philosophie du projet de loi d’orientation des mobilités, qui, outre la programmation des infrastructures, a pour ambition d’apporter de vrais outils pour permettre aux territoires de proposer des solutions concrètes.
Cela passe notamment par une amélioration de la gouvernance, mais aussi par l’innovation, qui, j’en suis convaincue, offre une grande diversité de solutions adaptables aux territoires. Tout l’enjeu est que ces innovations puissent se déployer grâce à la prise de compétence mobilité sur tout le territoire.
L’État accompagnera les territoires dans leur démarche. C’est d’ailleurs tout l’objet de la démarche France Mobilités, lancée à la suite des assises. Nous avons choisi d’accompagner les territoires sans attendre la loi, pour faire ce qui est déjà possible et anticiper ce qui le sera demain. Plus de cinquante territoires, essentiellement ruraux, ont déjà été sélectionnés pour leur démarche.
Les projets retenus sont divers et illustrent parfaitement la créativité et l’ingéniosité sur nos territoires. Que ce soient des expérimentations d’autopartage en milieu rural, des véhicules autonomes dans des territoires peu denses, des projets visant à structurer l’offre de mobilité en milieu rural, ce sont autant de réponses possibles aux problèmes de mobilité du quotidien de nos concitoyens.
Aussi, en conclusion, je ne puis que partager les constats et les grands enjeux portés par cette proposition de loi. Je suis ravie d’en débattre avec vous cette après-midi, mais je crois que ce sujet essentiel de l’enclavement de nos territoires aura vocation à être discuté dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation des mobilités et que nous trouverons ensemble les solutions adéquates. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un rural, un montagnard qui vous parle, au nom des territoires.
Ruraux et montagnards, nous savons ce que c’est l’enclavement. C’est un quotidien qui crée un sentiment d’éloignement, une réalité d’éloignement quand le monde bouge autour de vous, mais que vous ne possédez pas les moyens de vous connecter, donc de faire bouger votre quotidien, d’être dans le move, comme on dirait dans la start-up nation… (Sourires.)
Désenclaver nos zones rurales est vital pour notre développement. Les maîtres mots ici ne sont-ils pas l’accessibilité, la mobilité et la connexion ? La proposition de loi dont nous discutons rappelle les difficiles vérités des territoires enclavés, aggravées par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, qui a fait plus d’un dégât : sentiment d’abandon, fractures économiques et sociales, creusement des inégalités.
Il est grand temps d’agir. Cette proposition de loi n’est que l’ébauche d’un réel plan attendu par nos territoires. Ceux-ci ont besoin d’un véritable plan Marshall, avec des perspectives à long terme concernant la politique des transports. Le ministre Jacques Mézard a pu le préciser lors de l’examen de cette proposition de loi en commission : il a souhaité déposer un texte portant sur le désenclavement territorial avant que le projet de loi d’orientation des mobilités ne soit examiné au Sénat.
Si cette proposition est donc l’ébauche, nous pourrions nous attendre à ce que le projet de loi d’orientation des mobilités soit le plan Marshall pour nos transports. Vous affirmiez à ce sujet, madame la ministre, lors de votre audition au Sénat la semaine dernière, que le Président de la République, dès la campagne électorale et le début de son mandat, avait souhaité faire une pause dans les grands projets, afin de prendre le temps de construire une rupture, avec un objectif majeur : répondre aux besoins de tous et dans tous nos territoires.
Nous voilà avec un projet de loi d’orientation doté d’un objectif qui laisse circonspect. Nous ne vous demandons pas de « construire une rupture », mais de construire des routes sûres, d’améliorer les dessertes ferroviaires et d’accélérer le numérique dans tous les territoires !
Nous avons des projets d’ampleur, et vous les connaissez : améliorer, bien sûr, la desserte par les trains d’équilibre du territoire, ou TET, et la moderniser.
Je me permets tout de même de vous rappeler le POCL, la ligne ferroviaire à grande vitesse tant attendue Paris-Orléans-Clermont-Lyon, qui permettra un désenclavement ferroviaire certain d’une grande partie du Grand Centre, de l’Auvergne et du Massif central. Sa réalisation serait un réel signe de considération pour nos territoires ruraux et enclavés. Paris-Clermont en deux heures trente, et des ruraux à moins de soixante minutes d’automobile d’une gare desservie par une ligne à grande vitesse, voilà du concret contre le désenclavement ! Certes, je verrai peut-être la ligne POCL en déambulateur, mais j’y crois fermement. (Sourires.)
Par ailleurs, soyons vigilants à pérenniser les lignes aériennes de service public et faire en sorte que leur desserte reste régulière face à l’impératif de rentabilité. Les dispositions de cette proposition de loi sont positives à cet égard. Restez dans la droite ligne de celles-ci, madame la ministre, et n’abandonnez pas nos petites lignes. Pour certaines zones rurales, pas d’avion, pas d’accessibilité, c’est une condamnation à rester isolées. Il y a ici un réel sujet d’actualité avec la redéfinition actuelle des lignes d’Air France et de HOP !. Le Puy-de-Dôme peut vous en parler !
Le « transport virtuel » est aussi essentiel – je veux parler de la couverture numérique. Le marché de l’emploi évolue vers des métiers de plus en plus connectés grâce aux nouvelles technologies. Il est vital que le monde rural puisse saisir cette occasion.
Enfin, nous ne pouvons pas parler de transport sans évoquer la limitation à 80 kilomètres par heure, et pour cause : la proposition de loi y consacre deux de ses six articles.
Aujourd’hui, les Français parcourent en moyenne 45 kilomètres par jour, contre 5 kilomètres dans les années soixante. La distance moyenne entre le lieu de résidence et le lieu de travail est de 28 kilomètres pour un habitant des zones rurales, et la distance moyenne du domicile aux commerces a augmenté de 30 % en quinze ans.
On ne peut donc que corroborer la nécessité de ne pas adopter des normes centralisées qui s’imposent sans distinction, comme cela a été fait pour les 80 kilomètres par heure. Donner la compétence aux présidents de département et aux préfets de relever la vitesse maximale autorisée sur les routes dont ils ont la gestion est positif, car les réalités du terrain seront prises en compte.
Toutefois, permettre de relever la vitesse ne doit pas aboutir à mettre en cause la responsabilité de nos élus face à une mortalité qui continuera sur nos routes, si faible soit-elle. En effet, les accidents ne sont pas uniquement liés à la vitesse à 90 kilomètres par heure ; ils dépendent surtout du comportement des conducteurs et de l’état du réseau routier.
Une étude précise et objective des causes de mortalité sur les tronçons désormais limités à 80 kilomètres par heure est nécessaire. Rien ne permet d’affirmer que cette mesure a permis de réduire le nombre de tués. Les causes sont diverses et n’ont rien à voir avec la fixation de la vitesse limite à 90 ou à 80 kilomètres par heure.
En conclusion, les six articles de cette proposition de loi ne sont, je l’espère, mes chers collègues, madame la ministre, qu’un appel pour un vrai plan Marshall pour nos transports et notre désenclavement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment améliorer les déplacements dans les zones rurales et périurbaines ? Comment garantir à chacun la possibilité de se déplacer pour accéder à l’emploi, à la formation, à la santé, à la culture ? En somme, comment désenclaver nos territoires ? Ces questions fondamentales ont fait l’objet, vous l’avez dit, madame la ministre, de débats riches et intenses à l’occasion des Assises nationales de la mobilité.
En effet, nous le savons, nos concitoyens ne sont pas égaux face aux transports. Parmi les formes d’inégalité qui limitent la mobilité, le facteur géographique d’éloignement dans les territoires de faible densité est une réalité qui touche tous nos concitoyens. Ainsi, les territoires moins denses, ruraux, périurbains, les petites villes et villes moyennes, les quartiers périphériques peuvent être fragilisés au regard d’une mobilité qui est loin d’être aisée.
Cette fragilité, cette fracture, cet enclavement sont vécus au quotidien par des millions de nos concitoyens. Or l’accès quotidien à l’emploi, à l’éducation, à la santé, aux commerces, aux relations sociales, aux loisirs est une condition essentielle d’exercice des droits fondamentaux de liberté, d’égalité et de citoyenneté, et c’est à ce titre que le désenclavement des territoires doit être une priorité.
Dans son rapport, notre collègue Jean-Pierre Corbisez nous rappelle que la France compte de nombreux territoires enclavés. Cette situation pose des problèmes quotidiens à nos concitoyens, qui rencontrent des difficultés à accéder à un emploi, à des services publics ou à des biens de consommation courants. La persistance de cet enclavement se double d’une montée des inégalités économiques et sociales entre les territoires et alimente un sentiment d’éloignement d’une partie de la population. Ce sentiment d’abandon d’une certaine frange de la population s’est cristallisé, ces derniers mois, autour du mouvement des gilets jaunes.
En réponse, le Président de la République a engagé un grand débat national permettant à tout un chacun de faire valoir son opinion. Ce grand débat est en cours et il serait opportun d’en attendre l’issue pour proposer les solutions les plus adéquates, en matière de désenclavement comme pour d’autres questions essentielles.
L’enclavement des territoires résulte avant tout d’une offre de mobilité, notamment en transports collectifs, insuffisante, ainsi que d’un manque d’infrastructures de transport adaptées, et chacun peut constater aujourd’hui à quel point cette absence de solution de mobilité alimente un sentiment d’abandon d’une partie de notre population.
Concernant l’aérien, point saillant du texte, bien que les élus locaux perçoivent le plus souvent la force symbolique de la présence d’un aéroport sur leur territoire, le rapport du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, de janvier 2017 insiste sur la nécessité d’études approfondies sur les recouvrements de zones d’attraction des aéroports, avant d’examiner localement une offre aéroportuaire.
Le transport aérien contribue-t-il pertinemment au désenclavement des territoires les moins desservis en France métropolitaine ?
Le prix moyen du billet pour les petites lignes aériennes pose la question d’une véritable perspective de désenclavement de ces territoires. En effet, le coût du transport qui permettra le désenclavement de ces territoires aura une influence sur le nombre de citoyens touchés par la mesure. Or on peut facilement douter que le coût du transport aérien permette un désenclavement le plus large possible pour ces territoires. Le montant de subventions que nécessiterait un tel programme est à comparer au bénéfice qu’en retirerait l’ensemble des populations de ces territoires.
Aussi, il me semble que certaines mesures de cette proposition de loi, notamment celles relatives à l’aérien, mériteraient d’être creusées et nécessiteraient une étude d’impact approfondie, en particulier sur le plan financier. Avant de légiférer, il conviendrait d’anticiper le montant des subventions qui seraient nécessaires au développement d’aéroports de désenclavement.
Oui, nous voulons tous contribuer au désenclavement des territoires. Le métropolitain que je suis peut vous dire que le désenclavement est également nécessaire sur certaines parties géographiques des métropoles.
Pour autant, cette proposition de loi arrive un peu tôt, puisqu’il serait opportun que nous attendions les conclusions du grand débat national et elle intègre bien des points que nous examinerons à partir du 19 mars prochain dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités. Si l’on ne peut qu’être favorable au désenclavement des territoires, je le disais, la question du financement reste posée.
À L’heure où les trois quarts de nos concitoyens utilisent leur voiture pour leurs trajets domicile-travail, la loi d’orientation des mobilités propose d’apporter des solutions de substitution à l’usage individuel de la voiture, ce qui semble un tantinet dissonant avec l’objet de cette proposition de loi. Dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités, l’accent est mis sur le travail avec les collectivités locales, qui permettra de bâtir des réponses au désenclavement à partir des réalités du terrain.
Avec une méthode claire, vous l’avez rappelé, madame la ministre, le Gouvernement doit s’engager sur des projets qu’il sait pouvoir réaliser et qui répondent aux besoins des habitants, en s’assurant de l’effectivité des ressources par rapport aux engagements pris. J’ai déjà pu constater l’efficacité de la méthode lors de la signature du contrat de transition écologique du territoire de la Sambre-Avesnois, dans le cadre duquel la mise à 2x2 voies de la RN 2 a été annoncée, avec les financements afférents, après plus de quarante ans d’attente.
De la même manière, je voudrais ici rappeler le pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, lancé sur l’initiative du ministre Mézard, doté d’une enveloppe de 5 milliards d’euros, qui reconnaît et consolide les villes moyennes dans leurs fonctions de centralité, car elles irriguent les communes petites et rurales environnantes, qu’il s’agisse de l’offre de santé, d’éducation, d’accès au ferroviaire, au commerce, à l’emploi ou aux services administratifs.
En définitive, le désenclavement des territoires doit être une préoccupation majeure, particulièrement dans notre assemblée. Néanmoins, nous sommes à l’aube du démarrage de la discussion sur la loi d’orientation des mobilités.
Même si ce texte soulève de vraies questions, qui convergent avec l’ambition du Gouvernement, je pense que celles-ci pourront largement être débattues et traitées dans le cadre de l’examen et de l’enrichissement de la loi d’orientation des mobilités. C’est pourquoi le groupe La République En Marche s’abstiendra. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi proposée par le groupe du RDSE visant à faciliter le désenclavement des territoires. Il est évident que nous partageons le constat initial de ce texte, lorsqu’il pointe l’accroissement de la fracture territoriale et l’enclavement de certains territoires ruraux confrontés à un manque d’attractivité et à une disparition des services publics.
La mobilisation depuis des mois des gilets jaunes, exaspérés notamment par l’injustice territoriale, témoigne de cette paupérisation qui frappe les zones périurbaines, les villes petites et moyennes. Ils voient leurs commerces disparaître les uns après les autres, la vacance grandissante des logements qui ne trouvent pas de locataires et l’accessibilité aux services publics locaux se réduire comme peau de chagrin. Tout cela nourrit un sentiment très fort d’abandon des pouvoirs publics.
Face à l’expression d’un tel attachement à l’égalité des territoires, on en viendrait presque à se demander pourquoi notre éminent collègue a participé à un gouvernement qui, par ses mesures, a, pas à pas, aggravé la fracture territoriale…
En effet, et c’est le moins que l’on puisse dire, le bilan du Gouvernement en la matière n’est pas bon. La réforme ferroviaire va immanquablement conduire à l’abandon d’un certain nombre de lignes du quotidien jugées trop peu rentables. La réforme de la justice menace les petites juridictions. Sans attendre la réforme de la santé, l’accès aux soins se réduit. On pense notamment aux maternités qui ferment les unes après les autres. Pis encore, l’épée de Damoclès de la suppression de 70 000 fonctionnaires territoriaux pèse sur les collectivités locales.
À la lumière des enjeux évoqués, à quelques jours du débat sur la loi d’orientation des mobilités, vous comprendrez dès lors qu’au-delà de son objectif ambitieux, le contenu de cette proposition, notamment dans sa version initiale, nous a semblé à la fois lacunaire et totalement inadapté.
Il est lacunaire, car les solutions contre l’enclavement se limitent au prisme de l’accessibilité physique des territoires. S’il s’agit évidemment d’un des éléments de l’enclavement, celle-ci n’est ni exclusif ni suffisant. Bien sûr, ces territoires souffrent de l’absence de transports, et surtout d’ailleurs de solutions de mobilités internes. Cependant, si de nombreux Français se relaient sur les ronds-points tous les samedis depuis des mois, c’est aussi parce qu’ils souffrent durement de la fermeture des écoles, des hôpitaux, des bureaux de poste et autres maternités.
Aucune mention n’est faite dans ce texte des impacts de la mise en concurrence des territoires, des politiques de réduction de la dépense publique ou de celles qui ont conduit à libéraliser les services publics et à réduire leur présence territoriale par la privatisation. Les services publics sont pourtant essentiels pour résorber la facture territoriale.
Le rôle primordial des documents d’urbanisme – plan local d’urbanisme intercommunal, schéma de cohérence territoriale – traçant les orientations à long terme en cohérence avec des projets de territoires souhaités localement n’est pas plus évoqué.
Il est inadapté, car l’égalité territoriale ne se résume pas à relier des zones-dortoirs à des métropoles qui concentreraient tous les services. Ce n’est pas notre vision de l’aménagement du territoire. Ce prisme est tellement réducteur que l’on en viendrait presque à se demander si cette proposition de loi a un autre objet que de faciliter la vie de quelques responsables politiques et acteurs économiques qui font des allers et retours fréquents vers la capitale ou les métropoles régionales…
Alors que la question climatique se pose avec une acuité toute particulière, comment peut-on, comme cette proposition de loi, n’envisager la mobilité que par les airs et par la route en omettant le rail ? Construire des aéroports tous les 200 kilomètres est une vision de l’aménagement du territoire des années soixante-dix, que n’aurait d’ailleurs pas renié Pompidou. De cette époque, nous avons hérité d’une soixantaine d’aéroports peu utiles et déficitaires, que l’on maintient sous perfusion d’argent public, quand on laisse mourir les lignes de chemin de fer.
Dans l’Isère, que je connais bien, le département vient de voter une subvention de plus de deux millions d’euros pour maintenir à flot l’aéroport de Grenoble-Alpes-Isère. A-t-on vraiment envie de flécher les dépenses publiques vers un mode de transport aussi peu rentable qu’écologiquement polluant ? Par ailleurs, avec quel argent comptez-vous le faire ? Pas l’ombre d’une piste de financement n’est avancée dans la proposition de loi.
La fracture territoriale ne se résorbera pas par le simple amas de bonnes volontés et par des textes de loi inapplicables, mais avec des moyens concrets. Elle implique de revitaliser les territoires par la création d’emplois; par une véritable politique de soutien à l’agriculture, à l’artisanat, par une reconquête industrielle et par la relocalisation des sites de production.
Penser l’aménagement du territoire nécessite d’inscrire au cœur des politiques de mobilité les enjeux de report modal de la route vers le rail, et il nous semble incroyable qu’il n’en ait pas été fait mention une seule fois dans ce premier jet de proposition de loi. Car ce sont les lignes de chemin de fer régionales qui repeuplent les campagnes, pas les autoroutes, qui les traversent comme des tunnels, ou les aéroports.
Nous saluons néanmoins les évolutions positives du texte en commission, et je tiens ici à remercier notre rapporteur et notre collègue Ronan Dantec, dont les amendements visant remplacer le critère de distance avec un aéroport par celui de la proximité avec une gare desservie par une ligne à grande vitesse. Ce changement fait sens. Il en va de même pour la réécriture de l’article 2, qui était flou et qui laissait penser que l’État pourrait déroger aux normes environnementales de construction des infrastructures dans certains territoires enclavés, ce qui ne pouvait constituer une solution acceptable.
Néanmoins, cela ne suffira pas pour voter en faveur d’un texte qui propose une vision aussi réductrice d’un enjeu aussi majeur. Nous choisissons donc de nous abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi aborde un objectif auquel nous ne pouvons qu’adhérer : le nécessaire désenclavement des territoires, pour trouver une réponse aux fractures territoriales, sociales et démographiques qui traversent notre pays. Il faut en effet résolument s’attaquer aux causes de l’enclavement et lutter contre un sentiment qui se généralise aujourd’hui, celui de l’exclusion d’une grande partie de nos concitoyens. Cohésion des territoires et lutte contre la marginalisation vont de pair.
À ce titre, nous soulignons la qualité du travail du rapporteur et de la commission, qui a permis d’améliorer le texte sur plusieurs points, notamment sur l’objectif de désenclavement à l’horizon 2025, dont devront tenir compte les schémas nationaux des infrastructures de transports et les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. Nous soutiendrons donc ce texte.
Ainsi, 26 % du territoire national accueillent 5,6 % de la population. Ces territoires se distinguent par une faible densité, bien sûr, souvent de faibles ressources économiques, un départ des forces vives et des jeunes et le vieillissement de la population. Si cette situation est devenue critique dans les territoires les plus enclavés, elle est le fruit de notre histoire, de la métropolisation et d’une décentralisation qui n’a pas complètement joué son rôle. Les dynamiques urbaines de la France ont concentré mécaniquement l’activité économique porteuse d’emplois, les métiers qualifiés ou d’avenir et la création de richesses.
Il en découle un sentiment diffus de malaise dans les campagnes, renforcé par l’isolement géographique. Cette « France périphérique » ne compte plus les maternités et les classes qui ferment, ni les lignes de trains supprimées. Elle subit aussi la désertification médicale. Dans l’ensemble de ces territoires, le nombre de communes équipées en services publics a fortement diminué depuis les années quatre-vingt. La part des gares ferroviaires y a, par exemple, baissé de 41,8 %. Pour elles, l’enjeu du désenclavement est essentiel.
Seulement 14 % des 15-29 ans vivent dans l’espace rural. Il faut donc faire émerger les projets ruraux, car ces territoires sont un vivier futur : ils regorgent d’espaces économiques actifs, mais aussi d’une qualité de vie indéniable. La ruralité doit prendre sa part entière aux défis d’aujourd’hui : la transition énergétique, le numérique, la mobilité.
La proposition de loi n’évoque pas le devenir des petites lignes, pourtant indispensables dans le report modal, le mix des transports. Seraient-elles d’ores et déjà condamnées ? Madame la ministre, vous avez récemment affirmé que l’entretien des réseaux avait été négligé et qu’il fallait réinjecter des finances pour « s’occuper de la mobilité et des déplacements du quotidien. » Ce que nous regrettons, une fois de plus, ce sont les chiffres.
Depuis 2011, quelque 744 kilomètres de petites lignes ont été fermés et la loi pour un nouveau pacte ferroviaire ne laisse rien présager de bon. Plusieurs syndicats ont déjà dénoncé « le sabotage des projets de maintien des petites lignes de la part de SNCF Réseau ». Dans ma région, l’Occitanie, ce sont 40 % des petites lignes qui fermeraient à l’échéance 2021.
Vous annoncez vouloir favoriser le développement des véhicules électriques pour sortir de la dépendance au pétrole, mais la mobilité de demain exige également la restauration et le maintien de ces petites lignes. Restructurer les réseaux en tenant compte de l’objectif de désenclavement est incontournable.
Il faut renforcer les pôles d’échanges autour des lignes existantes. On supprime les très petites lignes, mais parfois aucune autre infrastructure n’existe. C’est le volontarisme politique qui valorisera nos territoires ruraux et donnera du sens à la mobilité sociale et professionnelle.
L’enclavement géographique ne peut plus avoir pour corolaire le déficit des services publics, la marginalisation numérique et la persistance d’infrastructures de transports insuffisantes. Quels que soient les efforts de ces territoires pour s’en sortir, les initiatives seront en partie entravées.
Ces territoires sont logiquement aujourd’hui le royaume de la voiture individuelle, dont il est nécessaire de sortir, nous sommes d’accord. Ainsi, quelque 80 % des personnes travaillant dans une commune où elles ne résident pas utilisent leur véhicule. L’Insee révèle que 58 % des actifs qui travaillent à moins d’un kilomètre de leur lieu de travail s’y rendent en voiture.
Les véhicules électriques pour sortir de cette dépendance au pétrole doivent s’accompagner d’une réelle politique en faveur du ferroviaire. Nous espérons que vous en tiendrez compte dans la loi à venir sur les mobilités.
Qui dit mobilité dit, enfin, vitesse abaissée à 80 kilomètres par heure. Appliquée depuis le 1er juillet 2018 sur les routes secondaires et très critiquée par bon nombre d’élus locaux et de « gilets jaunes » – c’est l’actualité –, cette mesure illustre une prise de décision unilatérale, qui n’a pas su tenir compte, notamment, des préconisations sénatoriales.
Le groupe de travail du Sénat avait pourtant relevé les insuffisances de l’expérimentation conduite. Il avait souligné la nécessité de revoir la méthode envisagée par le Gouvernement, au bénéfice d’une réduction de la vitesse sur les routes les plus accidentogènes, en incluant un travail avec les départements.
M. Alain Fouché. Très bien !
Mme Angèle Préville. Je partage les objectifs de cette proposition de loi et je sais que dans le territoire hyper-rural et enclavé qui m’a élue, le Lot, chaque habitant vit les problèmes d’enclavement.
Mes chers collègues, je voudrais vous livrer une expérience symptomatique de ce territoire. Ce week-end, un élu est retourné dans le village de son enfance, dans le Ségala, à quelques kilomètres de ma commune.
M. Bruno Sido. Magnifique région !
Mme Angèle Préville. Il a eu un choc : sur la route, la nature a repris ses droits ; les maisons sont fermées ; l’école a été envahie par la végétation. « Cela fait mal aux tripes », m’a-t-il confié. Et de conclure : « La ruralité est en train de mourir ». Il s’agit là non pas de nostalgie, mais d’un constat amer, d’une inquiétude, d’un profond désarroi.
Cette proposition de loi, madame la ministre, doit vous inviter à l’attention et à la vigilance, car nous ne pouvons laisser mourir nos campagnes. Le dépeuplement et la friche guettent un certain nombre de territoires hyper-ruraux et vieillissants.
Les métropoles peuvent-elles continuer à croître et à se densifier sans fin ?
M. Roger Karoutchi. Oui !
Mme Angèle Préville. N’avons-nous plus besoin des paysans ? Le développement durable n’est-il pas lié à la proximité? Le changement climatique, les problèmes de pollution, les enjeux de santé alimentaire, tout concourt à agir pour un développement durable qui ait du sens, c’est-à-dire qui s’envisage dans la proximité et replace nos territoires enclavés au cœur des préoccupations qui doivent être les vôtres, afin que ceux-ci ne deviennent pas les territoires oubliés, voire perdus de la République.
La France est vivante de ses campagnes, de son riche patrimoine, de ses terroirs gourmands, de ses paysages façonnés par les paysans, du foisonnement des petites routes qui irriguent un territoire national apprécié du monde entier. Ne sommes-nous pas le pays le plus visité au monde ?
Gouverner, c’est être visionnaire, c’est se laisser traverser par tout ce que le pays murmure, c’est s’imprégner et transcender, c’est anticiper et préparer l’avenir pour être utile au pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Bruno Sido applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le TGV Est fut la première ligne pour laquelle les collectivités territoriales ont été amenées à payer une quote-part financière.
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. Jean Louis Masson. La SNCF s’était engagée, en échange, à offrir une desserte cadencée et régulière des villes de Metz et de Nancy notamment, mais celle-ci s’est effritée au fil des années. Ainsi, deux TGV d’une rame ont fini par être remplacés par un seul de deux rames, ce qui n’offre pas du tout le même service, à tel point que la desserte actuelle est moindre que du temps des trains Corail.
Le comble, c’est que la SNCF a trouvé le moyen, paraît-il pour réaliser des économies, de faire passer les TGV desservant Metz par Nancy ! Les trains Corail mettaient deux heures cinquante pour relier Metz à Paris. Avec le TGV, on met finalement le même temps, puisqu’il faut changer à Nancy au bout d’une heure vingt-cinq et prendre un transport express régional, le Métrolor, pour rejoindre Metz ! La seule différence avec le passé, c’est qu’il y avait alors plus de trains Corail. C’est une honte, madame la ministre ! C’est scandaleux !
Je veux saluer ici notre collègue Jean-Marc Todeschini, qui s’est très bien mobilisé sur le dossier en lançant l’une des pétitions. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Que ceux qui tolèrent cette situation ne viennent pas ensuite nous parler de desserte des territoires ruraux ! Nous avions, à un moment, des plages horaires de trois heures sans liaison, et la SNCF voulait encore supprimer un train, ce qui aurait conduit à une absence de desserte pendant cinq heures ! (M. Bruno Sido s’exclame.)
Où va-t-on, madame le ministre ? On se moque du monde ! Ce n’était pas la peine de construire une ligne TGV qui a coûté les yeux de la tête pour avoir, au final, des trains qui ne circulent pas plus vite que les anciens Corail et qui sont moins nombreux que ces derniers.
Je vous ai posé un certain nombre de questions écrites, madame la ministre. Ce serait sympathique d’y répondre, je vous le dis en passant.
M. Bruno Sido. En effet !
M. Roger Karoutchi. Il y en a tellement ! (Sourires.)
M. Jean Louis Masson. Il est vrai que, si vous mettez autant de temps à répondre à mes questions que la SNCF pour faire Paris-Metz via Nancy, je ne risque pas d’être servi de sitôt ! (MM. Bruno Sido et Roger Karoutchi s’esclaffent.)
Je vous remercie donc par avance de répondre à mes questions.
M. le président. La parole est à Mme Michèle Vullien. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Michèle Vullien. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous procédons aujourd’hui à l’examen d’une proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires.
De toute évidence, nous partageons tous le même diagnostic et les mêmes objectifs, à savoir agir sur les causes de l’enclavement en améliorant la qualité et l’accessibilité des moyens de transport dans les zones les plus reculées du territoire métropolitain.
Il est en revanche étonnant, pour ne pas dire dérangeant, d’avoir à débattre de thématiques qui seront au cœur de nos échanges en commission dans moins de deux semaines, lorsque nous examinerons le projet de loi d’orientation des mobilités.
Les nouvelles formes de gouvernance territoriale, la capacité offerte à chaque territoire de créer des solutions sur-mesure, l’organisation multimodale et intermodale, la programmation des grandes infrastructures de transport sont autant de réponses que la LOM devra apporter pour que chaque zone blanche actuelle ne le soit plus demain, dans un réel souci d’aménagement du territoire. N’oublions pas non plus que la question du financement, par l’État et les collectivités locales, reste entière. Elle devra être résolue.
Nous pouvons donc nous interroger sur le choix d’étudier aujourd’hui cette proposition de loi. Un débat sur le sujet aurait à mon sens était plus pertinent. Mais puisque nous avons choisi de faire un échauffement, lançons-nous, mes chers collègues…
La lecture attentive de vos propositions m’amène à formuler quatre remarques.
En premier lieu, nous pourrions nous pencher sur l’empilement de lois, de structures et de documents de programmation : LOADT, LOADDT, SRU, DTA, SCOT, PDU, SNIT, SRADDET, PLU, et j’en oublie sûrement… (M. Bruno Sido s’esclaffe.)
Alors que la situation actuelle nous amène à nous interroger sur l’état de nos finances publiques et sur l’efficience de nos administrations, nous avons un bel exemple de ce que la technostructure et le millefeuille administratif sont en capacité de produire en complexité, en schémas directeurs rarement cohérents et le plus souvent réalisés selon des temporalités différentes.
De surcroît, comme l’a récemment souligné M. Didier Migaud dans notre hémicycle, l’une des rares structures à faire réellement sens en matière d’aménagement du territoire, à savoir la regrettée Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, ou DATAR, a disparu.
Je reviendrai également sur la question du financement. Dresser un inventaire à la Prévert est aisé et pourrait faire miroiter à nos concitoyens l’arrivée d’équipements qui ne peuvent être financés ou dont la réalisation mobiliserait des sommes déraisonnables. Identifions plutôt des sources de financement justes et pérennes, programmons les investissements par priorité, comme le fait le Conseil d’orientation des infrastructures dans ses propositions, et réalisons-les.
Impliquée depuis plus de vingt ans sur la thématique des mobilités, je ne compte plus le nombre de promesses non tenues, le nombre d’études réalisées et de projets absurdes achevés en opposition à toutes les programmations, aussi brillantes soient-elles.
En tant que membre du Conseil national de la transition écologique, j’aimerais que nous nous interrogions également, mes chers collègues, sur la pertinence écologique de nos propositions. Bien sûr, chaque cas est à étudier de façon spécifique, l’avion pouvant être parfois la seule solution. Mais ne nous interdisons pas de revoir nos certitudes : un car doté des dernières technologies antipollution est une alternative crédible pour remplacer une petite ligne ferroviaire propulsée par une machine thermique d’un autre temps.
Enfin, en tant que corapporteur, avec mes excellents collègues Jean-Luc Fichet et Michel Raison, du rapport sénatorial sur les 80 kilomètres par heure, je ne puis qu’abonder dans le sens d’une écoute attentive des territoires, notamment des conseils départementaux, pour que les limitations de vitesse soient définies localement, en fonction de la dangerosité effective des voies, sans omettre la vitesse des poids lourds ni la qualité des chaussées.
Il me semble que les récentes déclarations du chef de l’État et du Premier ministre prouvent que nous avons été entendus, bien aidés, je vous le concède, par une pression populaire sans précédent, qui parfois est justifiée – en l’occurrence, elle l’était.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, sans vouloir mettre à mal le travail réalisé par le groupe du RDSE, il me semble opportun de prendre rendez-vous le 19 mars prochain dans ce même hémicycle, pour l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités ou LOM. Je ne doute pas que des idées pertinentes issues de nos échanges d’aujourd’hui pourront d’ailleurs être intégrées dans ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché. (M. Bruno Sido applaudit.)
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le désenclavement des territoires est un sujet intemporel : tous les niveaux de gouvernance de ce pays en ont débattu longuement, à plusieurs reprises, ont mis en place de nombreuses politiques d’aménagement du territoire et ont proposé diverses solutions, à l’efficacité parfois relative.
Pourtant, l’enclavement de certains de nos territoires reste une réalité, qui vient fracturer la cohésion sociale, accroître les disparités économiques et renforcer le sentiment d’exclusion.
Nous le savons, le réseau routier joue un rôle fondamental dans les zones rurales, que soit pour leur développement économique et touristique, pour l’implantation d’entreprises, pour faciliter l’installation de retraités ou de jeunes actifs, mais aussi le développement de transports collectifs performants. Et c’est sans compter sur les décisions prises sans aucune considération des territoires, comme le montre encore l’exemple récent de la mobilisation des élus des Hauts-de-France pour le maintien des dessertes régionales des TGV.
Le désenclavement des territoires doit être l’un des objectifs prioritaires, avec la mise en place d’une stratégie globale regroupant la programmation des investissements relatifs aux infrastructures de transport, l’entretien des routes existantes, la mise en place de réseaux ferroviaires et aériens performants et accessibles, le développement des transports collectifs, ou encore de solutions de rechange, comme le télétravail.
En outre, pour bien en traiter les causes, il faut d’abord en livrer une définition précise et objective, ce qui, comme le montrent de nombreux rapports passés, est loin d’être évident. C’est pourtant indispensable pour définir les objectifs d’une politique pertinente et guider de façon éclairée les choix de la puissance publique.
On peut ainsi s’interroger sur la pertinence de la norme des 45 minutes et 50 kilomètres pour décrire les situations d’enclavement vécues au quotidien par les habitants de certains territoires. La question du temps passé chaque jour dans les transports peut aussi être une façon de traduire au mieux ce sentiment au quotidien.
M. Roger Karoutchi. Surtout en Île-de-France !
M. Alain Fouché. Il n’est donc pas évident de définir un critère objectif pertinent, c’est-à-dire le type d’isolement qui pose réellement des problèmes au territoire concerné. Cette notion est aussi étroitement liée à notre vision très centralisée des territoires. Et il est important, également, de prendre en compte la perception des habitants pour définir une zone enclavée.
Ainsi, un citoyen peut se sentir isolé, non pas parce qu’il se trouve loin d’une ville ou d’un gros centre-bourg, mais parce qu’il est dans une zone blanche non couverte par le numérique. Ce dernier est donc naturellement à prendre en compte dans les politiques mises en place.
Les infrastructures de transport doivent nécessairement prendre en compte la stratégie locale pour permettre une bonne articulation de l’infrastructure nouvelle avec l’ensemble du système de transport existant et ainsi assurer, autour d’un véritable projet, le développement optimal des territoires.
Je soutiens également la position de la commission sur la réglementation de la vitesse sur les routes. La réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur les routes secondaires a été mal vécue dans les territoires ruraux, chacun le sait ; il est important de l’adapter. Bravo à M. le Premier ministre, puisqu’il semblerait que cette mesure ait enclenché le mouvement des gilets jaunes !
Madame la ministre, vous avez été une excellente préfète de la région Poitou-Charentes. (Exclamations amusées.)
M. Bruno Sido. Cela explique tout !
M. Alain Fouché. La mission était pourtant difficile, en raison de la présence sur ce territoire de personnalités politiques de premier plan, comme Mme Royal et M. Raffarin. Je sais donc comment vous auriez procédé : vous, vous auriez réuni autour d’une table le président du département, les maires, la gendarmerie et la police…
M. Roger Karoutchi. Ainsi qu’Alain Fouché ! (Sourires.)
M. Alain Fouché. … et des solutions intelligentes auraient été trouvées. En l’occurrence, les réponses sont un peu tardives.
Le véritable enjeu, aujourd’hui, est finalement de concevoir un désenclavement durable qui puisse être un facteur de développement économique. Je connais votre détermination, madame la ministre, mais je sais aussi qu’il faut vous adapter aux moyens.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra cette proposition de loi, telle qu’elle a été amendée par la commission. Elle contribuera très certainement au débat à venir sur le projet de loi d’orientation des mobilités. Nous serons d’ailleurs attentifs à ce que ce dernier texte prenne bien en compte cette nécessité impérieuse de désenclavement de tous nos territoires – on parle de la ruralité, pas de Paris – et qu’il permette un aménagement équilibré, garant de la cohésion, de la performance et de la solidarité territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec cette proposition de loi, le groupe du RDSE réaffirme l’attachement qu’il porte et qu’il a toujours porté à la ruralité et aux territoires fragiles. Aussi, je tenais à remercier Jacques Mézard de cette belle initiative.
On parle depuis longtemps de « diagonale du vide », de « France périphérique » et de territoires enclavés. Derrière ces expressions, se cache une seule et même réalité : l’éloignement.
L’éloignement de l’emploi, même avec tous les soutiens possibles, comme le tout récent programme du Gouvernement « territoires d’industries », car, sans désenclavement, il n’y a pas d’attractivité économique.
L’éloignement des formations supérieures, qui font que claque année de trop nombreux jeunes quittent nos territoires ruraux pour aller travailler ou étudier dans les métropoles.
L’éloignement des spécialistes de santé, qui nous plonge dans une précarité médicale, avec des fermetures de services toujours plus grandes et des alternatives toujours plus rares.
Parler d’enclavement, enfin, c’est parler de manière plus générale de l’éloignement de l’ensemble de nos services publics, bureaux de poste, trésoreries et écoles. C’est aujourd’hui une réalité insupportable.
Le préalable à cet éloignement est l’accès aux infrastructures routières, ferroviaires et aériennes, comme l’a rappelé mon collègue Jean-Yves Roux.
Cette proposition de loi, nous en sommes bien conscients, ne viendra pas révolutionner les problèmes énoncés, mais elle pose une première pierre et devrait permettre d’amorcer un travail bien plus global, qui, nous l’espérons, trouvera aussi des débouchés dans la prochaine loi d’orientation des mobilités.
La première réponse à apporter est l’investissement dans nos infrastructures de transport pour sortir ces territoires de l’isolement. Pour rendre effectif cet objectif en termes d’investissement, il faut l’inscrire dans le marbre. Tel est l’objet de l’article 1er de cette proposition de loi, qui vient intégrer différents critères dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.
Si la proposition initiale reprenait les critères de la loi Pasqua de 1995, ceux-ci ont été enrichis et mis à jour par les travaux de la commission, qui ont substitué la notion d’unité urbaine entre 1 500 et 5 000 habitants à celle de centre urbain économique, et qui ont pris en compte également l’éloignement d’une ligne à grande vitesse. Je tiens d’ailleurs à féliciter mon collègue Jean-Pierre Corbisez de la qualité de son rapport.
Cet enrichissement était nécessaire, car le texte initial ne permettait de prendre en compte qu’une petite partie du territoire. À ce titre, nous soutiendrons un amendement visant également à prendre en compte la distance aux préfectures et sous-préfectures, clin d’œil symbolique, mais ô combien d’actualité, à l’idée qui prévalait lors de leur création, celles-ci devant être situées à moins d’une journée de cheval des communes.
Cette insertion des objectifs de désenclavement dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, les SRADDET, ne sera utile que lorsque les infrastructures pourront être adaptées à la réalité des territoires. L’article 2 de la proposition de loi va dans le bon sens, en permettant la réalisation d’infrastructures plus légères et moins coûteuses, dans un contexte budgétaire toujours plus restreint et avec des collectivités qui doivent jongler avec la contractualisation.
Lorsque l’on habite un département qui se situe à huit heures de voiture de Paris et à presque six heures de train, l’aérien est plus qu’une option : il est l’unique solution pour se rendre rapidement dans la capitale. Ainsi, mon territoire, comme de nombreux autres, a investi dans les liaisons internes afin de garder son attractivité, pour les entreprises comme pour les ménages.
Si, actuellement, l’État et la région sont compétents pour organiser les liaisons d’aménagement du territoire, les autres collectivités, à l’image des départements et des EPCI à fiscalité propre, peuvent intervenir dans le financement de ces lignes soumises à une obligation de service public. En fait, elles n’ont pas d’autres choix, si elles souhaitent conserver un accès rapide aux grands centres de décision.
L’objectif de l’article 3 est de réaffirmer cette possibilité, mais les membres de mon groupe auraient souhaité aller plus loin, en laissant l’initiative de l’organisation de ces liaisons d’aménagement aux collectivités du territoire, sans autorisation obligatoire préalable de l’État.
Si ces liaisons sont vitales pour nos territoires et qu’elles sont aussi une vraie réussite, leur gestion laisse parfois les élus financeurs dubitatifs, tant sur le fonctionnement que sur les résultats d’exploitation de ces lignes. N’oublions pas, en effet, le contexte financier pour les collectivités, contraintes par l’État de ne pas augmenter leurs dépenses de plus de 1,2 %, selon les directives actuelles.
Si je prends l’exemple de la ligne Tarbes-Orly, nous sommes sur un taux de remplissage avoisinant les 80 %, avec une croissance du nombre de passagers de plus de 4 % l’année dernière. Malgré cela, on nous explique que cette ligne est déficitaire et que, pour la maintenir, le conseil régional, le conseil départemental et l’agglomération Tarbes-Lourdes-Pyrénées doivent payer.
Je regrette le peu de transparence dans la gestion de ces compagnies, et je ne parlerai pas de la fiabilité de ces lignes, qui accumulent retards fréquents, annulations intempestives et tarifs pouvant aller du simple au quintuple selon le moment de la réservation – ce n’est pas mon collègue sénateur du Cantal qui me contredira à propos de la ligne Aurillac-Paris ! (M. Jacques Mézard sourit.)
Ainsi, je ne puis qu’être favorable aux dispositions prévues à l’article 4 du texte, permettant un plus large contrôle de l’État sur ces lignes soumises à une obligation de service public. L’État doit s’assurer de leur bon fonctionnement et de leur maintien. Pour les collectivités qui les financent en large partie, il est fondamental de savoir où va l’argent investi sur leurs frais de fonctionnement, notamment s’il est bien investi. Nous approuvons donc le compromis trouvé, consistant en la publication, tous les six mois, d’un rapport par les compagnies aériennes.
Ces territoires qui doivent se battre pour garder des liaisons interrégionales sont également ceux, hélas, qui ont été le plus impactés par la limitation de vitesse sur les routes. Ce sont les mêmes dont les habitants, pour avoir accès aux services publics, aux médecins, à une large offre culturelle ou même, simplement, pour se rendre au travail quotidiennement, sont obligés de prendre leur voiture. Sur ce sujet, la question n’est pas d’être pour ou contre cet abaissement – le débat est d’ailleurs large dans mon groupe. Il s’agit de faire confiance aux élus locaux, qui connaissent leurs territoires.
En conclusion, pour combattre cet éloignement qui organise depuis de trop nombreuses années les inégalités dans nos territoires, il serait nécessaire d’établir une véritable équité territoriale.
Mon groupe, vous l’aurez compris, mes chers collègues, votera cette proposition de loi issue de ses rangs. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylviane Noël. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à agir directement sur les causes de l’enclavement des territoires, en améliorant la qualité et l’accessibilité des moyens de transport dans ces zones. Cette problématique a une résonnance particulière pour le territoire montagnard que j’ai l’honneur de représenter.
En effet, si la montagne est un lieu d’exception pour tous les Français, c’est surtout et avant tout un espace singulier où des habitants vivent et travaillent toute l’année ; des zones où les trajets ne se traduisent pas en kilomètres, mais en temps de parcours ; des territoires riches de leurs activités saisonnières, mais aussi artisanales, agricoles, forestières et industrielles ; des territoires qui connaissent également des difficultés liées à l’enclavement ou à des enjeux environnementaux majeurs ; des territoires, enfin, dont l’avenir est fragilisé par le réchauffement climatique.
En montagne plus qu’ailleurs, les actes de la vie courante peuvent souvent s’avérer compliqués, voire impossibles l’hiver, avec de nombreux cols fermés et parfois des accidents naturels coupant les voies d’accès.
Cet état a même été reconnu par le traité de Lisbonne, adopté en 2009, qui range la montagne parmi les « régions souffrant de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents » et devant bénéficier d’une priorité en matière de politique de cohésion économique et sociale.
Pour faire vivre la promesse d’égalité entre les territoires, le premier enjeu concret pour chacun, c’est l’accès et la liberté de se mouvoir.
Face aux changements climatiques et aux évolutions de la société, les habitants de la montagne doivent être rassurés sur la pérennité de leur mode de vie. Or, les réalités de nos territoires semblent depuis longtemps avoir été oubliées dans l’élaboration des politiques publiques menées successivement depuis de nombreuses années.
Comment ne pas évoquer ici l’impérieuse nécessité de désenclavement du Chablais, en gestation depuis de très nombreuses années ? Cette région, qui s’étend sur 900 kilomètres carrés et recense environ 100 000 habitants, connaît une forte activité, qui lui impose de modifier son mode d’aménagement.
Chaque jour, ce sont plus de 20 000 actifs qui quittent le Chablais pour se rendre à leur travail, en France métropolitaine, mais aussi en Suisse, avec un taux de sortie qui frôle les 34 %. L’utilisation du véhicule personnel prédomine pour huit actifs sur dix, faute, à ce jour, d’un mode de transport en commun adéquat.
Aussi, je profite de cette intervention pour soutenir avec force le projet de liaison autoroutière concédée entre Machilly et Thonon-les-Bains, dernier barreau manquant de l’axe routier structurant devant relier l’A 40 à Thonon. Ce projet, porté par l’État, constitue une priorité absolue pour ce territoire.
Je ne saurais également passer sous silence l’urgence de la modernisation du réseau ferroviaire, préalable indispensable à la mise en œuvre d’une mobilité douce, cadencée et capable d’être compétitive par rapport à la voiture. Si l’arrivée prochaine du Léman Express offrira un service de qualité à la zone frontalière, nous attendons une amélioration rapide du réseau ferroviaire et du cadencement en direction d’Annecy, Évian et Chamonix.
Enfin, puisque l’article 2 de ce texte vise à faciliter la construction d’infrastructures moins lourdes dans les zones enclavées, il conviendra de favoriser l’émergence de projets d’ascenseurs de vallée, au moyen d’un cadre juridique plus performant.
Le développement du transport par câbles constitue une alternative crédible et pertinente au transport routier, notamment en montagne. Cette solution est particulièrement adaptée au franchissement de dénivelés et d’obstacles naturels, sans émission de polluants atmosphériques, d’autant plus que la France possède une longue tradition d’ingénierie en la matière, ainsi que l’un des leaders mondiaux dans ce domaine.
Telles sont, mes chers collègues, les attentes de la montagne s’agissant de cette proposition de loi, que je soutiendrai sans réserve, en espérant que, plus qu’à des paroles, ce texte donnera lieu à des actes et à des engagements forts en faveur de la mobilité dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la première manière de désenclaver un territoire, c’est d’assurer son raccordement aux autres espaces territoriaux. Au regard du poids économique de Paris et de la région Île-de-France, l’une des conditions du désenclavement est aussi de relier nos territoires à Paris.
Les usagers le mesurent quotidiennement de Metz vers Paris, tout comme les travailleurs frontaliers qui, chaque matin, affrontent un véritable calvaire sur les lignes TER vers Luxembourg. Vous comprendrez donc, madame la ministre, mes interrogations au regard des récentes décisions de la SNCF de supprimer des TGV sans aucune annonce officielle préalable, le tout dans une attitude d’opacité qui ne peut que susciter interrogations et mécontentements.
À l’heure des réseaux sociaux, pourtant largement utilisés par la SNCF, cette dernière ne communique plus. Elle n’a, par exemple, pas jugé utile de communiquer sur la disparition de certains TGV vers ou au retour de Paris au début du mois de décembre, allant même jusqu’à mentir sur ce point à la presse.
À la suite d’une mobilisation citoyenne sans précédent et de la pétition que j’ai lancée avec le président du conseil départemental et l’ensemble de mes collègues sénateurs de Moselle – Jean Louis Masson l’a souligné –, un TGV sera rétabli le matin vers Paris. Mais les usagers ont ensuite découvert que les TGV de dix-sept heures quarante et de vingt heures treize n’étaient plus « réservables » en ligne au départ de Paris à partir du 1er avril, encore une fois sans aucune communication de la SNCF.
Le P-DG de la SNCF semble lui-même peu soucieux de répondre à ceux, notamment les parlementaires, qui le questionnent, nos courriers d’octobre 2018 étant toujours sans réponse.
M. Bruno Sido. C’est un scandale !
M. Jean-Marc Todeschini. La SNCF n’est pas seulement silencieuse à l’égard des usagers et des élus, elle l’est désormais aussi avec la presse, comme le relate Le Républicain Lorrain de ce jour. Après avoir menti au mois de décembre dernier, je le répète, elle invoque aujourd’hui tout simplement, après une semaine d’interrogations, un bug informatique ! Il est tout de même bizarre qu’il ait fallu tant de temps pour s’en apercevoir…
La SNCF ne fait que peu de cas de la Lorraine en général et de la Moselle en particulier ; peu de cas des usagers et peu de cas des collectivités, lesquelles ont pourtant largement financé la ligne à grande vitesse vers l’Est, rentable pour l’entreprise.
La SNCF agit unilatéralement et autoritairement sur tous les sujets. Pourtant, nos collectivités sont mobilisées et demandent toutes à être parties prenantes, aux côtés des associations d’usagers, d’un véritable débat des mobilités dans nos territoires : débat sur la LGV, mais aussi sur toutes les autres lignes de l’axe Nancy-Luxembourg et sur le désenclavement des espaces de l’Est mosellan ou des bassins de vie frontaliers de la Belgique, du Luxembourg et de l’Allemagne.
Je vais illustrer mon propos par l’exemple de la suppression sans concertation de la ligne entre Saint-Dié et Épinal, qui contraint les habitants de deux aires urbaines de 50 000 et 100 000 habitants à ne se déplacer qu’en voiture… Quel progrès pour l’environnement ! Des exemples de ce type, chacune et chacun de mes collègues ici présents en a un en tête.
À l’heure du grand débat, mais surtout des mouvements sociaux de ces derniers mois, le silence de la SNCF est d’autant plus absurde et incompréhensible. Comment désenclaver nos territoires si le premier service public de mobilité n’est plus assuré ? Comment désenclaver nos territoires si la concertation est impossible ?
Autant de questions sur lesquelles les citoyens de nos territoires attendent la SNCF, mais vous attendent aussi, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord nos collègues d’avoir porté devant notre assemblée le sujet de l’enclavement des territoires.
C’est une réalité qui, dans certains secteurs, rend de plus en plus difficile toute perspective de développement. Toutefois, selon nous, les solutions proposées dans ce texte ne répondent pas vraiment à la question de l’enclavement. Les causes de ce dernier sont multiples et les réponses à apporter se doivent donc de l’être, elles aussi.
J’évoquerai tout d’abord l’enclavement physique, lié à l’accessibilité des territoires. Dans son article 1er, la proposition de loi donne un cadre, en fixant soit à 50 kilomètres la distance maximale d’accès à une unité urbaine, soit à une heure d’automobile l’accès à une ligne à grande vitesse. Je ne crois pas que ces critères répondent à l’enjeu du désenclavement des territoires.
S’agissant du transport aérien, nous approuvons l’article 4 sur la qualité du service que doivent apporter les compagnies et l’exigence de résultat dont nous devons faire preuve.
Enfin, je regrette que l’on traite du désenclavement sans évoquer plus largement le ferroviaire, qui peut pourtant apporter des réponses, tant à l’enjeu des mobilités qu’à celui de la transition écologique.
Le désenclavement des territoires passe aussi par la lutte contre la fracture numérique. Au fond, en effaçant la notion de distance, le numérique a ouvert une nouvelle voie de désenclavement ; il a ouvert le champ des possibles pour les territoires ruraux.
Or, trop souvent, c’est l’inverse qui s’est produit. Dans les secteurs à faible densité de population, on s’est contenté de courir sans cesse derrière les avancées technologiques avec cinq ou dix ans de retard. Prenons le seul exemple de la couverture 4 G par l’opérateur Orange : on relève une couverture à 99 % pour les villes, contre seulement 39 % pour les zones rurales. Le numérique s’est donc installé en vecteur supplémentaire de l’enclavement des territoires.
Nous le savons, la révolution numérique se poursuit. Elle nous ouvrira de nouveaux champs de développement, qui seront facteurs de désenclavement, à condition que nous sachions réussir ces nouveaux rendez-vous par une politique volontariste d’aménagement du territoire. Cet objectif mériterait d’être inscrit dans un texte de loi.
J’aborderai, enfin, la question de l’enclavement sanitaire. L’absence d’une offre de soins de proximité constitue, en effet, le premier facteur d’isolement des populations, donc d’enclavement.
Je me trouvais la semaine dernière dans un secteur de mon département, un bassin de vie regroupé autour d’un bourg-centre, ancien chef-lieu de canton, dans lequel il n’y a plus aucun médecin pour assurer les soins !
Oui, trouver des solutions à l’enclavement, c’est aussi assurer des services de proximité, et cette exigence devrait également trouver sa place dans un texte de loi.
Mes chers collègues, enclavement physique et numérique, isolement dans l’accès aux services essentiels à la vie quotidienne, ce sont bien des réponses globales que nous devons apporter pour réussir le désenclavement des territoires.
C’est pourquoi nous regrettons la portée insuffisante du texte qui nous est soumis. Toutefois, afin d’inscrire dans la loi les prémices d’un travail, même incomplet et qu’il sera impératif de poursuivre, je voterai ce texte, tout comme la majorité des membres du groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier nos collègues du groupe du RDSE, en particulier Jacques Mézard, à qui j’adresse d’ailleurs mes félicitations pour sa récente nomination au Conseil constitutionnel, de nous permettre d’aborder aujourd’hui la question du désenclavement des territoires.
En effet, la sénatrice des Hautes-Alpes que je suis peut témoigner des contraintes liées à l’absence de desserte routière, ferroviaire et aérienne dimensionnée dans un territoire rural et de montagne. Chaque semaine, pour rejoindre Paris, deux heures de voiture, puis trois heures de TGV sont nécessaires, la même chose dans l’autre sens, et il convient d’ajouter, bien entendu, les contraintes inhérentes à un voyage, telles que le stationnement ou les embouteillages. C’est donc au minimum douze heures de voyage par semaine.
Cet exemple est d’autant plus significatif que le temps de trajet n’a cessé de s’allonger au fil des années en raison du nombre croissant de véhicules sur les routes, conséquence de l’augmentation des déplacements professionnels et personnels, sans que des solutions collectives adaptées soient proposées, voire sans qu’elles soient possibles, dans tous les départements.
C’est aussi pour cette raison que la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure a été très mal vécue dans les territoires ruraux, où les habitants ont ressenti cette décision, venue d’en haut, comme une double peine, car, bien souvent, seule la voiture individuelle permet d’accéder à son travail, à la boulangerie ou à une unité de soins.
Si la République française est une et indivisible, la France est diverse et plurielle. Ce texte nous offre donc la possibilité de rappeler qu’il n’existe pas une réalité territoriale, mais des réalités, et que les contextes économiques, géographiques ou sociologiques sont multiples.
C’est pourquoi le droit à l’expérimentation doit être reconnu, plutôt que de remettre en cause ou casser ce qui fonctionne. La différenciation territoriale devrait enfin être une réalité pour les collectivités. En effet, faire confiance aux territoires, notamment aux présidents d’exécutifs départementaux, me paraît être une excellente chose, car nous en avons tous fait l’expérience : plus le centre de décision est éloigné, moins les décisions sont adaptées et comprises par nos concitoyens.
Aussi, n’aurait-il pas été plus logique de laisser la limitation de vitesse à 90 kilomètres par heure et donner la liberté aux départements de fixer une vitesse maximale inférieure à celle qui est prévue par le code de la route, lorsque les circonstances le justifient ?
M. Jean-Marc Boyer. Très bien !
Mme Patricia Morhet-Richaud. En matière de sécurité routière, si la vitesse est un facteur aggravant en termes de risques, seules les modifications des comportements des automobilistes sur le long terme pourront agir de façon importante sur le nombre d’accidents mortels. Le week-end dernier, la station de Serre-Chevalier a malheureusement été le théâtre d’un terrible drame de la route avec le décès de quatre jeunes, qui avaient tous entre dix-sept et vingt ans. (M. Bruno Sido s’exclame.)
Dans ce domaine, un certain nombre de propositions ont été formulées par le Sénat et je me réjouis que les articles 5 et 6 les reprennent en partie, même si, une nouvelle fois, on peut regretter que les nombreuses mises en garde des sénateurs n’aient pas été entendues plus tôt par le Gouvernement et que ce texte ne vienne que rétablir ce qui existait auparavant.
S’agissant de l’article 1er et de l’objectif de désenclavement à l’horizon 2025, il faudra se situer à moins de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq minutes d’automobile d’une unité urbaine de 1 500 à 5 000 emplois. Si l’on peut se réjouir des précisions apportées aux critères de désenclavement, on peut craindre que la rédaction actuelle ne couvre que partiellement le territoire national.
Je regrette pour ma part que, pour rompre l’isolement d’une ville ou d’un territoire, on se limite à l’aspect routier, car les objectifs ferroviaires ou aériens sont encore moins ambitieux.
En outre, le désenclavement, ce sont aussi des services, je pense par exemple aux services de santé, en particulier aux maternités. Dans les Hautes-Alpes, une femme enceinte demeurant à Aiguilles, dans la vallée du Queyras, devra effectuer un trajet de plus d’une heure et dix minutes, dans le meilleur des cas, pour venir accoucher à la maternité de Briançon.
Si l’objectif de désenclavement des territoires est louable et qu’il est l’une des principales batailles des sénateurs qui représentent la diversité du pays, il ne peut être atteint s’il ne s’accompagne pas d’une ferme volonté d’aménager le territoire ; deux notions pourtant essentielles pour retrouver l’unité de notre pays et renouer avec la solidarité nationale.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Qu’en est-il de l’égal accès de chaque citoyen aux services publics, au savoir ou à la formation ? L’objectif fixé en matière de désenclavement est-il suffisamment ambitieux pour réduire la fracture territoriale et corriger les inégalités ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je voterai ce texte, en étant toutefois réservée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le redis, je suis très attachée aux questions de désenclavement, qui sont une composante essentielle de l’équilibre de nos territoires.
De fait, les déficits de desserte des zones rurales et des villes petites et moyennes pénalisent tous les territoires : ceux qui sont privés de la capacité d’attirer des emplois, des services de santé ou des commerces, mais aussi les métropoles, qui connaissent parfois des situations d’asphyxie qui ne sont pas non plus très enviables. Et je ne parle pas de la saturation des TER, qui, bien souvent, circulent sur des lignes qui n’ont pas été adaptées à la croissance des besoins.
Évidemment, répondre à ces enjeux de cohésion des territoires passe par de nombreuses politiques, que le Gouvernement s’attache à mener. Je pourrais citer le plan « Action cœur de ville » – Jacques Mézard le connaît bien –, la couverture numérique du territoire ou encore le projet de réforme de notre système de santé présenté par Agnès Buzyn.
Répondre à ces enjeux passe aussi par l’adoption de choix clairs en matière d’infrastructures ; nous avons ainsi adopté comme principale priorité la remise en état de nos réseaux, qu’il s’agisse des réseaux routiers ou ferroviaires ou des lignes structurantes ou de desserte fine.
À cet égard, je voudrais rappeler l’ambition du Gouvernement. Nous respecterons les engagements pris dans les contrats de plan, mais, au-delà, nous souhaitons définir, avec chacune des régions, un véritable plan de bataille pour ne pas laisser des territoires dans lesquels les lignes de desserte fine disparaissent – c’est le sens de la mission que j’ai confiée au préfet Philizot.
Madame Préville, je ne puis m’empêcher de vous dire que j’ai du mal à me sentir comptable des fermetures qui ont lieu depuis 2011… La majorité à laquelle vous avez appartenu a peut-être sa part de responsabilité en la matière ! (M. Gilbert Roger proteste.) En tout cas, je puis vous assurer que le Gouvernement prend ce sujet très à cœur.
Répondre aux enjeux de cohésion passe également par l’accélération des projets de désenclavement, mais je suis convaincue que ceux-ci doivent s’appuyer sur des normes raisonnables – je salue en ce sens l’article 2 de la proposition de loi. Nous débattrons d’ailleurs de ces questions dans les prochaines semaines dans le cadre du débat sur la programmation des infrastructures.
Je voudrais répondre à M. Boyer sur les promesses de projets pharaoniques qui ont été faites pendant des années. En arrivant à la tête de mon ministère, j’ai trouvé des promesses de lignes à grande vitesse, dont le coût atteignait 36 milliards d’euros pour toute la France ! S’obliger à promettre des choses réalistes, en fixant un calendrier et des modalités de financement, me paraît être un exercice de sincérité qui redonne de la crédibilité à la parole publique.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je suis aussi convaincue – j’ai eu l’occasion de le dire en préambule, mais je veux le répéter – que la question des infrastructures est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Il faut aussi être capable de proposer des services accessibles à tous. C’est vrai pour nos jeunes comme pour les personnes âgées que l’on ne peut pas laisser dépendre de leur voiture. C’est tout le sens des trois premiers titres du projet de loi d’orientation des mobilités, dont nous aurons l’occasion de débattre prochainement.
En ce qui concerne les dessertes TGV, j’ai défendu, dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire, le maintien d’un modèle qui irrigue tous les territoires. À ce titre, le nouveau pacte ferroviaire prévoit la mise en place de comités de suivi, qui permettront d’associer en amont les territoires aux évolutions des dessertes, ce qui me semble indispensable.
S’agissant plus particulièrement de la desserte de Metz, la SNCF connaît en effet un bug informatique, et les billets non accessibles devraient l’être prochainement.
En conclusion, je voudrais évoquer la question des TGV dits « Ouigo », qui pourraient dans certaines situations remplacer les TGV classiques – nous aurons certainement à en reparler, notamment dans le cadre des comités de desserte. Il me semble que ce type d’offre correspond au modèle d’un TGV accessible à tous et que nous pouvons défendre ensemble cette idée d’accessibilité.
Le développement de la nouvelle offre des TGV Ouigo, qui fournissent certes des services moins importants, mais qui sont accessibles à tous, je le répète, permettra à la SNCF d’accueillir 25 millions de voyageurs dans les TGV en 2020. En stabilisant les péages TGV, le nouveau pacte ferroviaire voté par le Parlement permettra le développement de ces dessertes et de ces TGV accessibles à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires
Article 1er
I. – L’article L. 1111-3 du code des transports est ainsi modifié :
1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Au 31 décembre 2025, aucune partie du territoire français métropolitain continental n’est située soit à plus de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq minutes d’automobile d’une unité urbaine de 1500 à 5000 emplois, d’une autoroute ou d’une route aménagée pour permettre la circulation rapide des véhicules, soit à plus de soixante minutes d’automobile d’une gare desservie par une ligne à grande vitesse. »
II. – Les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires mentionnés à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales prennent en compte l’objectif de désenclavement mentionné au II de l’article L. 1111-3 du code des transports à compter de leur prochaine révision suivant la promulgation de la présente loi.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. L’article 1er souligne l’importance de prendre en compte l’objectif de désenclavement dans la programmation des investissements relatifs aux infrastructures de transport, ne serait-ce que pour répondre aux difficultés quotidiennes de nos concitoyens pour accéder à un emploi, à des services publics ou simplement à des biens de consommation essentiels.
J’ajoute que cet enclavement est plus ou moins marqué selon les territoires. C’est une évidence ! Les rapports du commissariat général à l’égalité des territoires nous rappellent régulièrement que les évolutions de long terme – désindustrialisation, vieillissement de la population, polarisation démographique ou métropolisation – sont des phénomènes majeurs, qui ont donné lieu à des évolutions territoriales très diverses et contrastées.
Je ne veux pas opposer ici les métropoles dynamiques, captant les richesses et les opportunités, et les territoires périphériques délaissés, mais je crois que seul l’État peut jouer un rôle de modulation pour assurer la péréquation et garantir la cohésion territoriale.
Mes chers collègues, prenez la situation du Sud-Ouest. À la fin des années 1970, le train dit « Capitole », qui partait de Toulouse pour relier la capitale, était cité comme un exemple de désenclavement et de rapidité… De ce point de vue, nous avons connu une véritable régression ! En quarante ans, des villes comme Lyon, Marseille, Strasbourg, Lille, Rennes ou Bordeaux se sont « rapprochées » de Paris.
En revanche, Toulouse et les territoires voisins sont les oubliés du plan TGV. La ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse pour relier Paris reste orpheline, alors même que, en quarante ans, les lignes à grande vitesse se sont développées dans les autres régions de France. J’ajoute que la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, dite POLT, a été négligée et que son entretien a largement fait défaut.
Même si cet article peut paraître homéopathique, dans la mesure où il ne contient pas de principe actif, il a au moins le mérite de rappeler la nécessité pour l’État, même devenu impotent, d’investir de nouveau dans les infrastructures de transport et de prendre ainsi la mesure de la crise de l’aménagement du territoire que nous connaissons. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, sur l’article.
M. Jean-Claude Requier. L’article 1er de notre proposition de loi constitue son essence même. Si l’idée d’un objectif national de désenclavement n’est pas foncièrement nouvelle, elle n’est pas non plus la simple lubie de quelques élus de province. Déjà en 2014, dans son rapport sur l’hyper-ruralité, notre collègue Alain Bertrand posait parfaitement le diagnostic. Et le contexte dans lequel se trouve notre pays démontre que cet objectif a aujourd’hui toute sa pertinence.
Nous connaissons la réalité des territoires les plus enclavés. Nous avons tous en tête des exemples d’usines qui ferment, de voies ferrées désaffectées, de routes dégradées, de services publics en recul.
Je pense à la fermeture en 2008 de l’usine Molex dans le département de Françoise Laborde, qui a aussi touché une centaine de salariés du Tarn-et-Garonne, département de notre collègue Yvon Collin. Je pense aux menaces de fermeture de la gare de La Brillanne, dans le département de notre collègue Jean-Yves Roux, alors même que le trafic augmente. Je pense à ces villes moyennes, à ces centres-bourgs dévitalisés et à ces communes rurales, où le quotidien devient plus pesant.
Nous connaissons bien sûr les efforts du Gouvernement, en particulier les vôtres, madame la ministre, mais il nous semble plus que jamais nécessaire d’accélérer le désenclavement des territoires grâce à un objectif national, afin de préserver nos infrastructures de transport et de les étendre.
La voiture reste très souvent, au quotidien, le seul moyen de déplacement. C’est pourquoi nous proposons de rendre chaque partie du territoire métropolitain accessible à une autoroute, à une voie rapide ou à un petit bassin d’emplois en moins de quarante-cinq minutes d’automobile ou, à défaut, en moins de cinquante kilomètres de trajet d’ici à 2026.
Cet objectif n’a rien d’irréaliste. Nous prenons d’ailleurs en compte la nécessité d’une cohérence de cet objectif avec la programmation régionale de l’aménagement du territoire, puisque les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, les SRADDET, ne prendront en compte l’objectif qu’à compter de leur prochaine révision.
Nos concitoyens attendent désormais du concret ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall, sur l’article.
M. Raymond Vall. Lors du Conseil national de l’industrie qui a eu lieu en novembre 2018, le Gouvernement a annoncé le déploiement du programme « Territoires d’industrie », dont les premiers contrats seront signés à la fin du premier semestre 2019, nous dit-on. Une enveloppe de 1,3 milliard d’euros a ainsi été annoncée pour redynamiser l’industrie dans les cent vingt-quatre territoires retenus, dont une majorité est située en zone rurale ou périurbaine.
Si un tel engagement doit être salué, j’attire toutefois l’attention du Gouvernement sur le risque qu’il n’atteigne pas ces objectifs s’il ne prend pas en compte la réalité globale de ces territoires, en particulier leur enclavement.
C’est pourquoi il me semble nécessaire que la question du désenclavement soit inscrite à l’article 1er de cette proposition de loi. Je rappelle que certains de ces territoires attendent depuis de nombreuses années, parfois dix ans, la mise en place de routes à 2x2 voies.
Madame la ministre, j’y insiste, pour que le plan adopté par le Gouvernement réussisse, il faut qu’une partie des crédits soit fléchée sur les territoires ruraux enclavés. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.
M. Stéphane Piednoir. Bien évidemment, je comprends l’intention, louable, de ce texte – il suffit de lire son intitulé. Nul n’ignore, sur les travées du Sénat, l’attention particulière qu’il faut porter aux territoires ruraux, dont l’un des problèmes essentiels, nous le savons, est le manque, voire l’absence, de dessertes routières, de transports publics et tout simplement de services publics.
Je voudrais dire aux auteurs de cette proposition de loi que, après avoir lu l’exposé des motifs, fort convaincant et qui laisse entrevoir des orientations concrètes en termes d’aménagement du territoire, la lecture de l’article 1er a quelque peu douché mon enthousiasme…
En effet, cet article propose tout simplement de sortir la règle à calcul, afin de déterminer si, en tout point du territoire continental, une autoroute se trouve à moins de cinquante kilomètres – la présence d’une éventuelle sortie n’est pas évoquée… –, un centre urbain à moins de quarante-cinq minutes – aucune précision n’est donnée sur ce qu’est exactement un centre urbain – ou un aérodrome à moins de deux heures d’automobiles – cette durée prend-elle en compte la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure ?
En réalité, je ne suis pas certain que ce type d’annonces permette de rassurer les élus locaux ! Je suis convaincu que l’issue la plus certaine est que chaque projet d’aménagement sera une occasion, au mieux, de s’arracher les cheveux, au pire, de baisser les bras… Les élus locaux attendent plutôt du concret, en particulier de la part de leurs sénateurs.
J’ai connu les auteurs de cette proposition de loi plus pragmatiques et moins technocratiques, en particulier lorsqu’il s’agissait de défendre nos territoires. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.
M. Franck Montaugé. Je souhaite tout d’abord saluer l’initiative de nos collègues du RDSE. Ce texte n’aura peut-être pas un impact très puissant sur l’équilibre global du pays, mais il permettra de réintégrer des territoires de la République qui sont aujourd’hui délaissés. C’est important à l’égard des habitants de ces territoires.
En allant dans le sens de mon collègue Raymond Vall, je voudrais profiter de l’occasion, madame la ministre, pour vous dire l’enjeu que constitue pour le département du Gers l’achèvement de la route nationale 124, en particulier dans sa portion comprise entre Auch, chef-lieu du département, et la métropole. Le territoire d’industrie, qui a été retenu et qui couvre une partie du Gers, est concerné par cette route. Or ce chantier n’a que trop duré, et nous sommes aujourd’hui incapables de savoir quand il sera achevé.
Vendredi dernier, nous avons reçu avec plaisir M. de Rugy, ministre d’État. Nous avons eu l’occasion de lui demander des précisions quant au calendrier de réalisation de cette infrastructure routière, qui est absolument indispensable. Il ne nous a pas répondu très clairement…
Nous enchaînons les contrats de plan, et ce chantier a démarré il y a maintenant quinze ans. Il ne reste plus qu’une quinzaine de kilomètres à réaliser, notamment le contournement de Gimont. Ensuite, il restera un petit morceau de route qui est pratiquement en ligne droite. Il faut vraiment en finir.
Nous en rediscuterons dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités, mais ce chantier est absolument indispensable, comme le sera, madame la ministre, le contournement de la ville d’Auch – ce projet ne veut pas nécessairement dire une mise à 2x2 voies, car une voie simple serait déjà un progrès…
À Auch, la route nationale passe aujourd’hui au pied de l’escalier monumental et de la cathédrale, qui sont les monuments les plus visités du département et parmi les plus importants de la région Occitanie, ce qui entraîne l’engorgement de la ville. Ce n’est plus possible !
Madame la ministre, je voulais attirer votre attention sur ce sujet. Je compte sur vous pour penser aux Gersois et au désenclavement du Gers, pour le bonheur de tous !
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Requier, Mme Jouve, MM. Dantec, Roux, Gabouty, Castelli, Labbé, Léonhardt, Artano et Collin, Mme M. Carrère, MM. Gold et Guérini, Mmes N. Delattre et Laborde, MM. A. Bertrand, Corbisez, Mézard, Menonville et Arnell et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Dans le même délai, l’État veille à ce que les infrastructures de transports disponibles permettent à tout citoyen de se rendre à une préfecture ou sous-préfecture en moins de quarante-cinq minutes.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement vise à compléter l’objectif national de désenclavement créé par la proposition de loi, en sécurisant le lien de proximité entre les citoyens des territoires concernés et l’autorité préfectorale. Cet objectif permettra d’adapter les infrastructures de transport pour permettre à nos concitoyens d’atteindre une préfecture ou une sous-préfecture en moins de quarante-cinq minutes.
Les mouvements sociaux qui ont récemment traversé le pays nous ont montré que, dans l’imaginaire collectif, ce sont avant tout le maire et le représentant de l’État qui sont les premières institutions de dialogue pour l’ensemble de nos concitoyens.
Or le lien et le contact direct avec l’administration préfectorale ont été sensiblement fragilisés depuis plusieurs années, avec les fermetures programmées de sous-préfectures, mais aussi avec la numérisation progressive de certains services de guichet – cartes grises, permis de conduire…
Comme l’a récemment souligné le Défenseur des droits – nous aurons tout à l’heure un débat sur la fracture numérique –, ces phénomènes posent problème pour les catégories d’habitants les plus fragiles, en particulier dans les territoires.
Pour concilier la nécessaire modernisation de l’administration préfectorale avec l’impératif de proximité qui constitue son ADN, nous proposons donc cette inscription dans l’objectif national de désenclavement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur. Avant de vous répondre, monsieur le président, je voudrais tout d’abord rappeler que les amendements qui ont été déclarés irrecevables tendaient à poser des questions très intéressantes.
C’est le cas par exemple de celui qui avait été déposé par Mme Imbert sur le télétravail dans les zones de revitalisation rurale – la réponse à cette question passera d’abord par l’arrivée du haut débit – et de celui qui avait déposé par Jean-François Rapin et plusieurs de ses collègues sur le logement des jeunes travailleurs en zone enclavée – il faudra interroger à ce sujet le ministre Denormandie.
En ce qui concerne cet amendement, le représentant des maires ruraux que nous avons reçu en audition nous a fait remarquer que, si vous perdez vos papiers d’identité et que vous habitez dans un secteur enclavé, la faiblesse du débit internet et les fréquentes coupures vous obligent à remplir les formulaires très vite, sous peine de devoir recommencer plusieurs fois…
La présence des préfectures et des sous-préfectures reste donc un enjeu important pour la population. Il est important politiquement de dire que l’État demeure présent dans ces territoires.
C’est pourquoi la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je mesure l’enjeu symbolique de cet amendement. Pour autant, et avec tout le respect que je porte au corps préfectoral – M. Fouché en a parlé… (Sourires.) –, je ne suis pas persuadée que ce soit là le premier service public dont nos concitoyens ont besoin. La question la plus importante est d’assurer le haut débit sur l’ensemble du territoire. Tel est l’enjeu du plan mis en place par le Gouvernement.
Au demeurant, l’article 1er prévoit déjà un éloignement maximum par rapport à une unité urbaine de 1 500 à 5 000 emplois, ce qui permet de répondre à l’objectif de l’amendement.
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.
M. Bernard Delcros. À l’heure où beaucoup s’interrogent sur l’avenir de la présence des services de l’État dans les départements ruraux, je trouve, au-delà du service effectivement rendu à la population, que l’adoption de cet amendement serait un message positif, de nature à rassurer les habitants de ces territoires, alors même que ceux ont souvent le sentiment d’être abandonnés et de ne pas être traités sur un pied d’égalité avec l’ensemble de nos concitoyens.
C’est pourquoi je suis favorable à cet amendement : dans le contexte actuel, un tel message est important.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Comme chacun le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions… Naturellement, je voterai cet amendement, parce qu’il est souhaitable que nos concitoyens puissent accéder aux services de l’État. Pour autant, monsieur le rapporteur, il ne se passe plus grand-chose dans les préfectures et les sous-préfectures…
Cela dit, si cette proposition de loi est adoptée et que ses dispositions sont ensuite respectées, les charges retomberont en fait sur les départements, qui ont la compétence pour ce qui concerne les routes.
Au final, les départements devront réaliser des travaux, par exemple de mise à 2x2 voies des routes, pour que les gens puissent accéder à la préfecture ou à la sous-préfecture, où ils ne pourront rien faire à cause de la dématérialisation.
Mes chers collègues, je voterai cet amendement, mais il ne faut pas se faire d’illusions !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Après l’article L. 1512-1 du code des transports, il est inséré un article L. 1512-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1512-1-1. – Lorsqu’il est maître d’ouvrage, l’État veille à adapter les infrastructures de transport aux caractéristiques topographiques et aux besoins socio-économiques des territoires. »
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Requier et Artano, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Jouve, MM. Labbé, Léonhardt, Roux et Vall, Mme Laborde et MM. A. Bertrand, Corbisez, Menonville, Mézard et Arnell, est ainsi libellé :
Au début
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Après l’article L. 1213-1 du code des transports, il est inséré un article L. 1213-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1213-1-… – Sans préjudice des compétences de la région en la matière, les départements et le représentant de l’État dans le département sont systématiquement consultés et associés à la procédure de planification régionale des infrastructures de transport. »
La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Le présent amendement a pour objectif de rendre la planification des infrastructures de transport plus inclusive et plus proche de la réalité des territoires.
Depuis la loi NOTRe de 2015, ce sont les régions qui gèrent l’essentiel des compétences en matière de transports et élaborent la planification des infrastructures. La loi d’orientation des mobilités, que nous examinerons prochainement, confère, quant à elle, une forte prégnance au couple intercommunalités-région.
Toutefois, si les régions possèdent la robustesse financière et administrative nécessaire, leur nombre réduit a eu pour effet d’éloigner sensiblement les centres de décision des évolutions locales. Pour cette raison, il nous paraît pertinent d’associer à cette procédure le département et le préfet, qui restent des références en matière de proximité pour un grand nombre de nos concitoyens.
La solution que nous proposons est juridiquement viable, puisque la région reste décisionnaire en matière de planification, mais pourra désormais bénéficier de l’expertise, de l’avis et des informations de cet échelon intermédiaire indispensable qu’est le département. Il s’agit non pas d’un alourdissement administratif supplémentaire, mais d’une manière de rendre la question des mobilités véritablement universelle pour l’ensemble des acteurs publics.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur. Avis favorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. La question du rôle respectif des intercommunalités, des départements et des régions dans la programmation des infrastructures de transports et le développement de services de mobilité est très importante ; elle pourra évidemment être discutée à l’occasion du projet de loi d’orientation des mobilités.
Plus spécifiquement, s’agissant du SRADDET et de la programmation des infrastructures, je rappelle que l’article 10 de la loi NOTRe prévoit déjà que le représentant de l’État dans la région, ainsi que les conseils départementaux, pour ce qui concerne les aspects relatifs à la voirie et aux infrastructures numériques, sont associés à l’élaboration de ce schéma.
Je sollicite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. En adoptant la loi NOTRe, qui transfère aux régions le transport scolaire, nous avons voté une aberration. On en voit aujourd’hui les conséquences. (Marques d’approbation sur certaines travées.)
J’ai tout de même déposé une proposition de loi, qui a été votée – j’en remercie mes collègues – afin de permettre aux régions d’inventer une sorte d’AO3, ou autorité organisatrice de rang 3, si j’ose dire.
Si le temps est printanier aujourd’hui, rappelons-nous que nous avons connu un épisode neigeux très important voilà trois semaines. Que s’est-il passé alors ? Dans mon territoire, le département a fait ce qu’il a pu pour dégager les routes, car c’est encore de sa responsabilité ; la région, dont le siège est à Strasbourg, soit à 300 kilomètres, n’a rien vu et n’a donc pas interdit les transports scolaires.
Finalement, il a fallu que Mme le préfet les interdise. J’ai été président de conseil départemental pendant vingt ans et je n’ai jamais eu besoin du préfet pour interdire les transports scolaires. D’ailleurs, j’avais transféré la responsabilité de décider de l’arrêt au président du syndicat gestionnaire du transport, voire aux chauffeurs de bus eux-mêmes.
M. Laurent Duplomb. C’est cela, la décentralisation !
M. Bruno Sido. Tout à fait, mon cher collègue.
Madame la ministre, dans la nouvelle loi sur les mobilités, il faudra revenir sur cette question, parce que transférer le transport scolaire aux régions sans transférer les routes a été, je le répète, une aberration.
Je voterai tout de même cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Les dispositions de cet amendement, même si elles ne sont pas déterminantes, ont au moins un intérêt : elles rappellent que nous cherchons par tous les moyens à corriger cette funeste loi NOTRe. On a l’impression qu’il n’y a plus que le couple intercommunalité-région dans la vision globale des pouvoirs publics, et singulièrement de l’État.
Or, j’y insiste, le département demeure, malgré son affaiblissement consacré par la loi NOTRe, un échelon administratif et politique essentiel.
Mon collègue Bruno Sido vient de parler des transports scolaires. Avec une à deux années de recul, on commence à mesurer douloureusement la perte de proximité dans l’exercice de cette compétence, qui relevait autrefois des départements.
Dans mon département, nous n’avons pu que constater des modifications de lignes de transport dorénavant gérées par la région, en totale méconnaissance des réalités territoriales, et sans aucune réactivité. Cela a entraîné des absurdités, et les parents d’élèves ont signalé les problèmes au département, comme si ce dernier était encore compétent.
Au moins, le vote de cet amendement serait l’occasion de rappeler qu’il faut que l’État en finisse avec cette vision unique et uniforme, au travers du seul couple intercommunalité-région.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Luche. J’irai dans le sens de mes collègues au sujet de la loi NOTRe, que je n’ai pas votée, comme un certain nombre d’entre vous.
M. Bruno Sido. Vous avez bien fait ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Luche. Effectivement ! Les transports scolaires utilisent des routes départementales, c’est-à-dire qui sont de la compétence du département. Dans mon territoire, pour assurer la sécurité du transport scolaire dans certaines communes, dans certains cantons, on a dû adapter la voirie aux véhicules utilisés sur ces itinéraires. Je le répète, c’est une compétence départementale.
Les collèges sont également de la compétence des départements. Les abribus pour les collégiens sont financés par les départements.
Bruno Sido, après un certain nombre de nos collègues, a évoqué l’enneigement. Plus le centre de décision est aussi lieu d’action, plus il y a d’efficacité. Il ne faudrait pas que, un jour, mes chers collègues, des élus non décisionnaires deviennent responsables de la sécurité des nombreux élèves qui sont transportés tous les jours sur notre territoire national. Il est donc urgent, madame la ministre, que cette compétence soit retransférée au département.
J’aurais pu également parler de la problématique du transport des personnes handicapées, que les départements assument aujourd’hui, car cette compétence touche le volet social.
Visons l’homogénéité pour assurer une plus grande efficacité. Alors, le contribuable aura une meilleure vision de l’action des élus sur notre territoire national. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais j’y suis poussé par ce que je viens d’entendre. À mon sens, il est dangereux de dire que tout était parfait avant, alors que, depuis la loi NOTRe, plus rien ne marche.
Je rappelle que le train, lui, est de compétence régionale…
M. François Bonhomme. Avec quel succès !
M. Ronan Dantec. … et que, de longue date, des difficultés de coordination entre les départements, les agglomérations et les régions ont été constatées. Aujourd’hui, c’est de souplesse que nous avons besoin.
Quand nous avons travaillé sur la loi NOTRe, nous n’avions pas en ligne de mire la fusion des régions, qui a postérieurement déboulé, changeant les périmètres et rendant au département une légitimité qu’il n’avait plus. (M. François Bonhomme s’exclame.) Tout le débat sur le projet de loi Mobilités nous renverra, à mon sens, à cette question de la souplesse.
En tout cas, nous ne devons pas imaginer qu’un retour en arrière serait la solution. Il n’y a pas d’âge d’or en la matière, car il y a eu, de tout temps, des difficultés de coordination entre les uns et les autres. Je le répète, il nous faut surtout de la souplesse, et je pense que le consensus n’est pas très loin sur ce point.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.
M. Bernard Delcros. Je soutiendrai cet amendement, parce que, sans remettre en cause les compétences telles qu’elles ont été définies, il tend à conforter l’idée que, dans l’élaboration des projets d’infrastructure, le préfet et le département restent des acteurs incontournables de la concertation. Ce sont des acteurs de proximité, qui connaissent le terrain, donc je pense qu’il est important d’inscrire ce principe dans la loi.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour explication de vote.
M. Mathieu Darnaud. Je ne serai sûrement pas très original dans ma prise de parole, mais je tiens à conforter les propos de mes collègues.
Monsieur Dantec, vous avez raison, il faut plus de souplesse, mais il faut surtout obéir au principe de réalité. Il ne s’agit pas aujourd’hui de faire le procès en sorcellerie de la loi NOTRe, même s’il y aurait beaucoup à dire sur le sujet, mais nous nous apercevons bien de l’inefficacité absolue, j’y insiste, de la répartition actuelle des compétences.
Si l’on veut, à tout le moins, remettre un peu d’huile dans les rouages, nous devons prendre en compte certaines spécificités locales. Je prends souvent comme exemple l’aéroport d’Aurillac, cher à notre collègue Jacques Mézard. Il illustre parfaitement le principe de différenciation territoriale, qui fait nécessairement du département un acteur dont la capacité de jugement est indispensable dans l’élaboration des schémas routiers.
Comme François Bonhomme le rappelait, le département est incontournable dans certaines situations, même quand il ne neige pas (Sourires.), mais il n’a pas forcément vocation à briser le couple intercommunalité-région quand l’efficacité est au rendez-vous. Je pense que la loi sur les mobilités viendra conforter les propositions que nous faisons aujourd’hui. Il est grand temps d’ouvrir les yeux, sinon nous allons au-devant de catastrophes.
Nous avons besoin, plus que jamais, de prendre en compte certaines problématiques. Je viens d’un territoire où il n’y a plus de trains de voyageurs, et pas d’autoroutes ; il n’y a qu’une voie nationale qui a été classée en grande liaison d’aménagement du territoire en 2003. Force est de constater que le département joue encore un rôle majeur en la matière.
Je voterai donc cet amendement avec conviction.
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour explication de vote.
M. Michel Dagbert. Tout comme notre collègue Ronan Dantec, je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je veux témoigner à rebours de ce que je viens d’entendre.
Tout d’abord, cet amendement est d’ores et déjà satisfait par l’article 10 de la loi NOTRe. Le département que j’ai eu l’honneur de présider a toujours pu trouver, dans l’espace régional, les instances de concertation nécessaires et suffisantes.
Quant à ce transfert, je crois qu’il est illusoire de penser que nous allons défaire ce qui a été fait. Il nous revient, sans prétention aucune, de faire preuve, sinon d’intelligence, du moins de bon sens.
Je puis certifier que cela a été le cas lors du transfert dans mon territoire – je rappelle tout de même que les tendances politiques ne sont pas les mêmes dans le département du Pas-de-Calais et la région des Hautes-de-France. Avec le président Xavier Bertrand, nous avons réussi un transfert dans de très bonnes conditions, sans rien perdre en proximité, puisque l’ensemble des personnels a gardé une résidence administrative au chef-lieu de département. Ce sont donc les mêmes fonctionnaires territoriaux qui assurent le service aujourd’hui.
Tel est le témoignage que je voulais apporter pour expliquer mon abstention sur cet amendement.
M. le président. Madame Jouve, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?
Mme Mireille Jouve. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le premier alinéa du I de l’article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les mêmes conditions, les départements et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent participer au financement des subventions accordées aux entreprises de transport aérien exploitant des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public. » – (Adopté.)
Article 4
Après l’article L. 6412-3 du code des transports, il est inséré un article L. 6412-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 6412-3-1. – L’État s’assure que les entreprises de transport aérien qui exploitent des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public maintiennent l’existence et le fonctionnement de liaisons effectives et régulières.
« Les entreprises de transport aérien qui exploitent des liaisons aériennes soumises à des obligations de service public rendent compte aux autorités délégantes du fonctionnement et des résultats commerciaux et financiers de l’exploitation de la liaison tous les six mois. Ces résultats font l’objet d’une publication dont les modalités et le contenu sont fixés par décret. » – (Adopté.)
Article 5
Le chapitre unique du titre II du livre II de la troisième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 3221-4, il est inséré un article L. 3221-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3221-4-1. – Le président du conseil départemental peut, par arrêté motivé et après avis de la commission départementale de la sécurité routière, fixer pour tout ou partie des routes départementales une vitesse maximale autorisée supérieure à celle prévue par le code de la route. » ;
2° Après l’article L. 3221-5, il est inséré un article L. 3221-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3221-5-1. – Le représentant de l’État dans le département peut, par arrêté motivé et après avis de la commission départementale de la sécurité routière, fixer pour tout ou partie des routes nationales une vitesse maximale autorisée supérieure à celle prévue par le code de la route. »
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Chasseing, Fouché, Guerriau et Wattebled, Mme Mélot, MM. Lagourgue, A. Marc, Decool, Longeot et Joyandet, Mme Guidez, MM. Luche, Le Nay, Mizzon, Canevet, Bizet, Henno, Reichardt et Laménie, Mme Goy-Chavent, MM. Dufaut, Lefèvre, de Nicolaÿ, Houpert, D. Laurent, Vogel, Nougein et Revet, Mme Lopez, MM. Bouchet et Pierre, Mme A.M. Bertrand, M. Mayet, Mme F. Gerbaud, M. B. Fournier et Mme Berthet, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
routière
insérer les mots :
et celui du président du conseil départemental, et en fonction des réalités géographiques et topographiques
La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Dans le même ordre d’idée, nous souhaitons que soit reconnu le rôle primordial du département sur un réseau routier qui est essentiellement départemental.
Tout le monde est d’accord pour le dire, fixer une vitesse maximale à 80 kilomètres par heure sur l’ensemble du réseau national n’a pas beaucoup de sens.
Dans certains secteurs du monde rural, voire hyper-rural, il est en effet tout à fait possible de rouler à 90 kilomètres par heure. En revanche, aux abords d’une école ou d’un centre commercial, un automobiliste peut être dangereux à moins de 30 kilomètres par heure, norme généralement admise. Adapter la vitesse au terrain paraît plus sage et plus efficace.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur. Lorsqu’un conseil départemental veut modifier la vitesse sur une de ses routes, il saisit la commission départementale de la sécurité routière, présidée par un représentant du préfet. Dans ce cadre, on peut modifier la vitesse sur des routes nationales ou sur des routes départementales. Les auteurs de cet amendement proposent que le président du conseil départemental donne son avis sur cette décision.
La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Vous l’aurez compris, le Gouvernement est défavorable à cet article, dans l’attente des conclusions du grand débat et des éventuels ajustements qui pourraient en être tirés.
L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Effectivement, nous ne savons pas quelles seront les conclusions du grand débat. En tout état de cause, s’il en ressort la possibilité d’adapter la vitesse sur les routes départementales au sein de chaque département, je ne souhaite pas que président du conseil en décide seul. Cela doit relever, au minimum, de la décision du conseil, après avis.
M. Jean-Pierre Corbisez, rapporteur. Bien sûr !
M. Bruno Sido. En effet, ce n’est pas la même chose. Je ne voudrais pas qu’il s’agisse d’un pouvoir propre du président. Cette décision doit être prise, après concertation avec les services préfectoraux et les spécialistes de la sécurité routière, sur vote du conseil départemental.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
Dans le délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation du décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules quant à la réalisation de l’objectif de renforcement de la sécurité routière, en particulier au regard des conditions météorologiques, mais aussi de l’enclavement des territoires concernés et du fonctionnement des transports collectifs ou publics existants. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 302 |
Pour l’adoption | 302 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
3
L’hydrogène, une énergie d’avenir
Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « L’hydrogène, une énergie d’avenir ».
La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà un mois, nous débattions des mobilités du futur et, à cette occasion, j’avais souligné les enjeux attachés, selon moi, au développement de l’hydrogène. C’est donc dans le prolongement de ce débat, mais aussi au vu de la question fondamentale de la transition énergétique pour notre pays, que le groupe du RDSE a choisi de mettre ce thème à l’ordre du jour du Sénat.
Les opportunités qu’offre le développement de l’énergie hydrogène sont aujourd’hui documentées. Au regard de l’urgence écologique, elles doivent nous conduire à accélérer nos réflexions et nos décisions, afin de garantir le développement d’une filière d’excellence en la matière et d’accompagner le déploiement de cette énergie nouvelle, qui présente de multiples applications.
L’hydrogène permet de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Convertible en énergie via une pile à combustible, l’hydrogène peut en effet être utilisé dans les mobilités urbaines – voitures particulières, bus, trains –, le bâtiment ou encore l’habitat – production d’électricité et de chaleur. Il permet de développer la mobilité électrique dans l’ensemble du secteur du transport, un secteur utilisateur de 30 % de l’énergie consommée dans notre pays.
L’hydrogène peut être facilement stocké et injecté, en étant par exemple associé au méthane, dans les réseaux de gaz naturel. Enfin, il représente un enjeu de compétitivité pour nos entreprises, à l’origine de nombreuses innovations.
Oui, les initiatives existent déjà, et il faut les encourager ! J’en veux pour preuve l’action conduite dans mon département, le Pas-de-Calais, par le Syndicat mixte des transports Artois-Gohelle. Ce syndicat, qui couvre le territoire de trois agglomérations, représentant un demi-million d’habitants, lancera très prochainement sa nouvelle ligne de bus à haut niveau de service, BHNS.
Les élus de ce territoire marqué par l’exploitation minière et une forte industrialisation ont fait le choix d’encourager le développement pour le réseau de transport en commun d’un mix énergétique. Ainsi, le réseau associera, à côté de bus circulant encore gasoil, des bus électriques et hybrides. Surtout, le syndicat lancera très prochainement une ligne assurée par des bus à hydrogène, la première de France, même si je sais qu’une réflexion similaire est en cours à Pau.
Ces bus vont parcourir 420 000 kilomètres par an avec zéro CO2 rejeté, alors qu’un bus diesel en émet 88 tonnes. Les élus ont également fait le choix de produire et de stocker l’hydrogène sur place en installant un électrolyseur, économisant ainsi le CO2 produit pour l’acheminement de l’hydrogène. La station rejettera, quant à elle, 374 tonnes d’oxygène, soit l’équivalent de 56 hectares de forêt. Les travaux de construction du dépôt se terminent, pour une ouverture dans les semaines à venir et une mise en circulation des bus cet été.
Cet exemple illustre bien, madame la secrétaire d’État, le dynamisme de nos territoires. Il doit nous inspirer et pousser des initiatives similaires dans d’autres secteurs du transport comme l’aérien, le ferroviaire, le maritime ou le fluvial.
Les technologies sont prêtes. Toutefois, nous le savons, le coût reste pour l’instant un facteur bloquant, et c’est là l’un des premiers défis auxquels nous sommes confrontés.
Les coûts de fabrication peuvent pourtant être diminués en imaginant des mesures incitatives et en industrialisant la chaîne de production pour rentabiliser les investissements. Nous saisirions ainsi l’occasion de développer une nouvelle filière industrielle créatrice d’emplois dans un contexte où notre tissu industriel est menacé, à l’image de notre filière sidérurgique, aujourd’hui en grande difficulté.
Prenons aussi l’exemple du vélo à hydrogène, dont Mme Borne a parlé ici, voilà quelques semaines. Il s’agit d’une innovation de la société Pragma Industries, une première mondiale qui permet une autonomie de plus de 100 kilomètres, pour un temps de recharge d’une à deux minutes, quand l’électrique nécessite plusieurs heures. Malheureusement, le coût unitaire reste prohibitif, pour l’instant, et il est à craindre qu’il ne reste cantonné à des flottes d’entreprises ou de collectivités, faute de portage politique ou de simplification juridique pour obtenir des subventions.
Sur ce plan, le projet de loi d’orientation des mobilités aurait pu être plus volontariste, en intégrant par exemple des mesures incitatives pour accompagner le verdissement des flottes d’entreprises, de taxis ou de VTC, ou encore en étendant le forfait mobilité aux propriétaires des véhicules à très faibles émissions de CO2.
Je veux néanmoins rendre hommage, ici, au ministre Nicolas Hulot, à l’initiative, en 2018, de notre premier plan hydrogène, lequel doit permettre, dès aujourd’hui, la mobilisation de 100 millions d’euros, dont une partie profitera à nos territoires via les appels à projets de l’Ademe, à condition que les démarches administratives soient connues et simplifiées.
L’un des trois axes de ce plan mérite plus particulièrement que l’on s’y arrête. Il s’agit de l’enjeu d’une production décarbonée de l’hydrogène. En l’effet, l’hydrogène porte l’ambition d’une énergie future totalement propre, mais à la condition qu’il soit produit lui-même, via des énergies renouvelables.
Les facilités qu’il offre en matière de stockage doivent notamment permettre une complémentarité avec le solaire et l’éolien, le stockage de l’énergie produite par ces moyens étant aujourd’hui complexe. Coupler des unités de production et de stockage d’hydrogène à des sites solaires ou éoliens représente un axe de développement et de réflexion dans notre recherche d’une énergie propre et renouvelable, disponible non seulement pour les transports, mais aussi pour le monde économique, qui a besoin d’énergie supplémentaire. Avec l’hydrogène, nul besoin de mettre en place des lignes aériennes supplémentaires qui défigurent le paysage.
Là encore, les territoires nous montrent l’exemple. Nous connaissons tous le Grid, qui injecte de l’hydrogène dans le réseau de gaz de la communauté urbaine de Dunkerque, ou, à Paris, les taxis Hype. Plus simplement, un village de l’Aisne, Tupigny, a installé des éoliennes couplées à un électrolyseur qui produit de l’hydrogène, lequel est utilisé pour alimenter deux véhicules mis à la disposition des habitants pour réaliser leurs démarches administratives à la préfecture ou à la sous-préfecture.
Toutefois, rien de structurant ne pourra se faire sans un engagement fort de l’État. D’ores et déjà, les acteurs de la filière mettent en garde sur la sécurisation des financements. Le premier appel à projets lancé par l’Ademe montre un nombre considérable de sollicitations, et toutes ne pourront pas être financées.
Il est indispensable que l’État puisse dès aujourd’hui inscrire dans la durée ses financements et les majorer autant que nécessaire, car rien ne serait pire que de décourager les initiatives.
L’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible, l’AFHYPAC, appelle de son côté à la mobilisation de mécanismes de garantie des risques, notamment en cas de sous-utilisation des équipements, à l’image du dispositif France Transition, préconisé par le rapport Canfin-Zaouati.
Oui, mes chers collègues, nous devons travailler pour forger un outil au service du renforcement des investissements, de la réorientation des flux privés, où l’argent public serait utilisé pour le partage du risque.
La filière se trouve en effet confrontée à un déficit d’investissement et, si elle souligne l’existence de nombreux outils financiers, ils ne permettent pas, selon elle, de passer à l’échelle supérieure, c’est-à-dire à une véritable phase de déploiement.
Il nous faut inventer des mécanismes de financement innovants, associant fonds publics et fonds privés, à l’instar de ce qui peut exister aux États-Unis ou au Japon, en couplant garanties, prêts bonifiés et fonds propres.
Mes chers collègues, ce sujet est passionnant ; l’ambition est réelle ; l’enjeu en matière de développement durable est déterminant, d’autant que les technologies existent.
Notre pays ne doit pas rater ce rendez-vous. Le recul récent annoncé par le Président de la République en matière d’objectifs de réduction de nos émissions de CO2 ne nous rassure pas, c’est peu de le dire. Le retard considérable que nous avons pu prendre sur des programmes innovants, comme les trains à hydrogène, est préoccupant. L’Allemagne fait déjà circuler ses propres trains de manière régulière, qui plus est avec l’appui d’Alstom, tandis que le premier déploiement en France ne se ferait qu’aux alentours de 2022-2024.
Toutes les conditions sont réunies pour que nous avancions de façon unie sur le plan écologique et industriel, sans oublier les créations d’emplois qui pourraient en résulter. Ce dont nous avons besoin de toute urgence aujourd’hui, c’est d’une volonté politique forte pour accompagner ce tournant technologique que notre pays n’a pas le droit de manquer.
À cet égard, madame la secrétaire d’État, nous en appelons à un engagement fort du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, évoquer l’hydrogène aujourd’hui, c’est parler industrie, logistique, accessibilité, transport des personnes, énergie ou bien encore économie circulaire.
Toutes ces activités recèlent des enjeux bien souvent imbriqués, qui font de l’hydrogène non seulement une solution crédible, mais surtout l’imposent comme un outil polyvalent, aussi bien face à un besoin ciblé que pour anticiper de nouvelles activités.
Nos territoires, qui ont pleinement pris conscience des atouts de l’hydrogène, développent des projets innovants leur permettant de répondre aux enjeux auxquels ils sont confrontés : transition énergétique, qualité de l’air, aménagement du territoire et développement durable.
Vous me permettrez donc d’articuler mon intervention à l’aune de l’expérience engagée – cela a été rappelé par Jean-Pierre Corbisez – sur le territoire de la communauté urbaine de Dunkerque, véritable terre d’hydrogène. En mars prochain, le bateau Energy Observer, premier navire à hydrogène, qui effectue actuellement le tour du monde, fera escale à Dunkerque. Beau symbole pour cette ville portuaire qui a fait de la mutation écologique un cheval de bataille ! La communauté urbaine de Dunkerque est bel et bien dans le concret, en ayant choisi de pouvoir stocker l’électricité renouvelable sous forme d’hydrogène solide.
En effet, le stockage de l’énergie issue des renouvelables est devenu une réalité. Le surplus de production d’électricité est désormais stocké sous forme d’hydrogène, une façon de résoudre les problèmes d’intermittence qui suscitent de plus en plus d’intérêt. C’est dans cette perspective qu’a été inaugurée, à l’été dernier, à Cappelle-la-Grande, située à quelques kilomètres de Dunkerque, une installation de power to gas dans un nouveau quartier de la ville.
Le principe du power to gas est simple : il consiste à transformer l’électricité en hydrogène, qui peut, ensuite, être déstocké sur demande sous forme gazeuse, pour être injecté alors dans le réseau de gaz. En effet, l’hydrogène est probablement la meilleure façon de stocker l’énergie indéfiniment et sous forme solide.
Cette technologie est une réponse à l’intermittence des énergies renouvelables, comme l’éolien ou le photovoltaïque, notamment en cas de surproduction en période de faible consommation, à l’origine de gaspillages énergétiques et d’une coûteuse surcharge du réseau électrique.
La communauté urbaine de Dunkerque s’est lancée dans cette aventure en 2014, qui prend désormais la forme d’un démonstrateur installé dans la commune de Cappelle-la-Grande, collectant les surplus d’électricité produits par le parc éolien à proximité et par les panneaux photovoltaïques de la communauté de communes. Ce surplus d’électricité, transformé en hydrogène, est utilisé dans le réseau de gaz naturel, alimentant ainsi 200 logements.
On voit là l’intérêt de l’hydrogène issu des renouvelables, qui est de décarboner le gaz naturel et de permettre de réduire les émissions de CO2, d’améliorer la qualité de l’air et d’augmenter nettement les rendements des chaudières à condensation de 7 % à 10 %.
Ce démonstrateur fonctionnera pendant deux ans, en conditions réelles, sans surcoût pour les utilisateurs. La part d’hydrogène dans le gaz naturel a d’ailleurs été augmentée progressivement. De 6 % en juin 2018, elle est passée à 20 % en janvier 2019, soit le seuil le plus élevé testé en Europe.
Ces années vont permettre d’analyser la réaction du matériel, notamment les éventuels problèmes de corrosion des chaudières, le pouvoir calorifique du mélange gaz naturel hydrogène, mais aussi l’acceptabilité du procédé par le consommateur et sa viabilité économique.
Cette expérimentation est bien l’illustration que la transition énergétique s’opère sur nos territoires, mais aussi dans le cadre de cette stratégie nationale en plein essor. Ce projet, qui est le beau symbole de mutations, doit en permettre d’autres, s’inscrivant pleinement dans le cadre du plan hydrogène présenté en juin 2018 – cela a aussi été souligné par Jean-Pierre Corbisez.
Comme le rappelle régulièrement le maire de Dunkerque, la transition énergétique se fait dans les territoires. On n’a pas envie de la subir, et ce projet un beau symbole des mutations !
En parlant d’hydrogène, alors que nous allons entamer, le 19 mars prochain, la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités et que la ministre Élisabeth Borne était parmi nous il y a encore quelques instants, vous me permettrez d’évoquer plus particulièrement les enjeux de l’hydrogène en matière de mobilité. Comme Élisabeth Borne le rappelait le 1er juin 2018, l’hydrogène apportera sans aucun doute une part importante des réponses pour décarboner et dépolluer nos solutions de mobilité.
Nous le savons, l’hydrogène embarqué apporte en effet pour l’électromobilité des solutions nouvelles concernant en priorité les véhicules à usage professionnel, qu’ils soient terrestres, maritimes, fluviaux ou ferroviaires.
La mobilité hydrogène fait déjà l’objet de développement concret avec les taxis et les bus. L’enjeu pour la mobilité de demain, sur laquelle nous reviendrons dans nos débats, est de favoriser dès aujourd’hui le passage à l’échelle, comme l’a rappelé l’intervenant précédent.
En matière ferroviaire, nous avons là de véritables objectifs qui ont fait l’objet d’un rapport déposé par un député sur le verdissement du ferroviaire. Nous le voyons bien, l’hydrogène est, sans conteste, une ressource avec laquelle il faut compter dans le cadre d’une transition écologique réussie. Là aussi, les débats que nous aurons lors de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités nous permettront de mesurer que le mix énergétique, s’agissant de mobilité, est essentiel pour proposer des solutions décarbonées.
Nous le voyons bien, l’hydrogène, sous ses différentes formes et ses différentes applications, est aujourd’hui un enjeu essentiel. Je tiens à remercier les promoteurs de ce débat de nous donner l’occasion d’échanger sur ce sujet essentiel pour nos territoires, pour notre pays. Je ne doute pas un seul instant de la volonté du Gouvernement s’agissant du développement de cette filière !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat, demandé par le groupe du RDSE, que nous remercions, s’inscrit complètement dans l’actualité, tant il y a une urgence à trouver des alternatives aux énergies carbonées.
Certes, il ne s’agit pas de penser naïvement que l’hydrogène sera le carburant de l’économie de demain, l’élément miracle qui nous détachera de notre monde fossile et fissile ! Toutefois, ses potentialités sont indéniables.
De quoi parlons-nous ? L’hydrogène est un gaz connu, déjà utilisé par l’industrie pour fabriquer des engrais, raffiner des carburants et destiné à de multiples usages plus ponctuels, comme le lancement des fusées.
En termes énergétiques, l’hydrogène constitue un vecteur stable, qui peut être stocké, à la différence de l’électricité, même s’il faut manipuler de gros volumes – quatre fois ceux du gaz naturel. Ainsi, et c’est tout l’enjeu, associé aux piles à combustible, l’hydrogène pourrait être utilisé beaucoup plus largement à l’avenir comme vecteur d’énergie pour les transports et la production d’électricité.
L’électricité ainsi produite peut donc faire tourner un moteur, par exemple celui d’une voiture électrique, avec un bon rendement, sans bruit, avec émission de chaleur, mais sans dégager de gaz polluant.
C’est pourquoi beaucoup voient aujourd’hui en cette évolution une révolution aussi importante que celle qui fut provoquée par l’utilisation du charbon au début de notre ère industrielle. Comme le soulignait Nicolas Hulot dans sa présentation du plan hydrogène : « C’est aujourd’hui la seule technologie qui permette de stocker massivement et sur de longues périodes l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables intermittentes. C’est donc un élément clé de la stabilité du mix électrique de demain. » Certes ! Mais cette utilisation énergétique de l’hydrogène ouvre de nouvelles questions et pose quelques problèmes.
Tout d’abord, la production occasionne des émissions de CO2 ou, dans le cas de l’électrolyse, nécessite de grandes quantités d’électricité.
Ensuite, s’agissant de son transport et de son stockage, il faut faire appel à des dispositifs spécifiques, à haute pression ou à très basse température, qui sont chers, lourds et encombrants.
Enfin, en ce qui concerne son utilisation, on a besoin de piles à combustible qui coûtent très cher, s’usent rapidement et requièrent une grande quantité de métaux précieux.
Cela étant, toutes les pistes alternatives aux énergies fossiles doivent être sérieusement explorées. Comment faire pour que cela fonctionne ? Alors que le Gouvernement a fait le choix d’un État régulateur plutôt que d’un État interventionniste, ce débat sur l’hydrogène comme énergie d’avenir nous rappelle que sans intervention publique forte, il n’y aura pas de transition énergétique à la hauteur des enjeux climatiques d’aujourd’hui.
Comme le rappelle l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe : « Le déploiement d’une filière hydrogène nécessite des investissements relativement lourds, tant pour la production, la distribution que le stockage de l’hydrogène. Ceux-ci supposent un engagement d’acteurs industriels et une maîtrise du risque économique par le soutien des pouvoirs publics ».
En effet, tout comme le déploiement des réseaux d’électricité, de gaz ou de téléphonie, les nouveaux systèmes énergétiques basés sur l’hydrogène auront un coût de démarrage élevé, et ils présentent une incertitude quant à l’évolution de la demande. Il est donc peu probable que les entreprises privées investissent seules dans l’infrastructure nécessaire pour élargir l’utilisation de l’hydrogène à l’échelle nationale.
De plus, les consommateurs ne pourront acheter une voiture à hydrogène que s’il y a une infrastructure suffisamment dense de stations de distribution du carburant. En effet, l’ouverture de stations d’hydrogène en dehors des grandes villes sera un facteur déterminant pour la diffusion des carburants alternatifs, mais les acteurs privés se concentreront naturellement sur les zones rentables.
C’est pourquoi nous pensons que seul l’État peut jouer un rôle décisif pour la mise en place des infrastructures, ce qui permettrait de sortir du « cercle vicieux » qui empêche le démarrage de la filière.
Dans le cas d’une innovation radicale comme l’hydrogène, l’intervention publique est indispensable, d’une part, pour soutenir la technologie pendant la phase qui précède l’entrée dans le marché sur les questions de recherche, de développement et de démonstration, de manière à la rendre compétitive face aux technologies conventionnelles, et, d’autre part, pour aider l’innovation à entrer sur le marché, notamment en soutenant les investissements dans l’infrastructure.
Or cette intervention est actuellement limitée par la situation budgétaire des gouvernements et la conception de l’État, plus perçu en régulateur de l’activité économique qu’en investisseur.
Comme le souligne l’Ademe : « Le recours au vecteur hydrogène apportera des solutions, de la flexibilité, des services pour la mise en œuvre de la transition énergétique, mais il ne peut conduire à limiter les efforts à engager, notamment en termes de maîtrise des besoins et d’efficacité énergétique. »
Une forte diminution de la consommation de combustibles fossiles est vitale, et elle passera, certes, par le développement des autres ressources. Il ne faut cependant pas se voiler la face, la dépendance à l’égard du pétrole ne peut être durablement réduite qu’en limitant la place de la voiture individuelle au profit des transports en commun. Il faut maintenant parler de leur gratuité.
Il faut aussi penser à l’urbanisme différemment, par exemple, en rapprochant le lieu de travail du domicile et supprimer ainsi les trajets quotidiens énergivores. Il faut enfin que l’État réinvestisse dans le fret ferroviaire, qui, malgré tous les grands discours, ne cesse de reculer. Bref, il faut un diagnostic, mais aussi une vision d’avenir et une intervention globale de l’État ; aujourd’hui, malheureusement, nous en sommes bien loin !
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie, tout d’abord, le groupe du RDSE de la tenue de ce débat sur un sujet très intéressant et important au regard des enjeux de l’actualité.
À l’heure où le glacier Thwaites, en fusion à cause du réchauffement climatique, menace de rendre plus que réel le risque de submersion des côtes du monde entier, phénomène proprement catastrophique et inédit, nous devons absolument et rapidement mettre en place des solutions pour réduire les gaz à effet de serre, les deux principaux étant le méthane et le dioxyde de carbone. Nous sommes en effet à la croisée des chemins et devons faire des choix responsables pour l’avenir afin d’éviter l’irréversibilité du changement climatique. Il y a, en cela, urgence absolue !
En la matière, l’hydrogène est un fabuleux espoir. C’est un gaz incolore et inodore, très léger, combustible, donc, capable de libérer par combustion de la chaleur et de l’énergie. Lors de cette réaction chimique, il ne produit que de l’eau sous forme de gaz, c’est-à-dire de la vapeur d’eau.
Il présente un potentiel extraordinaire pour répondre à nos enjeux de transition énergétique, mais il n’existe pas dans la nature. L’enjeu, aujourd’hui, serait de le produire de manière décarbonée, c’est-à-dire sans la technique jusqu’à présent utilisée de vaporeformage du méthane, laquelle génère de l’hydrogène que l’on pourrait qualifier de « gris ».
Au contraire, on peut produire de l’hydrogène par électrolyse, en faisant passer du courant électrique dans de l’eau. Il se produit alors des réactions chimiques au niveau des électrodes et il se forme, à la cathode, du dihydrogène.
Ce procédé coûteux, au rendement très moyen, n’a été jusqu’à présent que peu utilisé. Si on développe les énergies renouvelables, on peut avoir la solution. La production d’électricité des éoliennes et des panneaux photovoltaïques est variable. En revanche, elle peut atteindre des pics, notamment en été, à des heures où la demande est moins importante. Cette électricité produite pourrait alors alimenter les électrolyseurs et produire un hydrogène « vert ».
Actuellement, la recherche se développe et les résultats s’annoncent d’ores et déjà prometteurs. Le CEA-Liten à Grenoble travaille sur la technologie SOEC, électrolyse à haute température et à haut rendement, en vue de son industrialisation dans un avenir très proche – on parle de cinq ans.
En outre, le projet de démonstrateur industriel Jupiter 1000 de power to gas fonctionnera, dès cette année, à Fos-sur-Mer sur le même sujet et dans le but, cette fois, de stocker de l’électricité. L’hydrogène est en effet un vecteur stratégique de stockage inter-saisonnier de l’électricité. Contrairement à l’électricité, l’hydrogène se stocke.
Dès lors, cet hydrogène vert peut être utilisé dans la mobilité propre. Il suffit d’équiper un véhicule d’une pile à combustible. Dans cette pile, l’hydrogène fournit de l’électricité en ne produisant, comme je l’ai dit, que de la vapeur d’eau.
J’ai pu voir fonctionner un bus utilisant cette technologie à Cologne, en Allemagne. À terme, c’est tout le réseau de cette métropole qui roulera à l’hydrogène. Le réservoir se remplit rapidement – c’est un réservoir à hydrogène. Sa capacité est équivalente à celle d’un véhicule diesel, et il possède donc en cela une grande autonomie. Les avantages ne s’arrêtent pas là, le moteur étant plus puissant qu’un moteur classique électrique.
Cette technologie pourrait être l’avenir de nos poids lourds, mais aussi des trains fonctionnant sur des petites lignes non électrifiées. Le scénario exposé par le projet du « verdissement du parc ferroviaire » fixe à 2035 le remplacement de trains régionaux roulant au gazole par des trains roulant à l’hydrogène. Cette perspective de 20 % de déplacements propres sera, je l’espère, tenue.
Pour ce faire, les énergies renouvelables doivent se développer. Selon RTE, notre stade de développement est actuellement insuffisant. Du volontarisme est absolument nécessaire, car nous avons du retard !
C’est de la création d’un réseau énergétique supplémentaire qu’il est question. Il faudra consentir des efforts d’investissement et accepter d’entretenir des infrastructures qui n’existent pas aujourd’hui. Le plan Hydrogène est ambitieux, très engageant, mais il doit passer à une phase de réalisation plus offensive.
Il faudra que tout le territoire national soit concerné pour que cela vaille la peine. Peut-on en rester à de simples appels à projets et laisser au bon vouloir des uns et des autres le loisir de faire ou pas ? En cela, je crois que l’État devrait reprendre son rôle de stratège. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, Édouard Herriot disait que l’utopie est une réalité en puissance. La réalité en puissance, c’est le basculement en cours de notre économie tout entière, de notre organisation territoriale, de nos habitudes de consommation vers des modes de production durables, sobres, mais aussi de plus en plus décarbonés.
Année après année, nous disposons de rapports à leur tour sans cesse plus réalistes, qui nous exhortent à accélérer des investissements directs en faveur de cet objectif : rapport du GIEC de septembre 2018, en tête.
La stratégie climat de la Commission européenne, communiquée en novembre dernier, semble, elle aussi, vouloir passer à la vitesse supérieure, puisqu’elle pose le principe d’une neutralité carbone de l’Europe en 2050. Ici, en France, une pétition a réuni près de deux millions d’habitants, pour proposer une plus grande visibilité de la stratégie nationale et européenne.
Dans ce contexte, où il ne s’agit plus de tergiverser, l’hydrogène apparaît comme une possibilité intéressante en vue d’accompagner cette trajectoire, en particulier, là où, de l’avis même du commissaire européen au climat, notre pays est en retard sur ses objectifs, l’augmentation de la part d’énergies renouvelables dans notre mix énergétique.
Il s’agit évidemment non de fournir une recette miracle, mais de vivre pleinement une opportunité industrielle, sociétale et environnementale majeure. À ce titre, nous devons garder en mémoire les débats qui se sont tenus au moment de l’exploitation possible des gaz de schiste, exploitation abandonnée en Grande-Bretagne, abandonnée en Pologne, jugée écologiquement et économiquement peu rentable.
Nous disposons aujourd’hui d’une connaissance précise des multiples possibilités de l’hydrogène, de son traitement et de l’exploitation dans des conditions décarbonées. Il s’agit, tout d’abord, de produire des technologies alternatives vertes pour des industries très consommatrices d’hydrogène.
Parmi les applications les plus visibles, on trouve l’équipement de modes de transports lourds et la mise en circulation de flottes de véhicules à hydrogène, avec des stations de recharge correspondantes.
Le 1er juin dernier, le ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, a annoncé la mise en œuvre d’un plan hydrogène doté, en principe, de 100 millions d’euros par an jusqu’en 2023 – en réalité, de 100 millions d’euros en 2019 –, avec une évaluation du niveau de déploiement des industries.
Le ministre a ainsi affirmé, que dans la perspective de la transition énergétique, « l’hydrogène peut aussi devenir une solution majeure pour notre mix énergétique tout d’abord en rendant possible le stockage à grande échelle des énergies renouvelables, permettant ainsi de rendre crédible un monde où l’hydrogène vient se substituer, petit à petit, au fossile et au nucléaire pour combler les intermittences du solaire et de l’éolien ».
Ce plan donne, par ailleurs, à la filière hydrogène deux missions principales : tout d’abord, stocker l’électricité produite par des filières renouvelables intermittentes sous forme d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau, ensuite, distribué dans un réseau de gaz ou utilisé dans une pile à combustible pour produire de l’électricité, ensuite, développer des « mobilités propres », en utilisant l’hydrogène dans une pile à combustible alimentant un moteur électrique.
Ce plan, qui doit donner lieu à un accompagnement important de l’Ademe, est assorti d’une aide directe à l’acquisition d’électrolyseurs, d’aides à la mise en place de projets territoriaux pilotes en matière de mobilité, d’une aide sous forme d’avances remboursables pour les stations de recharge et de l’aide à l’acquisition de véhicules professionnels ou de véhicules destinés au transport collectif. Enfin, ces aides pourraient être mobilisées dans des zones non interconnectées aux réseaux, associant plusieurs usages de l’hydrogène.
Madame la secrétaire d’État, 2019 est, de fait, une année d’amorçage et de pari industriel, qui suscite de fortes attentes et espoirs chez les acteurs de la filière, mais aussi chez les collectivités locales. Ce plan, mes chers collègues, demande de la constance, du temps et une stratégie. Les industriels, comme les acteurs de la filière, ont en effet besoin, pour pleinement se déployer, d’assurances et de moyens à long terme.
Je souhaite rappeler, madame la secrétaire d’État, que des territoires ont d’ores et déjà effectué ce pari industriel et énergétique. Outre les vingt-neuf projets « territoires hydrogène » sélectionnés et mis en œuvre en 2016, d’autres EPCI se sont dotés de stratégies de diversification énergétique à grande échelle.
Dans ce contexte, vous permettrez, madame la secrétaire d’État, que nous soyons attentifs à la forte visibilité de la mise en œuvre des projets sélectionnés dès cette année. L’enjeu est bien d’engager des projets qui permettront, dès à présent, de faire baisser le coût de l’hydrogène et de lancer la fabrication et la commercialisation de piles à combustible par les industriels. Or cet enjeu demande, à n’en pas douter, une structuration plus importante de l’ensemble de la filière hydrogène.
Au total, nous plaidons pour que la mise en œuvre du plan hydrogène soit visible et accessible, et ce dans tous les territoires, urbains comme ruraux, avec des applications concrètes. C’est en effet de la visibilité des projets que dépendra le contrat social et environnemental qui liera nos concitoyens, déjà éprouvés par une facture énergétique lourde pour les petits revenus, aux objectifs même de la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Alain Cazabonne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à remercier le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, à l’origine de ce débat sur l’hydrogène, qui s’inscrit parfaitement dans l’actualité. Une actualité ponctuée depuis quatorze semaines par ce qu’il est convenu d’appeler la crise des « gilets jaunes », laquelle montrait à l’origine la double urgence sociale et climatique par rapport aux problèmes de la population française.
Une actualité marquée par la proclamation du président Macron, après la sortie des États-Unis de l’accord de Paris, et son souhait affiché de faire de notre pays le leader mondial pour le climat. Une actualité affectée, j’y reviendrai, par diverses crises industrielles.
Enfin, notre échange d’aujourd’hui nous permettra assurément de nourrir notre réflexion avant que nous n’examinions le projet de loi sur les mobilités. Tout cela impose aux parlementaires que nous sommes de chercher le nécessaire équilibre entre la réduction des émissions des gaz à effet serre et la vitalité économique, sans a priori, en explorant toutes les pistes envisageables.
Utiliser de l’hydrogène pour se déplacer ou pour se chauffer semble, a priori, être une très bonne idée. Évidemment, celle-ci suppose que l’hydrogène utilisé soit issu d’une chaîne de production non carbonée. Il pourrait alors occuper une place de choix dans la transition énergétique.
Rappelons que l’hydrogène est l’élément le plus simple et le plus léger que l’on trouve dans notre univers. Il ne se compose que d’un seul proton et d’un seul électron. L’hydrogène est aussi l’élément le plus abondant : 75 % en masse et plus de 90 % en nombre d’atomes.
Cependant, la molécule d’hydrogène, H2, n’est plus jamais seule. Elle est toujours combinée à un autre élément comme l’eau, H20, ou le méthane, CH4.
L’hydrogène, qui est aujourd’hui principalement utilisé par l’industrie, est malheureusement produit à 95 % à partir de combustibles fossiles.
Dans le contexte de la transition énergétique, l’enjeu majeur est donc de décarboner la production de l’hydrogène. Je vous rappelle que le Gouvernement a doté la France de l’objectif ambitieux d’atteindre, en 2050, la neutralité carbone, entendue comme l’atteinte de l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les absorptions anthropiques – forêt, prairies, sols agricoles, zones humides… – à l’échelle territoriale.
Pour cela, il est nécessaire que le système énergétique évolue, afin que les énergies consommées sur le territoire français n’émettent plus de gaz à effet de serre. Dans son action, le Gouvernement s’appuie sur la stratégie nationale bas carbone, la SNBC, qui décrit la feuille de route de la France pour conduire la politique d’atténuation du changement climatique. Il s’appuie également sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE, qui fixe les priorités d’actions des pouvoirs publics dans le domaine l’énergie.
Cette programmation inscrit la France dans une trajectoire qui, je vous le rappelle, mes chers collègues, doit nous permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Dans les différentes programmations publiées par le ministère de la transition écologique, l’hydrogène décarboné fait partie des gaz renouvelables qui doivent, en 2050, fournir 180 térawatts au pays. Une grande ambition, donc, pour une énergie qui apparaît comme inépuisable.
Il faut néanmoins que nous soyons vigilants. En effet, l’hydrogène ne peut être produit qu’à partir de deux procédés. Le premier est effectué à partir d’énergies non renouvelables, c’est-à-dire d’hydrocarbures et de charbon. Aujourd’hui, 95 % du dihydrogène produit découle de cette méthode. Nous devons changer cela.
Le second procédé consiste à obtenir de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, ce que nous avons presque tous fait au collège. Cette réaction chimique permet, à partir d’électricité et d’eau, d’obtenir de l’hydrogène et de l’oxygène.
Encore une fois, il convient de ne pas être hypocrite. Il est en effet nécessaire que l’hydrogène soit produit à partir d’une électricité qui soit elle-même décarbonée ou produite à partir d’énergies renouvelables – outre l’éolien et les photovoltaïques, déjà cités, n’oublions pas les barrages. J’ai eu l’occasion de rencontrer les responsables de la Lyonnaise des Eaux, qui m’ont dit recycler l’eau des barrages, pour en tirer une énergie plus importante.
Ainsi, il apparaît clairement que l’hydrogène se présente comme une énergie d’avenir si nous parvenons à en assurer la production et le stockage, évidemment à partir d’énergies renouvelables.
Alors que la première voiture grand public à hydrogène a été mise en service dès 2014, alors que l’Allemagne développe cette énergie renouvelable depuis le début des années 2010 et a investi pour cela près de 1,4 milliard d’euros, alors que la Chine a démarré un investissement de 8 milliards de dollars dès 2015, la France connaît, reconnaissons-le, un large retard en la matière.
Nous envoyons déjà des fusées dans l’espace grâce à l’hydrogène. Je rappellerai d’ailleurs que les satellites qui ont amené en 1969 les hommes sur la lune fonctionnaient avec des piles à combustible. Aussi, pourquoi nos trains, nos voitures et nos bateaux ne fonctionnent-ils pas avec ? Simplement parce que nous devons améliorer nos méthodes de stockage !
Je me suis permis d’ajouter les bateaux en m’appuyant sur mon expérience personnelle. Voilà cinq ans, lors d’un stage de ski nautique que je faisais en Floride, j’ai eu l’occasion d’essayer le navire d’un riche industriel déjà équipé avec des piles à combustible. C’était il y a cinq ans !
Rappelons, une fois encore, que l’hydrogène n’est pas une source d’énergie à proprement parler. Il est un moyen de stocker une réserve d’énergie qui peut être libérée à la demande, et ce avec des pertes particulièrement faibles.
Le principe est simple : l’énergie est utilisée pour produire du dihydrogène, H2, le plus souvent sous pression. Puis, ce dihydrogène peut, soit alimenter une pile à combustible, libérant de l’électricité, soit être brûlé directement, produisant une énergie calorifique. Les applications s’orientent sur deux axes.
Le premier est de stocker de l’hydrogène pour le convertir en électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours, comme en Guyane, où se construit la plus grande unité de stockage du monde fonctionnant sur ce principe.
Le second, sans doute celui qui promet les plus grands bouleversements, est celui de la mobilité, permettant de brûler directement de l’hydrogène. Aujourd’hui, des mobylettes sont équipées de piles à combustible. Je ne comprends pas que l’on ne puisse pas développer plus rapidement ce système pour d’autres types de véhicules.
Associé à un moteur électrique, il peut offrir des rendements plus élevés qu’une batterie Lithium-Ion, produisant nettement moins de pollution. Cela explique la frénésie de recherche dans cette technologie, notamment pour l’automobile et le transport ferroviaire.
À ce sujet, un député du Médoc, M. Benoît Simian, avait préconisé, à l’occasion d’un rapport qu’il a remis à Mme Élisabeth Borne, la mise en place de trains roulant à l’hydrogène vers 2022. Pour atteindre cet objectif, M. Simian s’appuie sur l’exemple allemand : outre-Rhin, ce sont deux trains Alstom qui circulent grâce à des piles combustibles, grâce à l’hydrogène, depuis septembre 2018.
Vous le savez, depuis la loi NOTRe, les régions françaises se sont pleinement saisies de cette question. Par exemple, la région Nouvelle Aquitaine s’associe, pour 3 millions d’euros, avec les régions Grand Est et Occitanie au projet de développement d’un TER hybride avec stockage d’énergie embarqué, porté par la SNCF.
M. Benoît Simian souhaite même que la première ligne TER de cette nature soit celle qui relie Bordeaux à Soulac-sur-Mer. Je m’associe naturellement à cet objectif ambitieux.
En outre, cette technologie permettrait la réindustrialisation de certains secteurs ; vous savez, comme moi, les difficultés que connaît l’usine Ford de Blanquefort. Celle-ci pourrait se reconvertir, non seulement vers la production d’hydrogène, mais aussi – pourquoi pas ? – vers la fabrication des moteurs à hydrogène.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Cazabonne. Je conclus, monsieur le président.
Dans un récent rapport, le cabinet McKinsey rappelait que l’hydrogène pouvait dégager 40 milliards d’euros de chiffres d’affaires et représenter 150 000 emplois. À présent, il s’agit pour nous de franchir le pas.
Pour les chantiers du futur, il est parfois bon de se référer au passé, notamment à Jules Verne ; pensons à la conquête de la Lune, ou encore aux explorations que permettent les sous-marins. Jules Verne écrivait d’ailleurs, dans L’Île mystérieuse : « Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables. » À nous de saisir cette chance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue moi aussi l’initiative du groupe du RDSE, car il s’agit d’un dossier d’avenir.
Au nom du groupe Les Indépendants – République et territoires, je souhaite vous faire part de nos réflexions sur l’hydrogène en tant que vecteur d’énergie d’avenir.
La molécule d’hydrogène a de nombreuses qualités. Il a souvent été question de sa vertu écologique : son utilisation ne pollue pas. On peut aussi rappeler son très bon rendement énergétique : en préparant cette intervention, j’ai ainsi appris qu’un kilogramme d’hydrogène pouvait délivrer presque trois fois plus d’énergie qu’un kilogramme d’essence. C’est d’ailleurs grâce à l’hydrogène que le lanceur Ariane 5 met en orbite les satellites.
En outre, cette molécule apparaît de plus en plus pertinente comme source d’électricité. Associée à une pile à combustible, elle remplit le rôle de batterie, ce dans tous les domaines, du transport jusqu’à l’habitation.
De plus, divers projets sont en cours dans les secteurs du transport maritime et aérien, notamment grâce à une entreprise très importante, la société Safran.
En matière ferroviaire, le premier train commercial à hydrogène, construit par un constructeur français, Alstom, circule déjà en Allemagne. Pourquoi ne circule-t-il pas encore en France ? On peut se poser la question.
Guillaume Pepy, président-directeur général de la SNCF, a indiqué le 5 décembre dernier que la SNCF souhaitait sortir du diesel à l’horizon 2035 ! Pourquoi est-ce si long ? Va-t-on vivre encore seize ans sous le règne du diesel sale et des particules fines ? C’est une autre question…
M. Martial Bourquin. Excellente remarque !
M. Alain Fouché. L’utilisation de l’hydrogène ne pollue pas, mais, avant d’employer ce dernier, il faut le produire. Or cette étape se révèle beaucoup moins écologique.
Plus de 90 % de la production actuelle d’hydrogène est faite à partir de composés organiques : elle dégage donc du CO2. Des modes de production non polluants sont à l’étude. Ils restent en phase expérimentale, mais, malgré tout, ce dossier compliqué avance.
La voie la plus écologique semble être la production d’hydrogène avec de l’eau et du courant électrique : c’est une solution très intéressante pour lisser la production renouvelable d’électricité, qui a très souvent la faiblesse de l’inconstance. À cet égard, nous saluons l’initiative du village de La Nouvelle, situé sur l’île de la Réunion, qui expérimente déjà un tel mix énergétique.
L’un des principaux freins au déploiement de cette technologie reste son coût très élevé. L’hydrogène ne connaîtra pas de développement rapide et ne donnera pas tous ses fruits sans investissements d’ampleur, et c’est tout à fait normal. D’une part, ce gaz est très volatil, très inflammable et explosif, ce qui est de nature à rendre complexes et chers sa production, son acheminement et sa distribution – mais l’industrie française a déjà réglé des problèmes comparables ; d’autre part, la fabrication de la pile à combustible reste très onéreuse en raison du platine qu’elle exige.
Il nous semble qu’une politique d’aménagement et d’infrastructures, en garantissant des conditions de sécurité maximales, pourrait favoriser l’utilisation de cette technologie. Ainsi, des économies substantielles pourraient être réalisées en utilisant l’hydrogène, afin d’éviter la coûteuse extension de lignes électriques pour alimenter des territoires ou des voies ferrées isolés : on le sait, de tels chantiers coûtent des fortunes !
Madame le secrétaire d’État, les élus de mon groupe suivront avec beaucoup d’attention l’action de l’État en faveur du développement de l’hydrogène. À ce titre, nous visons tous le même but. Ce vecteur d’énergie aura certainement un grand rôle à jouer dans le mix énergétique de demain ; naturellement, cette transformation ne devra pas être accomplie au détriment de la sécurité. Il faudra donc prendre toutes les précautions qui s’imposent. Mais, pour ma part, je crois à la réussite de cette entreprise, à condition que tout le monde s’y mette, et que l’on y consacre les moyens adéquats ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. François Bonhomme. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où le Sénat engage ses travaux relatifs au projet de loi d’orientation des mobilités, ce débat, sur le thème « L’hydrogène, une énergie d’avenir », est le bienvenu.
La question de l’hydrogène se pose à présent de manière préoccupante – je pense en particulier au remplacement de l’hydrogène gris utilisé par nos industries, peu coûteux, mais très polluant, par de l’hydrogène vert décarboné. En outre, l’hydrogène a pleinement son rôle à jouer dans la mobilité, dans la transition énergétique et écologique des transports.
Le plan Hydrogène, présenté par Nicolas Hulot l’an dernier, contient un volet « décarbonisation de l’hydrogène industriel », un volet « mobilité » et un volet « stockage ». Il vise donc bien à structurer la filière et à participer au mix énergétique.
Une enveloppe de 100 millions d’euros a été annoncée et confirmée dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE. Mais cet ensemble de mesures n’est pas à la hauteur des enjeux industriels et écologiques français et internationaux. En effet, sur le plan industriel, la production d’hydrogène vert en remplacement de l’hydrogène carboné très polluant est à présent possible et parfaitement définie d’un point de vue technologique, grâce notamment à la biomasse, mais surtout à l’électrolyse de l’eau. Ce process peut tout aussi bien s’appliquer aux camions, aux bus, aux trains, aux voitures, etc.
Le gros avantage de l’hydrogène est son pouvoir de stocker les énergies renouvelables éolienne, photovoltaïque et hydroélectrique, lesquelles sont produites en discontinu, mais rarement aux moments de grosse consommation. L’enjeu est donc majeur au regard de la transition énergétique. Jusqu’alors, les seules solutions de stockage étaient les barrages hydrauliques et les stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP. La filière « power to gas » permettra un stockage massif, une activation flexible et une restitution polyvalente. Les énergéticiens tels qu’EDF, Engie ou Total s’y intéressent d’ailleurs aussi.
Lors de sa visite en Savoie en janvier dernier, Mme Brune Poirson a pu constater les avancées technologiques de l’entreprise Atawey. D’autres start-up sont aussi dans les starting-blocks, si je puis m’exprimer ainsi. (Sourires.) Des industriels sont prêts : je pense par exemple à l’entreprise H2V, qui a pour ambition de produire dans ses usines, à coût moindre que l’hydrogène gris, jusqu’à 200 000 tonnes d’hydrogène vert, de développer une véritable filière industrielle et de créer 12 000 emplois en France d’ici à 2025.
L’hydrogène entre dans une phase d’hypercroissance. Les entreprises, vous le voyez, attendent à présent des mesures pour les aider à industrialiser et à passer à l’échelle supérieure. Ce faisant, elles seront à même d’agir en faveur de notre balance commerciale, la fabrication locale d’hydrogène permettant de réduire l’importation de barils de pétrole.
Quels sont les besoins de ces entreprises ?
À la suite du plan Hulot, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe, a lancé de nouveaux appels à projets de territoire pour favoriser un déploiement plus vaste. De nombreux dossiers ont été déposés, mais les moyens mis à disposition ne sont pas à la hauteur de ce qu’il faut pour développer une filière. Ils semblent même bien en deçà des montants annoncés mi-2018.
Les surcoûts inhérents à toute nouvelle technologie restent élevés. Aussi, le plan doit absolument créer les conditions d’investissements industriels susceptibles de permettre la baisse des coûts, par complémentarité entre l’action publique et les porteurs de projets privés.
Il est également primordial d’étendre le travail de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, pour ce qui concerne l’hydrogène, dans le cadre de la PPE. Il semblerait que personne n’ait pris en main cette organisation de base pour que soient développés des prix encadrés et réglementés, indispensables pour les industriels.
De surcroît, il est nécessaire de diminuer le montant des taxes de transport de l’hydrogène vert. Au titre du CO2, des critères doivent être définis pour valoriser notre production française décarbonée face à d’autres entreprises étrangères. En ce sens, il pourrait être judicieux de mettre en œuvre un dispositif de garantie d’origine permettant de caractériser l’hydrogène renouvelable et son intérêt décarboné.
Au surplus, il est nécessaire d’accompagner la transformation des métiers par la formation continue, afin d’orienter les emplois existants des filières industrielles et techniques vers la filière hydrogène. Une entreprise française a déjà développé des programmes de formation spécifiques, en collaboration avec les régions et les universités, pour préparer la nouvelle « génération hydrogène » et relever les défis actuels.
Un dernier besoin consiste en l’accompagnement des élus pour la mise en place de cette nouvelle technologie et pour sa diffusion. Il faut donner l’envie aux territoires : voilà pourquoi il est indispensable de garantir un maillage suffisant des bornes et, par conséquent, leur développement. Ces dernières permettent une recharge des véhicules aussi rapide que de faire un plein en carburants classiques, à des coûts qui pourront être inférieurs. Leur déploiement permettra de résoudre la double équation du pouvoir d’achat et de la protection de notre environnement.
Pour conclure en quelques mots, si l’hydrogène est bel et bien une énergie d’avenir, s’il a toute sa place dans le mix énergétique en permettant le stockage de l’électricité renouvelable et une mobilité décarbonée, il est indispensable d’accélérer les démarches législatives et réglementaires pour permettre à nos industriels français de monter en puissance en la matière. Cette filière d’excellence, prête à se développer, ne doit pas nous échapper au profit de nos concurrents européens et internationaux. Aussi, nous regrettons vivement que le projet de loi d’orientation des mobilités ne soit pas plus audacieux au sujet de l’hydrogène, et qu’il se limite au déploiement des bornes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier les membres du RDSE de cette proposition de débat, qui porte sur une question tout à fait essentielle.
L’hydrogène est un enjeu décisif, non seulement pour l’industrie française et européenne, mais pour l’avenir de l’humanité, et même pour la survie de notre planète. Depuis quelque temps, nous effleurons ce débat fondamental, qui n’est peut-être pas mené avec l’ampleur et la profondeur nécessaires, tant il a d’importance.
La question est simple, et elle n’est pas sans conséquence : faut-il aller vers une économie décarbonée, vers une économie de l’hydrogène ? Face à l’urgence climatique, faut-il apporter des corrections à la marge ou nous donner une chance pour demain, en préparant cette mutation indispensable qu’est la décarbonation de notre économie ?
Les pays qui se préparent doivent dès maintenant promouvoir une authentique filière hydrogène, grâce à un plan d’investissements massifs à court, moyen et long termes. Il s’agit bien de fabriquer de l’hydrogène décarboné à partir d’énergies douces.
Rappelons tout de même que la mutation énergétique de l’hydrogène apporte ce qui manque cruellement aux énergies renouvelables : des capacités de stockage. La filière hydrogène peut permettre un développement inédit de ces énergies propres. Mais, à cette fin, il faut dès maintenant investir, et ce n’est pas un hasard si, dans son programme relatif à l’hydrogène, l’ancien ministre Nicolas Hulot avait réservé 100 millions d’euros par an pour engager des investissements massifs.
Madame la secrétaire d’État, je regrette que, après le départ de M. Hulot, votre ministère ait réduit drastiquement ces crédits, en les ramenant à 100 millions d’euros pour trois ans : vous faites ce choix au moment où la Californie prévoit 100 stations hydrogène pour 2020 ; au moment où le Japon crée un consortium de ses fabricants automobiles pour un passage rapide à l’hydrogène, dès les années qui viennent, même si l’hydrogène nippon est fabriqué en grande partie à partir d’énergies fossiles !
Nous prenons du retard, et c’est le précédent ministre qui avait raison : cette lenteur risque de se payer, non seulement écologiquement, mais aussi industriellement.
Lors de l’examen du projet de loi relatif au plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le projet de loi Pacte, je me suis exprimé au sujet des choix technologiques. Ces derniers doivent rester fondamentalement ouverts. Nous avons vécu le tout-diesel. Allons-nous connaître le tout-électrique, avec ses conséquences désastreuses pour l’environnement, qu’il s’agisse du coût des batteries, du recyclage ou de l’emploi des métaux précieux, et avec ses conséquences pour l’emploi ?
Selon l’institut FTI Consulting, un passage trop brusque vers l’énergie électrique réduirait le contenu des voitures à produire de 38 % pour les sous-traitants et de 17 % pour les constructeurs ! Certes, nous nous battons pour une usine européenne de batteries ; mais avouez que nous sommes loin du compte pour ce qui concerne l’emploi.
Garder des choix technologiques ouverts, c’est préserver les possibles, c’est refuser de se refermer sur une seule stratégie, c’est écarter des choix totalisants. Le moteur atmosphérique peut encore être dépollué très sensiblement et consommer beaucoup moins. L’électrique prendra une part, mais elle sera limitée. Prenons garde : la Chine va présenter un véhicule électrique à 8 500 euros, grâce à de nombreuses subventions d’État. Enfin, il y a l’hydrogène !
Or nous sommes en train de prendre du retard pour ce qui concerne la mise en place de la filière hydrogène, pour les transports, le chauffage, l’industrie, ou encore les entreprises électro-intensives. Tout doit donc être mis en œuvre pour combler ce retard.
Bien sûr, des choix de fiscalité doivent être opérés. On pourrait, par exemple, rétablir une plus forte fiscalité pour les plus fortunés, ou encore – le Gouvernement sera sans doute plus sensible à cette suggestion – baisser de 10 % à 20 % la fiscalité applicable à l’énergie hydrogène fabriquée à partir d’électricité renouvelable.
Vous le constatez, des idées, il y en a ! Elles proviennent directement d’industriels qui se préparent à la mutation énergétique vers l’hydrogène.
Les précédents orateurs l’ont rappelé : l’hydrogène est cher. Mais c’est l’avenir ! Madame la secrétaire d’État, ne retardez pas la décarbonation de notre industrie. Cette filière est un élément fondamental, avec l’industrie du futur, pour réindustrialiser la France, pour réindustrialiser l’Europe.
Nous pourrions consacrer à l’hydrogène un débat purement technique ; toutefois, il s’agit avant tout d’un sujet politique. Au lieu de courir après les mutations énergétiques, il faut les organiser, prendre de l’avance et avoir de l’ambition pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. « Je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. » Ainsi s’exprime, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Cyrus Smith, l’un des protagonistes du roman L’Île mystérieuse de Jules Verne, publié en 1875. On a du mal à croire que cette prémonition date d’il y a presque cent cinquante ans, époque à laquelle les moteurs à combustion interne étaient en pleine expansion.
Aujourd’hui, alors que nous nous demandons encore s’il est judicieux de développer les technologies autour du vecteur hydrogène, j’ai le sentiment que nous ne sommes plus capables d’audace scientifique ; que la capacité de rêver, propre à Jules Verne, s’est largement émoussée ; que l’enthousiasme suscité par la potentialité de découvertes disruptives s’est éteint. Pis, coincée entre les intérêts bien sentis que défendent les uns et les craintes peu propices au changement qu’éprouvent les autres, notre recherche semble au point mort, dans un champ pourtant désigné depuis des décennies comme l’avenir de notre production énergétique.
Après un siècle et demi d’exploitation industrielle du pétrole, dont on nous dit que les réserves mondiales s’amenuisent, nous devons nous interroger en profondeur : quelle est la meilleure source énergétique pour alimenter notre industrie, pour fournir la chaleur aux bâtiments publics et aux habitations particulières, pour faire fonctionner nos avions, nos bateaux, nos trains et nos automobiles – toujours plus nombreuses –, lesquelles provoquent une pollution atmosphérique qui n’est plus soutenable dans un certain nombre de mégalopoles ?
Partout dans le monde, à la fois pour des questions de ressources et pour des préoccupations environnementales, se profile une massification du véhicule électrique. Il nous faut réinventer notre production d’électricité : celle de demain ne ressemblera vraisemblablement pas à celle d’hier.
Dans cette perspective, la filière nucléaire, si caractéristique de l’indépendance énergétique de notre pays, a toute sa place : elle ne doit évidemment pas être abandonnée. Au contraire, nous devons consolider notre savoir-faire, qui progresse notamment avec l’émergence de nouveaux procédés de traitement des déchets radioactifs, et envisager de nouvelles unités de production, aux dimensions peut-être plus modestes que les précédentes.
Parallèlement, nous ne pouvons plus négliger, pour notre futur mix énergétique, ce pan entier que constitue l’hydrogène, élément à la fois si présent dans la nature et si difficile à isoler. La possibilité de le stocker et de le diffuser rapidement constitue des atouts indéniables.
Bien sûr, je ne méconnais pas les reproches qui sont adressés à la production d’hydrogène par reformage du méthane ou par électrolyse de l’eau. On dénonce, essentiellement, son bilan carbone aujourd’hui extrêmement défavorable. Mais des solutions de substitution se font jour : il s’agit par exemple d’associer en amont une méthanisation, qui est une réelle chance à saisir pour nos territoires et nos agriculteurs.
Je crois surtout que le génie humain est capable de surmonter ce type de difficultés. Encore faut-il déployer des moyens en adéquation avec les ambitions ; encore faut-il définir une véritable stratégie de long terme, susceptible d’enclencher, par une sorte de ruissellement, une véritable dynamique et, in fine, de donner les résultats attendus.
Notre gouvernement a bien proposé un plan Hydrogène : mais les ambitions de celui-ci sont trop modestes, et sa présentation en grande pompe n’a pas suffi à retenir durablement un ministre de la transition écologique et solidaire en proie aux doutes les plus profonds.
Avec 100 millions d’euros par an, pendant cinq ans, pour un chantier d’une telle ampleur, et comparativement à ce qui se profile dans d’autres pays, on ne peut raisonnablement pas imaginer que nous sommes engagés vers une véritable transition énergétique.
Quelques mois plus tard, le nouveau ministre de la transition écologique et solidaire a même envoyé un signal des plus négatifs en annonçant que l’on ne subventionnerait plus, désormais, que les projets les plus avancés. En d’autres termes, il nous a joué le tour de la poule et de l’œuf, preuve indéniable d’une incroyable frilosité et, pour tout dire, d’un manque de responsabilité politique.
La défiance qui s’exprime actuellement envers les élus nous ordonne d’assumer nos missions, de donner un cap au lieu de porter des coups, de mettre à profit l’expertise qui nous entoure plutôt que de la jeter aux orties.
Le projet de loi d’orientation des mobilités, que nous examinerons dans un mois tout juste, renforce d’ailleurs ce sentiment. À aucun endroit ce texte ne fait mention de l’hydrogène : il est orienté exclusivement vers le véhicule électrique à batterie, alors que nombre d’avis expriment nettement la nécessité de diversifier notre approche des futures mobilités propres.
Enfin, cessons de dire, à grands renforts médiatiques, que nous pouvons, seuls, bouleverser les choses et inventer un nouveau modèle énergétique. Dans trois mois se dérouleront des élections européennes. Je veux croire que les programmes prochainement dévoilés feront la part belle à un projet européen susceptible de rivaliser avec les grandes manœuvres observées, en particulier, en Chine.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé un Airbus de la batterie, avec une participation de 700 millions d’euros pour la France ; grand bien lui ferait de s’engager plus nettement encore sur la voie du développement de la filière hydrogène.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à ces conditions – elles sont lourdes et nombreuses, j’en conviens –, nous pourrons faire de l’hydrogène un acteur majeur de notre transition énergétique ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en prenant connaissance de l’intitulé de ce débat, « L’hydrogène, une énergie d’avenir », il m’a semblé qu’il y manquait au moins une chose : un point d’interrogation. (M. Jacques Mézard le concède.) Au temps de mes études, on me présentait déjà l’hydrogène comme l’avenir. Aujourd’hui, contrairement à l’époque, j’ai des cheveux blancs… (Sourires.) Beaucoup de temps a passé ! En définitive, l’hydrogène ne serait-il pas une solution d’avenir, et qui le restera longtemps ?
Il ne s’agit pas, bien entendu, de contester toutes les potentialités de ce vecteur énergétique, qui renferme trois fois plus d’énergie que l’essence, mais simplement de rappeler à quelles conditions et pour quels usages l’hydrogène pourrait être une réponse adaptée aux grands enjeux énergétiques et climatiques.
Tout d’abord, l’hydrogène ne sera une solution durable que si sa production est décarbonée. Nous en sommes encore très loin, puisque, aujourd’hui, 94 % de l’hydrogène produit en France l’est à partir d’énergies fossiles et que cette production représente environ 3 % des émissions nationales de CO2. Et, quand l’hydrogène est produit par électrolyse de l’eau, encore faut-il s’assurer que l’électricité est elle-même produite à partir de sources bas carbone, qu’il s’agisse du nucléaire ou d’énergies renouvelables.
En découle une autre question : celle de la compétitivité économique de cet hydrogène décarboné par rapport à l’hydrogène obtenu à partir d’énergies fossiles. Même si les technologies d’électrolyse progressent rapidement, les coûts varient encore du simple au double lorsqu’il s’agit de produire de grandes quantités, l’hydrogène propre n’étant aujourd’hui compétitif que pour certains usages industriels de niche.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement s’est fixé comme objectif d’incorporer 20 % à 40 % d’hydrogène décarboné dans l’hydrogène industriel d’ici à 2028, en mobilisant notamment 100 millions d’euros pour des appels à projets, et en instaurant une traçabilité de l’hydrogène décarboné. Mais ces mesures sont-elles vraiment à la hauteur du changement d’échelle espéré ?
En matière de stockage, le potentiel de l’hydrogène, notamment pour assurer le stockage saisonnier de l’électricité et répondre à l’intermittence des productions renouvelables, est souvent mis en avant. Dans ce domaine également, il faut rappeler que l’hydrogène est en concurrence avec d’autres technologies – je pense aux stations de transfert d’énergie par pompage, ou encore aux batteries, dont les coûts ne cessent de baisser. À moyen terme au moins, le stockage par hydrogène ne pourra répondre qu’à des situations très spécifiques, notamment dans les zones non interconnectées, avec des réseaux isolés ou présentant un fort taux d’intégration d’énergies renouvelables intermittentes.
De même, en matière de mobilité, l’hydrogène peut constituer l’une des solutions pour réduire nos émissions. Mais il viendra en complément des autres solutions que sont l’hybridation, la mobilité électrique et le bioGNV, et seulement pour les usages où il est le plus adapté, en particulier pour les transports lourds ou pour les flottes de véhicules, par exemple pour la livraison en milieu urbain.
Sur le segment des voitures particulières, l’électrification et le biogaz présentent, me semble-t-il, plus d’avantages que l’hydrogène, dont les surcoûts à l’achat et à l’usage – il faut toujours penser aux prix supportables pour les ménages et les familles ! –, dès lors que l’on voudrait s’approvisionner en hydrogène décarboné, restent élevés, et qui impose de respecter des conditions de sécurité strictes.
À travers son plan Hydrogène, le Gouvernement a affiché de grandes ambitions quant au nombre de véhicules déployés. La manière dont vous entendez favoriser concrètement le développement d’une gamme de véhicules lourds et accompagner les collectivités dans la mise en place de flottes territoriales n’apparaît pas clairement : mais sans doute pourrez-vous nous en dire davantage à ce propos dans quelques minutes, madame la secrétaire d’État.
Qu’il s’agisse de l’hydrogène ou des autres vecteurs énergétiques, il nous faut raisonner sans a priori, sans idéologie : la transition énergétique passera par une multitude de solutions, dont il importe de bien mesurer les avantages, les inconvénients, et surtout les coûts complets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, je tiens à remercier M. Corbisez et ses collègues du groupe du RDSE d’avoir demandé ce débat, qui porte sur un sujet important : la place de l’hydrogène dans notre politique énergétique.
L’hydrogène est important, car – de nombreux orateurs l’ont rappelé –, s’il est produit à partir de sources décarbonées, comme les énergies renouvelables, c’est un vecteur assez unique de décarbonation de l’économie. À ce titre, Mme Préville et M. Roux nous ont rappelé l’urgence à agir.
Au cours de ce débat, l’hydrogène a inspiré de nombreuses métaphores et un rappel à la littérature : ainsi, MM. Cazabonne et Piednoir ont cité Jules Verne. M. Gay a relevé que l’hydrogène n’est pas un élément miracle. C’est, d’une certaine manière, le couteau suisse de la transition énergétique. En effet, il contribue à la décarbonation de trois secteurs essentiels : ceux de l’industrie, de la mobilité et de l’énergie.
Nombre d’entre vous l’ont rappelé : nous avons la chance, en France, d’avoir des acteurs industriels de premier rang capables de s’imposer pour ce qui concerne les technologies de l’hydrogène décarboné. Nous avons la chance d’avoir des utilisateurs prêts à s’engager, dans l’industrie, dans la mobilité, ou encore dans l’énergie, que ce soit des entreprises, des laboratoires ou des collectivités. Certains d’entre eux le font déjà : M. Fouché a ainsi rappelé l’exemple d’Ariane.
Vous l’avez tous dit, le Gouvernement, sous l’égide de Nicolas Hulot, a publié, le 1er juin 2018, une feuille de route pour l’hydrogène. Il a présenté un plan ambitieux pour que l’hydrogène puisse prendre toute sa place dans la transition énergétique. Le fil directeur, c’est l’idée d’accompagner l’innovation, le développement des technologies et des usages, ainsi que leur déploiement, à la fois pour contribuer à la transition énergétique et pour permettre à nos acteurs de se placer sur un marché qui va devenir mondial.
Ce plan prévoit, ce depuis son lancement, 100 millions d’euros d’investissement, conformément aux ambitions initiales.
Les objectifs du plan Hydrogène ont d’ailleurs été confirmés, comme l’ont dit certains d’entre vous, dans le cadre du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie, ou PPE, à la fois dans l’industrie et dans la mobilité.
Ce plan repose sur trois axes : décarboner les usages existants de l’industrie, développer des usages pour la mobilité propre, et, à moyen terme, utiliser l’hydrogène dans le système énergétique. L’année 2019 sera bien celle de l’amorçage, qui permettra d’avancer – je peux vous rassurer sur ce point.
Le premier axe porte sur la production d’hydrogène par électrolyse pour l’industrie, phase d’amorçage de ce plan français.
L’hydrogène représente en France 3 % des émissions de CO2 et 26 % des émissions de l’industrie, car aujourd’hui, cela a été indiqué, 95 % de l’hydrogène utilisé est carboné. Les volumes d’hydrogène actuellement consommés sont importants, et la réduction de ces émissions est un enjeu majeur.
Notre objectif est d’amorcer le déploiement de la technologie de l’électrolyse en France, pour changer d’échelle en faisant baisser les coûts et en soutenant la montée en performance des électrolyseurs. Certaines technologies en la matière arrivent à maturité, mais elles restent encore chères : pour diminuer les coûts, il va par conséquent falloir changer d’échelle.
Sur certains segments, les technologies relatives aux électrolyseurs sont déjà proches de la compétitivité par rapport à l’hydrogène produit à partir de sources fossiles. Cela concerne notamment les petits industriels, dans les secteurs de la chimie, de la verrerie, dont les besoins sont relativement limités et auxquels l’hydrogène est aujourd’hui livré par camion.
Ce n’est pas pour autant un marché facile à développer, parce qu’il faut convaincre l’industriel d’investir dans un électrolyseur pour plusieurs années, ce qui suppose un changement de pratiques.
Pour atteindre les objectifs de décarbonation de l’État, un appel à projets sera bientôt lancé pour le déploiement et l’industrialisation de la production décarbonée d’hydrogène, en complémentarité avec les outils existants relatifs à la démonstration et à la recherche. Une aide de l’État permettra donc de surmonter la barrière que représente l’investissement prévu dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, le PIA.
Je veux aussi vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs : la PPE couvre bien le développement de l’hydrogène et la question de la garantie d’origine, qui est un sujet important.
Nous sommes, par ailleurs, attentifs à trouver un équilibre entre les usages diffus – industrialisation un peu plus compliquée –, proches de la compétitivité, et des usages plus massifs – dans les secteurs du raffinage, de la chimie –, pour lesquels la compétitivité est plus éloignée entre l’hydrogène produit selon la technologie classique carbonée et l’hydrogène vert de demain, mais les volumes plus importants permettront, nous l’espérons, de déployer de gros électrolyseurs, afin de développer les unités de production.
Enfin, je souhaite indiquer que le comité stratégique de filière sur les énergies renouvelables s’est emparé de la question de l’hydrogène et formulera prochainement des propositions en ce sens.
Le deuxième axe du plan Hydrogène soutenu par le Gouvernement concerne la valorisation par le biais des usages en matière de mobilité, en complémentarité des filières 100 % batteries. L’hydrogène est en effet l’une des solutions clés pour développer les mobilités propres, en complémentarité avec le biogaz et les batteries ; plusieurs d’entre vous en ont parlé.
L’hydrogène présente trois avantages majeurs pour les usages intensifs et dans les transports lourds. Le temps de recharge est réduit – trois minutes –, très comparable à un plein d’essence, l’autonomie est plus grande, comparable à celle des véhicules thermiques, enfin, le poids du véhicule est plus faible et l’encombrement est moindre.
Les axes de travail pour accélérer le déploiement de la mobilité à l’hydrogène sont les suivants : d’abord, développer des écosystèmes territoriaux de mobilité à l’hydrogène, notamment pour les véhicules professionnels – à l’heure actuelle, 5 000 véhicules utilitaires légers et 200 véhicules lourds sont équipés et la construction de 100 stations alimentées en hydrogène est prévue à l’horizon 2023. À moyen terme, nous tablons sur 20 000 à 50 000 véhicules utilitaires légers, 800 à 2 000 véhicules lourds et sur 400 à 1 000 stations à l’horizon 2028. Les exemples cités de Pau, de Dunkerque, et du Pas-de-Calais, en général, sont intéressants ; les perspectives sont très concrètes.
Vous le savez, un premier appel à projets a été lancé par l’Ademe, en octobre dernier : vingt-quatre projets ont été déposés et sont en cours d’instruction, afin que l’on continue à amorcer cette transition.
La mission du député Benoît Simian a permis d’engager une dynamique pour fixer une trajectoire de verdissement du parc ferroviaire. Les travaux sont aujourd’hui poursuivis par les collectivités et les industriels. Une accélération est souhaitée en l’espèce, mais comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, il existe un partenariat avec les collectivités territoriales. Si le recours à l’hydrogène peut être une bonne solution à la suppression du diesel, il nécessite l’investissement des régions en particulier.
Enfin, le troisième axe du plan Hydrogène concerne les perspectives de stockage des énergies renouvelables. Vous l’avez dit, l’hydrogène produit par électrolyse est, à long terme, une solution structurante pour l’intégration des énergies renouvelables au système électrique, notamment en tant que moyen de stockage massif des énergies intermittentes et de stockage massif intersaisonnier.
L’électricité est ainsi stockée sous forme d’hydrogène qui peut être soit valorisé directement, soit injecté dans les réseaux gaz, soit injecté sous forme de méthane de synthèse dans les réseaux gaz après recombinaison de l’hydrogène avec du CO2 par le procédé de méthanation. La complémentarité de ce procédé avec la méthanisation classique a été évoquée.
Les réseaux de gaz représentent donc un moyen de stockage de l’électricité et l’hydrogène permettant d’optimiser et de mutualiser le système énergétique.
Par ailleurs, les besoins de flexibilité émergent d’ores et déjà dans les zones ayant des taux de déploiement d’énergies renouvelables intermittentes importants. Je pense en particulier aux zones non interconnectées, les ZNI – l’exemple intéressant du microgrid de La Réunion a été cité. Du fait de la structure des coûts dans ces zones, le stockage et la flexibilité permis par l’hydrogène peuvent trouver plus facilement une valeur environnementale et économique compétitive.
Ces interactions entre électricité et gaz offrent de nouvelles perspectives, à moyen et à long termes, pour ces deux secteurs, mais aussi pour l’industrie. Le « power to gas » constitue une opportunité de décarboner les réseaux de gaz et encourage le développement des énergies renouvelables électriques – le démonstrateur de Cappelle-la-Grande a été évoqué –, et n’oublions pas la méthanation, dont je viens de parler.
Nous travaillons pour préparer l’utilisation d’hydrogène dans les systèmes énergétiques. Il convient d’identifier le mieux possible les services rendus par l’hydrogène et les moyens existants ou à mettre en place pour valoriser ce type de service. Une mission est en cours à RTE et Enedis en métropole pour déterminer les business models de l’hydrogène. Il faut également définir les besoins dans chaque zone non interconnectée pour ce qui concerne le stockage par hydrogène.
Nous allons lancer des expérimentations dans ces zones non interconnectées pour y développer au plus vite l’hydrogène et les électrolyseurs.
De plus, afin de préparer l’arrivée du procédé « power to gas », nous avons confié aux gestionnaires d’infrastructures gazières – GRTGaz, GRDF et Storengy – la mission de déterminer les conditions techniques et économiques, dont celles qui sont relatives à la sécurité, évidemment fondamentales. Le rapport intermédiaire confirme d’ores et déjà les premières conditions d’injection envisageables, avec un rapport final prévu cet été.
Au-delà des axes sectoriels que je viens de vous présenter, nous travaillons avec les différents acteurs de la filière à des engagements pour la croissance verte qui devront permettre, d’abord, de valoriser et de faire connaître les actions en cours de la filière française de l’hydrogène, dite « Équipe de France Hydrogène », car il est très important de valoriser l’action menée en France et à l’international, ensuite, de faciliter le déploiement de la filière hydrogène avec un travail sur les freins à lever – c’est ce qui a lieu dans le comité stratégique de filière –, enfin, d’avoir des engagements concrets des acteurs français de l’hydrogène, en complément à ceux de l’État pris dans le plan considéré.
Ce travail encourage les acteurs de l’hydrogène à se regrouper pour faire émerger les nouveaux usages, les technologies, les produits et les services indispensables à la réussite du plan.
J’ai bien noté les propositions formulées en matière de financement et de garanties qui pourront effectivement enrichir ces travaux. Je tiens à vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs : le développement de l’hydrogène, comme celui des autres énergies renouvelables, sera au service de notre objectif « zéro émission nette » en 2050, soit une division par huit de nos émissions de carbone, avec une partie compensation extrêmement limitée. Il n’y a aucun recul.
En conclusion, le plan Hydrogène n’est qu’un début. Il traduit une ambition. Il n’est pas figé, il n’est pas non plus fini, car nous devrons le faire vivre collectivement, avec tous les acteurs. C’est un accélérateur de la transition écologique, dans l’industrie, dans l’énergie et dans les mobilités. C’est donc aussi un élément de réponse aux enjeux de notre pays.
L’enjeu est grand, le potentiel existe. Nous allons agir ensemble pour relever ce défi ! Vous avez dit à quel point vous serez attentifs, mesdames, messieurs les sénateurs. Vous avez raison : nous rendrons compte régulièrement des progrès accomplis en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’hydrogène, une énergie d’avenir. »
4
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, lors du scrutin n° 57 sur la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires, Mme Valérie Létard a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur le sénateur. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)
PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
6
Fracture numérique et inégalités d’accès aux services publics
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la fracture numérique et les inégalités d’accès aux services publics.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe auteur de la demande.
M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aimerais pouvoir vous dire qu’il s’agit du dernier débat sénatorial sur la fracture numérique auquel nous participons aujourd’hui. Malheureusement, nous savons tous que ce n’est pas le cas.
Le Sénat continuera d’aborder cette question, d’abord parce qu’il a chevillé au corps tout ce qui a trait à l’aménagement du territoire, mais surtout, parce que, malgré les efforts réels des gouvernements qui se succèdent, nous sommes face à une révolution qui, comme le chemin de fer en son temps, se déroulera sur plusieurs décennies.
Comme le chemin de fer, donc, comme tout progrès en somme, le numérique entraîne son lot d’externalités, tantôt positives, tantôt négatives. Et c’est exactement le sujet d’aujourd’hui : à mesure qu’une technologie se développe, des usages se développent eux aussi. Puis ce sont les comportements qui évoluent : e-commerce, télétravail, coworking, télémédecine, tous ces phénomènes ont une incidence directe sur l’aménagement du territoire.
Bien sûr, la dématérialisation ne fait pas exception, ce qu’a voulu nous dire le Défenseur des droits, dans son rapport du 17 janvier 2019 intitulé Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics.
Voilà la genèse de ce débat sur la fracture numérique et les inégalités d’accès aux services publics. Pour le groupe Les Républicains, qui en est à l’origine, il paraît plus que nécessaire, à l’aune de ce rapport, que le Gouvernement dévoile sa stratégie.
Mais que dit en substance ce document ? Son postulat de départ est sans équivoque : l’essor des téléprocédures dans les services publics est un progrès pour l’accès au droit. Le rapport commence par cette affirmation : au moment où les transformations de l’organisation de l’État, mais également des collectivités territoriales, des organismes de protection sociale, ou encore du système de santé, se traduisent par un recul de sa présence au plus près des usagers, cette révolution numérique offre de nouveaux moyens d’accès aux services publics.
Certains répondront avec malice que le numérique n’est pas uniquement l’une des conséquences de la restructuration de l’État, mais qu’il peut être aussi l’une de ses causes. Ne sachant pas qui, de l’œuf ou de la poule, est arrivé en premier, je ne trancherai pas.
Quoi qu’il en soit, l’apport de la dématérialisation à l’amélioration de l’accès aux services publics est incontestable. Pour s’en convaincre, je donnerai d’abord quelques chiffres.
En 2017, plus de 20 millions de foyers fiscaux ont déclaré leurs revenus en ligne, soit 2,4 millions de foyers fiscaux supplémentaires par rapport à 2016. Près de 90 % des utilisateurs se déclarent satisfaits de ce service. Enfin, les services numériques des administrations sont jugés en avance ou au même niveau que les services des entreprises privées par 70 % des Français.
Je prendrai maintenant un cas pratique. Aux termes d’une étude du ministère des solidarités et de la santé, la dématérialisation s’est révélée un facteur d’amélioration de l’accès à la prime d’activité, avec un taux de recours élevé, estimé à 73 %, dépassant de 23 % les projections initiales.
Le rapport détaille enfin sous quelles conditions la dématérialisation est une avancée pour l’accès aux services publics : elle doit s’inscrire dans une démarche large portant sur les simplifications possibles des procédures administratives et sur les capacités qu’offre la technologie pour repérer et résoudre les situations de non-recours.
J’en arrive au deuxième grand point du rapport précité. Il existe des fractures sociales et territoriales qui aggravent, via la dématérialisation, les inégalités d’accès aux services publics. Qui peut croire que la dématérialisation est indolore lorsqu’on est situé en zone blanche ? Je ne reprendrai pas à mon compte la liste des communes concernées, identifiées par arrêté, car je crois le problème beaucoup plus profond.
Les zones blanches et ces quelques communes officielles ne sont que la face émergée de l’iceberg. Une statistique me semble éloquente pour rendre compte de la fracture territoriale. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, plus d’un tiers des habitants n’ont pas accès à un internet de qualité, ce qui représente près de 75 % des communes de France et 15 % de la population. Bien sûr, les territoires ruraux et les territoires ultramarins arrivent en tête.
Le rapport du Défenseur des droits ne s’arrête pas à cela. Bien qu’elle n’ait pas de lien direct avec la fracture territoriale – quoique –, il rappelle que la dématérialisation accroît les inégalités du fait de l’inaccessibilité financière aux abonnements à internet et au matériel informatique : ordinateurs, imprimantes, scanners ou smartphone.
La dimension sociale rejoint souvent la dimension territoriale. Ceux de nos concitoyens qui éprouvent le plus de difficultés résident souvent dans les territoires enclavés ou insulaires.
Enfin, les inégalités d’accès aux services publics se nourrissent des obstacles techniques, voire du défaut de conception ou d’ergonomie des sites et des procédures dématérialisées, sans oublier les problèmes liés au paiement dématérialisé.
Si les sources de ces inégalités sont nombreuses, les publics victimes de ces difficultés sont, eux aussi, très nombreux et variés. On parle alors de fracture sociale et culturelle.
Autre statistique éloquente du document susvisé, le taux de connexion à internet varie de 54 % pour les non-diplômés à 94 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur.
Je n’en dirai pas davantage sur le rapport du Défenseur des droits dont l’examen minutieux me conduirait à dépasser le temps de parole qui m’est imparti.
En définitive, qu’en retenir ? Quel lien y a-t-il entre dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics ? La réponse a été rapide à trouver et je la résumerai en une phrase : oui, la dématérialisation des démarches administratives crée des inégalités d’accès aux services publics, mais ces inégalités sont le fait de la fracture numérique et non de la technologie en elle-même.
Oui, il est possible de développer du numérique inclusif ; le seul tort de la technologie est de donner une opportunité à l’administration de masquer son approche budgétaire et comptable en invoquant la modernité et la qualité du service public ; mais rien de plus !
Les administrations ont, elles aussi, une petite part de responsabilité, mais, à leur décharge, elles évoluent dans un cadre budgétaire contraint, et le développement des téléprocédures a été un véritable mirage comptable pour elles. Pensons que, depuis 2013, a eu lieu le choc de simplification, puis le programme de transformation de l’administration, baptisé « Action publique 2022 », a été lancé en octobre 2017 et le 13 septembre 2018, M. le secrétaire d’État chargé du numérique, aujourd’hui au banc des ministres, a présenté le plan national pour un numérique inclusif, afin d’aider les 13 millions de Français souffrant d’illectronisme.
C’est indiscutable, l’administration a pris la mesure des inégalités entraînées par la dématérialisation. Elle apporte des réponses à la fracture sociale qui accroît les inégalités. Je pense aux inégalités liées à l’accessibilité financière au numérique, ou encore aux usages, notamment pour les personnes âgées.
Mais je ne crois pas que la fracture territoriale, elle aussi source d’inégalités dans l’accès aux services publics, soit pleinement appréhendée. Chaque mois, de nouvelles téléprocédures apparaissent, de telle sorte que la fracture territoriale devient de plus en plus insupportable.
Alors oui, il est loisible, pour le Gouvernement, de prendre les mesures d’urgence, notamment sur recommandation du Défenseur des droits. Mais si la fracture sociale et culturelle peut trouver des réponses par le biais d’un accompagnement – favoriser l’usage d’un identifiant unique, renforcer la formation initiale et continue des travailleurs sociaux et des agents d’accueil des services publics à l’usage numérique, créer une clause de protection des usagers en cas de problème technique –, la lutte contre la fracture numérique ne peut faire l’économie de mesures beaucoup plus profondes. Je suis sensible, par exemple, à la proposition du Défenseur des droits de voir adopter des dispositions législatives.
Lutter contre la fracture numérique avec cette seule mesure et l’unique concours des maisons de services au public, les MSAP, qui, soit dit en passant, doivent être renforcées, est un coup d’épée dans l’eau !
Mme la présidente. Mon cher collègue, il vous faut conclure !
M. Patrick Chaize. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que peut-on faire pour la téléphonie mobile depuis le lancement du new deal ?
Voilà quelques jours, le Président de la République, sous la pression des élus exaspérés, annonçait vouloir mettre la pression à son tour sur les opérateurs. Cette déclaration correspond-elle à un changement de braquet ? Doit-on s’attendre à des changements sur le statut de zone fibrée ? Qu’attend le Gouvernement pour rouvrir le guichet du plan France très haut débit ? Enfin, ultime question, pendant encore combien de temps allons-nous accepter que des principes aussi élémentaires que celui de l’égalité devant le service public soient bafoués ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier d’avoir pris l’initiative de ce débat sur le numérique, sujet ô combien important et sur lequel Mounir Mahjoubi et moi-même sommes pleinement engagés depuis près de deux ans.
Contrairement à une idée reçue, le numérique n’a pas constitué, jusqu’à présent, un facteur permettant de limiter la fracture territoriale. Bien au contraire, il s’avère être, à l’instant où je vous parle, un facteur d’aggravation de cette fracture. C’est un constat qu’il nous faut partager : trop souvent, on s’est dit que, grâce au numérique, on trouverait des solutions pour, ici, améliorer un service public, là, apporter un élément de réponse au sentiment de relégation ou d’abandon.
La réalité est tout autre. Aujourd’hui, le numérique a accentué les fractures territoriales, et ce pour une raison très simple : vous ne connaissez pas d’égalité d’accès au numérique en fonction du territoire où vous vivez.
J’en veux pour preuve de nombreuses décisions prises au cours de ces dernières années, ou même de ces derniers mois.
Le Parlement a ainsi récemment adopté une loi permettant de rendre opposable le télétravail. Désormais, la loi offre la possibilité à un salarié de demander à son employeur le droit de pratiquer le télétravail. Toutefois, seule une personne sur deux a accès, dans notre pays, au bon débit ou au très haut débit ; par conséquent, une personne sur deux est incapable de bénéficier de cette avancée.
De la même manière, Mounir Mahjoubi affronte tous les jours le problème de l’illectronisme : à l’heure actuelle, 13 millions de nos concitoyens sont éloignés de l’usage du numérique.
Que faut-il faire face à ces problèmes ? Comment peut-on concilier – c’est la question posée par M. le sénateur Patrick Chaize – la dématérialisation et l’accès aux services publics ?
Tout d’abord, il faut considérer, dans un projet politique, que le numérique et la téléphonie mobile de bonne qualité sont non pas des luxes, mais un droit.
Ensuite, avec une grande détermination, il faut développer les infrastructures partout sur le territoire où elles sont nécessaires.
Concernant le déploiement du numérique, vous le savez, nous nous sommes fixé des objectifs. Le premier d’entre eux est d’apporter à tous nos concitoyens du bon débit d’ici à 2020. Le second est de leur offrir du très haut débit – soit un minimum de 30 mégabits par seconde – d’ici à 2022.
À cette fin, depuis presque deux ans, nous avons déployé une méthode spécifique : à la fois, sécuriser le cadre législatif – ainsi, nous n’avons pas remis en cause les réseaux d’initiative publique, que certains décriaient abondamment, mais que nous avons choisi de consolider – et accélérer le déploiement des financements. Plusieurs centaines de millions d’euros ont été engagées au titre du plan très haut débit depuis janvier 2018. Par ailleurs, la première enveloppe de ce plan a été sécurisée.
Notre méthode passe également par une transparence largement accrue. Nous avons rendu contraignants les engagements souscrits par les opérateurs du déploiement de la fibre.
Les chiffres dont nous disposons quant à l’ensemble de l’action que nous avons menée montrent que, depuis le 1er janvier 2018, 11 000 lignes à très haut débit FTTH – Fiber To The Home – ont été raccordées ou sont rendues raccordables chaque jour ouvré. On avance donc très vite et avec beaucoup de détermination.
Venons-en au détail. Dans les zones très denses, on ne rencontre pas de difficultés ; d’ici à la fin de cette année, toutes ces zones devraient a priori être couvertes.
Les zones dites AMII connaissaient quant à elles un problème spécifique : les engagements pris par les opérateurs dans ces zones n’étaient pas contraignants. Citons la loi Montagne et le fameux article L. 33–13 du code des postes et des communications électroniques. Ce point a été modifié par voie législative. Dorénavant, les engagements pris par les opérateurs dans ces zones sont contraignants et contrôlés par l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques. Cela aussi permet d’accélérer le déploiement.
Restent les zones relevant des réseaux d’initiative publique, dites zones RIP. M. le sénateur Chaize, avec lequel nous échangeons avec un plaisir extrême de manière presque quotidienne, met en avant plusieurs interrogations et points d’attention concernant ces zones. Les nouvelles procédures que nous avons permises pour accélérer le déploiement dans ces zones, dites « procédures Amel », ne sont absolument pas obligatoires, mais elles fonctionnent bien dans un certain nombre de territoires.
Vous avez également évoqué, monsieur Chaize, dans votre propos introductif, la fameuse réouverture du guichet. Nous avons, pour notre part, pris l’engagement d’analyser au cours de 2019, soit dans les dix prochains mois, l’ensemble des besoins, afin que des financements puissent être débloqués à destination des phases ultérieures des RIP, entre 2023 et 2025. Nous procédons actuellement à cette évaluation, afin de pouvoir prendre au plus vite les autorisations d’engagement qui sont nécessaires ; ainsi sera réalisée la réactivation pleine et entière de ce guichet, que vous appelez de vos vœux.
Vous avez enfin évoqué le sujet ô combien important de la téléphonie mobile. Il n’est pas acceptable, pour la vitalité et l’attractivité de nos territoires, pour que les enfants de la République continuent à habiter dans certains territoires, que votre téléphone portable n’affiche pas toutes les barres disponibles. Aujourd’hui, il est trop souvent nécessaire d’aller au fond du jardin et de lever la jambe droite, le pied gauche pour espérer pouvoir capter un réseau sur son téléphone ! (Sourires et marques d’approbation sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Cela n’est plus supportable !
L’origine de ce problème est la suivante : jusqu’à présent, lorsque l’État octroyait les fréquences, cette fameuse électricité dont les opérateurs ont besoin pour fonctionner, il les mettait aux enchères. On demandait ainsi aux opérateurs toujours plus d’argent, qui aboutissait dans le budget de l’État. Or les opérateurs, après avoir remporté ces enchères, recherchaient la rentabilité de leurs opérations et se concentraient donc sur les zones les plus denses. Nous avions nous-mêmes organisé leur concentration de facto sur ces zones !
Voilà ce que Mounir Mahjoubi et moi-même avons changé en janvier 2018 lorsque nous avons conclu le new deal qu’évoquait M. Chaize. Nous avons déclaré aux opérateurs que les fréquences qui seraient octroyées à l’été 2018 le seraient sur le fondement, non pas d’enchères, mais d’engagements contraignants et contrôlés par l’Arcep de déploiement d’infrastructures dans les territoires les plus ruraux.
Depuis le 1er janvier 2018, environ 3 500 points fixes sont passés des anciennes générations aux nouvelles générations d’antenne ; d’ici à la fin de 2020, ce sera le cas de 10 000 antennes.
En outre, 600 zones blanches ont été identifiées l’année dernière et feront l’objet d’un traitement spécifique, soumis à un engagement contraignant, dans un délai de douze ou de vingt-quatre mois, selon que le terrain sera, ou non, mis à disposition par la collectivité locale.
Cette année, 700 nouveaux sites qualifiés de zones blanches seront identifiés ; nous y travaillons en donnant le choix de ces identifications aux opérateurs, comme cela se faisait auparavant, mais aussi aux collectivités locales.
C’est ainsi que, chaque année, on traitera entre 600 et 800 zones blanches de manière très déterminée, avec un volet contraignant : ces accords sont signés sous le sceau de l’Arcep, gendarme des télécoms, qui vérifiera si ces engagements sont tenus et pourra prendre des sanctions s’ils ne le sont pas.
Un déploiement très important est également engagé sur les axes routiers ; un autre, tout aussi important, sur les axes ferrés.
Un deuxième grand axe de notre débat, sur lequel je le suppose, beaucoup de vos questions porteront, mesdames, messieurs les sénateurs, concerne l’utilisation de ces infrastructures. Une fois qu’elles sont construites, comment faire pour renforcer l’usage ? C’est tout l’objet du travail engagé par Mounir Mahjoubi : déterminer comment lutter avec efficacité contre l’illectronisme sans pour autant considérer que le numérique et la dématérialisation seraient la solution miracle à tous les problèmes d’accessibilité.
En conclusion, je tiens à réaffirmer ma conviction absolue qu’il faut partir des territoires et des projets territoriaux. Les maisons de services au public, ou MSAP, que j’ai beaucoup défendues, sont de très bonnes structures, mais dans certains endroits seulement. Leur forme même dépend des territoires. Ailleurs, il faudra trouver autre chose. En somme, il faut se fonder sur les réalités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Je sais bien que la tendance du nouveau monde est à la numérisation des services publics. De fait, celle-ci constitue une formidable opportunité de simplification des démarches administratives.
Nombreux sont ceux qui ont l’impression de ne pas parler le même langage que l’administration et qui se découragent devant la multiplicité et la complexité des démarches, allant parfois jusqu’à renoncer aux droits qui leur sont dus. Nombreux sont ceux qui bénéficieront de cette formidable possibilité de réaliser leurs démarches administratives à toute heure du jour ou de la nuit, sans attendre une RTT ou poser une demi-journée de congé.
Mais c’est une lame à double tranchant. La technologie numérique ne doit pas être un outil d’amoindrissement du service public et d’économies de bouts de chandelle au détriment des plus fragiles.
L’enquête du Défenseur des droits sur les impacts de la numérisation des services publics a révélé en juin dernier que celle-ci ne rend pas service à ceux qui en auraient le plus besoin lorsqu’elle se substitue à l’accueil humain. Elle revient alors à ériger un nouveau fossé entre l’administration et les citoyens.
Numérisation ne doit pas rimer avec désertification, car internet n’est qu’un outil qui ne peut se substituer intégralement à l’humain.
Tel est le cas, tout d’abord, parce que 8 % des Français, soit plus de 5 millions de nos compatriotes, n’ont pas accès à internet, mais aussi parce que des millions d’autres ne sont pas suffisamment familiarisés avec cet outil ou ne sont pas en mesure de l’utiliser seuls.
Aussi, la numérisation progressive de l’administration doit être accompagnée par des agents répartis le plus finement possible sur le territoire. Quoi de plus efficace, pour ce faire, que les mairies de nos 36 000 communes, qui sont le maillage le plus fin possible du territoire ?
On pourrait imaginer – cela a même déjà eu lieu – des permanences hebdomadaires ou plurihebdomadaires, assurées par des agents et des travailleurs sociaux. On accompagnerait ainsi toutes celles et tous ceux qui ne sont pas en mesure d’effectuer seuls leurs démarches en ligne.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : quelles assurances et quels moyens pouvez-vous donner pour garantir, dans toutes les communes de France, un accompagnement humain et de proximité au service public dématérialisé ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Pendant ce débat, de nombreuses questions aborderont le sujet visé sous différents angles. Je me permettrai donc, à chaque fois, d’apporter des réponses qui n’en couvriront pas la totalité, mais qui concerneront un point précis.
Monsieur le sénateur, vous me posez une question sur la numérisation des services publics. Vous avez rappelé que, pour beaucoup de Français, l’outil numérique, quand on sait l’utiliser, qu’il fonctionne bien et qu’on a accès au réseau, est une révolution.
C’est le cas pour les cartes grises, si on sait se connecter à internet…
M. Joël Bigot. Et si on ne sait pas ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. … et que l’on ne rencontre aucun bug. Chaque année, plusieurs millions de cartes grises sont obtenues par ce biais ; en revanche, quelques milliers de nos concitoyens connaissent des difficultés et il faut dans ce cas que nous soyons capables d’être présents.
Rappelons que les services publics numériques apportent un bien-être dans la vie. Cependant – vous savez que cela a été une de mes inquiétudes dès mon arrivée au Gouvernement –, selon des analyses et des rapports que nous avons nous-mêmes produits, 20 % des Français sont confrontés à une difficulté majeure dans le domaine du numérique ; pour eux, il faudra toujours que l’on apporte des solutions.
Le Président de la République nous a fixé un objectif : permettre que 100 % des services publics soient disponibles en ligne d’ici à 2022. Cela ne signifie surtout pas que tous les services publics deviendront numériques à 100 %. Ce n’est pas la même chose ! Cela implique simplement qu’ils seront tous disponibles en ligne.
Mais nous avons rappelé que, pour tous les services publics qui seront disponibles en ligne, il y aura la chaleur d’un être humain pour accompagner. (Sourires.)
M. Jean-François Husson. C’est beau, mais c’est moins simple !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. Il s’agit d’être là pour ceux qui ne savent pas du tout se servir du numérique, ou pour ceux qui ont besoin d’être orientés.
C’est aussi le travail qu’ont mené les équipes de la mission Société numérique, toute l’année dernière, en collaboration avec les départements et les régions de France : déterminer, en toute finesse, qui sont ces oubliés du numérique. Quels sont ceux qui n’ont pas le réseau ? Quels sont ceux qui n’apprendront jamais ? Quels sont ceux que l’on peut former ? Enfin, quels sont ceux qui, mieux encore, peuvent profiter de cet apprentissage du numérique pour en retirer une compétence personnelle ?
Nous reviendrons sur chacun de ces points à l’occasion des prochaines questions, mais je répète que nous partageons trois convictions : quand le numérique fonctionne, il faut l’utiliser ; il faut être très présents pour ceux qui ne le maîtrisent pas ; enfin, pour celui qui est perdu, on ne remplacera jamais un être humain.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas tout à fait répondu à ma question. Vous venez de terminer votre propos en affirmant qu’on ne remplacera jamais l’être humain. Or on le constate bien, sur l’ensemble des territoires, tel n’est pas le cas. J’en veux pour exemple les MSAP. Certes, ce sont de jolis outils, mais en vérité, faute de présence humaine, d’accompagnement, de moyens, ils ne fonctionnent pas. Les MSAP peuvent être un plus, elles peuvent être intéressantes, elles peuvent apporter un service supplémentaire, mais à la condition qu’on leur consacre un minimum de moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Joël Bigot. Cela a été dit : deux Français sur dix demeurent éloignés de l’outil numérique, soit parce qu’ils n’y ont pas accès, soit parce qu’ils n’en maîtrisent pas les usages. En parallèle, la dématérialisation des services publics, si elle répond à un besoin d’efficacité et d’efficience que nul ne conteste, ne doit pas entraîner une déresponsabilisation des pouvoirs publics renvoyant à la sphère associative l’accompagnement des usagers.
Le rapport récent sur le sujet du Défenseur des droits sonne l’alerte et relève très justement le risque de privation de droits liée à la déconnexion ou à l’illectronisme des usagers.
Il faut donc conserver une présence physique du service public, car elle est conforme au principe constitutionnel d’égalité devant le service public.
L’association Emmaüs Connect, très impliquée dans l’inclusion des plus fragiles, estime qu’il faudrait un milliard d’euros, sur sept ans, pour financer l’inclusion numérique, tandis que le Gouvernement prévoit de mobiliser à peine 100 millions d’euros. Est-ce bien suffisant, au regard du risque de décrochement numérique, aussi bien en ville qu’en zone rurale ?
Par ailleurs, le développement de ce qu’il est convenu d’appeler les smart safe cities, ou villes sûres et intelligentes, comme Angers, va transformer profondément nos services publics par la numérisation généralisée. Il faudra bien sûr veiller à l’inclusion sociale et technologique des habitants.
Aussi la numérisation pose-t-elle également la question de la souveraineté, ce qui avait bien été mis en exergue par le rapport parlementaire de M. Luc Belot, paru en avril 2017.
En effet, la mise à disposition de data – données stratégiques utilisées par des applications en tous genres – pourrait, à terme, déposséder les collectivités de leurs services publics locaux.
Devant cette nouvelle menace de fracture numérique, l’État prévoit-il d’attribuer des aides financières spécifiques aux collectivités, afin de les accompagner dans la création de logiciels interopérables, de leur permettre ainsi de conserver la maîtrise de leurs données, et d’éviter une privatisation rampante de nos villes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, prolongeons cette discussion sur le diagnostic et venons-en à la méthode.
Depuis deux ans, le sujet de l’inclusion numérique des plus éloignés est une priorité du Gouvernement. Une méthode que nous avons adoptée très tôt part du principe qu’aucune solution venant d’en haut ne peut fonctionner.
Pendant près d’un an et demi, nous avons travaillé avec l’Assemblée des départements de France et avec de nombreux présidents de département, qui sont venus eux-mêmes participer aux groupes de travail, ainsi qu’avec l’Association des régions de France.
Nous avons aussi travaillé avec la coopérative MedNum. En un an, elle a réuni autour d’elle tous les acteurs de la médiation numérique qui opèrent sur le territoire : Emmaüs Connect, que vous avez évoqué, la Ligue de l’enseignement, ou encore tous ceux qui, dans tous nos territoires, créent des points de formation, d’accueil et de transmission de compétences, tous ces acteurs qui constituent le maillage social et associatif de notre pays. Et c’est tous ensemble que nous avons construit, pendant cette année, la stratégie nationale pour un numérique inclusif.
Cette stratégie met en valeur l’idée selon laquelle chaque territoire doit recevoir une réponse particulière, parce que tous les territoires n’ont pas les mêmes besoins.
Précédemment, on rappelait que deux Français sur dix sont exclus d’internet. Malheureusement, dans certains départements, cette proportion s’élève à quatre Français sur dix. Dans ce cas-là, il faut une mobilisation différente.
Lors de l’élaboration de cette stratégie, nous nous sommes posé la question du financement et de la compétence en la matière. La compétence numérique inclusive est à la fois la plus partagée et la moins financée : elle relève de la compétence du département, de la compétence de la région, de la compétence de l’État, de la compétence de tous ceux qui sont en train de transformer le monde autour de nous.
Une autre étude qu’il est important de noter est celle que j’ai commandée à France Stratégie. J’ai demandé à cet organisme d’estimer combien cela coûte à une personne de ne pas savoir utiliser le numérique et combien cela coûte à la France. En effet, si vous êtes dans ce cas, il n’y a pas que les services publics numériques qui vous sont rendus inaccessibles, mais aussi les services offerts par le privé. Quand on ne sait pas utiliser internet, on est moins informé. Quand on ne sait pas utiliser internet, on communique moins avec son entourage. Quand on ne sait pas utiliser internet, c’est la double peine, et on paye tout plus cher : statistiquement, dès que les Français achètent un objet d’une valeur supérieure à 100 euros, ils comparent toujours en ligne.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, il faut conclure !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. On souffre de tous ces éléments à la fois. Je reviendrai dans un instant sur les différentes réponses que nous avons apportées à l’échelon territorial et sur le financement.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. J’avais posé des questions sur le détournement des données qui pouvaient être collectées par les collectivités locales, notamment les data. Je pense que vous aurez l’occasion de répondre sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. Là aussi, beaucoup de gens s’autocensurent dans l’utilisation des services numériques, tout simplement parce qu’ils ne sont pas familiarisés avec cet outil. Or face à l’explosion des données qu’on observe aujourd’hui, des personnes restent véritablement en retrait. Cela risque de créer des citoyens de seconde zone.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. S’il est un sujet qui continue de préoccuper particulièrement les Français et dont les imbrications avec le numérique se font de plus en plus prégnantes, c’est bien la santé.
Numérique et santé sont, en effet, de plus en plus indissociables.
Utilisées à leur plein potentiel, les nouvelles technologies contribueraient – le conditionnel est important – à améliorer l’innovation, la recherche et le parcours de soins, et à réduire la fracture territoriale par un meilleur accès aux soins, notamment grâce à la télémédecine, dans toutes ses composantes, de la téléconsultation à la téléexpertise.
Les ambitions de la France en la matière sont immenses, de même que ses atouts, avec un système de santé de qualité reconnu dans le monde entier. Mais le déploiement de la télémédecine se heurte encore à plusieurs difficultés, notamment, au manque d’efficience du réseau sur certains territoires.
Dans le Grand Est, par exemple, nous avons lancé un plan massif visant à doter de la fibre optique, d’ici à 2023, chaque habitation de la région.
Au-delà du déploiement du très haut débit, les professionnels de santé éprouvent néanmoins des difficultés à s’organiser. Seuls 35 % d’entre eux disent connaître correctement les technologies de santé connectée. Ils ont besoin de plus d’ingénierie, de plus d’accompagnement et de plus de formation pour mettre en place les outils et les organisations nécessaires et ainsi faire profiter pleinement leurs patients des atouts du numérique.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les ambitions de l’État en la matière et quels sont les moyens que vous comptez déployer pour y parvenir ?
Le second point de ma question concerne le remboursement de la téléconsultation.
J’ai soutenu le basculement de la téléconsultation dans le droit commun, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, et j’ai salué la déclaration du directeur de la caisse nationale d’assurance maladie relative à la signature de l’avenant : « Tout assuré, quel que soit son lieu de résidence, et tout médecin, quelle que soit sa spécialité, pourra y recourir. » Je considère toujours cette mesure comme une réponse, parmi d’autres, au phénomène de désertification médicale.
Toutefois, des freins semblent exister. La CNAM a récemment annulé le remboursement des consultations effectuées par des patients n’étant pas domiciliés à proximité du médecin qui assure la téléconsultation. Quel est l’état d’esprit du Gouvernement sur ce sujet, et quelles pistes sont envisagées pour lever ces freins ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, vous avez raison : la télémédecine est une opportunité incroyable.
C’est le fait, d’abord, de la téléconsultation, qui rend accessible un médecin à une personne à un moment où, physiquement, celui-ci n’aurait pas pu être près d’elle. Cela évite au patient de devoir parcourir une distance qu’il n’aurait peut-être pas pu franchir seul et met à sa disposition, près de chez lui, un médecin par le biais du téléphone ou de la visioconférence. Ce médecin va pouvoir établir un diagnostic, apporter des réponses, et rédiger une ordonnance ; le patient pourra, ensuite, aller récupérer les médicaments à la pharmacie.
Même si la volonté du Gouvernement a été de généraliser le remboursement de ces téléconsultations, la forme de ces dernières revêt une diversité incroyable à travers le territoire.
J’ai eu la chance de faire tout le tour de la France et de me familiariser avec de nombreuses initiatives engagées dans les départements, en milieu rural comme en milieu urbain. À chaque fois, le dispositif est différent. Pour ma part, je crois que c’est dans cette diversité que l’on va trouver les différentes solutions. Il n’y a pas de solution universelle !
Il y aura la téléconsultation que les gens pourront faire de chez eux, mais elle ne sera jamais de la même nature que celle qui s’effectuera dans une cabine, en compagnie de quelqu’un – aide-soignante ou infirmière – qui jouera un rôle de médiation médicale.
Ces téléconsultations de demain posent de très nombreuses questions. Des expérimentations ont été réalisées pendant plusieurs années. Aujourd’hui, nous en sommes à la généralisation, mais seulement à l’an 1 de la généralisation.
Madame la sénatrice, oui, la CNAM, notamment, a estimé que le médecin consulté était trop éloigné. En effet, pour cet an 1 de la téléconsultation, nous avons souhaité qu’elle soit réservée à la relation entre un médecin généraliste et un patient qu’il a l’habitude de recevoir ou qu’il pourrait avoir l’habitude de recevoir. Il a donc été considéré que, au vu de la distance, il était peu probable qu’une telle relation puisse s’instaurer.
Cela étant, le modèle que nous ne souhaitons pas est le modèle américain selon lequel, à travers une application, on peut zapper d’un médecin vers un autre, avec un forfait illimité de consultations. Si nous l’adoptions, nous dénaturerions le fameux lien humain dont nous parlions précédemment.
Une téléconsultation avec des humains, une téléconsultation remboursée, une téléconsultation reconnue par l’Ordre des médecins comme étant une consultation médicale de qualité, voilà l’ambition ! Rappelons que 2019 est l’année du remboursement de toutes ces téléconsultations. Certains patients vont vivre des changements impressionnants.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Je veux, pour ma part, évoquer les problèmes que pose la politique de l’administration consistant à systématiquement obliger les citoyens à passer par internet pour accomplir leurs formalités, qu’elles soient administratives ou autres.
Actuellement, on n’arrive plus à obtenir un renseignement par téléphone. On nous rétorque : « Regardez le site internet ! » C’est scandaleux, c’est la négation même du service public ! Que faites-vous des gens qui ont 75, 80, ou 95 ans, ne savent pas se servir d’internet, ou n’ont pas eu de formation ?
Je crois, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faut absolument présenter un texte législatif aux termes duquel toutes les personnes de plus de 70 ans, par exemple, doivent pouvoir avoir des contacts avec l’administration et faire leurs formalités de manière traditionnelle, comme c’était le cas auparavant.
J’admets qu’on demande à un jeune de 20 ans de recourir à internet, parce que ces jeunes en savent au moins autant qu’un spécialiste de 60 ans !
Comprenez en revanche que c’est absolument dramatique pour certaines personnes de se retrouver complètement démunies.
J’aimerais bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous disiez si le Gouvernement serait d’accord pour élaborer une loi à caractère général qui disposerait que les personnes dont l’âge dépasserait un certain seuil, ou qui seraient nées avant une certaine date, auraient le droit de ne pas recourir à internet. Et, petit à petit, au fur et à mesure que les plus jeunes atteindraient un âge plus avancé, on pourrait progressivement remonter l’âge butoir.
M. Philippe Adnot. M. Masson est très raisonnable !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je partage votre colère. Il est inadmissible d’imposer un outil à quelqu’un qui ne sait pas l’utiliser.
À chaque fois qu’on répond au téléphone à quelqu’un : « Mais vous n’avez qu’à aller sur le site internet, ma bonne dame, mon bon monsieur », on insulte et on méprise cette personne.
En outre, on entretient le sentiment d’humiliation que beaucoup de Français qui ne maîtrisent pas particulièrement la langue écrite ressentent depuis des décennies face à un formulaire trop compliqué pour eux. On a transmis avec le numérique toutes les incompréhensions de ceux qui ne maîtrisaient pas la langue. De surcroît, on ajoute à ces derniers, quel que soit leur âge, ceux qui ne maîtrisent pas le numérique. C’est la double punition !
Qu’avons-nous fait évoluer ? Je vais reprendre l’exemple de la carte grise. Quand nous sommes arrivés au Gouvernement, plusieurs milliers de dossiers étaient en attente dans une grande pile et on ne savait plus trop comment traiter le problème. Quand vous vous présentiez à la préfecture, on vous disait : « On est désolé, il n’y a plus de guichet qui s’occupe de ce sujet et on ne sait pas où en est votre dossier. »
En un an, nous avons mis en place une équipe spécialisée qui a traité cette pile de dossiers en attente. Surtout, nous avons créé des équipes régionales d’expertise qui s’occupent de toutes les demandes qui sont faites dans la région. Enfin, dans chaque préfecture de France, nous avons instauré un lieu d’accueil avec un véritable être humain à qui on peut parler et demander d’appeler la plateforme d’expertise régionale. Or celle-ci, désormais, ne vous répond pas d’aller sur le site internet, mais elle explique : « Oui, votre dossier fait partie de ceux qui étaient bloqués pour telle ou telle raison. »
Nous allons généraliser cet exemple. Il ne peut pas y avoir numérisation sans inclusion. Si on numérise à tout prix, en condamnant, on est sûr de créer des résistances. Ceux qui croient au progrès et au numérique doivent donc être ceux qui, avec vous, affirment qu’on devrait toujours avoir la capacité de parler à un humain.
Par ailleurs, le numérique peut lui aussi apporter des solutions. En effet, pour que l’être humain présent dans la préfecture puisse répondre à la personne en détresse numérique qui vient le voir, il faut qu’on mette en place des systèmes d’information qui lui donnent la capacité de le faire.
C’est tout le travail que nous menons à l’heure actuelle, dans tous les services publics, de façon transverse, pour que toutes les personnes qui accueillent à la préfecture, dans les MSAP d’aujourd’hui ou de demain, dans les lieux de médiation numérique, dans les lieux d’accompagnement, puissent vraiment vous renseigner et vous accompagner.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le secrétaire d’État, c’est une vue de l’esprit ! Actuellement, vous ne trouvez personne dans les administrations. Lorsque vous téléphonez, vous n’avez plus personne !
C’est sympathique de dire qu’il y aura quelqu’un, mais vous savez comment cela se passe. Les préfectures planquent même leur numéro de téléphone ! Obtenir ce numéro relève désormais quasiment du parcours du combattant. On tombe sur un « 08 », sur je ne sais quelle plateforme ! C’est extraordinaire !
Et pour ce qui concerne les impôts, on est obligé de payer par internet ! Ce n’est pas possible !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Je souhaite associer à ma question ma collègue Nadia Sollogoub, élue du département rural de la Nièvre.
L’arrivée du numérique a ouvert le champ des possibles pour les territoires ruraux. En effaçant la distance, elle a offert la possibilité de placer tous les territoires sur un pied d’égalité et donc de désenclaver des territoires ruraux.
Or c’est trop souvent l’inverse qui s’est produit : ces quinze dernières années, le déploiement des infrastructures numériques et de téléphonie mobile a été mené à un rythme très inégal selon les territoires. La fracture territoriale s’est ainsi accentuée par l’effet de la fracture numérique.
Nous avons même subi une double peine : aux retards d’installation des équipements s’est ajoutée l’obligation faite aux collectivités, pourtant les moins riches, de participer à leur financement, en raison d’une trop faible densité de population. Telle a été la réalité de ces quinze dernières années.
Nous savons cependant que le progrès technologique ne cesse d’avancer et va créer de nouvelles opportunités. La ruralité ne doit pas être tenue à l’écart de ces rendez-vous futurs. Dans les territoires à faible densité de population, on ne peut plus se contenter de courir sans cesse derrière la technologie, avec cinq ou dix ans de retard !
Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à inverser la logique qui a creusé ces inégalités territoriales quand on aurait dû les réduire ?
Êtes-vous prêt, à l’avenir, à avancer au même rythme partout en France, dans une perspective d’aménagement du territoire national fondée sur l’équité, par exemple pour le déploiement de la 5G, qui arrive sur le marché ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Canevet. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Delcros, l’exemple que vous donnez peut être dupliqué dans beaucoup de territoires.
J’étais moi-même dans le Cantal, il y a quelque temps, auprès d’un ami cher (Sourires.), pour évoquer le déploiement du numérique, mais aussi de la téléphonie mobile. Il faut affronter tous les sujets, y compris celui dont nous n’avons pas parlé, mais qui a fait couler beaucoup d’encre dans le Cantal : le téléphone fixe. Il n’est pas normal que, quand un opérateur a remporté le contrat de service public universel, il faille, pour de multiples raisons, attendre des semaines, voire des mois, avant que le service soit rétabli. L’Arcep s’est saisie de la question pour faire émerger une solution.
Venons-en au déploiement du numérique et de la téléphonie mobile. Sur le premier, nous travaillons beaucoup, et votre département a fait le choix, avec la région, d’un plan régional mené par une équipe très déterminée à trouver des solutions avec pour objectif d’apporter le très haut débit dès 2022, puis le FTTH, c’est-à-dire la fibre jusqu’à l’abonné, en 2025. Nous avons réalisé, il y a quelques mois, un point de situation sur place et nous continuons à accompagner cet effort, notamment par les financements de l’État au titre du plan très haut débit.
S’agissant, enfin, de la téléphonie mobile, le département du Cantal a, comme tous les départements, reçu à ce titre des dotations de l’État pour l’année 2018, puis pour l’année 2019. Nous voulons même passer à des dotations pluriannuelles, en disant aux collectivités – il s’agit souvent du département, mais il faut parfois sélectionner un échelon plus vaste – qu’il leur revient de choisir où elles souhaitent les utiliser ; cela, ni moi ni Mounir Mahjoubi ne pouvons le faire.
Nous allons finaliser l’apport du numérique avec beaucoup de volonté, en accompagnant les collectivités, mais aussi en déployant les points fixes, c’est-à-dire les antennes, là où c’est nécessaire, avec de la visibilité. Notre détermination reste donc totale.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.
M. Bernard Delcros. Merci, monsieur le ministre, de ces réponses. À mon sens, il est toutefois urgent de changer de logiciel. Le plan que vous décrivez est ambitieux, pour le Cantal comme pour d’autres départements, et je veux le saluer, mais, comme les précédents, il sert d’abord à rattraper le retard.
S’agissant des avancées technologiques qui sont devant nous et qui arrivent sur le marché, il faut que tous les territoires puissent en bénéficier dès qu’elles seront opérationnelles.
Aujourd’hui, le coût de la connexion et de l’abonnement est le même pour tout le monde en France, mais tout le monde n’a pas accès aux mêmes services. Il y a une inégalité de traitement.
À l’heure où l’on veut envoyer des messages forts à la ruralité, l’importance qu’y prend le numérique devrait vous conduire à ne pas oublier ces territoires quand une avancée technologique se produit.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le numérique est aujourd’hui omniprésent dans nos vies quotidiennes : smartphones, réseaux sociaux, e-services, web, paiements en ligne, éducation, emplois…
Il constitue, sans aucun doute, l’un des défis majeurs de notre époque ; une chance, autant qu’un risque. Il représente une chance pour chacun d’accéder à de nouveaux services, à de nouvelles technologies, de gagner du temps, de rester en contact avec l’autre, mais aussi une opportunité pour les services publics, qui doivent se moderniser. Certains pays, comme l’Estonie, y parviennent très bien. C’est un enjeu politique et social pour simplifier la vie des citoyens et améliorer leur quotidien, comme pour permettre à l’État de faire des économies.
Le numérique peut également, toutefois, représenter un risque : celui de provoquer une exclusion plus forte de certains citoyens, ceux qui vivent en zone blanche, ceux qui sont mal ou pas équipés, ceux qui n’ont pas les connaissances nécessaires pour utiliser ces nouvelles technologies. Les recommandations du Défenseur des droits à ce sujet sont nombreuses et dressent un bilan assez mitigé de la situation. Il importe donc de rester prudent quant à la dématérialisation totale des services publics. Ainsi, selon un sondage récent, 36 % des Français sont inquiets à l’idée d’effectuer toutes leurs démarches administratives en ligne, comme le Président de la République souhaite que ce soit le cas à partir de 2022.
Monsieur le secrétaire d’État, face à cette inéluctable révolution numérique, face aux risques inhérents d’inégalité d’accès aux services publics dématérialisés, comment comptez-vous accompagner chaque citoyen pour que le numérique soit une chance et cette dématérialisation une opportunité de simplifier la vie de chacun en prenant en compte les spécificités de tous nos territoires ? (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Fouché, vous avez raison, la seule question à laquelle nous devons répondre est la suivante : comment faire du numérique une chance pour tous et éviter qu’il n’y ait, en France, des oubliés du numérique ?
J’ai évoqué étape par étape le sujet des services publics ; abordons maintenant les dispositifs opérationnels.
Sur ces 20 % de Français qui ne maîtrisent pas le numérique, il faut distinguer ceux qui peuvent être formés et les autres. Je vais consacrer un peu de temps à cette seconde catégorie. Ce sont les Français qui rencontrent les plus grandes difficultés, parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, parce qu’ils cumulent d’autres handicaps ou parce que, en raison de leur très grand âge, ils ne peuvent plus accéder à ces services. La seule option possible est de les accueillir, physiquement ou au téléphone, et de s’assurer qu’un être humain sera toujours là pour assurer la médiation finale.
Cela pose plusieurs questions : où situer ce lieu ? À quel moment de la démarche quelqu’un qui est perdu peut-il contacter un être humain ? Comment rassurer, accompagner et former ceux qui sont chargés de l’accueil ?
Ces dernières années, certaines dispositions ont bien fonctionné, d’autres non. On a ainsi voulu créer des agents territoriaux multispécialistes au sein des MSAP, mais on a parfois oublié de les former. Résultat : la personne chargée de vous accompagner dans toutes vos démarches ne les maîtrisait pas elle-même et ne pouvait donc pas remplir sa mission ; pis encore, on ne lui a pas toujours donné les outils nécessaires pour la mener à bien. Elle devait donc se connecter à votre place à vos services publics en ligne et essayer, comme elle le pouvait, de vous aider.
Nous sommes en train de mettre en œuvre des outils et des formations pour ces accompagnants présents dans les MSAP ou dans les centres sociaux.
Nous évoquions à l’instant l’identifiant unique pour les personnes qui sont autonomes numériquement, j’y reviendrai ; nous sommes en train de constituer FranceConnect Aidants, qui doit permettre à un aidant de se connecter à votre place en assurant une plus grande sécurité dans l’accès à votre dossier et dans l’accompagnement.
Nous continuerons, de plus, à pousser plus loin la formation de ces agents publics de proximité chargés de vous accompagner dans toutes les procédures. De cette manière, quand vous serez face à un agent de médiation de la caisse d’allocations familiales, la CAF, celui-ci ne vous répondra pas : « Pour une demande de carte grise, allez voir l’agent de médiation de la préfecture ! » Ces agents s’occuperont de tout pour vous. Voilà ce que je peux vous répondre, s’agissant de l’accueil humain de proximité.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. Les problèmes ne datent pas d’aujourd’hui, mais j’ai bien noté, monsieur le secrétaire d’État, votre volonté de trouver des solutions, de donner des moyens et de former les gens, même dans les cas les plus difficiles, voire presque impossibles ! Votre réponse me satisfait donc.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la couverture en services numériques est un enjeu majeur d’attractivité pour les activités économiques et pour l’installation des familles. Ce n’est pas par hasard que les trois principales demandes d’information dans nos communes concernent le numérique, l’école et l’accès aux soins !
Le Sénat n’a pas manqué d’alerter les gouvernements successifs sur les risques de fracture territoriale et sociale dans notre pays. La réorganisation des services publics et les réformes territoriales additionnées à l’absence de politique d’aménagement du territoire ont été vécues douloureusement, notamment par les communes concernées, qui avaient le sentiment d’être les seules à en être affectées, s’agissant de la justice, des armées, des finances publiques ou de la santé.
Enfin, je veux évoquer le droit des usagers face à la dématérialisation des formalités administratives : 27 % d’entre eux sont dépourvus d’accès à internet et 33 % ne maîtrisent pas l’outil, ce qui fait peser un risque de non-recours aux droits.
La dématérialisation de l’obtention des permis de conduire est symptomatique : on a supprimé ce service, avec pour résultat des délais excessifs. Les services de l’Agence nationale des titres sécurisés, l’ANTS, sont injoignables et une simple erreur matérielle dans la demande nécessite un renouvellement total et non une rectification simple à la charge de l’administration. C’est inadmissible !
Pour conclure, nous ne pouvons rester sur un constat d’échec. Fort heureusement, ça bouge dans nos départements ! En Charente-Maritime, nous avons pour ambition de couvrir 100 % du territoire en fibre optique d’ici à 2022, la désertification médicale fait l’objet d’un accompagnement des zones les plus isolées et les maisons de services au public sont au plus près des citoyens. Nous avons une obligation de réussite.
Monsieur le secrétaire d’État, la verticalité a ses limites et peut empêcher de voir l’horizon. Au Sénat, nous sommes la voix des territoires, merci de nous entendre !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Laurent, vous avez raison : la verticalité a ses limites et quand on pilote de trop haut, on tombe aussi de très haut.
C’est pour cela que je serai le 18 mars avec le président Dominique Bussereau, pour signer la charte Territoires d’actions pour un numérique inclusif, car, comme vous le dites très justement, votre département figure parmi ceux qui sont les plus avancés en la matière.
La signature de cette charte soulignera les accomplissements déjà réalisés ces dernières années par le département et permettra d’annoncer les ambitions pour les années à venir. Nous évoquerons ainsi le sujet de l’accueil physique : comment le met-on en place ? Comment structurer localement les associations, les points d’accueil et leur conférer des compétences partagées ? Nous devrons déterminer comment le département, l’État et les services sociaux déconcentrés vont, ensemble, participer, financièrement et en termes d’orientation, afin d’accompagner les personnes qui peuvent être formées.
Dans votre département, en effet, différents diagnostics ont permis de confirmer qu’une grande partie des personnes qui ne maîtrisent pas le numérique aujourd’hui pouvaient être formées en dix à vingt heures aux usages de base : se connecter à internet ou utiliser un login et un mot de passe.
C’est pour cela que votre département a mis en place, avec Pôle emploi, le fameux Pass numérique, sur lequel je reviendrai tout à l’heure, et que nous allons faire passer, cette année, à l’échelle nationale. Ainsi, nous formerons les agents de Pôle emploi à détecter une personne qui se présente, mais qui ne se connecte jamais au site ou qui n’a pas d’adresse e-mail, pour lui proposer ce Pass utilisable dans une association ou dans un lieu de médiation numérique proche de son domicile, afin qu’elle soit accompagnée dans cette phase d’accélération.
Ce dispositif concerne bien les Français identifiés comme étant capables de se former au numérique. Il est important, dès lors que l’on reconnaît cette capacité, de la nourrir plutôt que d’orienter immédiatement ces personnes vers quelqu’un qui ferait les démarches à leur place.
C’est vrai, l’inclusion numérique doit être une priorité, mais pour tous. C’est pour cela que l’illustration offerte par votre département est très importante à mes yeux. Ce 18 mars, nous en profiterons pour relater le travail que nous avons mené pendant dix-huit mois pour en arriver à cette signature.
Merci encore de votre question. J’espère vous retrouver à cette date autour du président Bussereau !
M. Daniel Laurent. Merci pour mon département.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le secrétaire d’État, depuis de nombreuses années maintenant, le numérique prend une importance considérable dans notre quotidien. Les infrastructures, leur implantation et leur accessibilité sont une problématique que nous abordons souvent dans cet hémicycle, afin de réduire ce que l’on appelle la fracture numérique.
Se posent également aujourd’hui, de façon systématique, la question des usages ainsi que celle de l’inclusion numérique.
Jeudi dernier, vous étiez en déplacement à Labège, près de Toulouse, pour échanger avec des acteurs impliqués dans ce domaine dans le cadre d’une étape du Tour de France des oubliés du numérique, visant à identifier les problématiques, mais aussi les initiatives remarquables en la matière.
À l’issue de ces présentations, une charte Territoires d’actions pour un numérique inclusif a été signée, prévoyant la prise en compte de l’ensemble des publics possiblement éloignés, des plus jeunes générations aux plus âgées.
Dans mon département, la Gironde, des assises des solidarités numériques étaient organisées au mois de décembre dernier. Dédiées au développement social, elles avaient pour objectif d’apporter aux collectivités et aux associations les outils nécessaires pour tendre vers un usage du numérique facilitant le lien social.
Alors que l’administration française migre de plus en plus vers des services numériques, alors qu’une directive européenne introduit l’obligation, pour les sites appartenant à une instance publique, d’être accessibles aux personnes handicapées, est-il prévu de mettre en place une plateforme d’échanges unique et identifiée ? Celle-ci pourrait regrouper les initiatives dans ce domaine, afin que chaque collectivité puisse prendre connaissance des bonnes pratiques et des projets développés à travers le pays et s’en inspirer. (Mme Noëlle Rauscent applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, merci d’avoir rappelé l’actualité de ce Tour de France des oubliés du numérique et d’avoir évoqué les chartes que nous avons signées avec les dix premiers territoires qui se sont engagés à travailler avec nous : la Creuse, les Pyrénées-Atlantiques, la Gironde, la Drôme, l’Ardèche, la Charente-Maritime, les régions Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France et Centre-Val de Loire et une intercommunalité, le Sicoval, près de Toulouse, où je me trouvais la semaine dernière.
Avec ces chartes, nous nous inscrivons dans une démarche gagnant-gagnant qui permet la mise à disposition d’une expertise de niveau national, issue de l’État, pour accompagner les collectivités locales concernées dans la définition d’un plan stratégique d’inclusion.
Ces plans, ces techniques et ces méthodes ont été développés non pas par la seule équipe de Société Numérique, à Paris, mais également avec les experts de ces territoires, qui se réunissent régulièrement à Paris et organisent aussi des ateliers en régions, auxquels j’ai eu l’occasion de participer. La personne qui dirige cette équipe est d’ailleurs à mes côtés et je l’en remercie.
Le travail de la mission Société Numérique, c’est le partage des connaissances et des communs. La MedNum, cette coopérative dont l’État et chacun des membres sont actionnaires, est là pour créer des outils communs partagés par tous. Une plateforme est née, inclusion.societenumerique.gouv.fr, sur laquelle on trouve des kits clés en main pour permettre aux petites collectivités de débattre d’une stratégie d’inclusion numérique locale, ainsi que des dossiers plus complets, destinés à aider les collectivités qui ont plus de moyens à identifier les interlocuteurs, les intermédiaires et les acteurs avec lesquels elles peuvent démarrer, prolonger ou amplifier leur stratégie. On y trouve, enfin, un benchmark, une analyse des meilleures pratiques des départements et des régions de France qui ont un pas d’avance sur ce sujet.
Vous avez raison, nous ne réussirons que grâce au maillage et à la dentelle locale. Aucun territoire ne ressemble à un autre, mais quelques solutions fonctionnent très bien et nous devons être capables de les partager.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.
Mme Françoise Cartron. Les maires ruraux sont de bons artisans de cette dentelle locale. J’étais hier avec le président de l’Association des maires ruraux de Gironde, laquelle met en place un wiki des maires, conçu comme une plateforme des bonnes pratiques issues du monde rural. Quand on fait appel à l’intelligence des territoires, beaucoup de choses sont possibles, en particulier dans le domaine du numérique !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Quand on parle de fracture numérique, on a tous en tête les difficultés induites par l’inégale couverture du territoire et les zones blanches. Je voudrais plutôt revenir sur un autre aspect de cette fracture : les difficultés liées à l’usage, que certains dénomment l’illettrisme numérique, ou l’illectronisme.
Aujourd’hui, 20 % de nos concitoyens ne savent pas utiliser internet, soit 13 millions de personnes, dont plus de la moitié ne se connecte jamais. Le coût de l’équipement est aussi un frein : selon une étude d’Emmaüs, 35 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n’utilisent jamais internet.
Alors que le mot d’ordre est la dématérialisation des services publics, cela pose une sérieuse question d’accès aux droits dans un nombre croissant de secteurs – la sécurité sociale, la recherche d’emploi, les déclarations PAC, pour les agriculteurs, l’orientation universitaire avec Parcoursup –, voire un problème d’accès à la démocratie, puisque même l’organisation du grand débat se fait essentiellement via internet.
La réforme de la justice, notamment, est une source d’inquiétude de ce point de vue, puisqu’elle comporte un large volet consacré à la dématérialisation de l’accès à la justice. En remettant en cause l’accès direct au juge, on fait reposer la garantie du respect des droits fondamentaux des citoyens sur le postulat d’un accès universel à l’outil informatique.
À l’heure où l’État tend à s’appuyer de plus en plus sur le numérique pour améliorer l’accès au droit, il doit absolument garantir à chaque individu, dans le même temps, la possibilité de disposer d’un accès à internet et de la capacité à l’utiliser.
Aujourd’hui, force est de constater que les réponses ne sont pas à la hauteur des besoins. Ainsi, le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté prévoyait, certes, des bornes d’accès au droit dans des lieux d’accueil de personnes en grande difficulté, mais pas l’accompagnement nécessaire pour que l’accès à ces bornes soit effectif.
De même, le Gouvernement présentera prochainement une liste d’une dizaine de lieux de médiation numérique pour conseiller et former les populations les plus éloignées d’internet, soit même pas un par grande région !
Pour que les progrès techniques soient véritablement synonymes de progrès social et non source d’une exclusion supplémentaire, le volontarisme des pouvoirs publics doit être identique à celui qui avait été déployé pour combattre l’illettrisme.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les intentions du Gouvernement pour répondre à ces enjeux ? Mettrez-vous en place un véritable plan national d’alphabétisation digitale, comme le demandent les associations de lutte contre l’exclusion depuis plusieurs années ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Tissot, quelle tristesse de vous entendre dire que nous allons ouvrir seulement dix lieux ! C’est beaucoup plus que cela : l’appel à projets prévoyait la création de dix hubs, de dix lieux de multiplication. Il s’agissait d’identifier, dans les territoires, les structures volontaires susceptibles d’animer les lieux présents partout, mais trop petits pour disposer des bonnes expertises.
Dans une commune rurale, par exemple, la médiation numérique passera souvent par une association, par un prestataire, voire par les services de la mairie, pour quelques heures par semaine. Ces lieux n’auront pas toujours les outils de bon niveau, les expertises pertinentes, la capacité d’accompagner le public. Dès lors, le hub le plus proche, dans le département ou dans la région, assistera et formera ces accompagnants, leur donnera les outils et mettra à jour régulièrement leur connaissance des procédures. Ces dix hubs ont donc vocation à rayonner et à avoir un effet multiplicateur.
À l’issue du travail que nous avons mené avec les territoires, nous avons pris conscience que le numérique des services publics et de l’inclusion allait aussi vite que celui des réseaux sociaux et du commerce : un an après, on est un has been, deux ans après, on est vraiment très éloigné et trois ans après, le monde numérique que l’on a connu ne ressemble plus à celui qui se trouve sur l’écran. Ces hubs ont pour mission de donner à tous la capacité d’être toujours au meilleur niveau.
L’objectif est donc de créer non pas dix lieux, mais bien des milliers à travers le territoire. Dans les départements et les territoires dont j’ai fait la liste, la première mission assignée à la stratégie locale d’inclusion numérique est l’identification et la cartographie des acteurs.
Dès la mi-mars, nous mettrons en ligne une cartographie open source, donc librement disponible pour tous, de tous les lieux de médiation numérique. Chacun des départements pourra contribuer à cette carte nationale, afin de produire une photographie très claire des acteurs de l’accompagnement et des besoins des accompagnés comme des accompagnants. Le hub jouera alors un rôle d’accélération de l’expertise et des compétences.
Notre ambition est partagée et ce plan est national, avec 100 millions d’euros apportés par l’État et les collectivités, et certaines d’entre elles contribueront encore plus que prévu. Cela ne sera jamais assez, mais l’année 2019, c’est l’année de l’action !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour avoir accès aux services publics numériques, il faut remplir deux conditions : être connecté et savoir se servir d’internet.
Concernant le premier point, nous sommes tous vigilants pour assurer au plus vite une couverture opérationnelle sur l’ensemble du territoire et la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, nous permettra d’accélérer ce déploiement.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué les dispositifs Amel, pour appel à manifestation des engagements locaux. Combien en a-t-il été conclu à ce jour ?
En pratique, nous le savons, certains de nos concitoyens sont déjà pris en otage, victimes de la suppression de services publics au profit de leur version numérisée, avant même que ceux-ci ne leur soient accessibles. La méthode est quand même surprenante et fait peu de cas des usagers. Chez moi, on appelle cela mettre la charrue avant les bœufs !
Quant aux usages, le Gouvernement a lancé en septembre la stratégie nationale pour un numérique inclusif, comportant, notamment, les deux mesures phares que sont le Pass numérique pour 10 millions d’euros et la structuration des hubs pour, avais-je noté, 5 millions d’euros. Ce plan vous semble-t-il suffisant ? En réalité, nous le savons, il agrège des dispositions disparates dont la plupart existent déjà sur le territoire, mais qui ont échoué à régler la question de fond de l’illectronisme, qui conjugue fracture sociale, difficultés de mobilité, problèmes territoriaux, illettrisme et isolement.
Il est vrai que seules des actions de proximité menées dans la durée sont à même de faire évoluer les comportements. Je salue, à ce titre, tout ce qui est fait dans les établissements scolaires, dans les MSAP – encore faut-il pouvoir s’y rendre, et c’est un problème réel dans les territoires ruraux –, ou encore l’initiative Ardoiz, menée par La Poste, tablette qui accompagne les personnes âgées à leur domicile.
Je rends hommage, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, à la volonté de proximité et de formation que vous affirmez ; elle est essentielle à ce stade des déploiements et des besoins. Comment, cependant, l’État va-t-il assurer la mise en œuvre opérationnelle de son plan dans les délais impartis ? D’après votre stratégie, l’intégralité des services publics doit passer à internet en 2022. Cela va arriver vite !
Enfin, l’État prévoit-il une clause de protection, telle qu’évoquée par le Défenseur des droits, afin de sécuriser les usagers mal à l’aise et de leur éviter d’être tenus pour responsables d’éventuels problèmes techniques ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous posez beaucoup de questions, je vais répondre à plusieurs d’entre elles et M. Mahjoubi complétera mon propos lors de prochaines questions sur des sujets proches.
Je vous remercie d’évoquer les Amel ; nous en avons peu parlé, mais ce dispositif a en effet créé des inquiétudes. Il visait à donner la possibilité à certains maîtres d’ouvrage, dans les zones d’initiative publique, de faire appel à des financements privés. Des appréhensions sont nées parce que certains ont craint de voir remis en cause l’équilibre existant dans les contrats passés. Je veux les rassurer sur ce point : nous avons toujours dit que les Amel n’étaient pas obligatoires et que, à la fin, le décideur restait le maître d’ouvrage, donc la collectivité.
Pour répondre à votre question, nous avons reçu une quarantaine de manifestations d’intérêt. Certains des volontaires ont renoncé après analyse, et nous envisageons aujourd’hui le financement d’un million de prises – c’est important ! – grâce à ce nouveau dispositif, donc par le privé, dans les zones d’initiative publique.
Vous abordez ensuite la question des MSAP. M. Mahjoubi et moi-même disons depuis le début de ce débat qu’il n’existe pas de solution unique, mais qu’il faut faire de la dentelle territoriale. Les MSAP sont elles-mêmes toutes différentes : certaines sont mises en œuvre par La Poste, d’autres sont dans des mairies ou dans des gares SNCF, d’autres encore sont créées par les communes dans un lieu dédié. Certaines proposent de nombreux services publics, d’autres seulement quelques-uns. Nous essayons toujours de partir du territoire.
Dans la loi de finances, nous avons consolidé les financements des MSAP, avec 15 millions d’euros, tout en entamant une réflexion sur leur accessibilité et sur les services de demain, afin d’améliorer la qualité de leur apport dès 2020, en partant du territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous savez combien le Sénat est attaché au respect effectif du principe d’égalité devant le service public sur l’ensemble de nos territoires et pour tous nos concitoyens. J’y suis particulièrement sensible et attentif : je représente un territoire, la Vienne, dont les habitants sont directement concernés par les fractures territoriales, la fracture numérique et la fermeture ou l’éloignement des services publics.
Lorsque l’on évoque la fracture numérique, s’agissant de l’accès aux services publics, on pense spontanément à la dématérialisation des démarches et des formalités administratives. De très nombreux services sont concernés, tant pour les particuliers que pour les professionnels et les associations. Il suffit de se rendre sur les sites service-public.fr et justice.fr pour en prendre la mesure. Cette tendance devrait s’accentuer prochainement dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Deux grands obstacles doivent être pris en compte : la qualité trop souvent aléatoire des réseaux numériques dans certains territoires, et – ce n’est pas moins problématique – la part non négligeable de la population qui reste réfractaire à cet outil. Les troubles subis dans notre pays doivent faire comprendre à tous que les plus mal lotis, dans la France périphérique, doivent aussi être écoutés.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, jusqu’où le Gouvernement projette-t-il d’aller en matière de dématérialisation, tout particulièrement en ce qui concerne les fonctions régaliennes de l’État que sont la police et la justice ?
Le passage au tout-numérique reste éloigné et une approche humaine suppose des solutions complémentaires. Le Défenseur des droits recommande de préserver plusieurs modalités d’accès aux services publics, afin qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée. Cela me semble indispensable.
Quelles synergies envisagez-vous entre numérique et points de rencontre physiques, en particulier avec le réseau des MSAP ? Ces synergies doivent permettre de garantir l’accès aux services publics aux Français porteurs de différents handicaps. Comment intégrez-vous cette réalité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je me permettrai de considérer plus spécifiquement une autre des missions dont je suis responsable, celle de la numérisation des services publics. Quelles règles président à cette numérisation ? Comment anime-t-on le travail interministériel entre les différentes administrations ? Quelles sont les règles communes et quelles sont celles que nous avons mises en œuvre depuis deux ans, depuis que le Gouvernement est en place ?
La première d’entre elles, vous l’avez rappelée. J’ai reçu trois fois le Défenseur des droits, j’ai rencontré en sa présence tous les délégués territoriaux qui, chacun, ont témoigné d’histoires terribles, où l’on se retrouve face à un mur : un répondeur – jamais aucun être humain ne répond –, un site internet sur lequel on ne peut envoyer aucun message. Nous avons été très clairs sur ce sujet : il ne peut y avoir de service public en ligne qui ne propose pas d’être mis en relation avec un être humain, que ce soit physiquement, par téléphone, par le biais d’une réponse à un message ou au moyen de la médiation d’une autre personne.
J’ai pris précédemment l’exemple de l’ANTS et de la carte grise. Pour certaines démarches, nous ne pouvions à aucun moment entrer en relation avec un être humain. Aujourd’hui, c’en est fini ; nous faisons tout pour que, dans toutes les démarches en ligne, cela n’arrive plus jamais. Comment fait-on ?
Au sein de la Dinsic, la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, nous analysons les 200 démarches en ligne – nous rendrons bientôt public le tableau qui sera réalisé –, qui correspondent à plus de 90 % des démarches réalisées par les Français. Pour ce faire, nous regardons une liste de critères. Le premier d’entre eux concerne l’accessibilité.
Premier élément, la démarche en ligne est-elle bien accessible depuis un téléphone mobile, pour une personne en situation de handicap qui utiliserait un logiciel particulier ? Deuxième élément, utilise-t-elle FranceConnect, qui permet de se connecter à tous les services publics avec un seul login et un seul mot de passe ? Il n’est plus besoin de connaître tous les mots de passe pour tous les services publics. Troisième élément, on vérifie, pour chacun de ces services publics, à quel moment la mise en relation avec un être humain est proposée si la personne en a besoin. Le quatrième élément que vous allez voir apparaître dans tous les services publics en ligne dans les prochains mois, c’est la possibilité donnée à tous les Français de partager leur avis en disant à quel moment le service en ligne leur a posé problème. Cette option aujourd’hui facultative deviendra demain obligatoire pour toutes les démarches. Ce sera une manière pour nous de bien piloter les démarches qui excluent et celles qui ont les bonnes recettes pour accueillir. Vous l’avez redit précédemment, l’ingrédient majeur pour que tout se passe bien, c’est qu’un être humain soit là en cas de besoin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que de nombreux services publics poursuivent leur développement vers le tout-numérique, la dématérialisation de nombreuses démarches administratives suppose de bonnes conditions de connexion au réseau de téléphonie ou d’accès à internet.
Or une partie des territoires est encore, nous l’avons déjà dit, mal équipée, voire sous-équipée, rendant ces conditions difficiles, voire impossibles.
Dans certaines communes rurales d’Occitanie, notamment dans les Hautes-Pyrénées, le manque de couverture réseau pour les téléphones portables et les débits trop faibles d’accès à internet constituent une réelle fracture numérique pour un grand nombre de nos concitoyens.
L’aménagement des réseaux en très haut débit des Hautes-Pyrénées doit être finalisé d’ici à cinq ans. Cependant, on peut douter que les équipements soient totalement opérationnels en un laps de temps si court.
C’est une fracture à la fois sociale et territoriale.
En effet, les projets de fermeture ou d’éloignement des services publics traditionnels, comme les trésoreries ou les bureaux de poste, ainsi que la disparition de certaines compétences municipales, comme l’instruction des cartes nationales d’identité et des passeports, ajoutent de nouvelles difficultés.
C’est aussi une fracture sociale qui frappe surtout nos concitoyens les plus fragiles, les personnes âgées ou au chômage, qui ne sont pas toujours à l’aise avec les nouveaux usages numériques ou qui n’ont pas toujours les moyens de posséder un ordinateur et de se former à son utilisation.
Le désert numérique, qui s’ajoute très souvent à un désert médical, aggrave une inégalité territoriale totalement inconcevable et un sentiment d’abandon chez nombre de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, le tout-numérique ne peut être l’unique solution. Si la préservation de l’accès aux services publics, y compris dans les zones rurales les plus reculées, constitue bien une priorité pour le Gouvernement, il lui faudra conserver une diversité d’approches. Que comptez-vous faire alors pour le maintien, le développement et l’évolution des autres moyens d’accès aux services publics que le numérique ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez évoqué le manque de développement de la téléphonie mobile, notamment, dans le territoire des Hautes-Pyrénées.
Songez que, si l’on considère les chiffres officiels, l’accessibilité à la téléphonie mobile est assurée dans quasiment 99 % du territoire.
L’une des premières choses que Mounir Mahjoubi et moi-même avons faites il y a deux ans a été de revoir la définition même d’un territoire couvert. Aujourd’hui, lorsque l’on parle de l’accessibilité à la téléphonie mobile, on n’évoque pas les fameux 500 mètres autour du clocher du village, mais on prend en compte la véritable perception de l’usager : à l’échelle d’un village, la personne est-elle connectée, dispose-t-elle de toutes les barres sur son téléphone ou pas.
Concernant la qualité de la couverture, il n’en reste pas moins vrai, comme vous l’avez dit, que certains sites n’ont aucun accès à la téléphonie mobile.
Songez également que, lorsque Mounir Mahjoubi et moi-même nous sommes saisis de ce dossier, voilà deux ans, je le répète, officiellement, en France, 600 sites étaient des zones blanches. Rien qu’au cours de l’année 2018 on a entrepris la couverture de ces 600 sites. (M. Michel Savin acquiesce.) Cela veut-il dire que l’on aurait éradiqué toutes les zones blanches ?…
M. Michel Savin. Non !
M. Julien Denormandie, ministre. Évidemment non ! Pourquoi ? Parce que le problème de fond, c’est la divergence dans l’appréciation de la définition de la qualité ; c’est un point que nous avons revu. Nous nous sommes nous-mêmes, si je puis dire, tiré une balle dans le pied : on pourrait dire que l’on a traité ces 600 zones blanches, mais on compte maintenant des milliers de zones blanches… On en a traité 600 en 2018, on en traitera 700 en 2019. Rien que dans le département des Hautes-Pyrénées, ce sont neuf sites qui ont été visés : deux ont déjà été identifiés, me semble-t-il, et sept restent à l’être. On va ainsi continuer d’année en année.
Nous allons aussi mettre en place un guichet pour accompagner l’ensemble de nos concitoyens à l’accès aux meilleures offres de téléphonie parce que, dans certains cas, comme vous l’avez dit, les coûts sont un peu plus importants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Je suis d’accord avec vous, la couverture en téléphonie mobile s’améliore ; elle est importante. Il s’agit, il est vrai, de territoires de montagne difficiles.
Permettez-moi de souligner l’importance de ma question, la diversité des approches des services publics autres que le numérique. Vous avez parlé de l’humain. Mais je tiens quand même à rappeler – je rejoins là ma collègue Anne-Catherine Loisier – que, dans mon département, nombre de services publics ont disparu à cause de suppressions de postes. Il n’y a plus d’accueil ; les gens téléphonent, mais n’obtiennent plus personne ou sont mis en relation avec un répondeur pendant un long moment. On a mis la charrue avant les bœufs. On n’a pas conservé d’accueil, et les personnes se sentent complètement à l’abandon : elles ne savent plus comment faire pour obtenir une carte grise, une carte nationale d’identité, un passeport. D’ailleurs, vous verriez l’attente… C’est une véritable question.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Viviane Artigalas. Je vous assure que, dans les territoires ruraux, les personnes se sentent vraiment abandonnées par l’État et les services publics. (Mmes Anne-Catherine Loisier et Nadia Sollogoub applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si la France est une République indivisible, on ne peut pas dire que l’accès au numérique soit homogène dans notre pays, vous l’avez rappelé. Il entraîne une véritable inégalité en matière d’accès aux services publics. Pourtant, que l’on soit dans le Perche, les Cévennes ou le Mantois, on a besoin à la fois de l’un et de l’autre.
Depuis quelques années, nous empruntons le chemin de la fin de l’hyperproximité des services publics. Nous avons dû nous adapter aux fermetures sèches, aux mutualisations et rationalisations de certains de nos services. Nous en connaissons les raisons ; je ne les évoquerai pas.
Pour réduire la fracture territoriale, nous avons fait le choix de dématérialiser certaines fonctions.
Cette orientation stratégique n’est pas dénuée de fondement, car elle permet de compenser, en partie tout du moins, le départ de certains services publics. Le gain potentiel pour l’usager comme pour les services publics peut sembler immense. Je souhaite tout de même insister sur le caractère « potentiel », car, en l’état actuel des choses, l’accès au numérique est insuffisant.
Ne perdons pas de vue plusieurs notions essentielles : le principe de continuité du service public, le principe de l’égalité devant le service public et, enfin, les principes d’adaptabilité et de mutabilité.
Former, accompagner et simplifier doivent être autant de pistes auxquelles il convient de réfléchir en tenant compte des spécificités de nos territoires et de leurs habitants.
Enfin, ayons en tête, monsieur le secrétaire d’État, que le numérique ne doit pas être un palliatif à la disparition des services publics dans nos territoires.
Dans ce contexte, je vous poserai deux questions.
Premièrement, pouvez-vous nous éclairer sur la méthode et les dispositifs qu’il vous semblerait utile de mettre immédiatement en œuvre, afin de corriger la fracture numérique, toujours trop présente, sans que cela se fasse évidemment au détriment du service de proximité ?
Deuxièmement, on connaît l’importance de la qualité d’adressage d’une commune, qui est fondamentale pour l’aménagement du territoire. Or la fracture numérique est parfois due à un manquement en la matière. Que comptez-vous proposer, monsieur le ministre, pour accélérer et améliorer l’adressage dans nos communes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame de Cidrac, votre question est essentielle. Vous l’avez d’ailleurs tous répété, à plusieurs reprises, mesdames, messieurs les sénateurs, avec vos mots, selon votre expertise et le regard que vous portez sur vos territoires : que fait-on et quelle est la stratégie ?
Je prendrai peut-être un peu de hauteur par rapport à tous les plans très précis que j’ai décrits précédemment.
Tout d’abord, il faut des services publics numériques plus simples et plus accessibles. Cela fait partie de la méthode que j’ai expliquée auparavant.
Ensuite, pour ce qui concerne l’organisation territoriale de l’État, nous ne devons jamais réorganiser territorialement sans nous poser la question de l’accessibilité réelle et physique à un être humain. Quand il s’agit de fermer une trésorerie – et nous en fermerons ! –, a-t-on bien réfléchi à l’alternative en matière d’accueil ? On portait jusqu’à présent un regard différent avec, d’un côté, les services que l’on fermait et, de l’autre, les accueils d’urgence que l’on pourrait créer plus tard. Parfois, les MSAP ont été créées plusieurs années après la fermeture de services publics locaux.
Aujourd’hui, tout le travail que, notamment, Gérald Darmanin, Olivier Dussopt Jacqueline Gourault et moi-même menons consiste à nous poser la question, à chaque fois que nous fermons un service public, de l’accessibilité territoriale des services publics. Cette question va de pair avec la numérisation. Je le crois très fortement, on ne pouvait pas dire il y a cinq ans que l’on fermait une trésorerie et que l’on ouvrait à la place trois lieux d’accueil avec des agents multidisciplinaires parce que nous n’avions pas les outils pour le faire. Paradoxalement, grâce au numérique, on pourra, demain, fermer une trésorerie et ouvrir trois nouveaux lieux pour faire plus d’humain. C’est ainsi que nous voyons aujourd’hui les choses.
Il n’est pas question, d’un côté, de faire des économies sur le dos de ceux qui sont les plus éloignés des centres actifs et, de l’autre, de tirer les bénéfices du numérique. Non, en même temps, le numérique rend les services publics accessibles à ceux qui savent et rend les humains plus proches pour ceux qui en ont besoin. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’y crois très fortement.
Le numérique peut être la solution, l’élément transformateur pour désenclaver ceux qui se sentent les plus éloignés. (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, beaucoup de choses ont été dites à ce stade ; la nécessité de conserver un contact humain a notamment été évoquée. Toutefois, ce débat me met un peu mal à l’aise. Par moments, j’ai l’impression que l’on confond les objectifs et les moyens. La question de fond, c’est celle de l’accès aux services.
La dématérialisation numérique n’est qu’un moyen dans cette affaire. (M. le secrétaire d’État opine.) Or vous dites que l’objectif est de faire en sorte que les démarches se fassent de façon dématérialisée.
M. Dominique de Legge. J’entends bien que vous nuanciez en affirmant que l’on va conserver un contact humain.
Sénateur d’Ille-et-Vilaine, j’ai eu une mésaventure avec une carte grise et j’ai téléphoné à la préfecture. La première chose qui m’a beaucoup frappé, c’est que le service téléphonique est maintenant payant. Ensuite, on tombe sur un disque, qui n’en finit pas, et, au bout de dix minutes ou un quart d’heure, on a enfin quelqu’un.
J’entends vos propos, mais je me permets d’y insister, je ne pense pas que la relation entre l’administré et l’administration puisse se faire au travers d’un écran. D’ailleurs, de ce point de vue, la sémantique est importante. Je crois véritablement que, à un moment donné, nous avons besoin de médiation. D’ailleurs, ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays est bien dû à un manque de médiation.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Dominique de Legge. Veillons à ne pas confondre la fin et les moyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub et M. Yves Bouloux applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Depuis tout à l’heure, on dirait un débat entre personnes qui sont d’accord…
Je le répète encore une fois, on s’est donné comme objectif de rendre les services publics disponibles numériquement d’ici à 2022 pour ceux qui le souhaitent. Aujourd’hui, on ne peut pas exiger d’une maman responsable d’une famille monoparentale de poser une demi-journée de congé pour faire une démarche administrative. Grâce au numérique, ce sont des millions de demi-journées que nous avons libérées et rendues à la vie économique et à la vie personnelle des Français.
Reconnaissons tout de même qu’il s’agit d’un objectif très important pour tous ceux qui savent. Pour les autres, pour tous ceux qui ont besoin de ce contact humain de proximité, le Président de la République a pris, je vous le rappelle, l’engagement de ne pas faire de numérisation sans réhumanisation. Il y aura donc plus d’êtres humains disponibles pour assurer des relations de proximité et accueillir ceux qui rencontrent des difficultés.
Dans le cadre de la loi ÉSOC, la loi pour un État au service d’une société de confiance, nous l’avons rappelé, l’État ne doit pas mettre en place de numéros payants. Nous avons fait cette erreur à un moment, ce fut un égarement passager. Le rôle de l’État est d’accueillir partout où il le peut, par tous les canaux dont auraient besoin les personnes en fonction de leurs capacités, de leur handicap, de leur disponibilité, afin de leur apporter des solutions. Je vais même vous dire un secret, parmi tous ces numéros qui existent encore aujourd’hui, certains ne vous mèneront jamais à un être humain : ce sont des boucles de répondeur, qui, à la fin des fins, vous renvoient toujours à un site internet. Ces numéros-là, nous tentons de les identifier – j’appelle tous les Français à les signaler sur le site NosDemarches.gouv.fr –, car ils n’ont plus leur place dans l’accueil et le parcours du service public.
M. Jackie Pierre. Ils existent toujours !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. Le parcours du service public doit démarrer avec un être humain, si la personne en a besoin. Il doit pouvoir démarrer au téléphone si elle le souhaite.
MM. Jackie Pierre, Daniel Gremillet et Laurent Duplomb. C’est faux ! Ces numéros existent toujours !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. Donnez-les-moi ! Faisons la liste ensemble ! Ces numéros ne doivent plus exister. C’est une insulte faite aux citoyens que de proposer des numéros de téléphone qui ne mettent pas en relation avec un être humain et ne mènent qu’à des répondeurs. Nous avons commencé à nous atteler à cette tâche.
Concernant la démarche dématérialisée pour l’obtention des cartes grises, la plus contestée par les Français qui rencontraient des difficultés, mais la plus appréciée par les autres, l’enjeu a été l’accueil humain.
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. Si vous avez le moindre problème, sachez que je m’inscrirai toujours dans une démarche de prestation de service, avec une écoute inconditionnelle. Venez me voir, écrivez-moi, et nous trouverons des solutions pour chacun des services que vous identifierez dans chacun de vos territoires. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, je vous crois plein de bonne volonté. Mais, encore une fois, je le répète, à chaque fois que je parle avec mon préfet, mon percepteur de la réforme de l’État, il me répond : dématérialisation. Voilà ce qui me gêne. Il y a là une confusion.
Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury.
M. Hugues Saury. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous avez déjà répondu à certaines des questions que je vais vous poser, mais je vous remercie par avance de bien vouloir compléter vos réponses.
Par la loi NOTRe, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, il est confié aux départements le copilotage avec l’État des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public.
Un rapport du 16 janvier dernier du Défenseur des droits a relevé la fracture numérique existante et l’efficacité des maisons de services au public, les MSAP, pour y remédier. L’État a d’ailleurs annoncé le déploiement des MSAP, cofinancées par le FNADT, le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, et un fonds alimenté par les opérateurs.
Cependant, malgré la poursuite du déploiement et l’abondement des crédits, le dispositif est gelé jusqu’à la mi-2019 à la demande des opérateurs, qui s’interrogent sur l’efficacité de certaines MSAP.
Toutefois, il existe des enjeux immédiats et des dispositifs à mettre en place à court terme tant il est évident que l’accès aux services publics, sous une forme ou une autre, est un enjeu de notre société et une préoccupation de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, j’ai plusieurs interrogations.
Qu’en est-il des schémas départementaux d’inclusion numérique annoncés par vous-même, monsieur le secrétaire d’État, en décembre 2017, – vous en avez dit un mot – et dont la réalisation devait être confiée aux départements ? Pourquoi avoir gelé l’ensemble du dispositif des MSAP, alors que le déploiement était en phase d’accélération ? Comment et quand les collectivités locales engagées dans la gestion des MSAP vont-elles être aidées financièrement ?
Enfin, le financement par l’État du déploiement de la fibre est gelé, alors qu’il reste un nombre de foyers important à desservir. Est-ce temporaire ou définitif ?
Dans un autre domaine, le dispositif mis en place par l’État pour résorber les zones blanches de téléphonie mobile reste très limité par le nombre de sites possibles au regard de l’ampleur de la problématique – cette question a également été évoquée précédemment. En outre, il est contestable sur la méthode : les collectivités sont parfois obligées de financer des études alors que les opérateurs disposent d’informations précises, mais ne veulent pas les communiquer pour des raisons de concurrence. Quelles mesures envisagez-vous de prendre, afin d’accélérer et de compléter le déploiement, sachant que l’accès à un service de téléphonie mobile performant est l’un des éléments les plus évoqués pour ce qui concerne la fracture entre l’urbain et le rural ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, concernant votre première question, j’ai dressé la liste des dix premiers territoires qui s’étaient engagés dans un véritable travail de dentelle – c’est l’image que nous avons prise précédemment – pour mettre en place les schémas départementaux d’inclusion numérique territoriale. Ceux-ci nécessitent un diagnostic des acteurs en présence, un diagnostic des populations telles qu’elles sont, avec leurs besoins, leurs usages, leurs difficultés – le diagnostic est différent dans chacun des territoires.
Les dix premiers territoires dont je vous ai parlé sont ceux qui, non seulement, ont établi ce diagnostic, mais ont également organisé des discussions entre les élus en y incluant les différents acteurs pour parvenir au schéma final. Mais les autres ont aussi lancé des initiatives.
Le rôle de l’État, en partenariat avec plusieurs régions pilotes, est de coconstruire pendant l’année 2019 avec chaque département un schéma directeur d’inclusion numérique. L’Assemblée des départements de France est notre premier partenaire sur le sujet. Aujourd’hui, tous les départements ont compris que l’inclusion numérique était le nouveau pilier du chapitre concernant l’action sociale territoriale et qu’il était absolument nécessaire qu’ils soient capables d’incarner et d’apporter des solutions locales différentes d’un département à l’autre. C’est cette démarche que nous accompagnons. Les hubs dont nous avons parlé précédemment seront aussi des outils d’accélération pour accompagner ces territoires en vue de définir leur stratégie et, surtout, la mettre en place.
Lorsque vous prévoyez, dans le cadre de votre stratégie, de faire émerger une vingtaine de nouveaux lieux en milieu rural, vous avez besoin d’un lieu d’expertise central capable d’accompagner chacun des lieux qui pourront se développer. C’est tout l’objet de cette stratégie en deux temps : un diagnostic et une vision locale pour la création, l’émergence de lieux, leur financement, avec près de 15 millions d’euros cette année, et l’accompagnement tout au long de la vie, avec le financement des formations et des heures de formation de tous les citoyens qui se réorienteront dans ce domaine. Vous le voyez, c’est à la fois de l’ingénierie, de l’investissement pour ce qui concerne la création et, ensuite, du financement des frais de fonctionnement : l’État joue un rôle d’expertise, d’accompagnant et de déclencheur.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Dans nos territoires de montagne, la couverture numérique en très haut débit, mobile et fixe, est un prérequis pour parvenir au désenclavement et permettre un accès au service public.
La couverture téléphonique et internet sont un impératif, non seulement pour l’accueil de nouvelles populations, mais aussi pour le développement économique et, en particulier, l’activité touristique. Ainsi, l’accès à internet est-il aujourd’hui un critère de choix, tant pour les touristes que pour le maintien des populations et des activités existantes.
Or certains habitants ne peuvent toujours pas utiliser leur téléphone portable pour passer des coups de fil ou accéder à leur messagerie électronique depuis leur mobile. D’autres n’ont pas accès à l’ADSL ; ils sont de facto exclus de la société, et l’activité économique en pâtit.
La dernière loi Montagne – la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne – devait permettre de renforcer l’accès au numérique de ces territoires. Or force est de constater qu’il existe encore de nombreuses zones blanches – cela a été rappelé –, dans lesquelles il est totalement impossible d’avoir accès à la 4G, mais également à la 3G, quand ce n’est pas au GPRS.
Le 14 janvier 2018, un accord a été signé entre l’État, l’Arcep et les quatre opérateurs de téléphonie mobile. Par ce biais, l’aménagement numérique du territoire devient prioritaire dans les conditions d’attribution des fréquences.
Cet accord est contraignant pour les opérateurs, qui vont devoir, d’une part, équiper l’ensemble des sites de téléphonie existants en 4G et, d’autre part, construire d’ici à trois ans 5 000 sites mobiles chacun, sites parfois mutualisés, afin d’accélérer la cadence de déploiement des réseaux mobiles.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part des résultats de cet accord à date ? Comment votre ministère envisage-t-il le déploiement de la 5G dans ces territoires, alors que les fréquences seront attribuées dans les prochains mois ? Les territoires de montagne devront-ils encore attendre une décennie pour y avoir accès ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. J’ai effectué mon premier déplacement en tant que ministre en Isère, à Besse-en-Oisans. J’allais travailler avec un maire d’un village des environs, qui m’avait expliqué avoir mis dix ans pour faire implanter un pylône de téléphonie mobile sur son territoire.
Pourquoi un tel délai ? Il avait dû lever de très nombreuses contraintes. D’abord, il avait fallu convaincre les opérateurs. Ensuite, comme nous en avons débattu précédemment, le maire avait dû, sur la demande d’un certain nombre d’acteurs, dont les architectes des bâtiments de France, faire des tests auprès de toutes les communes avoisinantes pour voir sur quel mont le pylône serait le moins visible. Tout cela a pris dix ans.
À l’occasion de ce déplacement, au moment du pot convivial de fin, j’ai rencontré deux jeunes. Je leur ai dit que c’était très « sympa » de se trouver là ; ils m’ont répondu qu’ils étaient les deux derniers à être restés. Tous les autres jeunes étaient partis parce que le village était une zone totalement blanche depuis dix ans. À partir de l’adolescence, ils allaient faire leurs études ailleurs…
Face à de tels constats, qu’avons-nous fait ? J’évoquais le new deal que nous avons formalisé, imposant aux opérateurs un certain nombre d’objectifs obligatoires.
En Isère, douze zones blanches de la première liste sont déjà identifiées et font l’objet d’un déploiement. Nous continuerons de la sorte, d’année en année.
Mais il faut aussi évoquer les changements en cours sur des dizaines de sites, qui passent des anciennes technologies 2G et 3G à la nouvelle technologie 4G. À l’échelle du territoire national, 3 500 sites ont bénéficié d’une telle évolution depuis le 1er janvier 2018.
Par ailleurs, monsieur le sénateur Savin, vous m’interrogez sur les nouvelles technologies. La fameuse loi Montagne évoquée par vos soins a eu deux effets : d’une part, elle nous a permis d’obliger les opérateurs à procéder à un certain nombre de déploiements – c’est le fameux article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques – et, d’autre part, elle impose à toutes et tous, chaque fois qu’une nouvelle loi est débattue, de porter une attention particulière à ces territoires de montagne, du fait de leurs spécificités.
S’agissant de la 5G, rien n’est défini aujourd’hui. Mais notre préoccupation est tout de même d’éviter que, au motif de la 5G, on oublie la 4G. Il y a là un véritable risque.
Autrement dit, nous avons le souci de passer des anciennes aux nouvelles technologies actuelles – c’est-à-dire la 4G – et de conserver l’état d’esprit qui est le nôtre dans tout le déploiement des technologies futures. Pour autant, il faut éviter de faire des sauts technologiques qui, in fine, desserviraient les territoires que vous défendez. Ce n’est ni votre souhait, ni le nôtre !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. J’entends cette réponse, monsieur le ministre, mais il y a urgence dans certains territoires, notamment au regard de l’aspect économique. À l’heure actuelle, des stations touristiques de montagne perdent de la clientèle, celle-ci préférant, du fait des difficultés de connexion au réseau internet, séjourner dans d’autres stations.
Pour ces territoires, l’enjeu est économique, avec des emplois à la clé, d’où l’urgence à traiter la question. J’entends les intentions ; il faut passer des intentions aux actes ! C’est une des conditions pour pouvoir maintenir des activités sur ces secteurs, qui sont déjà très défavorisés.
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande.
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat a naturellement une résonance particulière dans le contexte actuel. L’exaspération exprimée au cours des dernières semaines, face aux inégalités vécues et perçues dans les territoires, se nourrit aussi de la fracture numérique.
L’absence d’accès au numérique est aujourd’hui ressentie, par nos concitoyens, comme une forme de déclassement et une véritable injustice, à juste titre.
Ce sentiment devient de plus en plus violent avec la généralisation des services en ligne, dans tous les domaines. C’est la double peine !
Je reviens à la question spécifique de la dématérialisation des services publics et de l’ambition portée par l’exécutif. Comme l’a rappelé le Défenseur des droits, « la mise en œuvre des politiques publiques de dématérialisation se doit […] de respecter les principes fondateurs du service public : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité devant le service public », ce qui nécessite a minima une connexion internet de qualité et l’accès à des équipements informatiques. Or ces deux conditions évidentes ne sont pas réunies partout – les chiffres en la matière ont été rappelés au cours du débat.
Face à ce constat, quelles réponses apporter ? L’amélioration significative de la couverture numérique du territoire et de l’accès des Français au très haut débit, tant fixe que mobile, reste la condition sine qua non pour lutter contre la fracture numérique.
Faut-il rappeler qu’en moins de dix ans seulement, le déploiement des technologies de l’information et de la communication est devenu une composante essentielle du développement et de la compétitivité des territoires ?
Alors oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, cet enjeu vous engage !
Le plan France très haut débit de 2013, pour internet, et l’accord de janvier 2018 signé entre le Gouvernement, l’Arcep et les opérateurs, pour le mobile, ont suscité de nombreux espoirs. Dans le contexte actuel, la non-réalisation ou un nouveau report des objectifs fixés pourrait avoir des conséquences encore bien pires que celles de l’augmentation inconsidérée de la taxe carbone.
En janvier dernier, devant les maires, le Président de la République a indiqué vouloir mettre la pression sur les opérateurs pour que le déploiement se fasse au bon rythme.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que les engagements seront bien tenus, à l’horizon de 2020 pour le haut débit et de 2022 pour le très haut débit, et, surtout, que l’ensemble des foyers et des entreprises françaises disposeront d’un accès à internet performant d’ici là ?
Quels nouveaux leviers l’exécutif entend-il actionner pour contraindre les opérateurs ?
Pour les zones qui ne pourront pas techniquement avoir accès à la fibre jusqu’au domicile en 2020, le Gouvernement a ouvert, à compter du 1er janvier 2019, un guichet « cohésion numérique des territoires », doté de 100 millions d’euros. Cette enveloppe est-elle réellement à la hauteur des besoins ? C’est une véritable question !
Outre la couverture numérique des territoires, la dématérialisation des services publics devra nécessairement s’accompagner d’une attention particulière portée à la capacité des familles à s’équiper en matériel informatique. En 2017, 19 % de la population ne possédait pas d’ordinateur, le prix du matériel étant le premier frein.
Le sujet de l’obsolescence programmée des appareils et de ses conséquences, tant économiques qu’écologiques, doit également être soulevé par l’État, de même que l’accessibilité et les conditions de résiliation des abonnements internet.
Autre danger, la dématérialisation de l’intégralité des services publics en 2022, très largement évoquée dans cet hémicycle aujourd’hui, ne peut se résumer à compenser la disparition des services publics sur certains territoires et à privilégier une approche budgétaire. Ce danger me paraît, hélas, trop réel pour qu’on n’y revienne pas.
Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, nos concitoyens demandent avant tout une présence physique des services publics dans les territoires.
Prenons pour exemple la télémédecine : si celle-ci représente un vecteur important d’amélioration de l’accès aux soins, en particulier dans les zones sous-équipées, elle ne saurait se soustraire aux actes médicaux classiques et à la présence, sur nos territoires, de professionnels de santé.
En outre, la dématérialisation des services publics pourra fonctionner seulement si elle s’accompagne d’un effort de simplification et de rationalisation. À ce titre, la proposition du Défenseur des droits d’instaurer un identifiant unique me paraît intéressante et prioritaire. Simplifions la vie de nos concitoyens !
Enfin, si l’État s’est engagé à fournir un nouvel effort financier en faveur des réseaux d’initiative publique portés par les collectivités en décembre dernier, ce dont je me félicite, il faut aussi être cohérent.
Je citerai à cet égard une situation très concrète, actuellement vécue dans le Grand Est, une région qui s’est largement impliquée dans le déploiement du très haut débit en fibre jusqu’à l’habitant. Hélas, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, qui dit fibre dit passage possible dans des domaines forestiers… Pour 550 kilomètres de domaines forestiers gérés par l’Office national des forêts, l’ONF, ce sont 66 millions d’euros qui sont réclamés par cet organisme ! C’est problématique, car c’est un coût pour le contribuable, un surcoût pour le projet et des freins à la réalisation des travaux.
En conclusion, permettez-moi d’évoquer l’important travail que notre collègue Patrick Chaize a réalisé au niveau du Sénat, lequel a adopté, l’année dernière, une proposition de loi. Je souhaite vraiment, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous fassiez vôtre ce texte, car il est dans l’intérêt de tous nos territoires et de l’ensemble des Français sur ces territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, avec l’autorisation de M. Gremillet.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Je répondrai simplement à quelques-unes des interrogations très directes qui me sont soumises.
Le premier élément que vous évoquez, monsieur le sénateur, ce sont les objectifs que nous nous sommes fixés : 2020 pour le haut débit et 2022 pour le très haut débit.
Nous effectuons un suivi mensuel, département par département – je remercie mes équipes, car elles travaillent vraiment beaucoup sur ce sujet – et, au moment où je vous parle, une incertitude concerne une dizaine de départements. J’entends par « incertitude » le fait que, sans accélération de la démarche, nous nous retrouverions sous tension dans ces territoires. Sur ces dix départements, donc, nous multiplions les efforts d’accompagnement, de financement et de transparence pour atteindre les objectifs.
Cela étant, nous sommes toujours sur un rythme de 11 000 prises raccordables par jour ouvré depuis le début de l’année 2018, ce qui montre l’accélération et le rythme atteint dans le déploiement.
Le deuxième élément que vous évoquez, ce sont les solutions techniques et l’ouverture d’un guichet « cohésion numérique des territoires ».
Nous considérons que, dans certains territoires, la solution technique ne passe pas forcément par la fibre ou les réseaux filaires. Elle peut être d’une autre nature et coûter plus cher, ce qui justifie la mise en place de ce guichet doté de 100 millions d’euros et offrant des appuis financiers pouvant aller jusqu’à 150 euros pour favoriser certaines solutions.
Il faut d’ailleurs compter, aussi, avec la solution satellitaire. Nous n’en avons pas parlé aujourd’hui, mais a été négocié, l’année dernière, l’envoi de nouveaux satellites par les opérateurs privés, afin de rendre cette solution plus facile et abordable, avec, en sus, une aide à l’installation dans les zones où il n’y en aurait pas d’autres envisageables.
Le troisième élément que vous évoquez, c’est la facilitation du déploiement.
Je veux vraiment remercier le sénateur Patrick Chaize à cet égard.
Au moment de l’examen du projet de loi ÉLAN, nous avons beaucoup débattu, dans cette enceinte, des mesures de simplification permettant d’accélérer le déploiement. Il reste des cas particuliers. Le sujet de l’ONF a été mentionné pour le Grand Est, où j’ai eu l’occasion de me rendre à de multiples reprises pour aborder cette thématique, mais il en existe d’autres, comme la relation avec Enedis, que beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, avaient signalée. Je pense notamment à cet arrêté de 2001, qui, à la suite de la tempête de 1999, avait considérablement durci les contraintes de passage des fibres. Nous sommes en train de finaliser ces travaux et, là aussi, nous avons le souci de trouver des solutions et d’accélérer.
Sur tous ces sujets, vous pouvez compter sur la détermination de Mounir Mahjoubi, sur la mienne, mais aussi sur celle d’Agnès Pannier-Runacher, qui travaille avec nous. Notre objectif est, un, que le numérique ne soit pas un luxe, mais un droit ; deux, que les infrastructures se déploient le plus rapidement possible ; trois, que des usages et un accompagnement à ces usages se mettent en place.
Au nom de Mounir Mahjoubi et en mon nom, je tiens donc à vous remercier des échanges que nous venons d’avoir sur cette thématique ô combien importante.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la fracture numérique et les inégalités d’accès aux services publics.
Je veux remercier le ministre Julien Denormandie et le secrétaire d’État Mounir Mahjoubi de leur présence. Leur duo a été très apprécié, par toutes et tous, cet après-midi.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 21 février 2019, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe Union Centriste)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli (texte de la commission n° 307, 2018-2019)
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (texte de la commission n° 311, 2018-2019)
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER