M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, en tant qu’élu de République, mais aussi en tant que citoyen, j’ai toujours été attentif, comme la majorité d’entre vous, à tous les débats autour des sujets de bioéthique.
Au lendemain de la présentation du rapport des états généraux de la bioéthique, qui se sont tenus de janvier à mai, nous sentons bien que ces sujets sont au cœur de l’actualité. Un grand quotidien national en a fait d’ailleurs sa une.
De nombreux clivages existent dans notre société sur des problématiques telles que la fin de vie ou l’assistance médicale à la procréation et ils sont loin d’être tranchés. Espérons, comme l’a dit notre collègue, que nous pourrons en discuter avec raison et sans trop de passion dans quelques mois.
La commission des affaires sociales s’est réunie le mercredi 30 mai pour examiner la proposition de loi déposée par notre collègue Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, visant à autoriser les analyses génétiques sur personne décédée.
Je ne vous cache pas, mes chers collègues, que je n’ai pas tout de suite mesuré la portée de ce texte. C’est en commission, après avoir écouté attentivement les débats, Mme la rapporteur, Mme la ministre, dont les explications ont été très claires, que j’ai compris que cette proposition de loi portait une véritable évolution. J’en félicite sincèrement son auteur – même si je n’ai pas attendu ce moment pour avoir de l’estime pour le président de la commission des affaires sociales.
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. Olivier Henno. Le rôle du législateur, effectivement, n’est pas d’entraver la société ; il doit être capable d’en comprendre les changements et les mutations pour accompagner le progrès et l’encadrer. Tel est l’objet de ce texte : permettre à chacun de disposer d’une meilleure information médicale concernant une personne décédée, tout en respectant naturellement la volonté de la famille et les prescriptions médicales des médecins.
Ce projet de loi donne à la prévention, à terme, une place renforcée. Cette évolution est une chance à saisir. Le présent texte sera peut-être, d’ailleurs, le premier d’une longue série. Les nombreuses évolutions scientifiques et, plus particulièrement, les avancées de la médecine changeront notre rapport au monde et au corps humain ; ce sera notre rôle de parlementaires d’accompagner ce changement.
Lors de son audition au Sénat, Mme Anne Courrèges, directrice de l’Agence de la biomédecine, nous a déclaré, avec un brillant sens de la formule : « En biologie, ce qui était de la science-fiction il y a sept ans est aujourd’hui de la science. »
J’ai été marqué par cette formule, par laquelle je tiens à conclure mon propos, car elle doit nous permettre de bien comprendre l’ampleur des enjeux qui s’ouvrent à nous depuis quelques années et qui animeront de nombreux débats à venir dans cet hémicycle.
Madame la ministre, en commission, puis il y a quelques instants, en séance, nous avons bien noté votre accord sur le fond, vos réserves sur la forme (Mme la ministre le confirme.) et surtout les avis de sagesse que vous avez donnés mercredi dernier sur les amendements de notre rapporteur ainsi que sur l’ensemble du texte.
Après avoir entendu ces différents avis, la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée. C’est la raison pour laquelle je voterai ce texte avec l’ensemble de mes collègues membres du groupe Union Centriste et, bien sûr, dans le respect des consciences de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, chers collègues, tout d’abord, je tiens à saluer l’idée défendue par Alain Milon à travers cette proposition de loi. Il s’agit là d’un objet concret et nécessaire, et il a fait œuvre utile en déposant le présent texte.
De même, je salue le travail accompli par notre rapporteur, Catherine Deroche : il a permis de réunir l’ensemble des membres de la commission en un vote favorable.
L’enjeu est simple, et il est établi par l’Agence de la biomédecine depuis plusieurs années : le cadre législatif en vigueur pour les analyses génétiques à but médical n’a été pensé que dans le cas où la personne analysée est l’unique bénéficiaire des résultats de cet examen et des démarches médicales qui peuvent en découler. Est ainsi exclu le cas où la pathologie n’est pas détectée du vivant de la personne.
Dès lors, des familles subissant un décès en leur sein sont privées d’informations d’ordre génétique qui permettraient non seulement d’apporter des éléments complémentaires quant à la cause du décès, mais aussi et surtout d’engager des démarches de surveillance et de prévention auprès de proches potentiellement porteurs du gène en question.
Nous nous souvenons tous ici des débats relatifs aux analyses génétiques, qui avaient animé les deux chambres du Parlement en 2004, lors de la révision des lois de bioéthique.
Ces discussions avaient été profondément marquées par l’émoi suscité par l’affaire Yves Montand, et elles avaient conduit à ce que l’alinéa de l’article 16-10 du code civil relatif aux affaires de filiation protège de l’exhumation toute personne n’ayant pas expressément consenti à des analyses génétiques de son vivant.
La société tout entière avait ainsi pris acte du fait que, dans les affaires de filiation, « la génétique devait s’arrêter à la porte des cimetières », selon l’expression alors employée par Jean-François Mattei.
Toutefois, force est de constater que, si la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre vote a bien trait à la génétique et au respect de la personne défunte, en aucun cas elle ne remet en cause les grands principes posés par nos lois de bioéthique.
Tout d’abord, l’autorisation d’analyses génétiques post mortem n’est possible qu’à des fins de santé publique : est ainsi protégé le cadre que j’évoquais précédemment en matière de filiation.
À cet égard, le présent texte ajoute dans la loi le cas où l’intérêt direct des analyses pour la santé n’est plus seulement celui de la personne analysée, puisqu’en l’occurrence elle est décédée, mais bien l’intérêt de ses ascendants, descendants et collatéraux.
Par ailleurs, la volonté du défunt est entièrement respectée, puisque la personne reste libre d’exprimer son refus de son vivant.
Madame la rapporteur, je salue également votre choix de n’autoriser ces examens qu’à partir d’éléments du corps prélevés préalablement au décès ou dans le cadre d’une autopsie réalisée immédiatement après celui-ci. Votre décision présente le double avantage de couvrir la grande majorité, et même la quasi-totalité des situations, tout en évitant des dérives potentielles. (M. le président de la commission le confirme.) L’intégrité du corps du défunt est bien respectée.
Pour ce qui concerne les personnes de la famille qui peuvent demander que l’on procède à ces analyses, je tiens à rappeler un point de vigilance quant aux termes, utilisés dans la proposition de loi, de « membres de la famille potentiellement concernés ».
À mes yeux, cette rédaction ne respecte pas nécessairement les critères de rigueur scientifique et de précision juridique. Il m’aurait semblé plus prudent de préciser qu’il s’agit des membres potentiellement concernés sur le plan génétique, c’est-à-dire envers qui des démarches médicales peuvent être engagées.
Toutefois, madame la rapporteur, je sais que vous avez entendu et pris en compte ces inquiétudes, et je vous en remercie.
Je conclus par un aspect très important de ce texte : l’information des personnes potentiellement concernées sur le plan médical.
Vous avez pris grand soin, d’une part, de préciser davantage encore les modalités de transmission de ces informations, qui peuvent être extrêmement lourdes de conséquences, notamment sur le plan psychologique, et, d’autre part, de consacrer le respect au droit à la non-information dont disposent les apparentés du défunt : on peut vouloir ne pas savoir si l’on est porteur d’anomalies génétiques ayant des conséquences sur la santé.
Mes chers collègues, ce texte répond à une forte demande de la part des professionnels concernés et des familles, et il s’inscrit dans la continuité des progrès techniques accomplis dans le domaine de la génétique à but médical.
En outre, pour les raisons que j’ai précédemment évoquées, il corrige ce qui, à mon sens, s’apparente davantage à un impensé de la part du législateur qu’à un souhait délibéré, pour des situations qui se présentent de manière très ponctuelle. Il comble une lacune sans toucher en rien l’édifice forgé par nos lois de bioéthique.
Madame la ministre, je vous donne acte de la cohérence de votre position : vous souhaitez joindre l’étude de ce texte à la révision des lois de bioéthique. Mais je relève que ce travail s’achèvera dans un délai relativement long, a priori en 2019. Or, nous l’avons vu, la modification dont il s’agit ne touche pas aux principes de nos lois de bioéthique et, disons-le clairement dans cette enceinte, elle porte sur des examens qui sont parfois déjà pratiqués sans filet par les professionnels concernés. Il est donc souhaitable de remédier au plus vite à cette situation, qui n’est ni positive ni heureuse pour qui que ce soit ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, ce texte traduit, parmi bien d’autres, l’évolution de notre société contemporaine, en matière de science comme de mœurs.
En effet, la génétique nous permet aujourd’hui d’analyser les caractères héréditaires familiaux prédisposant à la survenue de pathologies pour les descendants. Il s’agit de prévenir pour lutter contre les maladies aux caractères génétiquement transmissibles ; je pense non seulement au cancer, qui mine notre société, mais aussi à d’autres maladies, notamment dans le cadre du développement de la neurogénétique, de la cardiogénétique et de bien d’autres disciplines.
L’état actuel de la technologie et les progrès de la science nécessitent une évolution législative, afin de mettre en adéquation ces progrès humains avec la réglementation en vigueur. C’est là une attention parfaitement légitime.
La loi subordonne actuellement au consentement du patient les analyses génétiques post mortem, même lorsque celles-ci sont demandées par les descendants. Faute de ce consentement, ces analyses sont impossibles.
Il convient donc de faire évoluer la loi et de la rendre compatible avec la pratique de ce qu’il est convenu d’appeler une médecine de précision. Le but est, naturellement, de recueillir des informations utiles aux descendants du défunt, notamment pour un éventuel traitement médical. Dans certains cas, ces analyses sont nécessaires, voire indispensables, pour établir les diagnostics les plus pertinents et, par là même, prescrire les traitements les plus appropriés.
Grâce à ce dépistage précoce de la maladie, les oncogénéticiens pourront mieux informer les membres de la famille du défunt quant aux risques encourus et préconiser la meilleure surveillance médicale. Je suis donc persuadé de son bien-fondé, et je le suis d’autant plus que ce texte ne porte pas atteinte, selon moi, à la dignité de la personne humaine ou au respect de la vie privée.
Cette proposition de loi, présentée par M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et modifiée par Mme Catherine Deroche en tant que rapporteur, est indispensable pour préserver au mieux la santé des descendants. Elle est pragmatique et utile pour les familles. Voilà pourquoi, comme l’ensemble des élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires, je suis favorable à l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement satisfait de présenter cette proposition de loi, qui a recueilli un grand nombre de soutiens de la part de nos collègues ; je tiens à les remercier très sincèrement.
Je remercie aussi tout particulièrement notre collègue Catherine Deroche, qui, en sa qualité de rapporteur, a accompli un travail remarquable : ainsi, elle a contribué à améliorer considérablement le texte initial.
Après l’auteur et la rapporteur, permettez-moi également d’avoir une pensée amicale pour la mère et le père de cette proposition de loi, Dominique Stoppa-Lyonnet et Paul Gesta.
Je me réjouis évidemment que cette proposition de loi ait été adoptée à l’unanimité des membres de la commission des affaires sociales.
À certains égards, nous pourrions regretter que ce sujet n’ait pas été abordé par les organisateurs des états généraux de la bioéthique. Toutefois, je dois avouer, à titre personnel, que cet oubli me paraît plus positif que fâcheux.
En effet, dans le rapport de synthèse remis hier, après plusieurs mois de travaux, figurent, parmi les neuf thématiques abordées, divers points qui soulèvent des polémiques – Michel Amiel en a parlé – pour des raisons plus philosophiques, religieuses ou politiques que purement scientifiques.
Ces points de tension susciteront des débats qui auraient obéré l’avancée significative que permet notre proposition de loi. Or la sérénité permet d’être plus efficient. J’ose simplement espérer que ce texte fera rapidement partie de notre droit positif : ce serait là une avancée majeure, accomplie sans bruit ni effusion.
Aujourd’hui, grâce à la recherche médicale, nous savons que 5 % des cancers surviennent chez des personnes présentant une prédisposition héréditaire. Ces tumeurs se développent souvent à des âges plus précoces, avant cinquante ans, et concernent plusieurs membres d’une famille.
Si, dans une même famille, plusieurs personnes de la même branche, paternelle ou maternelle, ont été affectées par un cancer, une consultation oncogénétique est conseillée. Le but d’une telle consultation est donc d’évaluer s’il existe, dans une famille, un risque particulier de tumeur, ou si ce dernier peut être évité et expliqué par une prédisposition héréditaire.
Dès lors, il s’agit d’identifier les altérations génétiques héritées, qui peuvent induire un risque plus élevé de développer un cancer. Les progrès de la génétique permettent d’analyser les transmissions des caractères héréditaires prédisposant à la survenue de pathologies, notamment de cancers.
À ce titre, il est parfois nécessaire de remonter le cours de l’histoire familiale, afin de conseiller les apparentés vivants : en pareil cas, il est nécessaire de recourir à des analyses sur des personnes décédées, afin d’obtenir des informations pouvant être utiles à la famille.
Depuis plusieurs années, des analyses sont faites par prises de sang chez des patients ayant un risque élevé d’être porteurs d’une anomalie prédisposante. Ces prélèvements sont conservés longtemps, même si le patient est décédé.
Il apparaît ainsi que les évolutions technologiques et les progrès scientifiques nécessitent une évolution législative : il convient de mettre en adéquation ces progrès et la réglementation.
Les avancées en question concernent différents secteurs de la génétique, à l’instar de la cardiogénétique ou de la neurogénétique. On peut ainsi envisager tout un champ des possibles, qu’il s’agisse de la prévention ou de la prise en charge anticipée des patients. Les probabilités de guérison s’en trouveront ipso facto renforcées. Sans doute pourra-t-on également développer des traitements moins contraignants.
La loi actuelle impose le consentement du patient. Or, en l’espèce, ce consentement est par définition impossible à obtenir.
Chacun l’a compris, cette proposition de loi ne tend évidemment pas à porter atteinte à la dignité de la personne ni à attenter au respect de la vie privée. Au contraire, avant que l’on ne connaisse le résultat du diagnostic génétique, ou en l’absence d’un tel diagnostic, elle offre à une personne décédée la possibilité de protéger ses descendants, grâce à un dépistage précoce.
À l’instar des maillons ADN qui constituent la chaîne génétique de l’individu, l’individu constitue un maillon de la chaîne familiale. (Mme la rapporteur acquiesce.)
Tout l’enjeu réside donc dans la nécessité de concilier liberté de l’individu et inscription dans l’histoire de l’héritage génétique familial.
En renforçant le traitement précoce des différentes strates de l’arbre généalogique, cette proposition de loi permet de renforcer sa vitalité.
Si, comme l’affirmait un écrivain de ma région, Frédéric Mistral, « les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut », les progrès de la science, conjugués aux dispositions de ce texte, permettent d’ajouter à la hauteur de l’arbre l’épaisseur des branchages, qui, grâce au traitement précoce, pourront poursuivre leur développement ! (Applaudissements.)
Mme Catherine Deroche, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix la proposition de loi, dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
M. Charles Revet. Belle unanimité !
5
Attribution de la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian, du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964 (proposition n° 431, texte de la commission n° 512, rapport n° 511) (demande du groupe Les Républicains).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en algérie après les accords d’évian, du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964
Article 1er
Après le deuxième alinéa de l’article L. 311-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les premier et deuxième alinéas du présent article s’appliquent aux militaires ayant participé aux opérations menées sur le territoire algérien entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964. »
Article 2
Les conséquences financières résultant pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, puis au Gouvernement, et enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des mesures qui font consensus, mais qu’aucun gouvernement, une fois arrivé au pouvoir, ne met en œuvre.
Mme Françoise Gatel. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Mouiller, rapporteur. L’attribution de la carte du combattant aux militaires ayant servi en Algérie après l’indépendance de ce pays en fait partie. Je salue donc l’initiative de notre collègue Dominique de Legge, à laquelle nous sommes nombreux, sur toutes les travées de cet hémicycle, à nous être associés.
Cette proposition de loi répond à une demande récurrente du monde combattant, mais systématiquement rejetée par les gouvernements successifs. Elle met un terme à une situation d’injustice criante, souvent dénoncée au Sénat.
La carte du combattant manifeste la reconnaissance de la Nation envers ceux qui l’ont servie par les armes. Elle ouvre droit à des avantages symboliques, comme le port de la croix du combattant, ou matériels, notamment le bénéfice d’une retraite annuelle d’environ 750 euros et d’une demi-part fiscale supplémentaire.
Créée à la suite de la Première Guerre mondiale, cette carte a été étendue aux conflits ultérieurs, parfois même avant qu’ils ne soient terminés. En 1993, elle a été attribuée aux soldats de la quatrième génération du feu, qui ne participent plus à des guerres à proprement parler, mais à des opérations extérieures.
Néanmoins, la reconnaissance de la qualité de combattant aux militaires, bien souvent de jeunes appelés, qui ont participé à ce qui était désigné comme des « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord », a été plus difficile.
Un titre de reconnaissance nationale qui n’ouvre droit ni à la retraite du combattant ni à la demi-part fiscale a tout d’abord été créé en 1967. En 1974, la carte du combattant a finalement été attribuée, mais uniquement aux militaires ayant servi jusqu’au 2 juillet 1962, date de l’accès à l’indépendance de l’Algérie.
Cette date est certes postérieure au cessez-le-feu du 18 mars, mais elle ne correspond pas pour autant à la fin de la présence militaire française sur ce territoire. En effet, en application des accords d’Évian, le retrait s’est fait de manière progressive jusqu’au 1er juillet 1964.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Philippe Mouiller, rapporteur. Au total, plus de 75 000 soldats français ont été déployés pendant cette période.
En 1999, le législateur a reconnu que les événements d’Afrique du Nord étaient une guerre, et que cette dernière avait pris fin avec l’accès de l’Algérie à l’indépendance.
Les militaires français présents sur le sol algérien après cette date ne participaient donc pas à une guerre. Toutefois, leur présence est tout à fait assimilable à une opération extérieure. Dès lors, on voit mal ce qui s’oppose à la reconnaissance de leur qualité de combattant.
Je précise que certaines des OPEX reconnues par l’arrêté du 12 janvier 1994, texte modifié plusieurs fois, étaient moins intenses et moins dangereuses que la présence en Algérie entre 1962 et 1964.
Il s’agit donc d’une question d’équité entre générations du feu. Il s’agit également d’une question d’égalité entre frères d’armes.
En créant ce que l’on appelle communément la « carte à cheval », la loi de finances pour 2014 a en effet instauré une différence de traitement assez injustifiable. Un soldat présentant quatre mois de service, arrivé en Algérie le 30 juin 1962, a ainsi droit à la carte du combattant et aux avantages y afférents, alors que son compagnon d’armes arrivé le 3 juillet en est privé.
La question budgétaire ne saurait être un obstacle à la mise en œuvre de cette mesure. Le nombre de bénéficiaires potentiels est inférieur au nombre de titulaires de la carte du combattant qui décèdent chaque année. Le coût sera appelé à se réduire rapidement au cours des prochaines années, compte tenu de la démographie des anciens combattants.
Lors des débats du projet de loi de finances pour 2018, Mme la secrétaire d’État aux anciens combattants s’est engagée à mener un travail sur la question, et notamment à évaluer le coût d’une telle disposition.
Il semble que ce travail ait abouti, puisque le Premier ministre a annoncé, quelques jours avant l’examen en commission du présent texte, l’intention du Gouvernement de mettre en œuvre cette mesure.
En commission, Mme Geneviève Darrieussecq nous a suggéré d’attendre le prochain projet de loi de finances. J’entends cette demande et je serais le premier à me réjouir si le Gouvernement venait à mettre en œuvre cette mesure par voie réglementaire avant l’aboutissement de cette proposition de loi.
Mes chers collègues, dans l’immédiat, je vous propose néanmoins de réaffirmer clairement la volonté du Sénat d’accorder aux anciens combattants la reconnaissance que nous leur devons et d’adopter ce texte, qui a recueilli l’unanimité en commission, signe du consensus qui existe parmi nous ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, permettez-moi d’excuser Geneviève Darrieussecq, qui, en ce 6 juin, se trouve en Normandie pour les cérémonies de commémoration du débarquement, et qui regrette de ne pouvoir être présente dans cet hémicycle.
C’est, pour moi, un honneur d’être au Sénat pour débattre de la situation de nos anciens combattants, tout particulièrement aujourd’hui. Ce débat montre l’intérêt que toute la représentation nationale et la classe politique en général portent à ceux qui ont eu l’honneur de servir la France.
Nous sommes réunis pour étudier une proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie sur la base des accords d’Évian.
Comme vous le savez, c’est là une disposition que le Gouvernement soutient sur le fond : ma collègue Geneviève Darrieussecq vous a indiqué que cette mesure serait présentée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019.
Lors de la campagne présidentielle, le chef de l’État s’était engagé à réparer l’injustice que subissent les militaires français présents en Algérie après la fin de la guerre. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes Français de cette époque furent en effet déployés sur ce territoire entre les mois de juillet 1962 et de juillet 1964, à la suite des accords d’Évian. Malheureusement – nous dressons avec vous ce constat –, ils n’ont jamais pu bénéficier de la carte du combattant et des avantages qui s’y attachent.
J’en viens, plus précisément, à la situation actuelle.
Depuis 2001, les militaires présents sur le sol algérien après le 2 juillet 1962 ont droit au titre de reconnaissance de la Nation. Toutefois, ils n’ont pas droit à la carte du combattant.
Dans le cadre de la loi de finances du 29 décembre 2013, pour 2014, les conditions d’attribution de la carte du combattant ont été étendues aux personnes présentes en Afrique du Nord au-delà de la date du 2 juillet 1962, à condition que leur séjour ait commencé avant cette date et qu’il n’y ait eu aucune interruption de service. Monsieur le rapporteur, il s’agit là de la carte du combattant dite « à cheval », que vous évoquiez il y a quelques instants.
Le Gouvernement a souhaité aller plus loin et mettre un terme à cette injustice, en permettant enfin d’attribuer la carte du combattant et, ainsi, d’étendre ses bénéfices aux personnes présentes en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964.
Cette décision fait suite à un travail d’échanges et de concertation intense.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, par la voix de Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées, Geneviève Darrieussecq, le Gouvernement s’est engagé à étudier l’ensemble des demandes du monde combattant.
Dans ce cadre, lors de ses déplacements dans toute la France, Mme Darrieussecq a eu l’occasion de rencontrer près de trente délégations départementales pour discuter de leurs attentes.
Par ailleurs, sous sa présidence, le ministère des armées a constitué trois groupes de travail, qui ont mené près de vingt réunions avec les représentants des associations d’anciens combattants et ont permis d’étudier vingt-huit sujets différents.
Ces trois groupes de travail ont porté sur trois thématiques différentes : premièrement, les droits à réparation et les pensions militaires d’invalidité ; deuxièmement, la quatrième génération du feu ; troisièmement, les blessés et invalides.
Ce travail inédit a permis d’évaluer précisément l’opportunité, la faisabilité juridique et technique ainsi que les coûts de ces différentes demandes.
Ma collègue a présenté les résultats de ce travail aux représentants des anciens combattants le 25 mai dernier. Il est apparu rapidement que, pour les associations, la mesure prioritaire était l’attribution de la carte du combattant aux anciens appelés d’Algérie en poste du 1er juillet 1962 au 1er juillet 1964.
Dans le respect de cette méthode et de ce calendrier, Florence Parly et Geneviève Darrieussecq ont proposé au Premier ministre d’inscrire cette mesure dans le prochain projet de loi de finances.
Pour aboutir à cette décision, le ministère des armées a mené une étude approfondie des effectifs présents en Algérie à cette époque. Un travail statistique poussé, accompli sur la base des données dont dispose le service historique de la défense, le SHD, a donc été consacré aux dispositifs français présents en Algérie à cette époque : les plans « Chartres » successifs, la concession de la base de Mers el-Kébir et celle des bases d’essais situées au Sahara.
On a veillé, dans le cadre de cette étude, à ne pas prendre en compte le public déjà éligible à la carte du combattant dans le cadre du dispositif dit « à cheval » ; à ne pas comptabiliser deux fois les effectifs d’un dispositif affecté pour un emploi dans un autre dispositif ; et à se concentrer sur les effectifs d’appelés, qui, à la différence des engagés, ne sont pas susceptibles de déjà détenir la carte du combattant au titre d’un autre conflit.
Ces travaux ont permis d’aboutir à l’estimation d’un effectif cumulé de 75 319 appelés ayant été déployés en Algérie entre le mois de juillet 1962 et celui de juillet 1964.
À partir des données statistiques d’évolution démographique, il y aurait, en 2019, un total de 49 819 bénéficiaires potentiels d’une carte du combattant d’Algérie 1962-1964.
Compte tenu de leur âge, ces bénéficiaires sont en droit de percevoir la retraite du combattant. Les modalités de versement de cette prestation conduisent à évaluer le coût budgétaire prévisionnel à 37 millions d’euros environ, si l’on prend en compte tous les demandeurs potentiels, ou à 30 millions d’euros en moyenne en année pleine. S’y ajoute de façon indirecte le coût fiscal associé, qui est, lui aussi, estimé à 30 millions d’euros annuels par les services du ministère de l’action et des comptes publics.
L’extension envisagée pour la période 1962-1964 sera menée à législation constante, sur le fondement de l’article L. 311-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre.
En effet, cet article permet l’attribution de la carte du combattant au titre de « la participation à des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France ».
Ainsi, l’extension de l’attribution de la carte est possible, puisque les accords d’Évian du 18 mars 1962, en vertu desquels les militaires français ont servi en Algérie après 1962, peuvent être regardés comme relevant des engagements internationaux de la France.
L’article L. 311-2 renvoie à un arrêté conjoint du ministre de la défense et du ministre chargé du budget pour la détermination des périodes à prendre en compte pour chacune des opérations ou chacune des missions concernées. Ainsi, cette extension sera rendue possible en modifiant ledit arrêté, qui date du 12 janvier 1994, sans qu’il soit opportun de passer par une loi qui, au total, pourrait compliquer l’application de la mesure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le rapporteur, au regard des éléments que je viens de vous exposer brièvement, vous admettrez que cette proposition de loi ne présente plus de nécessité en l’état : M. le Premier ministre a décidé de prendre cette mesure, elle sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2019, puis mise en œuvre par voie réglementaire.