M. Antoine Lefèvre. Il y en aura d’autres !
M. Nicolas Hulot, ministre d’État. Je l’espère.
En tout cas, je tiens à saluer le degré de conscience qui prévaut, en France, sur ce sujet. Cela laisse augurer que les assises de l’eau se tiendront dans un état d’esprit constructif. Parce que la question demande d’additionner des expériences, des volontés, de la créativité et de l’inventivité, je me réjouis de cette perspective et, à nouveau, je vous félicite pour ce moment de démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013
Article 1er
En application de l’article L.O. 1113-6 du code général des collectivités territoriales, l’expérimentation prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes est prorogée jusqu’au 15 avril 2021.
Cette prorogation est applicable aux collectivités territoriales et groupements de collectivités qui sont déjà engagés dans cette expérimentation dans les conditions fixées par la loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3 (nouveau)
L’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes est ainsi modifié :
1° Au treizième alinéa, après les mots : « les données nécessaires », sont insérés les mots : « pour identifier les foyers bénéficiaires de l’expérimentation dont les ressources sont insuffisantes et », et les mots : « aux foyers dont les ressources sont insuffisantes » sont supprimés ;
2° À la deuxième phrase du quatorzième alinéa, l’année : « 2017 » est remplacée par l’année : « 2020 ». – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013.
(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je me réjouis que ce texte ait été adopté à une très large majorité. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, ce n’est pas si fréquent que cela.
Je me réjouis aussi – et c’est tout aussi rare – de voir une proposition de loi sénatoriale obtenir le soutien du Gouvernement ! (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Nous avons effectivement eu à déplorer, ces derniers temps, une tendance du Gouvernement à jeter systématiquement aux oubliettes nos propositions de loi – j’en compte au moins cinq sur une période très récente.
À ce double motif de réjouissance, j’en ajoute un troisième : les débats ont montré le très grand intérêt que l’ensemble de notre assemblée porte à la question de l’eau.
L’adoption de ce texte, de bon sens, est légitime ; il était tout à fait logique de vouloir proroger l’expérimentation afin que celle-ci puisse aller à son terme.
Mais, au-delà même du dispositif prévu dans cette proposition de loi, les interventions des différents orateurs laissent bien paraître une préoccupation réelle pour les questions concernant la ressource en eau et sa gestion. Avec un litre d’eau sur cinq perdu du fait de l’état des réseaux – je ne prendrai que cet exemple –, il y a largement matière à se mobiliser sur le sujet, et il faut le faire rapidement !
Je me réjouis, enfin, du prochain lancement des assises de l’eau. Convaincu que toutes les questions pourront être abordées dans ce cadre, je formerai le vœu que le Parlement, notamment le Sénat, puisse y être associé.
Vous savez, monsieur le ministre d’État, que siègent dans notre assemblée des élus qui connaissent bien les territoires et leurs problématiques – parmi lesquelles celle de l’eau. C’est pourquoi je conclurai mon propos en insistant sur ce souhait de voir le Sénat largement associé aux assises. Je vous garantis que vous pourrez compter sur nous, et sur l’état d’esprit, pragmatique et en rien partisan, que vous avez pu constater aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Sortie de l’indivision successorale et politique du logement en outre-mer
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer (proposition n° 231, texte de la commission n° 380, rapport n° 379).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelques semaines – le 18 janvier 2018 –, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.
Ce texte, qui vous est aujourd’hui présenté, propose des dispositifs innovants et nécessaires pour apporter des solutions pratiques aux difficultés de règlement des indivisions successorales en outre-mer, difficultés auxquelles le Gouvernement est particulièrement sensible.
La proposition de loi est née d’une initiative du groupe Nouvelle Gauche et apparentés à l’Assemblée nationale, plus particulièrement de M. Serge Letchimy, député de la Martinique, qui a souhaité porter cette question devant la représentation nationale. Cette initiative heureuse traduit une préoccupation que partagent tous les élus ultramarins, au palais du Luxembourg comme au palais Bourbon, ainsi naturellement que dans les territoires concernés.
La problématique en la matière est en effet bien réelle.
Le sujet a été particulièrement bien analysé, notamment dans un rapport extrêmement complet de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, en date du 23 juin 2016. Ce travail a été coordonné par M. Thani Mohamed Soilihi, aujourd’hui rapporteur au Sénat de cette proposition de loi, que je salue.
Ce rapport constitue, à dire vrai, le travail de référence sur cette question. Votre délégation y avait fait le constat de l’existence d’un état généralisé d’indivision transgénérationnelle, rendant difficile toute utilisation ou disposition de la terre, ce qui constituait dès lors un frein aux investissements économiques ainsi qu’un obstacle à l’accès à l’habitat. Il était observé que cette situation pouvait même aller jusqu’à engendrer des troubles à la paix publique.
Ce problème d’indivision endémique se double d’une problématique de reconstitution des titres de propriété, qui sont extrêmement difficiles à établir.
Sur le plan du contentieux civil, il a été relevé une multiplication des actions en revendication de propriété, conduisant souvent à la formulation de demandes en partage qui engorgent les tribunaux. Les juridictions sont alors confrontées à des difficultés majeures, liées à l’application des règles de gestion de l’indivision de droit commun fondées sur la règle de l’unanimité ou des deux tiers des droits indivis.
Cette réalité est bien identifiée par les pouvoirs publics et, bien entendu, le Gouvernement comprend la volonté forte des parlementaires d’outre-mer d’agir. C’est la raison pour laquelle il a porté un regard attentif et ouvert sur la démarche proposée, en suggérant quelques améliorations au dispositif initial.
Je rappellerai en préalable que, dès 2009, la question du titrement des terres a été mise en débat.
La création d’un groupement d’intérêt public chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété dans les départements d’outre-mer et à Saint-Martin, pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus, a ainsi été autorisée par la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
Le dispositif a ensuite été amélioré et complété par la loi du 17 octobre 2013, qui a mis en place une procédure dite de titrement, conduite par un groupement d’intérêt public ayant vocation à être constitué dans chaque région, département ou collectivité d’outre-mer concerné, ou bien par un opérateur public foncier.
La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite Égalité réelle outre-mer, a par ailleurs consacré les actes notariés de notoriété constatant une possession acquisitive, et les a sécurisés en enfermant les contestations éventuelles dans un délai de cinq ans pour les immeubles situés en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte. Il s’agit d’un dispositif équivalent à celui qui est applicable en Corse depuis la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété.
Le décret d’application du 28 décembre 2017 est venu préciser les modalités de mise en œuvre de ce dispositif. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2018.
La loi Égalité réelle outre-mer a également créé, pour Mayotte, une commission d’urgence foncière chargée de préfigurer le groupement d’intérêt public.
Enfin, en Polynésie française, le tribunal foncier se met en place. Le décret du 16 octobre 2017 relatif à l’organisation et au fonctionnement du tribunal foncier de la Polynésie française est en effet entré en vigueur le 1er décembre 2017.
Le Gouvernement convient toutefois qu’il faut aller plus loin sur la question de l’indivision, et ce dans le respect des principes constitutionnels, à savoir le droit de propriété ou le principe d’égalité.
C’est dans cet état d’esprit que, dès le dépôt de la proposition de loi, les ministères de la justice et des outre-mer se sont attachés à engager un dialogue constructif avec tous les parlementaires intéressés par ce sujet, naturellement avec l’auteur de la proposition de loi M. Serge Letchimy, mais aussi avec M. Olivier Serva, président de la délégation aux outre-mer à l’Assemblée nationale. Nous avons pu également échanger en amont avec votre rapporteur, pour voir dans quelles conditions ce texte pouvait prospérer.
Cette réflexion collaborative a permis une évolution du texte présenté à l’Assemblée nationale. Certaines dispositions demeurant encore perfectibles, le Gouvernement a été particulièrement attentif, lors de la discussion en séance du 18 janvier dernier, à l’amélioration de deux garanties considérées comme essentielles : d’une part, la notification individuelle du projet de partage ou de vente à l’ensemble des indivisaires afin de les mettre en mesure de s’opposer à l’acte et, d’autre part, la saisine du juge par les indivisaires majoritaires en cas d’opposition afin de veiller au respect du droit de propriété de chacun.
Les amendements déposés par le Gouvernement sur ces deux points ont été adoptés par l’Assemblée nationale. Il en est ressorti un texte qui me paraît équilibré et solide, tout à la fois porteur de renouveau pour ces successions ultramarines et respectueux des droits en présence.
Votre commission des lois a également imprimé sa marque à cette proposition de loi pour en améliorer les termes.
Le texte issu de la commission, tel qu’il vous est aujourd’hui présenté, comporte des précisions rédactionnelles supplémentaires, qui me paraissent tout à fait adaptées.
Je constate par ailleurs que votre commission des lois a procédé à diverses extensions quant au champ territorial de la proposition de loi, aux fins d’y inclure les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Elle a également prévu d’étendre les dispositions concernant l’attribution préférentielle et l’omission d’héritiers, qui, initialement, ne visaient que la Polynésie française, aux autres collectivités d’outre-mer.
Je relève également que le délai pour permettre l’accès au dispositif de vente et de partage a été porté à dix ans, contre cinq ans dans la version adoptée par l’Assemblée nationale, et que le texte étend désormais les pouvoirs de la majorité des indivisaires aux actes d’administration de l’indivision.
Le Gouvernement en prend acte et n’entendra pas revenir sur ces modifications, estimées nécessaires par le rapporteur et la commission des lois, dont je salue le président.
Seules deux divergences me semblent demeurer à ce stade.
Le nouvel article 5 A de la proposition de loi concernant le partage par souche en Polynésie française, adopté sur l’initiative de Mme Lana Tetuanui, renvoie à une question que nous avons déjà évoquée à l’Assemblée nationale avec Mme Maina Sage. C’est un sujet complexe, et je comprends bien entendu les préoccupations des parlementaires de Polynésie.
J’ai demandé à mon cabinet et à mes services de mener un travail de fond pour continuer à creuser cette question extrêmement importante. Ce travail a déjà débuté – il a été entamé pendant l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. Il suppose d’y consacrer un peu de temps pour bien mesurer les besoins exprimés et déterminer les réponses juridiques adaptées.
Je propose donc, en lien avec le ministère des outre-mer, que cette réflexion soit conduite de manière plus formelle, avec le soutien de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice. Je souhaite que les sénateurs et les députés de Polynésie puissent participer à ce travail commun pour trouver les solutions les plus opérationnelles, dans le respect de nos principes fondamentaux.
À ce stade, donc, la rédaction de l’article 5 A me semble aller trop loin. Elle ne préserve pas suffisamment les droits de l’ensemble des indivisaires, ainsi que l’accès au juge. Le Gouvernement proposera donc de revenir sur cette mesure.
De même, et c’est le second point de divergence, il sera proposé de revenir sur le nouvel article 2 bis, qui comporte des dispositions fiscales prolongeant le système d’exonérations fiscales prévu pour Mayotte de 2025 à 2028 et l’étendant aux autres collectivités ultramarines.
Au-delà de ces deux points de désaccord provisoire, je me réjouis que nous ayons ici l’occasion, ensemble, de faire évoluer notre droit, avec la perspective de faire progresser de manière concrète la question des successions en outre-mer.
Je sais cette considération partagée par ma collègue Annick Girardin, ministre des outre-mer, qui n’a pu être présente aujourd’hui, mais dont l’action est guidée par le souci constant d’une législation qui permette de prendre en compte les caractéristiques et contraintes particulières des outre-mer. C’est une préoccupation, je crois, que nous partageons tous ici ! (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, la situation de l’indivision en outre-mer peut être qualifiée de « fléau endémique », entravant le développement des territoires ultramarins.
Tel était le constat que Mathieu Darnaud, Robert Laufoaulu et moi-même avions dressé dans notre rapport d’information de 2016 sur la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer, fait au nom de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Ce rapport a d’ailleurs largement inspiré la proposition de loi que nous examinons, comme l’ont précisé ses auteurs.
Pour une bonne part, les situations d’indivision sont devenues inextricables, car résultant de dévolutions successorales non réglées, parfois même non ouvertes, sur plusieurs générations. Elles stérilisent une grande partie du foncier disponible sur des territoires où celui-ci est rare. L’activité économique, tout comme la politique d’équipement des collectivités en sont entravées.
Face à cette situation, nous faisons le constat de règles de gestion de l’indivision inadaptées, en l’état actuel du droit, aux spécificités ultramarines.
En application du principe d’identité législative, les départements et régions d’outre-mer sont soumis aux mêmes règles que les territoires hexagonaux, à quelques exceptions près.
Ainsi, au décès d’une personne, dans l’attente du partage qui fixera les droits de chacun sur un lot déterminé, les héritiers sont propriétaires indivis des biens du défunt, à moins que celui-ci n’ait réglé les modalités du partage par testament.
Cette situation d’indivision n’a pas vocation à perdurer. Selon l’article 815 du code civil, « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué […] ». Toutefois, en application de l’article 815-3 du même code, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte de disposition, tel que la vente ou le partage.
Or, en raison du nombre des indivisaires et de leur éparpillement géographique, notamment, l’unanimité est particulièrement difficile à obtenir, ce qui bloque tout projet de vente ou même de réhabilitation des biens.
Certes, il existe des procédures spéciales, telles que le partage judiciaire ou la possibilité pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis de demander au tribunal de grande instance d’autoriser la vente d’immeubles par licitation, mais elles ne permettent pas aux territoires ultramarins de surmonter les difficultés rencontrées.
Dès lors, comme les y autorise l’article 73 de la Constitution, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité adapter les règles du droit commun aux caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires.
La proposition de loi, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, tendait à mettre en place un dispositif dérogatoire et temporaire pour favoriser les sorties d’indivision et encadrer les conséquences des partages qui en découlent.
À l’article 1er, il était prévu que les biens indivis situés dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, et relevant de successions ouvertes depuis plus de cinq ans pouvaient faire l’objet d’un partage ou d’une vente sur l’initiative des indivisaires titulaires en pleine propriété de plus de la moitié des droits indivis.
L’article 2 avait pour objet d’autoriser le notaire à accomplir la vente ou le partage à défaut d’opposition des indivisaires minoritaires dans un délai de trois mois suivant la notification du projet. En cas d’opposition d’un ou plusieurs indivisaires minoritaires, les indivisaires majoritaires qui souhaitaient vendre le bien ou procéder à son partage devaient saisir le tribunal.
Ce dispositif avait vocation à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2028.
L’article 5, ajouté par l’Assemblée nationale, visait à adapter aux spécificités polynésiennes le dispositif d’attribution préférentielle. On permettrait à un héritier copropriétaire ou au conjoint survivant de demander l’attribution préférentielle du bien, s’il démontre qu’il y avait sa résidence depuis plus de dix ans, alors qu’en application du droit en vigueur, le demandeur doit prouver que sa résidence se trouvait sur le bien « à l’époque du décès » du de cujus.
L’article 6, également ajouté à l’Assemblée nationale, tendait à empêcher la remise en cause, en Polynésie française seulement, d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis, celui-ci ne pouvant que demander de « recevoir sa part soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ».
Face au texte tel qu’il lui a été transmis par l’Assemblée nationale, la commission des lois s’est attachée à concilier efficacité du dispositif et garanties juridiques du droit de propriété.
Elle a tout d’abord rappelé que le droit de propriété, garanti par les articles II et XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne pouvait souffrir de limites à son exercice, à moins que ces limites ne soient justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Elle a considéré que la situation tout à fait particulière du foncier ultramarin constituait effectivement un motif d’intérêt général, justifiant, dans son principe, la mise en place du régime dérogatoire de sortie d’indivision.
Quant au caractère proportionné à l’objectif poursuivi des mesures proposées, elle a estimé que l’Assemblée nationale, en imposant une notification du projet de vente ou de partage par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, en renforçant les modalités de publicité du projet et en renversant la charge de la saisine du juge en cas d’opposition d’un indivisaire minoritaire au projet, avait apporté de solides garanties, qui s’ajoutaient au caractère temporaire du dispositif créé.
Aussi la commission des lois a-t-elle entendu s’inscrire dans la continuité des travaux engagés, en proposant des modifications de nature à renforcer encore l’efficacité du dispositif tout en lui apportant de nouvelles garanties en termes de sécurité juridique.
À l’article 1er, elle a étendu l’application du dispositif dérogatoire de sortie d’indivision aux collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Elle a ensuite prévu qu’il s’appliquerait seulement aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, au lieu de cinq ans, pour permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions prévues à leur profit par le code civil, comme l’action en possession d’état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou l’option successorale qui peut être exercée par l’héritier dans ce même délai.
Enfin, par souci de cohérence, la commission a modifié la majorité requise pour effectuer des actes d’administration ou de gestion, jusqu’à présent fixée à deux tiers des droits indivis, pour éviter qu’il ne soit plus difficile d’effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition. Je rappelle que la proposition de loi autorise la vente ou le partage du bien sur l’initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis seulement.
À l’article 2, en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l’indivision, la commission a prévu la possibilité, pour tout indivisaire qui le souhaiterait, d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.
Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, elle a introduit dans le texte un nouvel article 2 bis, tendant à mettre en place une exonération du droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.
Sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui, elle a également introduit dans le texte un nouvel article 5 A, qui consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison, notamment, du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession.
À l’article 5, la commission a étendu, aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte, l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française, consistant à permettre au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire de bénéficier de l’attribution préférentielle du bien sur lequel il a établi sa résidence.
La commission a procédé à la même extension à l’article 6, s’agissant du dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis à la suite d’une erreur ou d’une ignorance.
Bien consciente que ce texte ne résoudra pas, à lui seul, les difficultés foncières des territoires ultramarins, la commission a néanmoins estimé qu’il pourrait constituer un outil intéressant de sécurisation du foncier s’il était associé à d’autres initiatives, comme la mise en place de groupements d’intérêt public ayant pour objet la reconstitution des titres de propriété. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de loi, tout comme les membres de la commission des lois, ont eu raison de rester prudents dans le traitement du problème posé par l’importance des propriétés indivises outre-mer.
La question, en effet, dépasse de beaucoup la simple réduction, voire la suppression d’un obstacle à la mobilisation du foncier outre-mer. Il faut non seulement respecter des identités et des rapports particuliers à la terre, mais aussi concilier cette mobilisation du foncier, sans laquelle aucun développement n’est possible, avec une organisation sociale dans laquelle la famille et la mise en valeur de biens communs ont une tout autre place et une tout autre forme qu’en métropole.
Comme le rappelle, dans son rapport d’information de juin 2016, la délégation sénatoriale à l’outre-mer : « […] par-delà les différences, l’attachement à la terre, la terre des ancêtres, constitue un trait commun à l’ensemble des outre-mer. Il s’agit d’un lien viscéral à forte charge symbolique et affective. La terre, pivot de l’organisation économique et sociale des sociétés ultramarines, voit son mode de gouvernance dominé par les principes de la solidarité et du consensus. »
Ce n’est d’ailleurs pas si étranger à nos réalités métropolitaines ! C’est le type de problèmes que l’on peut rencontrer lorsque l’on entend réformer la législation relative aux biens sectionaux communaux.