Sommaire
Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche, M. Victorin Lurel.
2. Mise au point au sujet d’un vote
3. Demande d’inscription à l’ordre du jour des conclusions d’une commission mixte paritaire
4. Autorisation d’analyses génétiques sur personnes décédées. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
Mme Catherine Deroche, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
5. Attribution de la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
6. Préservation d’une politique agricole commune forte. – Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes
M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution européenne
Amendement n° 11 rectifié de M. Joël Labbé. – Non soutenu.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Adoption.
Amendement n° 6 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Non soutenu.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Non soutenu.
Amendement n° 7 rectifié de M. Joël Labbé. – Non soutenu.
Amendement n° 2 rectifié septies de M. Jean-Pierre Decool. – Adoption.
Amendement n° 3 rectifié quater de M. Dominique Théophile. – Adoption.
Amendement n° 8 rectifié de M. Joël Labbé. – Non soutenu.
Amendement n° 9 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Non soutenu.
Amendement n° 10 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Non soutenu.
Amendement n° 12 rectifié de M. Joël Labbé. – Rejet.
Adoption de la proposition de résolution dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
7. Candidatures à une commission mixte paritaire
8. Obligations déontologiques et prévention des conflits d’intérêts des sénateurs. – Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur
Mme Marie-Pierre de la Gontrie
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 4 rectifié de M. Jean Bizet. – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié bis de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Amendement n° 5 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié de Mme Mireille Jouve. – Rejet.
Amendement n° 6 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 7 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 2 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 8 rectifié bis de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 9 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 10 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de la proposition de résolution dans le texte de la commission, modifié.
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, le 5 juin 2018, lors du scrutin public n° 121 sur l’ensemble du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, j’ai été comptabilisée comme n’ayant pas pris part au vote, alors que je souhaitais voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Demande d’inscription à l’ordre du jour des conclusions d’une commission mixte paritaire
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement sollicite l’inscription, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire à l’ordre du jour du jeudi 14 juin matin.
Nous pourrions fixer le début de l’examen de ce texte à dix heures trente, avant la suite de la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Autorisation d’analyses génétiques sur personnes décédées
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative à l’autorisation d’analyses génétiques sur personnes décédées, présentée par M. Alain Milon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 273, texte de la commission n° 524, rapport n° 523) (demande du groupe Les Républicains).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi relative à l’autorisation des examens des caractéristiques génétiques sur les personnes décédées
Article 1er
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après le V de l’article L. 1110-4, il est inséré un V bis ainsi rédigé :
« V bis. – Sauf si la personne a fait connaître de son vivant son refus, le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations relatives à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne décédée mentionné au troisième alinéa de l’article L. 1131-1 soient partagées entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins et délivrées aux membres de sa famille potentiellement concernés, dans la mesure où elles contribuent à la mise en place ou à l’amélioration des mesures d’accompagnement, de surveillance ou de prévention dont peuvent bénéficier les ascendants, descendants et collatéraux de la personne. » ;
2° Le I de l’article L. 1521-1 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 1110-4 est applicable à Wallis-et-Futuna dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à l’autorisation des examens des caractéristiques génétiques sur les personnes décédées, sous réserve des adaptations prévues au II du présent article. » ;
b) Au second alinéa, la référence : « L. 1110-4, » est supprimée ;
3° Au dernier alinéa de l’article L. 1541-1, la référence : « l’ordonnance n° 2018-20 du 17 janvier 2018 » est remplacée par la référence : « la loi n° … du … relative à l’autorisation des examens des caractéristiques génétiques sur les personnes décédées ».
Article 2
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 1131-1 est ainsi modifié :
a) Le second alinéa est complété par les mots : « ou de ses ascendants, descendants et collatéraux » ;
b) Sont ajoutés six alinéas ainsi rédigés :
« Par dérogation à l’article 16-10 du code civil, l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales peut être réalisé après son décès dans l’intérêt de ses ascendants, descendants et collatéraux, lorsque la personne décédée n’a pas exprimé son opposition de son vivant. L’examen est réalisé sur prescription d’un médecin qualifié en génétique ou membre d’une équipe pluridisciplinaire comprenant un médecin qualifié en génétique, à la demande d’un membre de la famille potentiellement concerné, à partir d’éléments du corps de la personne décédée prélevés :
« 1° Préalablement à son décès ;
« 2° Dans le cadre d’une autopsie médicale mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 1211-2 du présent code.
« Les prélèvements réalisés au titre des 1° et 2° du présent article sont conservés conformément aux bonnes pratiques arrêtées par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence de la biomédecine.
« Préalablement à la réalisation d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne décédée, le médecin prescripteur informe le membre de la famille demandeur de cet examen de la nature et de la finalité de l’examen, des risques qu’un silence ferait courir aux ascendants, descendants et collatéraux de la personne décédée si une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins était diagnostiquée et de leur droit d’être tenu dans l’ignorance du diagnostic.
« La transmission des informations relatives à l’examen des caractéristiques génétiques de la personne décédée aux membres de sa famille potentiellement concernés se conforme aux bonnes pratiques arrêtées par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence de la biomédecine. » ;
2° Après le mot : « échéant, », la fin de l’article L. 1131-1-3 est ainsi rédigée : « à la personne de confiance mentionnée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches. »
Article 3
Le premier alinéa de l’article L. 1131-1-2 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle peut également autoriser le médecin prescripteur à procéder à cette information dans les mêmes conditions dans le cas où elle décèderait avant d’avoir pu informer elle-même les membres de sa famille potentiellement concernés. »
Article 4
La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, à la rapporteur de la commission, pour sept minutes, puis au Gouvernement, et enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Deroche, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a adopté le 30 mai dernier, à l’unanimité, la proposition de loi de notre collègue Alain Milon qui autorise les examens génétiques post mortem dans l’intérêt thérapeutique des proches des personnes décédées.
L’évolution proposée s’inscrit dans le prolongement de la consécration, en 2004, d’une obligation d’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave susceptible de mesures de prévention ou de soins.
Le texte ne modifie pas le point d’équilibre alors défini par le législateur entre le secret souhaité par le patient, d’une part, et le devoir moral de solidarité familiale, d’autre part. Il tire les conséquences du caractère définitif des résultats des examens génétiques, qui ont ceci de particulier qu’ils peuvent avoir des conséquences non seulement pour la personne testée, mais aussi pour la famille. Son objectif est d’éviter les situations de perte de chance.
La commission des affaires sociales est convaincue de l’avancée majeure que permettrait l’adoption de cette proposition de loi. Elle a néanmoins jugé indispensable de prévoir un dispositif rigoureusement encadré, fondé sur le respect de deux principes fondamentaux : la protection de la volonté et de la dignité de la personne décédée et la garantie d’une prise en charge de qualité pour les familles.
Pour atteindre cet objectif, elle a apporté deux séries de précisions.
S’agissant tout d’abord des conditions dans lesquelles un examen génétique peut être réalisé sur une personne décédée dans l’intérêt médical d’un tiers, elle a défini quatre conditions cumulatives.
En premier lieu, la personne décédée ne doit pas avoir, de son vivant, exprimé son opposition à cet examen. Par parallélisme des formes, nous retenons ici le même régime de consentement présumé que celui qui est prévu par la loi pour le don d’organes.
En second lieu, l’examen est réalisé à des fins médicales dans l’intérêt des ascendants, descendants et collatéraux de la personne décédée. La finalité de l’examen doit, en toute circonstance, demeurer l’intérêt médical des personnes partageant un lien de sang avec la personne décédée.
En troisième lieu, l’examen est réalisé à la demande d’un membre de la famille potentiellement concerné par l’identification d’une anomalie génétique chez la personne décédée.
En dernier lieu, il est prescrit par un médecin qualifié en génétique ou membre d’une équipe pluridisciplinaire comprenant un médecin qualifié en génétique.
En tout état de cause, il reviendra au médecin prescripteur d’apprécier si les conditions sont réunies, en particulier celle relative à l’intérêt de la parentèle.
En ce qui concerne les circonstances médicales dans lesquelles l’examen peut être effectué, comme l’a indiqué l’Agence de la biomédecine, deux situations doivent être distinguées.
L’examen doit être possible à partir d’éléments du corps prélevés préalablement au décès de la personne. Cette situation se présentera le plus souvent en oncologie.
Il convient en outre d’autoriser l’examen post mortem dans le cadre d’une autopsie médicale : je pense ici notamment aux cas de mort subite chez des sujets jeunes, qui peuvent résulter d’une pathologie cardiaque susceptible de concerner également la fratrie. Le cas échéant, la famille de la personne décédée, en particulier ses frères et sœurs, pourrait être orientée vers un conseil génétique.
La proposition de loi adoptée par la commission des affaires sociales est fortement attendue par les professionnels de santé, tous soucieux d’améliorer les prises en charge. L’Agence de la biomédecine y voit une évolution fondamentale de notre droit.
À mon sens, ce texte est en effet l’une des contributions que nous pouvons apporter au renforcement de la politique de prévention dans notre pays. Je sais, madame la ministre, que l’investissement dans la prévention, qui demeure le parent pauvre de notre système de santé, est l’une de vos priorités.
Le dispositif proposé est également attendu par les professionnels, parce qu’il apporte une clarification bienvenue. Il semble en effet que les pratiques médicales se caractérisent par une certaine hétérogénéité, ce qui est source à la fois d’inégalités et de pertes de chance.
Enfin, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parmi les nombreuses questions soulevées en génétique dans la prochaine révision des lois de bioéthique, cette proposition de loi concerne un sujet bien circonscrit. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un dispositif consensuel et fortement attendu. Les conditions sont donc réunies pour avancer sans attendre. Il serait dommageable que de simples considérations de forme ou de calendrier nous fassent courir le risque de retarder des prises en charge qui pourraient s’avérer nécessaires.
J’invite donc le Sénat à adopter le texte résultant des travaux de notre commission. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les évolutions et la mise au jour de techniques nouvelles dans le domaine de la génétique soulèvent des questions inédites qui interpellent à juste titre le législateur.
Nos débats ont une résonance particulière, alors que le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, m’a remis hier le rapport de synthèse des états généraux de la bioéthique. Leurs travaux, qui ont débuté au mois de janvier, ont associé des citoyens, des associations, des sociétés savantes de professionnels de santé, des scientifiques et différents courants de pensée afin de recueillir un large panorama d’opinions de la société et, surtout, de répondre à la question : « Quel monde voulons-nous pour demain ? »
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui tend, pour sa part, à répondre à un problème très précis, puisqu’il s’agit d’autoriser la réalisation d’examens de génétique après le décès d’une personne – ce que les lois de bioéthique, et en particulier les dispositions qui encadrent le consentement à la réalisation d’un examen de génétique, ne permettent pas aujourd’hui. Je comprends bien votre démarche, dictée par le souci de prévenir d’éventuels risques et d’accompagner l’évolution technique.
Les progrès de la génétique – et nous pouvons nous en réjouir – permettent, en effet, de plus en plus d’analyser les caractères héréditaires prédisposant à la survenue de certaines pathologies, notamment des cancers.
Toutefois, comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer en commission, je regrette que le débat sur ces sujets de bioéthique débute au Sénat sur cette question précise, alors même que plusieurs rapports sont encore attendus.
Je pense, en premier lieu, à l’avis du Comité consultatif national d’éthique, qui sera rendu à la fin de l’été, mais également au rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, et au rapport du Conseil d’État.
Je reste certaine que le vecteur le plus approprié pour la réforme que vous envisagez est la loi de bioéthique, dont les travaux parlementaires devraient commencer d’ici quelques mois.
À échéances définies, il est ainsi prévu que les lois de bioéthique soient revues afin d’assurer la meilleure adaptation entre l’éthique et le progrès technique.
À ce titre, ce sont ces lois qui garantissent la prise en compte de l’ensemble des implications des questions très sensibles et très complexes que vous soulevez.
Vous abordez par exemple, à l’article 2 de la proposition de loi, les modalités de conservation des échantillons après le décès d’une personne et vous confiez à l’Agence de la biomédecine l’édiction de règles de bonnes pratiques. Or nous travaillons, en parallèle, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique sur cette question précise de la durée de conservation des échantillons biologiques.
Le sujet n’est pas simplement technique : il touche au consentement en génétique et à l’information des membres de la famille en cas d’anomalie génétique, qui sont au cœur même de l’édifice bioéthique. Une modification de ce cadre comme de celui de l’information de la parentèle ne peut être traitée de façon isolée, c’est-à-dire sans prendre en compte l’ensemble des problématiques dans le domaine de la génétique, a fortiori dans le contexte de la médecine génomique, prédictive en l’occurrence.
Je suis a priori favorable au principe d’ouvrir la possibilité, de façon encadrée, de réaliser des examens de génétique, alors que la personne est décédée, mais il me semble qu’il convient d’en débattre dans le cadre prévu à cette fin, à savoir la révision de la loi de bioéthique, en ayant une vision de l’ensemble des enjeux et impacts.
Le débat est de toute façon ouvert et je suis sûre que vos réflexions pourront nourrir le projet de loi dès qu’il sera déposé au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et territoires. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme cela a déjà été rappelé, cette proposition de loi de notre collègue Alain Milon a été examinée et votée en commission des affaires sociales le 30 mai selon la procédure de législation en commission. Les nombreuses auditions menées confirment toutes la forte attente des professionnels de santé, qui y voient une avancée majeure. L’évolution législative permettra une harmonisation des pratiques et donc une plus grande égalité entre les patients.
Notre capital génétique peut nous prédisposer en effet au développement de certaines maladies potentiellement graves, voire mortelles. C’est le cas par exemple de certaines formes de cancer du sein.
Connaître l’histoire génétique ou le génome d’une tumeur revêt plusieurs avantages pour le patient, mais également pour sa famille.
Dans certains cas, cela permet de mieux cibler le traitement et d’augmenter les chances de guérison. C’est tout l’enjeu actuel des nouvelles thérapeutiques qui révolutionnent la prise en charge et le pronostic de certains cancers.
Connaître l’histoire génétique peut être également nécessaire dans certaines situations, dans le cas de maladies à forte présomption héréditaire, afin de remonter l’histoire familiale de cancers pour dépister plus précocement la maladie chez les apparentés vivants, mieux les informer et proposer des mesures de prévention.
Jusqu’à présent, la loi prévoyait que ces tests génétiques ne pouvaient être réalisés que dans l’intérêt de la personne malade.
La notion d’obligation d’information de la parentèle en cas de maladie génétique grave susceptible de mesures préventives ou thérapeutiques, dans le respect du droit du patient à ne pas être informé lui-même, est apparue dès 2004.
Tout en conservant cet équilibre, la proposition de loi permet la réalisation d’un examen génétique sur une personne décédée, au bénéfice des membres de la famille. Cet examen, jusqu’ici impossible, entraîne des pertes de chance pour certains patients susceptibles de bénéficier d’un diagnostic précoce. Nous devons remédier à cela.
C’est tout l’enjeu de cette proposition de loi, dont la rédaction initiale pouvait laisser planer quelques doutes quant aux conditions de réalisation des examens et aux circonstances dans lesquelles ils peuvent être demandés. Les amendements votés en commission permettent de préserver les grands principes éthiques.
Concernant le respect de sa volonté, sur le même modèle que le don d’organes, le patient pourra signifier son opposition à un examen génétique de ses tissus post mortem. Si aucune opposition n’a été formulée, l’examen pourra alors être réalisé après son décès, uniquement à des fins médicales et dans l’intérêt des personnes liées à lui par le sang.
Si l’examen peut être demandé par un membre de la famille potentiellement concerné, seul un médecin qualifié en génétique ou un collège de médecins comprenant au moins un généticien peut le prescrire.
Il est important de le préciser, l’examen se fera nécessairement sur des tissus prélevés avant le décès ou lors d’une autopsie, pour les cas de mort subite notamment chez les sujets jeunes.
J’ai entendu la position du Gouvernement, qui nous propose d’inscrire cette mesure dans le cadre de la loi sur la bioéthique, laquelle sera présentée au Parlement en 2019. Reporter cette mesure pour l’intégrer à la loi de bioéthique, c’est risquer de la voir diluée au milieu des débats sur la fin de vie, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, sujets bien plus médiatiques et qui seront certainement bien plus médiatisés.
Mais c’est surtout une perte de chance pour bon nombre de nos concitoyens, car un délai de plusieurs mois peut mettre en jeu un pronostic vital. Cette proposition consensuelle, attendue, qui a recueilli l’unanimité en commission, pourrait être appliquée sans délai grâce à ce texte. Et je ne doute pas, madame la ministre, que, sur le fond, vous êtes favorable à cette mesure, qui s’intègre pleinement dans le cadre de la politique de prévention menée et voulue par le Gouvernement.
Je voterai donc, avec l’ensemble de mes collègues du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, en faveur de ce texte équilibré, qui respecte les principes éthiques fondamentaux et qui porte l’ambition d’une politique de santé progressiste et moderne. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.
M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, cher Alain Milon, madame la rapporteur, mes chers collègues, alors que demain matin l’OPESCT présentera les conclusions des états généraux de la bioéthique organisés par le CCNE, nous voici réunis pour débattre d’un sujet qui concerne, lui aussi, les problématiques de génétique et de génomique.
En effet, la proposition de loi relative à l’autorisation des examens des caractéristiques génétiques sur les personnes décédées de M. Milon et de ses collègues, rapportée par Mme Deroche, s’inscrit au cœur de la bioéthique. On pourrait douter de l’opportunité d’étudier un tel texte en dehors des débats qui se tiendront lors de la révision des lois de bioéthique à venir, débats que je souhaite le plus apaisés possible.
Hélas ! je crains que les passions ne prennent le pas sur la raison – cela peut arriver, madame la ministre – et j’accueille donc favorablement l’étude de telles dispositions dès aujourd’hui. Ce qui est fait est fait !
Les éléments contenus dans le texte relèvent d’un ajustement presque technique de la législation actuelle.
Comme vous le savez, les progrès en génétique et en génomique des dernières années sont considérables. Imaginez-vous que moins de cinquante ans séparent la découverte du caryotype humain, en 1956, du premier séquençage complet de l’ADN du génome humain, en 2003 ? Comment croire que, il y a à peine vingt ans, les premiers cancers d’influence génétique étaient mis au jour, les premières controverses apparaissant également – sur la brevetabilité du vivant, notamment ?
Depuis lors, les politiques de santé publique ont été adaptées et ont pris en charge les personnes ayant un risque accru de développer certains cancers ou d’autres pathologies.
Grâce à la connaissance d’un facteur de risque – ici génétique –, le suivi est adapté, voire personnalisé, et l’équipe médicale pourra prendre des mesures de prévention ou effectuer des soins spécifiques qui influenceront grandement le pronostic du patient. Il s’agit non pas simplement d’identifier la présence ou non d’une mutation pathologique d’un gène, mais d’expliquer les conséquences de cette présence, les risques induits et la prise en charge qui en découlera. Le simple résultat ne saurait être appréhendé par la personne seule.
La présente proposition de loi cherche à permettre la réalisation de certains tests génétiques sur une personne décédée dans « l’intérêt de ses ascendants, descendants et collatéraux ». Cette proposition équilibrée respecte toutefois la volonté du patient qui se serait exprimée de son vivant contre la réalisation de tels tests.
Le Sénat, une fois de plus, dans sa grande sagesse, s’honore en répondant à une attente des professionnels pour une meilleure prévention.
Il faudra que le législateur demeure vigilant sur ces questions d’utilisation de tests génétiques, leur nombre et leur finalité, car la baisse de leur coût et leur disponibilité en libre accès dans certains pays ne doivent pas laisser penser que l’information brute d’un résultat puisse être bien appréhendée par tout un chacun.
En plus de s’interroger sur la protection de données aussi personnelles que l’identification génétique, il convient de continuer à réserver la réalisation de tels tests au sein d’un dispositif médical de consultation génétique, de préférence pluridisciplinaire.
Mes chers collègues, ce texte relève bien évidemment de la bioéthique et représente une avancée qui aurait le mérite d’être adoptée en dehors de tout débat trop passionné. Il étend, mais de manière stricte, une technique existante, prévue dans un parcours précis, encadrée par des professionnels de santé en demande de ces outils.
Ces sujets relèvent évidemment d’une éthique profonde et propre à tout un chacun, et c’est pourquoi, à titre personnel, je voterai ce texte, avec les collègues de mon groupe siégeant à la commission des affaires sociales. Bien évidemment, le groupe La République En Marche, comme à son habitude s’agissant de ce type de questions, laisse chacun de ses membres voter selon sa vision personnelle du sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste n’est pas un fervent défenseur de la procédure dite de « législation en commission », mais nous n’avons pas émis d’opposition sur cette proposition de loi, même si ce texte méritait sans doute un temps de débat plus long au sein même de cet hémicycle.
Car cette proposition de loi déposée par le président Alain Milon et plusieurs de ses collègues a un caractère extrêmement important, avec des enjeux essentiels en termes de santé publique et de bioéthique.
Comme l’a très bien expliqué la rapporteur, Catherine Deroche, l’objectif de cette proposition de loi est de répondre à un manque législatif, qui fait qu’actuellement le consentement d’un patient doit être clairement exprimé pour mener sur sa personne des examens de caractéristiques génétiques.
Bien évidemment, ce consentement est impossible à obtenir une fois la personne décédée. Lever cette limite et instaurer un régime de consentement présumé va donc permettre de transmettre des informations médicales cruciales aux membres de la famille potentiellement concernées par des maladies génétiques, des maladies héréditaires.
On sait d’emblée combien ce genre de sujet peut être sensible, car touchant à l’intime. Il aurait pu effectivement, comme l’aurait sans doute préféré Mme la ministre, être abordé lors de la révision des lois de bioéthique d’ici quelques mois.
Il est donc important que nous rassurions ici nos concitoyennes et nos concitoyens : il n’est nullement question d’atteinte à la dignité et à l’intégrité humaines.
Ces analyses, réalisées à des fins purement médicales, sont bel et bien faites dans le respect des protocoles fixés par l’Agence de la biomédecine, dans l’intérêt des descendantes et des descendants, des proches, dans un souci de prévention, de surveillance.
Comme cela est précisé dans le rapport de notre collègue, les analyses sont donc faites dans deux cadres très précis : soit à partir d’éléments du corps prélevés préalablement au décès de la personne – dans ce cas, la personne a fait l’objet d’un prélèvement tissulaire ayant conduit au diagnostic de cancer et le prélèvement a été conservé par le laboratoire ; la personne est ensuite décédée et le médecin qualifié en génétique prescrit, dans l’intérêt de la parentèle, l’examen des caractéristiques génétiques de la personne décédée à partir du prélèvement conservé – ; soit dans le cadre d’une autopsie médicale – le prélèvement est alors quasi concomitant au constat de décès ; cette possibilité vise principalement les situations de mort subite, en particulier des sujets jeunes.
Mais le texte, dans sa version originelle, pouvait induire, voire entraîner des dérives. Aussi, je salue le travail de réécriture mené par notre rapporteur Catherine Deroche, qui permet de le clarifier, dans le respect des droits de la personne. En effet, toute personne peut, de son vivant, signifier son refus que de telles analyses soient effectuées une fois qu’elle sera décédée. Cela est également vrai pour la levée du secret médical : la personne peut s’y opposer.
Cela permet ainsi de garantir les libertés individuelles, ce qui est primordial en ce domaine.
Le texte issu des travaux de la commission permet également de ménager un équilibre entre la possibilité du secret et le droit pour la famille de savoir.
Les progrès médicaux et scientifiques en génétique sont tels aujourd’hui qu’il serait dommageable de ne pas faire évoluer notre loi afin de développer la prévention. Plus de 6 000 maladies génétiques sont aujourd’hui répertoriées et le champ des connaissances n’en sera que plus large et meilleur avec les nouvelles possibilités offertes par le cadre dont nous débattons.
J’en profite, madame la ministre, pour souhaiter que, conformément à vos engagements, des actes forts soient posés par le Gouvernement pour dégager des moyens humains et financiers afin de développer, au cœur de notre politique de santé, la prévention.
En résumé, le groupe CRCE se prononcera favorablement sur cette proposition de loi, qui, je l’espère, ira jusqu’au bout de son parcours législatif pour permettre une meilleure prise en charge médicale de nos concitoyennes et de nos concitoyens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, en tant qu’élu de République, mais aussi en tant que citoyen, j’ai toujours été attentif, comme la majorité d’entre vous, à tous les débats autour des sujets de bioéthique.
Au lendemain de la présentation du rapport des états généraux de la bioéthique, qui se sont tenus de janvier à mai, nous sentons bien que ces sujets sont au cœur de l’actualité. Un grand quotidien national en a fait d’ailleurs sa une.
De nombreux clivages existent dans notre société sur des problématiques telles que la fin de vie ou l’assistance médicale à la procréation et ils sont loin d’être tranchés. Espérons, comme l’a dit notre collègue, que nous pourrons en discuter avec raison et sans trop de passion dans quelques mois.
La commission des affaires sociales s’est réunie le mercredi 30 mai pour examiner la proposition de loi déposée par notre collègue Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, visant à autoriser les analyses génétiques sur personne décédée.
Je ne vous cache pas, mes chers collègues, que je n’ai pas tout de suite mesuré la portée de ce texte. C’est en commission, après avoir écouté attentivement les débats, Mme la rapporteur, Mme la ministre, dont les explications ont été très claires, que j’ai compris que cette proposition de loi portait une véritable évolution. J’en félicite sincèrement son auteur – même si je n’ai pas attendu ce moment pour avoir de l’estime pour le président de la commission des affaires sociales.
Mme Françoise Gatel. Bravo !
M. Olivier Henno. Le rôle du législateur, effectivement, n’est pas d’entraver la société ; il doit être capable d’en comprendre les changements et les mutations pour accompagner le progrès et l’encadrer. Tel est l’objet de ce texte : permettre à chacun de disposer d’une meilleure information médicale concernant une personne décédée, tout en respectant naturellement la volonté de la famille et les prescriptions médicales des médecins.
Ce projet de loi donne à la prévention, à terme, une place renforcée. Cette évolution est une chance à saisir. Le présent texte sera peut-être, d’ailleurs, le premier d’une longue série. Les nombreuses évolutions scientifiques et, plus particulièrement, les avancées de la médecine changeront notre rapport au monde et au corps humain ; ce sera notre rôle de parlementaires d’accompagner ce changement.
Lors de son audition au Sénat, Mme Anne Courrèges, directrice de l’Agence de la biomédecine, nous a déclaré, avec un brillant sens de la formule : « En biologie, ce qui était de la science-fiction il y a sept ans est aujourd’hui de la science. »
J’ai été marqué par cette formule, par laquelle je tiens à conclure mon propos, car elle doit nous permettre de bien comprendre l’ampleur des enjeux qui s’ouvrent à nous depuis quelques années et qui animeront de nombreux débats à venir dans cet hémicycle.
Madame la ministre, en commission, puis il y a quelques instants, en séance, nous avons bien noté votre accord sur le fond, vos réserves sur la forme (Mme la ministre le confirme.) et surtout les avis de sagesse que vous avez donnés mercredi dernier sur les amendements de notre rapporteur ainsi que sur l’ensemble du texte.
Après avoir entendu ces différents avis, la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée. C’est la raison pour laquelle je voterai ce texte avec l’ensemble de mes collègues membres du groupe Union Centriste et, bien sûr, dans le respect des consciences de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, chers collègues, tout d’abord, je tiens à saluer l’idée défendue par Alain Milon à travers cette proposition de loi. Il s’agit là d’un objet concret et nécessaire, et il a fait œuvre utile en déposant le présent texte.
De même, je salue le travail accompli par notre rapporteur, Catherine Deroche : il a permis de réunir l’ensemble des membres de la commission en un vote favorable.
L’enjeu est simple, et il est établi par l’Agence de la biomédecine depuis plusieurs années : le cadre législatif en vigueur pour les analyses génétiques à but médical n’a été pensé que dans le cas où la personne analysée est l’unique bénéficiaire des résultats de cet examen et des démarches médicales qui peuvent en découler. Est ainsi exclu le cas où la pathologie n’est pas détectée du vivant de la personne.
Dès lors, des familles subissant un décès en leur sein sont privées d’informations d’ordre génétique qui permettraient non seulement d’apporter des éléments complémentaires quant à la cause du décès, mais aussi et surtout d’engager des démarches de surveillance et de prévention auprès de proches potentiellement porteurs du gène en question.
Nous nous souvenons tous ici des débats relatifs aux analyses génétiques, qui avaient animé les deux chambres du Parlement en 2004, lors de la révision des lois de bioéthique.
Ces discussions avaient été profondément marquées par l’émoi suscité par l’affaire Yves Montand, et elles avaient conduit à ce que l’alinéa de l’article 16-10 du code civil relatif aux affaires de filiation protège de l’exhumation toute personne n’ayant pas expressément consenti à des analyses génétiques de son vivant.
La société tout entière avait ainsi pris acte du fait que, dans les affaires de filiation, « la génétique devait s’arrêter à la porte des cimetières », selon l’expression alors employée par Jean-François Mattei.
Toutefois, force est de constater que, si la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre vote a bien trait à la génétique et au respect de la personne défunte, en aucun cas elle ne remet en cause les grands principes posés par nos lois de bioéthique.
Tout d’abord, l’autorisation d’analyses génétiques post mortem n’est possible qu’à des fins de santé publique : est ainsi protégé le cadre que j’évoquais précédemment en matière de filiation.
À cet égard, le présent texte ajoute dans la loi le cas où l’intérêt direct des analyses pour la santé n’est plus seulement celui de la personne analysée, puisqu’en l’occurrence elle est décédée, mais bien l’intérêt de ses ascendants, descendants et collatéraux.
Par ailleurs, la volonté du défunt est entièrement respectée, puisque la personne reste libre d’exprimer son refus de son vivant.
Madame la rapporteur, je salue également votre choix de n’autoriser ces examens qu’à partir d’éléments du corps prélevés préalablement au décès ou dans le cadre d’une autopsie réalisée immédiatement après celui-ci. Votre décision présente le double avantage de couvrir la grande majorité, et même la quasi-totalité des situations, tout en évitant des dérives potentielles. (M. le président de la commission le confirme.) L’intégrité du corps du défunt est bien respectée.
Pour ce qui concerne les personnes de la famille qui peuvent demander que l’on procède à ces analyses, je tiens à rappeler un point de vigilance quant aux termes, utilisés dans la proposition de loi, de « membres de la famille potentiellement concernés ».
À mes yeux, cette rédaction ne respecte pas nécessairement les critères de rigueur scientifique et de précision juridique. Il m’aurait semblé plus prudent de préciser qu’il s’agit des membres potentiellement concernés sur le plan génétique, c’est-à-dire envers qui des démarches médicales peuvent être engagées.
Toutefois, madame la rapporteur, je sais que vous avez entendu et pris en compte ces inquiétudes, et je vous en remercie.
Je conclus par un aspect très important de ce texte : l’information des personnes potentiellement concernées sur le plan médical.
Vous avez pris grand soin, d’une part, de préciser davantage encore les modalités de transmission de ces informations, qui peuvent être extrêmement lourdes de conséquences, notamment sur le plan psychologique, et, d’autre part, de consacrer le respect au droit à la non-information dont disposent les apparentés du défunt : on peut vouloir ne pas savoir si l’on est porteur d’anomalies génétiques ayant des conséquences sur la santé.
Mes chers collègues, ce texte répond à une forte demande de la part des professionnels concernés et des familles, et il s’inscrit dans la continuité des progrès techniques accomplis dans le domaine de la génétique à but médical.
En outre, pour les raisons que j’ai précédemment évoquées, il corrige ce qui, à mon sens, s’apparente davantage à un impensé de la part du législateur qu’à un souhait délibéré, pour des situations qui se présentent de manière très ponctuelle. Il comble une lacune sans toucher en rien l’édifice forgé par nos lois de bioéthique.
Madame la ministre, je vous donne acte de la cohérence de votre position : vous souhaitez joindre l’étude de ce texte à la révision des lois de bioéthique. Mais je relève que ce travail s’achèvera dans un délai relativement long, a priori en 2019. Or, nous l’avons vu, la modification dont il s’agit ne touche pas aux principes de nos lois de bioéthique et, disons-le clairement dans cette enceinte, elle porte sur des examens qui sont parfois déjà pratiqués sans filet par les professionnels concernés. Il est donc souhaitable de remédier au plus vite à cette situation, qui n’est ni positive ni heureuse pour qui que ce soit ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, ce texte traduit, parmi bien d’autres, l’évolution de notre société contemporaine, en matière de science comme de mœurs.
En effet, la génétique nous permet aujourd’hui d’analyser les caractères héréditaires familiaux prédisposant à la survenue de pathologies pour les descendants. Il s’agit de prévenir pour lutter contre les maladies aux caractères génétiquement transmissibles ; je pense non seulement au cancer, qui mine notre société, mais aussi à d’autres maladies, notamment dans le cadre du développement de la neurogénétique, de la cardiogénétique et de bien d’autres disciplines.
L’état actuel de la technologie et les progrès de la science nécessitent une évolution législative, afin de mettre en adéquation ces progrès humains avec la réglementation en vigueur. C’est là une attention parfaitement légitime.
La loi subordonne actuellement au consentement du patient les analyses génétiques post mortem, même lorsque celles-ci sont demandées par les descendants. Faute de ce consentement, ces analyses sont impossibles.
Il convient donc de faire évoluer la loi et de la rendre compatible avec la pratique de ce qu’il est convenu d’appeler une médecine de précision. Le but est, naturellement, de recueillir des informations utiles aux descendants du défunt, notamment pour un éventuel traitement médical. Dans certains cas, ces analyses sont nécessaires, voire indispensables, pour établir les diagnostics les plus pertinents et, par là même, prescrire les traitements les plus appropriés.
Grâce à ce dépistage précoce de la maladie, les oncogénéticiens pourront mieux informer les membres de la famille du défunt quant aux risques encourus et préconiser la meilleure surveillance médicale. Je suis donc persuadé de son bien-fondé, et je le suis d’autant plus que ce texte ne porte pas atteinte, selon moi, à la dignité de la personne humaine ou au respect de la vie privée.
Cette proposition de loi, présentée par M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et modifiée par Mme Catherine Deroche en tant que rapporteur, est indispensable pour préserver au mieux la santé des descendants. Elle est pragmatique et utile pour les familles. Voilà pourquoi, comme l’ensemble des élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires, je suis favorable à l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement satisfait de présenter cette proposition de loi, qui a recueilli un grand nombre de soutiens de la part de nos collègues ; je tiens à les remercier très sincèrement.
Je remercie aussi tout particulièrement notre collègue Catherine Deroche, qui, en sa qualité de rapporteur, a accompli un travail remarquable : ainsi, elle a contribué à améliorer considérablement le texte initial.
Après l’auteur et la rapporteur, permettez-moi également d’avoir une pensée amicale pour la mère et le père de cette proposition de loi, Dominique Stoppa-Lyonnet et Paul Gesta.
Je me réjouis évidemment que cette proposition de loi ait été adoptée à l’unanimité des membres de la commission des affaires sociales.
À certains égards, nous pourrions regretter que ce sujet n’ait pas été abordé par les organisateurs des états généraux de la bioéthique. Toutefois, je dois avouer, à titre personnel, que cet oubli me paraît plus positif que fâcheux.
En effet, dans le rapport de synthèse remis hier, après plusieurs mois de travaux, figurent, parmi les neuf thématiques abordées, divers points qui soulèvent des polémiques – Michel Amiel en a parlé – pour des raisons plus philosophiques, religieuses ou politiques que purement scientifiques.
Ces points de tension susciteront des débats qui auraient obéré l’avancée significative que permet notre proposition de loi. Or la sérénité permet d’être plus efficient. J’ose simplement espérer que ce texte fera rapidement partie de notre droit positif : ce serait là une avancée majeure, accomplie sans bruit ni effusion.
Aujourd’hui, grâce à la recherche médicale, nous savons que 5 % des cancers surviennent chez des personnes présentant une prédisposition héréditaire. Ces tumeurs se développent souvent à des âges plus précoces, avant cinquante ans, et concernent plusieurs membres d’une famille.
Si, dans une même famille, plusieurs personnes de la même branche, paternelle ou maternelle, ont été affectées par un cancer, une consultation oncogénétique est conseillée. Le but d’une telle consultation est donc d’évaluer s’il existe, dans une famille, un risque particulier de tumeur, ou si ce dernier peut être évité et expliqué par une prédisposition héréditaire.
Dès lors, il s’agit d’identifier les altérations génétiques héritées, qui peuvent induire un risque plus élevé de développer un cancer. Les progrès de la génétique permettent d’analyser les transmissions des caractères héréditaires prédisposant à la survenue de pathologies, notamment de cancers.
À ce titre, il est parfois nécessaire de remonter le cours de l’histoire familiale, afin de conseiller les apparentés vivants : en pareil cas, il est nécessaire de recourir à des analyses sur des personnes décédées, afin d’obtenir des informations pouvant être utiles à la famille.
Depuis plusieurs années, des analyses sont faites par prises de sang chez des patients ayant un risque élevé d’être porteurs d’une anomalie prédisposante. Ces prélèvements sont conservés longtemps, même si le patient est décédé.
Il apparaît ainsi que les évolutions technologiques et les progrès scientifiques nécessitent une évolution législative : il convient de mettre en adéquation ces progrès et la réglementation.
Les avancées en question concernent différents secteurs de la génétique, à l’instar de la cardiogénétique ou de la neurogénétique. On peut ainsi envisager tout un champ des possibles, qu’il s’agisse de la prévention ou de la prise en charge anticipée des patients. Les probabilités de guérison s’en trouveront ipso facto renforcées. Sans doute pourra-t-on également développer des traitements moins contraignants.
La loi actuelle impose le consentement du patient. Or, en l’espèce, ce consentement est par définition impossible à obtenir.
Chacun l’a compris, cette proposition de loi ne tend évidemment pas à porter atteinte à la dignité de la personne ni à attenter au respect de la vie privée. Au contraire, avant que l’on ne connaisse le résultat du diagnostic génétique, ou en l’absence d’un tel diagnostic, elle offre à une personne décédée la possibilité de protéger ses descendants, grâce à un dépistage précoce.
À l’instar des maillons ADN qui constituent la chaîne génétique de l’individu, l’individu constitue un maillon de la chaîne familiale. (Mme la rapporteur acquiesce.)
Tout l’enjeu réside donc dans la nécessité de concilier liberté de l’individu et inscription dans l’histoire de l’héritage génétique familial.
En renforçant le traitement précoce des différentes strates de l’arbre généalogique, cette proposition de loi permet de renforcer sa vitalité.
Si, comme l’affirmait un écrivain de ma région, Frédéric Mistral, « les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut », les progrès de la science, conjugués aux dispositions de ce texte, permettent d’ajouter à la hauteur de l’arbre l’épaisseur des branchages, qui, grâce au traitement précoce, pourront poursuivre leur développement ! (Applaudissements.)
Mme Catherine Deroche, rapporteur. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix la proposition de loi, dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
M. Charles Revet. Belle unanimité !
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Attribution de la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian, du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964 (proposition n° 431, texte de la commission n° 512, rapport n° 511) (demande du groupe Les Républicains).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en algérie après les accords d’évian, du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964
Article 1er
Après le deuxième alinéa de l’article L. 311-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les premier et deuxième alinéas du présent article s’appliquent aux militaires ayant participé aux opérations menées sur le territoire algérien entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964. »
Article 2
Les conséquences financières résultant pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, puis au Gouvernement, et enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des mesures qui font consensus, mais qu’aucun gouvernement, une fois arrivé au pouvoir, ne met en œuvre.
Mme Françoise Gatel. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Mouiller, rapporteur. L’attribution de la carte du combattant aux militaires ayant servi en Algérie après l’indépendance de ce pays en fait partie. Je salue donc l’initiative de notre collègue Dominique de Legge, à laquelle nous sommes nombreux, sur toutes les travées de cet hémicycle, à nous être associés.
Cette proposition de loi répond à une demande récurrente du monde combattant, mais systématiquement rejetée par les gouvernements successifs. Elle met un terme à une situation d’injustice criante, souvent dénoncée au Sénat.
La carte du combattant manifeste la reconnaissance de la Nation envers ceux qui l’ont servie par les armes. Elle ouvre droit à des avantages symboliques, comme le port de la croix du combattant, ou matériels, notamment le bénéfice d’une retraite annuelle d’environ 750 euros et d’une demi-part fiscale supplémentaire.
Créée à la suite de la Première Guerre mondiale, cette carte a été étendue aux conflits ultérieurs, parfois même avant qu’ils ne soient terminés. En 1993, elle a été attribuée aux soldats de la quatrième génération du feu, qui ne participent plus à des guerres à proprement parler, mais à des opérations extérieures.
Néanmoins, la reconnaissance de la qualité de combattant aux militaires, bien souvent de jeunes appelés, qui ont participé à ce qui était désigné comme des « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord », a été plus difficile.
Un titre de reconnaissance nationale qui n’ouvre droit ni à la retraite du combattant ni à la demi-part fiscale a tout d’abord été créé en 1967. En 1974, la carte du combattant a finalement été attribuée, mais uniquement aux militaires ayant servi jusqu’au 2 juillet 1962, date de l’accès à l’indépendance de l’Algérie.
Cette date est certes postérieure au cessez-le-feu du 18 mars, mais elle ne correspond pas pour autant à la fin de la présence militaire française sur ce territoire. En effet, en application des accords d’Évian, le retrait s’est fait de manière progressive jusqu’au 1er juillet 1964.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Philippe Mouiller, rapporteur. Au total, plus de 75 000 soldats français ont été déployés pendant cette période.
En 1999, le législateur a reconnu que les événements d’Afrique du Nord étaient une guerre, et que cette dernière avait pris fin avec l’accès de l’Algérie à l’indépendance.
Les militaires français présents sur le sol algérien après cette date ne participaient donc pas à une guerre. Toutefois, leur présence est tout à fait assimilable à une opération extérieure. Dès lors, on voit mal ce qui s’oppose à la reconnaissance de leur qualité de combattant.
Je précise que certaines des OPEX reconnues par l’arrêté du 12 janvier 1994, texte modifié plusieurs fois, étaient moins intenses et moins dangereuses que la présence en Algérie entre 1962 et 1964.
Il s’agit donc d’une question d’équité entre générations du feu. Il s’agit également d’une question d’égalité entre frères d’armes.
En créant ce que l’on appelle communément la « carte à cheval », la loi de finances pour 2014 a en effet instauré une différence de traitement assez injustifiable. Un soldat présentant quatre mois de service, arrivé en Algérie le 30 juin 1962, a ainsi droit à la carte du combattant et aux avantages y afférents, alors que son compagnon d’armes arrivé le 3 juillet en est privé.
La question budgétaire ne saurait être un obstacle à la mise en œuvre de cette mesure. Le nombre de bénéficiaires potentiels est inférieur au nombre de titulaires de la carte du combattant qui décèdent chaque année. Le coût sera appelé à se réduire rapidement au cours des prochaines années, compte tenu de la démographie des anciens combattants.
Lors des débats du projet de loi de finances pour 2018, Mme la secrétaire d’État aux anciens combattants s’est engagée à mener un travail sur la question, et notamment à évaluer le coût d’une telle disposition.
Il semble que ce travail ait abouti, puisque le Premier ministre a annoncé, quelques jours avant l’examen en commission du présent texte, l’intention du Gouvernement de mettre en œuvre cette mesure.
En commission, Mme Geneviève Darrieussecq nous a suggéré d’attendre le prochain projet de loi de finances. J’entends cette demande et je serais le premier à me réjouir si le Gouvernement venait à mettre en œuvre cette mesure par voie réglementaire avant l’aboutissement de cette proposition de loi.
Mes chers collègues, dans l’immédiat, je vous propose néanmoins de réaffirmer clairement la volonté du Sénat d’accorder aux anciens combattants la reconnaissance que nous leur devons et d’adopter ce texte, qui a recueilli l’unanimité en commission, signe du consensus qui existe parmi nous ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, permettez-moi d’excuser Geneviève Darrieussecq, qui, en ce 6 juin, se trouve en Normandie pour les cérémonies de commémoration du débarquement, et qui regrette de ne pouvoir être présente dans cet hémicycle.
C’est, pour moi, un honneur d’être au Sénat pour débattre de la situation de nos anciens combattants, tout particulièrement aujourd’hui. Ce débat montre l’intérêt que toute la représentation nationale et la classe politique en général portent à ceux qui ont eu l’honneur de servir la France.
Nous sommes réunis pour étudier une proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie sur la base des accords d’Évian.
Comme vous le savez, c’est là une disposition que le Gouvernement soutient sur le fond : ma collègue Geneviève Darrieussecq vous a indiqué que cette mesure serait présentée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019.
Lors de la campagne présidentielle, le chef de l’État s’était engagé à réparer l’injustice que subissent les militaires français présents en Algérie après la fin de la guerre. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes Français de cette époque furent en effet déployés sur ce territoire entre les mois de juillet 1962 et de juillet 1964, à la suite des accords d’Évian. Malheureusement – nous dressons avec vous ce constat –, ils n’ont jamais pu bénéficier de la carte du combattant et des avantages qui s’y attachent.
J’en viens, plus précisément, à la situation actuelle.
Depuis 2001, les militaires présents sur le sol algérien après le 2 juillet 1962 ont droit au titre de reconnaissance de la Nation. Toutefois, ils n’ont pas droit à la carte du combattant.
Dans le cadre de la loi de finances du 29 décembre 2013, pour 2014, les conditions d’attribution de la carte du combattant ont été étendues aux personnes présentes en Afrique du Nord au-delà de la date du 2 juillet 1962, à condition que leur séjour ait commencé avant cette date et qu’il n’y ait eu aucune interruption de service. Monsieur le rapporteur, il s’agit là de la carte du combattant dite « à cheval », que vous évoquiez il y a quelques instants.
Le Gouvernement a souhaité aller plus loin et mettre un terme à cette injustice, en permettant enfin d’attribuer la carte du combattant et, ainsi, d’étendre ses bénéfices aux personnes présentes en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964.
Cette décision fait suite à un travail d’échanges et de concertation intense.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, par la voix de Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées, Geneviève Darrieussecq, le Gouvernement s’est engagé à étudier l’ensemble des demandes du monde combattant.
Dans ce cadre, lors de ses déplacements dans toute la France, Mme Darrieussecq a eu l’occasion de rencontrer près de trente délégations départementales pour discuter de leurs attentes.
Par ailleurs, sous sa présidence, le ministère des armées a constitué trois groupes de travail, qui ont mené près de vingt réunions avec les représentants des associations d’anciens combattants et ont permis d’étudier vingt-huit sujets différents.
Ces trois groupes de travail ont porté sur trois thématiques différentes : premièrement, les droits à réparation et les pensions militaires d’invalidité ; deuxièmement, la quatrième génération du feu ; troisièmement, les blessés et invalides.
Ce travail inédit a permis d’évaluer précisément l’opportunité, la faisabilité juridique et technique ainsi que les coûts de ces différentes demandes.
Ma collègue a présenté les résultats de ce travail aux représentants des anciens combattants le 25 mai dernier. Il est apparu rapidement que, pour les associations, la mesure prioritaire était l’attribution de la carte du combattant aux anciens appelés d’Algérie en poste du 1er juillet 1962 au 1er juillet 1964.
Dans le respect de cette méthode et de ce calendrier, Florence Parly et Geneviève Darrieussecq ont proposé au Premier ministre d’inscrire cette mesure dans le prochain projet de loi de finances.
Pour aboutir à cette décision, le ministère des armées a mené une étude approfondie des effectifs présents en Algérie à cette époque. Un travail statistique poussé, accompli sur la base des données dont dispose le service historique de la défense, le SHD, a donc été consacré aux dispositifs français présents en Algérie à cette époque : les plans « Chartres » successifs, la concession de la base de Mers el-Kébir et celle des bases d’essais situées au Sahara.
On a veillé, dans le cadre de cette étude, à ne pas prendre en compte le public déjà éligible à la carte du combattant dans le cadre du dispositif dit « à cheval » ; à ne pas comptabiliser deux fois les effectifs d’un dispositif affecté pour un emploi dans un autre dispositif ; et à se concentrer sur les effectifs d’appelés, qui, à la différence des engagés, ne sont pas susceptibles de déjà détenir la carte du combattant au titre d’un autre conflit.
Ces travaux ont permis d’aboutir à l’estimation d’un effectif cumulé de 75 319 appelés ayant été déployés en Algérie entre le mois de juillet 1962 et celui de juillet 1964.
À partir des données statistiques d’évolution démographique, il y aurait, en 2019, un total de 49 819 bénéficiaires potentiels d’une carte du combattant d’Algérie 1962-1964.
Compte tenu de leur âge, ces bénéficiaires sont en droit de percevoir la retraite du combattant. Les modalités de versement de cette prestation conduisent à évaluer le coût budgétaire prévisionnel à 37 millions d’euros environ, si l’on prend en compte tous les demandeurs potentiels, ou à 30 millions d’euros en moyenne en année pleine. S’y ajoute de façon indirecte le coût fiscal associé, qui est, lui aussi, estimé à 30 millions d’euros annuels par les services du ministère de l’action et des comptes publics.
L’extension envisagée pour la période 1962-1964 sera menée à législation constante, sur le fondement de l’article L. 311-2 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre.
En effet, cet article permet l’attribution de la carte du combattant au titre de « la participation à des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France ».
Ainsi, l’extension de l’attribution de la carte est possible, puisque les accords d’Évian du 18 mars 1962, en vertu desquels les militaires français ont servi en Algérie après 1962, peuvent être regardés comme relevant des engagements internationaux de la France.
L’article L. 311-2 renvoie à un arrêté conjoint du ministre de la défense et du ministre chargé du budget pour la détermination des périodes à prendre en compte pour chacune des opérations ou chacune des missions concernées. Ainsi, cette extension sera rendue possible en modifiant ledit arrêté, qui date du 12 janvier 1994, sans qu’il soit opportun de passer par une loi qui, au total, pourrait compliquer l’application de la mesure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le rapporteur, au regard des éléments que je viens de vous exposer brièvement, vous admettrez que cette proposition de loi ne présente plus de nécessité en l’état : M. le Premier ministre a décidé de prendre cette mesure, elle sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2019, puis mise en œuvre par voie réglementaire.
M. Michel Savin. Mais bien sûr ! Vous êtes des spécialistes !
M. Jean Bizet. C’était une bonne idée !
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État. Toutefois – j’insiste sur ce point –, votre proposition de loi va dans le sens de l’action du Gouvernement, et nous nous en félicitons. (Murmures et protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Aussi, nous vous donnons rendez-vous pour l’examen du projet de budget par la Haute Assemblée : nous ne doutons pas une seule seconde de votre plein et entier soutien à cette disposition du futur budget.
M. Michel Savin. Ah !
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État. Je vous remercie vivement de votre attention et de votre intérêt, qui est aussi celui du Gouvernement, pour le monde combattant. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours du siècle dernier, la France a dû panser les plaies des grands conflits qui l’ont successivement minée. Aujourd’hui encore, à côté du devoir de mémoire, nous poursuivons le travail de réparation à l’égard de toutes celles et de tous ceux que l’histoire a emportés dans ses tourments.
La carte du combattant, par les droits qui lui sont attachés, constitue le principal vecteur de la reconnaissance de la Nation envers les anciens combattants. Pensée en 1926 pour la première génération du feu de la Grande Guerre, elle a été progressivement étendue jusqu’à concerner une deuxième, puis une troisième et enfin une quatrième génération du feu de soldats engagés dans les opérations extérieures.
Nous sommes tous très attachés à la mise en œuvre constante par l’État de la reconnaissance des sacrifices endurés par les militaires de carrière, par les appelés et par les supplétifs. Pour autant, nous n’ignorons rien des quelques imperfections de ce régime de reconnaissance, en particulier de l’iniquité qui perdure parfois au sein de certains de ses dispositifs. Il revient au législateur de les corriger.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la spécificité des conflits issus des indépendances a rendu plus tardive la reconnaissance du droit à réparation pour les anciens combattants d’Afrique du Nord. Il aura en effet fallu attendre 1974, soit douze ans après les accords d’Évian, pour que les militaires et les appelés accèdent clairement au statut d’ancien combattant et bénéficient enfin de la carte du combattant. Comment pouvait-il en être autrement ? Malgré les combats, malgré les souffrances, malgré les sacrifices, il n’a été question pendant longtemps que « d’opérations effectuées en Afrique du Nord ». Ce déni a été effacé par la loi du 18 octobre 1999, qui a reconnu la qualification de guerre d’Algérie.
Nous le devions aux 1 700 000 soldats mobilisés à l’époque.
Depuis lors, les conditions sont théoriquement réunies pour que le droit à réparation s’exerce pleinement, avec justice.
La proposition de loi soumise à notre examen est fidèle à cet esprit : il s’agit de mieux réparer.
Comme l’ont souligné les auteurs du texte, en limitant l’attribution de la qualité de combattant aux soldats présents entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962, pour les trois conflits d’Afrique du Nord, la loi de 1974 n’a pas tenu compte de la réalité du terrain, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. Pourtant, après le 1er juillet 1962, près de 75 000 militaires ont encore été déployés pendant deux ans de l’autre côté de la Méditerranée, afin de consolider les accords d’Évian. Malheureusement, 535 soldats français ont été tués sur un territoire, où, malgré le cessez-le-feu, les horreurs ont continué. Je pense notamment au terrible massacre d’Oran, le 5 juillet, et je refuse d’oublier le sort tragique des harkis.
Face à tout cela, le groupe du RDSE considère comme un devoir l’attribution de la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964.
L’adoption de la proposition de loi rétablirait une égalité de traitement entre les différentes générations du feu, mais aussi entre les frères d’armes, car la carte dite « à cheval », bien que légitime et attendue, avait introduit une nouvelle injustice.
De plus, un vote favorable concrétiserait un engagement de campagne du Président de la République.
Devant la commission des affaires sociales du Sénat, Mme la secrétaire d’État Geneviève Darrieussecq avait confirmé la décision du Gouvernement d’accéder à cette revendication du monde combattant. Elle avait également indiqué que la loi de finances pour 2019 prévoirait les financements nécessaires : 37,5 millions d’euros au titre de la retraite du combattant et 30 millions d’euros au titre de la demi-part fiscale dont bénéficient les anciens combattants. Je m’en félicite.
Mes chers collègues, pendant longtemps, les parlementaires ont connu des débats passionnés, s’agissant de la guerre d’Algérie. Il faut dire que ce conflit n’opposait pas seulement deux peuples – les Français aux Algériens –, mais aussi les Algériens aux Algériens et les Français aux Français. Certains d’entre nous ont vécu au plus près cette période tragique. Aujourd’hui, le temps et le travail de mémoire ont fait œuvre d’apaisement. C’est donc dans la sérénité que nous pouvons approuver l’initiative de nos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ouvrant le bénéfice de la carte du combattant aux soldats ayant servi en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964, notre nation va enfin accorder à ces combattants la reconnaissance symbolique et financière à laquelle ils aspirent bien légitimement.
Comme l’a rappelé dans son rapport notre collègue Philippe Mouiller, dont je salue de nouveau le travail, cette revendication s’est heurtée durant de trop nombreuses années à des obstacles politiques et budgétaires, de sorte que nous réparons aujourd’hui une longue injustice, grâce à cette proposition de loi et, surtout, grâce à l’engagement pris par le Gouvernement d’inscrire cette mesure et la dépense correspondante dans le projet de loi de finances pour 2019, soit 37 millions d’euros en coût budgétaire et 30 millions d’euros en coût fiscal. Sans cette volonté présidentielle et gouvernementale, mes chers collègues, le texte que nous votons aujourd’hui n’aurait probablement pas porté ses fruits, à l’image de ses prédécesseurs. Cela doit être souligné !
Notre groupe, qui a soutenu sans faille cette revendication auprès de Mme la secrétaire d’État Geneviève Darrieussecq, se félicite de la voir aboutir et votera ce texte, qui sera pleinement satisfait par la prochaine loi de finances.
À l’occasion de ce vote, nous souhaitons marquer notre entier soutien à la méthode retenue par Mme la secrétaire d’État, qui avait pris devant nous, en décembre dernier, l’engagement de mener, avec toutes les parties prenantes, une concertation d’ensemble sur les demandes du monde combattant, avec une écoute attentive, afin d’identifier précisément les priorités et les urgences.
En l’occurrence, cette méthode de travail a permis d’affiner le chiffrage, par les services de l’État, de la mesure d’équité que nous adoptons aujourd’hui, puis d’en sécuriser le financement auprès du Premier ministre. Il était de sa responsabilité de procéder ainsi, tout comme le Parlement est entièrement dans son rôle en déposant et en discutant une proposition de loi sur le sujet.
Il est heureux que les deux démarches aient enfin convergé au bénéfice des anciens combattants. Rendez-vous est donc pris pour le prochain débat budgétaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je regrette que nous débattions des anciens combattants sans qu’au moins un secrétariat d’État à part entière leur soit dédié, même si Mme Darrieussecq s’occupe de cette question.
La proposition de loi que nous examinons vise à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian, du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964.
La loi en vigueur depuis 1974 fait courir le bénéfice de la carte du combattant pour les opérations en Afrique du Nord jusqu’au 2 juillet 1962, veille de l’indépendance de l’Algérie. Cette date concerne les engagés en Algérie comme en Tunisie et au Maroc. Pourtant, si la fin de la guerre d’Algérie est officiellement fixée à la signature des accords d’Évian et l’indépendance algérienne au 2 juillet 1962, le contingent français est resté sur zone jusqu’en 1964. Ainsi, 305 000 soldats étaient présents au 2 juillet 1962, 103 000 en janvier 1963 et encore 50 000 en juillet 1964. En outre, 535 soldats français sont morts en Algérie après l’indépendance et le début du retrait des troupes.
Dans un premier temps et afin de pallier cet arrêt brusque de la reconnaissance, la loi de finances pour 2014 a créé la carte dite « à cheval », qui a permis à 11 000 anciens combattants, présents en Algérie à cheval sur les deux périodes – avant et après le 2 juillet 1962 –, de faire valoir leur droit à reconnaissance.
Les dispositions prévues dans cette proposition de loi répondent à une vieille revendication des associations d’anciens combattants, que nous avons l’habitude de rencontrer. Pouvons-nous encore, en 2018, accepter que le statut d’ancien combattant ne soit toujours pas accordé aux militaires français déployés en Algérie entre 1962 et 1964 ? Ceux qui ont perdu la vie pendant cette période ont droit à la qualification de « morts pour la France », les autres, à un titre de reconnaissance de la Nation. La preuve, en accordant ce titre, l’État français reconnaît le climat de dangerosité qui régnait à cette époque en Algérie.
Nous sommes face à une aberration : celui qui est arrivé sur place le 1er juillet 1962 a pu obtenir la carte du combattant, alors que celui qui est arrivé le 3 juillet 1962 n’a pu en bénéficier. Pourtant, vous en conviendrez, ces deux personnes se trouvaient dans le même peloton et y ont effectué, ensemble, les mêmes missions, les mêmes jours, aux mêmes horaires.
Je souhaite préciser qu’il ne s’agit ici en aucun cas de réécrire l’histoire. Cette décision ne doit pas conduire à changer de vision quant à la date de la fin de la guerre. Il s’agit d’une harmonisation qui ne vise ni plus ni moins qu’à conférer le même statut aux soldats envoyés en Algérie.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, plusieurs amendements avaient été déposés en ce sens. À l’époque nous nous étions heurtés à un refus du Gouvernement, qui nous demandait du temps.
Nous avons attendu, et nous avons tous pris connaissance de l’intention du Gouvernement d’accorder cette carte. Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, vous avez l’occasion de mettre en œuvre ce que vous avez annoncé.
Malheureusement, nos anciens combattants disparaissent chaque année, compte tenu de leur âge, et cela n’ira qu’en s’aggravant. Ils ont assez attendu et leurs associations, dans leur ensemble, souhaitent que cette inégalité de traitement soit réparée au plus vite.
Nous avons entendu votre position de principe, mais il manque encore des crédits, et nous demeurerons vigilants lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, afin de garantir l’affectation des crédits nécessaires et l’application de cette mesure.
La forte précarité sociale dans laquelle se trouvent ces anciens combattants ainsi que la légitimité de leurs revendications encouragent à soutenir cette délivrance de la carte de combattant. Le groupe CRCE se prononcera donc favorablement sur ce texte, tout en restant vigilant quant à la mise en œuvre de cette disposition. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer cette belle initiative parlementaire, qui fait mentir la phrase de Benjamin Constant : « La reconnaissance a la mémoire courte. » Elle répond à un souhait que j’avais formulé lorsque je m’étais exprimée au nom de mon groupe à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2018. Je suis ravie de soutenir cette avancée concrète, à laquelle je me suis jointe en cosignant ce texte. Baignant dans un environnement familial militaire, je ne saurais rester insensible à cette demande si légitime.
Je poursuivrai mes propos en évoquant le dénominateur commun qui nous unit aujourd’hui : la République. Nous tous ici croyons en la République de l’égalité et de la justice, en la République de la dignité. Oui, tous, ici, nous défendons l’expression de la reconnaissance de la Nation envers ses combattants d’hier et d’aujourd’hui, tous, sans la moindre distinction !
Ainsi, ne pas permettre aux soldats ayant combattu en Algérie après 1962 de bénéficier de la carte du combattant, contrairement aux militaires français engagés au Maroc ou en Tunisie après les indépendances de ces pays, est une inégalité. Les oublier est une injustice, ignorer leur sacrifice et leur courage, une profonde indignité.
De plus, il ne s’agit pas de travestir l’histoire, mais de rétablir des faits. Si les accords d’Évian entendent instaurer le cessez-le-feu et la fin de la guerre d’Algérie, alors les opérations de sécurité conduites entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964 l’ont été dans le cadre d’opérations extérieures.
Est-il vraiment utile de rappeler, mes chers collègues, que le titre de reconnaissance de la Nation, qui, par nature, marque la participation à un conflit armé comportant un risque d’ordre militaire, est attribué aux soldats présents jusqu’au 1er juillet 1964 ?…
En outre, je veux croire, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement demeure sensible à cette cause. En effet, je me souviens de l’intervention de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées, à l’occasion de la discussion de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » au mois de décembre dernier, ainsi que de son sens de l’écoute. Je la crois imprégnée de sincérité et de la ferme volonté de faire avancer ce douloureux dossier.
L’annonce de l’inscription de cette mesure dans le projet de loi de finances pour 2019 confirme ses propos, et nous saluons cet engagement. C’est la première fois qu’un gouvernement va jusqu’au bout en donnant satisfaction à cette demande ; il est important de le souligner.
Cependant, il y a urgence. Le temps est compté. N’attendons pas la disparition des derniers soldats pour enfin prendre en considération ce qu’ils demandent depuis tant d’années. Ils ont tout donné, parfois même jusqu’au dernier souffle, ils méritent notre reconnaissance, ils méritent le bénéfice de la carte du combattant. Reconnaître l’action de nos anciens, c’est aussi l’honneur de notre pays. Ils sont la France.
Enfin, une question majeure se pose à nous aujourd’hui : quel regard la France porte-t-elle sur son passé, mais aussi, dans un certain sens, sur son avenir ? La transmission de ce témoin aux générations actuelles et futures représente un enjeu qu’il ne faut pas méconnaître. D’une certaine manière, ce texte participe à cet exercice.
Mes chers collègues, n’oublions pas ces noms, ces visages, ces vies consacrées. C’est pourquoi le groupe Union Centriste apporte tout son soutien à cette proposition de loi déposée par Philippe Mouiller et la votera. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour trouver une issue favorable à une demande qui a souvent occupé nos débats ces dernières années, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, autour de propositions de loi émanant de tous les bancs. C’est ce travail parlementaire que je veux d’abord saluer, qui va finalement aboutir et permettre de répondre à une sollicitation récurrente des associations d’anciens combattants, telles que l’UNC, la FNACA et d’autres, dont j’ai l’habitude de côtoyer les représentants dans mon département, le Calvados.
Oui, nous allons réparer une inégalité persistante entre soldats français, selon qu’ils ont été engagés en Algérie avant ou après le 2 juillet 1962 !
Dans les faits, l’indépendance de l’Algérie n’a nullement signifié le départ immédiat de nos troupes du territoire algérien. Entre 1962 et 1964, plusieurs dizaines de milliers de soldats français y étaient toujours présents et 535 d’entre eux y ont trouvé la mort.
La présente proposition de loi permet de considérer cette période non pas comme un temps de guerre, mais comme un moment pouvant relever de la caractérisation d’opérations extérieures, ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant. Rappelons que cette dernière, qui manifeste la reconnaissance de la Nation envers ceux qui l’ont servie par les armes, permet de bénéficier d’avantages symboliques, comme le port de la croix du combattant, ou d’avantages matériels : une retraite annuelle de près de 750 euros et une demi-part fiscale supplémentaire. Les soldats qui ont été engagés en Algérie avant comme après le 2 juillet 1962 y ont bien évidemment droit. Il y va de l’équité entre frères d’armes et, au-delà, de l’égalité entre générations du feu.
Chaque quinquennat connaît des avancées en faveur du monde combattant. Je me félicite donc de la décision récemment annoncée par le Gouvernement d’octroyer, à partir de 2019, la carte du combattant aux soldats français déployés en Algérie après le 2 juillet 1962. Selon le Gouvernement, cela concernerait potentiellement 50 000 bénéficiaires. Je m’étais moi-même fait la porte-parole de leur légitime demande de reconnaissance lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018 et, encore plus récemment, le mois dernier, lors de l’audition de Mme Darrieussecq par le groupe d’études Sénateurs anciens combattants et de la mémoire combattante, dont je suis membre.
Je voudrais terminer mon propos en rappelant que beaucoup de choses ont été faites en direction du monde combattant lors du dernier quinquennat, comme la carte « à cheval », qui est une sorte de première étape dans la reconnaissance du rôle des anciens engagés en Algérie. Il faut également évoquer la revalorisation de 11 % des retraites des anciens combattants, l’abaissement à soixante-quatorze ans de l’âge requis pour bénéficier d’une demi-part supplémentaire, la refonte des aides sociales de l’ONACVG ou encore le travail mémoriel souhaité par le Président François Hollande, lequel a multiplié les signes forts. Toutes ces actions méritent d’être saluées.
Le groupe socialiste votera ce texte, comme une nouvelle main tendue à ces anciens soldats et pour les assurer que la France ne les oublie pas. Nous voterons cette proposition de loi également pour saluer le rôle du Parlement et souligner son travail, particulièrement sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues de Legge et Mouiller fait œuvre de justice et de bon sens. Elle répond à une demande des associations d’anciens combattants et répare une inégalité persistante entre militaires français, selon qu’ils ont été engagés en Algérie avant ou après le 2 juillet 1962.
Comme cela a été rappelé, 50 000 d’entre eux étaient encore présents sur le territoire algérien en 1964 et 535 ont perdu la vie après l’accès de l’Algérie à l’indépendance. Ce chiffre n’est pas anecdotique, il équivaut presque au nombre de soldats français morts pour la France de 1964 à nos jours.
Le devoir de reconnaissance que nous devons aux militaires français engagés après les accords d’Évian fait consensus au Parlement depuis longtemps. Les désaccords entre certaines associations ont été levés, et le monde combattant est maintenant unanime. Pourtant, les gouvernements successifs ont refusé d’accéder à leurs demandes. Pourquoi ?
Premièrement, on avance des raisons budgétaires. Cet argument est faible dans l’absolu, lorsque l’on parle d’hommes qui ont risqué leur vie pour la France, mais il est en outre de moins en moins pertinent à mesure que la population concernée diminue. Cette mesure coûterait 37,5 millions d’euros au titre de la retraite du combattant et entraînerait une dépense fiscale que l’on peut évaluer à 30 millions d’euros au titre de la demi-part fiscale, soit une dépense totale de 70 millions d’euros.
Reconnaissons que, face aux dépenses abyssales, passées ou à venir, engagées par l’État pour gommer des fautes de gestion – je pense à AREVA, mais aussi à la reprise de la dette de la SNCF, dont nous avons discuté récemment – cette somme est dérisoire. N’est-ce pas, monsieur le secrétaire d’État ? (M. le secrétaire d’État, sourit.) Elle l’est encore plus au regard des sacrifices consentis par nos soldats. Elle est enfin appelée à diminuer avec le temps, les combattants de la fin des années cinquante ayant aujourd’hui plus de quatre-vingts ans, le nombre de décès parmi eux ne cesse malheureusement de croître.
Deuxièmement, on avance un argument diplomatique : cette mesure nous brouillerait avec l’Algérie. À mon sens, elle aurait précisément un effet contraire et permettrait de tourner la page de ce conflit en nous conduisant à assumer les opérations qui ont eu lieu après les accords d’Évian, non pour remettre ces derniers en question, mais pour les consolider et permettre une transition pacifique.
Le Président de la République a eu des mots justes lors de sa visite en Algérie en décembre dernier : il ne faut rien renier du passé, n’avoir aucun tabou, mais regarder vers l’avenir d’une relation assainie et refondée.
Cette proposition de loi permet de reconnaître symboliquement une dimension de notre passé commun, qui doit enfin être assumée pour être dépassée.
Les oppositions sont donc aujourd’hui levées. Nous sommes entrés dans l’ère du consensus. Nous sommes heureux de constater que ce consensus est désormais partagé par le Gouvernement.
Le Gouvernement s’était d’ailleurs engagé, lors des discussions autour du projet de loi de finances pour 2018, à mener un travail sur le sujet et, notamment, à évaluer le coût d’une telle mesure. Il a tenu parole. Le Gouvernement souhaite désormais inscrire cette disposition dans le prochain projet de loi de finances. Ce choix courageux était attendu depuis plusieurs années. Notre groupe salue donc le respect de la parole donnée et la volonté d’avancer avec toutes les parties prenantes : parlementaires, associations et anciens combattants.
Cette proposition de loi n’en est que plus importante. Elle constitue une étape bienvenue sur la route de la reconnaissance de nos anciens combattants, qui révèle une fois de plus l’engagement continu des parlementaires, en particulier des sénateurs, sur ce sujet. Notre groupe votera donc ce texte à l’unanimité, en attendant d’obtenir pleinement satisfaction dans le prochain projet de loi de finances. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai déposée avec mes collègues Philippe Mouiller, Charles Revet et Jean-Marie Morisset vise à résoudre un problème aussi ancien que récurrent. Les associations d’anciens combattants comme de nombreux parlementaires réclamaient depuis longtemps cette mesure.
En effet, de très nombreuses propositions de loi ont été déposées sur le sujet sans qu’aucune d’entre elles n’aboutisse à un vote effectif. Monsieur le secrétaire d’État, je vous rappelle que votre collègue Gérald Darmanin, lorsqu’il était député, avait déposé dès 2012 un texte sensiblement identique à celui qui nous rassemble.
Au Sénat, à plusieurs reprises, des amendements ont été déposés. Lors du dernier débat budgétaire, une mesure avait été votée en ce sens.
Son dernier avatar fut la proposition de loi de notre collègue Gilles Lurton à l’Assemblée nationale, qui a été privée de débat, le 5 avril, au motif qu’elle était « bien trop prématurée au regard de la politique » que Mme la secrétaire d’État entendait mettre en œuvre en faveur du monde combattant.
Six semaines plus tard, alors que nous nous apprêtions à débattre en commission de notre texte, le Gouvernement annonçait le financement de cette mesure dans le prochain budget et concluait qu’il n’y avait plus lieu de débattre, puisque le problème était réglé.
Monsieur le secrétaire d’État, vous venez de nous expliquer que ce déblocage était le fruit des travaux de la secrétaire d’État et des nombreux groupes de travail qu’elle a réunis. Je n’en doute pas, mais vous conviendrez avec moi qu’il n’était pas besoin de réunir tant de groupes de travail pour faire droit à une revendication portée depuis des années par les associations d’anciens combattants et, surtout, pour honorer une promesse du Président de la République faite bien avant que ces groupes de travail ne se réunissent.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Dominique de Legge. La méthode, un peu grossière, n’est pas nouvelle : elle a été utilisée pour de nombreux textes d’initiative sénatoriale, qui furent ainsi purement et simplement récusés à l’Assemblée nationale pour renaître sous une forme sensiblement identique, mais, cette fois, sur l’initiative du Gouvernement.
M. Jean Bizet. C’est un hasard…
Mme Patricia Schillinger. Vous exagérez ! Lorsque vous étiez au pouvoir il y a quelques années, vous n’avez rien fait !
M. Dominique de Legge. Je souhaite rappeler ici que, depuis 2008, la Constitution prévoit un ordre du jour partagé, accordant une place à l’initiative parlementaire. Je ne peux que déplorer que cette pratique, qui consiste à ne considérer un texte comme bon et légitime que s’il émane du Gouvernement ou du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, en limite l’intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Elle n’augure pas bien de l’état d’esprit du Gouvernement dans la perspective de la réforme constitutionnelle, dont on perçoit qu’elle ne va pas dans le sens d’un renforcement des droits et du pouvoir du Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, le sujet qui nous rassemble cet après-midi mérite mieux qu’une ligne votée dans le cadre du marathon budgétaire. Je déplore qu’un sujet aussi sensible, qui engage l’honneur de la France, sa mémoire et la reconnaissance due à ceux qui ont risqué ou perdu leur vie pour elle, se réduise pour le Gouvernement à une simple question comptable.
Je remercie le rapporteur Philippe Mouiller et le président de la commission Alain Milon d’avoir maintenu ce texte. Il nous a paru important de rendre justice à ces combattants et d’honorer par là même la mémoire de leurs frères tombés en Algérie durant cette période. Je dis « nous », car cette proposition de loi a recueilli plus de 120 signatures issues de toutes les formations politiques, pour exprimer de manière solennelle, par la voix des représentants de la Nation, notre reconnaissance à ces combattants injustement écartés d’une prestation à laquelle ils avaient droit.
Monsieur le secrétaire d’État, il ne faut jamais redouter le débat parlementaire, surtout lorsqu’il porte sur un texte aussi consensuel, touchant à la mémoire de notre pays. Vous n’avez rien à craindre du débat, puisque nous voulons exactement la même chose que vous : que justice soit enfin faite ! Voyez dans la détermination du Sénat sa volonté de débattre et puis – pourquoi pas ? – d’accompagner le Président de la République dans la réalisation des promesses qu’il avait faites ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la proposition de loi, dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Belle unanimité ! (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Préservation d’une politique agricole commune forte
Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes, de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, en faveur de la préservation d’une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé (proposition n° 430, rapport n° 475, rapport d’information n° 437).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, mes chers collègues, depuis dix-huit mois, la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes ont mené un important travail de fond sur la PAC, la politique agricole commune, en amont de la nouvelle réforme. Dès juillet 2017, avec Daniel Gremillet, Claude Haut et Franck Montaugé, nous avons ainsi publié un rapport d’information intitulé PAC : traverser le cap dangereux de 2020, complété par une première proposition, devenue résolution européenne du Sénat, le 8 septembre 2017.
Au regard des éléments préparatoires publiés par les instances européennes et des positions prises par les autorités françaises, il nous a semblé indispensable de revenir sur le sujet. En effet, l’architecture de la réforme en gestation est manifestement éloignée de nos recommandations. Compte tenu de l’importance capitale de la PAC, le Sénat ne pouvait naturellement pas en rester là.
La seconde proposition de résolution européenne, qui a été adoptée à l’unanimité le 19 avril dernier par notre commission des affaires économiques et notre commission des affaires européennes, confirme et prolonge nos réflexions antérieures. Nous voulons une PAC forte, rénovée et répondant aux attentes des agriculteurs.
Je ne peux manquer de m’émouvoir de l’ampleur de la baisse annoncée pour les moyens budgétaires de la PAC. La Commission européenne « communique » sur une diminution de 5 % en euros constants. En prenant en compte l’inflation, la diminution réelle atteindrait 15 %. S’y ajouterait aussi l’impact, mécaniquement défavorable à la France, de la poursuite du processus de convergence des paiements directs à l’intérieur de l’Union européenne au bénéfice des nouveaux membres.
Je me suis aussi inquiétée à la lecture des propositions pour la future PAC 2021-2027 publiées le 1er juin par la Commission européenne. Ces dernières reposent sur quatre grandes orientations.
La première concerne le nouveau mode de mise en œuvre imaginé pour la PAC. Concrètement, l’approche uniforme serait remplacée par davantage de subsidiarité : des plans stratégiques seraient élaborés par les États membres, puis validés par la Commission. Ce modus operandi est supposé simplifier le cœur de la politique agricole commune en retenant une approche par les résultats plutôt que par les moyens. Il présente néanmoins un double risque de « renationalisation » et de distorsion de concurrence.
La deuxième orientation de la nouvelle PAC vise à établir des conditions plus équitables grâce à un meilleur ciblage des aides. En résumé, les paiements directs aux agriculteurs seraient réduits jusqu’à 60 000 euros et plafonnés à 100 000 euros par exploitation en déduisant les coûts de main-d’œuvre.
La troisième orientation tend à encourager l’innovation et la recherche. Ainsi, 10 milliards d’euros issus du programme Horizon y seraient affectés.
La dernière orientation défendue par la Commission a pour objet de relever les ambitions environnementales et climatiques de la PAC. Les paiements directs seraient ainsi subordonnés à des exigences accrues : au-delà du « verdissement » actuel considéré comme acquis, il y aurait à l’avenir treize exigences réglementaires – à commencer par les directives Nitrates, Bien-être animal, Habitat, Oiseaux – auxquelles s’ajouteraient douze conditions agroenvironnementales définies au niveau européen, dont cinq nouvelles.
Les États membres ou les régions auraient ensuite à préciser aux agriculteurs les règles à suivre pour mettre en œuvre ces grands principes.
Enfin, chaque État membre devrait disposer de programmes écologiques, que la Commission européenne a baptisés, en langue anglaise, Eco Schemes, incitant les agriculteurs à aller au-delà des exigences obligatoires.
En définitive, la dernière des quatre orientations annoncées le 1er juin représente à l’évidence une innovation importante dont il faudra prendre le temps de mesurer l’impact. En première analyse, la question posée est celle de la nature même de la PAC : s’agira-t-il toujours à l’avenir d’un budget de soutien à une activité économique ou bien cette politique deviendra-t-elle un budget d’accompagnement de la réglementation environnementale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes.
M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’axerai mon propos sur la comparaison entre l’économie générale de notre proposition de résolution européenne et le contenu des propositions législatives de la Commission européenne, dont ma collègue Pascale Gruny vient de vous présenter la synthèse.
D’une façon générale, les réflexions de la Commission européenne, censées préfigurer les contours de la prochaine réforme, sont assurément décevantes à plusieurs titres. En effet, elles ne reprennent que très imparfaitement, voire contredisent sur le plan budgétaire, aussi bien les recommandations de la première résolution du Sénat du 8 septembre 2017 que celles de notre nouvelle – et seconde – proposition de résolution européenne sur la PAC. J’observe toutefois que les négociations ne font que commencer.
Par ailleurs, les autorités françaises ont d’ores et déjà jugé « inacceptables » les propositions de la Commission européenne au titre des crédits budgétaires de la PAC pour la période 2021-2027 dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne.
Nous attendons donc désormais avec intérêt, monsieur le ministre, de connaître la position du Gouvernement sur le contenu même des propositions formulées par la Commission européenne. Dans cette perspective, le seul énoncé des quatre orientations avancées par la Commission européenne, à savoir la confirmation du nouveau mode de mise en œuvre de la PAC, le ciblage des aides, l’encouragement de la recherche et l’approfondissement des ambitions environnementales, apparaît sensiblement différent de nos propres priorités.
Pour mémoire, la proposition de résolution européenne du Sénat met en avant les cinq points suivants : premièrement, l’impérieuse nécessité d’un budget stable en euros ; deuxièmement, de vives inquiétudes et réticences à l’égard du nouveau mode de mise en œuvre envisagé de la PAC ; troisièmement, le refus du statu quo en matière de règles de concurrence et de gestion de crise ; quatrièmement, la réaffirmation des préconisations antérieures en matière de commerce international ; enfin, de fortes interrogations sur la possibilité d’aboutir à un accord sur la PAC d’ici au printemps 2019.
Au total, le texte de notre nouvelle proposition de résolution européenne comporte vingt-trois demandes et recommandations, précédées par un ensemble de quatre considérants. Il a vocation à compléter notre première proposition de résolution européenne, adoptée par le Sénat le 8 septembre 2017. Il reprend d’ailleurs explicitement et sans aucun changement la partie de cette résolution relative au commerce international, cette reprise étant justifiée par l’importance des négociations commerciales en cours, à commencer par celles avec les pays du MERCOSUR, qui ont dominé l’actualité des derniers mois.
Mes collègues rapporteurs insisteront dans quelques instants sur certains points clés des propositions législatives de la Commission européenne avec laquelle nous avons des divergences plus ou moins importantes.
Permettez-moi cependant de conclure mon propos sur une note positive – il en faut une ! La Commission européenne prévoit en effet d’allouer un minimum de 2 % de la dotation en paiement direct au soutien de l’installation des jeunes agriculteurs. Sur ce point capital, comme d’ailleurs sur la recherche et l’innovation, nos préoccupations ont été prises en compte.
En définitive, monsieur le ministre, nous avons grandement besoin que la France continue à exprimer une volonté politique forte pour soutenir la politique agricole commune, car, pour reprendre les termes du commissaire Phil Hogan, « jamais cette politique n’a été autant sous pression ». (Applaudissements au banc des commissions et sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole européenne est à un tournant historique, peut-être plus important encore que celui qu’elle a connu dans les années 1990. Véritable politique fondatrice de l’Union européenne, elle en est depuis les années soixante le volet le plus intégré. Or c’est justement à l’heure où l’on parle d’une Europe en crise que la Commission européenne a délibérément choisi de sacrifier sa politique la plus européenne. Plus qu’une faute, c’est un véritable renoncement.
En proposant de réduire le budget de la politique agricole commune de plus de 40 milliards d’euros pour la prochaine période du cadre financier pluriannuel allant de 2021 à 2027, la Commission européenne a suscité l’indignation du monde agricole.
Ces chiffres, déjà très préoccupants, sont malheureusement présentés sous leur meilleur jour. Compte tenu de l’inflation que la Commission ignore volontairement, la baisse du budget de la politique agricole commune sera davantage de l’ordre de 12 % que des 5 % annoncés.
Les subventions directes seront sévèrement touchées par une coupe brutale de 8 %. Le deuxième pilier de la politique agricole commune, qui permet des investissements dans des projets d’avenir ruraux serait quant à lui amputé d’un quart de son budget par rapport à la période précédente.
Pour la France, cela entraînera concrètement une réduction de plus de 600 millions d’euros par an des aides directes de la PAC. Cela se traduira instantanément par une coupe sèche dans les revenus des agriculteurs. Comment peut-on le permettre, alors qu’un tiers des agriculteurs français ont des revenus très faibles ?
Il est d’ailleurs paradoxal pour un gouvernement français de défendre au niveau national une meilleure rémunération pour les agriculteurs dans un projet de loi que nous aurons à connaître d’ici à la fin du mois de juin, tout en laissant, au niveau européen, opérer des baisses drastiques et directes des revenus des agriculteurs.
Le commissaire européen Phil Hogan, décrivant ces perspectives budgétaires, a parlé d’un « résultat très équitable pour les agriculteurs ». Permettez-moi de lui répondre que, au regard de la situation de notre agriculture, ces paroles sont inacceptables, incroyables de la part du commissaire qui doit porter le projet de l’agriculture et de l’agroalimentaire au sein de l’Union européenne.
Il n’est pas question de contester la complexité de l’équation financière que la Commission européenne doit résoudre en établissant son cadre financier pluriannuel. Au regard de ses ambitions, l’Union européenne n’a pas assez de ressources. Or, tout en constatant que la perspective du Brexit ampute potentiellement son budget de 12 milliards d’euros, l’Union européenne aspire à accroître ses ambitions en répondant à de nouvelles priorités politiques, notamment en matière de défense ou de migrations.
Il est en revanche de notre devoir de dénoncer le fait que la Commission européenne finance ses nouvelles priorités en sacrifiant la PAC. On aurait pu imaginer une ambition budgétaire européenne bien plus forte tout en partant du socle de base, qui était la politique agricole commune. Cela donne l’amère impression que la Commission européenne la considère comme une vieille politique destinée à être abandonnée peu à peu. Croire cela, c’est témoigner d’une absence totale de vision à long terme.
La politique agricole commune est, mes chers collègues, la condition première de la souveraineté de l’Union européenne. Elle permet d’assurer l’indépendance et la sécurité alimentaires de tout un continent. C’est pourquoi elle revêt des enjeux géostratégiques essentiels au XXIe siècle. Tous les autres grands pays l’ont compris. Les efforts budgétaires en matière agricole des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, de la Russie ont considérablement augmenté ces dernières années, avec de véritables perspectives et de véritables ambitions. L’Union européenne s’apprête à faire l’inverse.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Si une telle réduction du budget venait à être décidée, il s’agirait d’un revirement brutal, totalement à contre-courant de la politique suivie par les autres puissances mondiales.
Face à cette situation, la France doit être ferme et intraitable, monsieur le ministre. Le Gouvernement doit être à la hauteur des enjeux. Les négociations préalables ont été un échec. Il n’est pas trop tard pour changer la donne.
Mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. Cela dépasse de loin nos appartenances politiques. Il s’agit de l’avenir de l’agriculture. Il s’agit de l’avenir de la ferme France. Il s’agit de l’avenir de nos territoires. Il s’agit d’assurer aux générations futures la garantie alimentaire.
Le Sénat, au travers de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes, s’est mobilisé depuis l’année dernière, pressentant des négociations délicates tant sur la nouvelle architecture de la politique agricole commune que sur son budget. Sur ce point, la proposition de résolution européenne appelle au strict minimum que la PAC bénéficie pour la période 2021-2027 d’un budget d’un montant stable en euros par rapport à la période précédente. Je vous invite donc à l’adopter, afin d’envoyer un signal fort à la fois au Gouvernement et aux institutions européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, rapporteur. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit.)
M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la réussite d’une réforme ne se mesure pas qu’à l’aune du budget qui lui est consacré, mais tout de même…
Après l’annonce de la baisse de 5 % par la Commission européenne – c’était déjà beaucoup trop ! – et, comme un coup de canon, la correction opérée par le commissaire européen au budget, portant la diminution à 14 % sur les aides directes et à près de 25 % sur le développement rural, on peut former les plus vives inquiétudes sur l’aboutissement du processus.
Dans de telles conditions, ce que la loi qui fait suite aux états généraux de l’alimentation pourrait hypothétiquement faire gagner aux producteurs français, la PAC leur enlèverait, et peut-être même au-delà. Je ne le souhaite pas, bien entendu, mais je crois que nous avons un devoir de lucidité. Les propositions que nous faisons dans ce texte n’en sont donc que plus pertinentes. J’en reprendrai quelques-unes qui illustrent la responsabilité et la solidarité dont nous devons faire preuve à l’égard des acteurs du monde agricole, en premier lieu des producteurs.
Le système du pur libre marché, qui place directement et en permanence le producteur seul face à des marchés volatils ou des acheteurs concentrés, est peu compatible avec une économie agricole variée, performante et durable. Les crises nombreuses doivent pouvoir faire l’objet d’interventions avec de nouveaux outils – je pense aux mécanismes contracycliques ou aux aides volontaires à la gestion des volumes du marché, comme le VCI, le volume complémentaire individuel, pour le vin.
Nous en appelons aussi à l’activation en temps opportun de la réserve européenne de crise et à sa gestion par période triennale. Les outils assurantiels et les fonds de mutualisation de gestion des risques doivent également être promus et accompagnés.
Sur le plan des principes de gestion de la PAC, nous en appelons au pragmatisme pour être efficaces dans la concurrence et dans la gestion des crises nombreuses. À cet égard, la façon dont la France et l’Europe gèrent la révision de la carte des zones défavorisées simples est un contre-exemple absolu en matière de pragmatisme.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Franck Montaugé, rapporteur. Dans mon département, par le truchement de critères ubuesques, 140 éleveurs situés sur des territoires de forte pente au potentiel agronomique parmi les plus faibles de France vont devoir arrêter leur exploitation à cause de la perte de l’ICHN, l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, qui est une part essentielle du faible revenu qu’il leur reste.
M. Roland Courteau. Dans l’Aude aussi !
M. Franck Montaugé, rapporteur. Cela représente 1 million d’euros de perdus sur un total de 6 millions dans le Gers, terre ancestrale de polyculture et d’élevage. Stop au darwinisme agricole et au sacrifice délibéré des paysans les plus modestes !
Après des cas comme celui-là, injustifiables, inexplicables aux hommes et aux femmes qui en sont les victimes, il ne faut pas s’étonner que l’idée européenne régresse et que le populisme de rejet des grandes constructions de l’après-guerre gagne du terrain au péril de la démocratie. C’est aussi de cela qu’il est question avec la PAC, pas moins !
Nous espérons malgré tout qu’il n’est pas trop tard – c’est l’état d’esprit qui a présidé aux travaux du groupe de suivi et à la rédaction de cette proposition de résolution européenne. C’est pourquoi nous faisons des propositions qui vont dans le sens d’une meilleure insertion et d’une meilleure prise en compte des agriculteurs dans les diverses transitions auxquelles notre société et nos territoires doivent contribuer.
Dans le cadre de la politique énergétique nationale et de la programmation pluriannuelle de l’énergie à venir, la PAC doit faciliter les investissements des agriculteurs en matière de production d’énergies renouvelables. Les cultures et les forêts stockent, on le sait, d’énormes quantités de carbone, et le pouvoir de séquestration de l’agriculture est un enjeu majeur, comme nous le rappelle le programme « 4 pour 1 000 »
La valeur et l’existence même des paysages ruraux relèvent de la notion de bien commun de la société. Notre comptabilité nationale et celle des autres Européens ne sont pas aujourd’hui adaptées à la prise en compte de ce patrimoine naturel.
Notre proposition de résolution européenne ouvre cette réflexion indispensable en demandant la création d’une prestation pour service environnemental ou écosystémique qui serait versée aux agriculteurs en fonction de leur contribution aux enjeux de transition pour lesquels la France et tous les autres pays européens ont pris des engagements devant les citoyens du monde.
Dans le domaine des accords commerciaux, au-delà de l’absolue nécessité d’une concurrence loyale et équilibrée protégeant nos signes d’identification de la qualité et de l’origine, nous rappelons l’enjeu de préservation des relations commerciales avec la Grande-Bretagne.
Je pense qu’il faudra aussi très vite mesurer les conséquences que pourraient avoir les ruptures profondes que les États-Unis sont en train d’introduire dans les échanges mondiaux. Quelles en seront les conséquences pour l’agriculture française et pour les échanges agroalimentaires ?
Mes chers collègues, que le budget de la PAC se maintienne ou non, il y a nécessité de rendre souples et agiles les crédits correspondants, qu’ils soient affectés au premier ou au second pilier, afin de les rendre plus efficients. La filière viticole a donné l’exemple il y a quelques années en réinterrogeant sa stratégie et son rapport à la PAC. L’exemple n’est peut-être pas transposable à toutes les filières, mais il mérite d’être connu.
Vigilance et responsabilité ont guidé les travaux de notre groupe de suivi – cette proposition de résolution européenne en est la parfaite illustration. Nous attendons maintenant, monsieur le ministre, de savoir comment le Gouvernement entend préserver les intérêts agricoles et agroalimentaires de la France tout en ouvrant des perspectives nouvelles et réalistes pour soutenir durablement l’ensemble de ses agriculteurs et des territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première résolution du Sénat, celle du 8 septembre 2017, visait à envoyer « un message politique fort adressé au président de la Commission européenne et au président du Parlement européen qui renforcera utilement les efforts déjà engagés par les pouvoirs publics français pour faire entendre la position française sur l’avenir de la politique agricole commune ».
Il est à craindre que ce message politique très fort n’ait pas ou guère été entendu, d’où l’urgence d’en formuler un second en des termes plus précis. Cette fois, il s’adresse plus encore aux autorités politiques françaises afin qu’elles fassent valoir cette position au Conseil.
Dans la foulée des interventions de mes collègues rapporteurs, je souhaite, pour ma part, insister sur deux points.
En premier lieu, notre proposition de résolution européenne met l’accent, à dessein, sur ce qui constitue le cœur de la prochaine réforme aux yeux de la Commission européenne, c’est-à-dire le mécanisme de mise en œuvre de la PAC. Nous voudrions ici conjurer le risque d’une « vraie fausse » simplification, qui ne profiterait paradoxalement qu’à la direction générale Agriculture de la Commission européenne, sans atteindre les premiers intéressés, à savoir les agriculteurs.
Nos craintes sont partagées par nombre d’observateurs. À titre d’illustration, je citerai ici les propos de Luc Vernet au nom de Farm Europe : « La Commission propose une PAC nationalisée ou régionalisée, moins politique et plus technocratique, où elle garderait un droit de veto systématique. Il ne s’agit en aucune façon d’une simplification. »
Au surplus, l’expérience des plans de développement régional du second pilier, dont la complexité byzantine est unanimement reconnue, laisse perplexe. Les risques de distorsion de concurrence sont élevés : certains États membres pourraient être tentés d’utiliser le principe de subsidiarité pour gagner en compétitivité grâce au moins-disant réglementaire. Inversement, d’autres pays, dont la France, pourraient vouloir aller au-delà des normes européennes.
Monsieur le ministre, est-ce vraiment cela que nous voulons ?
J’en arrive, en second lieu, au statu quo qui se dessine sur les règles de concurrence et de gestion des crises après les avancées introduites par le « Règlement Omnibus ». La Commission européenne semble s’en satisfaire. Notre proposition de résolution européenne fait valoir a contrario que ce règlement ne constitue qu’une étape dans la voie d’une meilleure sécurisation des revenus des agriculteurs.
Six autres points sont ensuite consacrés aux progrès souhaités par vos rapporteurs tant en matière de gestion des risques que de modalités d’intervention sur les marchés en période de crise ou d’adaptation des règles de concurrence.
Monsieur le ministre, la prochaine réforme de la PAC ne pourra éluder les sujets de la rémunération des agriculteurs, du fonctionnement des marchés et de la volatilité des cours des produits agricoles.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. À défaut, elle marquerait un renoncement, faute de consensus européen, comme l’a justement souligné le professeur Jean-Christophe Bureau dans un entretien publié avant-hier.
En définitive, il semblerait, pour reprendre les mots employés par Paul Verlaine dans son célèbre poème Chanson d’automne, qu’un vent mauvais souffle sur la prochaine réforme de la PAC.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Absolument !
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Cette deuxième proposition de résolution européenne du Sénat ambitionne précisément de servir à la fois de signal d’alarme pour les institutions françaises et d’un appel au sursaut sur le plan européen. Il n’est peut-être pas encore trop tard pour inverser le cours des choses. Cela supposerait, en particulier, que les autorités politiques françaises envoient désormais des messages univoques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. À tort ou à raison, certains de nos partenaires ont manifestement interprété la période récente comme celle d’un aggiornamento de la position suivie par la France depuis 1962.
Monsieur le ministre, si notre pays ne défend pas la PAC, qui le fera ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission des affaires européennes, messieurs les rapporteurs, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous y préparions tous depuis de nombreux mois : la Commission européenne a publié, le 2 mai dernier, son projet de budget pour la prochaine période de programmation post-2020 et, le 31 mai, ses projets de règlement de la future politique agricole commune. Nous entrons donc dans une nouvelle phase de discussion et de travail.
Dès ma prise de fonction, j’ai organisé de nombreuses réunions sur ce sujet avec l’ensemble des acteurs concernés. J’ai notamment souhaité qu’une grande conférence se tienne – elle a eu lieu le 19 décembre dernier à Paris – pour que chacun puisse exprimer ses attentes, ses espoirs, ses exigences vis-à-vis de cette politique, qui reste plus que jamais au cœur du projet européen.
Cette conférence a été un grand succès ; elle a réuni de nombreuses personnes : des parlementaires français, dont des membres du Parlement européen, ainsi que des représentants du secteur agricole et agroalimentaire, de la société civile, des ONG et de la Commission européenne – le commissaire à l’agriculture Phil Hogan était notamment présent.
Ce succès s’explique par les fortes attentes des citoyens européens vis-à-vis de cette politique. Nous devons les entendre et nous donner les moyens d’y répondre.
La PAC est l’une des plus anciennes politiques européennes – cela a été rappelé. Elle est la seule qui soit véritablement intégrée et, de ce fait, elle est un symbole pour l’ensemble du projet européen. Elle n’est pas parfaite, nous le constatons tous, mais elle a su évoluer au fil des années pour s’adapter.
Ce que je retiens de ces échanges, c’est d’abord un impérieux besoin de simplification. Nous avons atteint un niveau critique, et la prochaine réforme de la PAC ne sera réussie que si elle apporte de réelles améliorations, avant tout, pour nos agriculteurs.
Cette simplification doit permettre aux agriculteurs de se recentrer sur leur métier, et la nouvelle PAC devra libérer leur capacité à innover, à se moderniser, à fournir non seulement une alimentation de qualité et durable, mais aussi l’énergie ou des matériaux de demain. En résumé, et c’est là l’essentiel, la PAC doit accompagner la transformation de l’agriculture européenne.
Nous l’avons vu tout au long des discussions qui se sont tenues dans le cadre des états généraux de l’alimentation, ce sont toutes les filières qui doivent se transformer, être mieux structurées afin de mieux répartir la valeur ajoutée et d’aboutir à des prix raisonnables pour tous. La PAC doit permettre d’accompagner les plans de filières. Elle doit continuer à être une politique tournée vers l’avenir, qui renforce la position des agriculteurs dans les négociations commerciales.
Mais tout cela ne sera possible que si les agriculteurs, et au premier chef les nouveaux installés, peuvent se prémunir contre les aléas de tous ordres : les événements climatiques extrêmes, les crises sanitaires et, de façon générale, les aléas économiques et la volatilité des prix.
L’agriculture européenne, singulièrement l’agriculture française, est ouverte sur le monde. Nous importons des produits, nous en exportons également beaucoup. Nous pourrions d’ailleurs mieux accompagner nos producteurs pour gagner des parts de marché à l’export ; nous nous devons d’être offensifs en la matière.
Mais nous avons également des filières sensibles, stratégiques, que nous devons protéger, soutenir, défendre. Nous sommes dans une phase de négociations commerciales bilatérales intenses. L’Union européenne, après avoir négocié avec le Canada, se prépare à entrer dans une phase finale avec le MERCOSUR et à ouvrir de nouvelles négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
À ce sujet, je porterai un message clair partout où cela sera nécessaire : nous devons nous assurer que les politiques européennes sont cohérentes entre elles. Nous ne pouvons pas soutenir des filières sensibles grâce à la PAC, d’un côté, et ne pas les protéger dans les négociations commerciales internationales, de l’autre. Il serait inacceptable d’aboutir, par exemple avec le MERCOSUR, à un accord qui mettrait en danger les filières bovine, éthanol ou sucre.
M. Michel Raison. On est d’accord !
M. Stéphane Travert, ministre. Nos agricultrices et nos agriculteurs, les femmes et les hommes qui travaillent dans nos secteurs agricoles et agroalimentaires, doivent disposer de toutes les garanties pour faire face à ces aléas. Pour cela, j’attends que les outils de gestion des risques soient au cœur de la future PAC. De ce point de vue, pour moi, cela ne fait absolument aucun doute : les aides directes du premier pilier, découplées et couplées, constituent la première maille du filet de sécurité.
Mais la PAC doit aller plus loin, beaucoup plus loin, car les aléas climatiques, notamment, sont nombreux et de plus en plus violents. Nous l’avons vu récemment avec les terribles orages qui se sont abattus sur notre pays et ont partiellement – parfois, totalement – détruit les récoltes à venir. Ces aides doivent également s’accompagner d’une responsabilisation de chaque acteur au sein des filières.
Bien sûr, il faut que la PAC prévoie des outils pour que les agriculteurs disposent rapidement et facilement d’une aide de trésorerie. En ce sens, la réserve de crise doit absolument évoluer pour être d’utilisation plus souple. Tous les outils qui permettent d’agir sur le marché doivent être préservés : stockage public et privé, possibilité de réduire volontairement la production, comme cela a été fait lors de la crise laitière en 2016. Tout cela doit être fait plus rapidement, plus efficacement, sans attendre que la situation se dégrade. Nous avons donc besoin d’observatoires des marchés opérationnels et réactifs.
Il faut aussi que la PAC accompagne les agriculteurs pour faire face aux autres urgences, notamment le changement climatique. L’agriculture fait pleinement partie de la solution pour affronter cette question à travers le stockage du carbone,…
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Stéphane Travert, ministre. … mais aussi grâce au développement de nouvelles filières autour de la bioéconomie et de la chimie verte. L’agriculture est le seul secteur capable d’offrir aujourd’hui une alternative crédible à l’utilisation des matériaux fossiles. La PAC doit accompagner l’agriculture dans la mutation de toute notre société vers une économie bas-carbone.
De façon plus générale, les préoccupations environnementales doivent être pleinement intégrées à la PAC. Beaucoup de choses ont été faites pour améliorer les pratiques ; il faut continuer et amplifier ce mouvement.
La préoccupation environnementale n’est pas une lubie. Agir en faveur de la biodiversité et participer à l’amélioration de la qualité des eaux, de l’air ou du bien-être animal concourent à faire de l’agriculture européenne celle ayant les plus hauts standards au monde. Nous devons en être fiers et aller encore plus loin, en favorisant tous les dispositifs de qualité, l’agriculture biologique, mais aussi les autres schémas de certification. De ce point de vue, la présence dans la proposition de la Commission européenne d’un instrument en faveur de l’environnement dans le premier pilier de la PAC est une bonne nouvelle.
Les propositions de règlement que la Commission européenne a publiées le 1er juin nous permettront-elles de faire tout cela et de relever l’ensemble des défis qui se posent à nous – meilleur fonctionnement des marchés, renouvellement des générations ou encore développement équilibré de tous les territoires, qu’ils soient confrontés à des difficultés naturelles ou ultrapériphériques ? Cette nouvelle PAC nous permettra-t-elle d’innover, de moderniser les systèmes de production et de défendre nos exploitations familiales dans une économie mondialisée ? Il est encore trop tôt pour le dire. Nous n’en sommes qu’au début d’une négociation qui durera longtemps et qui, n’en doutez pas, sera âpre et dure. Nous devrons négocier cette politique à vingt-sept avec des logiques parfois totalement différentes. Il faudra prendre en compte non seulement la position des autres membres du Conseil, mais aussi celle du Parlement européen, l’autre colégislateur.
Comme je l’indiquais, des choses positives figurent d’ores et déjà dans les projets présentés par la Commission européenne, mais certaines orientations méritent d’être éclaircies.
L’un de mes points principaux d’attention concernera les aspects liés à la gouvernance. Nous ne pouvons qu’être satisfaits que la Commission européenne propose une approche stratégique globale, qui soit souple et source de simplification pour les bénéficiaires de cette politique. Cela peut permettre de répondre à notre demande de subsidiarité : les mesures européennes doivent pouvoir s’adapter à nos territoires, si variés en Europe.
Ces plans stratégiques, qui doivent décrire la façon dont les États mettent en œuvre à la fois le premier et le second pilier, permettront d’intégrer des objectifs européens de façon transversale. Ainsi, les questions environnementales doivent être abordées aussi bien à travers le premier pilier, avec la conditionnalité ou la rémunération des services environnementaux, qu’à travers le deuxième pilier, avec les mesures agroenvironnementales et climatiques.
Les plans stratégiques doivent permettre de s’assurer que toutes les mesures de la politique sont cohérentes et que les lignes de partage entre les différents dispositifs et la répartition des responsabilités sont claires. Cependant, sous prétexte d’une flexibilité et d’une simplification qui ne concerneraient que la seule Commission européenne, cette démarche ne peut pas et ne doit pas se traduire par un risque de distorsion de concurrence entre les États membres de l’Union.
La PAC doit rester, par construction, une politique européenne, et les obligations doivent être les mêmes pour tous les agriculteurs européens. Vous l’aviez souligné dans votre rapport de juillet 2017, toute renationalisation, même partielle, serait un coup fatal porté à cette politique – je partage pleinement cette orientation.
Dans les mois à venir, nous allons être totalement mobilisés. Je le suis d’ores et déjà. La France dispose d’une voix qui pèse à Bruxelles. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ah ?
M. Laurent Duplomb. On en reparlera !
M. Stéphane Travert, ministre. Vous pouvez compter sur ma combativité, mon énergie et ma mobilisation pour la faire entendre.
Cela commence par le nerf de la guerre : le budget. Accompagner cette grande transformation de l’agriculture européenne ne se fera pas sans argent. Nous devons nous donner les moyens de nos ambitions.
Le 2 mai dernier, la Commission européenne a proposé un budget global pour l’Union européenne à vingt-sept en augmentation, mais, dans ce budget, la PAC est en baisse de 5 % en euros courants, c’est-à-dire sans prendre en compte l’inflation. En réalité, donc, c’est une baisse de plus de 15 %, si l’on prend en compte l’inflation, et elle atteint 25 % pour le second pilier de cette politique. Un quart du budget ! C’est donc la seule PAC qui participerait au financement du départ du Royaume-Uni ! Pourquoi le revenu des agriculteurs européens devrait-il baisser en raison du départ d’un État membre ? Je l’ai dit dès le premier jour, et je le redis : c’est inacceptable !
Je consulte l’ensemble de mes partenaires européens. Le 31 mai dernier, avec mes homologues espagnol, portugais, irlandais, finlandais et grec, nous avons créé le groupe de Madrid, parce que nous partageons la même position, la même aspiration pour une PAC forte avec un budget ambitieux.
Ce n’est qu’un début : hier, à Sofia, nous avons continué de travailler en ce sens, et l’Italie, la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et bien d’autres vont nous rejoindre. Nous cherchons donc des alliés un par un, et notre mobilisation est totale pour défendre la politique agricole commune dont nous avons besoin. Nos agriculteurs ne doivent pas courir le risque de voir la viabilité de leurs exploitations remise en cause.
Je compte saisir toutes les opportunités pour défendre l’ambition qui est la nôtre : un budget stable pour une PAC renouvelée, simple et efficace. Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis favorable à l’adoption de cette proposition de résolution européenne. (M. Claude Haut applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que le Sénat examine aujourd’hui cette proposition de résolution européenne, qui tombe à point nommé.
En nous saisissant à nouveau de ce dossier complexe, nous honorons non seulement la Haute Assemblée, mais surtout, et avant tout, le travail inlassable de nos agriculteurs. Or il est impératif de continuer à les défendre pour plusieurs raisons : ils sont affaiblis par des crises successives et les aléas climatiques ; ils se trouvent aux prises avec la volatilité des marchés mondiaux ; l’agriculture est à la base de notre culture et de notre civilisation ; sans les agriculteurs, notre sécurité alimentaire ne serait plus qu’un leurre. Aujourd’hui, notre vigilance sur les difficultés qu’ils rencontrent est essentielle, elle demeurera constante et indéfectible.
Je souhaite aussi remercier mes collègues du groupe de suivi de la PAC pour le travail constructif et transpartisan que nous menons ensemble depuis plusieurs années déjà, en particulier lors de ces derniers mois où les auditions ont été d’une grande richesse.
Le projet de budget de la PAC proposé par la Commission européenne est désormais connu et, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, il est inacceptable, car il conduirait à des baisses drastiques et insoutenables de revenu pour nos agriculteurs. Les défis actuels auxquels fait face l’agriculture européenne sont si nombreux qu’il serait incompréhensible qu’une telle réduction budgétaire soit entérinée.
Comment, avec une telle baisse du budget, ne pas craindre pour la viabilité de nos exploitations ? Comment accompagner la transition de notre agriculture vers des systèmes plus durables et résilients ? Comment réparer les conséquences encore visibles des crises passées ?
Monsieur le ministre, nous connaissons votre combat aux côtés de plusieurs de vos homologues européens – vous les avez cités – pour défendre un budget stable et à la hauteur de nos ambitions. Nous ne pouvons que vous soutenir dans cette entreprise, et nous vous demandons bien évidemment de continuer en ce sens afin de convaincre d’autres de vos collègues.
Rappelons que la PAC est la politique la plus intégrée de la construction européenne. Bien que perfectible, elle est l’une des réussites de ce projet européen, mais elle est aussi la pierre angulaire de notre sécurité et de notre souveraineté alimentaires, nationales comme européennes. En effet, dans les négociations commerciales qu’elle mène au nom de ses pays membres, l’Union européenne a fait de la défense de standards élevés de qualité, sanitaires et environnementaux, tout comme de la promotion de ses indicateurs géographiques, un point offensif. Nous approuvons évidemment cette démarche.
Ces normes élevées sont une force et font de l’Union européenne l’une des principales puissances agricoles du monde. Or la PAC contribue pleinement à rendre ces standards possibles. De même, elle sera demain l’une de nos réponses aux défis climatiques, qui nous frappent déjà de plein fouet. Soyons donc cohérents et ne défendons pas d’un côté des normes que nous affaiblissons nous-mêmes de l’autre !
Nous en convenons : la PAC doit être modernisée. Elle souffre d’imperfections et de complexités, qui l’empêchent d’être pleinement efficace. Toutefois, nous refusons que cet effort de simplification se fasse au détriment de l’essence même de ce qui la caractérise : incarner une politique commune qui protège les agriculteurs comme les consommateurs. Il n’est pas question de sacrifier ce trait de caractère de la PAC, et je dirais même ce trait de valeur, qui a été si ardemment défendu.
Les objectifs poursuivis par ce projet de réforme de la Commission européenne sont louables sur le papier. On ne peut qu’y souscrire. Je pense par exemple à la simplification visant à atteindre une meilleure efficacité, à l’établissement d’une allocation plus juste des aides directes, aux ambitions plus élevées en matière d’environnement et d’action pour le climat ou à l’attention portée aux jeunes dans un contexte où seuls 6 % des agriculteurs européens ont moins de trente-cinq ans.
Cependant, des interrogations subsistent. Parce que le temps me manquera, je ne partagerai avec vous qu’une seule de mes réflexions ; elle concerne les plans stratégiques nationaux agricoles.
L’expérience passée des plans de développement régional du second pilier nous a laissés bien perplexes… Avec cette proposition de plans nationaux, nombreux sont les experts qui s’inquiètent des risques élevés de distorsion de concurrence et de divergences entre les agricultures nationales.
Cette crainte est légitime, dès lors que les conditions d’attribution des aides ne seront plus identiques pour l’ensemble des États de l’Union européenne et qu’elles seront seulement guidées par des principes généraux. Certains États pourraient être tentés d’utiliser le principe de subsidiarité pour gagner en compétitivité, en ayant recours au moins-disant réglementaire. Inversement, d’autres pays, dont le nôtre, pourraient vouloir aller au-delà des normes minimales européennes.
Même si le commissaire Phil Hogan tente de nous rassurer et nous promet que la Commission européenne veillera à éviter de telles distorsions, ces scénarios ne sont pas fantaisistes, puisqu’ils se réalisent sur d’autres sujets.
Vous l’avez compris, malgré ces réserves, le groupe La République En Marche votera cette proposition de résolution européenne en faveur de la préservation d’une PAC forte. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la négociation du prochain cadre financier européen pour la période 2021-2027 aurait pu être l’occasion de recadrer, réorienter, la politique agricole commune, mais, encore une fois, l’occasion est manquée. Le pire, c’est qu’il semble qu’il n’y ait plus véritablement de vision commune de la politique agricole européenne. Ainsi, la baisse du budget, annoncée à 5 %, sera en fait plus importante, comme cela a été souligné notamment par M. le ministre, afin de financer les nouvelles priorités politiques de l’Union européenne. Si le financement de ces priorités est nécessaire, cela ne doit pas se faire au détriment de l’agriculture.
Nous soutenons donc la démarche de nos collègues, en particulier sur la nécessité d’une adaptation du droit de la concurrence au secteur agricole, d’un renforcement du poids des producteurs dans la chaîne alimentaire ou encore d’un renforcement de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales des firmes transnationales et contre les pratiques des centrales offshore d’optimisation fiscale du secteur de la distribution.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer, la PAC a évolué au fil du temps vers un simple soutien au revenu des agriculteurs, principalement en fonction des surfaces cultivées – c’est le premier piller – et avec un budget modeste pour financer le développement rural – le second pilier. Ce faisant, elle bénéficie principalement aux gros producteurs.
L’objectif d’accroissement de la productivité a pris le pas sur les autres objectifs et a provoqué la disparition massive des petites exploitations jugées moins rentables et moins capables de faire face aux défis de la concurrence, notamment dans le cadre de l’OMC, qui exige que l’Union européenne aligne ses prix agricoles sur les cours mondiaux.
Il y a donc ceux qui s’enrichissent – 84 % des aides vont à 20 % des agriculteurs – et les petits exploitants qui ne s’en sortent pas.
La tentative de verdissement des aides, décidée en 2013, a globalement été un échec. Les propositions qui sont aujourd’hui sur la table correspondent à une PAC beaucoup moins commune avec une forte réduction des budgets du second pilier et un renoncement à toute politique environnementale ambitieuse.
Il est urgent que l’Europe mette en place une nouvelle politique agricole commune, intégrant un véritable plan stratégique de souveraineté et de sécurité alimentaires, et qu’elle cesse de sacrifier son agriculture sur l’autel du libre-échange. Il faut aussi que cessent les concessions agricoles accordées dans les négociations commerciales – MERCOSUR, CETA, etc. –, qui menacent des pans entiers de l’agriculture européenne et nombre de nos territoires.
De plus, pour nous, comme pour nos collègues députés européens, il faut sortir la PAC de cette politique productiviste mortifère. Entre le flux des paiements indiscriminés du premier pilier, dont une proportion échappe in fine aux agriculteurs et dont les effets redistributifs posent question, et l’éparpillement du second pilier entre des objectifs très variés, la politique agricole commune n’a plus de véritable orientation.
À l’inverse, nous voulons une agriculture familiale, locale, permettant une production de qualité, un « réinvestissement » des campagnes et une transition écologique et ayant pour objectifs la souveraineté alimentaire et une rémunération juste pour celles et ceux qui travaillent la terre. Pour cela, nous demandons une relocalisation de la production afin de favoriser les circuits courts, qui permettent une meilleure traçabilité des produits et favorisent de nouvelles formes de distribution.
Nous demandons aussi une redirection des aides vers les exploitations paysannes en faveur de la transition écologique ; une sortie du glyphosate et des substances nocives pour la santé et l’environnement, tout en accompagnant financièrement les agriculteurs ; une production axée sur la transition écologique, en favorisant la rotation des cultures et en refusant les OGM ; la mise en place des réformes foncières par les États membres pour lutter contre la spéculation sur les terres et l’étalement urbain ; des instruments publics de régulation de la production – réinstauration de quotas pour sortir de la logique de surproduction, maintien des droits de plantation des vignes – ; la mise en place d’un système européen de garantie de la propriété publique du patrimoine génétique animal et végétal pour éviter son appropriation par les multinationales ; la mise en place d’agences publiques de certification et de contrôles des productions bio et des labels afin de favoriser les savoir-faire locaux.
Nous voterons bien évidemment cette proposition de résolution européenne pour consolider le budget de la politique agricole commune, mais nous devons aussi être beaucoup plus ambitieux sur les objectifs et le contenu de cette politique. En ce qui nous concerne, nous ne cesserons de travailler dans le sens d’une agriculture durable et de qualité, tant en France qu’en Europe.
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toutes les informations qui nous parviennent sur la réforme de la PAC nous alarment, pour trois raisons.
D’abord, la réforme de la PAC s’inscrit dans un contexte complexe : celui de l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel, marqué, d’une part, par les conséquences financières du retrait britannique et, d’autre part, par les nouveaux défis posés à l’Europe, qui se traduiront par de nouvelles priorités politiques et budgétaires.
Ensuite, des réductions drastiques sont annoncées.
Enfin, l’agriculture européenne, notamment française, est fragilisée par les crises des dernières années. Nos agriculteurs, dont un tiers perçoivent 350 euros par mois, vivent des situations dramatiques.
Dans ce contexte, et au vu des éléments préparatoires de la Commission européenne, le signal d’alarme que constitue cette proposition de résolution européenne est plus que nécessaire. J’en salue les auteurs et rapporteurs, qui lancent un appel clair au niveau institutionnel français, ainsi qu’au plan européen.
Si nous voulons conserver notre statut de première puissance agricole mondiale et renforcer le poids de nos secteurs agroalimentaires, un budget stable et ambitieux s’impose. La Chine, les États-Unis, l’Inde et la Russie l’ont bien compris, qui ont accru leur effort budgétaire en la matière.
Au-delà de ces objectifs et de la volonté de conquérir de nouveaux marchés, il y a une volonté d’aller vers plus d’Europe et de sauvegarder une politique historique, symbole de l’ambition européenne.
Ainsi donc, il s’agit aujourd’hui de se poser les bonnes questions et de retrouver le sel. La PAC n’est pas seulement une affaire budgétaire : c’est la colonne vertébrale de notre modèle agricole.
Quelle alimentation voulons-nous réellement en Europe ? Quelle agriculture pour nourrir sainement 500 millions de consommateurs européens ? Quelle agriculture pour peupler nos territoires et les rendre dynamiques et attractifs ? Quelle durabilité de notre modèle agricole ? Quelles relations commerciales pour défendre nos intérêts ? Comment poursuivre le défi de l’autosuffisance alimentaire à l’échelle de notre continent ? Les recommandations formulées par cette proposition de résolution européenne répondent en partie à ces questions, et le groupe Union Centriste y souscrit pleinement.
Par ailleurs, je tiens à souligner que le redécoupage des zones défavorisées tel qu’il a été acté est une hérésie sur certains territoires de France et qu’il s’opérera au détriment de la préservation de l’emploi et de la diversité des territoires. Nombre d’exploitants exclus de la future carte attendent, monsieur le ministre, des réponses de votre part. Le sentiment d’abandon est très présent dans l’agriculture française.
Nous formons donc le vœu que les négociations à venir et le budget européen aboutissent dans un sens qui dote l’Europe des moyens nécessaires à une ambition franche pour notre agriculture européenne.
Cela passe aussi par la question des ressources budgétaires de l’Union européenne. À cet égard, monsieur le ministre, qu’en est-il de la position du Gouvernement au sujet de l’augmentation du budget européen et des ressources propres ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier personnellement M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny et MM. Claude Haut et Franck Montaugé, auteurs de cette proposition de résolution européenne « en faveur d’une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires ».
À la veille des débats sur le projet de loi portant sur l’agriculture et l’alimentation, cette proposition de résolution européenne tient lieu de signal d’alarme.
Dans ses propositions relatives au cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne propose une réduction de 5 % du budget de la politique agricole commune en euros courants. Les aides directes aux agriculteurs, qui représentent pourtant une part non négligeable des revenus de ceux-ci, accuseraient une baisse de 4 % en euros constants, soit 80 % de la baisse annoncée du budget total.
En opérant une coupe budgétaire drastique, cette proposition de la Commission européenne revient à faire de la politique agricole commune une variable d’ajustement du budget européen et à considérer l’agriculture comme une simple valeur ajoutée à l’architecture européenne, alors qu’elle en est le ciment.
En réaction à cette offensive, la présente proposition de résolution européenne vise à garantir des ressources budgétaires stables et suffisantes pour soutenir les producteurs et encourager l’évolution de notre modèle agricole. Nous attendons notamment une évolution du droit de la concurrence. Il est urgent que le droit européen s’adapte aux spécificités du monde agricole. À cet égard, j’ai présenté en commission des affaires économiques un amendement visant à formaliser une demande de reconnaissance des circuits de proximité. Dans le droit européen, en effet, les règles des marchés publics sont contraignantes et ne permettent pas de privilégier l’approvisionnement dit de proximité en produits locaux, par exemple pour alimenter la restauration scolaire. La libre concurrence ne doit pas se faire au détriment de nos territoires ! Nous devons ouvrir notre commerce à l’extérieur, sans perdre le lien local.
Cet amendement, cosigné par plus de quarante de nos collègues, exprime d’abord une volonté qui émane de nos élus locaux. Ainsi, dans le Nord, des maires mènent une résistance exemplaire pour permettre aux enfants de leur commune de manger sainement, avec des produits frais issus des exploitations voisines. La demande est forte en matière de circuits de proximité.
Pour autant, je ne saurais recommander à l’agriculture française de se replier sur elle-même. Je plaide pour un développement agricole équilibré : si des secteurs tels que les produits maraîchers et la viande se prêtent aux circuits courts, il en va autrement pour les secteurs d’exportation que sont les céréales, le vin, l’huile de colza ou encore la pomme de terre. N’oublions pas les circuits longs ! Une bouteille sur dix de vin français est consommée en Chine et 90 % des productions de cognac sont exportées…
Or la volonté de réduire le budget de la politique agricole commune entre en contradiction avec les choix géostratégiques opérés par les autres grandes puissances agricoles mondiales, à commencer par la Chine, les États-Unis et la Russie.
« L’agriculture est la locomotive de l’économie russe », a dit Vladimir Poutine. Ne laissons surtout pas à la Russie le monopole de la diplomatie agricole ! La France est douée pour négocier des Airbus, des Rafale, mais quelle est sa stratégie en matière d’exportations agricoles ?
N’oublions pas que la stabilité politique de nombreux pays, au premier rang desquels l’Algérie et l’Égypte, dépend de leurs importations de céréales françaises. Mes chers collègues, un hectare de blé sur dix produits en France contribue à nourrir des pays d’Afrique du Nord, dont, en 2050, les besoins en céréales auront décuplé sous les effets du changement climatique, de la croissance démographique et des flux migratoires.
Diminuer les aides de la politique agricole commune, c’est oublier que la surproduction nationale bénéficie à des millions de personnes vivant hors de nos frontières ; c’est oublier aussi que ces exportations participent à la balance commerciale de la France.
L’Europe est avant tout une puissance agricole : ne sacrifions pas le budget de la politique agricole commune sur l’autel des nouvelles priorités européennes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite que notre assemblée se penche cet après-midi sur l’avenir et le budget de la politique agricole commune. Le sujet est d’une actualité brûlante, puisque, vendredi dernier, la Commission européenne a dévoilé ses propositions, non sans susciter de vives inquiétudes.
Les eurodéputés ont manifesté de fortes réserves, qu’ils ont formalisées dans une résolution adoptée à une large majorité. C’est un signal qui rejoint, monsieur Gremillet, celui que le Sénat a envoyé voilà quelques mois.
Je tiens à saluer la qualité du travail accompli par nos quatre collègues du groupe de suivi sur la réforme de la PAC, jusqu’à la présente proposition de résolution européenne. En effet, ils n’ont pas manqué de tirer la sonnette d’alarme. Oui, pour ne pas les citer, la PAC pourrait « traverser un cap dangereux en 2020 » !
On le sait, en l’état des négociations, si rien n’est fait, la PAC pourrait être une variable d’ajustement des conséquences budgétaires du Brexit – de 10 milliards à 13 milliards d’euros en moins – et de l’émergence de nouvelles priorités politiques, notamment en matière de sécurité, de migration et de défense.
Il faut donc entrevoir un cadre financier pluriannuel plus ambitieux, en y intégrant une dynamique de ressources propres. En effet, dans le prochain cadre, la PAC serait amputée de 5 % de ses crédits – si l’on entre dans la bataille des chiffres, la baisse serait en réalité de près de 15 %, compte tenu de l’inflation. Alors que cette politique fondatrice de l’Union européenne est garante de la sécurité et de l’autonomie alimentaires de celle-ci, elle ne pèserait plus que 28,5 % au sein du budget de l’Union européenne, contre 37 % aujourd’hui.
Il serait tout à fait paradoxal que l’Europe se désarme dans ce domaine, au moment où, au contraire, les grandes puissances économiques telles que le Brésil, l’Inde, la Russie ou les États-Unis investissent lourdement dans leur indépendance alimentaire, donc dans leur politique agricole.
Nous ne pouvons accepter cette baisse drastique, et vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que vous ne l’acceptiez pas non plus.
Dans un contexte concurrentiel de plus en plus exacerbé et compte tenu des différents aléas auxquels doit faire face notre agriculture, une politique européenne de soutien demeure essentielle à la viabilité de nombreuses exploitations agricoles en France. En effet, les aides représentent aujourd’hui en moyenne 47 % du revenu des agriculteurs français. Une perte de 5 milliards d’euros d’aides directes au cours de la période 2021-2027 est donc inenvisageable pour notre pays.
Certes, l’Europe peut porter une ambition agricole commune rénovée et encore mieux adaptée aux nouvelles exigences économiques, environnementales et de consommation. Les agriculteurs se sont toujours montrés ouverts à la modernisation, pourvu qu’elle soit porteuse de sens et source de simplification.
En conséquence, sur les grandes lignes, on doit pouvoir obtenir un consensus au sein de l’Union européenne pour l’accompagnement des exploitations dans leur développement et leurs innovations, la gestion et la prise en compte des changements climatiques, l’aide à la modernisation des entreprises, l’appui à la structuration de filières modernes pour mieux organiser la production et, surtout, la fondation d’une politique véritablement commune de gestion des risques agricoles et de gestion de crise. Je regrette que la Commission européenne manque particulièrement de volontarisme sur ce point.
Seulement, tout cela sera difficile à réaliser si la PAC n’est pas maintenue dans une dynamique budgétaire.
Au-delà des considérations financières, la Commission européenne propose une méthode de mise en œuvre de la PAC qui risque de poser problème. Les organisations agricoles se sont inquiétées, à juste titre, du principe de subsidiarité, qui entraînerait des distorsions de concurrence entre les agriculteurs européens, ce que la PAC est pourtant censée éviter.
Même si les plans stratégiques des États membres seront soumis à un contrôle, ne s’oriente-t-on pas vers une renationalisation rampante des aides ? Au RDSE, nous sommes fermement opposés à toute forme de renationalisation de la PAC en ce qui concerne le premier pilier !
Je n’oublie pas non plus la pression exercée pour harmoniser les montants des paiements directs.
Pour autant, il ne s’agit pas de s’enfermer dans un conservatisme ; mais garantissons une politique commune avec un grand « C » ! Pour cela, maintenons un socle de règles standards et de soutiens financiers communs, ainsi qu’une politique de marché, tout en garantissant à chaque État une marge de manœuvre raisonnable et réaliste.
S’agissant du second pilier, conçu comme porteur d’une politique territoriale, voire territorialisée, nous pourrions renforcer la subsidiarité au niveau des pays, voire à l’échelle des régions.
L’agriculture européenne a besoin aussi d’un soutien modernisé, à travers la mise en place de nouveaux outils. Je pense en particulier au statut de l’agriculteur, qui doit avancer afin de permettre une meilleure répartition des aides.
La question se pose également de la sécurisation du revenu ; elle a été engagée par le « Règlement Omnibus », mais, comme je l’ai déjà souligné, celui-ci ne va pas assez loin. Il faut notamment renforcer les mécanismes assurantiels et de gestion de crise pour pouvoir soutenir la résilience des exploitations agricoles face à la volatilité des prix et aux aléas climatiques. La présente proposition de résolution européenne le suggère.
Il faut aussi réaffirmer une politique ambitieuse en matière de diversité des cultures, notamment en direction des cultures sources de protéines, des légumineuses et des protéagineux.
Il me paraît également important de soutenir et de sécuriser les filières d’agrocarburants, afin de rendre l’Europe moins dépendante des énergies fossiles. Elles sont aussi une source importante de protéines.
Mes chers collègues, le Sénat a toujours été très attentif à l’avenir de la PAC, sans pour autant ignorer l’intérêt des autres politiques européennes, ô combien nécessaires.
Le RDSE, très attaché à l’Europe, est soucieux de l’équilibre à trouver sur le plan budgétaire pour faire coexister toutes les priorités et toutes les attentes de nos concitoyens. Seul un budget à la hauteur des défis permettra d’y parvenir.
Naturellement, le groupe du RDSE votera cette proposition de résolution européenne porteuse d’ambition pour l’Europe et pour notre agriculture, qui avance des pistes de réflexion concrètes et opportunes. Je renouvelle mes félicitations à ses quatre auteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne revêt un caractère extrêmement important, puisque, entre les défis actuels et futurs pour notre agriculture et les annonces de la Commission européenne, un fossé abyssal est en train de se creuser.
Si nous partons du postulat, fort probable, que la population mondiale atteindra 9 milliards d’habitants en 2050, la sécurité alimentaire est une problématique cruciale.
Peu de pays au monde ont la chance d’avoir un climat tempéré et permettant une production agricole sereine. La France a cette chance, doublée par le fabuleux avantage de la multiplicité de ses territoires, qui contribue à offrir un panel de produits exceptionnels.
L’agriculture a aussi le fabuleux pouvoir de façonner les paysages partout dans le pays, faisant l’ébahissement de millions de touristes.
Cela a été jusqu’à présent possible, car nous avons toujours favorisé le maintien d’une agriculture familiale, répartie dans toutes les régions de France. C’est aussi le fruit d’une politique sachant corriger les écarts : la compensation des handicaps naturels, à travers notamment l’ICHN, a été un des éléments les plus aboutis d’une prise en compte des différences de productivité entre la plaine et la montagne.
Tous ces éléments devraient nous permettre de croire à un avenir meilleur pour l’agriculture française : elle aurait un rôle central dans le défi de nourrir le monde et éviterait que des millions de personnes soient réduites à quitter leur pays et à migrer à la recherche hypothétique d’une vie meilleure.
Eh bien non, monsieur le ministre, rien de ce que l’on entend ou lit aujourd’hui des communiqués de la Commission européenne ne nous permet de croire à un avenir meilleur pour nos agriculteurs ! En effet, l’annonce de la diminution de 5 % du budget de la PAC nous fait froid dans le dos, d’autant plus que ce chiffre cache une réalité encore plus sombre : une baisse réelle de 14,7 % sur le premier pilier et de 26,3 % sur le second. Vendredi dernier, la Commission européenne a même annoncé le passage des cofinancements obligatoires des États membres pour le second pilier de 25 % à 57 %, ce qui engendrera une dépense supplémentaire pour l’État français de l’ordre de 1,2 milliard d’euros.
Tout cela est critiquable à souhait. Aussi, je m’interroge : pourquoi, malgré l’évidence de l’impérieuse nécessité d’avoir une agriculture forte, en sommes-nous arrivés là ?
En cherchant bien, je trouve des éléments de réponse, dont le premier se trouve dans le discours prononcé par Emmanuel Macron à la Sorbonne, le 26 septembre dernier. Le Président de la République a insisté pour ouvrir un débat décomplexé sur la PAC, en en critiquant d’ailleurs les contours, tout en proposant de nouvelles politiques européennes, comme la défense ou l’immigration.
Comment n’avoir pas compris que, dans une Europe déchirée par le Brexit, avec la situation instable de pays comme l’Italie ou l’Espagne et des pays de l’Est qui ne voient dans la PAC qu’une source de financement social de leurs populations rurales, le risque d’ouvrir la boîte de Pandore était réel ? Et que le résultat de ces annonces ne pouvait que faire baisser le premier budget européen que constitue la PAC ?
Comment ne pas comprendre, quand on est Président de la République française, que, lorsqu’on demande de faire plus à l’Europe, alors que, dans le même temps, nous ne le pouvons pas, asphyxiés que nous sommes par nos dépenses publiques et notre dette, cela ne peut qu’accélérer une diminution du budget de la PAC ?
De plus, dans ce même discours, Emmanuel Macron a proposé plus de subsidiarité des États membres dans l’application des modalités de la PAC. Cela me fait craindre le pire et m’amène à ma deuxième réponse.
Depuis des années, le problème des ministres de l’agriculture français, aujourd’hui le vôtre, monsieur le ministre, est simple : ils ne savent pas quoi défendre au niveau européen,…
M. Laurent Duplomb. … tiraillés qu’ils sont sans cesse entre une agriculture économiquement productive et une agriculture qui se plierait au diktat de l’écologie punitive, passéiste, recroquevillée sur elle-même (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.), où tout passe par la théorie du complot permanent et la folle idée que l’on distille matin, midi et soir d’une agriculture qui empoisonne, qui pollue, qui tue !
M. Laurent Duplomb. Ce manque de cap de nos ministres successifs, qui a contribué à rendre la voix de la France dans le domaine agricole inaudible, laisse la plus grande place à nos concurrents Nord-européens, qui, eux, ont bien compris que l’agriculture est un formidable levier de croissance et de création de valeur, tant sur le marché intérieur qu’à l’export.
Alors, monsieur le ministre, il faut vous ressaisir ! Portez haut et fort la voix de la France agricole ! Ne restez pas en retrait des discussions européennes !
Gambetta, en 1883, avait voulu faire chausser les sabots de la République aux paysans ; cela a été une réussite, tant les agriculteurs ont contribué à l’effort pour faire une France solide. Ne les décevez pas, ne les déchaussez pas : ayez le courage d’affirmer que la France est un grand pays agricole et que l’agriculture française est largement capable de relever le défi de nourrir les Français et bien d’autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, avant tout, à remercier le groupe de suivi sur la réforme de la PAC, ses coprésidents, Sophie Primas et Jean Bizet, et nos quatre rapporteurs.
On fait dire aux chiffres ce que l’on veut. Aujourd’hui, nous savons que la Commission européenne propose une baisse de 5 % de la PAC : 365 milliards d’euros au lieu de 408 milliards. Rapportée en euros constants, à vingt-sept membres au lieu de vingt-huit – à la suite du Brexit – et sur la période 2021-2027, cette baisse s’élève à ni plus ni moins que 17 %.
L’annonce de la diminution du budget français de la prochaine PAC a produit ses réactions immédiates : un mélange d’indignation et de colère, avant le désespoir. Mais il ne suffit pas de dire que les propositions de la Commission européenne sont inacceptables ; il faut agir !
Mes chers collègues, si nous voulons être honnêtes, nous devons admettre que cette annonce n’est pas une surprise. En effet, face aux autres enjeux de l’Europe – Brexit, gestion de la politique migratoire, de la défense et du numérique –, nous savions que la PAC serait menacée.
Quelles que soient nos convictions politiques, nous devons reconnaître à Stéphane Le Foll la ténacité avec laquelle il a arraché, à la force des poignets, le maintien du budget précédent. Nous savions que, pour la nouvelle PAC, ce serait encore plus difficile. Je vous souhaite, monsieur le ministre, la même réussite.
Nous avons été nombreux à affirmer qu’une réforme de la PAC devait intervenir.
Appréhender les mutations internationales pour repenser une agriculture au sein de l’Union européenne, c’est d’abord réfléchir aux défis que nous devons collectivement relever : maintenir une indépendance alimentaire et la qualité de nos productions, garantir le revenu des agriculteurs en limitant la volatilité des prix, préserver l’environnement et s’adapter aux changements climatiques, répondre aux obligations de sécurité alimentaire et préconiser l’accès à des outils de gestion des risques.
Pour cela, il faut une PAC plus équitable. Cela concerne un meilleur ciblage des aides directes sur la diversité des systèmes agricoles, sur les petites exploitations et vers les jeunes,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Henri Cabanel. … un paiement redistributif obligatoire accordant une aide plus élevée sur les premiers hectares, un plafonnement obligatoire tenant compte de la capacité des exploitations à garder de l’emploi, un paiement à de véritables agriculteurs actifs et des paiements assis sur une forte conditionnalité.
En juin dernier, je formulais ainsi la problématique : alors que nous nous trouverons en 2017 à mi-parcours, nous devons nous questionner sur ce que la PAC peut encore apporter à l’agriculture française. Comment doit-elle se redéfinir afin de continuer à remplir ses objectifs : assurer un niveau de vie équitable à nos agriculteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables aux consommateurs ? Un an plus tard, les mêmes questions restent posées…
Il n’y a plus de temps à perdre, car, parallèlement à cette annonce de réduction de la PAC, les crises se succèdent, sanitaires, climatiques et économiques, emportant avec elles de nombreux agriculteurs et limitant l’envie des plus jeunes de s’installer.
Alors, que faire ?
Premièrement, une réorientation en profondeur s’impose. Si la Commission européenne a avancé la grande idée d’un new delivery model, c’est-à-dire d’un transfert de la gestion de toutes les aides de la PAC aux États membres, cette renationalisation me semble contraire à l’idée même de l’Europe, fondée sur la solidarité et l’interdépendance, avec des objectifs communs pour une agriculture européenne forte.
De fait, aujourd’hui, nous nous sommes éloignés de cette philosophie de départ : les États membres sont mis en compétition et les règles ne sont plus les mêmes, ce qui crée une concurrence ressentie comme déloyale par nos agriculteurs français, puisque, au sein même de l’Union européenne, les agriculteurs des différents États ne sont pas soumis aux mêmes charges sociales ni aux mêmes obligations sanitaires. Les nouvelles orientations vont aggraver cet état de fait.
Le rapport Dorfmann sur le futur de l’agriculture et de l’alimentation, réalisé dans le cadre de la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen, souligne la nécessité de revenir à la genèse : les pays membres doivent suivre un cadre commun de règles européennes très solides, comprenant objectifs, règles de base, instrument d’intervention, indicateurs de contrôle et contributions financières, ce qui éviterait toute distorsion de concurrence.
Le même rapport salue l’idée d’une nouvelle approche de résultat, si celle-ci doit simplifier la PAC et la rendre moins bureaucratique. Il insiste cependant sur la nécessité de disposer de critères uniformes pour les sanctions en cas de non-conformité. Il invite aussi la Commission européenne à réaliser des contrôles financiers et de performance et des audits pour s’assurer que le nouveau modèle s’appliquera selon des règles et critères identiques dans tous les États membres.
Enfin, dernière mise en garde : ce nouveau modèle de gestion des aides devra respecter l’organisation des pouvoirs de chaque État membre, souvent définie par une constitution.
À cet instant, je voudrais souligner l’efficacité et la performance de l’organisation commune du marché vitivinicole, qui a permis d’avoir une viticulture moderne, de restructurer notre vignoble pour correspondre à une demande de qualité et de responsabiliser la filière sur ses choix stratégiques, qui ont montré, depuis sa création, leur efficience.
Enfin, il n’est pas concevable, dans un contexte où les autres pays augmentent leur budget agricole, à commencer par les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Brésil, que l’Europe sacrifie son agriculture. Il faut donc trouver des ressources. Une participation jusqu’à 1,3 % du PIB par pays membre, soit une augmentation de 0,2 point de PIB, permettrait tout simplement de maintenir le budget de la PAC en ayant les moyens d’assumer d’autres politiques.
Dans le cadre du groupe de suivi de la PAC, nous avons reçu au Sénat les attachés des ambassades de plusieurs pays membres : l’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie et la Slovénie. Tous les représentants de ces pays étaient favorables à cette orientation. La question qui se pose est : quel niveau de participation est-il réellement envisageable par pays membre ?
Cette nouvelle PAC est primordiale, au-delà même de l’agriculture : le rapport Dorfmann met bien en exergue l’importance du développement rural pour le développement des territoires, la durabilité et l’emploi. Il souligne tout l’intérêt de l’initiative LEADER et des démarches collectives pour valoriser l’ensemble des ressources locales en biens alimentaires, non alimentaires – bioéconomie, énergies renouvelables – et en services, ainsi que pour promouvoir l’économie circulaire. Il insiste aussi sur le maintien des compensations pour les exploitations situées en zone défavorisée. Il propose de créer un nouveau fonds pour les communautés locales de développement, à l’aide d’une réserve de 10 % de tous les fonds structurels.
Nous devons collectivement avoir le courage de fixer nos ambitions face aux nombreux défis et nous donner les moyens de réaliser ces ambitions, comme l’ont souligné nos rapporteurs.
Monsieur le ministre, sur 100 euros gagnés, un citoyen européen reverse en moyenne 50 euros en impôts et cotisations, dont seulement 1 euro sert à financer le budget de l’Union européenne… Ainsi, 49 euros restent dans les capitales des États membres. Les pistes existent donc.
Bien entendu, le groupe socialiste et républicain votera la proposition de résolution européenne. Si nous ne voulons pas que la PAC perde son « C » en cessant d’être commune, il faut que, tous, nous sachions nous écouter et œuvrer dans la même direction, au service de notre agriculture et de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a toujours prêté une attention particulière aux enjeux liés à la politique agricole commune. Cette politique, qui affecte le quotidien des agriculteurs français, joue un rôle stratégique éminent, notamment pour notre autonomie alimentaire, en France et en Europe. Nous, qui n’avons jamais connu la faim sur notre territoire, ne devons pas oublier l’importance de cette autonomie.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, alors que cette PAC est en danger, nous regardons ailleurs.
Nous nous apprêtons à examiner, d’ici à la semaine prochaine en commission des affaires économiques, et à la fin du mois de juin en séance publique, le projet de loi issu des états généraux de l’alimentation. Ce texte important, qui a bénéficié d’une grande communication gouvernementale, dont je ne vous fais pas grief, monsieur le ministre, met en place des mécanismes pour – encore hypothétiquement – assurer une meilleure rémunération aux agriculteurs. C’est une légitime priorité gouvernementale.
Monsieur le ministre, comment pouvons-nous, « en même temps », admettre une réduction directe, brutale et certaine du revenu des agriculteurs par ces coupes claires dans le budget de la PAC ? Les états généraux de l’agriculture ne serviront à rien si la PAC n’est pas au rendez-vous.
Pendant que le Gouvernement réfléchissait durant de longs mois, la Commission a rendu ses propositions pour, d’une part, réformer la PAC et, d’autre part, fixer le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Sur les deux tableaux, la France est perdante.
Force est de constater que si le Gouvernement s’est mobilisé comme vous nous l’avez dit, monsieur le ministre, les effets ne s’en font pas encore sentir. Vous dites avoir été très actif, pourtant Michel Dantin et Angélique Delahaye ont été bien seuls pour défendre les intérêts français ; qu’ils en soient remerciés.
Si nous en sommes là, c’est que la France a été trop absente des réflexions en amont. Ce gouvernement et le précédent ont leur part de responsabilité : si la France avait tenu une position ferme dès le début des réflexions, nous n’en serions pas là.
Que penser des paroles du Président de la République à la Sorbonne, en septembre 2017 ? Pour lui, « la PAC est devenue un tabou français ». Il souhaite « que chaque pays puisse accompagner cette transformation selon ses ambitions et ses préférences ».
Quelles sont ces ambitions et ces préférences gouvernementales ? Un budget de la PAC en baisse de plus de 12 % ? Une chute des aides directes, pourtant essentielles dans les comptes d’exploitation de nos agriculteurs ? Une renationalisation partielle d’une des politiques les plus intégrées de l’Union européenne ? Cette ambition pour la PAC est un changement historique de la position française.
Les annonces du commissaire Phil Hogan, la semaine dernière, ont confirmé par ailleurs nos inquiétudes. En permettant à chaque État membre d’adopter un plan stratégique pour atteindre neuf objectifs européens et de disposer de marges de manœuvre dans l’affectation des dotations, la PAC est indiscutablement en voie de renationalisation.
Le risque majeur de cette subsidiarité accrue est évident : creuser encore les distorsions de concurrence entre agriculteurs européens, qui pénalisent déjà en grande partie les agriculteurs français dans de nombreuses filières.
Les aides directes sont les grandes perdantes de la réforme proposée, puisqu’elles seront plafonnées. Il convient toutefois de ne pas opposer grandes et petites exploitations, circuits courts et marchés internationaux : la France doit être compétitive sur les deux volets.
Surtout, certains points attendus sont totalement absents. Il est notamment inacceptable qu’aucun outil pertinent de gestion des crises ne soit au cœur de la proposition de la Commission dans le contexte actuel de volatilité des marchés. Je me souviens pourtant des engagements du candidat Macron au congrès de la FNSEA, à Brest, en 2017. La position de la France se doit d’être claire : en l’état, elle ne peut accepter de telles orientations. J’ai pris acte de votre volonté d’aller dans ce sens, monsieur le ministre.
L’accusation, je le sais bien, est un peu lourde, mais le commissaire Oettinger nous l’a confirmé lors de son audition : la France tient un double discours entre Bruxelles et Paris. Au moins par son silence, le Gouvernement a cautionné cette baisse de budget et cette réécriture de la PAC.
Les agriculteurs ne sont pas dupes, les parlementaires non plus. Le Sénat, pressentant ce qui allait advenir, avait adressé au Gouvernement, en septembre 2017, une première résolution appelant à sauver la PAC et à sanctuariser a minima son budget en euros constants.
Toutefois, monsieur le ministre, cette faute n’est pas inéluctable. Elle peut être réparée. Le temps est compté. Nous avons entendu votre position. Il est grand temps d’activer votre groupe de Madrid, car il est bien tard.
Mes chers collègues, la présente proposition de résolution européenne est le fruit d’un travail de plusieurs mois effectué avec talent et obstination par quatre rapporteurs de tous bords politiques. Elle a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques, ce dont nous pouvons nous réjouir. J’en suis, pour ma part, très fière, car elle est l’expression de la responsabilité collective de l’ensemble des politiques que nous sommes quand l’intérêt supérieur du pays est en cause. C’est la marque du Sénat. Cette proposition de résolution européenne comporte des demandes justes, pondérées, réalistes, essentielles pour l’avenir de notre agriculture. Son pragmatisme oblige le Gouvernement.
Monsieur le ministre, si cette proposition de résolution européenne était adoptée, nous vous engageons à faire valoir cette position au Conseil. Le monde agricole vous observe. Sachez que nous nous tenons à votre disposition pour vous soutenir dans cette démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Laurent Duplomb. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Marie Janssens. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jacques est agriculteur en Loir-et-Cher. Il possède quelques dizaines d’hectares de terres. En complément, il fait du maraîchage et de l’élevage pour joindre les deux bouts.
Jacques gagne en moyenne 800 euros par mois en travaillant 12 à 15 heures par jour. Sans la PAC, il ne s’en sortirait pas : trop de charges pour trop peu de revenus.
La semaine dernière, Jacques m’a interpellé en me disant que les annonces de Bruxelles en vue de la renégociation de la PAC étaient pour lui une véritable catastrophe. Que lui répondre au moment où la Commission européenne avance une baisse drastique de la PAC d’environ 12 %, en tenant compte de l’inflation ? Inacceptable ! Tout simplement inacceptable – je reprends vos propres mots, monsieur le ministre !
« Inacceptable », en effet, si je parle au nom de Jacques et de tous nos agriculteurs et éleveurs français. Aujourd’hui, un nouveau modèle de mise en œuvre de la PAC, élaboré par la Commission européenne, plaide pour une plus grande liberté laissée aux États.
Ce nouveau modèle est en réalité synonyme de distorsion de concurrence et de risque pour le maintien de la qualité des produits. Officiellement, Bruxelles souhaite rendre la PAC plus flexible en laissant les États libres de gérer eux-mêmes une partie des fonds agricoles. Or cette flexibilité ressemble plutôt à un désengagement progressif qui aura des conséquences tout à fait dramatiques pour le revenu de nos agriculteurs, déjà en grande difficulté.
Que cherche la Commission à travers cette remise en cause de l’esprit et du budget de la PAC ? Tout simplement à se déresponsabiliser et à décentraliser son action. Ce n’est pourtant ni la philosophie de l’Union européenne ni le sens de l’histoire.
La PAC, seule compétence pilotée à 100 % par l’Union européenne, est une politique historique, et même constitutive, de l’Europe. La remettre en cause, c’est attenter à l’esprit communautaire imaginé par les pères fondateurs.
La PAC est une belle réussite européenne. Elle a permis à des milliers d’agriculteurs d’atténuer le choc de l’exode rural, de l’évolution des modes de consommation et de la mondialisation.
Cette PAC a su évoluer en ajoutant au premier pilier, principalement consacré aux aides agricoles, un second pilier dédié au développement rural.
En outre, les mesures aujourd’hui avancées par Bruxelles renforcent encore l’inflation administrative, puisque chaque pays, pour soutenir les demandes d’aides, devra présenter un plan stratégique sur la PAC validé par la Commission dans les huit mois, au regard de neuf critères.
C’est de cette Europe que ne veulent plus les Européens. C’est de cette Europe que se nourrissent les populismes.
Chaque jour, nos agriculteurs et éleveurs français se battent pour imposer un modèle basé sur la qualité, sur le respect des consommateurs et sur la défense d’un savoir-faire agricole. L’Europe leur a donné jusqu’à présent les moyens de tenir ces objectifs et de continuer de vivre dignement de leur travail.
Alors que nous attendions de la PAC 2021-2027 des solutions concrètes pour garantir une meilleure rémunération à nos agriculteurs, c’est le contraire qui se produit à travers le renoncement à une politique commune et la baisse très nette du budget de la PAC.
En face d’un objectif louable, à savoir une meilleure allocation des revenus agricoles, Bruxelles ne met aucun moyen ni solution adaptés. Les nouvelles priorités de la Commission européenne, à savoir la sécurité, l’immigration et l’environnement ne doivent pas être menées au détriment de l’agriculture. Il y va de la survie de centaines de milliers d’agriculteurs. Il y va de notre modèle agricole. Il y va de la qualité de nos productions. Il y va, enfin, de l’esprit européen.
Soyez certain, monsieur le ministre, que nous soutiendrons toute action gouvernementale s’opposant à ce coup de rabot sans précédent et à des mesures dont l’esprit nous paraît si éloigné de l’idéal européen.
Nos agriculteurs attendent de nous courage et fermeté pour les défendre. Soyons au rendez-vous de ce combat pour la protection de notre modèle agricole.
Aussi, nous soutenons sans réserve la proposition de résolution européenne visant à préserver une politique agricole commune forte et ambitieuse, au service de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes très chers collègues, depuis sa création, en 1976, l’indemnité compensatoire de handicaps naturels joue un rôle prépondérant dans le développement rural et le maintien de l’activité économique. Relevant du second pilier de la PAC, elle est cofinancée par l’État, à hauteur de 25 %, et par l’Union européenne, à hauteur de 75 %. Elle concerne, en France, 96 000 bénéficiaires, répartis sur 16 120 communes, y compris en zone de montagne.
La réforme du zonage en cours de négociation avec la Commission européenne est un sujet d’inquiétude majeur pour nos territoires, nos agriculteurs et nos éleveurs : si elle entraîne des entrées de communes, elle implique 1 341 sorties sur un fondement totalement incompréhensible. Rien n’est prévu pour intégrer les communes exclues de la révision des cartes des zones défavorisées « simples » dans le zonage complémentaire des zones soumises à contraintes spécifiques.
De lui-même, ce sujet s’imposait. Le 17 mai dernier, la commission des affaires européennes du Sénat, présidée par M. Jean Bizet, dans toutes ses composantes politiques, a unanimement adopté une proposition de résolution européenne dont je suis l’autrice et que j’ai présentée avec mon collègue Michel Raison. Cette proposition de résolution tend à prendre en compte les conséquences économiques et sociales dévastatrices de ces sorties pour les territoires, notamment pour les exploitations les plus fragiles, dont bon nombre seront amenées à disparaître, alourdissant encore la désertification rurale.
Ces risques implacables dans toutes les zones concernées sont prégnants en région Occitanie, tout particulièrement dans les départements de l’Aude et du Gers. Derrière un point sur la carte se dessinent de véritables drames humains. Oui, la carte présentée le 20 février dernier est profondément injuste ! Se limiter à des négociations avec la Commission européenne sur des paramètres techniques de l’ICHN condamne à l’impuissance. Il faut donc envisager une approche plus ambitieuse en révisant le cœur du dispositif juridique, c’est-à-dire les articles 31 et 32 du règlement européen du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural.
Notre première requête consiste à demander la modification des termes de l’article 31 concernant les critères d’éligibilité des zones soumises à contraintes naturelles et à ajouter des critères obligatoires aux huit critères biophysiques existants.
Dans cette attente, notre seconde requête invite le Gouvernement à prendre en compte dès maintenant, au titre des adaptations régionales autorisées par l’article 32, le critère de continuité territoriale pour la définition du périmètre des zones soumises à contraintes spécifiques intégrant, de ce fait, des territoires plus étendus, et non uniquement des communes isolées, dans le zonage à contraintes spécifiques, qui se trouvaient jusqu’ici exclus de la cartographie des zones défavorisées simples.
Monsieur le ministre, convaincue que des outils existent pour réintégrer ces communes et pour les accompagner, je vais vous remettre ce texte afin d’avoir la certitude que le Gouvernement en prenne connaissance et qu’il assume les responsabilités attendues sur ce sujet primordial. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – M. Marc Laménie et Mme Viviane Malet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cette proposition de résolution au moment où le débat sur la PAC après 2020 entre à Bruxelles dans sa phase concrète. Disons-le d’emblée, ce débat s’engage sur des bases extrêmement inquiétantes, notamment au niveau budgétaire.
Avec une proposition de 325 milliards d’euros en prix constants, le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027 marque en effet une rupture inédite en matière de budget agricole. Car, si sa part dans le budget général baisse régulièrement depuis trente ans, c’est la première fois qu’il est proposé des coupes claires aussi importantes dans les crédits destinés à nos agriculteurs.
Soulignons tout d’abord qu’il s’agit d’un véritable non-sens. Aujourd’hui comme hier, l’agriculture reste une activité éminemment stratégique. Elle le sera sans doute encore davantage demain : l’augmentation de la population mondiale, conjuguée aux dérèglements climatiques et à la pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles, place plus que jamais le défi alimentaire au cœur des enjeux fondamentaux du XXIe siècle.
États-Unis, Chine, Russie, Inde ou Brésil ne s’y sont pas trompés : depuis une dizaine d’années, les grands pays ont renouvelé leur vision stratégique et n’ont pas hésité, en conséquence, à renforcer leurs soutiens financiers au secteur agricole. Ils ont compris qu’aucune souveraineté forte ne pourrait se fonder hors véritable souveraineté alimentaire.
Il est tout à fait consternant de constater que l’Europe s’engage sur un chemin rigoureusement inverse. Au lieu de proposer une politique à même de relancer la compétitivité des exploitations et leur capacité à investir et à se transformer, elle préfère abaisser massivement son soutien à l’agriculture.
Ce désengagement sans précédent aura inévitablement des conséquences économiques désastreuses. N’oublions pas, comme nous avons eu trop tendance à le faire ces dernières années, que la PAC est avant tout une politique économique : son budget n’est pas destiné à fournir une rente aux agriculteurs, il sert essentiellement à compenser la différence entre leurs coûts de revient, qui sont fonction de standards de production les plus élevés au monde, et les prix du marché.
La PAC est censée permettre aux agriculteurs de dégager des marges suffisantes pour fournir l’ensemble des biens publics attendus d’eux par nos concitoyens et qui ne sont pas rémunérés par le marché, notamment au niveau environnemental. Gardons à l’esprit que sans durabilité économique il ne saurait y avoir de durabilité écologique.
Sans les aides de la PAC, nombre d’exploitations agricoles françaises dégageraient un revenu négatif. Or la proposition de la Commission reviendrait, selon certaines analyses, à une diminution, en termes réels, de plus de 10 % des paiements directs et de plus de 25 % des crédits du développement rural, soit une perte d’environ 15 % de la valeur totale du budget de la PAC au cours des sept prochaines années.
Cette évolution se traduira par une forte détérioration du revenu final des agriculteurs, et ce tout particulièrement dans les filières les plus fragiles où le revenu des exploitants est souvent exclusivement constitué des aides de la PAC.
De plus, ce tableau d’ensemble doit être complété par l’approfondissement annoncé de la convergence des paiements directs entre États membres dont l’impact ne pourra, par définition, être favorable aux agriculteurs français – ceux des États de l’est de l’Europe sont particulièrement attentifs à cette problématique.
Comment, dans ces conditions, accepter une telle atrophie des concours publics, alors que, en 2016, près de 20 % des agriculteurs français ne pouvaient se verser de salaire et que 30 % d’entre eux touchaient moins de 350 euros par mois ?
Monsieur le ministre, cette proposition de budget agricole pour la période 2021-2027 n’engage ni plus ni moins que la pérennité de certaines filières et la survie économique de nombre d’exploitations à travers notre pays. C’est donc avec une particulière gravité que nous devons aborder les négociations qui s’ouvrent aujourd’hui. Une gravité qui appelle, en premier lieu, une parfaite sincérité des positions de chacun.
Cela vaut pour la Commission européenne qui, par un procédé pour le moins détestable, a tenté d’avancer masquée en présentant une baisse largement sous-estimée des crédits agricoles. Ses artifices comptables jouant sur la prise en compte de l’inflation et sur les effets du Brexit n’auront toutefois pas tenu bien longtemps.
Cela vaut également pour le gouvernement français. Nous avons été particulièrement troublés par les informations et les annonces du commissaire Oettinger, que nous avons reçu voilà une quinzaine de jours.
Monsieur le ministre, le discours tenu à Bruxelles ne peut être différent de celui tenu à Paris. Nos agriculteurs méritent bien mieux que ce jeu de dupes. Ils méritent surtout que l’on se batte réellement pour eux et, plus largement, pour les intérêts de la France. Cela passe tout d’abord par le maintien du budget effectif de la politique agricole commune.
Permettez-moi de remettre les choses en perspective : le contribuable européen consacre 190 euros à l’agriculture, quand le contribuable canadien y consacre 230 euros, celui des États-Unis, 390 euros, le contribuable japonais, 400 euros,…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean Bizet. … et le contribuable suisse, 950 euros. Monsieur le ministre, nous sommes loin du compte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l’article 88-4 de la Constitution ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 38 à 44 ;
Vu les conclusions du Conseil européen des 22 et 23 mars 2018, sur le prochain Cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne, d’une part, sur l’avenir de la Politique agricole commune (PAC), d’autre part ;
Vu les documents préparatoires de la Commission européenne et du Parlement européen sur la PAC et sur le CFP 2021/2027 ;
Vu la résolution européenne du Sénat du 8 septembre 2017, sur la rénovation de la Politique agricole commune ;
Vu les dispositions du Règlement dit « Omnibus » 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017 ;
Vu les négociations commerciales en cours ;
Vu les conclusions de la présidence du conseil « agriculture et pêche » du 19 mars 2018, sur la communication de la Commission européenne intitulée « L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture » ;
Considérant que l’agriculture française ressort exsangue des crises des dernières années et que la France ne saurait sortir de cette spirale négative sans une stratégie offensive, qui pourrait au demeurant utilement s’inspirer de l’exemple d’autres états membres de l’Union européenne ;
Considérant que les modalités actuelles de fonctionnement de la PAC n’assurent pas une protection suffisante aux exploitants agricoles, en particulier face à la volatilité des prix agricoles ;
Considérant, qu’en dépit des améliorations appréciables introduites par le « Règlement Omnibus » du 13 décembre 2017, les outils de gestion de crise de la PAC ne sont ni assez efficaces, ni suffisamment réactifs ;
Considérant que les éléments préparatoires, disponibles à ce jour sur la prochaine réforme de la PAC, ne répondraient que très partiellement aux préconisations de la résolution du Sénat du 8 septembre 2017, voire en contrediraient certains points essentiels, notamment sur le plan budgétaire, que cette circonstance conduit le Sénat à réaffirmer ses priorités pour la prochaine réforme ;
Rappelle l’importance de l’agriculture et du secteur agro-alimentaire pour le tissu économique et sociétal ;
Demande a minima que la PAC bénéficie, pour la période 2021-2027, d’un budget stable en montant en euros ;
Déplore que la PAC soit présentée comme une « vieille politique » ayant une moindre « valeur ajoutée européenne », et ce alors même que les autres grandes puissances agricoles mondiales, à commencer par la Chine, les États-Unis, l’Inde et la Russie, ont a contrario fortement accru leur effort budgétaire dans ce secteur ;
Juge l’état de l’agriculture européenne et française trop fragile pour faire l’objet de « coupes sombres » budgétaires, demande aux institutions européennes de partager ce constat et soutiendra toutes les démarches des autorités françaises qui s’opposeraient à cette perspective, dans les négociations à venir ;
Refuse, en conséquence, que la PAC soit la variable d’ajustement du budget de l’Union européenne en raison, tout à la fois, du manque de ressources créé par le retrait Royaume-Uni et de l’émergence de nouvelles priorités politiques européennes ;
Juge indispensable que la Commission européenne apporte rapidement des garanties effectives sur le nouveau mode de mise en œuvre qu’elle envisage pour la PAC, au regard du très fort risque de création de distorsions de concurrence ;
Estime que, faute de disposer de ces informations, le schéma de simplification proposé par la Commission européenne ne serait qu’une pétition de principe, tandis que l’expérience des Plans de développements régionaux du « second pilier » de la PAC fait redouter a contrario une complexité supplémentaire ;
Affirme que l’adoption du « Règlement Omnibus » ne constitue qu’une étape dans la voie d’une meilleure sécurisation des revenus des agriculteurs, grâce à une plus large palette d’instruments, notamment assurantiels ;
Réitère la nécessité d’adapter, en règle générale, le droit de la concurrence aux spécificités agricoles et de renforcer effectivement le poids des producteurs dans la chaîne alimentaire, ce que la réglementation européenne ne permet pas encore suffisamment ;
Demande que la lutte contre les pratiques commerciales déloyales des firmes transnationales et contre les pratiques des « centrales offshore » d’optimisation fiscale du secteur de la distribution, fasse l’objet d’une réglementation européenne ;
Rejette la perspective d’un statu quo de la future PAC en matière de règles de gestion de crise ou d’intervention, au motif que les avancées du « Règlement Omnibus » seraient suffisantes, quitte à envisager le basculement d’une partie du montant des aides découplées vers des mécanismes de gestion des risques, ou la création de nouveaux outils au sein du « premier pilier », ou bien encore l’activation des mécanismes existants du « second pilier » ;
Déplore, dans un contexte général où les outils de régulation des aléas économiques liés aux rendements et au climat font défaut aux agriculteurs, que la réserve de crise du budget européen n’ait jamais été activée depuis 2013, ce qui justifierait que son emploi soit conçu à l’avenir dans un cadre triennal ;
Demande que les mesures de gestion des crises agricoles prises par l’Union européenne reposent sur les mécanismes d’aides volontaires à la réduction de la production, d’autant plus efficaces que tous les états membres respecteront cette discipline collective, sans comportement opportuniste de « passager clandestin » ;
Appelle, d’une façon générale, à aborder les questions relatives à la concurrence et à la gestion des crises sous l’angle du pragmatisme et de l’efficacité, au-delà des seules considérations de principe en faveur des règles du marché ;
Confirme son attachement au soutien des zones défavorisées, ainsi qu’aux enjeux de la préservation de l’emploi et de la diversité des territoires, dans la conception et le fonctionnement de la Politique agricole commune ;
Rappelle l’importance de valoriser les externalités positives de l’agriculture, en particulier pour son potentiel en matière de stockage de carbone, au regard des services rendus, tant à l’égard de la société que de l’environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu’ils produisent ;
Réaffirme l’importance de la recherche et de l’innovation pour l’avenir de l’agriculture européenne, tout en demandant une Politique agricole plus incitative dans ces domaines ;
Réitère son attachement aux principes de réciprocité ainsi qu’à la nécessité d’une concurrence loyale dans les échanges internationaux ;
Confirme son soutien aux démarches de la Commission européenne tendant à assurer, tout à la fois, la promotion internationale de nos produits, la recherche de débouchés à l’exportation et le respect des indications géographiques sur les marchés extérieurs ;
Continue à exiger que la Commission européenne veille au respect de l’égalité des conditions de concurrence sanitaires, environnementales et de production, applicables aux importations des produits agricoles des pays tiers, par rapport aux produits de l’Union européenne ;
Réaffirme que la Commission européenne doit consacrer autant de ressources administratives au suivi des accords commerciaux déjà signés, qu’à l’ouverture de nouvelles négociations commerciales ;
Demande que la Commission européenne soit particulièrement attentive à la préservation des relations commerciales futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, dans les domaines de l’agriculture et de la pêche ;
S’interroge sur la possibilité de conclure les négociations en cours sur la PAC d’ici au printemps 2019 ;
Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par MM. Labbé, Dantec et Gontard, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Labbé et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gontard, Gold et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Léonhardt, Jomier, Menonville, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Réaffirme que la PAC est essentielle pour assurer la souveraineté alimentaire européenne, et renforcer la résilience et la durabilité de notre agriculture ;
La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Il paraît essentiel de réaffirmer dans la présente proposition de résolution européenne l’importance de la PAC et de ses fonctions, qui justifient et légitiment un budget substantiel pour 2020 et de conserver une politique européenne forte.
Cet amendement vise donc à rappeler les objectifs de souveraineté alimentaire, de résilience et de durabilité de l’agriculture mis en avant par le Sénat dans la résolution européenne du 8 septembre 2017 sur l’avenir de la politique agricole commune à l’horizon 2020.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. Eu égard à l’importance des enjeux économiques, sociaux et environnementaux, soulignée par de nombreux orateurs, la commission est favorable à cet amendement, qui tend à réaffirmer le caractère essentiel de la souveraineté alimentaire et de la durabilité de l’agriculture française.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement. C’est tout le sens de l’engagement de la France pour défendre un budget adéquat et une évolution de la PAC qui permette de mieux accompagner l’agriculture européenne dans sa transformation et de répondre à ses besoins de souveraineté alimentaire, d’amélioration de la résilience et de durabilité.
J’ajoute que la France s’exprime d’une seule voix, depuis le début, sur le sujet de la PAC et défend une seule option à Paris et à Bruxelles. J’ai eu l’occasion de rappeler voilà quelques instants quelle était notre position. Il n’en est pas d’autre.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Et en même temps…
M. Charles Revet. La voix ne doit pas être assez forte !
M. le président. Les amendements nos 6 rectifié bis et 5 rectifié bis, présentés par MM. Labbé, Dantec, Gontard et Jomier, ne sont pas soutenus, non plus que l’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Labbé, Dantec, Corbisez, Gabouty, Gontard et Léonhardt.
L’amendement n° 2 rectifié septies, présenté par MM. Decool et Malhuret, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Wattebled, Chasseing, Guerriau, Fouché, Capus et A. Marc, Mmes Micouleau et Vullien, MM. Chatillon et Paccaud, Mme Morhet-Richaud, MM. Vogel et Guérini, Mme Di Folco, M. Lefèvre, Mmes de Cidrac, Bruguière, Lopez, Garriaud-Maylam et Troendlé, MM. Le Gleut, Chaize et Piednoir, Mmes Sollogoub et Bonfanti-Dossat, MM. Brisson, Bignon et Bonne, Mmes Puissat et Imbert, M. Pierre, Mme Dumas, MM. Charon, Revet, Kennel, Raison et Perrin, Mme Goy-Chavent, MM. Babary, Vaspart et Vanlerenberghe, Mmes de la Provôté et Morin-Desailly, MM. Bonhomme, Danesi, D. Laurent, Longeot, L. Hervé, Delcros et Rapin, Mme Canayer, MM. Panunzi et Priou, Mme L. Darcos, MM. Savin et Labbé, Mme Saint-Pé, M. Moga et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Après les mots :
le poids des producteurs
insérer les mots :
et les circuits de proximité
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement important vise à favoriser l’évolution du droit européen pour permettre le développement des circuits alimentaires de proximité.
Chacun sait que les élus locaux s’efforcent de faire profiter leurs administrés de la plus grande qualité alimentaire, notamment dans le cadre de la restauration scolaire.
Le droit de la concurrence ne permet pas actuellement de privilégier l’approvisionnement en produits alimentaires locaux dans les procédures de marchés publics. Or, pour des raisons économiques, sociales, sanitaires et environnementales, il apparaît important d’autoriser et de favoriser le développement des circuits de proximité dans l’alimentation, notamment dans le cadre de la restauration publique. En effet, ces approvisionnements offrent une meilleure traçabilité des produits, des garanties de fraîcheur, une plus grande flexibilité limitant le gaspillage alimentaire et un faible impact carbone. Par ailleurs, ils participent au maintien de l’emploi et favorisent le dynamisme économique du territoire.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Franck Montaugé, rapporteur. Le droit européen applicable à la passation des marchés publics dispose qu’il ne peut être fait référence, dans la spécification technique d’un marché, à une provenance déterminée qui pourrait avoir pour effet de favoriser ou d’éliminer certains produits et de contrevenir ainsi aux règles du marché intérieur.
Toutefois, le droit européen autorise d’ores et déjà certaines dérogations pour favoriser les PME locales via la prise en compte de critères environnementaux ou sociaux dans des clauses – souvent complexes – de marchés publics que les acheteurs ont parfois du mal à mettre en œuvre en raison d’un problème de formation.
S’ils n’entrent pas stricto sensu dans la définition de la politique agricole commune et des règlements concernés, les circuits de proximité doivent être défendus au niveau européen par le Gouvernement.
Pour ces raisons, la commission a émis un favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Les circuits de proximité, comme cela a été évoqué lors des états généraux de l’alimentation, permettent de mieux répondre aux attentes des consommateurs et de créer de la valeur ajoutée au plan local.
Il conviendra d’examiner dans quelle mesure il est possible de les favoriser dans le respect du droit de la concurrence existant ou en proposant de nouveaux aménagements.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Les circuits de proximité sont l’avenir du monde agricole.
Il faut valoriser le savoir-faire des producteurs de nos départements respectifs et la qualité de nos produits, conformément aux règles du code des marchés publics.
Il me semble important de prendre en compte les critères de qualité, de traçabilité et de proximité dans les marchés publics, notamment dans le cadre de la restauration scolaire.
Il s’agit d’un amendement essentiel, qui vise à soutenir le monde agricole et son savoir-faire.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.
M. Bernard Delcros. Derrière cet amendement extrêmement important, dont je tiens à remercier les auteurs, il y a des enjeux d’aménagement du territoire liés au développement de filières locales de qualité et donc d’emploi, notamment en zone rurale.
Il y a aussi des enjeux de santé publique, à travers la restauration collective, et des enjeux environnementaux.
L’adoption de cet amendement permettrait de favoriser le développement, en lien direct avec le projet de loi issu des états généraux, de filières locales de qualité sur des bases juridiques solides.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié quater, présenté par MM. Théophile, Karam, Mohamed Soilihi, Hassani, Patient, Dennemont, Haut, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 28
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Confirme son attachement aux mesures spécifiques de soutien à l’agriculture dédiées aux régions ultrapériphériques, et demande notamment le maintien d’un budget stable pour le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (dit POSEI), qui constitue un levier essentiel pour le développement agricole de ces territoires, l’approvisionnement des marchés locaux, ainsi que la sécurité alimentaire et sanitaire des populations locales ;
La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Par leur éloignement, leur vulnérabilité au changement climatique et, pour certains, leur insularité, les régions ultrapériphériques, les RUP, sont confrontées à des obstacles qui entravent leur intégration dans le marché intérieur, rendent difficile la fourniture de produits alimentaires et agricoles essentiels et handicapent la compétitivité des filières agricoles locales.
La réduction des crédits annoncée dans le projet de la Commission concernant le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027 menace les filières agricoles des RUP.
Par cet amendement, il s’agit de demander le maintien d’un budget stable pour le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, communément appelé le POSEI, lequel constitue un levier essentiel pour le développement agricole des territoires ultrapériphériques, qui sont confrontés à des obstacles entravant leur intégration dans le marché.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Par cet amendement, il s’agit de prendre en compte la diversité de nos territoires. Le POSEI avait jusqu’à présent pour but de compenser le handicap des RUP, en prenant en compte la situation de fragilité de territoires placés dans une difficile situation de dépendance économique à l’égard de certains produits d’importation. Il décline d’ailleurs le premier pilier de la politique agricole commune dans ces régions.
La commission est favorable à cet amendement, car cet outil a fait ses preuves. Il s’agit non seulement de le conserver, mais aussi de demander une stabilité de la dotation budgétaire sur la période, dans le cadre de cette proposition de résolution européenne.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Le POSEI doit être préservé, car il permet de porter l’agriculture ultramarine. Nous avons besoin de structurer les offres en matière agricole dans les départements et collectivités d’outre-mer, qui ont encore trop souvent recours aux importations. Nous devons travailler dans ce sens.
Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Je veux soutenir l’amendement présenté par mon collègue Théophile.
Nos productions doivent être protégées, compte tenu de leur vulnérabilité et des coûts induits par l’éloignement des centres d’approvisionnement et de commercialisation. Elles sont d’ailleurs qualifiées de « RUP ». Pour ce faire, une aide spécifique existe, le POSEI, qui prend en compte l’éloignement et l’insularité.
Lors du déplacement en Guyane, en octobre dernier, du Président de la République, accompagné par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, un engagement a été pris : « Nous allons poursuivre les programmes POSEI pour l’agriculture – je ne compte pas les réduire et les corriger vers le bas. »
Il faut donc passer à l’acte ! Si on baisse les aides du POSEI, on baisse les volumes de production. Or, aujourd’hui, on nous annonce qu’une baisse de 4 % de ces aides est prévue, ce qui représente en valeur absolue 11 millions d’euros pour les RUP françaises !
Nos économies sont fragiles, soumises à des contraintes de structure contre lesquelles on ne peut pas agir : l’éloignement, le surcoût des approvisionnements, le surcoût du fret à l’exportation, des petits marchés de consommateurs, qui rendent indispensable l’ouverture à d’autres marchés.
D’autres incertitudes se manifestent tous les jours, avec parfois des dégâts dramatiques : aléas climatiques de plus en plus nombreux et violents, pollution des sols, crise des sargasses. De grâce, n’ajoutons pas de l’incertitude aux incertitudes et éclaircissons définitivement le ciel de nos producteurs en stabilisant ces aides, non, que dis-je, cette compensation légitime sans laquelle nos pays seront définitivement privés de toute production endogène ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. le président. Les amendements no 8 rectifié, présenté par MM. Labbé et Corbisez, Mme Costes et MM. Dantec, Gontard et Léonhardt, n° 9 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Dantec, Gontard et Jomier, et n° 10 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin et Corbisez, Mme Costes et MM. Dantec, Gontard et Jomier, ne sont pas soutenus.
L’amendement n° 12 rectifié, présenté par MM. Labbé et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty, Dantec, Gold et Guillaume, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Vall et Gontard, est ainsi libellé :
Alinéa 36
Rédiger ainsi cet alinéa :
Demande un report du calendrier des négociations en cours sur la PAC, afin de limiter les incertitudes budgétaires liées au retrait du Royaume-Uni, et afin qu’elles soient conclues après les élections des représentants au Parlement européen ;
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement vise à réécrire l’alinéa 36. Nous pensons en effet que la proposition de résolution européenne ne va pas assez loin, puisque ses auteurs se contentent de s’interroger sur la possibilité de conclure les négociations en cours d’ici au printemps 2019. Compte tenu des incertitudes budgétaires liées au Brexit et de la proximité des élections européennes, il faut demander, nous semble-t-il, un report du calendrier des négociations à une date postérieure aux élections européennes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. L’adoption de cet amendement, qui vise à reporter le calendrier des négociations, affaiblirait totalement la position et l’expression du Sénat et de la France. La commission y est donc défavorable.
Nous avons intérêt, à un moment où l’Europe se cherche, où le citoyen européen, notamment après le Brexit, a besoin de retrouver des perspectives et à l’approche d’échéances électorales, de redonner un sens à notre économie agricole européenne.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Les propositions de cadre financier pluriannuel ont été publiées le 2 mai dernier. Les négociations sont maintenant engagées. Il faut que la France, comme je vous l’ai dit, fasse valoir ses positions, montre sa mobilisation et sa fermeté.
Vous le savez, nous avons élaboré avec l’Espagne un mémorandum visant à conserver le budget de la PAC à son niveau actuel. Il a été rendu public la semaine dernière à Madrid, en présence de six États : l’Espagne, l’Irlande, le Portugal, la Finlande, la Grèce et la France. Je m’emploie, depuis ce jour, à rallier de nouveaux membres. Je peux vous dire que les choses sont plutôt en bonne voie.
Dans ces conditions, en dépit de nos incertitudes concernant le Brexit, il est essentiel, dès à présent, de porter un message fort concernant la PAC, sauf à être exclu des négociations. Certes, le calendrier est serré, mais peut-être sera-t-il possible d’obtenir, avant les élections européennes, un premier rapport d’orientation. C’est la Commission qui a ici le pouvoir d’initiative, et c’est notre responsabilité que de participer pleinement et durablement aux discussions en cours à Bruxelles sur ce sujet.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne, je donne la parole à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau. Je suis tout à fait d’accord avec cette proposition de résolution européenne, que je voterai.
Les agricultures européenne et française sont trop fragiles pour que l’on puisse accepter des coupes claires dans le budget. La PAC ne doit pas servir, cela a été dit, de variable d’ajustement du budget européen, au prétexte de la mise en œuvre de nouvelles politiques ou du Brexit. C’est essentiel, tant l’agriculture et le secteur agroalimentaire ont un impact important sur le tissu économique et social.
Je souscris aux recommandations de cette proposition de résolution européenne, notamment à l’alinéa 28, qui souligne le nécessaire soutien aux zones défavorisées. Trop de communes de mon département risquent d’être écartées de ce dispositif, si j’en crois les modifications apportées par le ministère de l’agriculture. La situation sera dramatique pour nombre de ces exploitations.
Un second point, qui fait l’objet de l’alinéa 29, me paraît également important, de par son caractère innovant. Il vise en particulier à valoriser et à encourager le stockage du carbone, notamment par les sols agricoles.
J’ai produit une note, dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, sur l’initiative « 4 pour 1 000 » et l’intérêt d’accroître les stocks de carbone dans le sol aux niveaux européen et mondial. L’intérêt de cette initiative est double : accroître les stocks de 4 pour 1 000 au niveau mondial contrebalancerait les émissions de gaz à effet de serre, notamment de CO2, dans l’atmosphère et fertiliserait les sols. Je le rappelle, au niveau mondial, 25 % d’entre eux sont dégradés et 40 % des sols cultivés sont très dégradés.
L’Union européenne peut jouer en la matière un rôle important. L’INRA a d’ailleurs évalué le potentiel d’augmentation du stockage du carbone dans les sols agricoles au niveau européen à 115 millions de tonnes par an.
Dès lors, si l’on rémunérait les agriculteurs qui feront l’effort d’augmenter ce stockage à hauteur de 30 euros la tonne, le coût pour la PAC tournerait autour de 3 milliards d’euros, soit 6 % du budget, avec un double bénéfice : lutter contre le changement climatique et fertiliser les sols. Ce serait un bel exemple pour le reste du monde, qui devra nourrir d’ici à quelques années 9 milliards d’habitants. Il s’agit d’une piste crédible.
Je remercie les rapporteurs ainsi que la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes d’avoir retenu cette suggestion, à mon avis, essentielle pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix la proposition de résolution européenne, dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de résolution européenne est adoptée.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun sur le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
8
Obligations déontologiques et prévention des conflits d’intérêts des sénateurs
Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs, présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat (proposition n° 364, texte de la commission n° 518, rapport n° 517).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, la modification du règlement qu’il me revient de vous présenter ce soir n’a pas une ambition démesurée, car les principales modifications de notre règlement, ainsi que celles de l’instruction générale du bureau, sont intervenues en 2015, sur l’initiative du président de notre assemblée, après le rapport établi conjointement par nos collègues Karoutchi et Richard. À cette occasion, un certain nombre de mesures, notamment la procédure de législation en commission, ont été prises. Elles ont déjà acquis une certaine postérité, qui a fait du Sénat le fer de lance de la modernisation des méthodes de travail parlementaire, reconnu aujourd’hui jusqu’à la présidence de la République.
C’est aussi en 2015 qu’a été décidée la mise en œuvre d’un régime de contrôle de la présence des sénateurs. Il repose sur la vérification de notre participation aux travaux des commissions permanentes, aux questions d’actualité au Gouvernement et aux votes solennels précédés des explications de vote. Il a alors été décidé que, si nous étions absents pendant un trimestre à plus de la moitié de l’une de ces activités de notre assemblée ou bien à plus de la moitié de chacune de ces activités de façon cumulée, des sanctions automatiques nous seraient infligées. Elles portent, d’une part, sur l’indemnité de fonction, qui est une partie de l’indemnité parlementaire, et, d’autre part, sur l’indemnité représentative de frais de mandat.
M. Jean Bizet. Ce serait douloureux !
M. Philippe Bas, rapporteur. L’année dernière, une loi dite, abusivement sans doute, « loi pour la confiance dans la vie politique » est venue transformer le régime des prises en charge des frais de mandat. L’indemnité représentative de frais de mandat – personne dans cette assemblée ne peut l’ignorer – n’existe plus. Elle a été remplacée par une avance de frais de mandat, mais qui n’est pas de même nature. Il s’agit simplement d’une avance de trésorerie accordée aux sénateurs pour régler les frais de mandat avant que, sur la base de la présentation des factures, la légitimité de ces frais ne soit reconnue.
De ce fait, il n’est plus possible de sanctionner des absences par un prélèvement sur l’avance pour frais de mandat, parce que, de toute façon, les frais de mandat de chacun d’entre nous, mes chers collègues, doivent être remboursés. Il s’agit non plus d’une indemnité représentative de ces frais de mandat, mais du remboursement des frais de mandat sur la base de justificatifs, quelle que soit notre présence aux différentes activités du Sénat.
C’est un problème juridique incontournable : on ne peut purement et simplement transposer les règles de sanction pour absence non justifiée de l’indemnité représentative de frais de mandat à l’avance de frais de mandat. Veuillez excuser ces précisions, qui peuvent vous apparaître comme excessivement techniques, mais il fallait trouver une solution à ce casse-tête.
Dans sa sagesse, le bureau, réuni par le président du Sénat, a trouvé la solution. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette solution me paraît à tous égards convenable. Elle consiste à maintenir le système du prélèvement en cas d’absence réitérée sur l’indemnité de fonction et à y ajouter, pour les manquements les plus graves aux obligations de présence, un autre prélèvement portant sur l’indemnité parlementaire elle-même, ce second prélèvement résultant d’une sanction disciplinaire. Dès lors, la procédure disciplinaire s’appliquera : la sanction ne sera pas automatique et la personne concernée pourra s’expliquer au cours d’une procédure contradictoire, ce qui est bien naturel.
En contrepartie de la mise en œuvre de cette procédure contradictoire, je me dois de vous signaler que le montant global du prélèvement en cas d’absence injustifiée serait plus élevé qu’il ne l’était sous le régime antérieur.
M. Jackie Pierre. Oh !
M. Philippe Bas, rapporteur. Il y aura donc davantage de droits, puisqu’il y aura la possibilité de s’expliquer et que la sanction, dans les cas d’absence les plus graves, ne sera plus automatique, mais, en contrepartie, la sanction sera plus lourde.
Telle est l’économie générale de la première modification du règlement qui nous est proposée.
J’ai consulté tous les présidents de commission et tous les présidents de groupe. J’ai également écouté nos collègues représentants de l’outre-mer ; je salue à cet égard Thani Mohamed Soilihi. Nous sommes parvenus à une proposition que j’espère vous faire approuver ce soir. Je me tiens bien sûr à votre disposition pour des explications complémentaires, mais je voulais d’ores et déjà vous indiquer ces éléments principaux.
Sachez que nous profitons de cette évolution du régime de sanctions des absences injustifiées pour promouvoir dans notre règlement des dispositions qui ne figuraient que dans l’instruction générale du bureau. C’est la loi pour la confiance dans la vie politique qui nous l’impose. Cela ne changera rien aux règles qui nous sont applicables. Nous sommes d’ailleurs satisfaits d’amplifier l’éventail couvert par le règlement du Sénat. Car le règlement du Sénat nous appartient ! Ce n’est pas comme la loi, qui appartient aussi à l’Assemblée nationale. Avec une disposition relevant du règlement du Sénat et non pas d’une loi, nous sommes maîtres des règles que nous appliquons à notre assemblée, ce qui est plutôt une bonne chose.
Je le répète, il n’y aura pas de modification du régime. Toutefois, je vous dois encore cette précision, nous créons un registre des déports, là encore en application de la loi pour la confiance dans la vie politique. Cela ne changera rien à ce que vous avez l’obligation de faire quand vous ressentez l’existence d’un intérêt qui, en conscience, vous empêche de prendre part aux travaux d’une commission et au vote d’un texte, mais cela introduira une procédure vous permettant de vous exprimer et de préciser l’exigence à laquelle vous répondez en vous déportant.
Ce registre des déports sera d’un maniement très simple. Naturellement, la définition des intérêts n’est en rien modifiée. J’ai entendu plusieurs collègues s’inquiéter : « Je suis médecin. Serai-je interdit de vote en matière de santé ? Je suis avocat. Serai-je interdit de vote en matière de justice ? Je suis expert-comptable. Serai-je interdit de vote s’agissant de l’évolution du plan comptable général ? » La réponse, mes chers collègues, est bien sûr négative. Sinon, nous ne pourrions plus apporter à notre assemblée les compétences que nous avons acquises dans nos métiers. Il s’agit naturellement de prendre en compte des intérêts tout à fait spécifiques et individualisés. Vous le faites naturellement en conscience.
Pourquoi ce registre des déports est-il évoqué dans le règlement ? Tout simplement parce que le bureau a constaté, en élaborant ce projet de réforme de notre règlement, que le sénateur qui se déporterait pourrait être absent de la commission ou de la séance et pourrait être sanctionné pour absence injustifiée. Le bureau a donc souhaité que nous traitions la question du registre des déports à l’occasion de cette modification du règlement.
Telles sont les précisions que je souhaitais apporter pour introduire ce débat, lequel, je n’en doute pas, sera passionnant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous allons adopter, je crois, ne soulèvera pas de grandes controverses entre nous. Le président Philippe Bas a bien expliqué, en répandant une modeste terreur dans nos rangs, que nous sommes amenés à recaler le système des sanctions financières, puisque l’une de ses assiettes, l’indemnité représentative de frais de mandat, a été supprimée. Il fallait donc monter d’un cran, pour éviter un allégement anormal de ces sanctions.
