M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Début septembre, le ministre de l’intérieur ne ménageait pas ses critiques envers le chef de l’État. Quinze jours plus tard, il annonçait sa candidature à la mairie de Lyon, passant par pertes et profits son discours sur le nécessaire renouvellement de la classe politique. Puis l’on apprenait qu’il avait présenté sa démission au Président de la République, laquelle avait été aussitôt refusée. Rebondissement aujourd’hui : on apprend qu’il maintient sa démission…
Un épisode comme celui-là, mettant en scène le Président de la République et l’un de ses ministres d’État, est inédit : nous vivons un grand moment politique ! (M. Jackie Pierre s’exclame.) Alors que l’insécurité en France atteint un niveau de moins en moins supportable pour la population, le Président de la République et le ministre de l’intérieur nous jouent une pièce de théâtre de boulevard : on sort par une porte, on entre par une autre, et le suspense sur l’issue du spectacle demeure…
Lorsqu’on est élu, lorsqu’on est ministre de l’intérieur, on ne peut bien faire son travail que si l’on s’y consacre à 100 % ! Tous les élus s’engagent, et le ministre de l’intérieur se désengage…
Comment pouvez-vous penser faire croire que le ministre de l’intérieur, après ses démêlés avec le Président de la République, est en mesure d’exercer pleinement ses fonctions ? Avez-vous conscience, monsieur le Premier ministre, que les Français ne veulent plus de ces mises en scène, mais qu’ils attendent de la sincérité et des résultats ?
Monsieur le Premier ministre, M. Collomb va-t-il oui ou non quitter le ministère de l’intérieur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Vives exclamations.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je vous remercie de cet accueil, mesdames, messieurs les sénateurs. (Sourires.)
Vous posez, madame la sénatrice, la question de la sécurité des Français. (Marques d’ironie.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Non !
M. Claude Bérit-Débat. « Ce n’était pas la question, mais c’est ma réponse » ! (Sourires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Depuis ma nomination, le 15 mai 2017, la première priorité de ce gouvernement a toujours été la sécurité des Français. C’est ce qui explique nos choix en matière de réorganisation des services de renseignement, de coordination de l’action de ces services et d’augmentation des moyens budgétaires, matériels et humains mis à la disposition du ministère de l’intérieur. Ce sont là des faits vérifiables, essentiels pour que nos concitoyens aient la certitude que nous mettons en œuvre une politique destinée à garantir leur sécurité.
Ce matin même, une opération de toute évidence préparée depuis quelque temps a été menée, là encore avec le souci constant de protéger nos concitoyens.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas la question !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous m’interrogez sur la concentration qui doit être celle d’un ministre de l’intérieur, ce qui vaut aussi, d’ailleurs, pour tous les membres d’un gouvernement.
Je partage parfaitement votre opinion, madame la sénatrice : oui, les ministres doivent se consacrer pleinement à leur tâche. C’est la raison pour laquelle aucun des membres du gouvernement que j’ai l’honneur de conduire ne dirige un exécutif local.
Mme Laurence Rossignol. Ils y pensent très fort !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous reconnaîtrez avec moi que cela n’a pas toujours été le cas lors des deux quinquennats précédents… (Mme Sophie Primas s’exclame.)
L’implication et la concentration d’un ministre qui sert le Gouvernement, son pays et ses concitoyens doivent être entières. C’est d’ailleurs ce qu’a dit Gérard Collomb voilà deux semaines, considérant qu’il devrait quitter le Gouvernement lorsqu’il serait en campagne. Reconnaissez, madame la sénatrice, que cette attitude n’a pas toujours été celle de responsables ministériels qui étaient par ailleurs candidats à des élections. (M. André Gattolin applaudit. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Je me contente, sans aucun esprit polémique,…
Un sénateur du groupe Les Républicains. Aucun, en effet… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … de pointer cette différence.
Vous avez également évoqué des articles de presse parus ce jour et hier soir, madame la sénatrice.
Sur ce point, ma réponse sera d’une parfaite clarté. Aux termes de l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre dirige toute l’action du Gouvernement. Jamais je ne laisserai le début du commencement d’une hésitation pointer à ce sujet.
Aux termes de l’article 8, il lui revient de proposer au Président de la République la nomination ou la fin de fonctions des membres du Gouvernement.
Je prendrai donc mes responsabilités et j’aurai l’occasion de faire au Président de la République les propositions que les dispositions constitutionnelles prévoient et réservent au Premier ministre ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. François Grosdidier. Le plus tôt sera le mieux !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour la réplique, en quelques secondes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le Premier ministre, ma question était très claire : M. Collomb va-t-il rester au Gouvernement ? Vous n’y avez évidemment pas répondu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
clause de conscience ivg
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bernard Jomier. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, récemment, le président d’un syndicat de gynécologues-obstétriciens a provoqué une polémique sur l’IVG et la clause de conscience.
Il doit être clair pour tout le monde que personne ne souhaite contraindre un médecin à effectuer quelque acte que ce soit. C’est un principe général qui est garanti par l’article 47 du code de déontologie médicale.
Mais nous ne pouvons plus accepter les remises en cause répétées d’un droit fondamental pour les femmes. Or le caractère superfétatoire de cette clause spécifique apparaît comme une stigmatisation du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse.
Ce droit peine en outre à être effectif, 5 000 femmes se rendant encore chaque année à l’étranger pour une IVG.
Cette double clause apparaît comme une double peine pour ces femmes. C’est la raison pour laquelle, sous l’impulsion de Laurence Rossignol, nous proposons son abrogation.
Madame la ministre, allez-vous enfin supprimer cette clause superfétatoire ? Surtout, quelles dispositions allez-vous prendre pour rendre effectif le droit à l’interruption volontaire de grossesse, par exemple en développant la place des sages-femmes et des médecins généralistes dans la pratique des IVG médicamenteuses comme instrumentales.
Il s’agit, là encore, de garantir un droit que la loi reconnaît à toutes les femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Jomier, tout d’abord, j’ai condamné avec une très grande virulence les propos du président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens, tenus dans le cadre de ses responsabilités syndicales.
Nul ne doute évidemment de ma volonté de faciliter l’accès à l’IVG pour toutes les femmes qui le souhaitent.
Je relève toutefois quelques erreurs dans vos propos, monsieur le sénateur. D’abord, les femmes qui se rendent aujourd’hui à l’étranger pour pratiquer l’IVG le font généralement parce qu’elles ne sont plus dans les délais légaux français.
Par ailleurs, depuis dix ans, le nombre d’IVG réalisées en France est totalement stable. Il n’y a donc pas de difficulté pour recourir à l’IVG, et l’on pourrait même souhaiter que ce nombre diminue, car ce serait le signe d’un accès facilité à la pilule du lendemain et à la contraception.
Cela relève aussi de ma responsabilité de ministre de la santé, et c’est pourquoi j’ai créé une consultation gratuite de prévention autour de la santé sexuelle pour les jeunes filles et, désormais, les jeunes garçons de 17 ans – la mesure est inscrite dans le PLFSS.
M. Didier Guillaume. Très bien !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Selon vous, la difficulté d’accès en France justifierait que l’on supprime cette clause de conscience. Aujourd’hui, seul l’hôpital de Bailleul a connu des difficultés en raison de l’application de la clause de conscience. Nous avons trouvé immédiatement une solution et j’ai demandé à mes services de réfléchir à un moyen d’évaluer les difficultés d’accès potentiel qui pourraient survenir dans certains établissements. Ce travail est en cours avec les agences régionales de santé.
Vous pouvez compter sur mon plein et entier engagement en faveur de l’accès des femmes à l’IVG.
Par ailleurs, comme vous l’avez souligné, nul ne peut imposer un acte médical à un médecin lorsque celui-ci n’est pas vital, ce qui est le cas de l’IVG.
La clause de conscience protège aussi les femmes d’une discussion compliquée avec les médecins et sa suppression pourrait aboutir à ce que l’acte soit parfois pratiqué dans de mauvaises conditions de bienveillance, ce que nous ne souhaitons pas pour des femmes qui se trouvent en grande souffrance à ces moments-là. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour la réplique.
M. Bernard Jomier. Madame la ministre, aucun droit sociétal ne devrait être limité par une clause spécifique.
Vous allez bientôt porter une loi sur l’extension de la PMA à toutes les femmes. Si vous maintenez cette clause pour l’IVG, comment l’empêcherez-vous pour la PMA, comment ferez-vous alors pour que l’on n’avance pas à reculons ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
fiscalité
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement pratique un véritable matraquage à l’encontre des personnes âgées.
Il a déjà augmenté de 3 % la CSG payée par les retraités, il met en cause la pension de réversion des veuves et il va maintenant geler le niveau des retraites, ce qui entraînera, au fil de l’inflation, une perte considérable de pouvoir d’achat.
Le président Macron prétend que les retraités sont des privilégiés. Il oublie que beaucoup de retraités ont commencé à travailler à 14 ans, qu’ils ont travaillé 40 heures par semaine, et qu’ils n’avaient que trois, puis quatre semaines de congés payés.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Heureusement qu’il y a eu la gauche !
M. Jean Louis Masson. Au contraire, les actifs d’aujourd’hui bénéficient du travail des générations précédentes. Ils ne commencent à travailler que très tard, ils font 35 heures par semaine, et ils ont cinq semaines de congés payés.
Il faut donc être de mauvaise foi pour prétendre que les retraités vivent aux crochets des actifs.
Les retraites ne sont pas des aides sociales ; elles sont le produit de cotisations versées tout au long d’une vie de travail.
Face aux difficultés budgétaires que chacun connaît, il faut d’abord éviter de creuser les déficits par des mesures démagogiques telles que la suppression de la taxe d’habitation ou la baisse de moitié du prix du permis de chasse.
Les retraités n’ont pas à servir de bouc émissaire pour boucher les trous.
L’Allemagne, monsieur le ministre, vient d’augmenter les retraites de 3,4 %. N’est-il pas honteux que la France fasse exactement le contraire, en laminant le pouvoir d’achat des retraités ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, je voudrais commencer par contester la philosophie qui sous-tend l’une de vos affirmations.
Vous avez présenté les retraites comme un droit acquis à la suite de cotisations. C’est en effet l’acception la plus courante. En réalité, nous savons tous que le système de répartition conduit les générations actuelles à cotiser pour financer les retraites de celles et ceux qui ont fait valoir leurs droits, de la même manière que les retraités d’aujourd’hui avaient financé les pensions servies à leurs aînés.
C’est justement parce que nous avons le souci de préserver dans le temps l’équilibre financier des régimes de retraite que nous veillons à mieux valoriser le travail et que nous avons sollicité un effort des retraités, via une augmentation de la CSG de 1,7 point.
En outre, contrairement à vos affirmations, les pensions de retraite ne sont pas gelées. Elles seront revalorisées de 0,3 %, ce qui correspond pratiquement à la moyenne de la période précédente – 0,4 %.
Comme l’ont souligné Agnès Buzyn et le Premier ministre, aucune menace ne pèse sur les pensions de réversion. Nous travaillons à une réforme des retraites que nous voulons équilibrée, durable et assurant une juste pension à celles et ceux qui font valoir leurs droits. Mais nous ne voulons pas remettre en cause cette architecture et toutes celles et tous ceux qui bénéficient aujourd’hui d’une pension de réversion continueront à en bénéficier sans aucun changement.
Je rappelle également que, même si vous ne partagez pas la réforme que nous avons annoncée, la diminution de la taxe d’habitation dès cette année compensera l’essentiel de l’augmentation de la CSG pour la plupart des retraités.
Enfin, nous avons veillé à ce que les retraités les plus fragiles soient mieux accompagnés, en augmentant de 35 euros au mois d’avril l’allocation de solidarité pour les personnes âgées, que l’on appelle parfois « le minimum vieillesse ». La même hausse sera appliquée en avril prochain et en 2020 afin que, sur trois ans, le minimum vieillesse, pour reprendre cette expression, soit revalorisé de 100 euros. (MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique, en vingt secondes.
M. Jean Louis Masson. Vos explications sont de la poudre aux yeux !
Je vais vous donner un exemple de mensonges que vous venez d’émettre. Vous avez dit qu’en bloquant les retraites, on ne diminue pas le montant touché par les retraités. Or, vous le savez bien, un franc courant n’est pas un franc constant et, si l’on n’actualise pas le montant des pensions en tenant compte de l’inflation, c’est une baisse des retraites ! C’est donc un mensonge que vous venez de formuler ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean Louis Masson. Je conclus. Une étude économique vient de montrer qu’avec toutes ces mesures ciblées contre les personnes âgées, huit retraités sur dix vont perdre en moyenne 700 euros sur deux ans.
M. le président. Concluez !
M. Jean Louis Masson. Donc, ne venez pas dire que vous défendez les retraités, monsieur le secrétaire d’État !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 11 octobre prochain, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Comités de protection des personnes
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes (proposition n° 489 [2017-2018], texte de la commission n° 725 [2017-2018], rapport n° 724 [2017-2018]).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes
Article unique
(Conforme)
À la première phrase du premier alinéa du I de l’article L. 1123-6 du code de la santé publique, après le mot : « aléatoire », sont insérés les mots : « parmi les comités disponibles et disposant de la compétence nécessaire à l’examen du projet, ».
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission, pour sept minutes, et enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui est soumise au vote aujourd’hui répond à un enjeu important pour les promoteurs de recherche impliquant la personne humaine, puisqu’elle vise à renforcer l’efficacité du tirage au sort des comités de protection des personnes, les CPP.
Ce texte, auquel le Gouvernement, par la voix de Mme la ministre des solidarités et de la santé, était favorable à l’Assemblée nationale en première lecture, contribue à l’une des priorités du Gouvernement : maintenir et renforcer l’attractivité de la France en matière de recherche impliquant la personne humaine tout en assurant la sécurité des personnes qui s’y prêtent.
Cette mesure était également préconisée par le rapport sur les médicaments innovants, porté par les sénateurs Yves Daudigny, Catherine Deroche et Véronique Guillotin, que je veux ici remercier.
Notre pays figure parmi les trois États européens les plus attractifs en matière de recherche, aux côtés de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Toutefois, depuis quelques années, les chiffres témoignent que nous accusons un retard pour les essais cliniques de phase 1, ceux qui correspondent le plus souvent à la première administration d’un médicament à l’homme.
Aujourd’hui, nous devons non seulement rattraper ce retard pour tenir notre rang, mais aller au-delà, car notre pays a les capacités d’être un leader mondial de la recherche clinique.
À l’occasion du 8e Conseil stratégique des industries de santé, le CSIS, qui s’est tenu en juillet dernier, le Premier ministre a souhaité que le renforcement de l’attractivité de la recherche française soit l’un des axes prioritaires.
L’objectif est de faire de la France, à 5 ans, le premier pays européen en recherche clinique.
Lors de son discours, le Premier ministre a bien noté que, ces dernières années, l’allongement des délais d’autorisation a entravé l’essor des essais cliniques, ce dont tout le monde pâtit : la recherche, les patients et l’industrie.
Aussi, il a annoncé vouloir réduire drastiquement les délais, en les abaissant dès 2019 à 45 jours pour l’Agence nationale de sécurité du médicament, et à 60 jours pour les comités de protection des personnes.
Atteindre cet objectif suppose la mobilisation de chacun.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, a d’ores et déjà adapté son organisation en mettant en place une phase pilote de fonctionnement selon les exigences du règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments.
Mais les promoteurs, les comités de protection des personnes, ou CPP, dont il est question aujourd’hui, doivent également se mobiliser.
La proposition de loi, qui a recueilli un accueil favorable de votre part lors de son examen en commission, apporte une solution à un point de cristallisation de la mise en œuvre, en novembre 2016, de la réforme des recherches impliquant la personne humaine : le dispositif d’attribution purement aléatoire par un système d’information du dossier de recherche à un CPP.
Comme l’a déjà souligné Agnès Buzyn, ce texte permet de maintenir l’exigence de déontologie forte qui était légitimement voulue lors de la mise en place de ce tirage au sort, à savoir l’absence de tout conflit d’intérêts. Aussi, il s’agit bien d’améliorer le tirage au sort, mais certainement pas de le remettre en cause par un mécanisme qui reviendrait à une spécialisation des CPP.
Cette proposition de loi répond en même temps à la volonté des personnes malades et des professionnels de santé d’accéder dans les meilleurs délais, lorsque cela est possible, à des traitements innovants.
Les travaux à l’Assemblée nationale ont ainsi conduit à ajouter de nouveaux critères afin de rendre le tirage au sort plus efficace.
Le critère de disponibilité permettra de réguler plus finement l’attribution des dossiers et leur examen dans les délais prévus par la réglementation. Ce critère permettra de prévoir un nombre de dossiers traités par les CPP, afin d’éviter l’engorgement des comités, de lisser leur activité et donc d’éviter un retard dans l’examen des dossiers.
Le critère de compétence, quant à lui, permettra de résoudre la question du défaut d’expertise de certains CPP pour l’examen de projets de recherche sur des thèmes particuliers.
Les études avaient ainsi montré que des CPP rencontraient des difficultés à recourir à certaines expertises, les conduisant parfois à rendre des avis très au-delà des délais réglementaires.
Le critère de compétence permettra à des CPP, compte tenu de leur composition et de leur capacité à recourir à l’expertise, de déclarer eux-mêmes, de façon transitoire, ne pas être en mesure d’évaluer certains types de dossiers.
L’ensemble des CPP gardera bien une compétence générale pour donner un avis sur l’ensemble des dossiers de recherche. Cela ne ralentira pas les processus d’instruction, bien au contraire.
Ces deux critères de « disponibilité » et de « compétence » contribueront à rendre plus efficient le tirage au sort. Ils sont à la fois nécessaires et suffisants pour répondre à l’enjeu de diminution drastique des délais d’autorisation des essais cliniques, dont chaque acteur pâtit, en premier lieu les patients.
Cette proposition de loi intervient alors même qu’un ensemble d’actions visant à l’amélioration du fonctionnement des CPP est mis en œuvre.
En effet, le Gouvernement s’est engagé à améliorer les conditions d’exercice des CPP. Nous travaillons par ailleurs à la clarification de l’environnement réglementaire et à la qualification des recherches, ainsi que sur une grille commune d’évaluation des dossiers.
Enfin, cette proposition de loi s’inscrit dans un cadre réglementaire européen en transition : les règlements européens portant sur les essais cliniques de médicaments et sur les dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro entreront en vigueur respectivement en 2020 et en 2022.
Or, dans ce cadre, un CPP qui ne répondrait pas dans les délais prévus par ces règlements rendrait par défaut un avis favorable. Chacun pourra convenir que cela serait préjudiciable à la sécurité des personnes se prêtant volontairement aux essais cliniques.
Aussi, il est indispensable de permettre aux CPP de rendre des avis de qualité dans les délais. C’est l’objectif de cette proposition de loi.
Le Gouvernement se réjouit de la perspective de voir les deux chambres parvenir à un accord dès la première lecture.
Et nous poursuivrons ensemble le travail pour renforcer la recherche clinique française !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Sol, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a adopté le 25 septembre, en procédure de législation en commission, la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes.
Dans un contexte où la concurrence internationale s’intensifie en matière d’implantation des essais cliniques, c’est le rang de la France dans la recherche clinique mondiale qui est en jeu. Si notre pays continue de faire partie des cinq pays accueillant le plus d’essais cliniques avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Canada, l’Espagne et la Belgique commencent à tirer leur épingle du jeu.
Ce n’est toutefois pas par le seul prisme de l’attractivité que nous devons examiner les conditions d’évaluation scientifique et éthique des projets de recherche dans notre pays. La sécurité des volontaires doit demeurer notre première préoccupation, à l’heure où les esprits sont encore marqués par le souvenir de l’affaire Biotrial de 2016. L’indépendance et la pluridisciplinarité de l’évaluation éthique constituent l’ADN des CPP et c’est dans cette logique que notre commission a été à l’origine de l’introduction, dans la loi Jardé, du principe du tirage au sort des CPP.
Le tirage au sort a-t-il allongé les délais d’examen des projets de recherche par les CPP ? Toutes les enquêtes recensées concluent à des délais moyens supérieurs à l’objectif de délai maximal de 60 jours, oscillant entre 70 et 85 jours. En réalité, le tirage au sort a mis en lumière des inégalités entre nos trente-neuf CPP, qui préexistaient à ce mode de désignation.
D’une part, certains CPP n’étaient pas préparés à traiter un flux continu de dossiers et ont dû ajuster leur mode d’organisation à moyens constants. D’autre part, plusieurs CPP rencontrent de véritables difficultés à mobiliser des spécialistes susceptibles d’éclairer le comité dans le domaine de recherche concerné. En 2017, trois CPP ne parvenaient pas à recruter de pédiatres, sept des experts d’essais de phase 1 et onze des experts en radioprotection. L’oncologie, l’oncohématologie, la virologie et l’ophtalmologie constituent d’autres spécialités pour lesquelles des CPP peinent à mobiliser des experts.
Or, à partir de 2020 pour les essais cliniques de médicaments et 2022 pour les essais cliniques de dispositifs médicaux, le silence gardé au-delà des délais réglementaires vaudra accord, et non plus rejet. Il est parfaitement inconcevable que des projets de recherche puissent être entrepris sans validation éthique explicite. Il est d’ailleurs peu probable que les promoteurs s’y aventurent. On peut imaginer qu’ils se reporteront alors sur des pays plus réactifs que nous pour y organiser leurs essais.
Il y va de l’accès des patients aux thérapies innovantes : les essais cliniques suscitent un fort espoir chez des malades qui, après l’échec des thérapies traditionnelles, demeurent en attente d’un nouveau traitement, en particulier en oncologie et en oncohématologie, domaines dans lesquels se concentrent les essais de phase 1 en France. C’est pourquoi nos collègues Catherine Deroche, Véronique Guillotin et Yves Daudigny, dans leur rapport d’information sur l’accès précoce aux médicaments innovants, ont appelé au pragmatisme : ils ont préconisé une modulation du tirage au sort selon la compétence afin d’attribuer un dossier de recherche à un CPP capable de mobiliser des experts dans le domaine concerné.
La présente proposition de loi permet précisément de mettre en œuvre cette recommandation, en modulant le tirage au sort des CPP selon leur disponibilité et leur compétence. L’attribution des dossiers de recherche tiendrait ainsi compte de la charge de travail du CPP et de sa capacité à mobiliser, en interne ou en externe, un spécialiste pertinent pour l’analyse du projet concerné.
Au cours de l’examen de la proposition de loi en commission, Mme la ministre des solidarités et de la santé a confirmé que le critère de compétence serait apprécié souverainement par le CPP et que le système serait suffisamment évolutif pour tenir compte des nouvelles ressources en expertise identifiées par les CPP.
À cet égard, nous plaidons pour la mise en place progressive par la commission nationale de la recherche impliquant la personne humaine d’un réseau national d’experts rapidement mobilisables et pour le déploiement d’un vaste programme de formation des membres de CPP et de leur secrétariat. L’objectif est que plus aucun CPP n’ait, à terme, à se déclarer incompétent sur une spécialité.
Enfin, j’insiste sur l’impératif de prévention des conflits d’intérêts dans l’examen éthique des projets de recherche. Outre le tirage au sort et les déclarations publiques de liens d’intérêts auxquelles sont astreints les membres et experts des CPP, le fonctionnement collégial d’un comité, qui comporte des représentants tant du milieu médical que de la société civile, constitue une garantie puissante d’indépendance.
Mes chers collègues, pour l’ensemble de ces raisons, notre commission a adopté sans modification la proposition de loi. J’invite donc le Sénat à adopter ce texte afin de permettre son application dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi qu’au banc des commissions.)