Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Voici, mesdames, messieurs les sénateurs, l’amendement tendant à la création d’un parquet national antiterroriste. La presse s’en est abondamment fait l’écho, mais je souhaite vous le présenter de manière complète.
Je tiens à le dire d’emblée : la création de ce parquet ne résulte pas du constat de quelque dysfonctionnement. Au contraire, vous savez à quel point le procureur de Paris, qui exerce actuellement les fonctions de procureur antiterroriste, remplit parfaitement ses fonctions. Nous souhaitons toutefois améliorer ce dispositif, pour les raisons que je vais tenter de vous exposer.
Le parquet national dont nous vous proposons la création sera dirigé par un procureur de la République antiterroriste, positionné auprès du tribunal de grande instance de Paris. Il se substituera pour le traitement des infractions terroristes au parquet de Paris, qui, de ce fait, sera scindé en deux : il y aura le procureur de la République de Paris et le procureur antiterroriste.
Au-delà des infractions terroristes, la compétence de ce parquet sera élargie aux crimes contre l’humanité, aux crimes et délits de guerre, aux infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive et aux infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Nous souhaitons la création de ce parquet pour deux raisons.
D’abord, nous voulons pouvoir disposer d’une véritable force de frappe judiciaire antiterroriste, en créant un ministère public ayant l’entière disponibilité pour se consacrer à cette mission. Il ne sera plus à la fois, comme aujourd’hui, procureur de la République de Paris et procureur chargé de l’antiterrorisme. Sa disponibilité sera donc pleine et entière pour se consacrer à ce contentieux extrêmement spécifique et qui, vous le savez, requiert une vigilance et une attention de tous les instants – nous savons en effet que la menace, notamment endogène, est toujours à un très haut niveau.
Ensuite, il s’agit d’offrir à ce procureur une meilleure visibilité institutionnelle, au plan non seulement national – il l’acquiert assez aisément –, mais également international.
En outre, la création du parquet national antiterroriste permettra au procureur de la République de Paris de recentrer son activité sur les contentieux propres à ce parquet, qui sont très lourds et très nombreux ; je pense notamment à la criminalité et la délinquance organisées – vous venez de renforcer la lutte contre celles-ci en adoptant l’amendement précédent –, aux accidents collectifs et aux affaires de santé publique.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris en compte les observations formulées par le Conseil d’État. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai préféré retirer la disposition tendant à la création du parquet national antiterroriste, initialement contenue dans le projet de loi. Je l’ai réintroduite récemment, modifiée pour tenir compte des observations du Conseil d’État.
Ainsi, sur la suggestion de celui-ci, nous avons prévu la création d’une réserve opérationnelle de magistrats du parquet de Paris, à laquelle le procureur de la République antiterroriste pourra recourir en cas de crise pour adapter ses effectifs aux variations liées à l’activité terroriste. En tant que de besoin, par exemple en cas d’attentat grave, le procureur de la République antiterroriste pourra donc piocher dans une liste de magistrats du parquet de Paris établie après avis du procureur général.
Le parquet national antiterroriste sera également doté d’un mécanisme innovant du point de vue procédural, qui lui permettra de requérir tout procureur de la République situé sur le territoire national pour la réalisation d’actes d’enquête qu’il déterminera, afin de répondre efficacement à l’ampleur des investigations nécessaires en cas d’attentat.
Enfin, ce nouveau parquet ne sera pas isolé au sein de l’institution judiciaire : ce ne sera pas un parquet qui sera seul à Paris. En effet, avec le mécanisme que nous avons conçu, le procureur antiterroriste pourra compter sur des relais territoriaux, grâce à la création, au sein des tribunaux de grande instance dont le ressort paraît particulièrement exposé à la menace terroriste, de magistrats du ministère public délégués à la lutte contre le terrorisme.
Ainsi, dans les tribunaux de grande instance dont les ressorts semblent particulièrement exposés au terrorisme, des magistrats du ministère public seront délégués à la lutte contre le terrorisme : associés à la coordination administrative de veille, de prévention et de détection du terrorisme, ils pourront mieux informer le parquet national antiterroriste sur les parcours de radicalisation violente et les liens qui pourraient exister entre petite délinquance et terrorisme.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’architecture que nous vous proposons est à la fois forte – parce que centralisée, mais comportant des relais sur l’ensemble du territoire national –, visible au plan national comme international et efficace, avec un procureur antiterroriste qui aura les moyens de répondre à la menace terroriste.
J’invite donc le Sénat à adopter l’amendement n° 184 du Gouvernement et non l’amendement n° 365 de la commission, qui – à moins que M. Buffet n’ait changé d’avis après m’avoir entendue… – ne prévoit pas la création d’un parquet antiterroriste spécifique.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Mais qui reprend nombre de mesures de votre amendement !
Mme la présidente. L’amendement n° 365, présenté par MM. Buffet et Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 42
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au début du premier alinéa de l’article L. 122-3 du code de l’organisation judiciaire, sont ajoutés les mots : « Sous réserve des dispositions particulières du code de procédure pénale, ».
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 41 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du deuxième alinéa est supprimée ;
b) Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il s’agit d’actes d’enquête devant être exécutés dans un autre ressort que celui du tribunal de grande instance, il peut demander au procureur de la République territorialement compétent d’y procéder ou d’y faire procéder par un officier de police judiciaire. Il peut toutefois également requérir directement tout officier de police judiciaire sur l’ensemble du territoire national de procéder à ces actes. » ;
2° Le deuxième alinéa de l’article 702 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sont également compétents sur toute l’étendue du territoire national le procureur de la République, le tribunal de grande instance et la cour d’assises de Paris selon les modalités déterminées aux articles 628-1 à 628-6 et 698-6. » ;
3° L’article 706-17-1 devient l’article 706-17-2 ;
4° L’article 706-17-1 est ainsi rédigé :
« Art. 706-17-1. – Sans préjudice des dispositions du troisième alinéa de l’article 41, lorsqu’il exerce sa compétence en application de la présente section, le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Paris peut requérir par délégation judiciaire tout procureur de la République de procéder ou faire procéder aux actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 dans les lieux où ce dernier est territorialement compétent.
« La délégation judiciaire mentionne les actes d’enquête confiés au procureur de la République ainsi requis. Elle ne peut prescrire que des actes se rattachant directement à l’enquête pour laquelle elle a été délivrée.
« Elle indique la nature de l’infraction, objet de l’enquête. Elle est datée et signée par le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Paris et revêtue de son sceau.
« Le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Paris fixe le délai dans lequel la délégation doit lui être retournée accompagnée des procès-verbaux relatant son exécution. À défaut d’une telle fixation, la délégation judiciaire et les procès-verbaux doivent lui être transmis dans les huit jours de la fin des opérations exécutées en vertu de celle-ci.
« Les magistrats commis pour son exécution exercent, dans les limites de la délégation judiciaire, tous les pouvoirs du procureur de la République près du tribunal de grande instance de Paris prévus par la présente section. » ;
5° L’article 706-25 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à l’article 34, le ministère public auprès de la cour d’assises statuant en première instance est représenté par le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Paris en personne ou par ses substituts. »
La parole est à M. le corapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 184.
M. François-Noël Buffet, corapporteur. C’est peu dire que Mme le garde des sceaux a lu dans mes pensées : en effet, la commission des lois du Sénat n’est pas favorable à la création de ce parquet national antiterroriste. Pourquoi donc créer un tel parquet, alors que notre organisation repose déjà sur un parquet antiterroriste spécialisé, à compétence nationale, au sein du parquet de Paris ?
Parlons-nous librement : nous n’avons entendu personne critiquer le travail mené actuellement par le parquet national antiterroriste rattaché au tribunal de grande instance de Paris. Tout le monde a plutôt loué le travail accompli depuis de nombreuses années, en considérant que tout cela fonctionnait très bien.
M. Yves Détraigne, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Absolument !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Comme nous avons pu, malheureusement, le constater à l’occasion des attentats dramatiques qui ont frappé notre pays, l’efficacité de nos magistrats et de nos procureurs a été totale.
On fait valoir que le parquet national devrait remplir une fonction, en quelque sorte, de communication, d’identification ou de reconnaissance, nationale ou internationale. Personne aujourd’hui ne considère que le procureur chargé de ces questions et, plus largement, l’institution ne sont pas reconnus au plan international ou national. Le dispositif, là aussi, fonctionne très bien.
Nous souhaitons donc saluer l’organisation existante, réactive, souple et en mesure de s’adapter aux crises, grâce à la mobilisation exceptionnelle de magistrats d’autres sections du parquet de Paris – des réservistes, si je puis dire.
L’amendement déposé par le Gouvernement suscite plusieurs craintes. Celle, d’abord, d’une réduction des effectifs mobilisables, puisque le nombre de magistrats du parquet national antiterroriste serait nécessairement très largement inférieur au nombre de magistrats du parquet de Paris. La crainte, ensuite, d’une perte d’efficacité et de réactivité en l’absence de pouvoir hiérarchique du procureur national antiterroriste sur les magistrats dépendant d’autres parquets. La crainte, aussi, d’une perte de vision d’ensemble des parcours de délinquance conduisant au terrorisme. La crainte, enfin, d’une rigidité dans l’affectation des conduites des enquêtes entre les délits de droit commun, la criminalité organisée et le terrorisme.
Au reste, dans son avis sur le projet de loi, voici ce que le Conseil d’État a fait observer : « La création d’un parquet national antiterroriste n’est pas sans présenter, d’une part, un risque d’isolement des magistrats affectés à ce parquet, avec l’inconvénient de perdre la perception des liens entre la petite délinquance et le terrorisme, en particulier dans les parcours de radicalisation, et, d’autre part, une rigidité inutile pour adapter les effectifs de magistrats affectés à la lutte antiterroriste aux évolutions de la criminalité en la matière. »
Disons les choses : cette réforme ne semble justifiée par aucun dysfonctionnement constaté.
Peut-être vais-je être audacieux, mais, autant nous avons été favorables à la création du juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, parce que nous pensons que c’est un progrès pour notre dispositif judiciaire, autant, en la circonstance, nous ne voyons pas l’avantage supplémentaire que présenterait le dispositif proposé. Peut-être même fragiliserait-il, au moins temporairement, l’organisation judiciaire, alors que le contexte invite davantage à une forme de stabilisation et à un renforcement des moyens.
Par ailleurs, l’expérience récente du parquet national financier doit également nous inviter à une forme de prudence dans la création de parquets nationaux autonomes.
Enfin, alors que l’amendement n° 181 rectifié du Gouvernement vise à donner pour la première fois au parquet de Paris une compétence concurrente nationale en matière de criminalité organisée, il semblerait paradoxal de ne pas maintenir une section antiterroriste au sein de ce parquet, afin de faciliter les échanges entre les deux sections.
Toutefois, la commission des lois ne rejette pas tout.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce n’est pas son genre !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Gardant le dispositif actuel, elle souhaite, comme le Gouvernement, améliorer l’efficacité de notre organisation judiciaire. Tel est l’objet de notre amendement n° 365.
Nous proposons l’instauration d’une compétence concurrente des juridictions parisiennes en matière de crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation, infractions assez proches des infractions terroristes.
Nous prévoyons la possibilité pour le parquet de Paris, dans le cadre de ses compétences antiterroristes, de requérir par délégation judiciaire tout procureur de la République de faire procéder aux actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions terroristes.
Nous prévoyons également la possibilité pour les magistrats de la section antiterroriste du parquet de Paris de représenter le ministère public auprès de la cour d’assises statuant en première instance, par dérogation et en lieu et place des avocats généraux de la cour d’appel de Paris. Peut-être un peu compliqué à mettre en place, pour des raisons que l’on imagine, ce dispositif est ô combien nécessaire, compte tenu de la connaissance que nos procureurs ont acquise des dossiers dont ils ont la charge.
Nous ne voulons pas d’une structure distincte du parquet de Paris, qui nuirait à la fluidité des échanges ; ce qu’on voit avec le parquet national financier, nous n’en voulons pas. Une telle structure empêcherait la mutualisation et la mobilisation rapides de magistrats supplémentaires en cas de crise.
Au reste, le Gouvernement est obligé, nous l’avons bien compris, de prévoir dans son amendement des formes de palliatifs aux problèmes posés par la création d’une structure autonome. C’est ainsi qu’il a imaginé un dispositif complexe permettant de mobiliser certains magistrats du parquet de Paris pour qu’ils viennent en aide au parquet national antiterroriste en cas de crise.
Madame le garde des sceaux, ce n’est naturellement pas contre vous, vous le comprenez bien, mais nous voulons des choses simples : ce qui fonctionne bien et efficacement, nous pensons qu’il ne faut pas le bousculer, mais au contraire l’améliorer. C’est à une telle amélioration que tend l’amendement de la commission des lois. Le pays et nos concitoyens sauront qu’il existe sur le territoire national un dispositif efficace de lutte contre le terrorisme, ce que chacun d’entre nous, naturellement, recherche.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. En 2014, six mois avant Charlie, le Sénat, à la demande du groupe Union Centriste, a constitué une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes. Nous étions donc en plein travail quand les drames de Charlie et de l’Hyper Cacher se sont produits. Le rapport rendu par notre commission d’enquête en 2015 soulignait un éparpillement des moyens, notamment judiciaires.
Depuis lors, nous avons voté énormément de textes, renforcé les dispositifs et réalisé des améliorations sur un certain nombre de sujets, même s’il reste encore des zones d’ombre – Mme la présidente Troendlé sait bien que, en matière de lutte contre la radicalisation, il reste des trous dans la raquette, c’est le moins que l’on puisse dire.
Pour ma part, j’ai été très sensible à l’argumentation de notre rapporteur. En effet, nous avons aujourd’hui un coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme auprès du Président de la République, qui a demandé cette task force. Or je crois que, en cette matière comme dans d’autres, il faut de la stabilisation.
Il faut sûrement renforcer les formations, les moyens et la coopération européenne, mais je ne suis pas sûre qu’il faille bouleverser l’ensemble des dispositifs en divisant au lieu de rassembler.
Bien que très sensible à l’idée d’un parquet antiterroriste identifié, je pense qu’il est aujourd’hui important de centraliser les moyens et, surtout, de donner à la police, à la gendarmerie et aux magistrats les moyens d’exercer leurs fonctions en toute sécurité. Ces moyens, nous les examinerons dans quelques jours dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019. Ce sera là la preuve de la volonté que l’on entend marquer.
Dans cet hémicycle, nous avons toujours été solidaires de l’ensemble des textes proposés par l’ensemble des gouvernements en matière de lutte antiterroriste. Qu’il s’agisse de Bernard Cazeneuve ou des autres ministres qui se sont succédé, nous n’avons jamais failli à la solidarité nationale dans ce domaine.
Je crois que ce n’est pas le moment de diviser et qu’il vaut mieux, au contraire, solidifier l’édifice. C’est pourquoi, malgré les éléments qui plaident pour la création d’un parquet antiterroriste, je suivrai la position de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Il y a une forme de dilemme entre ces deux amendements, tous deux parfaitement défendus, avec force compétence et pédagogie, par Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur. Prendre position n’est pas simple sur ces questions juridiques extrêmement complexes, qui sont aussi, malheureusement, un sujet profond d’actualité – nombre de drames nous restent en mémoire.
La mobilisation de toutes les forces de sécurité – police, gendarmerie, armée – est très forte, sur le territoire national et aux frontières – le rôle de l’administration des douanes a été évoqué. M. le rapporteur a insisté sur l’efficacité, qui suppose de ne pas complexifier, de ne pas ajouter de nouvelles structures aux nombreuses qui existent déjà dans le domaine complexe de la justice.
Nous avons beaucoup de respect pour les magistrats, pour toutes celles et tous ceux qui travaillent dans ce domaine. Dans quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de finances et de la mission « Justice », de nombreux enjeux de société devront être pris en compte.
S’agissant des amendements en discussion, je suivrai l’avis de la commission des lois.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. La proposition de créer un parquet antiterroriste, nous en avions entendu parler. Tous ceux que nous avons auditionnés avaient, au minimum, une grande interrogation sur l’utilité de ce parquet.
Après avoir vu cette mesure retirée de votre avant-projet de loi, madame la garde des sceaux, nous avons examiné, voilà quelques jours, votre amendement tendant à la rétablir. Nous avons eu un débat assez dense en commission des lois, afin d’arrêter une position de fond et non une position dictée par les mauvaises conditions de travail que vous nous imposiez…
Nous avons beau vous écouter, nous ne comprenons toujours pas l’utilité de la création de ce parquet antiterroriste. Nous le savons, la lutte antiterroriste fait d’ores et déjà l’objet d’une centralisation auprès du parquet de Paris, auprès de François Molins, devenu célèbre dans tous les foyers français pour des raisons terribles.
Nous avons soulevé – nous l’avons aussi fait auprès des personnes que nous avons entendues – le risque d’un manque d’efficacité, puisque le parquet de Paris peut mobiliser aujourd’hui de manière extrêmement rapide tous ses substituts, ainsi qu’un risque d’isolement. Nous le savons, le terrorisme est souvent lié à la criminalité organisée, à la cybercriminalité, au blanchiment ou au trafic d’armes.
Vous l’avez compris, nous sommes extrêmement désemparés : nous essayons de vous entendre et de comprendre dans vos propos autre chose que la force symbolique, à vos yeux, de créer ce parquet.
La commission des lois a fait des propositions, qui sont, pour leur part, intéressantes dans la mesure où elles visent à renforcer et à améliorer encore l’efficacité du dispositif existant. C’est pourquoi nous les soutenons, et nous ne vous suivrons pas sur la création d’un parquet national antiterroriste telle que vous la proposez à ce jour.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Permettez-moi de répondre brièvement aux trois observations que j’ai entendues : pourquoi créer un tel parquet ? Cela ne va-t-il pas conduire à une réduction des effectifs ? La crainte de l’isolement transparaît aussi dans les différentes interventions.
Si nous voulons créer un tel parquet, c’est parce que la menace terroriste est d’une ampleur très singulière ; elle a évolué. Elle ne ressemble plus à ce que l’on a vécu il y a dix ans : la menace est nationale, internationale, exogène et endogène, comme le montre l’ensemble des attentats aujourd’hui déjoués, même si nous ne le précisons pas sans arrêt. Il existe une véritable menace terroriste ! Aussi, il nous semble qu’il nous faut accompagner ce mouvement, voire l’anticiper.
Par ailleurs, je l’ai dit, le parquet de Paris, au sens du procureur de la République de Paris, aura des compétences accrues, en lien notamment avec la criminalité organisée.
Cette montée en puissance du parquet de Paris conjuguée à l’augmentation et à l’évolution de la menace terroriste nous a conduits à dissocier ces deux tâches. Il ne nous semble plus réaliste de penser que le parquet pourra continuer à mener de front cette mission, ce qu’il fait remarquablement bien jusqu’à ce jour. Il n’est pas réaliste de ne pas prendre en compte cette double évolution, à savoir, je le répète, la montée en puissance du parquet de Paris et l’évolution de la menace terroriste.
Je l’indiquais précédemment, le parquet de Paris va avoir des compétences accrues en matière de criminalité organisée. Or ne lions pas criminalité organisée et lutte contre le terrorisme. Nous avons parlé avec de très nombreux acteurs, j’y insiste. Il n’existe pas de lien, si ce n’est occasionnel, et donc à un faible degré, entre criminalité organisée et terrorisme. Le procureur Molins et, notamment, la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure, que j’ai interrogés, l’affirment clairement, le lien est très ténu – je reprends là un mot qui a été utilisé. C’est la raison pour laquelle il ne nous semble pas pertinent de lier automatiquement crime organisé et lutte contre le terrorisme. Le schéma que nous proposons correspond à l’évolution de la menace terroriste et me paraît justifier cette organisation avec deux personnes.
Concernant la question de la réduction des effectifs – une crainte évoquée par M. le sénateur Buffet, prenant appui sur les craintes initiales exprimées par le Conseil d’État, auxquelles nous avons répondu –, je veux redire ici que, en cas de crise grave, d’attentat grave, le parquet antiterroriste pourra prendre, sur une liste de magistrats qui aura été établie par le procureur général ou avec l’accord du procureur général de Paris, parmi les magistrats du parquet de Paris, autant de magistrats figurant sur cette liste qu’il le voudra. Il s’agit donc d’une réponse souple et adaptée à la situation. Il n’y aura aucune difficulté pour choisir – le mot n’est pas juste –, mais plutôt pour prendre des magistrats figurant sur cette liste en vue de répondre aux besoins qui seront, par définition, occasionnels.
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la question de l’absence de pouvoir hiérarchique du procureur de Paris sur les magistrats des territoires. Mais il n’existe pas aujourd’hui de pouvoir hiérarchique ; nous ne changeons donc absolument rien.
Enfin, pas d’isolement, nous faisons le contraire. Ce que nous construisons permettra d’établir un lien extrêmement étroit entre le parquet antiterroriste à Paris et ce qui se passera au niveau territorial. Les procureurs délégués au niveau territorial ne sont pas créés, comme cela est indiqué dans l’objet de votre amendement, messieurs les rapporteurs de la commission des lois, pour « assurer une certaine coordination entre les parquets autonomes. » Face à une menace endogène présente sur l’ensemble du territoire – les loups solitaires radicalisés –, il convient de disposer de relais territoriaux pour faire remonter au PNAT l’information relative à la problématique des radicalisations locales. Ces relais territoriaux agiront au plus près du terrain, en lien avec les services de renseignements locaux et au sein du GED, le groupe d’évaluation départemental de la radicalisation, ce qui permettra de renforcer la connaissance du PNAT sur les phénomènes de radicalisation et, donc, d’anticiper et de mieux réagir face aux risques de passage à l’acte, notamment en cas d’infractions d’association de malfaiteurs terroristes.
Nous instituons là, me semble-t-il, un mécanisme à la fois puissant, souple et adapté à la réalité de la menace terroriste.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la garde des sceaux, je veux vous dire que je ne suis pas d’accord avec vous et vous expliquer pourquoi.
Le procureur de la République de Paris et les membres du parquet de Paris ont-ils failli dans leurs missions ? La réponse est non, vous me l’accorderez volontiers.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Aussi, dites-vous, c’est l’aggravation de la menace terroriste qui justifie une nouvelle forme d’organisation du ministère public pour y faire face. Pensez-vous réellement que la menace terroriste effective est plus forte à la fin de l’année 2018 qu’elle ne l’était en 2015 et en 2016 avec tous ces morts, qui ont été les victimes innocentes du terrorisme et de cette barbarie du djihadisme sur notre territoire national ?
Je vous le dis, sans doute la menace terroriste est-elle toujours aussi forte, mais je ne vois pas en quoi vous avez démontré qu’une aggravation de la menace terroriste justifiait un changement profond dans l’organisation du ministère public dans la lutte contre le terrorisme.
Vous pourriez, laissant de côté cette problématique, nous dire que vous voulez consacrer des moyens supplémentaires à l’action du ministère public dans la lutte contre le terrorisme et que vous voulez aussi une meilleure organisation. Examinons ces deux points.
Où sont les moyens supplémentaires ? Nous ne vous avons pas entendue nous expliquer que vous alliez mobiliser des effectifs supplémentaires de magistrats du parquet dédiés à la lutte contre le terrorisme. Mais peut-être allez-vous le faire à la suite de la demande que je vous présente maintenant… Ces moyens seront-ils massifs pour permettre au parquet national antiterroriste de pouvoir voler de ses propres ailes, sans avoir régulièrement recours aux éléments supplétifs du ministère public de Paris ? Vous êtes tellement peu assurée que ce parquet national antiterroriste pourra agir seul, fort de ses propres moyens, que vous mettez en œuvre un dispositif d’organisation assez singulier consistant pour le procureur national antiterroriste à aller, dites-vous avec pudeur, non pas choisir, mais prendre – je ne saisis pas bien la nuance –…