Le dispositif, qu’il a parfaitement expliqué, nous paraît répondre à l’exigence d’un système de sanction – d’ailleurs assez virtuel, puisque la très grande majorité d’entre nous respectent les obligations de présence. À cet égard, il faut le souligner, le nouveau régime de remboursement des frais fait également partie de nos obligations déontologiques. Nous sommes donc nombreux à être impatients de tester le système de contrôle. En effet, comme ce système donnera lieu à des obligations très légères, voire superficielles, nous serons rassurés lorsqu’il aura été vérifié que nous les avons correctement remplies.
Certaines dispositions que nous avions contribué à élaborer et que nous appliquions déjà au Sénat relevaient de l’instruction générale du bureau. En vertu de la loi pour la confiance dans la vie politique, elles doivent désormais figurer dans le règlement et être soumises à notre vote. Tel sera le cas de nos obligations déontologiques générales, que vous connaissez tous – probité, assiduité, dignité, etc. – et qui donneront lieu, dans certains cas, à la consultation du comité de déontologie. Ces obligations ont été clarifiées, avec le plein assentiment de notre comité.
S’il s’agit, cela a été précisé à la demande du président Bas à la suite du travail en commission, d’une question posée par le bureau au comité de déontologie sur l’interprétation ou sur les limites à fixer à une obligation déontologique, le comité devra répondre à cette demande d’avis du bureau. La réponse, qui a vocation à être publique, sera communiquée à l’ensemble des sénateurs.
En revanche, quand le président saisira le comité de déontologie à propos d’un cas individuel, sur la base du dossier d’un sénateur, la réponse du comité sera évidemment la seule « propriété », si j’ose dire, du président.
De même, dans le cas, d’ailleurs aujourd’hui le plus fréquent, où le comité de déontologie sera consulté par un de nos collègues souhaitant s’assurer que sa situation respecte bien l’ensemble de nos obligations déontologiques, la réponse adressée par le président du comité sera, là encore, confidentielle.
En matière de prévention des situations de conflit d’intérêts envisageables, le règlement me semble également équilibré et raisonnable, avec le système des déclarations, en séance publique ou en commission, et le registre des déports.
En outre, figureront désormais dans le règlement les obligations déclaratives auxquelles nous sommes soumis en matière de réception d’avantages individuels – ce que l’on peut appeler, en général, les « cadeaux ». Ces règles changent simplement de support normatif ; elles ne seront pas modifiées.
Je dois dire, quitte à soulever un point un peu délicat entre nous, que je fais partie de ceux qui regrettent que nous ayons maintenu une exception à cette obligation déclarative, laquelle est globalement raisonnable : les invitations à des manifestations de prix élevé. Même si ces manifestations ont un caractère sportif ou culturel, les invitations en question me paraissent constituer un avantage dont nous devons justifier, exactement de même nature que la réception d’un objet décoratif. Il me semble que, tôt ou tard, nous serons amenés à compléter ainsi le champ de cette obligation, qui paraît de bon sens et de bon aloi.
En tout cas, le travail qui a été mené par le bureau, le comité de déontologie et la commission des lois nous semble avoir débouché sur des solutions susceptibles de faire consensus entre nous. Elles sont de nature à assurer que le public qui s’intéresse à notre situation et souhaite vérifier que l’exercice de notre mandat ne donne pas lieu à des abus ou à des anomalies connaîtra la réalité des choses. Par conséquent, nous avons toutes les raisons d’approuver pleinement ces propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président du comité de déontologie parlementaire, mes chers collègues, abordant la question de la déontologie des sénatrices et des sénateurs, nous sommes évidemment écoutés, voire scrutés, peut-être aussi attendus.
Le texte présenté par le président du Sénat est la conséquence directe des lois dites de « moralisation de la vie politique » promulguées le 15 septembre dernier. Il reprend par ailleurs un certain nombre de dispositions déjà existantes.
Nous sommes attendus sur ces questions, ai-je dit, car notre peuple a perdu dans une large mesure confiance en le politique en général et, par ricochet, en les femmes et les hommes qui font la politique. Les premiers visés par la colère, le mépris, à tout le moins le désintérêt sont les parlementaires. Les élus locaux, les maires en particulier, échappent encore à cette vindicte, par leur proximité avec la population.
Comme je l’avais indiqué lors de mon intervention sur les textes précités, ce rejet des parlementaires prend principalement sa source dans les déceptions successives, dans les promesses non tenues. Nos concitoyennes et concitoyens attendent principalement une chose, l’amélioration de leur situation : pouvoir travailler, se loger dignement, accéder à des soins de qualité, faire faire à leurs enfants des études, quel que soit leur milieu.
Depuis maintenant des décennies, chaque fois qu’ils élisent un Président de la République et, dans la foulée, une majorité parlementaire, le même scénario se reproduit : la déception.
Les choix politiques sont donc responsables, pour une bonne part, du rejet du Parlement sur lequel surfe aujourd’hui le Président de la République pour attaquer durement celui-ci, en commençant par en réduire l’effectif, avant de contraindre les prérogatives des députés et des sénateurs. Ces lourdes attaques du chef de l’État contre le Parlement sous-tendent les projets de révision institutionnelle qui seront mis en débat dans les semaines à venir à l’Assemblée nationale et au Sénat, en septembre.
Comment ne pas y voir l’aboutissement d’un calcul ancien, quelque peu machiavélique : il s’agit de pointer du doigt une institution où s’exprime encore une opposition politique, qui argumente malgré un pluralisme abîmé, une institution où le débat républicain se mène, particulièrement au Sénat.
Comment ne pas percevoir qu’Emmanuel Macron s’appuie sur cet affaiblissement du Parlement pour tenter d’instaurer un système que certains qualifieront de post-démocratique, adapté à la mondialisation économique, un système où les intérêts privés et l’argent sont les valeurs dominantes, au détriment de l’intérêt général ?
Si l’on est convaincu de la pertinence de certaines valeurs démocratiques et républicaines, il faut résister à cette vague antiparlementaire venue d’en haut, en proposant une profonde rénovation démocratique. Nous y reviendrons lors des débats à venir.
Dans ce contexte, l’argent, valeur dominante, incontournable, de notre société, s’est mêlé à la vie politique elle-même. Les promoteurs d’intérêts privés, ce que l’on nomme les lobbies, sont présents et institutionnalisés au point que, trop souvent, les parlementaires eux-mêmes se comportent en lobbyistes.
De trop nombreuses affaires ont illustré les rapports entre politique et argent, entre élus et argent, masquant la probité de la très grande majorité de ces hommes et de ces femmes engagés pour défendre leurs idées et porter dans l’hémicycle la voix de leurs électrices et de leurs électeurs.
Cette intrusion de l’argent dans la politique n’est pas suffisamment combattue sur le fond ; ce fut d’ailleurs notre principal grief à l’encontre des réformes de l’été dernier. Elle est au contraire institutionnalisée : encadrée, certes, mais institutionnalisée.
La proposition de résolution dont nous discutons ce soir porte les stigmates de cette régulation qui ne vaut en rien interdiction.
L’organisation du système de déport proposé au travers de ce texte est emblématique à cet égard. Plutôt que de combattre en amont, avant même l’élection, les conflits d’intérêts potentiels, on organise de manière tout à fait fictive une séparation entre intérêt privé et intérêt général dans le cadre d’un même mandat, en autorisant un parlementaire à ne pas siéger ou à ne pas voter en fonction d’un conflit d’intérêts qu’il déclarerait lui-même. Ainsi, des mandats pourront être intermittents, truffés de conflits d’intérêts acceptés par l’institution…
Ce système de déport ne constitue pas un rejet du conflit d’intérêts : il en est une organisation. Qui pis est, il sera possible de se déporter, durant tout un mandat, d’un secteur législatif. Cela est-il conforme à une conception républicaine de la représentation élective ? Les électrices et les électeurs ne devraient-ils pas, pour le moins, être informés en amont de l’incapacité d’un candidat à exercer en totalité son mandat du fait de son lien avec des intérêts privés ? Si l’objectif est vraiment de restaurer l’image des élus, de manifester leur probité et leur sens de l’intérêt général, ouvrir cette possibilité de déport apparaît totalement contre-productif. Nous présenterons d’ailleurs deux amendements sur ce sujet.
La réforme de septembre 2017 a eu pour effet de rendre caduc le système de pénalisation de l’absentéisme ou du manque d’assiduité des sénatrices et des sénateurs.
Ce système – il faut le reconnaître – a produit des effets positifs. Je le constate d’autant plus sereinement que notre groupe s’est toujours signalé par un fort taux de présence.
Les nouvelles dispositions réglementaires d’ordre pécuniaire avaient donc produit un effet non négligeable. Je ne peux que regretter que cette réforme prévoie un allégement de la sanction automatique pour manque d’assiduité,…
M. Philippe Bas, rapporteur. Pas exactement.
Mme Éliane Assassi. … même si le président-rapporteur de la commission des lois a proposé, en commission, de renforcer le texte du président Larcher.
Mais la mise en œuvre, dans le cadre d’un nouveau niveau de sanction – dont l’application est seulement rendue possible –, des dispositions financières accompagnant la censure simple ou avec exclusion temporaire ne sera pas automatique. Dans les faits, la procédure ne sera que rarement mise en œuvre.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Je vais conclure, monsieur le président.
M. François Bonhomme. On a compris !
Mme Éliane Assassi. Non, mon cher collègue, vous n’avez pas compris, car notre vote ne sera pas celui que vous imaginez sans doute : nous ne voterons pas contre ce texte ; il est probable que nous nous abstenions.
M. Jean Bizet. Ce n’est pas certain ?
M. François Bonhomme. C’est la grève du vote !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le président-rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, le 3 août 2017, le Parlement adoptait définitivement les projets de loi organique et ordinaire pour la confiance dans la vie politique. L’examen de ces textes a donné lieu à de très longs débats. La loi a été promulguée, et elle s’impose à tous.
Il est nécessaire que les innovations introduites par cette législation nouvelle soient bien intégrées dans notre règlement. C’est la raison d’être de la présente proposition de résolution.
Il est tout de même important de rappeler ici que le Sénat, en la matière, avait été précurseur ; il avait, bien en amont de la loi, déjà mis en place un dispositif global et cohérent de prévention et de traitement des conflits d’intérêts, entendus, je cite, comme « toute situation dans laquelle les intérêts privés d’un membre du Sénat pourraient interférer avec l’accomplissement des missions liées à son mandat et le conduire à privilégier son intérêt particulier face à l’intérêt général ». Ce dispositif figure et figurera dans l’instruction générale du bureau du Sénat.
La proposition de résolution que nous examinons ce soir traite également d’une difficulté née d’une disposition de la loi pour la confiance dans la vie politique, à savoir la disparition de l’IRFM, et de ses conséquences sur le mécanisme de sanction en cas d’absences répétées d’un sénateur.
Dès le 14 décembre 2017, lors de l’examen de la dernière réforme de notre règlement, mon collègue et président de groupe Hervé Marseille avait attiré l’attention de la Haute Assemblée sur le fait que les sanctions prévues par l’article 23 bis étaient assises sur l’IRFM et que, cette dernière disparaissant au 1er janvier 2018, lesdites sanctions seraient privées de base légale à compter de cette date.
Cela fait donc quelques mois que nous nous trouvons dans un vide juridique, heureusement sans conséquence, puisque le bureau, à ma connaissance, n’a pas eu à connaître de telles absences pour le moment.
Pour autant, il était indispensable de rétablir une sanction pour ces cas particuliers.
La présente proposition de résolution prévoit une disposition à mi-chemin entre une sanction prévue directement à l’article 23 bis et l’éventuel recours à des sanctions disciplinaires prévues à l’article 97. Ce mécanisme paraît pertinent et tout aussi dissuasif que le précédent.
Autre innovation majeure de la proposition de résolution, la création d’un registre des déports. Le sujet est délicat, car il ne prête pas à l’établissement de listes exhaustives que nous pourrions inscrire dans le règlement. Il a donc été décidé, en commission, que la question du déport resterait à l’appréciation de chaque sénateur.
Cependant, cette appréciation peut être complexe, et une forte dose de pédagogie sera nécessaire. En effet, un sénateur pourrait se trouver dans une situation où il devrait se déporter et, de bonne foi, ne pas en avoir la perception ou le réflexe, tant de telles situations peuvent être complexes. Aussi est-il important de rappeler à l’ensemble des sénateurs que, en cas de doute, il leur revient de consulter le comité de déontologie du Sénat.
M. Philippe Bas, rapporteur. Très juste !
Mme Sophie Joissains. Il est proposé de conserver au comité de déontologie parlementaire et au bureau du Sénat les rôles respectifs qui sont aujourd’hui les leurs, tels qu’ils sont prévus par l’instruction générale du bureau du Sénat.
Le comité de déontologie parlementaire garderait les mêmes règles de composition et de fonctionnement, ainsi que ses missions. En revanche, la loi impose de revoir ses modalités de saisine.
La présente proposition de résolution introduit une gradation selon trois niveaux de saisine possibles.
Le comité pourrait être saisi par le bureau ou le président du Sénat d’une question relative à la déontologie sénatoriale, à laquelle il serait répondu par un avis public.
Le comité pourrait être saisi par le bureau ou le président du Sénat de la situation personnelle d’un sénateur au regard des règles déontologiques. L’avis rendu serait alors confidentiel et assorti de recommandations.
Enfin, le comité pourrait être saisi par un sénateur d’une demande de conseil déontologique sur sa situation personnelle. Il lui serait alors répondu par un conseil confidentiel. Comme cela a été mentionné plus haut, cette dernière possibilité pourrait s’avérer être, dans certains cas, d’une aide précieuse.
Je tiens à saluer la qualité du travail de notre président-rapporteur, qui a permis de clarifier le texte sur plusieurs points essentiels et d’introduire de nombreuses propositions du comité de déontologie du Sénat.
Il en est ainsi de la possibilité, pour le bureau, de prononcer des rappels à l’ordre afin de traiter des manquements déontologiques mineurs, ou de la clarification du régime de publicité des avis du comité. En effet, qu’ils soient rendus à la demande du président du Sénat, du bureau ou d’un sénateur, sur une question générale ou individuelle, les avis du comité seront publiés, mais la confidentialité nominative sera garantie. Cette publication, un peu à la façon d’une jurisprudence, permettra aux sénateurs d’être éclairés de manière précise sur les bonnes pratiques.
Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera naturellement en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution, qui marque une actualisation nécessaire de notre règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Laborde et MM. Martin Lévrier et Pierre Louault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Messieurs les présidents, mes chers collègues, depuis trente ans, notre vie publique et notre vie parlementaire sont rythmées par des évolutions législatives régulières. Tous les deux ou trois ans, le Parlement est amené à délibérer sur des règles qui ont vocation à encadrer, à formaliser la problématique des relations entre l’argent et le monde politique. Jacques Chirac, en 1988, Michel Rocard, en 1990, Philippe Séguin, en 1995 : l’ensemble des responsables politiques, de tous bords, ont dû, année après année, proposer des législations, souvent d’ailleurs en réponse à des scandales financiers ayant secoué la vie politique française.
Ces scandales sont certes déplorables ; pour autant, le monde politique a su en tirer les conséquences pour encadrer, de manière parfois complexe, le financement de la vie politique, le financement des partis politiques, le financement des campagnes électorales. Il a instauré la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, avant de s’intéresser à la question des conflits d’intérêts et des lanceurs d’alerte.
Après une nouvelle loi, fin 2017, élaborée elle aussi à la suite, notamment, de difficultés survenues lors des mois précédents, nous débattons donc aujourd’hui de cette proposition de résolution qui a vocation à introduire dans les règlements des deux assemblées un certain nombre de règles destinées à améliorer encore l’organisation des liens entre les parlementaires et l’argent.
Comme l’a souligné le président Bas, certaines dispositions visent à prendre en compte la suppression de la fameuse IRFM – je dis « fameuse » car, après les récentes campagnes électorales, plus aucun Français regardant le journal télévisé ne pouvait ignorer qu’il existât quelque chose qui s’appelait IRFM, sans forcément savoir très exactement ce que ce terme recouvre. Depuis, Julia, l’application de « justification en ligne des avances », est devenue notre meilleure amie… (Sourires.)
Quant à la prévention des conflits d’intérêts, elle constitue un point très important. Les collègues qui m’ont précédée l’ont rappelé, il s’agit là d’un sujet délicat, difficile, qui doit faire l’objet d’une réglementation et sur lequel nous devrons sans doute progresser – j’ai compris, à l’écoute de diverses interventions, que nous ne sommes pas seuls, au groupe socialiste et républicain, à le penser.
Le comité de déontologie, admirablement présidé par notre collègue Pillet, a lui aussi formulé un certain nombre de suggestions pour compléter cette proposition de résolution du président Larcher. M. Bas, président de la commission et rapporteur, en a repris un certain nombre pour le compte de la commission, y compris celle d’introduire dans le texte le principe du respect de la laïcité. J’avais moi aussi souhaité que ce principe soit réintroduit dans notre règlement.
Nous avons donc bien avancé, et nous avons pu approcher encore un peu plus une solution du problème des conflits d’intérêts.
Vous l’aurez compris, le groupe socialiste et républicain est favorable à cette proposition de résolution. Pour autant, nous devons regarder devant nous, en anticipant les questions qui vont se poser à nous prochainement. Lors de l’examen à l’Assemblée nationale d’un projet de loi relatif à l’agriculture et à l’alimentation, les lobbies, a-t-on entendu dire, auraient été très actifs… Nous allons donc devoir faire montre de la plus grande vigilance quant à la façon dont les représentants d’intérêts tentent d’interférer dans le travail parlementaire, pour le meilleur parfois, mais pas toujours.
Notre collègue Alain Richard a indiqué que nous devrions peut-être envisager d’étendre le champ de la réglementation, notamment, aux dons qui peuvent être faits par des organismes extérieurs, aux invitations à telle ou telle manifestation de prix élevé ; nous avons évoqué ce point en commission des lois, et peut-être en effet devrons-nous progresser en ce sens.
Je l’ai rappelé, nous avons su faire évoluer la législation régulièrement ; nous avons su comprendre, au sein tant de chaque assemblée que des formations politiques, qu’il était nécessaire de légiférer pour restaurer la confiance des Français. Je suis donc très confiante dans notre capacité à progresser sur ce chemin, dont une partie reste à parcourir.
Le groupe socialiste et républicain restera vigilant à l’avenir. Il sera toujours présent lorsqu’il s’agira, sans mauvais esprit, d’identifier les points sur lesquels nous aurons encore, demain, à compléter la législation, afin que nos électeurs cessent de penser que nous n’exercerions pas notre mission de parlementaires de la manière la plus digne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Marie-Thérèse Bruguière et Michèle Vullien, MM. Marc Laménie, Martin Lévrier et Alain Richard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Messieurs les présidents, mes chers collègues, la proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs tire les conséquences des lois organique n° 2017-1338 et ordinaire n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Elle procède à une actualisation du règlement du Sénat, sans toutefois bouleverser les règles déontologiques déjà rigoureuses applicables aux sénateurs. Elle a donné lieu à un avis du comité de déontologie parlementaire.
En premier lieu, la suppression de l’IRFM exige de revoir le mécanisme de retenue financière automatique en cas d’absences répétées d’un sénateur, car ce mécanisme comporte un prélèvement sur cette indemnité. Le bureau pourra prononcer, en pareil cas, une sanction disciplinaire de censure pour manquement à l’obligation d’assiduité, laquelle conduit à la retenue d’une partie de l’indemnité parlementaire.
En second lieu, des dispositions déontologiques, concernant la prévention et le traitement des conflits d’intérêts, doivent être inscrites dans le règlement, alors qu’elles figurent aujourd’hui dans l’instruction générale du bureau.
Ainsi, la proposition de résolution prévoit de faire figurer dans le règlement, de façon synthétique, les règles déontologiques existantes, en particulier les principes déontologiques applicables aux sénateurs, l’obligation de déclarer les invitations, cadeaux, dons et avantages en nature, la composition du comité de déontologie parlementaire et la procédure en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts, faisant intervenir le bureau et le comité de déontologie. Elle crée également un registre des déports.
La commission des lois, sur l’initiative de son président et rapporteur de ce texte, Philippe Bas, dont je salue le travail,…
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie.
M. Alain Marc. … a adopté dix-neuf amendements, visant à prendre en compte l’avis du comité de déontologie, à clarifier la proposition de résolution et à améliorer la cohérence du règlement.
Ainsi, elle a renforcé le contrôle disciplinaire de l’absentéisme, en prévoyant un examen disciplinaire automatique par le bureau de la situation d’un sénateur en cas d’absences répétées pendant deux trimestres. Elle permet également au bureau de prononcer des sanctions de rappel à l’ordre en matière déontologique.
En matière d’absentéisme, la commission a prévu, au-delà des deux premiers niveaux de retenue financière automatique, un troisième niveau, en cas d’absences importantes et répétées d’un sénateur au cours de deux trimestres de la session ordinaire, consistant en un examen automatique par le bureau du Sénat de la situation de ce sénateur. Le bureau pourrait, s’il l’estime nécessaire, prononcer une sanction disciplinaire de censure.
Le premier niveau de sanction consiste en une retenue de la moitié de l’indemnité de fonction pendant trois mois, et le deuxième en une retenue de la totalité de cette indemnité pour la même durée ; aux termes du texte adopté par la commission, en raison de la suppression de la possibilité de retenue sur l’indemnité représentative de frais de mandat, la censure simple prononcée en matière déontologique emporterait, outre la privation de la totalité de l’indemnité de fonction, la privation d’un tiers de l’indemnité parlementaire pour une durée de trois mois, et la censure avec exclusion temporaire la privation de deux tiers de l’indemnité parlementaire pendant six mois. La commission a supprimé la possibilité pour le bureau de moduler ces durées à la baisse.
Reprenant une proposition du comité de déontologie parlementaire, la commission a également prévu que le bureau puisse prononcer, en matière déontologique, non seulement des censures, mais également des rappels à l’ordre, afin de traiter des manquements déontologiques mineurs. Le rappel à l’ordre et le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal sont dépourvus d’incidence financière, mais ils seraient rendus publics, comme il est de principe pour toute sanction disciplinaire en matière déontologique.
Par ailleurs, la commission a clarifié le régime de publicité des avis du comité rendus à la demande du bureau, sur une question générale ou individuelle ou à la demande d’un sénateur sur une question individuelle le concernant, tout en garantissant la confidentialité des informations nominatives qui y figurent. En effet, une telle publicité permettrait d’éclairer l’ensemble des sénateurs en matière déontologique sur la base d’avis rendus, notamment, sur des cas particuliers et concrets.
La commission a également clarifié les dispositions relatives à la faculté de déport des sénateurs et permis au bureau d’interroger le comité de déontologie non seulement sur un possible conflit d’intérêts, mais aussi sur tout manquement déontologique d’un sénateur. Elle a renforcé le caractère contradictoire de la procédure de contrôle par le bureau de la situation d’un sénateur en matière déontologique.
Cette proposition de résolution constitue un texte de consolidation et d’actualisation des obligations déontologiques des sénateurs inscrites dans le règlement du Sénat. Le groupe Les Indépendants se félicite de ce texte et y est tout à fait favorable. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, mes chers collègues, assiduité, prévention des conflits d’intérêts, compétences et composition du comité de déontologie, sanctions en cas de manquements aux règles de déontologie : proposition nous est soumise de faire évoluer les règles qui régissent le fonctionnement de la chambre haute du Parlement.
Cette proposition de résolution trouve sa source dans la nécessité de transposer les dispositions introduites l’été dernier par les lois pour la confiance dans la vie politique, trente-deuxième et trente-troisième textes tendant à « réguler » la vie politique et publique depuis 1985.
Ces lois, élaborées à l’issue d’une campagne électorale présidentielle particulièrement erratique, ont laissé nombre d’entre nous assez dubitatifs, non parce que nous ne percevrions pas la réalité du déclin croissant de l’intérêt de nos compatriotes pour la chose publique et la nécessité de l’enrayer, mais en raison des moyens employés.
En effet, la confiance dans le politique saurait-elle être restaurée par la loi ? Le cadre dans lequel nous exercions précédemment nos mandats serait-il la cause réelle de cette désaffection ? Une énième démarche en faveur d’une plus grande transparence de nos faits et gestes ne serait-elle pas, in fine, contre-productive et source de nouvelles suspicions ?
Ironie du sort, le garde des sceaux qui avait élaboré ces deux textes aura d’ailleurs lui-même été emporté par la « crise de confiance » qu’il entendait combattre, et ce, avant même de pouvoir présenter ses travaux devant la représentation nationale…
M. François Pillet, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat. Excellent rappel !
Mme Sophie Joissains. Très bien !
Mme Mireille Jouve. Comme entrée en matière pour restaurer la confiance entre les Français et leurs représentants, on pouvait imaginer mieux !
En dépit de ces interrogations, le Sénat s’est, l’an passé, pleinement impliqué dans l’élaboration de cette nouvelle réforme. Ses apports furent nombreux et, à l’image de tous nos travaux, imperméables aux chants des sirènes sondagières ou médiatiques.
Lorsque le Gouvernement nous a semblé faire fausse route, nous n’avons pas hésité à lui en faire part. Ce fut notamment le cas pour la suppression de la dotation d’action parlementaire, la DAP.
On nous opposa l’« opacité » de cette pratique, qui faisait pourtant l’objet depuis plusieurs années d’une information tout à fait limpide sur son utilisation.
On nous opposa l’arbitraire de ses modalités d’attribution, alors que personne ici n’ignore que, dans nos collectivités, l’attribution d’une subvention ne présente pas non plus un caractère automatique.
On nous opposa qu’il était d’une nécessité impérieuse de mettre un terme aux pratiques de l’ancien monde, alors que, dans le même temps, la réserve ministérielle, clone de la DAP à disposition de l’exécutif, allait perdurer.
Nous ne le répéterons jamais assez : cette manne était aussi utile aux collectivités les plus modestes qu’au tissu associatif. (Mme Françoise Laborde approuve.)
Mme Sophie Joissains. C’est vrai !
Mme Mireille Jouve. Le monde des anciens combattants, pour ne citer que lui, nous a encore récemment fait part des difficultés financières considérables qu’il rencontre depuis la suppression de la réserve parlementaire.
De toutes les institutions républicaines, notre Haute Assemblée est sans doute l’une de celles qui véhiculent le plus de représentations selon moi faussées. Le Sénat a institué, sans publicité tonitruante et dès 2009, soit deux années avant la création de la fonction de déontologue à l’Assemblée nationale, un comité de déontologie parlementaire.
M. François Pillet, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat. Eh oui !
Mme Mireille Jouve. Notre Haute Assemblée sanctionne également plus lourdement que la chambre basse l’absentéisme de ses membres.
Vous aurez en outre pu observer, mes chers collègues, que le Sénat a su résister à la vague « dégagiste » qui a caractérisé les scrutins nationaux de l’an passé. Certains auront relevé là une « résistance de l’ancien monde » ou une nouvelle manifestation de l’« archaïsme » du Sénat. Cette relative stabilité dans nos rangs est, j’en ai la conviction, le fait des liens que nous avons tissés, au gré du temps et de nos travaux, avec les élus locaux. Ceux-ci connaissent la réalité de la charge d’un mandat. Dans leur grande majorité, ils voient dans les sénateurs d’anciens élus locaux, qui partagent leur passion de l’action publique. Nous ne sommes pas pour eux des inconnus. C’est cette proximité qui nous permet de dépasser les idées préconçues.
C’est là pour moi l’occasion de rappeler, au nom du groupe du RDSE, l’importance de maintenir un lien suffisamment étroit entre les citoyens et leurs représentants. La confiance et l’inconnu ne vont généralement guère de pair.
Dans notre pays, cette proximité qui permet d’ancrer la politique dans le réel auprès des Français est, avant toute chose, le fait de l’institution communale. Le maire demeure celui qui résiste le mieux à la crise affectant la confiance dans la sphère publique ; ne l’oublions pas au moment où l’on tend à réduire son rôle et ses moyens.
Le Sénat, attaché à son indépendance, ne travaille sous aucune pression d’aucune sorte. Il poursuit aujourd’hui sa route.
Sur l’initiative de M. le rapporteur et des membres de la commission des lois, dix-neuf amendements ont été intégrés au texte qui nous est soumis ce jour. Les membres du groupe du RDSE se félicitent de l’introduction, parmi les principes déontologiques applicables, de celui de « respect de la laïcité » dans le cadre de l’exercice du mandat de sénateur.
Attaché à la lutte contre les conflits d’intérêts, notre groupe salue également les nouvelles dispositions introduites.
Soucieux de garantir l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, nous vous soumettrons par ailleurs une proposition d’amendement visant à dispenser d’assiduité nos collègues masculins qui souhaiteraient faire valoir leur droit au congé de paternité.
Mes chers collègues, le débat public actuel pourrait gagner en sérénité à l’heure où les réseaux sociaux se muent en véritables tribunaux populaires. Sans aller jusqu’à parler de présomption de culpabilité, aucun élu ne souhaite, au moment de ceindre l’écharpe tricolore, avoir le sentiment de se transformer en pigeon d’argile…
MM. Alain Marc et Claude Kern. Très bien !
Mme Mireille Jouve. Michel Audiard disait que la justice, c’est comme la Sainte Vierge : si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s’installe. (Sourires.)
Ce doute, ne nous y trompons pas, n’est pas au fondement de la crise de confiance entre les citoyens et leurs représentants, toujours plus profonde comme l’a révélé le niveau élevé de l’abstention lors des scrutins présidentiel et législatif. Le doute qui peut peser sur les gouvernants est aussi ancien que leur existence.
Comme l’a très justement rappelé Mme Assassi lors de nos débats de l’été dernier, je demeure convaincue que, pour l’essentiel, le désengagement que l’on observe à l’égard du vote tient à la difficulté, pour le politique, de faire bouger les lignes, alors que les inégalités se creusent de nouveau inexorablement.
Je formule donc le vœu que celles et ceux qui contribuent à faire ce que l’on appelle aujourd’hui « l’opinion publique » entraînent celle-ci plus fréquemment et plus volontiers sur le terrain de nos travaux, qui sont nombreux.
Mes chers collègues, selon la formule désormais consacrée, les membres du RDSE, dans leur diversité, détermineront leur vote au terme de notre discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. François Pillet, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat. Excellente intervention !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le président du comité de déontologie, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de résolution vient renforcer l’image du Sénat, en dépit de l’horaire tardif de son examen et de l’absence de journalistes pour se faire l’écho de nos débats.
Alors que notre collègue député Vigier se voit refuser des informations sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, nous, au Sénat, faisons œuvre de transparence ! Cela a déjà été souligné par de nombreux collègues, le Sénat a souvent été en avance sur ce sujet, même s’il y a pu y avoir, il ne faut pas le nier, ici ou là, quelques vicissitudes dans les pratiques.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans la volonté du Sénat d’élaborer les textes de manière réfléchie et jusqu’au bout. J’en veux pour preuve les sanctions contre l’absentéisme. Quelle est la portée d’un texte non assorti de sanctions ? Pourtant, combien de lois sont votées sans qu’elles emportent de conséquences ?
