Mme Éliane Assassi. Pourquoi donc n’en avons-nous pas débattu au Sénat ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il était indispensable de le réviser pour en restaurer la cohérence et remédier aux difficultés que vous avez relevées en matière de modalités de jugement et de prise en charge des jeunes ou de contrôle judiciaire. C’est un sujet très important, et si j’ai choisi de passer par une loi d’habilitation, c’est pour me contraindre à faire une proposition dans des délais réduits.
M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi n’avez-vous pas annoncé cela devant le Sénat ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ensuite, je m’y suis engagée, il n’y aura pas de ratification « sèche » : le débat au Parlement aura pleinement lieu.
Je me suis également engagée à travailler avec les parlementaires sur le texte qui sera élaboré en vertu de la loi d’habilitation. De nombreux députés et sénateurs ont déjà rédigé des rapports, que j’entends absolument prendre en compte. Avec les professionnels, ils participeront, s’ils le souhaitent, à la réflexion qui débouchera sur le texte que je serai amenée à vous présenter.
M. Jean-Pierre Sueur. La procédure accélérée a privé le Sénat de ce débat. Pourquoi avez-vous déposé cet amendement à l’Assemblée nationale ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’ai précisé que je respecterais les principes qui fondent la justice des mineurs, tels qu’affirmés au travers des décisions du Conseil constitutionnel.
La dernière de mes priorités est de porter une attention particulière à nos concitoyens les plus vulnérables, grâce à une politique renforcée d’accès au droit et d’aide aux victimes. Les moyens consacrés à l’accès au droit et à la justice progressent de 6,5 % dans le budget pour 2019 pour atteindre 467 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 83 millions d’euros de ressources affectées, destinées au financement de l’aide juridictionnelle. Ce sont plus d’un demi-milliard d’euros qui sont consacrés à l’accès au droit pour chaque citoyen.
J’ai dit à plusieurs reprises que je souhaitais engager dès 2019 avec les avocats et l’ensemble des parlementaires une réflexion globale sur l’aide juridictionnelle, afin que des mesures concrètes puissent être affichées dans le budget pour 2020. Cependant, mener à bien ce chantier très vaste exige du temps et un travail conjoint.
Pour terminer, je vous signale, madame de la Gontrie, que les crédits en faveur de l’aide aux victimes sont en augmentation de 2,1 %. Cette hausse des moyens et l’action conduite par la délégation interministérielle à l’aide aux victimes, placée à mes côtés, me semblent garantir que les victimes puissent bénéficier, sur la durée, d’un suivi dans les domaines psychologique, social et économique.
M. le président. Il faut conclure, madame la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme vous l’avez constaté, les crédits de la mission « Justice » traduisent non seulement la volonté de donner à la justice les moyens dont elle a besoin, mais aussi l’ambition de la transformer en profondeur pour qu’elle soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Rappel au règlement
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, mon intervention se fonde non seulement sur le règlement, mais aussi sur la Constitution.
Il se trouve qu’il y a deux assemblées dans le Parlement. Madame la garde des sceaux, vous avez déposé, en cours de discussion d’un texte examiné selon la procédure accélérée, un amendement visant à demander à l’Assemblée nationale une habilitation à légiférer par ordonnance sur la justice des mineurs. La commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pu débattre de cet amendement, non plus que le Sénat, qui est totalement bafoué dans cette affaire. Nous n’aurons aucune occasion de parler de ce sujet très important.
Vous nous dites que réformer l’ordonnance de 1945 est une impérieuse nécessité et qu’il fallait absolument recourir à une ordonnance. Dans ce cas, madame la garde des sceaux, pourquoi n’avez-vous pas présenté cet amendement devant le Sénat ? Votre façon de procéder est d’autant moins correcte que vous avez accepté que votre projet de loi soit examiné en procédure accélérée, ce qui à mon avis n’est pas normal s’agissant d’un texte sur la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Mme la ministre ne répond pas ?...
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Justice |
9 037 860 353 |
9 055 671 303 |
Justice judiciaire |
3 885 829 446 |
3 487 759 446 |
Dont titre 2 |
2 355 451 042 |
2 355 451 042 |
Administration pénitentiaire |
3 325 416 094 |
3 750 413 072 |
Dont titre 2 |
2 534 491 408 |
2 534 491 408 |
Protection judiciaire de la jeunesse |
903 781 765 |
875 470 114 |
Dont titre 2 |
528 541 821 |
528 541 821 |
Accès au droit et à la justice |
466 810 755 |
466 810 755 |
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
451 150 524 |
470 407 147 |
Dont titre 2 |
177 193 892 |
177 193 892 |
Conseil supérieur de la magistrature |
4 871 769 |
4 810 769 |
Dont titre 2 |
2 727 086 |
2 727 086 |
M. le président. L’amendement n° II-436, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Justice judiciaire dont titre 2 |
1 235 912 1 235 912 |
1 235 912 1 235 912 |
||
Administration pénitentiaire dont titre 2 |
||||
Protection judiciaire de la jeunesse dont titre 2 |
||||
Accès au droit et à la justice |
||||
Conduite et pilotage de la politique de la justice dont titre 2 |
||||
Conseil supérieur de la magistrature dont titre 2 |
||||
TOTAL |
1 235 912 |
1 235 912 |
||
SOLDE |
1 235 912 |
1 235 912 |
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement est lié à la loi de modernisation pour la justice du XXIe siècle, qui a prévu le transfert au 1er janvier 2019 des tribunaux des affaires de sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l’incapacité au ministère de la justice.
Cette réforme est mise en œuvre grâce à un transfert des personnels relevant des organismes de sécurité sociale et du ministère des solidarités et de la santé qui assurent les fonctions de secrétariat et de greffe, ainsi que des moyens de fonctionnement associés.
Au 1er janvier 2019, 541 postes devront être pourvus dans les nouveaux pôles sociaux des tribunaux de grande instance. Compte tenu de la possibilité laissée aux agents relevant du ministère de la santé ou des caisses primaires d’assurance maladie de ne pas rejoindre le ministère de la justice, il est apparu que le nombre de 541 agents mis à disposition du ministère ne serait pas atteint.
En conséquence, le projet de loi de finances transfère des emplois à hauteur de 84 équivalents temps plein pour permettre au ministère de la justice de recruter les personnels nécessaires au fonctionnement de ces pôles sociaux. Sur ces 84 emplois, 54 sont transférés depuis le ministère des solidarités et de la santé par un transfert de crédits et d’emplois du programme « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » vers le programme « Justice judiciaire » et 32 emplois sont transférés depuis la sécurité sociale par une mesure de périmètre.
Toutefois, au regard des nouvelles évolutions des effectifs qui seront effectivement présents au 1er janvier 2019 au sein des pôles sociaux, le nombre de 84 équivalents temps plein doit être revu à la hausse. Le présent amendement, qui a fait l’objet d’un accord du ministère des solidarités et de la santé, tend donc à opérer un transfert complémentaire de 22 emplois, se répartissant entre 5 emplois transférés depuis le ministère et 17 depuis les caisses de sécurité sociale, par mesure de périmètre.
Cet amendement tend également à opérer un abondement de la masse salariale du programme 166, à hauteur de 1 235 912 euros. Ce transfert complémentaire est indispensable à la bonne mise en œuvre des réformes des juridictions sociales au 1er janvier prochain.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. L’adoption de cet amendement permettra de financer le transfert du contentieux social au ministère de la justice : avis favorable.
M. le président. L’amendement n° II-123 rectifié quater, présenté par M. Mézard, Mme Joissains, MM. Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Justice judiciaire dont titre 2 |
||||
Administration pénitentiaire dont titre 2 |
||||
Protection judiciaire de la jeunesse dont titre 2 |
||||
Accès au droit et à la justice |
16 400 000 |
16 400 000 |
||
Conduite et pilotage de la politique de la justice |
16 400 000 |
16 400 000 |
||
dont titre 2 |
500 000 |
500 000 |
||
Conseil supérieur de la magistrature dont titre 2 |
||||
TOTAL |
16 400 000 |
16 400 000 |
16 400 000 |
16 400 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Pour garantir un meilleur accès à la justice, nous proposons d’abonder les moyens de l’aide juridictionnelle via une augmentation de 16,4 millions d’euros des crédits du programme « Accès au droit et à la justice ».
Ne serait-ce que du fait de l’entrée en application de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, de nouveaux besoins vont s’ajouter aux actuels, déjà non entièrement satisfaits. Un redéploiement de crédits au profit de ce programme est donc pleinement justifié.
Madame la garde des sceaux, pour avoir longuement travaillé, avec Mme Joissains, sur cette question de l’aide juridictionnelle, je ne pense pas que l’on puisse dire qu’aucune réflexion n’a été menée sur le sujet. Au-delà de notre rapport, voilà des années que le Parlement travaille sur l’aide juridictionnelle.
On ne peut pas constamment remettre à l’année suivante une réforme devenue urgente : faciliter l’accès à la justice de nos concitoyens le plus en difficulté est une priorité. On a parlé de surendettement, de justice de proximité : c’est là qu’il y a des besoins !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. Je demande à entendre l’avis du Gouvernement sur cet amendement. Madame la garde des sceaux, le budget de l’aide juridictionnelle est-il suffisant compte tenu des réformes à venir…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Évidemment non !
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. … et quels sont les sous-jacents de la hausse des crédits de l’aide juridictionnelle prévue par le projet de loi de finances ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Nos collègues ont raison de dénoncer l’insuffisance des crédits destinés au financement de l’aide juridictionnelle. Cette aide concerne près de 1 million de personnes, et le filtre permettant d’apprécier la recevabilité de la requête prévu par la loi de juillet 1991 n’est jamais mis en œuvre.
La commission des lois ne cesse, depuis des années, de tirer la sonnette d’alarme et de formuler des propositions concrètes pour réformer un système aujourd’hui, tout le monde en convient, à bout de souffle. Elle l’a fait en 2014, avec le rapport de nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard intitulé « Aide juridictionnelle, le temps de la décision ». Elle l’a fait de nouveau en 2017, au travers du rapport de la mission d’information sur le redressement de la justice. Sur sa proposition, le Sénat a introduit dans le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice des mesures concrètes et utiles pour réformer en profondeur l’aide juridictionnelle. J’y ai fait référence dans la discussion générale.
L’inertie du Gouvernement est particulièrement regrettable, dès lors que le diagnostic et les pistes de réforme sont connus. C’est pourquoi, tout en partageant les préoccupations de mes collègues, je m’interroge sur l’utilité d’abonder sans fin les crédits de l’aide juridictionnelle, au détriment d’autres actions de l’autorité judiciaire, si ces majorations ne s’accompagnent d’aucune réforme structurelle. L’aide juridictionnelle ne doit pas devenir le tonneau des Danaïdes de la justice…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Mézard, vous proposez d’accroître les ressources extrabudgétaires qui financent l’aide juridictionnelle, mais les crédits prévus à cette fin par le budget pour 2019 sont suffisants. Je ne l’ai peut-être pas précisé, mais ces crédits sont en hausse de 28 millions d’euros.
Les crédits prévus permettront de tenir les engagements pris à la fin de la législature précédente, avec une augmentation de l’unité de valeur de référence, qui sert à établir la rémunération des avocats, de plus de 40 %, passant de 22,5 euros à 32 euros, et le relèvement du plafond de l’aide juridictionnelle, porté à 1 000 euros.
Ces crédits permettront également de financer les conséquences de l’extension de la représentation obligatoire, prévue dans la loi de programmation et de réforme pour la justice.
À ce stade, nous n’avons donc pas besoin de ressources financières supplémentaires. Prévoir des ressources supplémentaires doit être lié à une réforme en profondeur du dispositif qui le rendrait plus efficace. Comme je vous l’avais déjà annoncé lors des débats sur le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, c’est un chantier auquel je compte m’atteler en 2019, pour un effet budgétaire en 2020.
J’ai confié une mission aux inspections générales de la justice et des finances pour travailler sur des pistes concrètes d’amélioration du dispositif d’aide juridictionnelle. Ce rapport m’a été remis, et nous allons maintenant pouvoir travailler sur les pistes proposées, en concertation avec les représentants de la profession d’avocat.
Il n’y a donc pas d’inertie du Gouvernement, mais au contraire la volonté de prendre ce dossier à bras-le-corps, dans des délais raisonnables. Je compte m’appuyer également sur les travaux parlementaires menés sur le sujet.
Il faut que nous définissions la réforme du dispositif de l’aide juridictionnelle avant d’en prévoir le financement.
J’émets un avis défavorable sur l’amendement.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission des finances ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. Avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la garde des sceaux, je ne comprends pas très bien : tout en nous assurant que les crédits sont suffisants, ce que nous contestons, vous annoncez votre intention d’engager une réforme. Sur quoi fondez-vous votre diagnostic ?
Aujourd’hui, il se passe un certain nombre de choses dans notre pays. Un grand nombre de personnes rencontrent de grandes difficultés pour accéder à leurs droits élémentaires. L’aide juridictionnelle est le moyen de permettre aux pauvres d’avoir accès à la justice, de voir reconnus leurs droits, et à quelques avocats d’être indemnisés – de manière extrêmement réduite, je vous prie de le croire – pour leur travail.
Cet amendement ouvre une possibilité d’améliorer la situation : nous le voterons.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je crois, madame la garde des sceaux, que vous avez compris le message.
Vous avez confié un travail aux inspections générales de la justice et des finances, mais le diagnostic est connu depuis de nombreuses années, de même que les pistes. On peut continuer à demander des rapports, mais, en réalité, il s’agit maintenant de trancher.
Nombre de personnes appartenant à ce que l’on appelle aujourd’hui les classes moyennes basses n’ont pas accès à l’aide juridictionnelle, parce que le plafond de ressources est trop bas. Elles se trouvent confrontées à une situation extrêmement difficile, en particulier lorsqu’il s’agit d’être défendu en matière pénale.
Je ne souhaite pas que l’État abonde systématiquement les crédits. Il y a d’autres pistes, que nous connaissons déjà depuis des années. En particulier, je proposerai dans quelques instants la mise à contribution des bénéfices tirés des contrats de protection juridique.
Maintenant, madame la garde des sceaux, il y a un choix à faire. Vous nous dites qu’il sera déterminé par le travail qui sera fait en 2019, pour un effet budgétaire en 2020. Espérons-le, parce qu’il y a urgence !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-123 rectifié quater.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’amendement.)
M. le président. L’amendement n° II-334, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Sueur, Féraud, Durain, J. Bigot, Leconte, Kerrouche et M. Bourquin, Mme Meunier, MM. Kanner et Fichet, Mme Harribey, MM. Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Justice judiciaire dont titre 2 |
||||
Administration pénitentiaire dont titre 2 |
50 000 |
50 000 |
||
Protection judiciaire de la jeunesse dont titre 2 |
||||
Accès au droit et à la justice |
||||
Conduite et pilotage de la politique de la justice dont titre 2 |
50 000 |
50 000 |
||
Conseil supérieur de la magistrature dont titre 2 |
||||
TOTAL |
50 000 |
50 000 |
50 000 |
50 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous avons évoqué, les uns et les autres, la situation dans les prisons. Nous savons que la façon dont se déroule la vie pénitentiaire est importante pour le calme en détention, évidemment, mais aussi pour la sortie et la réinsertion. Dans cette perspective, les intervenants en milieu carcéral jouent un rôle capital.
Or vous avez décidé voilà quelques jours, madame la garde des sceaux, de mettre un terme à l’intervention en milieu carcéral d’une association historique, le GENEPI, créée en 1976 sur l’initiative, notamment, de Lionel Stoléru.
Plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, ont été membres du GENEPI lorsqu’ils étaient étudiants. Au fil du temps, des milliers d’étudiants sont intervenus en milieu pénitentiaire, manifestant ainsi un engagement admirable à un âge où l’on peut peut-être envisager d’occuper autrement son temps. Pour ces jeunes gens, cette expérience a souvent marqué le début d’un engagement civique.
Vous avez donc décidé, madame la garde des sceaux, de mettre un terme au partenariat avec le GENEPI, lui fermant de fait les portes de la prison. J’ai cru comprendre que l’émotion que cette décision a suscitée vous a conduite à renouer le dialogue avec cette association, dont vous avez dit, un matin sur France Inter, que les actions n’étaient pas conformes à vos politiques et que cela posait problème – je pense que, ce jour-là, votre parole s’est égarée…
Peut-être cette association signera-t-elle, demain, une nouvelle convention avec l’administration pénitentiaire. Toujours est-il que vous la privez des moyens, au demeurant bien faibles – 50 000 euros annuels –, qui lui étaient alloués. En 2018, le GENEPI n’aura reçu aucun soutien public. Cet amendement vise à rétablir cette subvention de 50 000 euros.
Madame la garde des sceaux, je vous ai saisie de cette question par courrier le 31 octobre dernier, mais je comprends bien que les interventions des sénateurs n’ont pas beaucoup d’intérêt. En tout cas, je suis très heureuse que le débat budgétaire m’offre cette occasion de vous interpeller.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat. Peut-être le Gouvernement pourra-t-il nous éclairer sur les subventions versées cette année et sur ce qui est envisagé pour l’année prochaine ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice de la Gontrie, je tiens à vous assurer que les interventions des sénatrices et des sénateurs ont pour moi beaucoup d’intérêt ; je veille à ce que des réponses leur soient apportées, et je vous présente mes excuses si tel n’a pas été le cas pour le courrier que vous m’avez adressé.
La réinsertion des personnes placées sous main de justice est l’une des priorités que je défends de manière extrêmement forte, comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises. D’ailleurs, le projet de loi de finances prévoit un effort important en la matière : 86 millions d’euros sont prévus à ce titre pour l’année prochaine, soit une augmentation de 6 % par rapport à 2018.
Ce budget est destiné notamment au financement des partenariats associatifs en milieu carcéral. Il s’agit à la fois de garantir les partenariats qui existent et de permettre leur diversification. Évidemment, les subventions versées par l’administration pénitentiaire vont à des associations qui participent au service public pénitentiaire, conformément à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; nous devons collectivement justifier de leur bonne utilisation.
Le ministère est lié de très longue date au GENEPI. Ce groupement, créé par Lionel Stoléru en 1976, a pour finalité de développer les contacts entre les étudiants de l’enseignement supérieur, souvent issus de grandes écoles, et le monde pénitentiaire. L’activité principale de l’association était jusqu’ici de donner, bénévolement, des cours aux détenus incarcérés.
L’administration pénitentiaire était liée à cette association par une convention pluriannuelle d’objectifs. La dernière convention, qui portait sur la période 2015-2018, prévoyait le versement d’une subvention de 50 000 euros, en échange d’un engagement de l’association de stabiliser le nombre d’heures d’activité assurées au bénéfice des personnes détenues.
Plusieurs éléments m’ont conduite à envisager le non-renouvellement de cette convention et de cette subvention.
D’abord, le nombre d’heures d’intervention du GENEPI en détention a connu une baisse tout à fait importante, à hauteur de 80 % de ce que la convention prévoyait a minima. Cela caractérise, nous semble-t-il, un fort désengagement de l’association.
Ce désengagement correspond en réalité à une évolution des missions que le GENEPI se donne au niveau national. En effet, l’association a retiré de ses statuts la mention de l’enseignement aux personnes incarcérées. Or c’est cette participation au service public pénitentiaire qui justifiait le versement de la subvention de 50 000 euros.
Par ailleurs, le GENEPI a adopté un positionnement très critique à l’égard de l’administration pénitentiaire, comme en témoigne le mot d’ordre d’un certain nombre de ses actions : « L’État enferme, la prison assassine ».
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est un délit d’opinion ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est allé jusqu’à soutenir des mouvements de mutinerie ou à s’opposer, dans certains établissements pénitentiaires, comme celui de Villepinte, à la mise en place des modules de confiance, considérant que ces modules, dont le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice prévoit le développement, contribuaient à une « aliénation » des personnes détenues.
Dans ces conditions, il nous est apparu qu’un financement public par l’administration pénitentiaire de l’activité du GENEPI était difficilement envisageable.
Néanmoins, au regard de l’ancienneté de notre partenariat avec cette association, j’ai souhaité qu’un nouveau conventionnement, sans financement, puisse lui être proposé, afin de permettre aux étudiants qui le souhaiteraient de poursuivre leur activité d’éducation populaire en détention et d’avoir accès aux établissements pénitentiaires. Des dialogues sont en cours en ce sens entre mes services et le GENEPI.
Je tiens à réaffirmer mon attachement au travail d’éducation populaire en prison, qui me semble tout à fait essentiel. Nous le menons avec de très nombreuses associations. Je suis évidemment prête à le conduire avec le GENEPI, mais pas dans les conditions actuelles.
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion les amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 77 quater, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Justice ».
Justice
Articles additionnels après l’article 77 quater
M. le président. L’amendement n° II-403, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
A. – Après l’article 77 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article 681 du code général des impôts, il est inséré un article 681… ainsi rédigé :
« Art. 681 …. – À compter du 1er janvier 2020, les droits d’enregistrement des actes mentionnés à l’article 635, à l’exception de ceux mentionnés aux 1° et 2° du 1 et au 1° du 2, sont augmentés de 1 %.
II. – Le I entre en vigueur au 1er janvier 2020.
B. – En conséquence, faire précéder cet article d’un intitulé ainsi rédigé :
Justice
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.