Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 4, je vous rappelle que, si celui-ci n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Je tiens à remercier ma collègue sénatrice du Pas-de-Calais Sabine Van Heghe des propos qu’elle a tenus : l’adoption de cette proposition de loi aurait effectivement été un signal positif adressé aux personnes en situation de handicap. Je remercie également Laurence Cohen d’avoir été à l’origine de la présentation de cette proposition de loi et Éliane Assassi d’avoir parlé d’humain, de personnes.
Malheureusement, mes chers collègues, vous avez, pour la plupart d’entre vous, fait le choix de voter contre ou de vous abstenir. Je ne partage évidemment pas les arguments que vous avez développés.
En particulier, vous avez été plusieurs à soutenir que l’AAH est un minimum social au même titre que le RSA. Certes, l’AAH est un minimum social, mais, alors que le RSA a vocation à permettre à ses bénéficiaires de rebondir, de trouver un travail, de vivre mieux, tel n’est pas le cas de l’AAH, malheureusement : les personnes qui la touchent sont handicapées à au moins 80 % et n’ont, en général, pas de perspectives d’amélioration de leur situation financière. Par conséquent, faire l’amalgame entre ces deux prestations ne me semble pas judicieux.
M. Guillaume Arnell. On ne fait pas d’amalgame !
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Les arguments que vous avez avancés pour tenter de justifier une position politique m’ont paru assez hypocrites, mes chers collègues ; permettez-moi de vous le dire. En commission des affaires sociales, nous avons été surprises de constater qu’aucun amendement n’avait été déposé sur cette proposition de loi. Vous auriez pu l’améliorer…
Mme Éliane Assassi. Surtout en matière de financement !
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. … afin de pouvoir la voter. Mais aucun de vos groupes politiques n’a jugé utile de déposer le moindre amendement !
M. Guillaume Arnell. Chaque groupe est responsable de ses choix !
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Que vous l’admettiez ou non, c’est la réalité ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Noël Cardoux. Ça suffit, les leçons de morale !
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteur.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Aujourd’hui, vous aurez refusé d’adresser un signe positif aux personnes en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Les articles de la proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ?
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème « Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ? ».
Dans le débat, la parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe auteur de la demande.
M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, débattre des enjeux de la dette publique et de la dette privée dans notre hémicycle n’a rien d’anodin alors que s’engagera bientôt au Sénat l’examen du projet de loi de finances, lequel est structuré, de l’aveu même du Gouvernement, autour de l’ambition « d’accélérer la baisse du déficit public et des prélèvements obligatoires » – et de porter, au nom de cet objectif, un nouveau coup à notre modèle social…
C’est pourtant bien avec la dette publique que la France a pu se relever des ravages de la Seconde Guerre mondiale !
C’est avec la dette publique que nous avons reconstruit nos routes et nos ports, développé notre réseau autoroutier, nos aéroports internationaux !
C’est avec la dette publique que, devant la pénurie de logements, nous avons créé notre patrimoine locatif social, réponse pertinente au mal-logement !
C’est avec la dette publique que nous avons réalisé, en même temps que se généralisait la sécurité sociale, l’équipement du pays en hôpitaux de haut niveau, qui participent encore de nos atouts !
C’est avec la dette publique que nous avons pu mettre à l’étude la fusée Ariane, avant d’en faire l’un des meilleurs lanceurs de satellites de la planète !
C’est avec la dette publique que nous avons lancé les études qui ont conduit à la conception du TGV !
Autrement dit, chaque fois que le besoin s’en est fait sentir, chaque fois que l’attractivité et les conditions de développement de notre pays l’ont exigé, nous avons su utiliser l’outil de la dette publique pour créer les conditions d’une avancée supplémentaire pour notre pays, pour son économie, pour sa société !
Et c’est encore avec la dette publique que les collectivités locales ont su répondre, dans les années quatre-vingt, aux défis de la décentralisation – je pense par exemple à la démocratisation de l’enseignement secondaire.
C’est avec la dette publique que les collectivités territoriales prennent aujourd’hui en compte les équilibres écologiques, protègent les zones naturelles sensibles, développent les transports publics.
Mais, comme vous le savez, mes chers collègues, c’est aussi avec la dette publique que nous avons, dans le passé, payé la lourde facture des aventures militaires coloniales !
C’est avec la dette publique que nous avons payé et que nous payons encore le prix des restructurations économiques, des plans de licenciement, des réductions d’impôt sans pertinence, des allégements de cotisations sociales riches d’effets pervers, des déficits publics consentis au nom de la compétitivité.
Quelle belle compétitivité que celle qui conduit notre dette publique, aujourd’hui, à frôler la barre fatidique, ou présumée telle, des 100 % du produit intérieur brut, la France étant en outre l’un des pays où les ménages comme les entreprises sont le plus endettés !
À la fin du premier trimestre de cette année, l’endettement des ménages avoisinait en effet 95 % de leur revenu disponible, étalon autrement plus pertinent, faut-il le souligner, que celui du PIB. En mars 2000, ce même taux de l’endettement des ménages rapporté au revenu disponible, s’établissait à 53 % !
Nous laisserons à d’autres le soin de nous rappeler finement que, depuis cette période, les taux d’intérêt se sont réduits, et noterons, pour notre part, que l’inflation semble bien avoir consommé une part essentielle de ce qui a été regagné sur ce que j’appelle, quant à moi, le « loyer de l’argent ».
Toujours est-il que, dette publique ou dette privée, il semble bien que nous ayons hérité de la nécessité de les souscrire, dès lors que le développement du pays, d’un territoire ou d’une collectivité, de même que l’amélioration des conditions de vie d’une famille ou d’un groupe social, passe par le recours à l’emprunt. De fait, mes chers collègues, ne comptez pas sur nous pour être les contempteurs de la dette, publique ou privée : il n’y a aucun fétichisme de notre part.
La question du montant tant de la dette publique que de la dette privée peut évidemment préoccuper, mais elle ne peut et ne doit être envisagée, nous semble-t-il, qu’à l’aune de l’analyse du contenu et de la pertinence absolue de la dette, mesurable notamment par ses contreparties.
Pour un État, s’endetter auprès des marchés financiers –insistons sur ce point, car c’est à eux que vont les 43 milliards d’euros d’intérêts inscrits au budget de l’État – parce qu’il a renoncé à des recettes fiscales essentielles dans l’attente d’hypothétiques retombées économiques de ce choix budgétaire nous semble aussi peu pertinent que, pour une famille, recourir au crédit renouvelable pour faire face aux dépenses du quotidien, faute de revenus suffisants.
Que les choses soient ici rappelées une bonne fois pour toutes : même quand le budget de la France était à l’équilibre, il y avait une dette publique, ne serait-ce que parce qu’il est toujours bienvenu de proposer un produit d’épargne sécurisé au grand public ; le marché boursier était alors largement dominé par les échanges de titres obligataires.
N’oublions pas que, même durant les trente glorieuses, le crédit existait ; avec lui se développait la bancarisation de l’économie, qui fut l’un des moteurs des avancées de l’économie nationale. L’État disposait d’ailleurs d’une arme essentielle en la matière, avec l’existence d’un secteur bancaire très largement nationalisé depuis la Libération, et donc en situation d’intervenir à sa demande. Sans engagement financier des banques auprès des PME, sans participation à la production découlant de l’exploitation de tel ou tel brevet ou process de fabrication, où en serions-nous ?
Telles sont bien, aujourd’hui, les données du problème, sachant que les entreprises de notre pays ont besoin de 1 600 milliards ou 1 700 milliards d’euros pour développer leur activité.
Je ne saurais poursuivre cette réflexion sans pointer ici quelques errements relevant d’un passé plus ou moins récent.
Prenons l’exemple du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, l’une des mesures phares du quinquennat Hollande, que l’on s’apprête aujourd’hui à transformer en allégement pérenne de cotisations sociales, ce qui ne me semble guère pertinent. Voilà une mesure qui, selon les données en notre possession, aura mobilisé rien de moins que 85 milliards d’euros depuis son lancement, en 2013 ; on peut considérer, au regard de l’insuffisance moyenne des recettes par rapport aux dépenses, que, sur ce montant, de 20 milliards à 25 milliards d’euros proviennent de l’accroissement de la dette.
Mais comment ne pas souligner que, pour éponger la facture, on a aussi relevé les taux de la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui a porté atteinte au pouvoir d’achat des ménages, ainsi qu’à la capacité d’autofinancement des collectivités locales ? Celles-ci n’ont-elles pas payé, au fil des ans, le prix du CICE via la remise en cause du montant de leurs dotations, et singulièrement de la dotation globale de fonctionnement ? La question est posée.
Une baisse de 3,8 milliards d’euros par an, cela pèse lourdement sur les budgets des collectivités locales, même si cela ne représente, aux yeux des comptables de Bercy et de la place Beauvau, qu’un pourcentage réduit de leurs dépenses réelles.
Mais ce qui fait le plus mal, mes chers collègues, ce sont les 55 milliards d’euros de dotation globale de fonctionnement perdus en cumulé depuis 2012. Je vous livre un scoop : sur la même période, il semble qu’il ait manqué 57 milliards d’euros aux collectivités locales pour maintenir leur dette à son niveau de 2012 !
Il est fort probable que le ralentissement du niveau des investissements locaux a pesé sur l’emploi, et sans nul doute sur l’attractivité de certains territoires.
Au bilan du CICE, on peut inscrire son effet sur l’emploi. J’ai bien lu les rapports récemment publiés sur le sujet : en ne retenant que les modèles micro ou macroéconomiques les plus optimistes, il apparaît que le CICE n’aurait permis de préserver ou de créer que 250 000 emplois environ… Le rapport du comité de suivi est plus prudent :
« Le comité maintient les conclusions avancées dans les précédents rapports et retient un effet net qui serait proche de 100 000 emplois créés ou sauvegardés et qui se serait matérialisé sur 2014 et 2015 dans les entreprises les plus exposées au CICE. […]
« Le comité tient pour robustes les résultats des équipes qui concluent à un effet positif du CICE sur les salaires moyens et la masse salariale. Toutefois, aucun effet du CICE sur les salaires au niveau individuel n’est identifié à proximité du seuil de 2,5 SMIC, sur les salaires d’embauche comme sur les augmentations salariales des employés permanents.
« Le comité constate que l’existence d’un effet significatif du CICE sur l’investissement demeure difficile à établir sur la période 2013-2015. »
Nous avons là la démonstration systémique des effets que peut produire un vecteur essentiel de dette publique. Cet exemple est probant, puisqu’il y va de l’abandon d’une recette fiscale de plus de 80 milliards d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés et d’un peu plus de 4 milliards d’euros au titre de l’impôt sur le revenu.
On notera, au terme de cette analyse, que 80 milliards d’euros d’impôts de solidarité ainsi perdus équivalent, pour nos concitoyens, à six ans de bénéfice du quotient familial au titre de l’impôt sur le revenu, ou encore à deux ans et demi de dépenses liées à l’impôt sur le revenu.
Revenons d’ailleurs sur le cas des ménages : pourquoi leur taux d’endettement connaît-il ces derniers temps une hausse relative, alors que tel n’est pas le cas dans la zone euro en général ?
La hausse de la production de prêts immobiliers, liée à la détente des taux d’intérêt, explique sans doute en partie le phénomène, sans parler des modalités fortement incitatives d’achat de véhicules, avec la pratique du crédit par loyer mensuel. Mais l’endettement signifie aussi, dans ce contexte, insuffisance de revenu et d’épargne.
On ne doit, en l’espèce, jamais oublier que ce sont les segments divers de l’endettement privé qui ont mené, ces dernières décennies, les économies occidentales à la crise financière, que ce soit dans les années 1992-1993, avec l’éclatement de la bulle immobilière, ou, en 2008, avec la thrombose des crédits subprime et autres produits dérivés et titrisés.
Nous connaissons les conséquences de ces « accidents de parcours » : dans le premier cas, quasi-démembrement d’une de nos grandes banques de dépôt et d’un établissement spécialisé, assorti d’une période de récession source de chômage et de déficits publics ; explosion de la dette publique, dans le second cas, avec une nouvelle récession dont nous ne sommes toujours pas rétablis.
Nous ouvrons aujourd’hui le débat pour que chacun puisse donner son avis, apporter son éclairage et, éventuellement, proposer ses solutions s’agissant de l’endettement tant public que privé, même si, bien sûr, il nous faut de toute façon vivre avec. Ce débat doit, selon nous, déborder de cet hémicycle pour devenir un vrai débat public.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. La démocratie, en effet, ne saurait s’accommoder d’un système dans lequel le plus grand nombre n’aurait pas son mot à dire sur l’argent et sur son usage. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de nous donner l’occasion de nous exprimer sur l’un des enjeux majeurs des finances publiques de notre pays : la dette.
La dette publique de la France est passée de 15 % de la richesse nationale en 1974 à près de 100 % aujourd’hui, pour s’établir à quelque 2 300 milliards d’euros, et son ampleur devient de plus en plus inquiétante.
Mon collègue Savoldelli, dans sa brillante intervention, a évoqué l’endettement des ménages en le rapportant à leur revenu disponible. Si l’on voulait établir une comparaison avec l’endettement de l’État, je ne sais ce que pourrait être le revenu disponible de l’État, sachant qu’il est en déficit…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comparaison n’est pas raison !
M. Vincent Delahaye. En réalité, il n’y a pas de revenu disponible de l’État, mais si l’on rapporte la dette de l’État à ses recettes budgétaires en posant l’hypothèse qu’il ne fasse aucune dépense, il apparaît qu’il faudrait plus de sept années pour la rembourser ! J’aimerais que tous ceux qui nous écoutent – j’espère qu’ils sont nombreux ! – puissent se représenter l’ampleur de la dette publique, au-delà du chiffre quelque peu abstrait de 2 300 milliards d’euros : pour une famille de quatre personnes, elle s’élève à environ 136 000 euros.
N’oublions pas non plus que le chiffre officiel de la dette cache en fait un véritable trou noir, qui n’apparaît pas directement dans les comptes de l’État : je veux parler des engagements hors bilan, que mon collègue Savoldelli a complètement omis d’évoquer. Leur montant flirte avec les 4 000 milliards d’euros, soit une dette réelle dépassant les 6 000 milliards d’euros !
Ces engagements hors bilan sont un véritable fourre-tout, dans lequel les gouvernements successifs ont entassé les sommes qu’ils anticipaient devoir payer un jour, sans réellement s’en soucier. Dans la plus grande discrétion, ils sont passés de 1 000 milliards d’euros il y a douze ans à 4 000 milliards d’euros aujourd’hui….
Monsieur le secrétaire d’État, c’est dire si notre dette abyssale est inversement proportionnelle à nos efforts pour la réduire ou, à tout le moins, la contenir. Depuis trop longtemps, la réduction de la dette est une chimère dans notre pays. En effet, nombreux sont les gouvernements ayant juré, la main sur le cœur, de s’attaquer à la diminution de la dette. Mais aucun ne s’y est effectivement attaché. Très rares sont les résultats, mais abondants sont les rendez-vous manqués, les excuses démagogiques et les lâchetés. C’est cette lâcheté qui coûtera cher aux générations futures.
Certains pensent que l’État ne se gère pas comme une entreprise ; tel n’est pas mon cas. Qu’ils sachent que l’histoire montre qu’une dette est une dette, et que les cigales finissent toujours par passer à la caisse.
J’ai bien sûr conscience qu’il y a une bonne et une mauvaise dette. La bonne dette, c’est celle qui soutient l’investissement, l’innovation, et qui est à l’origine de la richesse de demain.
M. Jean-François Husson. Très juste !
M. Vincent Delahaye. La mauvaise dette, c’est celle qui sert à financer le fonctionnement d’un État trop lourd et trop peu efficace.
Or, aujourd’hui, c’est encore largement la mauvaise dette qui domine en France, et qui ne recule jamais tout à fait. L’un des exemples qui illustrent cette situation est l’incapacité de l’État à réduire drastiquement ses effectifs. Sur les 50 000 postes que le candidat Emmanuel Macron avait promis de supprimer, seuls 1 600 l’ont été en 2018 et 4 100 le seront, a priori, en 2019 : en deux ans, soit 40 % de la durée du quinquennat, à peine 11 % de l’effort prévu aura été réalisé…
En examinant le projet de budget pour 2019, on se dit que l’on est loin de se diriger vers une réduction de la dette. Les chiffres montrent que l’argent public ne fait pas l’objet d’une gestion rigoureuse. Ainsi, la dépense publique augmentera en 2019 de 24 milliards d’euros, soit de 2,2 % par rapport à 2018. Le déficit public approchera 100 milliards d’euros : on ne peut pas dire que la rigueur budgétaire soit véritablement au rendez-vous… Le montant du déficit est supérieur au produit de l’impôt sur le revenu, pour le combler, il faudrait doubler l’impôt sur le revenu ou augmenter de 50 % la TVA !
Certains jugent réaliste l’hypothèse de croissance retenue pour construire le budget ; pour ma part, je la considère comme trop optimiste. Un budget doit être géré avec prudence, monsieur le secrétaire d’État. La prudence commanderait de prendre pour base de calcul le consensus des économistes, c’est-à-dire 1,7 %, en y retranchant 0,5 %, soit 1,2 %. Cela permettrait d’éviter une mauvaise surprise. Si l’on veut rétablir les comptes publics et réduire la dette publique, il faut aller en ce sens.
De surcroît, le contexte mondial est de plus en plus incertain, avec un prix du baril de pétrole en hausse, des taux d’intérêt qui risquent de remonter, des guerres commerciales, et j’en passe…
Les chiffres que j’ai cités illustrent l’incapacité de la politique budgétaire du Gouvernement, comme de celles de ses prédécesseurs, à redresser les comptes publics, et donc à réduire la dette que nous laisserons à nos enfants.
Sans grande réforme de l’action publique, nous n’aurons que des budgets au fil de l’eau nous éloignant de l’efficience et nous plongeant chaque fois plus profondément dans une insouciance trompeuse. J’ai ainsi le regret de constater, monsieur le secrétaire d’État, que nous sommes encore bien loin d’un État moderne, c’est-à-dire d’un État modeste…
N’oublions pas enfin que les intérêts de la dette seront le prix véritablement payé par les prochaines générations. Ce prix est colossal : les intérêts de la dette représentent près de 42 milliards d’euros, soit presque autant que le budget de l’éducation nationale. Vous conviendrez que cela ne correspond pas tout à fait à ce que l’on pourrait appeler un « investissement d’avenir » ! Cet argent va aux marchés financiers que mes collègues de gauche adorent… La dette française est d’ailleurs de plus en plus dépendante de l’étranger, contrairement à la dette japonaise, qui est plutôt nationale. Le jour où le sentiment des marchés se retournera, nous connaîtrons de très graves difficultés financières…
La Banque centrale européenne prévoit d’ailleurs de relever ses taux après l’été 2019, ce qui aura pour conséquence de fragiliser la situation des pays de la zone euro particulièrement endettés. L’Agence France Trésor a ainsi déterminé qu’une hausse de 1 % des taux alourdirait la charge de la dette de 2,4 milliards d’euros la première année et de 8,5 milliards d’euros d’ici à trois ans. On ne peut pas vraiment parler d’une bagatelle budgétaire…
Malgré l’existence de cette bombe à retardement, le Gouvernement ne cesse d’emprunter. Pis encore, il bat des records en prévoyant d’emprunter 228 milliards d’euros en 2019 : du jamais vu !
Monsieur le secrétaire d’État, eu égard à ces éléments, quelle sera la facture de votre héritage pour les générations futures ? Il y a quelques mois, vous vouliez changer le monde politique : commencez par changer les politiques budgétaires ! Si vous voulez vraiment une France en marche, faites que l’État ne marche plus sur la dette !
M. Jean-François Husson. Excellent !
M. Vincent Delahaye. Il y va de votre crédibilité aux yeux des Français et de votre responsabilité envers nos enfants. Ne l’oubliez pas, sinon les jeunes générations jugeront demain votre politique à l’aune de ce vers de Corneille : « Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous y sommes presque : la dette publique du pays est proche de 100 % du produit intérieur brut, du jamais vu en temps de paix ! La dette privée, d’une nature différente, atteint 130 % du PIB.
Ce débat, qui intervient avant l’examen par le Sénat du projet de loi de finances, a pour objet de nous permettre de prendre la mesure de l’urgence dans laquelle nous sommes. Cette urgence est, à mon sens, triple.
La dette est d’abord une urgence politique. On parle souvent du fardeau qu’elle représente pour les générations futures : c’est une réalité, mais je m’inquiète également du déclassement économique dont elle menace la France. Tous nos voisins européens ont entrepris un désendettement vigoureux, notamment l’Allemagne. Le différentiel d’endettement avec ce pays atteindra bientôt 39 points de PIB : cette situation est inédite dans l’histoire récente. Comment espérer peser politiquement en Europe sans être exemplaire ? Comment espérer entraîner nos partenaires en demeurant « l’homme malade de l’Europe » ? Le désendettement de notre pays est une priorité politique.
Le désendettement est également une priorité pour préserver notre souveraineté. Quand la dette atteint 100 % du PIB, une remontée des taux d’intérêt représente un danger de premier ordre pour le budget de l’État. Le service de la dette est déjà le deuxième poste de dépenses de l’État ; il pèse soit cinq fois plus lourd que le budget de la justice.
Cette situation inadmissible pourrait vite devenir insoutenable dans un contexte de hausse des taux : selon l’Agence France Trésor, une remontée de 200 points de base des taux d’intérêt ferait presque doubler la charge de la dette. En l’absence d’une politique de consolidation budgétaire, la hausse de la charge de la dette pourrait ainsi atteindre des proportions incontrôlables. Cet enjeu conditionne donc la viabilité de nos finances publiques.
La deuxième urgence est celle de l’instabilité financière : je veux parler des risques que fait peser sur notre économie la dette privée. La dette des entreprises et des ménages atteignait 130 % du PIB en 2017. En 2007, juste avant le début de la crise financière internationale, elle était encore légèrement en dessous de 100 % du PIB. N’oublions pas que la crise financière de 2008 est une crise de la dette privée avant d’être une crise de la dette publique !
Certes, nous avons renforcé la régulation prudentielle aux niveaux national et européen depuis 2008. Mais les politiques monétaires accommodantes, la hausse des prix de l’immobilier et le retour de la croissance font peser des risques sur cet endettement.
Je déplore que plusieurs voix, aux États-Unis et en Europe, appellent à une moindre régulation financière, au démantèlement des institutions et des normes que nous avons mises en place. Il faut, au contraire, continuer à s’engager pour une finance plus saine, plus responsable et mieux encadrée. Cet engagement n’a de sens qu’au niveau européen : nous appelons à l’achèvement de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux, qui permettra de maîtriser l’endettement et de prévenir les crises.
Enfin, la dernière urgence, fortement liée aux deux autres, est celle de la volonté politique. Nous devons rompre avec un État dopé à la dépense publique : il y va de la préservation de notre souveraineté nationale et de notre mode de vie.
Je crois profondément que cette question sera le juge de paix du quinquennat d’Emmanuel Macron. Pour l’instant, force est de constater que nous n’y arrivons pas. Nous multiplions les revues de dépenses, les comités, les rapports, mais la dépense publique ne baisse pas, ou si peu. La logique budgétaire n’a pas basculé d’une logique de moyens vers une logique de résultats. Le nombre de fonctionnaires diminue trop lentement pour que les objectifs fixés par le Président de la République puissent être atteints. Bref, les conditions ne sont pas réunies pour une diminution ambitieuse de la dépense publique qui permette un désendettement rapide.
Je souhaiterais terminer, monsieur le secrétaire d’État, en vous réitérant le soutien du groupe Les Indépendants à votre entreprise de diminution de la dépense publique. Il s’agit d’une question d’intérêt national qui appelle une union sacrée. C’est la responsabilité de notre génération de lever cette hypothèque qui pèse sur l’avenir du pays et sur celui de nos enfants.