Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Joël Bigot. Cela a été dit : deux Français sur dix demeurent éloignés de l’outil numérique, soit parce qu’ils n’y ont pas accès, soit parce qu’ils n’en maîtrisent pas les usages. En parallèle, la dématérialisation des services publics, si elle répond à un besoin d’efficacité et d’efficience que nul ne conteste, ne doit pas entraîner une déresponsabilisation des pouvoirs publics renvoyant à la sphère associative l’accompagnement des usagers.
Le rapport récent sur le sujet du Défenseur des droits sonne l’alerte et relève très justement le risque de privation de droits liée à la déconnexion ou à l’illectronisme des usagers.
Il faut donc conserver une présence physique du service public, car elle est conforme au principe constitutionnel d’égalité devant le service public.
L’association Emmaüs Connect, très impliquée dans l’inclusion des plus fragiles, estime qu’il faudrait un milliard d’euros, sur sept ans, pour financer l’inclusion numérique, tandis que le Gouvernement prévoit de mobiliser à peine 100 millions d’euros. Est-ce bien suffisant, au regard du risque de décrochement numérique, aussi bien en ville qu’en zone rurale ?
Par ailleurs, le développement de ce qu’il est convenu d’appeler les smart safe cities, ou villes sûres et intelligentes, comme Angers, va transformer profondément nos services publics par la numérisation généralisée. Il faudra bien sûr veiller à l’inclusion sociale et technologique des habitants.
Aussi la numérisation pose-t-elle également la question de la souveraineté, ce qui avait bien été mis en exergue par le rapport parlementaire de M. Luc Belot, paru en avril 2017.
En effet, la mise à disposition de data – données stratégiques utilisées par des applications en tous genres – pourrait, à terme, déposséder les collectivités de leurs services publics locaux.
Devant cette nouvelle menace de fracture numérique, l’État prévoit-il d’attribuer des aides financières spécifiques aux collectivités, afin de les accompagner dans la création de logiciels interopérables, de leur permettre ainsi de conserver la maîtrise de leurs données, et d’éviter une privatisation rampante de nos villes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, prolongeons cette discussion sur le diagnostic et venons-en à la méthode.
Depuis deux ans, le sujet de l’inclusion numérique des plus éloignés est une priorité du Gouvernement. Une méthode que nous avons adoptée très tôt part du principe qu’aucune solution venant d’en haut ne peut fonctionner.
Pendant près d’un an et demi, nous avons travaillé avec l’Assemblée des départements de France et avec de nombreux présidents de département, qui sont venus eux-mêmes participer aux groupes de travail, ainsi qu’avec l’Association des régions de France.
Nous avons aussi travaillé avec la coopérative MedNum. En un an, elle a réuni autour d’elle tous les acteurs de la médiation numérique qui opèrent sur le territoire : Emmaüs Connect, que vous avez évoqué, la Ligue de l’enseignement, ou encore tous ceux qui, dans tous nos territoires, créent des points de formation, d’accueil et de transmission de compétences, tous ces acteurs qui constituent le maillage social et associatif de notre pays. Et c’est tous ensemble que nous avons construit, pendant cette année, la stratégie nationale pour un numérique inclusif.
Cette stratégie met en valeur l’idée selon laquelle chaque territoire doit recevoir une réponse particulière, parce que tous les territoires n’ont pas les mêmes besoins.
Précédemment, on rappelait que deux Français sur dix sont exclus d’internet. Malheureusement, dans certains départements, cette proportion s’élève à quatre Français sur dix. Dans ce cas-là, il faut une mobilisation différente.
Lors de l’élaboration de cette stratégie, nous nous sommes posé la question du financement et de la compétence en la matière. La compétence numérique inclusive est à la fois la plus partagée et la moins financée : elle relève de la compétence du département, de la compétence de la région, de la compétence de l’État, de la compétence de tous ceux qui sont en train de transformer le monde autour de nous.
Une autre étude qu’il est important de noter est celle que j’ai commandée à France Stratégie. J’ai demandé à cet organisme d’estimer combien cela coûte à une personne de ne pas savoir utiliser le numérique et combien cela coûte à la France. En effet, si vous êtes dans ce cas, il n’y a pas que les services publics numériques qui vous sont rendus inaccessibles, mais aussi les services offerts par le privé. Quand on ne sait pas utiliser internet, on est moins informé. Quand on ne sait pas utiliser internet, on communique moins avec son entourage. Quand on ne sait pas utiliser internet, c’est la double peine, et on paye tout plus cher : statistiquement, dès que les Français achètent un objet d’une valeur supérieure à 100 euros, ils comparent toujours en ligne.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, il faut conclure !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. On souffre de tous ces éléments à la fois. Je reviendrai dans un instant sur les différentes réponses que nous avons apportées à l’échelon territorial et sur le financement.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. J’avais posé des questions sur le détournement des données qui pouvaient être collectées par les collectivités locales, notamment les data. Je pense que vous aurez l’occasion de répondre sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. Là aussi, beaucoup de gens s’autocensurent dans l’utilisation des services numériques, tout simplement parce qu’ils ne sont pas familiarisés avec cet outil. Or face à l’explosion des données qu’on observe aujourd’hui, des personnes restent véritablement en retrait. Cela risque de créer des citoyens de seconde zone.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. S’il est un sujet qui continue de préoccuper particulièrement les Français et dont les imbrications avec le numérique se font de plus en plus prégnantes, c’est bien la santé.
Numérique et santé sont, en effet, de plus en plus indissociables.
Utilisées à leur plein potentiel, les nouvelles technologies contribueraient – le conditionnel est important – à améliorer l’innovation, la recherche et le parcours de soins, et à réduire la fracture territoriale par un meilleur accès aux soins, notamment grâce à la télémédecine, dans toutes ses composantes, de la téléconsultation à la téléexpertise.
Les ambitions de la France en la matière sont immenses, de même que ses atouts, avec un système de santé de qualité reconnu dans le monde entier. Mais le déploiement de la télémédecine se heurte encore à plusieurs difficultés, notamment, au manque d’efficience du réseau sur certains territoires.
Dans le Grand Est, par exemple, nous avons lancé un plan massif visant à doter de la fibre optique, d’ici à 2023, chaque habitation de la région.
Au-delà du déploiement du très haut débit, les professionnels de santé éprouvent néanmoins des difficultés à s’organiser. Seuls 35 % d’entre eux disent connaître correctement les technologies de santé connectée. Ils ont besoin de plus d’ingénierie, de plus d’accompagnement et de plus de formation pour mettre en place les outils et les organisations nécessaires et ainsi faire profiter pleinement leurs patients des atouts du numérique.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les ambitions de l’État en la matière et quels sont les moyens que vous comptez déployer pour y parvenir ?
Le second point de ma question concerne le remboursement de la téléconsultation.
J’ai soutenu le basculement de la téléconsultation dans le droit commun, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, et j’ai salué la déclaration du directeur de la caisse nationale d’assurance maladie relative à la signature de l’avenant : « Tout assuré, quel que soit son lieu de résidence, et tout médecin, quelle que soit sa spécialité, pourra y recourir. » Je considère toujours cette mesure comme une réponse, parmi d’autres, au phénomène de désertification médicale.
Toutefois, des freins semblent exister. La CNAM a récemment annulé le remboursement des consultations effectuées par des patients n’étant pas domiciliés à proximité du médecin qui assure la téléconsultation. Quel est l’état d’esprit du Gouvernement sur ce sujet, et quelles pistes sont envisagées pour lever ces freins ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, vous avez raison : la télémédecine est une opportunité incroyable.
C’est le fait, d’abord, de la téléconsultation, qui rend accessible un médecin à une personne à un moment où, physiquement, celui-ci n’aurait pas pu être près d’elle. Cela évite au patient de devoir parcourir une distance qu’il n’aurait peut-être pas pu franchir seul et met à sa disposition, près de chez lui, un médecin par le biais du téléphone ou de la visioconférence. Ce médecin va pouvoir établir un diagnostic, apporter des réponses, et rédiger une ordonnance ; le patient pourra, ensuite, aller récupérer les médicaments à la pharmacie.
Même si la volonté du Gouvernement a été de généraliser le remboursement de ces téléconsultations, la forme de ces dernières revêt une diversité incroyable à travers le territoire.
J’ai eu la chance de faire tout le tour de la France et de me familiariser avec de nombreuses initiatives engagées dans les départements, en milieu rural comme en milieu urbain. À chaque fois, le dispositif est différent. Pour ma part, je crois que c’est dans cette diversité que l’on va trouver les différentes solutions. Il n’y a pas de solution universelle !
Il y aura la téléconsultation que les gens pourront faire de chez eux, mais elle ne sera jamais de la même nature que celle qui s’effectuera dans une cabine, en compagnie de quelqu’un – aide-soignante ou infirmière – qui jouera un rôle de médiation médicale.
Ces téléconsultations de demain posent de très nombreuses questions. Des expérimentations ont été réalisées pendant plusieurs années. Aujourd’hui, nous en sommes à la généralisation, mais seulement à l’an 1 de la généralisation.
Madame la sénatrice, oui, la CNAM, notamment, a estimé que le médecin consulté était trop éloigné. En effet, pour cet an 1 de la téléconsultation, nous avons souhaité qu’elle soit réservée à la relation entre un médecin généraliste et un patient qu’il a l’habitude de recevoir ou qu’il pourrait avoir l’habitude de recevoir. Il a donc été considéré que, au vu de la distance, il était peu probable qu’une telle relation puisse s’instaurer.
Cela étant, le modèle que nous ne souhaitons pas est le modèle américain selon lequel, à travers une application, on peut zapper d’un médecin vers un autre, avec un forfait illimité de consultations. Si nous l’adoptions, nous dénaturerions le fameux lien humain dont nous parlions précédemment.
Une téléconsultation avec des humains, une téléconsultation remboursée, une téléconsultation reconnue par l’Ordre des médecins comme étant une consultation médicale de qualité, voilà l’ambition ! Rappelons que 2019 est l’année du remboursement de toutes ces téléconsultations. Certains patients vont vivre des changements impressionnants.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Je veux, pour ma part, évoquer les problèmes que pose la politique de l’administration consistant à systématiquement obliger les citoyens à passer par internet pour accomplir leurs formalités, qu’elles soient administratives ou autres.
Actuellement, on n’arrive plus à obtenir un renseignement par téléphone. On nous rétorque : « Regardez le site internet ! » C’est scandaleux, c’est la négation même du service public ! Que faites-vous des gens qui ont 75, 80, ou 95 ans, ne savent pas se servir d’internet, ou n’ont pas eu de formation ?
Je crois, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faut absolument présenter un texte législatif aux termes duquel toutes les personnes de plus de 70 ans, par exemple, doivent pouvoir avoir des contacts avec l’administration et faire leurs formalités de manière traditionnelle, comme c’était le cas auparavant.
J’admets qu’on demande à un jeune de 20 ans de recourir à internet, parce que ces jeunes en savent au moins autant qu’un spécialiste de 60 ans !
Comprenez en revanche que c’est absolument dramatique pour certaines personnes de se retrouver complètement démunies.
J’aimerais bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous disiez si le Gouvernement serait d’accord pour élaborer une loi à caractère général qui disposerait que les personnes dont l’âge dépasserait un certain seuil, ou qui seraient nées avant une certaine date, auraient le droit de ne pas recourir à internet. Et, petit à petit, au fur et à mesure que les plus jeunes atteindraient un âge plus avancé, on pourrait progressivement remonter l’âge butoir.
M. Philippe Adnot. M. Masson est très raisonnable !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je partage votre colère. Il est inadmissible d’imposer un outil à quelqu’un qui ne sait pas l’utiliser.
À chaque fois qu’on répond au téléphone à quelqu’un : « Mais vous n’avez qu’à aller sur le site internet, ma bonne dame, mon bon monsieur », on insulte et on méprise cette personne.
En outre, on entretient le sentiment d’humiliation que beaucoup de Français qui ne maîtrisent pas particulièrement la langue écrite ressentent depuis des décennies face à un formulaire trop compliqué pour eux. On a transmis avec le numérique toutes les incompréhensions de ceux qui ne maîtrisaient pas la langue. De surcroît, on ajoute à ces derniers, quel que soit leur âge, ceux qui ne maîtrisent pas le numérique. C’est la double punition !
Qu’avons-nous fait évoluer ? Je vais reprendre l’exemple de la carte grise. Quand nous sommes arrivés au Gouvernement, plusieurs milliers de dossiers étaient en attente dans une grande pile et on ne savait plus trop comment traiter le problème. Quand vous vous présentiez à la préfecture, on vous disait : « On est désolé, il n’y a plus de guichet qui s’occupe de ce sujet et on ne sait pas où en est votre dossier. »
En un an, nous avons mis en place une équipe spécialisée qui a traité cette pile de dossiers en attente. Surtout, nous avons créé des équipes régionales d’expertise qui s’occupent de toutes les demandes qui sont faites dans la région. Enfin, dans chaque préfecture de France, nous avons instauré un lieu d’accueil avec un véritable être humain à qui on peut parler et demander d’appeler la plateforme d’expertise régionale. Or celle-ci, désormais, ne vous répond pas d’aller sur le site internet, mais elle explique : « Oui, votre dossier fait partie de ceux qui étaient bloqués pour telle ou telle raison. »
Nous allons généraliser cet exemple. Il ne peut pas y avoir numérisation sans inclusion. Si on numérise à tout prix, en condamnant, on est sûr de créer des résistances. Ceux qui croient au progrès et au numérique doivent donc être ceux qui, avec vous, affirment qu’on devrait toujours avoir la capacité de parler à un humain.
Par ailleurs, le numérique peut lui aussi apporter des solutions. En effet, pour que l’être humain présent dans la préfecture puisse répondre à la personne en détresse numérique qui vient le voir, il faut qu’on mette en place des systèmes d’information qui lui donnent la capacité de le faire.
C’est tout le travail que nous menons à l’heure actuelle, dans tous les services publics, de façon transverse, pour que toutes les personnes qui accueillent à la préfecture, dans les MSAP d’aujourd’hui ou de demain, dans les lieux de médiation numérique, dans les lieux d’accompagnement, puissent vraiment vous renseigner et vous accompagner.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le secrétaire d’État, c’est une vue de l’esprit ! Actuellement, vous ne trouvez personne dans les administrations. Lorsque vous téléphonez, vous n’avez plus personne !
C’est sympathique de dire qu’il y aura quelqu’un, mais vous savez comment cela se passe. Les préfectures planquent même leur numéro de téléphone ! Obtenir ce numéro relève désormais quasiment du parcours du combattant. On tombe sur un « 08 », sur je ne sais quelle plateforme ! C’est extraordinaire !
Et pour ce qui concerne les impôts, on est obligé de payer par internet ! Ce n’est pas possible !
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Je souhaite associer à ma question ma collègue Nadia Sollogoub, élue du département rural de la Nièvre.
L’arrivée du numérique a ouvert le champ des possibles pour les territoires ruraux. En effaçant la distance, elle a offert la possibilité de placer tous les territoires sur un pied d’égalité et donc de désenclaver des territoires ruraux.
Or c’est trop souvent l’inverse qui s’est produit : ces quinze dernières années, le déploiement des infrastructures numériques et de téléphonie mobile a été mené à un rythme très inégal selon les territoires. La fracture territoriale s’est ainsi accentuée par l’effet de la fracture numérique.
Nous avons même subi une double peine : aux retards d’installation des équipements s’est ajoutée l’obligation faite aux collectivités, pourtant les moins riches, de participer à leur financement, en raison d’une trop faible densité de population. Telle a été la réalité de ces quinze dernières années.
Nous savons cependant que le progrès technologique ne cesse d’avancer et va créer de nouvelles opportunités. La ruralité ne doit pas être tenue à l’écart de ces rendez-vous futurs. Dans les territoires à faible densité de population, on ne peut plus se contenter de courir sans cesse derrière la technologie, avec cinq ou dix ans de retard !
Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à inverser la logique qui a creusé ces inégalités territoriales quand on aurait dû les réduire ?
Êtes-vous prêt, à l’avenir, à avancer au même rythme partout en France, dans une perspective d’aménagement du territoire national fondée sur l’équité, par exemple pour le déploiement de la 5G, qui arrive sur le marché ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Canevet. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Delcros, l’exemple que vous donnez peut être dupliqué dans beaucoup de territoires.
J’étais moi-même dans le Cantal, il y a quelque temps, auprès d’un ami cher (Sourires.), pour évoquer le déploiement du numérique, mais aussi de la téléphonie mobile. Il faut affronter tous les sujets, y compris celui dont nous n’avons pas parlé, mais qui a fait couler beaucoup d’encre dans le Cantal : le téléphone fixe. Il n’est pas normal que, quand un opérateur a remporté le contrat de service public universel, il faille, pour de multiples raisons, attendre des semaines, voire des mois, avant que le service soit rétabli. L’Arcep s’est saisie de la question pour faire émerger une solution.
Venons-en au déploiement du numérique et de la téléphonie mobile. Sur le premier, nous travaillons beaucoup, et votre département a fait le choix, avec la région, d’un plan régional mené par une équipe très déterminée à trouver des solutions avec pour objectif d’apporter le très haut débit dès 2022, puis le FTTH, c’est-à-dire la fibre jusqu’à l’abonné, en 2025. Nous avons réalisé, il y a quelques mois, un point de situation sur place et nous continuons à accompagner cet effort, notamment par les financements de l’État au titre du plan très haut débit.
S’agissant, enfin, de la téléphonie mobile, le département du Cantal a, comme tous les départements, reçu à ce titre des dotations de l’État pour l’année 2018, puis pour l’année 2019. Nous voulons même passer à des dotations pluriannuelles, en disant aux collectivités – il s’agit souvent du département, mais il faut parfois sélectionner un échelon plus vaste – qu’il leur revient de choisir où elles souhaitent les utiliser ; cela, ni moi ni Mounir Mahjoubi ne pouvons le faire.
Nous allons finaliser l’apport du numérique avec beaucoup de volonté, en accompagnant les collectivités, mais aussi en déployant les points fixes, c’est-à-dire les antennes, là où c’est nécessaire, avec de la visibilité. Notre détermination reste donc totale.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.
M. Bernard Delcros. Merci, monsieur le ministre, de ces réponses. À mon sens, il est toutefois urgent de changer de logiciel. Le plan que vous décrivez est ambitieux, pour le Cantal comme pour d’autres départements, et je veux le saluer, mais, comme les précédents, il sert d’abord à rattraper le retard.
S’agissant des avancées technologiques qui sont devant nous et qui arrivent sur le marché, il faut que tous les territoires puissent en bénéficier dès qu’elles seront opérationnelles.
Aujourd’hui, le coût de la connexion et de l’abonnement est le même pour tout le monde en France, mais tout le monde n’a pas accès aux mêmes services. Il y a une inégalité de traitement.
À l’heure où l’on veut envoyer des messages forts à la ruralité, l’importance qu’y prend le numérique devrait vous conduire à ne pas oublier ces territoires quand une avancée technologique se produit.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le numérique est aujourd’hui omniprésent dans nos vies quotidiennes : smartphones, réseaux sociaux, e-services, web, paiements en ligne, éducation, emplois…
Il constitue, sans aucun doute, l’un des défis majeurs de notre époque ; une chance, autant qu’un risque. Il représente une chance pour chacun d’accéder à de nouveaux services, à de nouvelles technologies, de gagner du temps, de rester en contact avec l’autre, mais aussi une opportunité pour les services publics, qui doivent se moderniser. Certains pays, comme l’Estonie, y parviennent très bien. C’est un enjeu politique et social pour simplifier la vie des citoyens et améliorer leur quotidien, comme pour permettre à l’État de faire des économies.
Le numérique peut également, toutefois, représenter un risque : celui de provoquer une exclusion plus forte de certains citoyens, ceux qui vivent en zone blanche, ceux qui sont mal ou pas équipés, ceux qui n’ont pas les connaissances nécessaires pour utiliser ces nouvelles technologies. Les recommandations du Défenseur des droits à ce sujet sont nombreuses et dressent un bilan assez mitigé de la situation. Il importe donc de rester prudent quant à la dématérialisation totale des services publics. Ainsi, selon un sondage récent, 36 % des Français sont inquiets à l’idée d’effectuer toutes leurs démarches administratives en ligne, comme le Président de la République souhaite que ce soit le cas à partir de 2022.
Monsieur le secrétaire d’État, face à cette inéluctable révolution numérique, face aux risques inhérents d’inégalité d’accès aux services publics dématérialisés, comment comptez-vous accompagner chaque citoyen pour que le numérique soit une chance et cette dématérialisation une opportunité de simplifier la vie de chacun en prenant en compte les spécificités de tous nos territoires ? (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Fouché, vous avez raison, la seule question à laquelle nous devons répondre est la suivante : comment faire du numérique une chance pour tous et éviter qu’il n’y ait, en France, des oubliés du numérique ?
J’ai évoqué étape par étape le sujet des services publics ; abordons maintenant les dispositifs opérationnels.
Sur ces 20 % de Français qui ne maîtrisent pas le numérique, il faut distinguer ceux qui peuvent être formés et les autres. Je vais consacrer un peu de temps à cette seconde catégorie. Ce sont les Français qui rencontrent les plus grandes difficultés, parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, parce qu’ils cumulent d’autres handicaps ou parce que, en raison de leur très grand âge, ils ne peuvent plus accéder à ces services. La seule option possible est de les accueillir, physiquement ou au téléphone, et de s’assurer qu’un être humain sera toujours là pour assurer la médiation finale.
Cela pose plusieurs questions : où situer ce lieu ? À quel moment de la démarche quelqu’un qui est perdu peut-il contacter un être humain ? Comment rassurer, accompagner et former ceux qui sont chargés de l’accueil ?
Ces dernières années, certaines dispositions ont bien fonctionné, d’autres non. On a ainsi voulu créer des agents territoriaux multispécialistes au sein des MSAP, mais on a parfois oublié de les former. Résultat : la personne chargée de vous accompagner dans toutes vos démarches ne les maîtrisait pas elle-même et ne pouvait donc pas remplir sa mission ; pis encore, on ne lui a pas toujours donné les outils nécessaires pour la mener à bien. Elle devait donc se connecter à votre place à vos services publics en ligne et essayer, comme elle le pouvait, de vous aider.
Nous sommes en train de mettre en œuvre des outils et des formations pour ces accompagnants présents dans les MSAP ou dans les centres sociaux.
Nous évoquions à l’instant l’identifiant unique pour les personnes qui sont autonomes numériquement, j’y reviendrai ; nous sommes en train de constituer FranceConnect Aidants, qui doit permettre à un aidant de se connecter à votre place en assurant une plus grande sécurité dans l’accès à votre dossier et dans l’accompagnement.
Nous continuerons, de plus, à pousser plus loin la formation de ces agents publics de proximité chargés de vous accompagner dans toutes les procédures. De cette manière, quand vous serez face à un agent de médiation de la caisse d’allocations familiales, la CAF, celui-ci ne vous répondra pas : « Pour une demande de carte grise, allez voir l’agent de médiation de la préfecture ! » Ces agents s’occuperont de tout pour vous. Voilà ce que je peux vous répondre, s’agissant de l’accueil humain de proximité.