Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement vise à taxer les GAFA.
M. Julien Bargeton. Ah !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le Sénat a voté à trois reprises un amendement visant à permettre la taxation raisonnable des GAFA. Nous avions présenté des propositions fondées sur la notion d’ « établissement stable », afin de faire en sorte que les géants du numérique, Google, Amazon et les autres, soient imposables en France. Il ne s’agissait même pas de fixer pour eux une imposition différenciée, mais de permettre tout simplement qu’ils soient imposés dans notre pays, pour les activités qu’ils y exercent.
Nous avons voté ces dispositions à diverses reprises. À chaque fois, le Gouvernement a trouvé un argument pour nous dire que le moment ou la méthode n’était pas les bons, et qu’il fallait attendre.
Premier argument : Bercy savait mieux que tout le monde comment on allait faire payer Google. Or, comme nous l’avions prévu, hélas, au tribunal Google a gagné – au regard du droit français actuel, cette victoire était certaine, faute de définition d’un statut d’établissement stable approprié à de tels cas de figure.
Le deuxième argument a consisté à dire qu’il fallait que l’Europe bouge. Or l’Europe vient de bouger – la Commission européenne a fait une proposition comportant deux volets : le premier consiste en une définition des établissements stables, selon la même logique présidant à la disposition que nous avions votée ; une autre proposition de directive, dite « temporaire », passe, elle, par la taxation des chiffres d’affaires.
Je m’en tiens, au point où nous en sommes, à la définition de la notion d’établissements stables, c’est-à-dire à la directive telle qu’elle doit être mise en œuvre de façon définitive.
Le texte du présent amendement retranscrit stricto sensu en droit français le projet de directive actuellement en débat dans l’Union européenne. Notre proposition est donc conforme au droit communautaire. Et, nous le savons, si cette directive ne passe pas, ce sera parce que son adoption requiert l’unanimité des vingt-sept États membres, et qu’il existe, en la matière, des blocages politiques.
Nous avons donc la possibilité – le droit européen nous le permet – de prendre une telle décision. Je vous rappelle, en outre, que nos collègues britanniques ont voté un dispositif comparable, qui s’applique dès cette année.
Par ailleurs – je vous renvoie à l’argumentaire de M. Karoutchi en ce domaine –, on nous avait répondu que l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, construisait des critères dans le cadre du projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, le fameux projet « BEPS », pour Base Erosion and Profit Shifting ; il fallait donc attendre que, les principes étant fixés, ces critères soient définis.
M. Karoutchi, qui a siégé dans cette instance, nous avait expliqué que les pays qui mettraient les premiers en œuvre de tels dispositifs finiraient par faire jurisprudence, si je puis dire, et seraient bien placés pour inciter les autres pays à adopter leurs pratiques. Il considérait donc comme important que la France montre l’exemple et que, si possible, l’Europe se mette d’accord sur les dispositifs, qui, une fois mis en œuvre, pourraient faire école au sein de l’OCDE.
C’est exactement ce que je vous propose de faire : réitérer le vote qui a déjà été celui du Sénat en le dotant de garanties techniques beaucoup plus fortes, puisqu’il s’agit de transcrire en droit français un projet de directive qui, hélas, risque de s’enliser à cause du réquisit d’unanimité des Vingt-Sept – nous savons que certains pays le bloqueront.
M. le président. L’amendement n° I-396, présenté par Mme Lepage, MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly, Lalande et Lurel, Mmes Taillé-Polian, Blondin et Bonnefoy, MM. Cabanel, Courteau, Duran et Fichet, Mme Monier, MM. Montaugé, Tissot, Marie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’article 164 B est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – Sont également considérés comme revenus de source française les revenus tirés par une entreprise d’un site internet, d’une application ou tout autre support numérique qui lui confèrent une présence numérique significative sur le territoire national. Une entreprise est considérée comme ayant une présence numérique significative sur le territoire national dès lors qu’elle collecte des données immatérielles issues d’internautes établis sur le territoire national et que ses revenus directs ou indirects issus de la fréquentation sur le territoire national dépassent un seuil prévu par décret. » ;
2° À la première phrase du premier alinéa du I de l’article 209, après les mots : « et e ter du I », sont insérés les mots : « et au III ».
II. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article.
La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Les dispositions de cet amendement rejoignent celles de l’amendement qui vient d’être défendu par notre collègue Marie-Noëlle Lienemann. L’objectif est de renforcer le contrôle effectué sur les entreprises non-résidentes ayant une activité économique numérique importante sur le territoire national.
Le principe est simple : si une entreprise numérique a une activité suffisamment importante en France, ses revenus tirés de son activité française doivent être déclarés au fisc français. Elle devra alors payer l’impôt sur les sociétés sur ces revenus, au même titre que les autres entreprises exerçant sur le territoire national. Il s’agit donc, ni plus ni moins, d’une mesure de justice fiscale.
S’il est nécessaire qu’une réponse européenne soit apportée à ces schémas sophistiqués d’évasion fiscale, il nous paraît indispensable que la France agisse, dès ce projet de loi de finances pour 2019, et montre ainsi l’exemple à ses voisins européens.
Il faut mettre un terme à ces pratiques : l’Union européenne aurait perdu 5,4 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2013 et 2015 en raison de l’optimisation pratiquée par Google et Facebook.
Enfin, comme cela vient d’être dit, avec cet amendement notre pays rejoindrait le Royaume-Uni, qui s’apprête à taxer le chiffre d’affaires des GAFA.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est un sujet très important, sur lequel l’opinion publique attend, clairement, les politiques, notamment les parlementaires. On parle beaucoup de fiscalité ; celle-ci touche parfois des gens très modestes, des gens qui travaillent.
Une partie de l’analyse qui vient d’être présentée mérite bel et bien d’être partagée. D’une manière générale, monsieur le secrétaire d’État, sur ces sujets, la commission des finances travaille ; elle vous a d’ailleurs aidé, notamment dans le cadre du texte relatif à la lutte contre la fraude fiscale.
Nous travaillons sur nombre de sujets qui touchent à l’optimisation et à l’évasion fiscales, par exemple sur la TVA. Nous avons encore donné un témoignage de ce travail en votant unanimement l’amendement de la commission sur la fraude aux dividendes – nous espérons que cette disposition, qui peut certes encore être améliorée, sera maintenue par l’Assemblée nationale.
Ces amendements me paraissent cependant inopérants, pour une raison simple : vous le savez, si nous adoptions unilatéralement une définition de l’établissement stable sans nous appuyer sur une directive européenne, nous nous ferions plaisir, sans doute, mais une telle définition unilatérale serait contraire aux conventions fiscales internationales.
En revanche, si une directive européenne, c’est-à-dire un texte de niveau supranational, est adoptée, son dispositif s’imposera aux différentes conventions fiscales, comme on l’a vu avec le projet de convention sur la taxe à 3 % sur les services numériques.
En l’état actuel du dossier, l’adoption unilatérale et solitaire par la France de sa propre définition de l’établissement stable serait inopérante, car elle serait contraire aux conventions fiscales, et je ne dis pas cela pour louvoyer. (Mme Marie-Noëlle Lienemann manifeste son scepticisme.)
Faut-il attendre ? Pour une fois, l’échéance prévue est assez rapprochée : nous saurons d’ici quelques jours. Un accord sera-t-il conclu au niveau européen ?
De deux choses l’une : soit un accord est trouvé, auquel cas nous pourrons avancer, dans la perspective d’adopter un texte qui serait de nature à s’imposer aux conventions fiscales ; soit il faudra recourir à un autre mécanisme.
Vous vous souvenez du travail réalisé autour du projet porté par la France d’une taxe sur le chiffres d’affaires, la taxe à 3 %, qui toucherait notamment l’intermédiation numérique, avec des critères précis – en particulier, seules les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 750 millions d’euros, si ma mémoire est bonne, seraient taxées. Je précise que cette solution pourrait poser problème, s’agissant des entreprises qui opèrent depuis la France.
Je résume : le faire seul, c’est, peut-être, se faire plaisir, mais c’est voter un dispositif inopérant. Comment aboutir ? Soit on y arrive au niveau européen – nous aurons une réponse d’ici quelques jours –, soit, à défaut, il faudra recourir à d’autres dispositifs comme celui de la taxe sur le chiffres d’affaires.
Je vais donc formuler une demande de retrait – non pas que je considère cette question comme peu importante : la commission des finances a toujours été très en pointe sur ces questions d’évasion fiscale. Mais ce dossier est très délicat ; malheureusement, si nous ne sommes toujours pas parvenus à une solution, c’est que l’on peut difficilement agir, en la matière, de manière unilatérale.
La commission demande donc le retrait de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. L’avis du Gouvernement sera extrêmement proche de celui émis par le rapporteur général.
J’ajouterai simplement que la France est signataire de cent vingt-cinq conventions fiscales. Le seul respect de ces conventions rend inopérant l’amendement proposé, dans la mesure où ces textes s’imposeraient à la loi et nous empêcheraient d’imposer les GAFA, comme vous le proposez, mesdames, messieurs les sénateurs, ou d’autres entreprises réalisant leur activité à l’étranger.
Il existe un espoir de voir cette situation évoluer, une décision devant être bientôt prise au niveau européen. À défaut, il faudra examiner les autres pistes évoquées par le rapporteur général.
En attendant, je demande aux auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Ce débat ressemble à celui que nous avons sur la taxation des transactions financières : si personne ne commence, rien ne se fera jamais !
L’échelon européen est pertinent, bien sûr ; mais on sent bien que l’Allemagne, en ce moment, recule un peu. Il se trouvera toujours quelqu’un pour reculer ou pour ne pas être prêt. J’ai vraiment l’impression que les conventions fiscales bilatérales sont un modèle dépassé : il faut passer à autre chose, vraiment, à l’échelle mondiale. C’est un travail considérable, mais il faudra y venir.
L’adoption de ces deux amendements permettrait vraiment d’envoyer un message politique : au moment où l’Allemagne semble fléchir quelque peu, je pense que nous, nous devons y aller !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, je comprends tout à fait la volonté, qui est celle de notre rapporteur général, de trouver une mesure efficace et rapide. Toutefois, on nous sert cet argument depuis cinq ans ! En cinq ans, nous aurions eu le temps de renégocier nombre de conventions fiscales, notamment avec les pays où les GAFA ont leurs sièges. Nous n’avons pas besoin, en effet, de renégocier notre convention fiscale avec le Niger pour pouvoir taxer Google !
Il ne s’agit pas de renégocier l’ensemble des cent vingt-cinq conventions : il faut cibler les conventions fiscales conclues avec des pays où les GAFA ont leurs sièges sociaux, qui sont loin de se compter en milliers.
Par ailleurs, on peut trouver aux Britanniques tous les défauts du monde, mais eux au moins ont déjà trouvé un système qui leur a permis de taxer, certes plus modestement que ce que, de notre côté, nous espérions, mais de taxer quand même. Pendant ce temps, nous pérorions, et Bercy nous racontait que Google allait payer. Mais Google n’a rien payé !
Aujourd’hui, on nous oppose l’argument des conventions fiscales. Monsieur le rapporteur général, vous me dites que si la directive passe, il sera possible d’aller très vite ; mais, pour le cas où elle ne serait pas adoptée, ce que je crains – on le sait : vingt-sept pays, dont l’Irlande, ne vont pas se mettre d’accord à l’unanimité –, proposez-nous un amendement sur le chiffre d’affaires !
J’avais aussi déposé un amendement visant à taxer le chiffre d’affaires ; mais, justement, une telle mesure me paraît plus fragile, en France, dans la perspective du contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel, que ne l’est le dispositif de l’établissement stable.
Au fond, quelle que soit la méthode, la priorité est qu’ils paient – c’est ce que tous les Français pensent. Même s’ils ne versent pas tout ce que nous rêvons qu’ils paient, commençons du moins à les faire payer ; il sera temps, ensuite, de trouver les voies permettant de recouvrer toutes les sommes qui doivent l’être.
Je le répète, les conventions fiscales à renégocier sont en petit nombre. Si nous ne nous y prenons pas tout de suite, quand le ferons-nous ? Quand pourrons-nous espérer un accord à vingt-sept ? Je veux bien croire au Saint-Esprit, mais, jusqu’à présent, il n’a pas été très efficace ! (Sourires.)
Voici donc ce que je suggère : soit le rapporteur général s’engage à nous présenter, au nom de la commission des finances, une proposition de substitution efficace portant sur le chiffre d’affaires ; soit cette contre-proposition n’existe pas, et je vous demande, mes chers collègues, de voter cet amendement. Et, je l’espère, nous serons en mesure, d’ici à la CMP, de trouver des formes qui fassent consensus dans notre pays, sachant que les Britanniques, eux, ont réussi à se mettre d’accord sur une manière de taxer à 90 % le bénéfice des GAFA.
Mme Michelle Gréaume. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. On a souvent tendance à moquer les Britanniques, c’est vrai, surtout dans la situation où ils se trouvent actuellement.
Pourtant – je donne deux exemples –, sur le commerce électronique et sur les affaires de TVA, sujets sur lesquels la commission des finances a beaucoup travaillé – nous sommes même allés à Londres pour étudier ce qu’ils allaient faire –, au bout du compte, ils sont allés beaucoup plus vite que nous. On nous expliquait, ici, en France, que ces dossiers étaient hautement complexes ; à Bruxelles, n’en parlons pas. Or les Britanniques, eux, avec un pragmatisme assez étonnant, avancent sans faire de détails.
Sur les GAFA, semble-t-il, c’est un peu la même chose. (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je comprends l’impatience de Marie-Noëlle Lienemann : on nous annonce depuis des années une solution imminente au niveau européen, ce qui serait certes, dans l’absolu, la bonne formule.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Évidemment !
M. Philippe Dallier. Je lisais tout à l’heure que Bruno Le Maire se rendait de nouveau à Berlin pour essayer d’obtenir de son homologue allemand un accord.
Mes chers collègues, attendons encore de voir l’issue de ce dernier voyage ; mais, s’il échoue, j’ai presque envie de dire que les limites de notre patience auront été atteintes. Le cas échéant, l’année prochaine, nous prendrons les devants.
Je le sais bien, Marie-Noëlle Lienemann : m’entendre parler de « dernière limite » ne vous satisfera pas. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que je conçois les choses : je veux bien attendre encore une année pour voir si les Européens prennent le taureau par les cornes. J’ai vraiment l’impression, moi aussi, que l’on se moque de nous. Autre hypothèse : c’est la peur, ou Trump – que sais-je ? – qui fait reculer les Européens.
Je veux bien, donc, attendre encore une année, mais cette année sera la dernière – je le dis solennellement, ici, en séance. L’année prochaine, si rien n’a été fait entre-temps, je voterai ces amendements.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En un mot, car il est minuit cinquante-quatre, pouvez-vous me citer un seul pays, dans le monde, ayant réussi à construire sa propre définition opérationnelle de l’établissement stable ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Non, il n’y en a aucun ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu’une telle définition relève des standards de l’OCDE : il faut une présence physique, avec des outils de production, des usines, des magasins.
Pour le coup, en matière de fraude fiscale, l’OCDE et Pascal Saint-Amans ont beaucoup fait avancer les choses, bien plus que nombre de législations nationales – songez où nous en étions il y a quelques années encore, par exemple, sur le secret bancaire.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous en avons pour quinze ans !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Si l’on bute sur ce sujet, c’est parce qu’il est extrêmement complexe. La définition recherchée doit relever de standards internationaux et, par ailleurs, comme l’a dit M. le secrétaire d’État, la France est liée par cent vingt-cinq conventions fiscales.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Demandez à M. Karoutchi ce qu’il en pense !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous nous ferions peut-être plaisir, ce soir, à minuit cinquante-cinq, en votant unilatéralement un dispositif qui est contraire, d’une part, aux standards de l’OCDE et, d’autre part, à nos conventions fiscales ; mais, en pratique, un tel vote serait totalement inopérant.
Si c’était si facile, tout le monde le ferait : tout le monde, nous les premiers, a envie de récupérer l’argent des GAFA.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et que font les Britanniques ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame Lienemann, les Britanniques n’ont pas défini l’établissement stable. Ils ont simplement inventé un mécanisme anti-abus, qui peut permettre des redressements ; mais la première entreprise qui déposera un contentieux gagnera.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout va bien, alors !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est la réalité ! Je le dis d’autant plus volontiers que, lorsque les Britanniques inventent des dispositifs opérationnels, nous nous en inspirons.
La preuve, comme Philippe Dallier le rappelait, sur la responsabilité solidaire des plateformes numériques en matière de paiement de la TVA, les Britanniques ont ouvert la voie, et nous n’avons pas hésité à forcer quelque peu la main de nos partenaires en votant un dispositif opérationnel directement inspiré du mécanisme britannique. De la même manière, le dispositif que je vous ai présenté hier soir sur la fraude aux dividendes est directement inspiré du système voté par les Américains.
Vous voyez, madame Lienemann : lorsqu’un pays fait des choses efficaces et réussit à trouver des solutions, par exemple sur l’évasion fiscale, je n’ai aucune difficulté, bien au contraire, à transposer et à adapter le droit en question, qu’il vienne du Royaume-Uni, des États-Unis ou d’ailleurs – qu’importe le copyright.
Toutefois, en l’occurrence, je le répète, il y va de standards internationaux. Il serait intéressant que nous recevions de nouveau Pascal Saint-Amans – nous le ferons : il vous parlera de l’établissement stable, et vous verrez combien cette question est complexe. Le problème est précisément que les sociétés du numérique ne répondent pas aux standards internationaux : en général, elles ne possèdent aucun outil de production, ni même aucun bureau en France.
Au bénéfice de ces explications, je demande donc le retrait de ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Bernard Lalande, pour explication de vote.
M. Bernard Lalande. J’ai tout à fait confiance dans l’analyse technique du rapporteur général : le dispositif proposé est inopérant – ce n’est pas une première, d’ailleurs.
Toutefois, la question est grave ! On peut se contenter d’en parler chaque année et attendre que d’autres s’en préoccupent à notre place. Mais le Sénat, me semble-t-il, a vocation à jouer parfois le rôle d’un lanceur d’alerte. En l’occurrence, ce soir, nous pourrions très bien, collectivement, décider de lancer une sorte d’avertissement à l’Union européenne, …
Mme Michelle Gréaume. Un message !
M. Bernard Lalande. … en montrant que le Sénat français est capable d’ouvrir la voie, s’agissant de la mise en œuvre des moyens qui permettront de taxer ces grandes sociétés du numérique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il faut que l’Europe parvienne à une solution !
M. Bernard Lalande. Qu’avons-nous à perdre ? Certes, dira-t-on, nous aurons voté un amendement inopérant ; mais nous aurons par là même lancé un cri d’alerte.
Notre collègue Dallier disait qu’il serait prêt à voter un tel dispositif, mais l’année prochaine ; or, l’année prochaine, ce dispositif sera tout aussi inopérant. Autant, donc, le voter dès cette année ! Nous pourrons ainsi faire valoir que le Sénat se mobilise contre ces GAFA, qui gagnent des milliards sans aucune retombée, ou presque, sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme Michelle Gréaume. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-468 rectifié.
(L’amendement est adopté.) (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 18, et l’amendement n° I-396 n’a plus d’objet.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-272, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 199 ter B, 220 B et 244 quater B du code général des impôts sont abrogés.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Je compte bien obtenir avec cet amendement avec le même succès que ma collègue Marie-Noëlle Lienemann ! (Sourires.) C’est utopique, mais sur nos travées, nous sommes souvent utopistes.
Cet amendement vise le crédit d’impôt recherche, le CIR, que j’ai déjà évoqué. Il est évident que, depuis trois ou quatre ans, la progression du coût de ce dispositif est hors de contrôle. L’an passé, par exemple, il a atteint 6,27 milliards d’euros, alors que la prévision du Gouvernement était inférieure de 560 millions d’euros, et ce coût supplémentaire qui a pesé sur le budget de la recherche.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette progression constante du CIR ne trouve pas d’équivalent dans la progression de la recherche effectuée par les entreprises privées, dont l’effort dans ce domaine stagne à 1,44 % du PIB depuis dix ans. Pour l’année 2017, son augmentation atteint en effet 0,6 %, soit un taux très en deçà de la charge supportée par le budget de la recherche, qui est, je vous le rappelle, de 6,27 milliards d’euros.
Nous dénonçons cette niche fiscale, car c’en est une, depuis des années, et nous sommes aujourd’hui rejoints par la majorité de l’Assemblée nationale, en la personne de Mme Amélie de Montchalin. Celle-ci a récemment avoué que l’efficacité du CIR était impossible à établir. Elle estime en outre que l’effet multiplicateur de ce dispositif n’est pas prouvé ; le bleu budgétaire lui-même l’évalue d’ailleurs depuis cinq ans à environ « 1 », ce qui, pour un multiplicateur, n’est effectivement pas exceptionnel. (Sourires.)
Je remarque tout de même que, lorsqu’il s’agit de faire la chasse aux niches fiscales qui concernent la culture, par exemple, on trouve aisément un bourreau. Cette année, M. Joël Giraud, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale disait à leur sujet : « Le constat est accablant, avec une envolée exponentielle ces dernières années. Même si ces aides ont une utilité, leur taux a explosé et leurs plafonds ont été revus à la hausse sans évaluation précise de leur efficacité. Inacceptable ! »
Ce qui est inacceptable, mes chers collègues, c’est que l’on ne soumette pas à la même critique la niche fiscale que constitue le crédit d’impôt recherche !
M. le président. L’amendement n° I-283, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 18
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La deuxième phrase du premier alinéa du I de l’article 244 quater B est ainsi modifiée :
1° Le nombre : « 100 » est remplacé par le nombre : « 30 » ;
2° Après le mot : « euros », la fin est supprimée.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Vous aurez compris que l’amendement précédent, qui visait à supprimer l’ensemble du dispositif, était un peu radical.
Ce deuxième amendement tend, lui, à réserver le CIR aux petites et moyennes entreprises, les PME, et à en exclure les grands groupes, lesquels en font un usage qui ne nous semble pas conforme à son esprit.
Monsieur le rapporteur général, vous citez régulièrement l’exemple d’Airbus. Or je suis des Hauts-de-Seine, un département dans lequel Airbus va fermer son centre de recherche, le plus ancien et le plus important, à la fin de l’année 2018, provoquant la suppression de 308 postes de chercheurs. Airbus préfère en effet externaliser ses moyens de recherche.
En effet, ces grands groupes obéissent à des logiques financières et non scientifiques : pour eux, le CIR est simplement un outil d’optimisation fiscale. Je propose donc que nous le limitions aux PME.
Mes chers collègues, vous comparez souvent la France à d’autres pays. Dans ce domaine, en l’occurrence, la France est seule ; les autres pays, en particulier l’Allemagne, ont fondé le financement de la recherche sur un principe simple, moral et honnête : on soumet un dossier, on obtient un soutien. Cela permet d’évaluer les résultats de la recherche par rapport au projet. La France, elle, donne un chèque en blanc, et cela nous coûte 6,27 milliards d’euros.