Il faut bien sûr remercier la commission des lois pour le travail accompli sur ce texte. Nolens volens, nous allons vers plus de transparence, cette vertu moderne imposée par le monde médiatique, par les réseaux sociaux et par les lanceurs d’alerte. J’en veux pour preuve cette excellente idée de créer un registre des déports. Pour prévenir les conflits d’intérêts, chacun doit pouvoir déclarer en conscience, en liberté et en responsabilité – et non en application d’une règle universelle –, comme nous déterminons notre vote, à quel moment il souhaite se déporter.
Madame Assassi, je ne crois pas qu’il soit possible, avant d’avoir été élu, de déclarer les conflits d’intérêts potentiels.
Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas dit ça ! Vous ne m’avez pas comprise.
M. Jérôme Bascher. Par exemple, un membre de votre famille peut, du jour au lendemain, accéder à des responsabilités et être ainsi à l’origine d’un conflit d’intérêts…
Par conséquent, la liberté est essentielle en la matière. À titre personnel, je le dis modestement, je n’aurai jamais rien à inscrire dans le registre des déports, mais quand bien même je ne suis pas concerné, j’estime qu’il s’agit d’une bonne mesure.
Cela étant, je le dis avec force, je n’aurais pas voté la loi pour la confiance dans la vie politique, car elle relève avant tout de l’antiparlementarisme. Cette loi a été conçue –à tort – en réponse à un cas particulier, certes emblématique, qui s’est présenté pendant la dernière campagne présidentielle et que nous avons tous en mémoire. Est-il dans nos habitudes de légiférer pour un cas particulier ou pour moins de 1 000 parlementaires, tandis que, pendant ce temps, des sujets essentiels tels que la santé ou l’immigration pourraient attendre ?
On s’est trompé d’urgence. On n’a pas instauré la confiance, on a créé de la défiance envers les parlementaires. On instille le poison de la rumeur, on généralise, à partir d’un cas particulier, à l’ensemble des élus, ceux-ci, qu’ils soient maires de village ou conseillers municipaux, étant soupçonnés de gagner des mille et des cents, de toucher des indemnités incroyables, alors même que leur taxation est appelée à augmenter massivement avec le prélèvement à la source…
Je défendrai toujours, avec le groupe Les Républicains, l’indépendance des parlementaires. Il faut faire attention à ne pas aller trop loin en instituant une forme de « flicage », comme l’a fait la loi Sapin pour un certain nombre de professionnels qui doivent maintenant déclarer quelles personnes ils fréquentent, avec qui ils déjeunent !
Si demain on en arrive là pour les parlementaires, nous ne pourrons plus exercer notre mandat en toute liberté et en toute indépendance. Nous devons y être attentifs, car souvent les journalistes, souvent la justice, parfois l’administration voudraient que nous soyons totalement transparents, sans s’appliquer cette exigence à eux-mêmes ! Les sources des journalistes doivent être protégées, bien entendu, mais il faut aussi défendre les sources des parlementaires, en faisant la loi de façon intelligente : il y va de notre indépendance.
Mes chers collègues, n’ayons pas peur de la transparence. N’ayons surtout pas peur de l’indépendance et du temps long de la réflexion : ne cédons pas à la pression du temps médiatique. Le groupe Les Républicains votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat et les sénateurs ont, dans la vie publique, une fonction d’exemplarité, tout particulièrement à l’égard des élus locaux. Or, alors que nous nous apprêtons aujourd’hui à appliquer au Sénat les dispositions de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, je souhaiterais que notre Haute Assemblée puisse, par son exemplarité, aider à rassurer ces mêmes élus locaux.
Je commencerai mon propos en livrant à ceux d’entre vous qui n’en auraient pas pris connaissance le résultat de la consultation réalisée par le groupe de travail du Sénat sur le statut des élus locaux : 45 % des 17 500 élus ayant répondu pensent ne pas se représenter. Cette crise des vocations est justifiée avant tout – 27 % des réponses – par le temps accordé au mandat au détriment de leur famille et de leur travail, puis par le degré d’exigence des citoyens – 13,4 % des réponses – et le risque juridique et pénal – 12,7 % des réponses. Sur 100 élus, 13 envisagent d’abandonner leur engagement public en raison du risque juridique lié à l’exercice de leur mandat.
C’est un constat qui rend nécessaire, voire indispensable, un travail de publicité et de pédagogie au sujet des obligations déontologiques et de la prévention des conflits d’intérêts, que je propose d’effectuer ce soir.
Ce constat peut être étendu à nombre d’élus et s’inscrit dans le contexte général d’un renforcement des obligations déontologiques. Il en va de même du débat que nous avons aujourd’hui sur cette proposition de résolution, qui revêt une importance majeure pour le bon fonctionnement du Sénat et le respect des nouvelles prescriptions normatives.
L’adoption de cette proposition de résolution permettra au Sénat de se conformer à l’article 3 de la loi pour la confiance dans la vie politique. Cette loi, que notre assemblée a votée à une large majorité – 298 voix pour et 5 contre –, constitue ce que l’on appelle une « loi d’opinion », c’est-à-dire un texte visant à rassurer l’opinion publique dans le contexte d’alors, que nous connaissons tous.
Nous avons adopté ce texte. Je l’ai moi-même voté. Cela dit, je tiens à nous interpeller collectivement sur les risques que peuvent engendrer des lois de réaction mettant en cause les élus de manière générale et alimentant un climat de défiance de la population envers eux.
Pour en revenir à la proposition de résolution que nous soumet le président du Sénat, nous ne pouvons que saluer cette initiative et nous réjouir que notre institution dispose des moyens optimaux de prévenir les conflits d’intérêts.
La mise à jour des sanctions contre l’absentéisme parlementaire, notamment leur adaptation à la disparition de l’IRFM, va globalement dans le bon sens. Il en est de même des modalités de saisine du comité déontologique parlementaire, qui ont été élargies au terme des travaux de la commission.
Le mécanisme de déport, quant à lui, permettra à un parlementaire de se retirer publiquement d’un débat qui le placerait en situation de conflit d’intérêts. Cela constitue une meilleure garantie pour les sénateurs concernés et permettra d’attester de notre profonde conviction que la déontologie doit jouer un rôle important dans la vie publique.
La difficulté réside dans le fait que la démarche incombe au parlementaire et se fonde sur sa seule appréciation et sa seule déclaration, d’où l’intérêt de suivre avec précision l’ordre du jour et le contenu des textes inscrits, pour mieux signaler un déport en amont, avant, par exemple, que le vote n’intervienne par voie de procuration en cas d’absence.
Se pose alors la question centrale de la définition du conflit d’intérêts, sur laquelle je me permettrai de revenir un peu plus longuement.
La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a pour la première fois harmonisé les textes existants et donné une définition légale du conflit d’intérêts, en son article 2 : « Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »
Cette définition met en évidence trois critères : la détention d’un intérêt par l’élu, qu’il soit direct ou indirect, matériel ou moral ; l’interférence peut être matérielle ou temporelle ; l’intensité de l’interférence s’examine au cas par cas. Il y a conflit d’intérêts quand l’interférence est suffisamment forte pour soulever des doutes raisonnables quant à la capacité de l’élu d’exercer ses fonctions en toute objectivité.
La loi du 15 septembre 2017, dite « loi Bayrou », a défini le conflit d’intérêts des parlementaires selon un rapport privé-public, et non un rapport public-public, lequel n’est mentionné que dans la loi de 2013 et ne touche que les élus locaux.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Jacques Panunzi. Les parlementaires ne sont certes concernés que par d’éventuelles interférences entre mandat public et intérêts privés, mais la notion d’intensité de l’interférence n’en demeure pas moins difficile à cerner. C’est là que prend tout son sens le conseil du comité de déontologie parlementaire, sur lequel reposera le dispositif de prévention des conflits d’intérêts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs
Article 1er
L’article 23 bis du Règlement est ainsi modifié :
1° L’alinéa 8 est ainsi rédigé :
« 8. – En cas d’absence, au cours d’un même trimestre de la session ordinaire, à plus de la moitié de ces votes, plus de la moitié de ces réunions et plus de la moitié de ces séances, la retenue mentionnée à l’alinéa 7 est égale à la totalité du montant trimestriel de l’indemnité de fonction. Le seuil de la moitié est porté aux deux tiers pour les sénateurs élus outre-mer. » ;
2° L’alinéa 9 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un sénateur dont le déport est inscrit sur le registre public mentionné à l’article 91 ter est également considéré comme présent en séance ou en commission au cours des travaux entrant dans le champ de ce déport. » ;
3° L’article est complété par un alinéa 11 ainsi rédigé :
« 11. – La retenue mentionnée aux alinéas 7 et 8 s’applique sans préjudice de la possibilité pour le Bureau du Sénat de prononcer les peines disciplinaires prévues à l’article 99 ter. En cas d’absences d’un sénateur donnant lieu à l’application de la retenue mentionnée à l’alinéa 8 du présent article au cours de deux trimestres de la session ordinaire, le Bureau examine, sur la proposition du Président, s’il y a lieu de prononcer à son encontre une des peines disciplinaires de censure prévues à l’article 99 ter. »
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Bizet, Sutour, Bonnecarrère et Gattolin, Mme Mélot et M. Menonville, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À l’alinéa 9, après les mots : « dont il est membre », sont insérés les mots : « , de la commission des affaires européennes » ;
La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Cet amendement vise tout simplement à corriger une omission du règlement, dont l’alinéa 9 de l’article 23 bis ne comptabilise pas au titre de la présence en séance ou en commission les déplacements à l’étranger ou outre-mer des membres de la commission des affaires européennes, celle-ci n’étant pas classifiée comme une commission permanente.
J’avais déjà souligné cette difficulté à l’époque. Or les choses ont pris une tournure différente depuis, du fait que la mission sur le Brexit qui nous a été confiée, à Christian Cambon et à moi-même, par le président Larcher, amène les membres de cette mission d’information et de suivi à se rendre régulièrement à Bruxelles, à Londres ou à Dublin. Or les déplacements de ceux d’entre eux qui sont en outre membres de la commission des affaires étrangères sont comptabilisés au titre de la présence en séance ou en commission, mais pas ceux des membres de la commission des affaires européennes.
Je souhaiterais donc que, dans ce cas précis, les membres de cette dernière soient traités à parité avec ceux des commissions permanentes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Karam, Patient et Théophile, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À l’alinéa 9, après le mot : « membre », sont insérés les mots : « ou de la délégation aux outre-mer » ;
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement est de même nature que celui qui vient d’être défendu. Il vise à la prise en compte, au titre des absences justifiées, des missions outre-mer ou à l’étranger des rapporteurs de la délégation aux outre-mer.
Nous sénateurs ultramarins faisons obligatoirement partie de cette délégation : nous en sommes membres de droit. Mais je m’exprime aussi ici au nom des membres de la délégation aux outre-mer issus de l’Hexagone.
Dans le cadre de l’exercice de nos missions, nous sommes naturellement souvent amenés à nous déplacer outre-mer, pour travailler sur des sujets spécifiques tels que le foncier, la filière sucrière ou les normes, par exemple. Ces travaux sont très utiles et ont contribué à faire évoluer la législation.
Or ces déplacements peuvent avoir été programmés avant qu’aient été fixées les dates des votes solennels. De ce fait, il est difficile pour les membres de la délégation aux outre-mer de s’organiser pour être présents, d’autant qu’il est arrivé que des votes solennels soient déprogrammés.
Certes, la plupart du temps, nous satisfaisons largement aux critères de présence, qui sont d’ailleurs allégés pour les Ultramarins, mais je demande que les déplacements à l’étranger ou outre-mer des rapporteurs de la délégation aux outre-mer soient pris en compte au titre des absences justifiées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Je m’associe à la démarche de mon collègue.
Les outre-mer sont là où ils sont, ils n’ont pas choisi d’être dispersés sur tous les océans du monde ! J’ajoute à l’argumentation de M. Mohamed Soilihi que l’existence de la délégation aux outre-mer a été confirmée par la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Au-delà du règlement du Sénat, elle a donc une valeur juridique et une existence légale. Prendre en compte les déplacements de ses membres s’en trouve donc d’autant plus justifié.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement concerne la question du déport.
Comment consolider la légitimité du Parlement aux yeux des Français ? Dans cette perspective, nous estimons qu’il faut traiter en amont la question des conflits d’intérêts, cruciale du point de vue de la crise du politique que nous traversons.
Nous jugeons largement insuffisantes les dispositions visant à prévenir les conflits d’intérêts qui figurent dans le texte. Nous aurions de loin préféré que l’on recoure aux incompatibilités, afin d’éviter l’élection de personnes en situation avérée de conflit d’intérêts.
Le texte actuel tend à appliquer la loi. Dont acte, mais faut-il admettre l’existence des conflits d’intérêts, voire leur accorder une forme de vertu, en mettant en place une possibilité de déport qui permettra de justifier une absence ? Le déport sera une faculté qui pourra être utilisée par certains d’entre nous à titre individuel, mais dont nous devrons tous assumer publiquement l’existence ! Quand l’un d’entre nous commet une faute, c’est le Parlement dans son ensemble qui est touché. Le déport permettra à un sénateur de s’exonérer d’une présence obligatoire : cela pose, à nos yeux, un énorme problème, outre que ce système ne fera pas cesser les conflits d’intérêts et ne les régulera pas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je crois qu’il y a un malentendu. Qu’un maire, un président de conseil départemental ou régional, un sénateur ou un député ait des intérêts n’est pas une infamie : c’est simplement le signe qu’il a eu un métier !
Nous ne sommes pas tous ici des spécialistes de la politique ; nous avons souvent, et c’est heureux, commencé par exercer une profession. Cela crée des liens. Pour autant, ces liens ne sont pas la preuve de turpitudes. Leur existence impose simplement que l’on prenne la précaution, en conscience, de la déclarer et de ne pas participer à un débat en cas de conflit d’intérêts potentiel.
Cette idée selon laquelle les intérêts que tel ou tel d’entre nous pourrait avoir le disqualifieraient et qu’il faudrait que son absence pour cause de déport soit comptabilisée au titre des absences pouvant donner lieu à sanction me paraît aberrante.
En réalité, tout cela témoigne qu’il existe entre nous une forme d’incompréhension quant à la nature même de l’intérêt. L’intérêt n’est pas en soi bon ou mauvais. Son existence nous paraît simplement devoir entraîner une certaine réserve dans un débat le concernant. Il faut récompenser ceux d’entre nous qui considéreraient ne pas devoir participer, en raison de leur intérêt, à la discussion d’un texte ou d’un amendement, plutôt que de prévoir que le déport soit sanctionné au titre des absences non justifiées.
L’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je dois avoir une difficulté de compréhension, monsieur Bas… J’avoue ne pas avoir compris votre argumentation !
M. Philippe Bas, rapporteur. Ah bon ?
M. Pascal Savoldelli. Quel est le lien entre conflits d’intérêts, métiers et professions ? Pourquoi nous parler des métiers et des professions des uns et des autres ? C’est hors sujet !
M. Claude Kern. Non !
M. Pascal Savoldelli. La question posée ici est celle du conflit d’intérêts. Nous sommes tellement en avance sur ce sujet qu’il a fallu attendre 2004 pour que l’OCDE aborde la question du conflit d’intérêts privés, alors qu’il n’avait été question auparavant que de conflits d’intérêts publics… On peut ne pas être d’accord avec l’appréciation qui est la nôtre, mais il faut avoir de la tenue ! Lorsque l’on parle de conflits d’intérêts, il s’agit de ne pas se prendre les pieds dans le tapis en faisant référence aux métiers ou aux professions.
L’un de nos collègues de droite, au terme de l’intervention d’Éliane Assassi, a comparé l’abstention annoncée de notre groupe à une grève : les cheminots paient, quand ils font grève !
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Jouve, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre et MM. Gold, Guillaume, Labbé, Menonville et Requier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À l’alinéa 10, après le mot : « maternité », sont insérés les mots : « , d’une paternité » ;
La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. L’alinéa 4 de l’article 23 bis du règlement de la Haute Assemblée prévoit explicitement certaines dérogations aux règles d’assiduité établies par le même article, en particulier en cas de maternité ou de longue maladie. Le présent amendement vise à étendre le champ de cette dérogation à la paternité, afin d’estomper une différence réglementaire de traitement entre sénatrices et sénateurs.
Il s’agit non pas d’instaurer un véritable congé de paternité, comme la loi en prévoit un pour les salariés ou les fonctionnaires, mais plutôt de faire évoluer notre règlement en tenant compte des pratiques familiales de notre époque, qui concernent également les parlementaires que nous sommes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement a suscité un tel élan de sympathie au sein de la commission des lois, ce matin, qu’il me répugne de devoir y donner un avis défavorable. (Marques de déception sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) C’est pourtant ce que je vais faire.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que nous ne sommes pas des salariés, que le code du travail ne s’applique pas à nous, non plus que le code de la sécurité sociale.
Par conséquent, s’il advenait qu’une sénatrice mette au monde un enfant pendant son mandat parlementaire, elle ne bénéficierait pas d’un congé de maternité. De la même façon, s’il advenait qu’un sénateur ait à accueillir un enfant dans son foyer, il ne bénéficierait pas d’un congé de paternité. L’idée selon laquelle il faudrait prévoir dans le règlement un congé de paternité nouveau, à côté d’un congé de maternité qui préexisterait, est donc erronée.
Je tiens cependant à vous rassurer, mes chères collègues : celles d’entre vous qui accoucheront dans les années à venir pourront naturellement s’absenter sans être sanctionnées (Exclamations amusées sur diverses travées.) si leur état le justifie ou si les exigences de l’allaitement devaient les conduire à s’éloigner momentanément du Sénat pour des motifs de bonne organisation de leur vie familiale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Quant aux pères de famille, gageons qu’ils trouveront le moyen d’accueillir à la maison l’enfant nouveau-né sans avoir, pour autant, à « sécher » les réunions de commission, les votes par scrutin public solennel ou les séances de questions d’actualité au Gouvernement.
L’avis est donc, hélas, défavorable, malgré, encore une fois, le très fort élan de sympathie qu’a suscité cette proposition très attendrissante. (M. Philippe Pemezec applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous avons effectivement eu un débat assez animé en commission des lois sur cette question, qui suscite maintenant dans l’hémicycle, de la part de certains de nos collègues, les mêmes réactions quelque peu ironiques qu’alors… (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je vais expliquer pourquoi le groupe socialiste et républicain votera cet amendement.
M. Philippe Bas, rapporteur. Par démagogie !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je ne me serais pas permis de porter un tel jugement sur certaines prises de position que j’ai pu entendre, monsieur le président Bas… Laissez-moi défendre mon point de vue sans le qualifier a priori de démagogique !
Lorsque l’on a reconnu aux femmes le droit à un congé de maternité, sans doute a-t-on considéré que leur état physique après l’accouchement, mais aussi l’importance du lien avec l’enfant justifiaient un tel congé, d’ailleurs beaucoup plus long dans certains pays que dans le nôtre.
Il existe aussi en France un congé parental, là encore beaucoup plus long dans certains autres pays que chez nous.
Il existe enfin, dans le droit français, un congé de paternité, qui est – rassurez-vous, monsieur le président Bas ! – assez bref puisqu’il est, sauf erreur de ma part, de onze jours, prolongeant ainsi de trois jours le congé pour naissance.
C’est dire que, en instaurant un congé de paternité pour les sénateurs, nous n’allons pas dépeupler cet hémicycle !
La légère condescendance de certains que j’ai cru percevoir me semble de mauvais aloi. Le règlement, je l’indique au président Bas, ne fait pas mention d’un congé de maternité ; nous nous référons donc ici non pas au droit social, mais bien à un état. Aucune raison fondamentale n’empêche qu’y soit reconnue la possibilité d’une absence dont la durée ne serait pas longue. Il me semblerait juste qu’une telle disposition soit adoptée par une assemblée qui a – peut-être à tort, je ne sais plus – la réputation de ne pas être encline à reconnaître comme pertinente une évolution des droits.
Voilà pourquoi le groupe socialiste et républicain soutiendra cette très bonne initiative, en espérant que nos collègues voteront en faveur de l’introduction de la paternité dans les motifs d’autorisation exceptionnelle d’absence des sénateurs. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour explication de vote.
Mme Mireille Jouve. Puisque le règlement du Sénat fait en effet référence à la maternité, pourquoi pas à la paternité ? Ou alors, peut-être pourrions-nous parler de « parentalité », ce qui permettrait de viser à la fois les femmes et les hommes. Je suis désolée que ce geste en direction de mes collègues masculins rencontre une telle opposition…
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 11. – Le Sénat prononce l’une des peines disciplinaires de censure prévues à l’article 99 ter en cas d’absences donnant lieu à l’application de la retenue mentionnée à l’alinéa 8 du présent article au cours de deux trimestres de la même session. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
I. – Après l’article 91 du Règlement, sont insérés une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :
« CHAPITRE XVI BIS
« Obligations déontologiques »
II. – En conséquence, dans l’intitulé du chapitre XVII du Règlement, les mots : « et obligations déontologiques » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 3
Après l’article 91 du Règlement, il est inséré un article 91 bis ainsi rédigé :
« Art. 91 bis. – 1. – Dans l’exercice de leur mandat, les sénateurs font prévaloir, en toutes circonstances, l’intérêt général sur tout intérêt privé. Ils veillent à rester libres de tout lien de dépendance à l’égard d’intérêts privés ou de puissances étrangères.
« 2. – Ils exercent leur mandat dans le respect du principe de laïcité et avec assiduité, dignité, probité et intégrité. » – (Adopté.)
Article 4
Après le même article 91 du Règlement, il est inséré un article 91 ter ainsi rédigé :
« Art. 91 ter. – 1. – Les sénateurs veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement toute situation de conflit d’intérêts entre un intérêt public et des intérêts privés dans laquelle ils se trouvent ou pourraient se trouver.
« 2. – Lorsqu’un sénateur estime devoir ne pas participer aux délibérations ou aux votes lors de certains travaux du Sénat en raison d’une situation de conflit d’intérêts, il en informe le Bureau du Sénat.
« 3. – Un registre public des déports, tenu sous la responsabilité du Bureau, recense les sénateurs ayant informé ce dernier de leur décision de ne pas prendre part à certains travaux du Sénat, avec la mention des travaux concernés par cette décision.
« 4. – Tout sénateur s’abstient également de solliciter ou d’accepter dans le cadre des travaux du Sénat des fonctions susceptibles de le placer en situation de conflit d’intérêts. »
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … – Lorsqu’un sénateur demande plus de deux déports lors d’une délibération ou d’un vote dans le même mois ou trois dans le même trimestre, il est entendu par le Bureau du Sénat. Cette audition est annoncée publiquement.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
Après le même article 91 du Règlement, il est inséré un article 91 quater ainsi rédigé :
« Art. 91 quater. – Lorsqu’un sénateur estime, lors de travaux du Sénat, qu’il détient un intérêt ayant un lien avec ces travaux sans toutefois le placer dans une situation de conflit d’intérêts, il peut faire une déclaration orale de cet intérêt qui est mentionnée au compte rendu. » – (Adopté.)
Article 6
Après le même article 91 du Règlement, il est inséré un article 91 quinquies ainsi rédigé :
« Art. 91 quinquies. – 1. – Les sénateurs déclarent au Bureau du Sénat les invitations à des déplacements financés par des organismes extérieurs au Sénat qu’ils ont acceptées, ainsi que les cadeaux, dons et avantages en nature qu’ils ont reçus, dès lors que la valeur de ces invitations, cadeaux, dons et avantages excède un montant fixé par le Bureau.
« 2. – Ne sont pas soumis à cette obligation déclarative les cadeaux d’usage et les déplacements effectués à l’invitation des autorités étatiques françaises ou dans le cadre d’un autre mandat électif, ou les invitations à des manifestations culturelles ou sportives en métropole ou, pour les sénateurs élus outre-mer, dans leur circonscription d’élection.
« 3. – La liste de ces invitations, cadeaux, dons et avantages en nature est rendue publique. »
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Karam, Patient et Théophile, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
sportives
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
sur le territoire national.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement vise à appliquer aux sénateurs élus en métropole et à leurs collègues ultramarins le même régime de dérogations à l’obligation de déclaration des invitations acceptées à des manifestations culturelles ou sportives, afin d’instaurer une égalité de traitement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
Après le même article 91 du Règlement, il est inséré un article 91 sexies ainsi rédigé :
« Art. 91 sexies. – 1. – Le comité de déontologie parlementaire assiste le Bureau et le Président du Sénat dans la prévention et le traitement des conflits d’intérêts des sénateurs ainsi que sur toute question déontologique concernant l’exercice du mandat des sénateurs et le fonctionnement du Sénat.
« 2. – Le comité est présidé par un sénateur du groupe ayant l’effectif le plus important en dehors de ceux qui se sont déclarés comme groupe d’opposition ou groupe minoritaire. Il comprend en outre un sénateur par groupe politique. Le président et les autres membres du comité sont désignés par le Président du Sénat. Le sénateur du groupe d’opposition ayant l’effectif le plus important exerce les fonctions de vice-président.
« 3. – Le comité est reconstitué après chaque renouvellement du Sénat. Aucun de ses membres ne peut accomplir plus de deux mandats, sauf si l’un de ces mandats a été exercé pour une durée inférieure à trois ans.
« 4. – Les membres du Bureau du Sénat ne peuvent faire partie du comité.
« 5. – Lorsqu’il est procédé à un vote, les décisions du comité sont prises à la majorité des présents. »
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Dernière phrase
Avant le mot :
vice-président
insérer le mot :
premier
2° Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Une seconde vice-présidence est confiée à un représentant ou une représentante des autres groupes. La durée de cette présidence est adaptée lors de chaque renouvellement du Sénat pour permettre à l’ensemble des groupes d’y accéder un temps donné.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement vise à instaurer une seconde vice-présidence du comité de déontologie, confiée à un représentant ou une représentante d’un groupe autre que le groupe majoritaire et le groupe de l’opposition ayant l’effectif le plus important, avec une possibilité de rotation. Il s’agit d’assurer une représentation de tous les groupes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il n’est pas nécessaire de créer un nouveau poste pour que le comité de déontologie soit efficace.
L’avis est défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Article 8
Après le même article 91 du Règlement, il est inséré un article 91 septies ainsi rédigé :
« Art. 91 septies. – 1. – Le Bureau ou le Président du Sénat peut saisir le comité de déontologie parlementaire d’une demande d’avis sur une question générale entrant dans sa compétence.
« 2. – Le Bureau ou le Président peut également saisir le comité de toute situation susceptible de constituer un conflit d’intérêts concernant un sénateur ou de toute question déontologique liée à l’exercice de son mandat. Le Bureau peut transmettre au comité la déclaration d’intérêts et d’activités du sénateur concerné et les déclarations prévues à l’article 91 quinquies.
« 3. – Lorsqu’il est saisi de la situation d’un sénateur dans les conditions définies à l’alinéa 2, le comité en informe l’intéressé et lui donne la possibilité d’être entendu ou de formuler des observations écrites. Si le sénateur concerné le demande, son audition par le comité est de droit. Le comité adresse au Bureau un avis, éventuellement assorti de recommandations.
« 4. – Si le Bureau, après avoir entendu le sénateur ou un de ses collègues en son nom, conclut à une situation de conflit d’intérêts ou à un manquement déontologique, il demande à l’intéressé de faire cesser sans délai cette situation ou ce manquement et, s’il y a lieu, de prendre les mesures recommandées par le comité.
« 5. – Tout sénateur peut saisir le comité d’une demande de conseil sur toute situation personnelle dont ce sénateur estime qu’elle pourrait constituer un conflit d’intérêts ou sur toute question déontologique liée à l’exercice de son mandat. Le conseil peut être rendu public par le sénateur concerné.
« 6. – Sauf décision contraire du Bureau, le comité assure la publication des avis rendus en application du présent article, selon des modalités excluant le risque d’identification des personnes qui y sont mentionnées. Le comité peut faire état des conseils rendus en application de l’alinéa 5, selon les mêmes modalités. »
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le comité de déontologie peut également se saisir des questions évoquées dans cet alinéa.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article 9
I A (nouveau). – Le 4° de l’article 94 du Règlement est abrogé.
I. – Les articles 99 et 99 bis du Règlement sont abrogés.
II. – L’article 99 ter du Règlement est ainsi modifié :
1° L’alinéa 1 est ainsi rédigé :
« 1. – Les peines disciplinaires mentionnées à l’article 92 sont applicables à tout membre du Sénat :
« 1° Qui a manqué gravement aux principes déontologiques définis à l’article 91 bis ;
« 2° Qui a usé de son titre de sénateur pour d’autres motifs que pour l’exercice de son mandat, indépendamment des cas prévus à l’article L.O. 150 du code électoral et sanctionnés par l’article L.O. 151-3 du même code ;
« 3° Qui a sciemment omis une déclaration requise à l’article 91 quinquies ;
« 4° Qui n’a pas respecté une décision du Bureau lui demandant soit de faire cesser sans délai une situation de conflit d’intérêts ou un manquement déontologique soit de prendre les mesures recommandées par le comité de déontologie parlementaire en application de l’article 91 septies ;
« 5° Qui a perçu une rémunération publique, une gratification ou une indemnité en méconnaissance des règles prévues à l’article 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement et à l’article L.O. 145 du code électoral. » ;
2° L’alinéa 2 est ainsi rédigé :
« 2. – Par dérogation à l’article 97, la censure simple peut emporter la privation pendant trois mois d’un tiers de l’indemnité parlementaire et de la totalité de l’indemnité de fonction et la censure avec exclusion temporaire peut emporter la privation pendant six mois des deux tiers de l’indemnité parlementaire et de la totalité de l’indemnité de fonction. » ;
3° (nouveau) À l’alinéa 3, les mots : « à l’article » sont remplacés par les mots : « aux articles 93 et ».
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le 5° de l’alinéa 1 de l’article 95 est abrogé.
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. Je mets aux voix l’article 9, modifié.
(L’article 9 est adopté.)
Article 10
La présente résolution entre en vigueur à compter de l’ouverture de la prochaine session ordinaire. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de résolution, je donne la parole à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Ma collègue Mireille Jouve n’a pas indiqué d’emblée quel serait notre vote sur cette proposition de résolution, celui-ci devant être arrêté en fonction de la discussion, et en particulier du sort réservé à notre amendement.
Tout en étant joueurs, nous sommes raisonnables. Bien que l’amendement présenté par Mireille Jouve n’ait pas été adopté, le groupe du RDSE votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
En tant que vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je trouvais cependant intéressant que nous nous occupions des hommes ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de résolution dans le texte de la commission, modifié.
M. le président. En application du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera soumise avant sa mise en application au Conseil constitutionnel.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 7 juin 2018 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze et le soir :
Proposition de loi visant à moderniser la transmission d’entreprise (n° 343, 2017-2018) ;
Rapport de Mme Christine Lavarde, fait au nom de la commission des finances (n° 515, 2017-2018) ;
Avis de Mme Pascale Gruny, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 514, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 516 rectifié, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-deux heures trente.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats établie par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai par l’article 9 du règlement, cette liste est ratifiée.
Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Hervé Maurey, Gérard Cornu, Mme Pascale Bories, MM. Michel Vaspart, Michel Dagbert, Olivier Jacquin, Jean-Pierre Corbisez ;
Suppléants : Mmes Éliane Assassi, Fabienne Keller, MM. Jean-François Longeot, Frédéric Marchand, Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mme Angèle Préville.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD