Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, déposée à l’Assemblée nationale le 6 décembre dernier, vise à répondre à un certain nombre de problèmes, et pas des moindres, concernant les logements ultramarins. C’est un texte de bon sens – je salue le travail de notre rapporteur –, ce dont je me réjouis pour mes collègues ultramarins.
Les pratiques traditionnelles et familiales en outre-mer sont la raison d’une indivision bien plus importante qu’en métropole. Cette spécificité territoriale, conjuguée à une insuffisance des registres et des actes notariés, multiplie les situations de blocage des successions de biens. La forte émigration des indivisaires n’arrange pas les choses, puisque ceux-ci sont parfois inconnus, absents ou réticents à la cession du bien. Par conséquent, les successions prennent de nombreuses années et donnent lieu à des situations aberrantes, avec des dossiers parfois centenaires à la suite d’une cascade de successions.
S’ajoutent au grave problème d’indisponibilité du foncier des conséquences sur le plan sanitaire : les bâtiments non entretenus deviennent de véritables nids à épidémie où prolifèrent les moustiques vecteurs de la dengue, de la fièvre jaune et du chikungunya. Il faut aussi relever les répercussions en termes d’aménagement ainsi que de rentrées fiscales pour les collectivités, ce qui a pour effet de compromettre le développement économique.
Les tribunaux locaux ont développé une jurisprudence au fil des situations rencontrées de manière à réduire autant que possible le nombre de litiges. Pour autant, et malgré tous leurs efforts, ce n’est pas suffisant face à l’ampleur du problème. Il fallait remédier à cette situation. C’est pourquoi la présente proposition de loi est la bienvenue.
L’article 1er dispose que les indivisaires titulaires de plus de la moitié en pleine propriété des droits indivis pourront désormais vendre, alors qu’il fallait jusqu’à présent obtenir l’accord de toutes les personnes concernées. Imaginez la situation lorsque cela concerne une famille nombreuse, avec une succession qui s’éternise.
Une sécurité juridique a été prévue : il faudra attendre cinq années après la succession pour faire valoir ce droit et le notaire interviendra systématiquement, ce qui n’était pas toujours le cas auparavant. Nul ne pourra arbitrairement, au lendemain de l’ouverture de la succession, décider de bloquer la situation et prendre au dépourvu les autres indivisaires sans laisser le temps de trouver un compromis.
De plus, ce nouveau régime serait valable pour une période de dix ans, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2028, de manière à ouvrir provisoirement ces possibilités et à permettre par dérogation le déblocage de nombreuses situations. Il s’agit en quelque sorte d’étendre et d’adapter aux territoires d’outre-mer la « solution corse » de la loi du 6 mars 2017.
Les nouvelles dispositions, en outre, ne laissent pas impuissant l’indivisaire hostile à la vente ou au partage, puisque celui-ci pourra faire connaître son hostilité sous trois mois. Il reviendra alors au tribunal de grande instance de trancher après saisine des indivisaires majoritaires.
Des dispositions spécifiques ont également été comprises dans cet article afin d’empêcher qu’une vente s’opère lorsqu’elle risquerait de léser certaines personnes vulnérables. Cela concerne les locaux d’habitation occupés par des conjoints survivants au défunt, des indivisaires mineurs et majeurs protégés ou des indivisaires présumés absents.
De telles mesures, a priori, peuvent paraître constituer un empiètement sur les droits de propriété des indivisaires mis en minorité lors de la prise de décision. Mais elles sont au contraire un moyen de stabiliser la situation des droits de propriété de la majorité des indivisaires.
Une telle mesure garantit aussi la paix publique, parce qu’elle apaise les familles, qui peuvent parfois malheureusement se déchirer à la suite d’une succession. C’est pourquoi je voterai en faveur de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, qui me semble utile pour répondre à la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe La République En Marche.
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à légiférer sur une proposition de loi visant à apporter une solution à un problème très ancien dans nos régions : l’indivision successorale. Pourquoi viser précisément les territoires ultramarins ? Parce que, dans ces collectivités, l’accès à la propriété, fort difficile, est encore aggravé par ce système d’indivision. Cette situation entrave bien évidemment le développement de nos territoires.
Le rapport d’information Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, publié en 2016, soulignait cet état de fait. Le problème est en effet bien réel : dans la mesure où tous les héritiers doivent être rassemblés pour qu’une décision soit prise au sujet d’un bien immobilier hérité – la vente, par exemple –, le bien reste souvent inutilisé, à l’abandon, et les ressources qu’auraient pu en tirer les héritiers restent lettre morte.
Cette situation est due à un état du droit archaïque qui a besoin d’une simplification. C’est cette simplification que tend à apporter la présente proposition de loi.
M. le député de la Martinique Serge Letchimy, auteur de la proposition de loi, a, par exemple, souligné qu’en Guadeloupe les familles, connaissant mal leurs droits en la matière, recourent peu au notaire pour la transmission et ignorent les règles régissant l’indivision. Ce processus est accentué par un manque de confiance des citoyens ultramarins dans le droit français.
On est donc face à une véritable paralysie foncière. En Martinique, par exemple, plus de 40 % du foncier est gelé pour cause d’indivision successorale. Les conséquences ne sont pas seulement néfastes pour le foncier. L’indivision successorale signifie aussi un engorgement des juridictions d’outre-mer dû au contentieux successoral.
Aussi, le texte examiné aujourd’hui, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, devrait rencontrer la même approbation au Sénat, puisque, d’une part, il tend à autoriser les indivisaires représentant la majorité des droits indivis à provoquer la vente ou le partage et, d’autre part, il vise à préciser qu’un indivisaire opposé au projet d’acte notifié saisit le tribunal de grande instance à fin de partage judiciaire dans les conditions de droit commun. En somme, il s’agit d’un nouvel outil destiné à résoudre une grande partie des difficultés foncières. Si l’on devait le résumer en une phrase, je dirais que tout repose sur la dérogation à la règle de l’unanimité en matière de consentement.
Il s’agit en effet d’adapter la procédure aux spécificités des territoires ultramarins. Alors que, dans l’Hexagone, il est souvent aisé de réunir les indivisaires lors du partage des biens hérités, il en va tout autrement en outre-mer, où les familles sont par ailleurs très nombreuses. Dans ces situations, l’article 73 de la Constitution autorise le législateur à intervenir pour adapter les règles de droit commun aux caractéristiques et aux contraintes particulières de ces territoires, habituellement soumis à la règle de l’identité législative.
En premier lieu, je souhaiterais souligner que le dispositif dérogatoire prévu par la présente proposition de loi est temporaire. L’article 1er vise en effet à prévoir que les dispositions du texte seront valables jusqu’au 31 décembre 2028. Il s’agit, en fait, d’apporter une réponse rapide à une situation gangrenée depuis des années. Dans la décennie qui vient, nous allons pouvoir réfléchir à une solution pérenne pour le foncier en outre-mer.
Autre point important : le droit de propriété n’est pas remis en cause par le présent texte. Ce droit, garanti par les articles 2 et 17 de la Constitution, ne peut être limité, sauf s’il s’agit d’un motif d’intérêt général. Or la dérogation au droit commun prévue par la proposition de loi se justifie par un motif d’intérêt général et par le caractère proportionné à l’objectif visé par les mesures proposées, notamment en imposant une notification du projet de vente ou de partage par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, en renforçant les modalités de publicité du projet et en renversant la charge de la saisine du juge en cas d’opposition d’un indivisaire minoritaire au projet.
En second lieu, je voudrais saluer le travail de la commission des lois du Sénat, qui, tout en restant fidèle à l’esprit du texte, l’a rendu plus efficace. Ainsi, à l’article 1er, elle a étendu l’application du dispositif dérogatoire de sortie d’indivision à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Elle a ensuite décidé que ce dispositif ne s’appliquerait qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans – et non cinq ans comme c’était le cas dans le texte initial – afin de permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions qui sont prévues par le code civil.
Enfin, le texte examiné aujourd’hui, tel que modifié par la commission, prévoit que la majorité requise pour effectuer des actes d’administration ou de gestion n’est pas des deux tiers, mais est simplement de la moitié.
Autre mesure importante : à l’article 5, la commission a étendu aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française. Ainsi, le conjoint survivant ou l’héritier copropriétaire peut désormais bénéficier de l’attribution préférentielle du bien sur lequel il a établi sa résidence. De même, à l’article 6, le dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté a été étendu à toutes les collectivités.
Le présent texte constitue donc une avancée majeure dans la résolution du problème foncier en outre-mer. Charge au législateur de poursuivre le travail amorcé : le rapport de M. le vice-président du Sénat et sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, est d’ailleurs éclairant. Il propose, par exemple, la mise en place de groupements d’intérêt public ayant pour objet la reconstitution des titres de propriété.
Pour toutes ces raisons, nous voterons ce texte de loi, car, comme l’a relevé Mme la ministre des outre-mer, Annick Girardin, il constitue un « premier aboutissement des travaux menés avec le Gouvernement pour porter une ambition commune ultramarine ». (M. le rapporteur et M. Michel Magras applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Priou. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, ce texte assez technique et spécifique révèle la complexité de situations susceptibles de freiner, voire de bloquer, des projets de construction de logements dans nos territoires ultramarins.
En droit civil, l’indivision permet le maintien pour une certaine durée de l’unité d’un bien ou d’un ensemble de biens après la mort de son propriétaire : le bien est donc « indivis ». Élu de Loire-Atlantique, je peux témoigner de la complexité de l’indivision, qui répond à une situation unique en France. Par les lettres patentes accordées par le roi Louis XVI, le 28 janvier 1784, les riverains du marais de Brière – 7 000 hectares – se voient reconnaître la « propriété, possession et jouissance commune et publique » de la Grande Brière Mottière, c’est-à-dire une propriété originale puisqu’elle est collective, indivise et inaliénable. Aujourd’hui encore, les Briérons continuent à jouir de cette propriété et à gérer eux-mêmes leur marais.
Comme nous le savons tous, les indivisaires partagent la jouissance du bien, mais ils ne peuvent décider qu’unanimement des actes de vente ou de bail commercial concernant le bien.
L’héritage historique du parc immobilier ultramarin et des pratiques propres aux structures successorales et familiales de ces territoires ont conduit à une prévalence bien plus importante de l’indivision au sein du parc locatif en outre-mer qu’en métropole, allant jusqu’à 40 % en Martinique.
Aussi, une conception traditionnellement communautaire de la propriété ainsi qu’une insuffisance des registres et actes notariés ont conduit au blocage de la situation de nombreux biens. Les indivisaires n’étant parfois pas tous connus, étant absents ou réticents à la cession, les indivisions « bloquées » se sont multipliées.
Le résultat de ce phénomène est la multiplication de situations d’indivisions très complexes et lourdes. Il existe des biens constitués de plusieurs dizaines d’indivisaires, parfois plus de soixante et même jusqu’à mille personnes en Polynésie française.
Cette situation de blocage rend difficile l’aménagement du territoire, avec notamment une complexification de la collecte de la taxe foncière, des procédures à rallonge, un engorgement des tribunaux locaux, une hausse importante du prix du foncier non indivis et un délabrement des biens indivis laissés à l’abandon.
Des dispositifs permettant de sortir de l’indivision – je pense à l’article 815 du code civil – existent : prescription décennale de l’option successorale, administration par un mandataire successoral, constatation de l’état d’abandon d’une parcelle, expropriation pour cause d’intérêt public, etc. Pour autant, ces dispositions doivent être adaptées à la situation spécifique de la propriété indivise en outre-mer où les indivisaires ne sont, dans de nombreux cas, pas tous connus. En Martinique ou à Mayotte, par exemple, des mesures ponctuelles permettent de débloquer des situations inextricables.
Il faut également citer les dispositions législatives suivantes : la loi du 23 juin 2006 a fait passer la majorité nécessaire aux actes d’administration aux deux tiers des indivisaires ; la loi du 13 octobre 2014 a fait passer la majorité nécessaire aux actes de disposition de terres agricoles ultramarines indivises à deux tiers des droits ; la loi du 6 mars 2017 a fait passer la majorité nécessaire aux actes de disposition des immeubles situés en Corse à deux tiers des droits.
Concernant la présente proposition de loi, elle vise à débloquer la situation de nombreuses indivisions dans les territoires d’outre-mer français en permettant à la majorité absolue des indivisaires de vendre le bien. Un indivisaire absent ou solitaire déterminé à faire obstacle à une cession ne serait alors plus en mesure de paralyser durablement la situation d’un bien pour les successions ouvertes depuis au moins cinq ans.
Cela pose néanmoins question sur le risque d’une atteinte au droit de propriété des indivisaires tel qu’il existe actuellement dans le cadre de la prise de décision. Mais, par ailleurs, n’a-t-on pas le devoir de stabiliser les droits de la majorité des indivisaires lorsqu’il est impossible de parvenir à un règlement amiable ?
Au demeurant, la proposition de loi ne rend pas impuissant l’indivisaire hostile à la vente ; ce dernier peut faire connaître son opposition sous trois mois de la notification ou publication de la décision de vente. Les indivisaires majoritaires doivent alors saisir le tribunal de grande instance, qui autorise la vente ou le partage sous réserve que cela ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
Espérons que ces différents dispositifs dérogatoires transitoires permettent de favoriser l’accès de nos compatriotes ultramarins à un logement décent et que l’accès aux terrains relance les programmes de construction de logements, pierre angulaire de l’aménagement des territoires en outre-mer comme en métropole.
La gestion foncière est également de première importance pour les collectivités locales dans le cadre de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme. L’action publique doit pouvoir s’appuyer sur des leviers efficaces pour une politique du logement efficiente. Lié à un enjeu d’intérêt public, ce texte est utile pourvu que ces solutions innovantes soient d’abord profitables aux Français d’outre-mer, attachés à leur terre, et qu’elles offrent la garantie d’une politique d’aménagement raisonnable.
À l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains a été favorable à ce texte. Je souhaite qu’ici, au Sénat, il en soit de même. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai apprécié l’ensemble des positions exprimées par les différents orateurs. J’ai relevé, de la part de tous les groupes, un accord sur les propositions formulées.
M. le sénateur Collombat a salué le travail de la commission des lois. Mme la sénatrice Guidez a remarqué que le texte a été rendu plus aisé et plus efficient par ce même travail. M. le sénateur Alain Marc a fait état d’un outil utile pour la sécurisation du foncier. M. le sénateur Arnell a évoqué une proposition de loi utile et nécessaire. Quant à Mme Duranton, elle a salué un texte de bon sens, comportant des mesures visant à garantir la paix publique et à permettre de relancer la politique du logement en outre-mer.
M. le sénateur Théophile a souligné qu’il était nécessaire d’adapter la procédure à la spécificité des territoires ultramarins ; il a justifié les dérogations au droit de propriété par un motif d’intérêt général et par le caractère proportionné des dérogations apportées.
Enfin, M. le sénateur Priou a relevé l’intérêt de ces dispositions dérogatoires et transitoires, qui devraient permettre l’accès à un logement décent ainsi que la construction d’une politique innovante en matière de logement.
Tout cela est donc très positif. Les uns et les autres ont toutefois mis l’accent sur les points explicatifs et ont insisté sur la nécessité de poursuivre le travail. Mme la sénatrice Conconne, notamment, est revenue sur les antécédents explicatifs et a fait un exposé extrêmement intéressant sur l’exigence légitime de la différenciation. Elle a parfaitement expliqué à quel point les principes constitutionnels bâtis dans la vieille Europe supposaient un temps d’adaptation et de compréhension pour les humanités nouvelles auxquelles nous nous adressons ici.
J’ai apprécié aussi les propos de M. le sénateur Collombat, sans doute en raison de mes origines aveyronnaises, lorsqu’il a fait état des biens communaux. Il existe également dans mon village un communal qui est traité en indivision, avec ses singularités. Le rapprochement est sans doute quelque peu audacieux, mais il a le mérite de mettre l’accent sur la différenciation.
Vous avez tous souligné l’intérêt qu’il y a de continuer à réfléchir. M. le sénateur Théophile a dit qu’il fallait prolonger ce travail, tout comme M. le sénateur Priou et Mme la sénatrice Guidez, qui a fait état de la complexité du partage de biens par souche en Polynésie quand ce n’est pas possible par tête.
M. le sénateur Marc a quant à lui souligné que ces dispositions étaient utiles, même si elles ne résolvaient pas tous les problèmes. M. le sénateur Arnell a également relevé la nécessité d’un long processus d’acceptation psychologique et culturel. Il a notamment insisté sur l’importance de régler la question des cadastres.
Bref, une forme d’unanimité se fait jour, même si nous saurons nous différencier, je n’en doute pas, dans la lecture de certains articles. Quoi qu’il en soit, ce consensus est la preuve de l’intérêt suscité par ce texte et de l’importance du travail accompli, qui mérite d’être poursuivi.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer
TITRE Ier
(Division et intitulé supprimés)
Article 1er
I. – Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans, le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié en pleine propriété des droits indivis peuvent procéder, devant le notaire de leur choix, à la vente ou au partage des biens immobiliers indivis situés sur le territoire desdites collectivités, selon les modalités prévues à l’article 2 de la présente loi.
II. – Nul acte de vente ou de partage ne peut être dressé suivant la procédure prévue au I :
1° En ce qui concerne le local d’habitation dans lequel réside le conjoint survivant ;
2° Si l’un des indivisaires est mineur, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
3° Si l’un des indivisaires est un majeur protégé, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
4° Si l’un des indivisaires est présumé absent, sauf autorisation du juge des tutelles dans les conditions prévues à l’article 116 du code civil.
II bis (nouveau). – Le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis peuvent effectuer les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du code civil.
III. – Le présent article s’applique aux projets de vente ou de partage notifiés dans les conditions prévues à l’article 2 de la présente loi et aux actes effectués en application du II bis du présent article avant le 31 décembre 2028.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. Répondre par la loi aux préoccupations des nôtres, c’est ce qu’a fait mon collègue Serge Letchimy à l’Assemblée nationale en déposant une proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer. Alors que ce texte a fait consensus à l’Assemblée nationale, il se retrouve complètement dénaturé après son passage en commission des lois du Sénat.
Sous couvert d’une sécurisation du dispositif, treize amendements ont été adoptés par la commission des lois sur ce texte. J’aurais été favorable à une sécurisation juridique du droit des propriétaires si le dispositif prévu par ce texte avait été imparfait… Mais il me semble, eu égard aux nombreux échanges et travaux sur le sujet en amont et de sa discussion à l’Assemblée nationale, qu’il s’agit d’un texte cohérent, soucieux des droits et libertés de chacun et parfaitement équilibré. C’est d’autant plus vrai que, je tiens à le rappeler, le dispositif prévu est exceptionnel et dérogatoire, d’une durée limitée, applicable jusqu’au 31 décembre 2028, et trouve son pendant avec un intérêt public évident.
Or trois dispositions adoptées en commission posent problème, notamment l’application de ce dispositif aux successions ouvertes depuis plus de dix ans. Quel sera le résultat d’une telle modification du dispositif initial ? Je rappelle quand même que ce texte avait pour vocation première de résoudre les problèmes d’aménagement posés par l’immobilisation du foncier privé. Il visait également à permettre de sécuriser les centres-bourgs et de rétablir l’ordre public en limitant, voire en éradiquant, les biens en déshérence, source d’insécurité. Il avait également vocation à conforter la salubrité publique, car diminuer le nombre de bâtiments abandonnés réduirait d’autant les niches à moustiques : chikungunya, dengue et déchets sauvages. Enfin, il visait à replacer l’humain et les relations familiales dans un contexte plus apaisé quant au règlement des successions.
Par conséquent, au regard des modifications apportées au texte initial et de la dénaturation complète de l’objectif initial, il est à craindre – du moins si le texte devait demeurer en l’état – que nos territoires ne subissent encore et toujours ce phénomène d’indivision sans possibilité de déblocage à court terme.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Je m’adresserai spécifiquement au Gouvernement.
Madame la garde des sceaux, vous avez noté que ce texte faisait l’objet d’un quasi-consensus. Mon collègue Maurice Antiste vient d’ailleurs de dire que nous allons l’adopter. Cela étant, une inquiétude demeure ; c’est toute la difficulté du positionnement de mon groupe.
L’efficacité commanderait d’aller vite et d’adopter ce texte conforme, mais nous ne nous dirigeons pas vers cette solution. Il s’agit pourtant d’un bon texte, qui est attendu, comme l’a souligné notre collègue Catherine Conconne. Quelle assurance pouvez-vous donner à cette assemblée et aux populations des outre-mer, qui espèrent, que cette proposition de loi connaîtra une suite positive et efficace, c’est-à-dire rapide ? Si l’on doit attendre le jeu normal de nos institutions, ce texte a peu de chance d’être inscrit en deuxième lecture à l’Assemblée nationale… Le groupe majoritaire ne peut-il prendre ici, par votre voix, l’engagement formel que la proposition de loi sera adoptée dans les meilleurs délais ?
Voilà pourquoi Maurice Antiste est inquiet. Certes, la commission a amélioré le texte, et je félicite notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, spécialiste de ces sujets. Je salue également l’excellent travail réalisé sur ce texte de notre collègue Serge Letchimy par le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Michel Magras. Néanmoins, pouvez-vous nous donner la garantie, madame la garde des sceaux, que ce texte sera adopté dans les meilleurs délais ?
Moi-même, puisque la proposition de loi ne sera pas adoptée conforme, j’ai déposé un certain nombre d’amendements. Mais je suis prêt à les retirer si la majorité accepte de prendre aujourd’hui devant nous un engagement formel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.
M. Antoine Karam. Toutes les interventions démontrent la complexité du sujet, mais cette proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy, que je salue, visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer est essentielle dans nos territoires.
Comme les travaux de la délégation sénatoriale à l’outre-mer l’ont démontré dans un rapport, les situations d’indivision sont souvent inextricables, car résultant de dévolutions successorales non réglées et parfois même non ouvertes sur plusieurs générations. Elles sont devenues, au fil du temps, un fléau endémique qui freine le développement économique des outre-mer, fait peser des risques sanitaires et sociaux sur les populations et, in fine, aboutit à un gel du foncier.
Chacun connaît sur son territoire, dans sa ville et même au bout de sa rue ces terrains et bâtiments abandonnés, souvent squattés, finissant alors par devenir des lieux totalement délabrés mêlant nuisances et insécurité. Derrière ces murs se jouent souvent des affaires de successions dramatiques conduisant des femmes et des hommes à louer un appartement pendant que leur maison familiale tombe en ruines.
J’ajoute que ce texte participe de la revitalisation des centres-bourgs, que nous appelons de tous nos vœux. En réinvestissant les bâtisses abandonnées par le logement ou par une activité économique, nous redynamiserons certains cœurs de ville.
Cela étant dit, nous sommes ici tous conscients que ce texte ne résoudra pas, à lui seul, les difficultés foncières de nos territoires. Il peut néanmoins constituer un outil complémentaire pertinent pour libérer et sécuriser le foncier.
Je comprends le souhait de certains de nos collègues de rendre ce dispositif aussi rapidement que possible opérationnel. Il y a urgence à agir, nous sommes tous d’accord sur ce point. Je crois néanmoins que notre rôle de législateur est aussi de voter une loi cohérente qui sécurise nos concitoyens. C’est en visant cet objectif que notre rapporteur a proposé un certain nombre d’aménagements qui me semblent nécessaires. (M. le rapporteur et Mme Victoire Jasmin applaudissent.)