Sommaire
Présidence de Mme Valérie Létard
Secrétaires :
M. Yves Daudigny, Mme Mireille Jouve.
3. Calcul de l’allocation aux adultes handicapés. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Laurence Cohen, auteur de la proposition de loi
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées
Clôture de la discussion générale.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Rejet, par scrutin public n° 6, de l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur
Rejet de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
4. Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ? – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
Mme Mireille Jouve.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. Je n’ai pas une énorme sympathie pour Mme Merkel, mais force est de reconnaître qu’elle a très bien rempli ses obligations morales en demandant à tous les pays européens de décréter un embargo sur les ventes d’armes au régime criminel d’Arabie saoudite. Non seulement le régime d’Arabie saoudite et le dauphin de l’émir dictateur qui commande dans ce pays sont à l’origine d’un crime absolument odieux, digne du Moyen Âge, mais de surcroît les dirigeants de ce pays commettent de multiples crimes de guerre contre les Houthis au Yémen.
En vendant des armes à des criminels de guerre, nous nous faisons les complices de leurs crimes. Ceux qui cautionnent une telle situation ont les mains pleines de sang. Je souhaite que la France adopte une position claire. À défaut, le Président de la République se rendra complice de ces criminels de guerre.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, cher collègue.
3
Calcul de l’allocation aux adultes handicapés
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés, présentée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 434, résultat des travaux de la commission n° 45, rapport n° 44).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la proposition de loi.
Mme Laurence Cohen, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objet de répondre à une revendication de longue date des associations de soutien aux personnes handicapées.
Notre groupe a l’habitude de travailler avec ces organisations de terrain, qui nous alertent régulièrement sur la nécessité de repenser le calcul de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH. À cet égard, je salue le travail de notre rapporteur, Cathy Apourceau-Poly, et je la remercie des auditions qu’elle a pu mener. C’est donc tout naturellement que nous avons souhaité reprendre la proposition de loi déposée par Marie-George Buffet à l’Assemblée nationale le 6 décembre 2017 et cosignée par une cinquantaine de députés de toutes sensibilités politiques.
Visiblement, la situation a évolué, « régressé » serait le mot juste, puisque notre proposition de loi n’a pas été votée en commission par les autres groupes, à l’exception du groupe socialiste. Pourtant, cette proposition de loi est plus que jamais d’actualité. Elle permettrait non seulement d’octroyer aux personnes handicapées un complément de revenu, mais également de compenser, autant que faire se peut, les difficultés financières liées au handicap. Nous rétablissons la mission première de l’AAH, à savoir d’être une allocation de compensation.
Pour rappel, plus de 1 million de personnes en France sont dans une situation de handicap telle qu’elles ne peuvent accéder durablement à l’emploi et sont, à ce titre, bénéficiaires de l’AAH. Cette allocation n’a donc pas pour objectif de fournir une aide temporaire, comme les minima sociaux tels que le RSA, afin d’empêcher la situation de la personne de trop se dégrader. Il s’agit bien, ici, d’une ressource financière permettant de pallier une situation qui n’a que peu de chances, hélas ! d’évoluer dans un sens meilleur. C’est d’ailleurs ce que montrent les statistiques, puisque 90 % des allocataires renouvellent leur demande d’AAH. Autrement dit, pour la quasi-totalité des bénéficiaires de l’allocation, il n’y a pas de perspective d’amélioration de leur état de santé.
L’AAH est donc bien un droit, une allocation visant à protéger celles et ceux qui sont placés en situation de vulnérabilité et à compenser les difficultés rencontrées au quotidien.
La vulnérabilité à laquelle sont confrontées les personnes en situation de handicap est bien réelle. Ainsi, un article de l’Observatoire des inégalités, publié en octobre 2017, rapporte que la moitié des personnes dont le handicap est reconnu administrativement ont un niveau de vie mensuel inférieur de quasiment 200 euros à celui des personnes n’ayant pas de handicap. Plus le handicap est sévère, plus l’écart se creuse, allant jusqu’à 500 euros. Les deux revalorisations de l’AAH annoncées par le Gouvernement ne permettront pas de supprimer cet écart ni de porter l’AAH au niveau du seuil de pauvreté, fixé à 1 026 euros – faut-il le rappeler ?
Cette exposition plus forte des personnes en situation de handicap à la pauvreté et à la précarité n’est malheureusement pas près de diminuer. En effet, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures qui précarisent davantage celles et ceux qui sont déjà en situation de grande fragilité. J’en citerai quelques-unes : suppression du complément de ressources ; baisse du quota d’appartements adaptés, c’est-à-dire accessibles, dans les constructions neuves ; limitation du cumul entre RSA et AAH ; suppression de l’aide au transport pour les enfants et adultes handicapés. Et cette liste est loin d’être exhaustive !
À ces mesures, profondément injustes, s’ajoutent celles qui concernent tout un chacun : la baisse des APL, la hausse de la CSG ou encore la désindexation de nombreuses prestations sociales. Aussi est-il urgent d’agir maintenant, non seulement afin d’améliorer le niveau de vie des personnes en situation de handicap, mais également pour une question de droits fondamentaux.
L’AAH est une allocation d’autonomie qui, bien qu’insuffisante, a pour but de donner à son bénéficiaire les moyens de son indépendance financière. Prendre en compte les revenus du conjoint ou de la conjointe a des conséquences extrêmement fâcheuses. Certains des bénéficiaires, en effet, voient leur allocation tellement diminuée qu’elle ne leur permet pas de vivre décemment. D’autres en sont tout simplement privés !
Leur subsistance et leur qualité de vie dépendent donc entièrement de leur conjointe ou de leur conjoint, ce qui les place dans une situation de dépendance pouvant s’avérer humiliante. C’est d’ailleurs le phénomène qui est décrit dans un reportage du journal télévisé de France 3 diffusé en mars dernier. On y voit un homme expliquer que, depuis son mariage, l’AAH qu’il percevait a été supprimée, ce qui ne lui laisse pour subsister qu’une pension d’invalidité de 330 euros. Cette situation l’oblige à « vivre aux crochets de sa femme », il ne peut faire aucun projet, il ne peut pas emprunter d’argent à la banque : comme il le souligne lui-même, « en tant que personne », il ne peut rien faire.
Dans ce reportage, il s’agit d’un homme, mais la problématique de la dépendance au conjoint ou à la conjointe se pose de manière encore plus grave pour les femmes handicapées. En France, le nombre de femmes handicapées est quasiment aussi élevé que le nombre d’hommes. Pourtant, les femmes font bien moins souvent l’objet d’une reconnaissance administrative de leur situation, puisqu’elles ne constituent que 40 % des bénéficiaires de l’AAH.
Par ailleurs, selon une étude menée par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, publiée le 16 mars 2016, les femmes handicapées sont celles qui sont le plus victimes de violences physiques et sexuelles au sein du couple.
Pour ces femmes, l’arrêt de la prise en compte du revenu du conjoint dans l’AAH est une nécessité afin qu’elles puissent retrouver leur indépendance et s’émanciper de situations parfois destructrices. C’est pourquoi notre proposition de loi est soutenue non seulement par les associations d’aide aux personnes en situation de handicap, mais aussi par les associations féministes. Je pense tout particulièrement à l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir, fondée par Maudy Piot, militante inlassable des femmes handicapées, féministe reconnue, décédée, hélas ! le 25 décembre dernier. Elle se battait pour que les femmes handicapées jouissent de leurs droits de citoyennes, ce qui est le sens même de notre proposition de loi.
Il est fondamental de bien comprendre que l’AAH est une allocation attachée à la personne et qu’elle ne saurait être retirée en cas de vie de couple. La pension d’un retraité ne dépend pas des ressources de son conjoint que je sache !
Je défends par ailleurs avec les associations féministes l’individualisation des droits sociaux garantissant une indépendance économique des femmes.
Pour toutes ces raisons, je vous appelle, mes chers collègues, à voter, contrairement à ce qui a été fait en commission des affaires sociales, en faveur de notre proposition de loi. Nous sommes attendus et regardés par toutes les associations de personnes en situation de handicap. Nous devons tous prendre nos responsabilités, ici, dans cet hémicycle : nous aurons à nous en expliquer ensuite auprès de nos concitoyens dans nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je remercie une nouvelle fois notre collègue Laurence Cohen ainsi que les membres du groupe CRCE d’avoir inscrit ce texte important à l’ordre du jour de notre assemblée.
Le texte aujourd’hui soumis à votre examen a fait l’objet en commission des affaires sociales d’un débat nourri et utile, à l’issue duquel un problème demeurait entier : quelle est la nature de l’allocation aux adultes handicapés ?
Cette allocation occupe une place à part dans le paysage des prestations sociales attribuées aux personnes handicapées. Elle est versée aux personnes handicapées dont l’incapacité permanente les tient durablement éloignées de l’emploi. Depuis sa création par la loi fondatrice du 30 juin 1975, l’AAH a toujours été perçue comme un minimum social, autrement dit comme un revenu de remplacement versé par les pouvoirs publics aux personnes bénéficiaires en vertu de la solidarité nationale, en subsidiarité des autres formes de solidarité.
C’est la raison pour laquelle les modalités d’attribution de l’AAH présentent une certaine parenté avec celles du revenu de solidarité active. Il s’agit, en effet, d’une prestation sociale différentielle, qui part non pas du besoin de la personne qu’elle finance, mais d’un revenu minimum qu’elle lui garantit. Elle tient compte des revenus du conjoint, suggérant ainsi que l’accompagnement d’une personne handicapée durablement écartée du marché du travail serait moins coûteux lorsque cette dernière est en couple que lorsqu’elle vit seule.
Ces caractères de l’AAH sont bien connus et traduisent l’esprit d’une époque où l’accompagnement du handicap s’entendait comme le prolongement d’une forme de charité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Depuis une autre grande loi, celle du 11 février 2005, une autre logique d’intervention publique auprès des personnes handicapées s’est affirmée : la logique de compensation. Contrairement à la logique de solidarité, la compensation ne vise pas à assurer à la personne handicapée un revenu de remplacement dans le but de maintenir son niveau au-dessus d’un certain seuil, mais elle a pour objet de financer, sans considération de ressources ou de foyer, l’indemnisation du « préjudice moral » que subit la personne dans ses difficultés quotidiennes du fait de son handicap. Cette indemnisation est en grande partie assurée par la prestation de compensation du handicap, attribuée par les conseils départementaux.
Le financement de l’accompagnement de la personne handicapée se situe au croisement de ces deux philosophies, solidarité et compensation, ce qui peut parfois en rendre la compréhension malaisée. Individuel et déconnecté du niveau de revenu lorsqu’il s’agit de compenser le besoin en aides humaines et techniques consécutif à un handicap, le financement prend des formes plus solidaristes, proches de la logique des minima sociaux, lorsqu’il s’agit de soutenir financièrement les personnes tenues éloignées de l’emploi par le handicap.
De mon point de vue, cette dichotomie ne se justifie pas. Au nom de quoi un handicap ferait-il appel au devoir d’indemnisation des pouvoirs publics, dans certains cas, et à l’obligation solidaire d’un minimum social, dans d’autres ?
De toute évidence, pour des motifs liés autant à son histoire qu’aux tâtonnements récents des politiques publiques en matière de handicap, nous peinons encore à faire un choix clair.
La commission des affaires sociales du Sénat a longuement débattu sans parvenir à trancher. Même nos collègues défavorables à la proposition de loi ont bien été contraints de reconnaître qu’une pareille dualité, en plus de plonger dans la confusion certains de nos concitoyens les plus fragiles, était le signe d’une politique publique inaboutie et vacillant sur ses propres principes. Ce texte tend à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul et dans l’attribution de l’AAH afin de la faire résolument entrer dans la catégorie des prestations de compensation.
On dit de ce texte qu’il dénature profondément l’AAH. Mes chers collègues, c’est tout le contraire ! Nous mettons simplement nos pas dans ceux du législateur de 2005, qui a posé le principe compensateur comme référence unanimement acquise aujourd’hui.
Au même titre qu’une aide humaine ou une aide technique compense la perte d’autonomie liée au handicap, nous estimons logiquement que l’AAH compense la perte de revenu liée à l’incapacité de s’insérer durablement sur le marché du travail. Son attribution doit donc obéir à des principes de compensation. Pourquoi voir une aberration là où il n’y a que bon sens et désir de simplifier la vie de personnes qui n’ont vraiment pas besoin de complications ?
Notre texte est donc utile, mais il est aussi indispensable, surtout en cette période où s’ouvre la discussion budgétaire. Le projet de loi de finances de l’an dernier avait effectivement permis au Gouvernement de faire l’annonce de deux mesures relatives à l’AAH, dont l’une ne laisse pas de nous inquiéter.
La première mesure concerne la revalorisation du montant individuel maximal auquel un bénéficiaire peut prétendre. De 820 euros actuellement, ce plafond passerait progressivement à 900 euros en novembre 2019, ce dont nous nous félicitons. En revanche, la seconde mesure prévoit l’abaissement du plafond de ressources en deçà duquel un bénéficiaire en couple peut toucher l’AAH. Ce plafond, qui est actuellement le double du plafond individuel, va se voir appliquer un coefficient dégressif, illustrant ainsi l’ambition du Gouvernement de « familialiser » une prestation qui doit à tout prix rester individuelle.
Nous avons, à maintes reprises, questionné la direction générale de la cohésion sociale sur les impacts chiffrés de ces deux mesures, mais nous n’avons jamais reçu de réponse. Or nous avons toutes les raisons de craindre que, malgré la bonne nouvelle de la revalorisation, l’abaissement du plafond ne manquera pas d’exclure certains allocataires d’un dispositif dont ils bénéficient actuellement. Nous en avons en tout cas la preuve irréfutable par les chiffres pour le cas d’un couple composé de deux bénéficiaires de l’AAH.
Mes chers collègues, c’est tout le contraire de l’ambition de notre texte. Il ne s’agit pas ici d’une mesure que l’on pourrait accuser d’être naïvement généreuse, il s’agit d’un pas nouveau franchi vers une politique publique du handicap plus cohérente, plus lisible et plus juste. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Madame la présidente, madame la sénatrice Laurence Cohen, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner, par cette proposition de loi, l’occasion de partager une nouvelle fois avec vous l’engagement total du Gouvernement en faveur de l’inclusion des personnes en situation de handicap. Cette priorité du quinquennat sera de nouveau mise à l’honneur lors du comité interministériel du handicap que réunit le Premier ministre demain matin, à Matignon. J’espère que vous me donnerez l’occasion de vous présenter les mesures importantes qui en seront issues, par exemple lors d’une prochaine séance de questions d’actualité.
Je veux d’abord rappeler que cette priorité se traduit très concrètement par un effort financier sans précédent en direction des personnes auxquelles le handicap interdit de travailler ou qui se trouvent fortement réduites, en raison de leur handicap, dans leur capacité à travailler. La revalorisation exceptionnelle de l’allocation aux adultes handicapées que met en œuvre le Gouvernement, conformément à l’engagement du Président de la République, concernera plus de 1 million de personnes. Quel est le sens de cette revalorisation et comment s’articule-t-elle avec l’ensemble de la politique du handicap du Gouvernement et avec notre projet de société inclusive ? C’est une question centrale pour l’examen de votre proposition de loi, madame la sénatrice Cohen, que je voudrai éclairer par mon propos.
Depuis sa création, en 1975, l’allocation aux adultes handicapés est un minimum social. Elle vise à assurer un minimum de ressources aux personnes auxquelles leur handicap interdit de travailler ou que leur handicap limite fortement dans leur capacité à travailler. Elle n’a, en conséquence, aucune vocation à « compenser » le handicap, d’autant qu’une prestation a été spécifiquement créée à cette fin depuis 2005 : la prestation de compensation du handicap sur laquelle je reviendrai.
L’AAH, en qualité de minimum social, est la manifestation de la solidarité nationale envers les plus démunis, ce qui justifie pleinement qu’elle soit financée par le budget de l’État. Avec le RSA et l’ensemble des autres prestations sociales, l’AAH participe pleinement de notre « filet de sécurité » et contribue fortement à la réduction de la pauvreté monétaire dans notre pays. Il faut s’en féliciter, c’est un filet solide ! Les transferts sociaux et fiscaux diminuent le taux de pauvreté en France de 8 points ; les seuls minima réduisent l’intensité de la pauvreté de plus de 6 points.
Néanmoins, il faut aussi le rappeler, c’est un filet compliqué – comme vous l’avez parfaitement souligné, madame la sénatrice –, dont la complexité même peut s’opposer à l’accès aux droits des personnes. C’est la raison pour laquelle, je veux le rappeler, le Gouvernement s’est engagé, dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, que pilote Agnès Buzyn, à mener un chantier de refonte des minima sociaux dans la perspective de la mise en place d’un revenu universel d’activité. Ce chantier et cette vision d’ensemble sont en effet indispensables pour rendre plus équitable et plus incitatif à l’activité un système aujourd’hui complexifié par la coexistence de dix minima. Une grande concertation nationale et citoyenne sera organisée en ce sens de janvier à juin 2019.
Mais puisque votre proposition, madame la sénatrice, se concentre sur la seule allocation aux adultes handicapés, arrêtons-nous sur elle. Oui, cette prestation s’articule avec les solidarités familiales, notamment la solidarité entre époux reconnue par le droit civil, car c’est un principe de base de notre modèle social. Ainsi, comme tous les minima sociaux, l’AAH est assortie d’une condition de ressources. Si le bénéficiaire dispose de ressources personnelles ou s’il peut compter sur le soutien financier des autres membres de son foyer au titre de la solidarité familiale, la priorité doit être donnée à la mobilisation préalable de ces ressources. C’est à ce titre que les ressources du conjoint sont prises en compte dans le calcul de l’AAH.
Vous le comprenez, mesdames, messieurs les sénateurs, revenir sur cette articulation des solidarités, supprimer la condition de ressource appréciée à l’échelle du foyer, comme le prévoit la proposition de loi de Mme la sénatrice Cohen, reviendrait donc sur la nature même de l’allocation aux adultes handicapés.
Ne nous y trompons pas : la prise en compte de la composition du foyer du bénéficiaire dans le calcul de la prestation s’exerce bien au bénéfice des personnes dès lors que le plafond de ressources pour bénéficier de l’AAH augmente, parallèlement à la taille du foyer. En effet, cela veut dire que le plafond de ressources est plus élevé lorsque le bénéficiaire est en couple, comme il l’est lorsque le bénéficiaire a des enfants.
Ainsi, un bénéficiaire de l’AAH en couple, sans revenu d’activité propre, peut continuer de percevoir cette allocation jusqu’à ce que les ressources de son conjoint atteignent 2 169 euros mensuels, soit 1,8 SMIC. Dans le cas où c’est l’allocataire de l’AAH qui travaille, et pas son conjoint, les règles actuelles de « conjugalisation » permettent à ce bénéficiaire de cumuler son allocation à taux plein en complément, par exemple, d’un SMIC. En novembre 2019, cet allocataire pourra percevoir 900 euros en complément de son revenu d’activité au SMIC. Si l’on ne prend plus en compte les ressources à l’échelle du foyer, cet allocataire ne pourra plus prétendre qu’à 344 euros mensuels. C’est un manque à gagner très important de 556 euros par mois pour ce foyer.
Si je salue bien volontiers le travail et la volonté de Mme la sénatrice Laurence Cohen dans l’élaboration de ce texte, je me dois d’alerter sur les conséquences de sa proposition.
En supprimant le plafond de ressources pour les couples, elle aurait pour première conséquence de diminuer le montant de l’allocation de certains bénéficiaires de l’AAH en couple, puisque ne serait plus retenu que le plafond pour les personnes seules. Ainsi, paradoxalement, cette mesure, dont l’impact budgétaire est évalué à près de 360 millions d’euros par an, ferait certes des gagnants, mais aussi 57 000 ménages perdants, avec des gains et pertes mensuelles très importants.
Vous le savez aussi, mais il n’est pas inutile de le rappeler, les modalités de calcul de l’AAH prennent pleinement en compte les besoins spécifiques de ses bénéficiaires.
Tout d’abord, une « base ressources » réduite : le calcul du droit à l’AAH ne prend en compte que les seules ressources soumises à l’impôt sur le revenu.
Ensuite, un mécanisme d’intéressement à la reprise d’une activité particulièrement incitatif : les allocataires bénéficient d’un cumul intégral de leurs revenus avec l’AAH pendant les six premiers mois de la reprise d’un emploi ; ils peuvent ensuite cumuler revenus d’activité et AAH selon un mécanisme d’abattement avantageux.
Par ailleurs, un abattement spécifique de 20 % est prévu pour la prise en compte des revenus du conjoint. Cela signifie concrètement que, si vous êtes bénéficiaire de l’AAH et que votre conjoint gagne 1 500 euros mensuels, seuls 1 200 euros sont pris en compte pour le calcul de vos droits.
Enfin, le plafond de ressources prévu est supérieur à celui applicable à d’autres minima sociaux.
D’autres dispositifs et droits connexes supplémentaires viennent également répondre à la spécificité des besoins des personnes en situation de handicap. Ainsi, des exonérations fiscales spécifiques sont prévues en matière de taxe d’habitation et de taxe foncière, sous condition de ressources et de cohabitation. Les bénéficiaires de l’AAH bénéficient également d’une aide à une complémentaire santé que la ministre des solidarités et de la santé revoit et améliore substantiellement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, conformément aux annonces de la stratégie de lutte contre la pauvreté.
L’ensemble de ces règles et de ces droits connexes ont été conçus pour soutenir l’autonomie des personnes. Cet objectif reste pleinement celui du Gouvernement, comme l’illustre l’investissement social massif que nous faisons en direction des bénéficiaires de l’AAH.
Afin de lutter contre la pauvreté subie des personnes en situation de handicap, le projet de budget pour 2019 sera marqué, pour la deuxième année consécutive, par la revalorisation exceptionnelle de l’allocation, conformément à l’engagement du Président de la République. Il s’agit d’une hausse sans précédent, dont vous connaissez les modalités. Elle représente un investissement de plus de 2 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat. Cela représente une hausse totale de l’AAH de 11 % par rapport à son montant actuel. C’est l’équivalent d’un treizième mois pour les personnes concernées, qui sont – je veux le rappeler – plus de 1 million, l’AAH représentant le deuxième minimum social par le nombre de ses bénéficiaires.
Cette hausse répond à l’engagement du Président de la République de renforcer la solidarité nationale en direction de ceux qui en ont le plus besoin. Mais il ne s’agit pas de compenser le handicap, comme je l’indiquais en introduction, car cette compensation relève non pas de l’AAH, mais davantage de la prestation de compensation du handicap, introduite en 2006.
La PCH est une prestation en nature visant à contribuer au financement des besoins de compensation, à domicile et en établissement, en complément des aides de la sécurité sociale. Il s’agit d’une prestation personnalisée, fondée sur une évaluation multidimensionnelle des besoins de chaque personne et prenant en compte son projet de vie. Il s’agit d’une prestation universelle, quasiment sans condition de ressources, attribuée par les maisons départementales des personnes handicapées et financée par les départements, avec le concours de la solidarité nationale.
Douze ans après sa création, la PCH bénéficie désormais à plus de 280 000 personnes et représente une dépense de près de 2 milliards d’euros. Elle est complexe et composée de six éléments. Voilà pourquoi nous avons décidé de remettre à plat l’ensemble de cette prestation dans le cadre du chantier qui va s’ouvrir. La refonte de la prestation doit notamment mieux soutenir la parentalité des personnes en situation de handicap.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons évoqué des prestations, des dispositifs, des règles techniques et des chiffres, mais il me semble important de conclure en rappelant que, au-delà d’un accès simplifié et plus équitable à ces prestations et compensations, le soutien à l’autonomie des personnes handicapées et à leur pleine participation à la société et à la citoyenneté est au cœur de la société inclusive que construit actuellement le Gouvernement, projet qui veut reconnaître dans les citoyens en situation de handicap des citoyens à part entière, et non des citoyens à part.
Cette reconnaissance passe par le rétablissement de l’ensemble des personnes dans leur pleine citoyenneté, avec le plein exercice du droit de vote des majeurs protégés, que la garde des sceaux Nicole Belloubet a défendu devant cette assemblée, mais qui a malheureusement été rejeté dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Ce projet de société inclusive repose sur un travail global engagé en faveur de l’accessibilité universelle et sur le soutien à l’activité des personnes handicapées, confortée par les dispositions de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Ce projet nous rassemble largement, comme je l’ai vérifié encore récemment, lors de la présentation par le sénateur Philippe Mouiller de son excellent rapport sur le financement de la politique du handicap. Je le remercie de m’y avoir associée.
C’est la raison pour laquelle, tout en émettant un avis défavorable sur cette proposition de loi, je suis confiante dans le soutien de votre assemblée pour coconstruire une société du vivre ensemble qui fasse pleinement place aux personnes et à leurs différences.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier Mme la rapporteur Cathy Apourceau-Poly et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste de la présentation, aujourd’hui, dans l’hémicycle du Sénat, de la très nécessaire proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés. Ce texte est soutenu unanimement par les sénateurs du groupe socialiste et républicain, au nom duquel j’interviens aujourd’hui.
Notons que cette proposition de loi a d’abord été déposée à l’Assemblée nationale, toujours sur l’initiative des parlementaires communistes, et cosignée par de nombreux députés, issus de plusieurs groupes politiques. Il se trouve cependant que le Gouvernement et sa majorité, gênés aux entournures, en ont bloqué l’examen. C’est donc au Sénat que nous pouvons aujourd’hui, fort heureusement, en discuter.
Cette situation constitue une nouvelle illustration, s’il en était besoin, de l’importance du Sénat dans notre vie politique et de l’importance du bicamérisme. C’est un fait dont il faudra se souvenir lors du futur examen au Parlement de la réforme constitutionnelle, qui interviendra en janvier prochain.
La proposition de loi que nous examinons répond aux attentes des personnes en situation de handicap et à celles de leurs associations de défense, qui dénoncent, depuis des années, la prise en compte du revenu du conjoint.
Rappelons, tout d’abord, que l’AAH bénéficiait à 1,13 million de personnes en 2017 et que, de 819 euros par mois pour une personne seule, elle atteindra 860 euros au 1er novembre 2018, puis 900 euros à la fin de l’année 2019.
Si ces revalorisations sont bien entendu positives, vous conviendrez, mes chers collègues, qu’elles aboutissent à des montants encore bien faibles, situés en dessous du seuil de pauvreté. Elles doivent être comparées aux montants des cadeaux fiscaux faits par le Gouvernement aux plus riches, qui se chiffrent, eux, en millions d’euros.
En outre, la revalorisation de l’AAH pour une personne seule s’accompagnera d’une baisse progressive pour les bénéficiaires en couple. Ainsi, le coefficient multiplicateur maximal est passé de 2 à 1,9 en 2018 et s’élèvera à 1,8 l’année prochaine, ce qui pourra exclure certains couples du bénéfice de l’allocation, dans des proportions dont nous ne connaissons pas l’ampleur, comme l’a regretté notre rapporteur.
Les couples percevant tous deux l’AAH connaîtront eux aussi une baisse nette des revenus du foyer. En effet, ceux qui perçoivent actuellement 1 638 euros verront le montant de leur allocation baisser à 1 625 euros. J’entends déjà qu’une différence de 13 euros, ce n’est rien, ou si peu… C’est peut-être peu pour les finances publiques, mais, pour boucler des fins de mois difficiles, une telle somme est absolument nécessaire dans bien des cas !
En quelque sorte, en revalorisant l’AAH, tout en réduisant le plafond, le Gouvernement reprend d’une main ce qu’il a donné de l’autre.
Les allocataires de l’AAH vivant en couple subissent ainsi une discrimination inacceptable, qui peut en amener certains, par exemple, à ne pas se marier ou à ne pas déclarer leur vie de couple pour ne pas perdre le bénéfice de l’allocation. Il est proprement scandaleux que certains soient contraints à cette extrémité. Cette situation ajoute de l’exclusion à l’exclusion.
Et que dire de cette dépendance de l’un à l’égard de l’autre dans le couple ? Elle est blessante, humiliante et rétrograde, spécialement pour les femmes, comme ma collègue Laurence Cohen l’a rappelé. Citoyenne à part entière, la personne handicapée n’a pas demandé à être privée de sa capacité à travailler et doit, à notre sens, avoir le choix de ne pas dépendre financièrement de son conjoint.
L’AAH n’est pas un minimum social comme un autre : c’est le calcul d’un degré d’invalidité, contraignant malheureusement la personne concernée à renoncer au travail. Je rappelle que, pour percevoir l’AAH, il faut se voir reconnaître un taux d’incapacité de 80 %, ce qui correspond à un handicap lourd, empêchant de travailler.
Mais qui dit renoncement au travail ne dit surtout pas renoncement à une vie sociale, culturelle ou familiale ! Or, bien souvent, les personnes handicapées n’ont que l’AAH pour seule ressource.
Pour mesurer les difficultés d’insertion des personnes souffrant d’un handicap, je veux insister sur un chiffre particulièrement éclairant : seuls 6 % des allocataires de l’AAH sortent du dispositif d’une année sur l’autre, d’après une étude récente. C’est dire si l’AAH, son maintien à taux plein, sa revalorisation régulière sont essentiels pour nos concitoyens touchés par le handicap.
Cependant, force est de constater que le Gouvernement, au-delà des déclarations de principe et d’affichage sur la nécessité de mener une politique inclusive, n’apporte malheureusement qu’une réponse comptable, difficilement justifiable et décalée par rapport aux réalités vécues.
Nous avons déjà constaté ce décalage entre l’affirmation de grands principes et la réalité concrète à l’occasion des débats parlementaires sur le projet de loi ÉLAN. En l’espèce, l’article 18 de ce texte, relatif à l’accessibilité des logements pour les personnes handicapées, prévoit que seuls 20 % des nouveaux logements collectifs leur seront accessibles, alors que la loi de 2005 prévoyait, pour ces mêmes programmes neufs, un taux de 100 %. C’est un recul sans précédent pour les droits des personnes handicapées, qui sont bien pris en considération sur le papier et dans les discours des ministres, mais qui ne le sont, hélas, ni dans leurs actes, ni dans leurs politiques, ni dans notre réalité.
Je ne demande qu’à être démentie, tout du moins aujourd’hui, madame la secrétaire d’État, en vous voyant apporter votre soutien à cette très attendue proposition de loi de nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – attendue par les intéressés, attendue par le mouvement associatif, lequel est extrêmement inquiet, attendue et espérée par nous-mêmes, sénateurs et sénatrices du groupe socialiste et républicain.
L’adoption du texte ne mettrait pas en péril, tant s’en faut, l’équilibre des finances publiques – je rappelle que seuls 23 % des allocataires de l’AAH sont en couple. Ce serait un geste de solidarité, de fraternité et un bon signal envers nos concitoyens les plus exposés et les plus fragiles, déjà durement frappés par leur situation de personnes handicapées. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste et républicain, qui ne peuvent accepter que les politiques publiques se réduisent à la recherche d’équilibres budgétaires, voteront avec détermination et enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour examiner une proposition qui touche à un sujet auquel nous sommes, je crois, tous sensibles : la vie quotidienne des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés.
Attribuée à environ 1 million de personnes en situation de handicap, l’AAH prend en compte l’ensemble des ressources retenues dans le calcul de l’impôt sur le revenu.
Si nous sommes tous d’accord pour considérer l’AAH comme un outil indispensable à l’inclusion des personnes handicapées dans notre société, les avis divergent quant à une éventuelle réforme de son mode de calcul.
Je m’efforcerai de détailler la position du groupe du RDSE sur ce sujet.
Les auteurs de la proposition de loi déplorent une situation de dépendance financière des personnes handicapées à l’égard de leur conjoint, en raison du caractère dégressif de l’AAH, qui prend en compte l’ensemble des revenus du foyer.
Bien sûr, nous considérons que tout doit être mis en œuvre pour garantir le maximum d’autonomie des personnes en situation de handicap et limiter ainsi le niveau de dépendance à l’égard de leurs proches, à tous les âges de la vie. Malgré une reconnaissance croissante et heureuse de l’engagement des proches aidants – nous en discuterons demain –, c’est bien la société tout entière et dans toutes ses dimensions qui doit être aux avant-postes dans ce domaine, pour permettre l’émancipation de chacun.
À cet égard, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait figure de modèle et s’est imposée comme le fondement de toutes les réformes entreprises dans ce domaine. Elle pose notamment comme principes fondamentaux l’émancipation et la pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap et rappelle qu’une société plus juste et apaisée est une société inclusive.
La proposition de loi que nous examinons intervient dans un contexte particulier de modification des règles de l’AAH par le Gouvernement. En effet, ce dernier a annoncé plusieurs revalorisations exceptionnelles, qui porteront l’AAH à 860 euros en novembre 2018 et 900 euros en novembre 2019, ce qui équivaut à une augmentation significative de 80 euros pour les allocataires.
Toutefois, nous regrettons que d’autres mesures atténuent son véritable impact. Je veux simplement évoquer la baisse du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint, qui entraîne de facto une baisse progressive du plafond de ressources pour les couples, ainsi que l’article 65 du projet de loi de finances pour 2019, qui propose de revenir sur l’indexation de l’AAH sur la hausse des prix.
Nos collègues du groupe CRCE proposent de supprimer la prise en compte du revenu du conjoint dans la base de calcul de l’AAH. Nous comprenons bien la spécificité de l’AAH, laquelle permet de faire face à une situation qui, dans la majorité des cas, n’a pas vocation à s’améliorer. Toutefois, pour la plupart des minima sociaux, comme le RSA, les revenus du conjoint sont également pris en compte : c’est bien la situation familiale dans sa globalité qui est examinée. En ce sens, le traitement des situations au coup par coup que nous proposent les auteurs de cette proposition de loi entraînerait une rupture d’équité entre les minima sociaux.
Par ailleurs, selon ces mêmes auteurs, le principe de l’allocation est de garantir l’autonomie de la personne. Or l’objectif premier de l’AAH est non pas de garantir l’autonomie de son bénéficiaire, mais d’« assurer un minimum de ressources », donc de lutter contre la grande pauvreté des personnes en situation de handicap. À ce titre, il paraît cohérent, en l’état des autres prestations, de prendre en compte l’ensemble des ressources du foyer. Quant à la PCH, elle a pour objectif de compenser le handicap.
Tentons de prendre un peu de hauteur sur la question : nous saluons de nouveau l’augmentation significative de l’AAH et, en même temps, nous mesurons l’ampleur du travail qui reste à accomplir. La lutte contre la pauvreté des personnes handicapées et la compensation par l’État des entraves particulières engendrées par leur situation ne sont que les parties émergées de l’iceberg. L’accueil fragile et imparfait qui leur est réservé dans la société demeure un frein à leur pleine inclusion.
Le handicap, aussi individuel soit-il, est accentué par la faible accessibilité des établissements recevant du public, mais aussi par la faible adaptation du marché de l’emploi et de la formation, tout comme par l’offre encore insuffisante d’activités sportives ou culturelles mises à la disposition des citoyens concernés. Dans cette vision globale, l’environnement familial et social, donc la solidarité familiale, joue bien évidemment un rôle majeur.
En conséquence, penser l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap sous le seul angle de la suppression des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’AAH serait passer à côté de l’enjeu majeur des moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif d’une société inclusive, comme doit l’être celle d’un pays comme la France.
Conscients de toutes les difficultés qui demeurent dans la vie des personnes handicapées et de la nécessité d’y apporter des solutions diverses et complexes et mesurant les conséquences que l’adoption de cette proposition de loi aurait sur les autres prestations sociales, la majorité des membres du groupe RDSE s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui la proposition de loi n° 434, déposée par Laurence Cohen, qui tend à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés.
À titre préliminaire, je veux rappeler que cette aide financière a pour but de garantir un minimum de ressources. Elle est l’expression de la solidarité nationale. Cumulable avec d’éventuels dispositifs et pouvant compléter d’autres ressources, elle n’en demeure pas moins un minimum social à part entière.
Je veux m’arrêter quelques instants sur la genèse – elle a son importance – de cette initiative parlementaire. Celle-ci s’est exprimée au Sénat au travers d’une question de notre collègue Bernard Jomier, puis a pris forme à l’Assemblée nationale, d’abord avec une première proposition de loi, déposée le 17 janvier 2018 par Laurence Trastour-Isnart, membre du groupe Les Républicains, puis avec une seconde, déposée le 21 mars 2018 par Marie-George Buffet. Elle a fait d’ailleurs l’objet d’une adhésion transpartisane.
Le texte a été renvoyé en commission des affaires sociales, et non en commission spéciale, contrairement à ce qu’avait souhaité le groupe Gauche démocrate et républicaine. Je prends note de l’opposition formée par la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, et je la regrette. En effet, j’estime qu’il eût été préférable d’aboutir à la constitution d’une telle commission. Celle-ci aurait permis à la représentation nationale d’envoyer un message politique clair à destination de nos concitoyens : celui d’une réelle prise en compte de leurs attentes.
Pour reprendre les mots d’André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine de l’Assemblée nationale, l’acceptation de cette demande aurait été « un geste fort », montrant « que les députés écoutent les attentes sociales et dépassent les clivages quand il faut prendre des mesures de justice et de bon sens ». De plus, elle aurait permis de mener une réflexion pluridisciplinaire, d’avoir une vision globale sur l’application de cette proposition et, probablement, d’envisager une réforme de plus grande ampleur sur le sujet. J’y reviendrai dans quelques instants.
En ce qui concerne nos débats, je veux avant tout saluer les travaux de notre collègue rapporteur. Nous rejoignons le constat qu’elle a dressé et sa présentation de la philosophie dans laquelle s’inscrit cette allocation.
Par ailleurs, ce texte rappelle, dans ses motifs, l’importance, pour l’allocataire, de voir son autonomie assurée. Le groupe Union Centriste, au nom duquel je m’exprime cet après-midi, demeure pleinement attentif et sensible à cette préoccupation.
Il me vient en mémoire cette belle conclusion formulée par Sylvain Tesson dans une œuvre récompensée en 2011 par un prix dont le nom résonne si particulièrement dans ces murs – je veux bien évidemment parler du prix Médicis Essai – : « L’autonomie pratique et matérielle ne semble pas une conquête moins noble que l’autonomie spirituelle et intellectuelle. »
Ainsi, comme l’ont précisé très justement ses auteurs, cette proposition de loi tend à améliorer la situation matérielle et morale de tout allocataire vivant en couple.
Surtout, l’allocation aux adultes handicapés a une portée sociale, mais aussi un impact familial, que tous les membres de cet hémicycle mesurent. En effet, son montant est dégressif dès lors que les revenus du conjoint s’élèvent à 1 126 euros par mois et son versement cesse à partir de 2 200 euros.
Les conséquences en termes d’unions sont avérées. C’est pourquoi l’article 1er du texte vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le versement de l’AAH quand celle-ci est versée en complément des autres ressources du bénéficiaire. L’article 2 le prolonge en visant, cette fois, le plafonnement de l’aide financière.
La baisse du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint, à 1,8 au 1er janvier 2020, empêchera les allocataires vivant en couple de bénéficier pleinement de l’augmentation à 900 euros.
Certes, ce tour de passe-passe comptable est choquant et critiquable. Cependant, il convient de préciser que d’autres minima sociaux, en lien ou non avec le handicap, prennent en compte les ressources du foyer. C’est notamment le cas du revenu de solidarité active. D’autres prennent même en considération le montant du patrimoine, par le biais des relevés de compte, comme l’aide personnalisée au logement.
Par conséquent, si la question de la refonte se pose pour l’allocation aux adultes handicapés, elle demeure également légitime pour l’allocation supplémentaire d’invalidité, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, le revenu de solidarité outre-mer, l’allocation veuvage et tant d’autres encore.
Christophe Sirugue, dans un rapport remis au Gouvernement le 18 avril 2016, nous invite d’ailleurs à « clarifier l’architecture des minima sociaux » pour « renforcer son acceptabilité et fonder le consentement de tous à l’effort de solidarité ». Plus récemment, les rapports remis par Christine Cloarec-Le Nabour et Julien Damon, puis par Claire Pitollat et Mathieu Klein corroborent les besoins de rationalisation et de simplification des minima sociaux.
Notre rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, conduit actuellement une réflexion sur cette thématique au sein du groupe Union Centriste.
Mes chers collègues, vous comprendrez que, à elle seule, l’adoption de cette proposition de loi ne traiterait malheureusement qu’une partie du problème. Il serait préférable d’envisager une réforme d’ensemble, plus complète, sur les différentes allocations. Nous nous devons d’impulser une politique qui s’inscrirait dans ce sens. C’est l’essence même des travaux de la Haute Assemblée.
Enfin, nous ne pouvons pas ignorer l’aspect budgétaire du dispositif proposé.
Les auteurs de la proposition de loi estiment à 250 000 le nombre de bénéficiaires concernés, mais combien de temps ce chiffre sera-t-il valable ? Celui-ci est appelé à évoluer. Par corrélation, le budget finançant ces mesures le sera inéluctablement.
Comme l’indique la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, dans une publication rendue publique le 15 octobre dernier, le nombre de bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés a doublé depuis 1990, pour atteindre 1,13 million de personnes à la fin de l’année 2017. Le contexte démographique et économique explique en partie cette considérable évolution.
À cet égard, la présentation du mécanisme de financement soumis à notre approbation ne semble pas suffisamment convaincante.
C’est pourquoi, même si nous soutenons l’esprit général du texte, nous appelons de nos vœux une réforme globale des minima sociaux, qui ne devra pas oublier la spécificité des personnes handicapées et qui pourrait réviser le mode de calcul de l’AAH. La solidarité devra être coordonnée avec les prestations de compensation.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe Union Centriste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui concerne l’AAH.
Selon la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE, le titulaire de cette allocation doit pouvoir conserver ce revenu sans que soient prises en compte les ressources du conjoint ou de la famille. Il s’agit donc de désindexer cette aide sociale de l’État de la situation maritale de la personne handicapée.
L’AAH, qui ouvre droit actuellement au versement mensuel d’une somme de 819 euros, fonctionne en intégrant les revenus du conjoint. Elle relève donc non pas d’une logique d’indemnisation, mais d’une logique de solidarité. Elle a été créée en 1975 par le gouvernement de Jacques Chirac. Actuellement, plus de 1 million de personnes la perçoivent.
Dans la plupart des cas, l’AAH est versée à des personnes présentant une invalidité supérieure ou égale à 80 %. La demande est instruite par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. Les titulaires de l’AAH souffrent, en effet, d’un handicap souvent lourd et de graves difficultés à trouver un travail adapté.
L’AAH est une solidarité différente de la PCH, la prestation de compensation du handicap, dont les critères et les modalités d’attribution sont tout à fait distincts : le versement de la PCH ne tient pas compte des ressources, contrairement à celui de l’AAH.
Le Gouvernement a consenti un effort significatif, puisqu’une première augmentation de 41 euros portera le montant de l’allocation à 860 euros au 1er novembre 2018, quand une seconde interviendra en 2019, qui fera passer ce montant à 900 euros. C’est un effort important à l’échelle du quinquennat.
En revanche, le Gouvernement a gelé le plafond de l’AAH versée aux couples, 23 % des allocataires étant concernés. En outre, le montant de l’AAH en couple devient dégressif si le conjoint du bénéficiaire perçoit plus de 1 126 euros et l’allocation n’est plus versée lorsque le conjoint perçoit plus de 2 200 euros.
Le plancher de 1 126 euros, qui déclenche la dégressivité de l’AAH, et le plafond de 2 200 euros devraient évoluer. Cela me paraît souhaitable, mais une décision en ce sens doit évidemment être précédée d’une étude et ne pas contrevenir aux possibilités budgétaires de l’État.
Selon nous, la solidarité doit tenir compte des ressources du couple. La suppression totale de la prise en compte des revenus du conjoint et de la famille dans le versement de l’AAH ne nous paraît pas possible. Il est normal, dans le cadre de la solidarité, qu’il soit tenu compte des revenus du couple, tout en faisant évoluer le plancher et le plafond. Et pourquoi ne pas maintenir une somme inaliénable, quel que soit le plafond retenu ?
La présente proposition de loi me semble un appel en ce sens. Elle me paraît donc utile. C’est d’ailleurs pour cette raison que je me suis abstenu en commission.
Par ailleurs, nous sommes favorables à un rapport relatif à la situation sociale et financière des bénéficiaires de l’AAH, aux possibilités de retour à l’emploi qui leur sont offertes dans le cadre des ESAT, les établissements et services d’aide par le travail, ou des entreprises adaptées et à la prise en compte des difficultés qu’ils rencontrent, afin de les aider à revenir – c’est quelquefois possible – en milieu ordinaire.
Cependant, en l’état, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires ne voteront pas cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous faut nous prononcer aujourd’hui sur une proposition de loi de notre collègue Laurence Cohen, qui vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés, aide financière accordée aux personnes atteintes d’un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 % ou compris entre 50 % et 79 % en cas de restriction durable d’accès à l’emploi ne pouvant être compensée par un aménagement de poste. En effet, les revenus du conjoint étant pris en compte dans le calcul de cette allocation, le montant de celle-ci devient dégressif à partir de 1 126 euros et son versement est suspendu dès 2 169 euros par mois.
Pour mes collègues auteurs de la proposition de loi, la prise en compte des ressources du conjoint serait contraire au principe même de l’allocation, qui est de garantir l’autonomie du bénéficiaire. Elle instaurerait une relation de dépendance financière de l’allocataire à l’égard de son partenaire. Or, en réalité, l’AAH est destinée à compléter les autres ressources de la personne en situation de handicap et se cumule à d’autres aides qui sont, elles, individuelles, notamment le complément de ressources, ouvert pour chacun des membres du couple, la majoration pour la vie autonome, la pension d’invalidité et, éventuellement, le RSA.
De plus, il convient de préciser que l’AAH est une prestation en espèces, et non en nature : elle vise à combler une perte de revenus. Or toute attribution de revenus en espèces, surtout dans le cadre des politiques de solidarité, est réalisée sur la base du foyer.
L’AAH est donc un complément bien distinct de la PCH, laquelle est destinée à répondre, par une prestation en nature, aux dépenses liées à l’autonomie et aux besoins nés des difficultés de la vie quotidienne.
Nous avons la chance d’avoir, en France, un système de solidarité comme il en existe rarement dans le monde, protégeant les plus vulnérables par l’effort national. Il faut en avoir conscience. Nous pouvons, animés de cet esprit, continuer de le parfaire.
Il serait plus pertinent, à mon sens, de se pencher sur la PCH pour redéfinir ses périmètres et son montant, afin de l’adapter au mieux à notre société en mutation. C’est cette aide qui devrait et qui doit être revalorisée en priorité, car il faut plus de moyens pour le handicap.
Chers collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, je suis en désaccord avec le dispositif de votre proposition de loi. En effet, je considère que c’est la PCH qu’il serait logique et utile d’augmenter.
De plus, la volonté de nier la situation familiale du bénéficiaire pour individualiser l’allocation, l’arracher à la dépendance financière de sa famille ou de son partenaire participe de cette vision individualiste de l’homme et de la société qui tend vers un éclatement du lien social et une déconstruction de la famille. En effet, cela revient à penser l’individu en dehors des structures dans lesquelles il est incorporé et à considérer la société comme une simple addition d’individus autonomes aux intérêts propres.
En revanche, je vous rejoins sur la raison qui vous a poussés à déposer cette proposition de loi. Le montant de l’AAH va être porté de 819 euros à 860 euros au 1er novembre 2018, puis à 900 euros l’an prochain, sur décision et conformément à l’engagement électoral du Président de la République.
Néanmoins, par la loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement a prévu que les règles de prise en compte des revenus d’un couple percevant l’AAH seront rapprochées de celles qui sont appliquées aux autres bénéficiaires des minima sociaux, lesquelles sont bien moins avantageuses. Il s’agit là d’une manipulation purement technocratique. Par un savant calcul et par un jeu de balances, le plafond de ressources restera le même. L’augmentation de l’AAH n’aura donc strictement aucun impact sur les allocataires vivant en couple, ainsi que le rapport budgétaire de l’année dernière l’avait indiqué.
Quelle est donc cette mesure qui donne d’une main pour reprendre de l’autre ? Quelle est donc cette mesure qui permettra au Gouvernement de se vanter d’avoir augmenté une allocation alors que, en réalité, rien ne change pour une bonne partie des personnes concernées ? Quel est donc ce gouvernement qui utilise le handicap pour construire de fausses mesures non pas en faveur des bénéficiaires de cette allocation, mais dans son intérêt propre, en pensant sans aucun doute à son image ?
Au reste, cela ne s’arrête pas là : le Gouvernement a annoncé son souhait de supprimer le complément de ressources de 179 euros dont bénéficient les personnes handicapées à 80 % qui n’ont pas pu travailler depuis un an, à savoir les plus démunis. Inutile de vous dire, mes chers collègues, que je trouve cette manipulation inacceptable !
Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’allocation aux adultes handicapés a pour vocation de garantir un minimum de ressources aux personnes handicapées ne disposant d’aucun revenu ou ayant de faibles revenus.
Cette allocation est subsidiaire : avant d’en demander le bénéfice, la personne handicapée doit faire prioritairement valoir ses droits, soit à l’invalidité, dans le cas de la pension d’invalidité, soit aux avantages vieillesse ; ce n’est que si les droits à l’assurance vieillesse ou à l’invalidité perçue par le demandeur se révèlent inférieurs au montant de l’AAH qu’elle pourra en bénéficier. Elle est différentielle : son montant s’ajuste aux autres revenus perçus par l’allocataire après divers abattements. Elle est familiarisée : elle tient compte de la composition du foyer de l’allocataire. Elle est non contributive : elle est versée sans contrepartie de cotisations. Elle relève de la solidarité.
La proposition de loi pose un problème à la fois de financement, du fait du montant de l’allocation, mais surtout de nature de ce que doit être l’AAH. Doit-elle être considérée comme une aide individualisée ? C’est ce que suggère la proposition de loi du groupe CRCE, qui vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH, supprimant de ce fait l’articulation entre solidarité nationale et solidarité familiale, notamment la solidarité entre époux, pourtant reconnue par le droit civil, comme Mme la secrétaire d’État le rappelait.
Cette logique de solidarité nationale ou familiale s’articule aussi avec une logique de compensation, sans considération de ressources ou de foyer, et qui indemnise le préjudice subi par la personne handicapée. L’indemnisation est assurée par la prestation de compensation du handicap, la PCH, versée par les conseils départementaux, un dispositif situé hors du champ de la présente proposition de loi. Pourrait ainsi se poser la question de savoir si l’AAH, qui fait partie des minima sociaux, devrait devenir une prestation compensatoire.
Venons-en aux chiffres. Conformément à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, le montant de l’AAH est passé de 810 euros à 819 euros au 1er avril 2018. Il passera à 860 euros, puis à 900 euros au 1er novembre 2019. Cela représente un investissement total de 2 milliards d’euros.
L’augmentation s’est en effet accompagnée d’un abaissement du plafond des revenus pour un couple, avec toutefois un coefficient de 1,9 pour l’AAH, contre 1,5 pour le RSA en 2018, et 1,8 en 2019. En d’autres termes, le montant de l’allocation a augmenté, mais le taux de cumul a diminué.
L’objectif du gel du plafond est de faire bénéficier de l’augmentation ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les personnes seules.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas la proposition de loi. De surcroît, celle-ci n’aborde le sujet – cela a été souligné – que de manière parcellaire et quelque peu réductrice, même si l’intention est évidemment louable.
Reste à poursuivre le chantier engagé sur la question plus générale des minima sociaux et la réflexion sur la reconnaissance de la spécificité de l’AAH telle que voulue, par exemple, par l’Association des paralysés de France. Reste au-delà à mettre en œuvre une véritable réflexion sur la place des personnes handicapées, en particulier les personnes handicapées vieillissantes, sans doute les plus démunies ; selon moi, elles devraient bénéficier de structures d’accueil spécifiques. Reste enfin, dans le cadre de la refonte des minima sociaux autour peut-être du revenu universel d’activité, à réfléchir à la notion de minima sociaux différenciés en fonction de critères objectifs selon l’âge, les territoires, le statut des bénéficiaires.
D’une manière plus générale, le but vers lequel il faut tendre est que plus personne ne vive sous le seuil de pauvreté.
Mme Noëlle Rauscent. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe a fait le choix de déposer au Sénat la proposition de loi qui a été portée à l’Assemblée nationale par notre amie et collègue députée Marie-George Buffet, du groupe Gauche démocrate et républicaine.
Comme cela a été souligné, le texte a été cosigné par des députés issus de groupes politiques extrêmement divers, allant des Républicains à la France insoumise, en passant par l’UDI, le Modem et les socialistes ; il a même été signé par des députés du groupe La République En Marche. Nous pensions donc pouvoir trouver un accord pour faire avancer les droits des personnes en situation de handicap au Sénat.
Alors qu’il y avait à l’évidence un large rassemblement sur le sujet, nous avons été surpris et déçus par le vote négatif de la commission des affaires sociales du Sénat sur notre proposition de loi, dont l’auteur est mon amie Laurence Cohen.
Nous avons bien entendu les arguments de la majorité sénatoriale, qui reproche notamment le coût de la mesure et préférerait une refonte complète de l’ensemble des dispositifs existants, au lieu de se limiter, comme nous le proposons, à la suppression de la prise en compte des revenus des conjoints dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés.
Mes chers collègues, oui, notre proposition de loi a un coût ! Oui, une réforme globale des aides sociales pour lutter contre le non-recours est indispensable ! Mais notre objectif est avant tout d’envoyer un signe positif aux personnes en situation de handicap, qui, malheureusement, se sentent trop souvent rejetées et regardées comme des citoyens de seconde zone dans notre pays.
Il faut remettre de l’humain au cœur des décisions politiques et en finir avec le sentiment de mépris que subissent les personnes en situation de handicap, auxquelles on a promis l’égalité en 2005. Nous devons faire un geste pour leur rendre la dignité qui leur est due.
Le Président de la République a effectivement dit que le handicap était une priorité de son quinquennat. Mais, au-delà des paroles, il faut passer aux actes.
Après l’annonce de la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés à 900 euros à grand renfort de communication par le Gouvernement, les personnes handicapées – faut-il le rappeler ? – ont subi depuis un an une série de reculs : suppression du complément de ressources au 1er janvier 2019, soit 179 euros en moins chaque mois pour les futurs allocataires ; baisse de l’obligation de 100 % à 20 % de logements neufs accessibles dans la loi ÉLAN ; suppression de la prise en charge des sorties thérapeutiques pour les personnes rejoignant leur famille le week-end. À ces mesures spécifiques aux personnes en situation de handicap, il faut encore ajouter la baisse des APL, la hausse de la CSG, la désindexation des pensions de retraite, qui concernent tous les Français. Ces mesures dégradent encore davantage les conditions de vie des personnes en situation de handicap, qui ne sont pas toutes en situation d’employabilité, madame la secrétaire d’État.
La Haute Assemblée doit envoyer un signe positif en supprimant l’injustice qui consiste à prendre en compte dans un couple les revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés. C’est une question de respect de la dignité des personnes que d’accorder cette allocation à l’ensemble des hommes et des femmes qui ont un taux d’incapacité supérieur à 80 %.
Aujourd’hui, si le conjoint a des revenus supérieurs à 1 126 euros, le montant de l’AAH devient dégressif. Si les revenus sont supérieurs à 2 200 euros par mois, l’AAH n’est plus versée aux allocataires. Il convient donc d’individualiser l’allocation. Peu importe la situation familiale, car la personne qui supporte l’invalidité, ce n’est pas le conjoint ; c’est la personne handicapée.
Je pense par exemple au témoignage de Marie. Hémiplégique gauche depuis dix ans, elle n’a le droit ni à la pension d’invalidité ni à l’allocation aux adultes handicapés, car son mari a des revenus supérieurs aux critères, ce qui la met dans une situation de dépendance vis-à-vis de lui. Publié par l’Association des paralysés de France, le témoignage de Marie vient rappeler que des personnes handicapées se retrouvent privées d’aides et donc dépendantes financièrement de leur conjoint à l’âge de soixante ans.
Le cas de Marie n’est pas un cas isolé, et vous le savez : nous avons tous autour de nous des personnes handicapées qui ne peuvent compter que sur l’aide des familles pour payer leur loyer, leurs frais de santé ou leurs courses, car la solidarité nationale est défaillante. Sans la solidarité familiale, les individus seraient dans l’incapacité de faire face aux démarches du quotidien.
Madame la secrétaire d’État, l’État doit prendre ses responsabilités et s’engager en faveur des personnes handicapées pour garantir des conditions de vie dignes.
Mes chers collègues, préférez-vous faire un pas pour que la situation des personnes handicapées progresse ou rester au point mort et les maintenir dans l’injustice ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue le travail de l’auteur de cette proposition de loi, Laurence Cohen, et de ses collègues du groupe CRCE.
Comme cela a été rappelé, le calcul de l’allocation aux adultes handicapés est un sujet particulièrement sensible. Instaurée par la loi du 11 février 2005, l’AAH est une aide financière permettant d’assurer un minimum de ressources aux personnes en situation de handicap. Son attribution est conditionnée par différents critères : incapacité, âge, résidence et ressources, etc.
Aujourd’hui, pour déterminer les ressources, on se fonde sur les revenus : ceux du demandeur, mais aussi ceux de son conjoint, concubin ou pacsé. La présente proposition de loi vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint pour le versement de l’AAH et l’établissement du plafond de ressources.
Nous entrons dans la période d’examen des textes budgétaires, qu’il s’agisse du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou du projet de loi de finances. Nous devons tenir compte des enjeux sociaux de solidarité. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, nos collègues Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ont insisté sur le soutien en faveur des populations les plus fragiles. L’AAH représente un montant de 9,7 milliards d’euros pour 2018. Nous examinerons sous peu les crédits des missions pour 2019.
Il convient d’avoir une concertation avec les acteurs concernés : les associations, les fédérations d’associations et d’employeurs, y compris le Conseil national consultatif des personnes handicapées. Il est à craindre que les mesures de revalorisation, promesse de campagne du Président de la République, ne se heurtent à des réalités budgétaires non anticipées. Les rapporteurs spéciaux ont en effet souligné que l’AAH n’était pas un minimum social comme les autres.
Si ce débat concerne à la fois la commission des affaires sociales et la commission des finances, je souhaite également y associer la délégation aux droits des femmes – nous sommes plusieurs ici à en faire partie –, qui œuvre avec dévouement face à des situations particulièrement sensibles. (Marques d’approbation sur plusieurs travées.)
Notre collègue Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », a expliqué pourquoi il n’était pas souhaitable de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint pour le calcul de l’AAH. Celle-ci est nettement distincte de la PCH. Il convient donc de raisonner en termes de « foyer ».
Par conséquent, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2019 – il s’agit de montants particulièrement importants, et la solidarité doit tenir une place prépondérante –, il faut, parallèlement aux revalorisations de l’AAH, réviser les périmètres et montants de la PCH et veiller au maintien des compléments de ressources.
Je respecte totalement nos collègues du groupe CRCE ; il m’arrive même souvent d’être à titre personnel d’accord avec eux. Mais, en l’occurrence, je me rallierai à la position de mon groupe et de la commission des affaires sociales. Ayant fait partie de cette dernière de 2007 à 2014, je me souviens de l’esprit d’efficacité, du sens de la réflexion en commun et du bon climat qui caractérisent ses travaux. Notre groupe ne votera pas la présente proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés
Article 1er
À la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, les mots : « est marié ou vit maritalement ou est lié par un pacte civil de solidarité et » sont supprimés.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote sur l’article.
M. Maurice Antiste. Au mois de mai dernier, j’attirais l’attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur l’indispensable modification des règles de calcul pour l’attribution de l’AAH, qui pénalisent les personnes en situation de handicap vivant en couple dès lors que les revenus du conjoint dépassent 1 126 euros mensuels et qui conduisent à la suppression de l’AAH dès que les revenus du conjoint atteignent 2 252 euros mensuels.
La réponse apportée était loin de me satisfaire, puisqu’il était indiqué qu’à l’occasion de la revalorisation exceptionnelle de l’AAH à 860 euros le 1er novembre 2018 le coefficient multiplicateur passerait à 190 %, puis à 180 % le 1er novembre 2019 lors de la seconde hausse à 900 euros.
En clair, la baisse du coefficient multiplicateur compense la hausse du plafond pour une personne seule, l’objectif étant de rapprocher les règles entre minima sociaux. Cela renforce ni plus ni moins la dépendance financière dans laquelle sont maintenues les personnes en situation de handicap à l’égard de leur conjoint, ce qui est inacceptable et honteux ! Ainsi, 250 000 allocataires en couple ne vont pas bénéficier du gain de 90 euros qu’a fait miroiter le candidat Macron, ce qui permettra au Gouvernement d’économiser en moyenne 450 millions d’euros par an, soit 80 % du coût de l’augmentation de l’AAH, estimée à 550 millions d’euros en année pleine.
De même, pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d’État, le devenir du complément de ressources dont bénéficient 65 000 personnes environ, soit 6 % des allocataires ? S’il devait disparaître au profit de la majoration pour la vie autonome, ce qui reviendrait à conserver le complément le moins avantageux, ce serait un coup de massue supplémentaire pour les allocataires lourdement handicapés, qui perdraient une partie de la hausse promise par le candidat Macron !
Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi est vitale pour nos concitoyens atteints d’un handicap, auxquels nous nous devons d’apporter des gages de sécurité financière au nom de la justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article.
Mme Laurence Cohen. J’appelle l’attention de tous nos collègues : si l’article 1er n’est pas adopté, c’est toute la proposition de loi qui tombe !
Mme la secrétaire d’État affirme que le Gouvernement fait un effort financier considérable en direction des personnes en situation de handicap. Elle évoque le chiffre de 2 milliards d’euros pour la durée du quinquennat. Si mes calculs sont exacts, cela fait 400 millions par an. C’est une somme assez modeste face aux difficultés dont nous parlons.
J’aimerais vous citer un chiffre – vous allez me dire que je suis un peu obnubilée par le budget de la sécurité sociale. L’exonération des cotisations patronales, qui prive le budget de la protection sociale d’un certain nombre de ressources, représente un cadeau de 20 milliards d’euros par an aux entreprises, prétendument pour créer des emplois, que l’on attend toujours… Vous le voyez, c’est 20 milliards d’euros d’un côté, contre 400 millions d’euros de l’autre !
L’effort financier me paraît extrêmement modeste. De surcroît, si le Gouvernement revalorise effectivement l’AAH, il abaisse les plafonds qui permettent d’en bénéficier, reprenant d’une main ce qu’il a donné de l’autre.
Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué le revenu universel d’activité. Mais quid des personnes en situation de handicap qui n’ont pas d’activité professionnelle ?
Vous en conviendrez donc, les arguments qui nous sont opposés ne sont pas de nature à infirmer le bien-fondé de notre proposition de loi, qu’il me semble extrêmement important de voter. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’insiste à mon tour avec force sur l’importance de la présente proposition de loi. Je ne comprends pas que nos collègues de droite ne soutiennent pas une telle initiative. D’ailleurs, on les sent relativement embarrassés. Quand on discute sur le fond, ils trouvent assez juste que le principe de dignité et d’autonomie des personnes soit affirmé à travers une allocation qui ne soit pas liée au revenu du conjoint.
Cela nous renvoie à la philosophie de cette allocation. Vise-t-elle à compenser le handicap ou à apporter une aide sociale en cas de revenus insuffisants ? En l’occurrence, il s’agit bien d’une aide compensatoire du handicap qui garantit l’autonomie de la personne handicapée. Cette philosophie devrait nous rassembler.
On nous rétorque qu’il faut une vision plus globale. Mais qui peut le plus peut le moins ! Aujourd’hui, de nombreuses personnes sont dans une telle situation. Au demeurant, comme vient de le souligner Mme Cohen, du fait du changement des plafonds, les prétendues améliorations liées à la revalorisation de l’AAH vont concerner beaucoup moins de monde que le Gouvernement ne le prétend.
J’insiste lourdement sur ces politiques du handicap. Tout est rogné petit à petit ! Par exemple, notre pays subit une carence d’orthophonistes. Je pourrais vous citer des villes où il n’y a plus que cinq praticiens alors qu’il y en avait encore huit ou dix voilà cinq ans. Les parents pleurent quand on leur dit que leurs enfants ne pourront réussir à l’école qu’en allant voir un orthophoniste, alors qu’il n’y a pas d’orthophoniste chez eux ou, quand il y en a un, que son agenda est déjà saturé. Il y a toujours la possibilité de déménager quand on en a les moyens, ce qui est rarement le cas. Les instituts médico-éducatifs et d’autres structures accueillant des personnes handicapées manquent cruellement de personnels. Ainsi, dans l’Essonne, le nombre de salariés de l’éducation nationale à la disposition des instituts médico-éducatifs recule.
Tous ces problèmes s’accumulent, alors que la société a énormément de difficultés à faire reconnaître que les différences sont une chance, et non un handicap, et que chaque personne apporte quelque chose. L’autonomie des personnes handicapées est une question majeure pour notre projet de société. Et l’effort financier demandé est dérisoire au regard de bien d’autres cadeaux fiscaux beaucoup moins utiles qui sont faits actuellement ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, il n’est pas exact de dire que notre proposition de loi exclut des personnes du bénéfice de l’AAH du seul fait de la suppression d’un plafond doublé. Je vous le rappelle, quel que soit le plafond de ressources, le montant individuel de l’AAH ne peut pas dépasser le plafond individuel, même lorsque le bénéficiaire est en couple. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l’article.
Mme Esther Benbassa. En complément de ce qu’a indiqué ma collègue Marie-Noëlle Lienemann, je souligne que l’autonomie de la femme handicapée est également très importante. Il est aberrant de la faire dépendre des revenus du conjoint au moment où nous réclamons l’égalité partout, qu’il s’agisse des salaires ou des carrières. Cette idée totalement surannée ne correspond plus à la place que les femmes occupent aujourd’hui dans la société. Elles représentent la moitié de l’humanité ! Et cela inclut aussi les femmes handicapées ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote sur l’article.
M. Arnaud Bazin. En tant que rapporteur spécial, avec Éric Bocquet, des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », je peux parfaitement comprendre l’inspiration d’une telle proposition de loi.
Vouloir rendre une personne handicapée indépendante des ressources de son conjoint semble en effet une excellente idée. Sauf que la mesure n’est absolument pas financée ! Mme la secrétaire d’État nous a donné des chiffres : l’adoption de ce texte aurait pour conséquence d’aggraver sévèrement le déficit, déjà très important, de notre pays.
En revanche, je souhaite que l’examen du projet de loi de finances permette de mettre un terme au jeu de bonneteau auquel se livre le Gouvernement. Celui-ci prétend donner 90 euros de prestations supplémentaires au titre de l’AAH de la main droite et, « en même temps », les reprend de la main gauche. Je pourrais évoquer la suppression du complément de ressources ou la désindexation sur l’inflation de la prestation, qui sera réévaluée de 0,3 % seulement, avec un calendrier d’augmentation en deux fois, très décalé, et surtout très défavorable. Et l’évolution du plafond de ressources du couple, qui va se rapprocher de celui du RSA, permettra, certes, à deux personnes handicapées de cumuler deux AAH, mais si l’une des deux personnes du couple n’est pas handicapée et a le malheur de travailler, elle en verra la sanction dans les revenus du couple !
Tout cela est totalement illogique. Il faut mettre un terme à ce jeu de bonneteau. Les personnes handicapées ont entendu que leur situation allait s’améliorer. Or, pour nombre d’entre elles, au bout du bout, ce ne sera pas le cas.
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Arnaud Bazin. C’est donc, me semble-t-il, en loi de finances que nous pourrons agir face au malentendu extrêmement désagréable qui s’annonce pour les personnes handicapées. Cette proposition de loi, elle, n’est pas financée et ne prospérera pas.
Mme Laurence Cohen. Alors, choisissez l’abstention, pas le vote contre !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’ai beaucoup apprécié les propos de Mme Duranton sur le sujet de l’AAH et de la PCH ; je pense qu’il existe en effet tant de prestations de toutes sortes qu’il faudra essayer, à un moment ou à un autre, de clarifier les choses afin que chacun puisse y voir clair, y compris d’ailleurs les handicapés eux-mêmes.
Je souhaite évoquer maintenant un tout autre sujet. Un scrutin public a été demandé ; sur Twitter se manifeste en ce moment même une volonté de dénoncer nommément ceux d’entre nous qui ne voteraient pas cette proposition de loi. Cela me semble particulièrement scandaleux, et je n’apprécie pas du tout cette méthode ! En tant que parlementaires, nous prenons nos responsabilités et nous sommes protégés par notre statut ; je souhaiterais que chacun le respecte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Avec tout le respect que je lui dois, je ne peux laisser passer ce que vient de dire le président Alain Milon.
Le résultat du scrutin public, qui fait état du vote émis par chaque votant, sera publié au Journal officiel.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. C’est suffisant !
Mme Éliane Assassi. C’est ce que je dis ! Quelqu’un a-t-il exprimé l’intention, dans cet hémicycle, de publier par d’autres voies les noms de celles et de ceux qui voteraient contre ce texte ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Et Twitter ?...
Mme Éliane Assassi. Je ne m’appelle pas Mme Twitter, notre groupe n’est pas Twitter ! Le résultat du scrutin public figurera au Journal officiel : c’est une démarche citoyenne, pas une dénonciation ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 6 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 269 |
Pour l’adoption | 99 |
Contre | 170 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
À la fin du premier alinéa de l’article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, les mots : « et, s’il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité dans la limite d’un plafond fixé par décret, qui varie selon qu’il est marié, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité et a une ou plusieurs personnes à sa charge » sont supprimés.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
Le Gouvernement remet au Parlement, dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, un rapport relatif à la situation sociale et financière des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 n’est pas adopté.)
Article 4
Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale sont compensées, à due concurrence, par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 4, je vous rappelle que, si celui-ci n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Je tiens à remercier ma collègue sénatrice du Pas-de-Calais Sabine Van Heghe des propos qu’elle a tenus : l’adoption de cette proposition de loi aurait effectivement été un signal positif adressé aux personnes en situation de handicap. Je remercie également Laurence Cohen d’avoir été à l’origine de la présentation de cette proposition de loi et Éliane Assassi d’avoir parlé d’humain, de personnes.
Malheureusement, mes chers collègues, vous avez, pour la plupart d’entre vous, fait le choix de voter contre ou de vous abstenir. Je ne partage évidemment pas les arguments que vous avez développés.
En particulier, vous avez été plusieurs à soutenir que l’AAH est un minimum social au même titre que le RSA. Certes, l’AAH est un minimum social, mais, alors que le RSA a vocation à permettre à ses bénéficiaires de rebondir, de trouver un travail, de vivre mieux, tel n’est pas le cas de l’AAH, malheureusement : les personnes qui la touchent sont handicapées à au moins 80 % et n’ont, en général, pas de perspectives d’amélioration de leur situation financière. Par conséquent, faire l’amalgame entre ces deux prestations ne me semble pas judicieux.
M. Guillaume Arnell. On ne fait pas d’amalgame !
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Les arguments que vous avez avancés pour tenter de justifier une position politique m’ont paru assez hypocrites, mes chers collègues ; permettez-moi de vous le dire. En commission des affaires sociales, nous avons été surprises de constater qu’aucun amendement n’avait été déposé sur cette proposition de loi. Vous auriez pu l’améliorer…
Mme Éliane Assassi. Surtout en matière de financement !
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. … afin de pouvoir la voter. Mais aucun de vos groupes politiques n’a jugé utile de déposer le moindre amendement !
M. Guillaume Arnell. Chaque groupe est responsable de ses choix !
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Que vous l’admettiez ou non, c’est la réalité ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Noël Cardoux. Ça suffit, les leçons de morale !
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteur.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur. Aujourd’hui, vous aurez refusé d’adresser un signe positif aux personnes en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Les articles de la proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ?
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème « Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ? ».
Dans le débat, la parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe auteur de la demande.
M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, débattre des enjeux de la dette publique et de la dette privée dans notre hémicycle n’a rien d’anodin alors que s’engagera bientôt au Sénat l’examen du projet de loi de finances, lequel est structuré, de l’aveu même du Gouvernement, autour de l’ambition « d’accélérer la baisse du déficit public et des prélèvements obligatoires » – et de porter, au nom de cet objectif, un nouveau coup à notre modèle social…
C’est pourtant bien avec la dette publique que la France a pu se relever des ravages de la Seconde Guerre mondiale !
C’est avec la dette publique que nous avons reconstruit nos routes et nos ports, développé notre réseau autoroutier, nos aéroports internationaux !
C’est avec la dette publique que, devant la pénurie de logements, nous avons créé notre patrimoine locatif social, réponse pertinente au mal-logement !
C’est avec la dette publique que nous avons réalisé, en même temps que se généralisait la sécurité sociale, l’équipement du pays en hôpitaux de haut niveau, qui participent encore de nos atouts !
C’est avec la dette publique que nous avons pu mettre à l’étude la fusée Ariane, avant d’en faire l’un des meilleurs lanceurs de satellites de la planète !
C’est avec la dette publique que nous avons lancé les études qui ont conduit à la conception du TGV !
Autrement dit, chaque fois que le besoin s’en est fait sentir, chaque fois que l’attractivité et les conditions de développement de notre pays l’ont exigé, nous avons su utiliser l’outil de la dette publique pour créer les conditions d’une avancée supplémentaire pour notre pays, pour son économie, pour sa société !
Et c’est encore avec la dette publique que les collectivités locales ont su répondre, dans les années quatre-vingt, aux défis de la décentralisation – je pense par exemple à la démocratisation de l’enseignement secondaire.
C’est avec la dette publique que les collectivités territoriales prennent aujourd’hui en compte les équilibres écologiques, protègent les zones naturelles sensibles, développent les transports publics.
Mais, comme vous le savez, mes chers collègues, c’est aussi avec la dette publique que nous avons, dans le passé, payé la lourde facture des aventures militaires coloniales !
C’est avec la dette publique que nous avons payé et que nous payons encore le prix des restructurations économiques, des plans de licenciement, des réductions d’impôt sans pertinence, des allégements de cotisations sociales riches d’effets pervers, des déficits publics consentis au nom de la compétitivité.
Quelle belle compétitivité que celle qui conduit notre dette publique, aujourd’hui, à frôler la barre fatidique, ou présumée telle, des 100 % du produit intérieur brut, la France étant en outre l’un des pays où les ménages comme les entreprises sont le plus endettés !
À la fin du premier trimestre de cette année, l’endettement des ménages avoisinait en effet 95 % de leur revenu disponible, étalon autrement plus pertinent, faut-il le souligner, que celui du PIB. En mars 2000, ce même taux de l’endettement des ménages rapporté au revenu disponible, s’établissait à 53 % !
Nous laisserons à d’autres le soin de nous rappeler finement que, depuis cette période, les taux d’intérêt se sont réduits, et noterons, pour notre part, que l’inflation semble bien avoir consommé une part essentielle de ce qui a été regagné sur ce que j’appelle, quant à moi, le « loyer de l’argent ».
Toujours est-il que, dette publique ou dette privée, il semble bien que nous ayons hérité de la nécessité de les souscrire, dès lors que le développement du pays, d’un territoire ou d’une collectivité, de même que l’amélioration des conditions de vie d’une famille ou d’un groupe social, passe par le recours à l’emprunt. De fait, mes chers collègues, ne comptez pas sur nous pour être les contempteurs de la dette, publique ou privée : il n’y a aucun fétichisme de notre part.
La question du montant tant de la dette publique que de la dette privée peut évidemment préoccuper, mais elle ne peut et ne doit être envisagée, nous semble-t-il, qu’à l’aune de l’analyse du contenu et de la pertinence absolue de la dette, mesurable notamment par ses contreparties.
Pour un État, s’endetter auprès des marchés financiers –insistons sur ce point, car c’est à eux que vont les 43 milliards d’euros d’intérêts inscrits au budget de l’État – parce qu’il a renoncé à des recettes fiscales essentielles dans l’attente d’hypothétiques retombées économiques de ce choix budgétaire nous semble aussi peu pertinent que, pour une famille, recourir au crédit renouvelable pour faire face aux dépenses du quotidien, faute de revenus suffisants.
Que les choses soient ici rappelées une bonne fois pour toutes : même quand le budget de la France était à l’équilibre, il y avait une dette publique, ne serait-ce que parce qu’il est toujours bienvenu de proposer un produit d’épargne sécurisé au grand public ; le marché boursier était alors largement dominé par les échanges de titres obligataires.
N’oublions pas que, même durant les trente glorieuses, le crédit existait ; avec lui se développait la bancarisation de l’économie, qui fut l’un des moteurs des avancées de l’économie nationale. L’État disposait d’ailleurs d’une arme essentielle en la matière, avec l’existence d’un secteur bancaire très largement nationalisé depuis la Libération, et donc en situation d’intervenir à sa demande. Sans engagement financier des banques auprès des PME, sans participation à la production découlant de l’exploitation de tel ou tel brevet ou process de fabrication, où en serions-nous ?
Telles sont bien, aujourd’hui, les données du problème, sachant que les entreprises de notre pays ont besoin de 1 600 milliards ou 1 700 milliards d’euros pour développer leur activité.
Je ne saurais poursuivre cette réflexion sans pointer ici quelques errements relevant d’un passé plus ou moins récent.
Prenons l’exemple du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, l’une des mesures phares du quinquennat Hollande, que l’on s’apprête aujourd’hui à transformer en allégement pérenne de cotisations sociales, ce qui ne me semble guère pertinent. Voilà une mesure qui, selon les données en notre possession, aura mobilisé rien de moins que 85 milliards d’euros depuis son lancement, en 2013 ; on peut considérer, au regard de l’insuffisance moyenne des recettes par rapport aux dépenses, que, sur ce montant, de 20 milliards à 25 milliards d’euros proviennent de l’accroissement de la dette.
Mais comment ne pas souligner que, pour éponger la facture, on a aussi relevé les taux de la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui a porté atteinte au pouvoir d’achat des ménages, ainsi qu’à la capacité d’autofinancement des collectivités locales ? Celles-ci n’ont-elles pas payé, au fil des ans, le prix du CICE via la remise en cause du montant de leurs dotations, et singulièrement de la dotation globale de fonctionnement ? La question est posée.
Une baisse de 3,8 milliards d’euros par an, cela pèse lourdement sur les budgets des collectivités locales, même si cela ne représente, aux yeux des comptables de Bercy et de la place Beauvau, qu’un pourcentage réduit de leurs dépenses réelles.
Mais ce qui fait le plus mal, mes chers collègues, ce sont les 55 milliards d’euros de dotation globale de fonctionnement perdus en cumulé depuis 2012. Je vous livre un scoop : sur la même période, il semble qu’il ait manqué 57 milliards d’euros aux collectivités locales pour maintenir leur dette à son niveau de 2012 !
Il est fort probable que le ralentissement du niveau des investissements locaux a pesé sur l’emploi, et sans nul doute sur l’attractivité de certains territoires.
Au bilan du CICE, on peut inscrire son effet sur l’emploi. J’ai bien lu les rapports récemment publiés sur le sujet : en ne retenant que les modèles micro ou macroéconomiques les plus optimistes, il apparaît que le CICE n’aurait permis de préserver ou de créer que 250 000 emplois environ… Le rapport du comité de suivi est plus prudent :
« Le comité maintient les conclusions avancées dans les précédents rapports et retient un effet net qui serait proche de 100 000 emplois créés ou sauvegardés et qui se serait matérialisé sur 2014 et 2015 dans les entreprises les plus exposées au CICE. […]
« Le comité tient pour robustes les résultats des équipes qui concluent à un effet positif du CICE sur les salaires moyens et la masse salariale. Toutefois, aucun effet du CICE sur les salaires au niveau individuel n’est identifié à proximité du seuil de 2,5 SMIC, sur les salaires d’embauche comme sur les augmentations salariales des employés permanents.
« Le comité constate que l’existence d’un effet significatif du CICE sur l’investissement demeure difficile à établir sur la période 2013-2015. »
Nous avons là la démonstration systémique des effets que peut produire un vecteur essentiel de dette publique. Cet exemple est probant, puisqu’il y va de l’abandon d’une recette fiscale de plus de 80 milliards d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés et d’un peu plus de 4 milliards d’euros au titre de l’impôt sur le revenu.
On notera, au terme de cette analyse, que 80 milliards d’euros d’impôts de solidarité ainsi perdus équivalent, pour nos concitoyens, à six ans de bénéfice du quotient familial au titre de l’impôt sur le revenu, ou encore à deux ans et demi de dépenses liées à l’impôt sur le revenu.
Revenons d’ailleurs sur le cas des ménages : pourquoi leur taux d’endettement connaît-il ces derniers temps une hausse relative, alors que tel n’est pas le cas dans la zone euro en général ?
La hausse de la production de prêts immobiliers, liée à la détente des taux d’intérêt, explique sans doute en partie le phénomène, sans parler des modalités fortement incitatives d’achat de véhicules, avec la pratique du crédit par loyer mensuel. Mais l’endettement signifie aussi, dans ce contexte, insuffisance de revenu et d’épargne.
On ne doit, en l’espèce, jamais oublier que ce sont les segments divers de l’endettement privé qui ont mené, ces dernières décennies, les économies occidentales à la crise financière, que ce soit dans les années 1992-1993, avec l’éclatement de la bulle immobilière, ou, en 2008, avec la thrombose des crédits subprime et autres produits dérivés et titrisés.
Nous connaissons les conséquences de ces « accidents de parcours » : dans le premier cas, quasi-démembrement d’une de nos grandes banques de dépôt et d’un établissement spécialisé, assorti d’une période de récession source de chômage et de déficits publics ; explosion de la dette publique, dans le second cas, avec une nouvelle récession dont nous ne sommes toujours pas rétablis.
Nous ouvrons aujourd’hui le débat pour que chacun puisse donner son avis, apporter son éclairage et, éventuellement, proposer ses solutions s’agissant de l’endettement tant public que privé, même si, bien sûr, il nous faut de toute façon vivre avec. Ce débat doit, selon nous, déborder de cet hémicycle pour devenir un vrai débat public.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. La démocratie, en effet, ne saurait s’accommoder d’un système dans lequel le plus grand nombre n’aurait pas son mot à dire sur l’argent et sur son usage. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de nous donner l’occasion de nous exprimer sur l’un des enjeux majeurs des finances publiques de notre pays : la dette.
La dette publique de la France est passée de 15 % de la richesse nationale en 1974 à près de 100 % aujourd’hui, pour s’établir à quelque 2 300 milliards d’euros, et son ampleur devient de plus en plus inquiétante.
Mon collègue Savoldelli, dans sa brillante intervention, a évoqué l’endettement des ménages en le rapportant à leur revenu disponible. Si l’on voulait établir une comparaison avec l’endettement de l’État, je ne sais ce que pourrait être le revenu disponible de l’État, sachant qu’il est en déficit…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comparaison n’est pas raison !
M. Vincent Delahaye. En réalité, il n’y a pas de revenu disponible de l’État, mais si l’on rapporte la dette de l’État à ses recettes budgétaires en posant l’hypothèse qu’il ne fasse aucune dépense, il apparaît qu’il faudrait plus de sept années pour la rembourser ! J’aimerais que tous ceux qui nous écoutent – j’espère qu’ils sont nombreux ! – puissent se représenter l’ampleur de la dette publique, au-delà du chiffre quelque peu abstrait de 2 300 milliards d’euros : pour une famille de quatre personnes, elle s’élève à environ 136 000 euros.
N’oublions pas non plus que le chiffre officiel de la dette cache en fait un véritable trou noir, qui n’apparaît pas directement dans les comptes de l’État : je veux parler des engagements hors bilan, que mon collègue Savoldelli a complètement omis d’évoquer. Leur montant flirte avec les 4 000 milliards d’euros, soit une dette réelle dépassant les 6 000 milliards d’euros !
Ces engagements hors bilan sont un véritable fourre-tout, dans lequel les gouvernements successifs ont entassé les sommes qu’ils anticipaient devoir payer un jour, sans réellement s’en soucier. Dans la plus grande discrétion, ils sont passés de 1 000 milliards d’euros il y a douze ans à 4 000 milliards d’euros aujourd’hui….
Monsieur le secrétaire d’État, c’est dire si notre dette abyssale est inversement proportionnelle à nos efforts pour la réduire ou, à tout le moins, la contenir. Depuis trop longtemps, la réduction de la dette est une chimère dans notre pays. En effet, nombreux sont les gouvernements ayant juré, la main sur le cœur, de s’attaquer à la diminution de la dette. Mais aucun ne s’y est effectivement attaché. Très rares sont les résultats, mais abondants sont les rendez-vous manqués, les excuses démagogiques et les lâchetés. C’est cette lâcheté qui coûtera cher aux générations futures.
Certains pensent que l’État ne se gère pas comme une entreprise ; tel n’est pas mon cas. Qu’ils sachent que l’histoire montre qu’une dette est une dette, et que les cigales finissent toujours par passer à la caisse.
J’ai bien sûr conscience qu’il y a une bonne et une mauvaise dette. La bonne dette, c’est celle qui soutient l’investissement, l’innovation, et qui est à l’origine de la richesse de demain.
M. Jean-François Husson. Très juste !
M. Vincent Delahaye. La mauvaise dette, c’est celle qui sert à financer le fonctionnement d’un État trop lourd et trop peu efficace.
Or, aujourd’hui, c’est encore largement la mauvaise dette qui domine en France, et qui ne recule jamais tout à fait. L’un des exemples qui illustrent cette situation est l’incapacité de l’État à réduire drastiquement ses effectifs. Sur les 50 000 postes que le candidat Emmanuel Macron avait promis de supprimer, seuls 1 600 l’ont été en 2018 et 4 100 le seront, a priori, en 2019 : en deux ans, soit 40 % de la durée du quinquennat, à peine 11 % de l’effort prévu aura été réalisé…
En examinant le projet de budget pour 2019, on se dit que l’on est loin de se diriger vers une réduction de la dette. Les chiffres montrent que l’argent public ne fait pas l’objet d’une gestion rigoureuse. Ainsi, la dépense publique augmentera en 2019 de 24 milliards d’euros, soit de 2,2 % par rapport à 2018. Le déficit public approchera 100 milliards d’euros : on ne peut pas dire que la rigueur budgétaire soit véritablement au rendez-vous… Le montant du déficit est supérieur au produit de l’impôt sur le revenu, pour le combler, il faudrait doubler l’impôt sur le revenu ou augmenter de 50 % la TVA !
Certains jugent réaliste l’hypothèse de croissance retenue pour construire le budget ; pour ma part, je la considère comme trop optimiste. Un budget doit être géré avec prudence, monsieur le secrétaire d’État. La prudence commanderait de prendre pour base de calcul le consensus des économistes, c’est-à-dire 1,7 %, en y retranchant 0,5 %, soit 1,2 %. Cela permettrait d’éviter une mauvaise surprise. Si l’on veut rétablir les comptes publics et réduire la dette publique, il faut aller en ce sens.
De surcroît, le contexte mondial est de plus en plus incertain, avec un prix du baril de pétrole en hausse, des taux d’intérêt qui risquent de remonter, des guerres commerciales, et j’en passe…
Les chiffres que j’ai cités illustrent l’incapacité de la politique budgétaire du Gouvernement, comme de celles de ses prédécesseurs, à redresser les comptes publics, et donc à réduire la dette que nous laisserons à nos enfants.
Sans grande réforme de l’action publique, nous n’aurons que des budgets au fil de l’eau nous éloignant de l’efficience et nous plongeant chaque fois plus profondément dans une insouciance trompeuse. J’ai ainsi le regret de constater, monsieur le secrétaire d’État, que nous sommes encore bien loin d’un État moderne, c’est-à-dire d’un État modeste…
N’oublions pas enfin que les intérêts de la dette seront le prix véritablement payé par les prochaines générations. Ce prix est colossal : les intérêts de la dette représentent près de 42 milliards d’euros, soit presque autant que le budget de l’éducation nationale. Vous conviendrez que cela ne correspond pas tout à fait à ce que l’on pourrait appeler un « investissement d’avenir » ! Cet argent va aux marchés financiers que mes collègues de gauche adorent… La dette française est d’ailleurs de plus en plus dépendante de l’étranger, contrairement à la dette japonaise, qui est plutôt nationale. Le jour où le sentiment des marchés se retournera, nous connaîtrons de très graves difficultés financières…
La Banque centrale européenne prévoit d’ailleurs de relever ses taux après l’été 2019, ce qui aura pour conséquence de fragiliser la situation des pays de la zone euro particulièrement endettés. L’Agence France Trésor a ainsi déterminé qu’une hausse de 1 % des taux alourdirait la charge de la dette de 2,4 milliards d’euros la première année et de 8,5 milliards d’euros d’ici à trois ans. On ne peut pas vraiment parler d’une bagatelle budgétaire…
Malgré l’existence de cette bombe à retardement, le Gouvernement ne cesse d’emprunter. Pis encore, il bat des records en prévoyant d’emprunter 228 milliards d’euros en 2019 : du jamais vu !
Monsieur le secrétaire d’État, eu égard à ces éléments, quelle sera la facture de votre héritage pour les générations futures ? Il y a quelques mois, vous vouliez changer le monde politique : commencez par changer les politiques budgétaires ! Si vous voulez vraiment une France en marche, faites que l’État ne marche plus sur la dette !
M. Jean-François Husson. Excellent !
M. Vincent Delahaye. Il y va de votre crédibilité aux yeux des Français et de votre responsabilité envers nos enfants. Ne l’oubliez pas, sinon les jeunes générations jugeront demain votre politique à l’aune de ce vers de Corneille : « Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous y sommes presque : la dette publique du pays est proche de 100 % du produit intérieur brut, du jamais vu en temps de paix ! La dette privée, d’une nature différente, atteint 130 % du PIB.
Ce débat, qui intervient avant l’examen par le Sénat du projet de loi de finances, a pour objet de nous permettre de prendre la mesure de l’urgence dans laquelle nous sommes. Cette urgence est, à mon sens, triple.
La dette est d’abord une urgence politique. On parle souvent du fardeau qu’elle représente pour les générations futures : c’est une réalité, mais je m’inquiète également du déclassement économique dont elle menace la France. Tous nos voisins européens ont entrepris un désendettement vigoureux, notamment l’Allemagne. Le différentiel d’endettement avec ce pays atteindra bientôt 39 points de PIB : cette situation est inédite dans l’histoire récente. Comment espérer peser politiquement en Europe sans être exemplaire ? Comment espérer entraîner nos partenaires en demeurant « l’homme malade de l’Europe » ? Le désendettement de notre pays est une priorité politique.
Le désendettement est également une priorité pour préserver notre souveraineté. Quand la dette atteint 100 % du PIB, une remontée des taux d’intérêt représente un danger de premier ordre pour le budget de l’État. Le service de la dette est déjà le deuxième poste de dépenses de l’État ; il pèse soit cinq fois plus lourd que le budget de la justice.
Cette situation inadmissible pourrait vite devenir insoutenable dans un contexte de hausse des taux : selon l’Agence France Trésor, une remontée de 200 points de base des taux d’intérêt ferait presque doubler la charge de la dette. En l’absence d’une politique de consolidation budgétaire, la hausse de la charge de la dette pourrait ainsi atteindre des proportions incontrôlables. Cet enjeu conditionne donc la viabilité de nos finances publiques.
La deuxième urgence est celle de l’instabilité financière : je veux parler des risques que fait peser sur notre économie la dette privée. La dette des entreprises et des ménages atteignait 130 % du PIB en 2017. En 2007, juste avant le début de la crise financière internationale, elle était encore légèrement en dessous de 100 % du PIB. N’oublions pas que la crise financière de 2008 est une crise de la dette privée avant d’être une crise de la dette publique !
Certes, nous avons renforcé la régulation prudentielle aux niveaux national et européen depuis 2008. Mais les politiques monétaires accommodantes, la hausse des prix de l’immobilier et le retour de la croissance font peser des risques sur cet endettement.
Je déplore que plusieurs voix, aux États-Unis et en Europe, appellent à une moindre régulation financière, au démantèlement des institutions et des normes que nous avons mises en place. Il faut, au contraire, continuer à s’engager pour une finance plus saine, plus responsable et mieux encadrée. Cet engagement n’a de sens qu’au niveau européen : nous appelons à l’achèvement de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux, qui permettra de maîtriser l’endettement et de prévenir les crises.
Enfin, la dernière urgence, fortement liée aux deux autres, est celle de la volonté politique. Nous devons rompre avec un État dopé à la dépense publique : il y va de la préservation de notre souveraineté nationale et de notre mode de vie.
Je crois profondément que cette question sera le juge de paix du quinquennat d’Emmanuel Macron. Pour l’instant, force est de constater que nous n’y arrivons pas. Nous multiplions les revues de dépenses, les comités, les rapports, mais la dépense publique ne baisse pas, ou si peu. La logique budgétaire n’a pas basculé d’une logique de moyens vers une logique de résultats. Le nombre de fonctionnaires diminue trop lentement pour que les objectifs fixés par le Président de la République puissent être atteints. Bref, les conditions ne sont pas réunies pour une diminution ambitieuse de la dépense publique qui permette un désendettement rapide.
Je souhaiterais terminer, monsieur le secrétaire d’État, en vous réitérant le soutien du groupe Les Indépendants à votre entreprise de diminution de la dépense publique. Il s’agit d’une question d’intérêt national qui appelle une union sacrée. C’est la responsabilité de notre génération de lever cette hypothèque qui pèse sur l’avenir du pays et sur celui de nos enfants.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la dette est en effet un lourd fardeau laissé en héritage aux générations qui nous suivent, mais elle n’est pas une fatalité.
La dette publique n’est pas, contrairement à ce que peuvent peut-être penser nos collègues du groupe CRCE, dictée par les marchés ou la technocratie de Bruxelles pour faire accepter des sacrifices au peuple. Elle est le résultat de l’inconséquence budgétaire des gouvernements qui se sont succédé depuis la fin des années soixante-dix.
Faire fi de la dette va à l’encontre du bon sens populaire. C’est la cigale de la fable de La Fontaine qui, n’ayant cessé de dépenser sans compter, se trouva fort dépourvue quand la crise fut venue…
Chaque Français comprend bien que l’on ne peut pas dépenser plus que ce que l’on gagne, sauf à emprunter pour investir. Or la part des dépenses d’investissement dans les dépenses publiques n’est aujourd’hui que de 6 %, ce qui signifie que la dette française ne crée pas de valeur, ou très peu.
La France dépense 280 milliards d’euros de plus que l’Allemagne et est depuis 2016 la championne d’Europe de la dépense publique… Ce niveau de dépense publique nous rend dépendants de notre niveau de recettes. Sans hausse de la fiscalité ou retour de la croissance, il n’est pas possible de diminuer notre déficit public et notre dette.
Or nous n’avons plus de marges de manœuvre sur les recettes, la France étant également championne d’Europe des prélèvements obligatoires, sans pour autant que son niveau de recettes couvre son niveau de dépenses. Le ras-le-bol fiscal obère toute hausse de fiscalité.
Il nous reste cependant une marge de manœuvre : mener une lutte impitoyable contre la fraude fiscale. De ce point de vue, nous partageons la préoccupation du groupe CRCE. Notre collègue Éric Bocquet a mis en évidence l’importance du phénomène dans ses différents rapports. Un dernier scandale est venu illustrer l’ampleur de la fraude fiscale : les États européens auraient été floués à hauteur de 55 milliards d’euros par an pendant quinze ans, la France de 3 milliards d’euros chaque année.
Mais la lutte contre la fraude fiscale ne suffit pas. Le levier des dépenses reste le seul sur lequel on puisse agir, sauf à attendre un retour hypothétique de la croissance, ce qui fut le pari raté de François Hollande.
Alors que tous nos voisins ont consenti des efforts pour faire des économies et diminuer ainsi leur endettement, tel n’est pas le cas de la France. Elle se targue d’être passée sous la barre des 3 % de déficit quand, en moyenne, les autres pays européens sont déjà à l’équilibre ou dégagent un excédent budgétaire. L’Allemagne, en excédent depuis 2014, présente un solde positif de 2,4 % et réduit considérablement son endettement, qui a diminué de quatre points entre 2016 et 2017.
En 2017, la France est le seul pays européen ayant vu sa dette augmenter, avec le Luxembourg, dont le taux d’endettement n’est que de 23 %, quand le nôtre a dépassé 100 % l’an dernier, si l’on tient compte de l’intégration de la dette de SNCF Réseau dans les comptes publics.
Ce manque d’efforts n’est pas nouveau : soit les gouvernements ont laissé filer les déficits, soit ils ont subi des crises qui ont accéléré l’endettement. En 1980, le taux d’endettement de la France n’était que de 20 %. Il est passé à 56 % en 1995, puis à 67 % en 2005. La crise de 2008 nous a fait perdre 20 milliards d’euros de recettes publiques, et même 50 milliards d’euros si l’on intègre les mesures de relance que l’ensemble de nos collègues, sur toutes les travées, avaient réclamées. La dette est alors passée de 69 % à 83 % du PIB en une seule année. Depuis, un déficit trop élevé n’a jamais permis de la réduire.
Malgré des taux d’intérêt extrêmement bas actuellement, la charge de la dette représente le deuxième budget de l’État après celui de l’enseignement scolaire, avec plus de 41 milliards d’euros en 2018, soit plus du double du budget alloué à la sécurité de nos concitoyens. Elle absorbe, à elle seule, plus que ce que rapportent l’impôt sur les bénéfices des entreprises et les taxes sur les carburants !
Cependant, à court terme, l’inquiétude tient davantage encore à la dette privée, c’est-à-dire à la dynamique des crédits aux ménages et aux entreprises, qu’à l’endettement de l’État.
Depuis un an, la Banque de France s’inquiète de l’endettement des entreprises, qui ne cesse d’augmenter : en mars 2018, cette dette représentait près de 73 % du PIB, contre 60 % en moyenne dans la zone euro.
De la même façon, la dynamique de l’endettement des ménages, notamment celle des crédits immobiliers, est forte. Pour le Haut Conseil de stabilité financière, son niveau justifie une « vigilance renforcée ».
En cette période où les risques de crise systémique n’ont pas disparu, rappelons-nous que la crise des subprimes avait ruiné nombre d’Américains, les poussant à vendre leur maison. Car, à la différence de la dette publique, la dette privée sert à financer des biens. En cas de crise, l’emprunteur privé n’a d’autre solution que de les liquider.
L’excès de crédit à la consommation aux États-Unis, la bulle immobilière en Suède et au Canada, la bulle des crédits aux économies émergentes et la situation actuelle en Italie sont autant de risques économiques potentiels.
Il convient donc d’agir à tous les niveaux pour réduire l’endettement privé et public, avant qu’une nouvelle crise d’ampleur ne survienne et ne crée une spirale négative qui pourrait être mortifère. Ayons donc le courage, au regard de ces vérités, de réduire la dette, publique et privée, que supportent les Français et qui bride nos capacités d’investissement. Il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier et M. Pierre Louault applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le secrétaire d’État, je salue votre nomination à la tête d’un secrétariat d’État chargé du numérique auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics. J’y vois une structuration intelligente pour transformer durablement l’administration, qui vient prolonger la création d’un fonds de transformation de l’action publique.
À la demande du groupe CRCE, le Sénat est invité à s’exprimer sur la dette publique et la dette privée.
En 2017, la dette des administrations publiques a représenté 98,5 % du PIB ; en 2018, elle devrait atteindre 98,7 % du PIB. Cette dette publique correspond au montant que les Français souhaitent dépenser pour bénéficier d’un certain niveau de service public. Dit autrement, en l’absence de transferts internationaux, les dépenses publiques sont financées par l’impôt, c’est-à-dire les contribuables d’aujourd’hui, ou par l’emprunt public, c’est-à-dire les contribuables de demain. L’emprunt consiste en des titres de créance vendus par l’État à des investisseurs, donnant droit à des versements en capital et en intérêts.
Aujourd’hui, la charge des intérêts de la dette de l’État, inscrite au programme 117 de la mission « Engagements financiers de l’État », représente 42 milliards d’euros, contre 49 milliards d’euros en 2012. Depuis vingt ans, la France bénéficie de la baisse des taux d’intérêt, ce qui permet de stabiliser la charge de la dette.
Un niveau élevé de dette publique n’est pas propre à la France. Dans les pays développés, l’encours de la dette publique a quasiment doublé entre 2007 et 2017, passant de 71 % à 105 % du PIB. Cette forte évolution consécutive à la crise de 2007 a joué le rôle de stabilisateur macroéconomique, la relance budgétaire ayant été concertée entre les pays du G20 et efficace.
Cela doit nous rappeler une évidence en matière de politique économique : il faut résorber les déficits en haut de cycle. En 2007, le Gouvernement a décidé une baisse ciblée de la fiscalité sans diminution des dépenses publiques ; la dette publique a alors progressé pour atteindre 68 % en 2008, avec un déficit proche de 3 %. Autrement dit, la France a les mains liées pour faire face au choc qui arrive.
Les risques liés à un niveau de dette publique élevé sont bien définis par les néoclassiques. Une étude récente du CEPR, le Centre for Economic Policy Research, basé à Londres, met en évidence une corrélation négative entre la dette publique et l’investissement des entreprises : un niveau élevé de dette publique est associé à un plus faible investissement privé.
Depuis la crise, le montant de la dette mondiale, publique et privée, a progressé, sous l’effet de la contraction de l’activité et de pressions déflationnistes. Je l’ai indiqué, la dette publique française est passée de 66 % du PIB en 2007 à 98,5 % en 2017. Concernant la dette privée, l’endettement des entreprises et des ménages représente 130 % du PIB en France. Ce ratio est plus élevé que dans le reste de la zone euro ; en Allemagne, notamment, il est de 90 %. Il est en revanche inférieur à ce qu’il est au Royaume-Uni ou aux États-Unis, où il dépasse 150 %. L’endettement des ménages français est au niveau moyen de la zone euro. La question du niveau d’endettement ne doit être posée qu’au regard des dépenses financées ; les entreprises et les ménages ont pu profiter des taux extrêmement bas pour financer des investissements.
Pour autant, des motifs d’inquiétude existent. Ainsi, dans son bulletin trimestriel de septembre dernier, la Banque des règlements internationaux met en lumière les risques liés à des conditions faibles et à des bilans de banques anormalement élevés. La situation financière doit retenir notre attention. Parmi les points à surveiller figurent les tensions sur le commerce international et la dépréciation de la monnaie chinoise, qui a conduit la banque centrale chinoise à relâcher les conditions de financement de l’économie, laquelle repose déjà sur une dette abyssale.
Je conclurai en rappelant deux évidences : la nécessité de diminuer l’endettement public et celle de mettre en place une surveillance accrue au niveau européen.
Sur le premier point, le Gouvernement et la majorité présidentielle se sont engagés sur une trajectoire de réduction des dépenses publiques. Pour la première fois depuis vingt ans, le déficit sera inférieur à 3 % du PIB trois années de suite. Cela traduit un effort sur la dépense publique, dont l’augmentation est nulle en volume en 2018, avec une baisse de 0,8 % des dépenses de l’État. Bien que cela paraisse difficile à croire, un tel effort est inédit. C’est la première fois que la dépense est sous 1 % trois fois de suite et c’est la plus grande baisse de la dépense publique depuis cinq quinquennats. Le niveau de consolidation budgétaire est, me semble-t-il, le bon, au regard des études économiques disponibles, pour ne pas faire chuter la consommation privée, alors que le niveau de la dette privée est élevé.
Sur le second point, la complexité des crises rend nécessaire une surveillance accrue, notamment au niveau européen. La crise grecque était liée à l’endettement public : le déficit de près de 13 % constaté à la fin de 2009 posait la question de la soutenabilité des finances publiques de ce pays. La crise espagnole était, quant à elle, financière et immobilière : la baisse des taux d’intérêt a favorisé des investissements non productifs et la formation d’une bulle immobilière. Face à cela, la conduite de la politique économique espagnole n’a pas été équilibrée.
Certes, depuis la crise, la surveillance budgétaire en Europe a été renforcée, avec le six-pack, le two-pack et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui encadre fortement les finances publiques des États membres. Mais les efforts de convergence des marchés européens doivent être accentués.
Par ailleurs, pour mieux accompagner les chocs et les bas de cycle, une assurance fédérale pourrait être mise en place. Cela permettrait d’envoyer un signe fort aux populistes. Pensons par exemple à un système européen d’assurance chômage qui reposerait sur un préalable : une harmonisation minimale des marchés du travail.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, le débat de ce jour est particulièrement utile à l’heure où nous engageons l’examen du projet de loi de finances pour 2019. En effet, depuis plusieurs décennies, la dette publique est devenue la clef de voûte des exercices budgétaires des différents gouvernements.
Le discours répété à l’envi par des dirigeants successifs est le suivant : la France vit au-dessus de ses moyens, et si nous ne faisons rien les marchés financiers vont nous punir en augmentant les taux d’intérêt, ce qui renchérira le coût de l’emprunt et accroîtra encore plus notre dette ; cette fuite en avant risque de nous mener tout droit vers la faillite et ce seront les générations futures qui devront rembourser nos excès. Tel est le discours officiel constamment répété par les gouvernements.
Incontestablement, ce discours mérite un examen un peu plus attentif. Est-il pertinent de comparer la dette d’un pays à celle d’un ménage, comme cela se fait couramment ? Un pays ne meurt pas et ne peut être saisi. Comment ne pas prendre en compte le patrimoine, les actifs existants dans le pays ? Enfin, peut-on envisager la dette publique sans prendre en compte la dette privée ? Il faudrait de plus tenir compte du patrimoine des ménages français, estimé à plus de 10 000 milliards d’euros.
Lorsque l’on dit que la dette représente 100 % du PIB, on compare une dette, dont le remboursement s’échelonne sur plusieurs années, à une valeur annuelle, le PIB. Cela n’est jamais le cas pour un ménage. Si l’on applique le même mode de calcul à un couple gagnant 32 000 euros par an et ayant une dette de 200 000 euros liée à l’achat d’un appartement remboursable sur vingt-cinq ans, il apparaît que la dette de ce ménage représente 625 % de ses revenus d’activité. On en conviendra, une telle situation est vécue par bon nombre de nos concitoyens.
Pourquoi la Commission européenne, si prompte à inciter les pays à appliquer des mesures d’austérité, ne condamne-t-elle pas les paradis fiscaux en Europe, dont l’existence permet à plusieurs dizaines de milliards d’euros d’échapper au budget de la République ?
Le budget de la France n’a plus été équilibré depuis 1973, soit quarante-quatre années de déficits cumulés. Le 3 janvier 1973, il fut décidé par les gouvernants de l’époque que l’État pourrait se financer auprès des marchés financiers et non plus auprès de la Banque de France. Puis vint le traité de Maastricht, en 1992. Aux termes de son article 104, « il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées “banques centrales nationales”, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux autorités régionales ou locales ». La dette française représentait 14,5 % du PIB en 1974, et 99,2 % à la fin de 2017.
Il convient de nommer et d’identifier ces marchés financiers, désignés parfois sous le pseudonyme de « zinzins », non pas parce qu’ils sont fous – même si parfois on pourrait le penser ! –, mais parce qu’il s’agit des investisseurs institutionnels. Ils comprennent d’abord les fonds de pension, ceux qui gèrent l’épargne des retraités américains ou britanniques, ensuite les fonds mutuels ou sociétés d’investissement et, enfin, les compagnies d’assurances et les banques, y compris françaises.
Chaque année, cet accès au crédit permanent, sorte de crédit revolving, nous conduit à verser à ces créanciers des dizaines de milliards d’euros au titre des intérêts de la dette. Dans le projet de loi de finances pour 2019, ce sont 42,1 milliards d’euros qui sont inscrits au titre du « service de la dette » – quelle curieuse expression que celle-ci ! Le budget de la République ne doit-il pas d’abord servir l’intérêt général ?
La fourchette varie, selon les années, entre 42 milliards et 50 milliards d’euros, soit l’équivalent, tout de même, de 600 avions Airbus, de 4 500 000 logements ou d’un salaire net de 18 000 euros par an pour 2,5 millions de personnes.
Les économistes bien en cour, orthodoxes, nous expliquent régulièrement que la dette serait causée par une prétendue incurie et gabegie de l’État. Pourtant, quand on examine très précisément les chiffres, les dépenses publiques restent, en proportion, assez stables depuis de nombreuses années. C’est bien évidemment d’un déficit de recettes que nous pâtissons essentiellement.
Pour notre part, nous pensons qu’il y aurait lieu de procéder à un audit sérieux et intégral de notre dette publique. En quarante ans, la France a déjà payé plus de 1 400 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers. Il faudrait bien sûr évaluer l’impact des multiples dégrèvements, abattements, exonérations et autres crédits d’impôt, qui se sont chiffrés en dizaines de milliards d’euros depuis une vingtaine d’années. Il y a aussi bien sûr l’enjeu de la lutte contre l’évasion fiscale.
Nous posons la question : quelle est, dans le total, la part de dette légitime ? Si, au lieu de se financer depuis trente ans sur les marchés financiers, l’État avait contracté des emprunts directement auprès des ménages ou des banques, à des taux d’intérêt réels de 2 %, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de vingt-neuf points de PIB, soit de 589 milliards d’euros, par rapport à son niveau actuel.
Maurice Allais disait que « la création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul ». La Banque centrale européenne ne devrait-elle pas jouer ce rôle économique essentiel, prêter aux États à taux faible plutôt que d’inonder les marchés financiers de liquidités énormes qui ne servent que très peu l’économie réelle ? C’est une question économique et budgétaire, mais c’est aussi une question politique centrale. Thomas Jefferson déclarait que « celui qui contrôle l’argent de la Nation contrôle la Nation ».
Vous le voyez, nous avons abordé dans ce débat les aspects financiers et budgétaires, bien sûr, mais aussi les questions de souveraineté, de démocratie et de liberté. Le philosophe Gilles Deleuze disait que « l’homme n’est plus l’homme enfermé mais l’homme endetté ». (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrice Joly. Je remercie nos collègues du groupe CRCE d’avoir demandé l’inscription à notre ordre du jour de ce débat sur un thème important ; davantage que d’un enjeu financier, budgétaire ou économique, il s’agit d’un enjeu majeur de société.
En effet, depuis plusieurs années, on entend dire que la dette publique serait l’une des causes, sinon la cause principale, de nos maux. Nous n’aurions plus les moyens d’assurer notre train de vie et il nous faudrait donc réaliser des économies au plus vite, nous vivrions au-dessus de nos moyens, ce qui freinerait les dynamiques économiques et ferait courir un risque aux générations futures, auxquelles nous léguerions comme héritage une dette lourde et injuste.
Qu’en est-il exactement ? Certes, cela a été rappelé, la dette publique de la France s’élève à 2 300 milliards d’euros et son poids a significativement évolué au cours des dernières années, puisqu’elle est passée de 60 % du PIB en 2000 à 80 % en 2010 et qu’elle est proche aujourd’hui du seuil des 100 %. Cette dette consiste principalement en la dette de l’État, puisque la sécurité sociale tend à l’équilibre et que la dette des collectivités locales, déjà faible, est en diminution.
Quant à la dette privée en France, celle des ménages et des entreprises, elle représente environ 130 % du PIB. En dix ans, le taux d’endettement privé a bondi de 34,1 points de PIB ; il reste toutefois assez nettement inférieur à celui que l’on constate aux États-Unis – 149 % du PIB –, au Japon –147 % – ou au Royaume-Uni – 156 %.
Comment se fait-il, dans ces conditions, que l’on s’inquiète tant de l’endettement public et presque jamais de l’endettement privé ?
Depuis les années quatre-vingt, la dette publique est devenue l’argument principal employé par la pensée néolibérale pour justifier le repli de l’intervention publique, en s’appuyant sur des données et des analyses souvent critiquables.
Premièrement, le ratio de la dette publique par rapport au PIB s’est imposé, depuis son inscription dans le traité de Maastricht – lequel reprenait l’approche du Fonds monétaire international –, comme l’un des critères privilégiés d’appréciation de la solvabilité des États. Néanmoins, certains analystes considèrent qu’il est discutable de comparer un stock, la dette, à un flux, le PIB, c’est-à-dire la richesse créée annuellement. Il paraît plus pertinent de mettre en regard la dette publique et le patrimoine public ; à cet égard, il faut noter une véritable lacune dans la connaissance des actifs de l’État.
Par ailleurs, ce ratio dette/PIB est fortement affecté par l’évolution de la croissance, et il tend mathématiquement à surévaluer le poids relatif de la dette lorsque la croissance s’effondre ; on a pu le constater dans les cas du Portugal, de l’Espagne ou encore de la Grèce.
Deuxièmement, la dette publique est sans cesse ramenée à une seule année de production annuelle, alors qu’il s’agit d’un engagement qui a vocation à être apuré sur plusieurs années.
Enfin, l’approche patrimoniale des ménages ne peut être valablement appliquée à la gestion des comptes de l’État. La dette de l’État sert à financer ses interventions – infrastructures, formation, éducation –, qui auront des effets sur plusieurs années, profiteront aux générations à venir et participeront au développement du pays et de ses habitants. Agiter le spectre de la perspective d’une faillite de l’État liée à l’existence d’une dette de 98 %, et bientôt de 100 %, du PIB est une manipulation politique visant à réduire les choix en matière d’organisation de la société et de conception de la place de l’État, celle-ci devant prétendument être réduite.
Il est important de considérer combien la dette est salutaire pour les classes moyennes et les plus pauvres, pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir une autre protection et d’autres services que ceux qui sont assurés par le service public. Grâce aux transferts sociaux, le taux d’enfants vivant dans une famille pauvre passe de 25 % à 8 %, le taux de pauvreté chez les retraités est en France l’un des plus faibles au monde, se trouvant réduit de quatre points par rapport à ce qu’il serait sans cette redistribution. Globalement, les transferts sociaux et fiscaux diminuent le taux de pauvreté monétaire de huit points.
La France se situe ainsi parmi les pays où la redistribution sociale est le plus élevée. Ce n’est pas un problème, c’est clairement une solution.
Enfin, à ceux qui véhiculent l’idée selon laquelle la dépense publique ne servirait qu’à financer le paiement des fonctionnaires improductifs, il faut répondre que, bien au contraire, les fonctionnaires contribuent au PIB : leur valeur ajoutée est estimée à 333 milliards d’euros, ce qui représente un tiers de celle des salariés des entreprises de droit privé.
La dette publique reflète précisément la place que l’État tient dans la société. Historiquement, la France est attachée à l’intervention de l’État dans les domaines régaliens, mais aussi dans les secteurs de la santé, de l’éducation et bien d’autres. La place de l’État dans l’économie y est également ancienne. Cette situation a d’ailleurs donné lieu à l’émergence d’une doctrine politique, le colbertisme.
De plus, l’État « aménageur », « entrepreneur », « grand régulateur central », « garant tant de l’intérêt général que du progrès social » est constitutif de notre histoire depuis la Libération.
C’est aussi cette histoire qui fait que la France figure aujourd’hui au sixième rang des puissances mondiales ; la place de l’intervention publique n’est un frein ni à sa compétitivité ni à son attractivité.
Vous l’aurez compris, la dette publique engendre de la valeur ajoutée et de l’emploi. Elle permet de réaliser des infrastructures – routes, voies ferrées – et d’assurer des services – éducation, formation, santé –, autant de facteurs participant à la performance économique du pays. En témoigne notre attractivité, au cours des dernières années, en matière d’investissements étrangers portant, notamment, sur des fonctions stratégiques telles que les centres de recherche et développement et les centres de décision.
La dette publique permet de constituer le patrimoine de ceux qui n’ont pas, en mettant à disposition des infrastructures et des services assurant un traitement égalitaire en matière d’accès aux services publics, de mobilité, etc. Aujourd’hui, les populations des territoires dits « périphériques » – je pense en particulier aux territoires ruraux – demandent cette intervention publique, qu’elles voient se réduire, jusqu’à se sentir parfois abandonnées.
La dette publique conduit à une redistribution de revenus qui participe de manière importante, en France, à la réduction des inégalités. D’autres pays, comme les États-Unis, ont fait des choix différents. S’en portent-ils mieux ? Non ; aux États-Unis, l’espérance de vie à la naissance est inférieure de deux ans et demi à celle qui est observée en France, et le coût de la santé y est deux fois supérieur à ce qu’il est chez nous, avec une moindre qualité de soins en moyenne.
La dette publique constitue un outil de régulation économique, en permettant la mise en place d’actions contra-cycliques dans une logique keynésienne. La plupart des États, y compris les États-Unis, ont augmenté, au cours des dernières années, leur dette publique, afin que le système ne s’effondre pas. Ils ont ainsi pu éviter que la grande récession ne se transforme en grande dépression.
Si l’on doit s’inquiéter d’un excès de dette, ce doit être à propos de la dette privée, notamment celle des ménages, qui est, je le rappelle, à l’origine de la crise de 2007.
Effet, depuis les années quatre-vingt, le néolibéralisme impose la libéralisation financière, le libre-échange, l’austérité salariale et la contre-révolution fiscale, avec l’idée que les riches doivent payer moins d’impôts pour favoriser la création de richesse, laquelle doit, selon la théorie du ruissellement, profiter à tous. Ces dernières années l’ont montré, cela ne marche pas. Pis, la concentration de la richesse est de plus en plus grande, les disparités explosent et la pauvreté s’accroît.
Le néolibéralisme a donc encouragé l’endettement privé, car, faute d’augmentations de salaire, les ménages ont dû emprunter pour continuer de consommer. La dette privée des ménages et des entreprises a augmenté dans tous les pays développés depuis vingt ans, mais, en 2007, elle a littéralement explosé, avec toute la spéculation qui l’entoure.
Qui pis est, dès 2010, la reprise était à peine amorcée que les néolibéraux ont repris l’offensive ; prenant prétexte de la hausse de la dette publique, ils ont mis en place une politique d’austérité radicale en Europe. Cette contre-offensive a été particulièrement forte ; il en est résulté l’impasse complète que nous subissons aujourd’hui : la baisse des dépenses publiques provoque la stagnation du chômage et de la croissance, et donc réduit les recettes fiscales. De ce fait, le déficit public ne se réduit pas, ou guère.
Les grandes institutions financières, FMI en tête, qui ont imposé cette austérité brutale en Europe et ailleurs reconnaissent désormais les effets négatifs d’une trop forte réduction de la dépense publique. En définitive, selon certains économistes, c’est probablement de nouveau de l’endettement privé, avec notamment les emprunts immobiliers et le développement du crédit à la consommation, que pourrait procéder la prochaine crise. Pourtant, en attendant, certains continuent de s’affronter uniquement sur les questions d’endettement public, et l’aveuglement se poursuit.
Non, mes chers collègues, la dette publique de la France ne doit pas être, vous l’aurez compris, le premier sujet de préoccupation en ce qui concerne l’endettement du pays. Nous devons impérativement faire porter nos efforts sur la dette privée, car, en vue de sortir de la crise financière, il convient désormais de s’interroger sur la libéralisation financière, le libre-échange, l’austérité salariale et la contre-révolution fiscale.
Monsieur le secrétaire d’État, il nous faut recréer au plus vite les conditions d’un véritable revirement des politiques à l’échelle européenne, en mettant au premier plan non plus l’austérité et la flexibilité, mais la relance sociale et les transitions économiques et écologiques. Il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous occupe aujourd’hui doit nous amener à évoquer un enjeu de taille, celui de la souveraineté, lié à cette question de la dette, et plus spécifiquement de la dette publique.
Tout le monde connaît la situation de notre dette publique. La loi de finances pour 2018 prévoyait que la dette, qui représentait 96,8 % du PIB en 2017, se stabiliserait en 2018, avant d’atteindre 97,1 % en 2019, puis de diminuer en 2020. Au deuxième trimestre de 2018, elle a déjà atteint 99 % du PIB, ce qui représente 2 300 milliards d’euros, soit 34 200 euros par Français. Dans le même temps, de l’autre côté du Rhin, la dette publique devrait passer en dessous de la barre des 60 % du PIB… Bien sûr, la dette de SNCF Réseau, reprise par l’État, a été intégrée à la dette publique par Eurostat et par l’INSEE.
En 2019, comme en 2018, l’État empruntera le montant record de 195 milliards d’euros sur les marchés. Il n’est nul besoin de souligner que les répercussions d’une remontée des taux seraient désastreuses. En juillet 2017, déjà, le gouverneur de la Banque de France mettait en garde le Gouvernement : le pays ferait face à un choc de la dette souveraine en ne reprenant pas le contrôle sur sa dette publique avant que les taux d’intérêt n’augmentent brusquement. Il en appelait, eu égard à l’embellie économique, à une « réforme des services publics ». Une fenêtre d’opportunité se présentait pour engager des réformes structurelles.
Quelle est, à l’aune de telles considérations, la tendance actuelle ? La Banque postale prévoit une remontée du taux des obligations assimilables du Trésor à dix ans de 1,3 % à la fin de 2018 et de 1,6 % en 2019. De son côté, le président de la BCE, Mario Draghi, envisage une remontée des taux à la mi-2019. Le risque est assez exactement évalué ; une hausse d’un point des taux conduirait à aggraver la charge de la dette de 2,1 milliards d’euros en un an, de 4,8 milliards d’euros en deux ans et de plus de 19 milliards d’euros en dix ans.
Certes, nous pouvons toujours trouver un motif d’apaisement, ne serait-ce que temporaire, dans le fait que le taux de l’OAT à dix ans s’établit aujourd’hui autour de 0,80 %. Le Gouvernement a par ailleurs fait montre d’une certaine prévoyance en fondant son budget sur une hypothèse de remontée des taux de 0,75 point par an. Mais est-ce suffisant ?
J’entends l’argument selon lequel la dette publique ne serait pas dangereuse dès lors que, contrairement à la dette privée, il n’est pas nécessaire de la rembourser, mais ce discours me paraît très dangereux, car on sait que notre dette est encore détenue en majorité par des investisseurs étrangers. Certes, cette part est à son niveau le plus bas depuis 2009, car la Banque de France rachète de la dette française via la BCE. Néanmoins, ne l’oublions pas, la part de notre dette détenue par la BCE – 20 % – devrait diminuer avec la fin de cette politique de rachat, et notre dette reste aujourd’hui majoritairement détenue par des banques centrales asiatiques et des hedge funds à vocation fortement spéculative.
Ce n’est pas parce que cette situation n’est pas nouvelle qu’elle n’est pas inquiétante ni grave. En effet, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, la part de la dette souveraine détenue par des non-résidents a fortement crû, passant de 28 % à la fin de 1999 à 67 % en 2010, avant de diminuer de façon marquée depuis la fin des années 2000.
Notre dette publique constitue donc un défi pour l’avenir ; le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, ne disait pas autre chose dans son rapport d’information de mai 2017. L’un des leviers essentiels à actionner en vue d’une solution durable réside dans la réforme de l’État, qui traîne, malheureusement.
Monsieur le secrétaire d’État, cette réalité est têtue, elle risque de nous rattraper et notre pays en paiera le prix fort, faute d’anticipation et de réformes de structures. Quand le Gouvernement prendra-t-il la mesure de cette situation et présentera-t-il des mesures à la hauteur des enjeux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si la dette publique et la dette privée, des ménages et des entreprises, sont des sujets de grande préoccupation pour le Sénat, nos concitoyens eux-mêmes s’interrogent et s’inquiètent en constatant la dégradation continue des prévisions de déficit public pour les années à venir et leurs conséquences sur leur pouvoir d’achat et sur l’emploi.
L’absence, dans les projets du Gouvernement, de véritables mesures structurelles permettant de réduire réellement la dépense publique renforce cette inquiétude. La dépense va encore alimenter la dette publique et réduire, une fois de plus, nos marges de manœuvre.
Le service de la dette, qui avoisine 50 milliards d’euros, est l’un des premiers postes du budget de l’État. D’aucuns prétendent que l’endettement de la France n’est finalement pas aussi grave au regard des actifs que l’on peut mettre en face, et, dans cette perspective, ils ratissent très large, mélangeant allègrement actifs publics et actifs privés, en oubliant que l’État est au service des citoyens, et non l’inverse.
Envisager la dette comme une nécessité est une erreur profonde ! Il s’agit, au contraire, d’un dangereux héritage qui pèse sur l’ensemble des Français.
Le déficit public s’élèvera à 2,6 % du PIB en 2018 et à 2,9 % en 2019, alors que les Italiens annoncent que le leur ne s’élèvera qu’à 2,4 %, un chiffre qui semble être déjà critiqué par les instances européennes.
Certes, la privatisation d’Aéroports de Paris et de la Française des jeux apportera une bouffée d’oxygène et permettra au Gouvernement d’afficher une réduction du déficit budgétaire bienvenue, juste avant 2022,…
M. Pascal Savoldelli. Mais c’est du one shot !
M. Jean-Raymond Hugonet. … mais les chasseurs, nombreux dans notre hémicycle, le savent bien : une fois la cartouche tirée, on est démuni.
M. Pascal Savoldelli. Eh oui !
M. Jean-Raymond Hugonet. C’est ce qui arrivera une fois engrangé le bénéfice des privatisations, faute de mesures réelles d’économies budgétaires. D’ailleurs, pouvez-vous nous éclairer sur l’affectation du produit de ces privatisations, qui devait initialement financer notre économie et nos entreprises, et qui, en réalité, servira à boucher le trou du déficit budgétaire ?
Par ailleurs, le changement de politique de la Banque centrale européenne et l’arrêt de son programme d’achat d’actifs, qui a une incidence bénéfique sur les taux d’intérêt, peuvent avoir des conséquences négatives sur la notation de la France et la qualité de sa signature, surtout lorsque l’on sait, ou plutôt lorsque l’on ne sait pas, qui détient plus de la moitié de notre dette publique. Aujourd’hui, grâce à la BCE, la Banque de France détient 20 % de celle-ci, mais 53 % de son montant est détenu par des investisseurs étrangers. Une crise de confiance de leur part pourrait donc être dramatique pour le financement de notre dette. Je le rappelle, le volume annuel de nos emprunts dépasse 200 milliards d’euros…
Ma dernière interrogation porte sur la dette privée des ménages et des entreprises non financières, qui constitue aussi un sujet important de préoccupation. La dette des ménages s’élève à 1 163 milliards d’euros, celle des entreprises non financières à 2 187 milliards d’euros. C’est un volume colossal, dont l’expansion a été favorisée par des taux d’intérêt artificiellement bas. Ne craignez-vous pas que, en cas de hausse brutale des taux d’intérêt suscitée par la situation aux États-Unis et le changement de politique de la BCE, les entreprises se trouvent exposées à un défaut de paiement et les ménages contraints de céder des actifs immobiliers, ce qui provoquerait une récession économique ?
Pour désagréable que cela soit, il faut être réaliste ; les chiffres sont têtus ! Notre économie est financièrement fragile, et nos faiblesses en termes de compétitivité se traduisent dans le déficit de notre commerce extérieur.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie par avance des réponses que vous pourrez apporter à nos interrogations, qui sont également celles de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le thème abordé mériterait au minimum un rapport d’information, voire une thèse universitaire, tant il est large et difficile à aborder en quelques minutes…
Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ? À cette question, la réponse est à mes yeux positive.
Pour l’héritage, on n’a pas le choix, sauf à envisager, comme certains ont pu le faire, de refuser de rembourser nos dettes au système bancaire, dont la légitimité serait contestée. Retenir cette option mettrait notre pays en situation de liquidation, à l’instar de ce que l’on peut observer dans le secteur privé, et il faudrait bien sûr renoncer définitivement à emprunter.
En ce qui concerne la nécessité, la réponse est aussi positive, mais elle doit être assortie de considérations sur l’utilisation, le niveau, la gestion et les limites de la dette.
La dette est aujourd’hui un outil indispensable au fonctionnement de nos économies ; c’est un peu le carburant du moteur de la croissance, mais encore faut-il que l’excès d’endettement ne vienne pas noyer le moteur… C’est un peu ce qu’a vécu la Grèce avec une phase de réamorçage délicate et forcément poussive.
Dans une entité déterminée, c’est-à-dire un pays, peut-on agréger dette publique et dette privée ou des fractions de ces deux dettes ? C’est ce que semble avancer Jean Tirole, prix Nobel d’économie, lorsqu’il déclare que la dette publique et la dette privée financière doivent être considérées comme un tout : pour lui, la dette bancaire est en réalité de la dette publique. Néanmoins, on ne peut pas aller jusqu’à soutenir la thèse des vases communicants entre dette publique et dette privée.
En ce qui concerne la dette privée, chaque pays a des comportements d’épargne et d’endettement spécifiques. La situation française ne semble pas, contrairement à ce qui a été dit par certains de nos collègues, particulièrement alarmante au regard des principaux indicateurs. En effet, le taux d’endettement des ménages français est dans la moyenne de la zone euro – 58 % du PIB – et est nettement inférieur à celui constaté au Royaume-Uni – 86 % – ou aux États-Unis, où il est de 103 %. À cette aune, il n’est pas facteur de risque de crise financière.
Notre situation est un peu moins favorable pour ce qui concerne l’endettement des sociétés non financières, avec un taux de 73 %, supérieur à celui des États-Unis – 48 % – et surtout à celui de l’Allemagne – 37 %. Nos entreprises sont donc deux fois plus endettées que les entreprises allemandes.
Mais il faut également prendre en compte le niveau de l’épargne, très différent selon les pays. Il garantit, d’une certaine manière, la capacité de rembourser la dette.
Le taux annuel d’épargne des ménages français se situe depuis vingt ans dans une fourchette allant de 14,5 % à 16 %, à un niveau supérieur à la moyenne de la zone euro, juste derrière l’Allemagne, également chef de file selon ce critère. À titre d’exemple, au Royaume-Uni, le taux d’épargne des ménages est de l’ordre de 5 %. Les équilibres ne sont pas tout à fait les mêmes…
Le niveau d’endettement des ménages est donc plutôt rassurant, dans la mesure où leur dette demeure très inférieure au montant de l’épargne cumulée, qui dépasse les 5 000 milliards d’euros. En outre, l’utilisation de cette dette est assez vertueuse, puisque principalement tournée vers les investissements dans l’immobilier et les biens d’équipement, et non vers la consommation ou des facilités de trésorerie.
La situation de la dette publique est beaucoup plus inquiétante, car elle n’a pas la contre-garantie d’une épargne publique. De manière faciale, son poids est minimisé puisque présenté en fonction du PIB. La dette publique s’élève à 2 300 milliards d’euros, soit 98 % du PIB. Quant au déficit annuel, il est inférieur à 3 % de celui-ci, mais il représente 20 % du budget de l’État, et la part de la dette publique incombant à l’État – 80 % du total – six années de recettes budgétaires.
Au regard de cette situation, il convient de poursuivre une politique rigoureuse de réduction des déficits et de l’endettement. C’est l’objectif que s’est fixé le Gouvernement, avec une stabilisation de la dette à 98 % du PIB en 2018 et en 2019 et une diminution vers les 90 % en 2021-2022. Je crois que cet objectif, approuvé par notre groupe, est tenable. Toutefois, nous encourageons le Gouvernement à accentuer cet effort en diminuant de façon plus marquée la dépense publique. (M. Didier Rambaud applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir consacré plus d’une heure à évoquer avec passion un sujet qui aurait mérité de remplir cet hémicycle. Je suis certain que nos concitoyens, soit en direct soit en rediffusion sur internet, sont ou seront très nombreux à nous écouter.
Vous me permettrez de répondre d’emblée à la question constituant l’intitulé de ce débat : oui, la dette est un instrument économique utile, et même très nécessaire. C’est vrai de la dette publique comme de la dette privée.
On peut être en déficit dans une période de crise pour relancer la machine économique et protéger les plus faibles, en permettant, par exemple, au système de l’assurance chômage de continuer à fonctionner, tout comme une entreprise peut emprunter pour investir et se développer dans une phase de croissance.
Cependant, on ne peut se satisfaire d’un recours systématique à la dette, quelle que soit la situation économique : pour pouvoir s’endetter en période de crise, il faut se redonner des marges quand la conjoncture est plus favorable. Tout est question de dynamique : c’est le battement entre ces périodes d’endettement et de désendettement qui permet d’avoir un modèle soutenable.
Sans caricature ni confusion, portons d’abord un regard sur la dette publique.
Je commencerai par un constat : la dette publique a beaucoup augmenté, passant de 64 % à 98 % du PIB entre 2007 et 2017. Plus que le stock de dette, c’est cette tendance qui doit nous préoccuper. On peut comprendre que la dette augmente en temps de crise, comme au début des années quatre-vingt-dix ou dans le sillage de la crise financière de 2008. Mais, depuis trente ans, la France n’a jamais mis à profit les périodes de croissance pour réduire son ratio de dette.
Cette tendance française fait figure d’exception dans le paysage européen. Nous sommes le seul pays de la zone euro dont le ratio de dette ne diminue pas depuis 2015, alors que l’on observe une baisse moyenne de 7 % ailleurs en Europe.
Le problème vient de plus loin : voilà dix ans, nous avions le même niveau de dette que l’Allemagne ; depuis 2007, il y a divergence. L’Allemagne a réduit son ratio de dette, signe que la dette n’est pas une fatalité, tandis que la France a laissé sa dette s’envoler.
Nous ne savons pas renverser la vapeur quand notre économie va mieux : ce n’est pas soutenable. La dette doit rester un outil, et non être une drogue : l’addiction à la dette est un poison lent, qui risque de nous placer dans une position délicate si nous ne faisons rien. On ne marche pas sur la dette, c’est elle qui vous marche dessus si elle n’est pas maîtrisée.
Il est essentiel de réduire la dette par beau temps pour faire baisser le service de la dette, qui est autant d’argent public jeté par les fenêtres alors qu’il pourrait servir au financement des services publics, pour nous protéger contre une remontée des taux – un seul point de hausse des taux d’intérêt représente plus de 2 milliards d’euros de dépenses supplémentaires dès cette année et près de 16 milliards d’euros en 2025 –, pour disposer de marges de manœuvre et pouvoir répondre aux crises par des mesures contra-cycliques, pour être crédibles en Europe, la gestion de nos finances publiques ayant très longtemps terni notre image et obéré notre capacité à faire bouger les autres pays.
Depuis plus d’un an, nous avons inversé la tendance et affirmons des objectifs ambitieux. Nous avons endigué la hausse constante de la dette publique grâce à nos efforts budgétaires. Notre cap pour le quinquennat est clair : cinq points de dette en moins et un déficit public proche de zéro en 2022.
Cette réduction de la dette et du déficit passe par un effort sur la dépense publique, en ciblant les postes sur lesquels des économies sont possibles, mais surtout en repensant les missions et l’organisation de l’État.
La baisse des dépenses publiques doit aller de pair avec des réformes structurelles profondes, comme vous l’avez souvent rappelé lors de vos différentes interventions. Il faut attaquer les problèmes sociaux à la racine, plutôt que de traiter leurs symptômes infinis. C’est tout le sens du travail que le Gouvernement mène actuellement sur l’éducation ou sur la formation.
Il faut proposer un nouveau modèle économique avec moins de dépense publique et de dette, moins de prélèvements obligatoires, mais plus de soutien à l’investissement et à l’innovation, plutôt que de recourir sans cesse à plus de dépense publique, comme nous le faisons depuis des décennies.
M. Patrick Chaize. C’est pour quand ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. Pour finir sur cette question, vous me pardonnerez de mentionner un sujet qui nous tient, au ministre de l’économie et des finances et à moi-même, particulièrement à cœur, celui de la juste taxation des acteurs géants du numérique. La lutte contre la dette tient aussi à notre capacité à faire payer leur juste part d’impôt aux entreprises qui dégagent le plus de valeur, notamment grâce à nos données. La journée d’hier aura été essentielle dans ce combat.
En ce qui concerne la dette privée, l’analyse est similaire et notre volonté d’action tout aussi forte.
La hausse de la dette privée est elle aussi constante depuis dix ans, avec une accélération notable ces deux dernières années. Elle représentait 130 % du PIB à la fin de 2017 : environ 60 % pour la dette des ménages, contre 70 % pour celle des sociétés non financières. Cela nous place dans la moyenne haute des pays européens.
La dette de nos entreprises croît plus rapidement que leur activité, qu’il s’agisse des grands groupes ou des PME. Ce n’est pas forcément préoccupant sur le court terme : il est normal que les entreprises empruntent dans un contexte de croissance. Notre taux d’investissement, qui s’établit à 26 %, est plus élevé que celui d’autres grandes économies de la zone euro, ce qui est important dans la bataille de l’innovation.
Nous devons cependant trouver un modèle plus solide sur le long terme.
Il faut d’abord, à l’évidence, rendre des marges aux entreprises. C’est ce que nous faisons à travers la politique fiscale déployée depuis le début du quinquennat, avec une trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés et une révolution de la fiscalité du capital qui doivent permettre aux entreprises de retrouver des marges pour investir.
Sur le long terme, nous devons aussi développer le financement en fonds propres de nos PME. C’est tout le sens des mesures du projet de loi PACTE relatives aux produits d’épargne des Français, qu’il s’agisse de l’assurance vie ou de l’épargne retraite. Nous aurons l’occasion d’en discuter longuement, ce projet de loi devant bientôt arriver au Sénat après avoir été adopté à une large majorité à l’Assemblée nationale.
Mais la question de la dette n’est pas une question purement nationale. Je voudrais conclure par quelques mots sur la dimension européenne de cette problématique.
Nous appartenons depuis maintenant vingt ans à une union monétaire. La monnaie commune nous a beaucoup apporté en termes de stabilité et de facilitation des échanges. Mais cette appartenance à une zone monétaire impose à chaque État membre un effort de discipline accru, car les décisions prises dans chaque capitale ont un impact sur tous. Nous prenons pleinement notre part de ces efforts que nous exigeons de tous nos partenaires.
Cette zone monétaire commune doit être complétée. En effet, en l’état des choses, nous sommes mal armés collectivement pour affronter une nouvelle crise des dettes souveraines. C’est la raison pour laquelle il est urgent de finaliser les réformes de la zone euro et de renforcer la solidité du système en achevant l’union bancaire, en renforçant le mécanisme européen de stabilité, en parvenant à la création d’un véritable budget de la zone euro avec à la fois une fonction de stabilisation et une fonction de convergence.
Si la dette est une nécessité économique, les crises liées à la dette n’ont rien d’une fatalité. Mais il faut faire preuve de volonté politique, au niveau national comme au niveau européen. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour poursuivre ses efforts dans le sillon tracé depuis maintenant dix-huit mois. (Mme Michèle Vullien et M. Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ? ».
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 25 octobre 2018 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
(Ordre du jour réservé au groupe Union Centriste)
Proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants : un enjeu social et sociétal majeur (n° 565, 2017-2018) ;
Rapport de M. Olivier Henno, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 26, 2018-2019) ;
Texte de la commission (n° 27 rectifié, 2018-2019).
Débat portant sur la scolarisation des enfants en situation de handicap.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures quarante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD