M. Christophe Castaner, secrétaire d’État. Il faut faire les choses dans le bon ordre. Ce texte sera voté, afin de répondre au problème sur lequel nous sommes tous mobilisés.
Le report au 1er janvier 2020 nous permettra simplement de trouver un financement et de ne pas créer une nouvelle taxe. Cette décision devrait nous rassembler, au lieu de nous opposer. Mais chacun fait de la politique à sa façon. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Raymond Vall. C’est nul !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite revenir sur les propos de M. le secrétaire d’État, car ils sont quelque peu dérangeants.
Que je sache, le sénateur du groupe Les Républicains dont vous avez cité l’avis donné au nom de la commission des affaires sociales n’est pas le conseiller du Gouvernement, même si je lui souhaite de le devenir un jour ! (Sourires.) Ce qu’il a dit est assez clair : il faut en effet trouver un moyen de financer la mesure figurant dans la proposition de loi. C’est tout à fait vrai.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Ce que nous vous reprochons, monsieur le secrétaire d’État, c’est non pas de refuser l’instauration d’une nouvelle taxe – à la rigueur, pourquoi pas ? –, mais de ne pas avoir proposé un autre mode de financement. La voilà, la vérité ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Lors de la campagne présidentielle, les candidats, dont le vôtre, ont proposé d’autres modes de financement. Ainsi, tout le monde sait très bien que les organismes complémentaires font des bénéfices considérables. Peut-être aurait-on pu envisager de ponctionner une partie de ces bénéfices pour financer la retraite des salariés agricoles, que tout le monde a qualifiée d’extrêmement insuffisante ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Enfin, concernant le vote bloqué, il est vrai, comme vous l’avez dit, qu’il a été utilisé plus de 200 fois. Ce que vous n’avez pas dit, en revanche, c’est qu’il n’a été utilisé que neuf fois dans le cas d’une proposition de loi. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Les sénateurs du groupe Les Républicains scandent : « Bravo ! », certains martelant leurs pupitres.)
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord revenir sur l’utilisation de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution.
Je rappelle que cette proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale à la toute fin de la précédente mandature. Or nous ne pouvons pas imaginer qu’une disposition aussi importante puisse être adoptée sans que l’Assemblée nationale élue en juin dernier ait pu le faire à son tour. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Quelle excuse !
Mme Éliane Assassi. Quel argument !
M. Mathieu Darnaud. C’est nul !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement estime effectivement que les parlementaires doivent pleinement jouer leur rôle. (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. Ils l’ont joué !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je respecte d’ailleurs votre engagement sur ce sujet.
La prochaine réforme systémique des retraites sera l’occasion d’un intense débat parlementaire, notamment sur les sujets relatifs aux solidarités, qui seront bien entendu traités.
Comme je l’ai indiqué, une réforme de cette nature doit être cohérente avec la réforme des retraites que nous sommes en train de préparer. Vous pouvez donc compter sur mon engagement, ainsi que sur celui du Haut-Commissaire… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Alors là !
M. René-Paul Savary. Surtout pas !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Oui, vous pouvez compter sur mon engagement, pour que la question des retraites des agriculteurs soit pleinement prise en compte lors de la réforme des retraites.
Mme Laurence Cohen. Quand ?
Mme Esther Benbassa. En quelle année ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous proposez une augmentation des droits sur le tabac. Le Gouvernement a en effet proposé une hausse importante du prix du paquet de cigarettes, mais avec un objectif de santé publique. Cette hausse de la fiscalité revient aujourd’hui à l’assurance maladie pour la politique de lutte contre le tabac.
M. Pierre Laurent. De nouvelles taxes sont donc possibles ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Quant à la taxe sur les transactions financières, elle est affectée au financement de l’aide au développement. Ce n’est donc pas une ressource mobilisable pour l’augmentation des pensions de retraite agricoles.
Nous devons donc trouver un financement pérenne pour la retraite des agriculteurs.
Mme Cécile Cukierman. Proposez-nous une solution !
Mme Laurence Cohen. Il ne faut surtout pas taxer les riches !
Mme Agnès Buzyn, ministre. … si celle-ci n’est pas responsable d’un point de vue purement financier. Cela dit, je partage pleinement vos préoccupations s’agissant des conditions de vie et de retraite de nos agriculteurs.
Pour terminer, j’ai entendu bien des choses injustes sur la politique du Gouvernement vis-à-vis des agriculteurs. La première des préoccupations de Stéphane Travert, lorsqu’il est arrivé au ministère de l’agriculture, a été de lancer les États généraux de l’alimentation. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Bavardages !
M. Michel Raison. C’est n’importe quoi !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Il l’a fait pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail face à la grande distribution. Tel était l’objectif affiché des États généraux, conformément à l’engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne présidentielle.
Alors, oui, les agriculteurs en France méritent aujourd’hui notre pleine attention. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Des actes !
M. Gilbert Bouchet. Vous n’avez pas de convictions !
Mme Agnès Buzyn, ministre. De manière cohérente, la question de leurs retraites sera traitée lors de la réforme des retraites de l’ensemble de la population française, à laquelle le Haut-Commissaire et moi-même sommes en train de travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Huées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Rappel au règlement
M. François Patriat. Ah bon ?
Mme Éliane Assassi. On en a encore le droit !
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 36 du règlement.
Ce soir, l’ensemble des groupes, à l’exception de l’un d’entre eux, a fait part de son désaccord sur la procédure utilisée. Si elle est certes conforme à la Constitution, vous conviendrez, monsieur Castaner, qu’elle n’a été utilisée que de façon très exceptionnelle lors de l’examen d’une proposition de loi.
Par ailleurs, pour répondre aux parlementaires, il faut bien écouter ce qu’ils disent. Personne n’a donné de chiffre global. Nous avons évoqué le recours au vote bloqué sur des propositions de loi.
Par ailleurs, je ne vous ai jamais dit, monsieur le secrétaire d’État, que vous aviez voté la proposition de loi à l’Assemblée nationale. J’ai simplement indiqué que vous apparteniez à un groupe qui ne s’y est pas opposé !
M. François Patriat. Il avait quitté le groupe à l’époque !
Mme Cécile Cukierman. Le texte n’ayant pas été mis aux voix par scrutin public, chacun peut dire s’il a voté ou non le texte…
Nous avons bien entendu ce qu’ont dit les membres de l’ensemble des groupes, à l’exception de l’un d’entre eux. Nous souhaitons tous qu’une solution soit trouvée pour les retraités agricoles. Ce n’est donc évidemment pas de gaieté de cœur que nous prenons la décision ce soir, en lien avec les représentants des associations de retraités agricoles, de reporter l’examen de ce texte et de l’inscrire dans notre « niche » du 16 mai.
Il s’agit de trouver le temps nécessaire, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, pour discuter du fond de ce texte et débattre des arguments que vous avez évoqués ce soir. Les majorités se feront, la démocratie tranchera, mais que l’on n’utilise pas des artifices constitutionnels et de faux arguments pour « tacler » – il n’y a pas d’autre mot –, le matin même de son examen, une proposition de loi ayant eu l’assentiment de la commission des affaires sociales du Sénat !
Le Sénat a interrompu ses travaux la semaine dernière. Vous me permettrez donc de vous faire remarquer, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’avez certainement pas découvert hier soir ou ce matin que notre commission des affaires sociales avait émis un avis favorable sur ce texte. Nous aurions peut-être pu anticiper un peu plus la discussion, si tant est que le Gouvernement ait jamais eu la volonté de trouver une solution pour les retraités agricoles de notre pays.
Force est de constater, compte tenu de la méthode que vous avez utilisée, que tel n’était certainement pas votre objectif ! (Les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste se lèvent et applaudissent longuement. – Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Acte est donné de ce rappel au règlement, madame Cukierman, ainsi que du retrait de son espace réservé de l’ordre du jour, par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Mme Cécile Cukierman. La discussion est seulement reportée ! Nous inscrirons de nouveau la proposition de loi à l’ordre du jour.
12
Finance mondiale, harmonisation et justice fiscales
Rejet d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de résolution pour une Conférence des parties, ou COP, de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Éric Bocquet, Pascal Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (proposition n° 271).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution.
M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe ce soir surgit régulièrement dans l’actualité, au travers des révélations successives faites ces dernières années sur la réalité et l’ampleur de l’évasion fiscale internationale.
Nous pouvons tous aisément citer de mémoire les affaires HSBC, UBS, Offshore Leaks, LuxLeaks, FootLeaks, « Panama papers », et plus récemment encore les « Paradise papers ». Toutes ces affaires rythment désormais l’actualité quotidienne, scandalisant systématiquement et légitimement l’opinion publique.
Le sujet est donc sur la table en France et dans le monde, car ce que chacun retient de ces révélations, c’est d’une part l’ampleur des chiffres qui nous sont donnés, et, d’autre part, le caractère systémique de ces pratiques d’évitement fiscal qui déstabilisent les États et qui, au fond, finissent par poser un sérieux problème démocratique.
La proposition que nous examinons ce soir, dont la principale mesure vise à instaurer une Conférence des parties, ou COP, de la finance et de la fiscalité mondiales, est donc une démarche constructive visant à mettre cette question au niveau requis.
Mes chers collègues, si les gaz à effet de serre causent des trous dans la couche d’ozone, les paradis fiscaux et l’opacité créent des gouffres dans la finance mondiale.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Éric Bocquet. Cette finance est en surchauffe au même titre que le climat. L’évasion fiscale représente des montants annuels colossaux, rappelons-les incessamment : 1 000 milliards d’euros au niveau de l’Union européenne, 100 milliards d’euros pour les pays en développement, de 60 milliards à 80 milliards d’euros pour notre pays, soit un chiffre supérieur au déficit constaté pour 2017 ou annoncé pour 2018.
Ce sont autant de moyens pour répondre aux besoins des peuples et de la collectivité, ce qui inévitablement pose la question du consentement à l’impôt, qui ne peut fonctionner qu’à certaines conditions : d’abord que l’impôt soit juste, équitablement réparti, progressif et surtout que personne n’y échappe au nom de l’intérêt général ; il y va de la stabilité de la République et de l’harmonie de notre société.
Selon l’ancien secrétaire au Trésor des États-Unis, Henry Morgenthau, dans les années trente : « L’impôt est le prix à payer pour vivre dans une société civilisée ».
Aujourd’hui, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la concurrence fiscale effrénée entre États, l’évitement fiscal qui inclut aussi bien la fraude que l’optimisation et l’évasion fiscales s’est largement propagé, bien aidé en cela par l’ingénierie des banques, des cabinets d’audit et de conseils et autres avocats fiscalistes, qui exploitent habilement l’opacité et les failles des législations fiscales pour mettre au point des schémas aussi complexes qu’efficaces.
À l’heure du shopping fiscal, les États organisent les soldes. La concurrence fiscale tourne désormais à plein régime et siphonne peu à peu les ressources publiques. Les recettes que les États collectent via l’impôt sur les sociétés ont ainsi chuté de manière spectaculaire en quelques années.
À cela s’ajoutent les paradis fiscaux, qui agissent comme de grandes lessiveuses, pour recycler l’argent du blanchiment, de la fraude, du commerce des armes, de la prostitution, de la drogue, voire, ces derniers temps, du trafic des migrants vers l’Europe ou même du terrorisme.
Ces phénomènes conduisent à une situation où tout le monde est perdant, à l’exception notable des grandes multinationales, notamment les géants du numérique et les individus les plus fortunés, qui chaque année augmentent leur patrimoine dans des proportions insensées.
Les paradis fiscaux ne sont pas un dysfonctionnement de l’économie, ils sont au cœur du libéralisme financier, mondialisé, dérégulé et qui profite à une infime minorité.
Cette situation fragilise les pactes sociaux. En exacerbant les inégalités et en favorisant l’hyperconcentration des richesses. L’ONG Oxfam montrait il y a quelques semaines dans un rapport sur la pauvreté que 82 % des richesses créées dans le monde l’an dernier avaient profité au 1 % les plus riches de la population mondiale. En douze mois, la richesse des milliardaires a augmenté de 762 milliards de dollars.
On constate trop souvent que le financier a bel et bien pris le pouvoir et impose sa domination aux États et au monde entier. La finance de l’ombre représente 45 000 milliards de dollars, chiffre publié hier matin dans un grand quotidien économique de notre pays. En quelques mots, le dumping fiscal est devenu féroce, la dette s’accumule et l’austérité s’aggrave.
En dépit des avancées accomplies ces dernières années – je pense, par exemple, sous l’impulsion de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, au plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, le système BEPS –, le risque d’un grand bond en arrière est bien réel.
Il nous revient d’affirmer un autre modèle de développement et de relations internationales misant sur la coopération fiscale, la régulation et une nouvelle gouvernance mondiale. C’est la raison pour laquelle nous pensons que la France devrait être à l’initiative de la tenue d’une conférence des parties, une COP de la finance et de la fiscalité, sur le modèle de la COP environnementale et sous l’égide de l’Organisation des Nations unies.
Quelques éléments pour la définir concrètement : cette COP aurait vocation à avancer sur plusieurs chantiers, tels qu’une définition universelle des paradis fiscaux, la régulation des conventions et des rescrits fiscaux et la lutte contre les dérives de la finance. Elle pourrait conduire à terme à la création d’une organisation mondiale de la finance débouchant sur l’ouverture régulière de négociations, procédant à l’évaluation des progrès obtenus et à la définition de sanctions en cas de comportement non coopératif.
Pourquoi placer cette COP sous l’égide de l’ONU ? Les travaux de l’OCDE, du G7, du G8 et du G20 ont incontestablement apporté des avancées, mais ces organisations s’apparentent davantage à des clubs de pays riches qu’à de réelles instances de concertation globale.
Or, au grand jeu de l’évitement fiscal, les pays en développement sont les grands perdants. Dès lors, il faut garantir à tous une égale participation à la définition des politiques fiscales mondiales.
Aussi la démarche que nous proposons se veut-elle complémentaire et non concurrente des travaux menés par ailleurs. À ce propos, l’an dernier, le G77 n’a-t-il pas indiqué que la lutte contre les paradis fiscaux serait l’une de ses priorités, avec pour objectif la mise en place d’une instance fiscale aux Nations unies ?
Voilà une formidable occasion ! La France, par sa stature internationale, par la place et la compétence de sa diplomatie a de nombreux atouts pour engager ce mouvement. Notre pays a vocation à porter un message de paix, de justice et de démocratie. Il a vocation à favoriser les équilibres et à être le porte-voix des plus fragiles. Une large conférence permettrait d’entendre ceux que l’on n’entend jamais, le but étant de mettre les 200 États du monde autour de la même table.
Elle permettrait également d’isoler tous ceux qui seraient tentés par l’aventure fiscale et financière individuelle. Voilà un outil puissant pour générer du commun et substituer au vieil adage : « L’argent est le nerf de la guerre », celui d’une autre ambition, pour faire de l’argent le nerf de la paix.
« Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre », disait Dostoïevski. Évidemment, chacun mesure combien la tâche est titanesque et ne saurait être gagnée du jour au lendemain ; c’est sans doute le travail d’une génération. Mais lancer sans attendre ces discussions permettra à coup sûr de sensibiliser l’opinion et de mobiliser la société civile. L’engagement citoyen reste plus que jamais à nos yeux un levier indispensable dans cette bataille décisive.
Enfin, notre démarche se veut résolument européenne, car le défi est immense également pour l’Europe : si celle-ci n’avance pas résolument vers la coopération et l’harmonisation fiscale, elle disparaîtra sous les coups des populismes dangereux et des extrémismes les plus noirs, que l’on pensait à jamais disparus sur notre continent.
Mes chers collègues, cette idée de COP fiscale fait son chemin, tout doucement. Ainsi, le Conseil économique, social et environnemental l’a faite sienne dans une résolution le 13 décembre 2016. À son tour, l’Assemblée nationale l’a adoptée lors de la séance du 2 février 2017. Au Parlement européen, lors de l’adoption du rapport de la commission spéciale sur les « Panama papers », le 13 décembre 2017, les députés ont inscrit une recommandation n° 160 préconisant « d’organiser un sommet mondial sur la lutte contre le blanchiment de capitaux, l’évasion et la fraude fiscales, en vue de lever le secret dans le secteur financier ».
Le Sénat a su montrer ces dernières années sa sensibilité profonde à ces sujets, au-delà des engagements des uns et des autres. Souvenons-nous des votes unanimes des deux rapports des commissions d’enquête en 2012 et en 2013 et de la capacité que notre assemblée a eue de se rassembler pour adopter en trois occasions des amendements visant à la suppression du « verrou de Bercy ». Citons enfin la décision prise au sein de la commission des finances de créer un groupe de suivi sur la lutte contre l’évasion fiscale.
Mes chers collègues, le Sénat a l’occasion, ce soir, de se joindre à la volonté de l’Assemblée nationale et de faire que cette résolution devienne celle de tout le Parlement français. Cela marquerait une nouvelle avancée, nullement symbolique, mais hautement politique, au moment où, en haut lieu, on semble s’interroger sur l’utilité des parlements et des parlementaires.
Les deux chambres de la République, ce sont les deux jambes de la démocratie. Voter cette résolution ce soir, c’est faire œuvre utile pour l’intérêt général et les générations futures ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Goulet et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les problèmes sous-jacents à cette proposition de résolution rapprochent, je le crois, l’ensemble des groupes politiques. La fraude fiscale, qui est un phénomène ancien, a connu un nouvel essor à mesure que les frontières se sont ouvertes : l’espace économique s’est mondialisé, tandis que l’espace fiscal est demeuré strictement national.
Je préfère définir les termes du débat : la fraude fiscale est bien un acte illégal visant à contourner l’impôt ; elle n’est pas l’optimisation, qui consiste à utiliser tous les moyens légaux disponibles pour réduire la charge fiscale.
D’après un rapport de 2007 du Conseil des prélèvements obligatoires, ou CPO, quatre tendances expliquent l’évolution de la fraude aux prélèvements obligatoires : la complexité des règles, le travail dissimulé du fait du passage à une économie de services, l’internationalisation des mécanismes de fraude et les évolutions technologiques.
Ce rappel du cadre du débat vous montre que nous sommes face à un problème évidemment complexe. Les conséquences en sont tout aussi majeures : d’une part, un manque à gagner pour les finances publiques de 30 milliards à 40 milliards d’euros d’après les estimations du CPO ; d’autre part, une atteinte grave aux principes de la République. Je rappellerai l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel la contribution commune doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Pour ces raisons, l’arsenal répressif et technique s’est renforcé. En plus d’amendes, des sanctions pénales peuvent s’appliquer : une personne coupable de dissimulation frauduleuse d’avoirs risque jusqu’à deux millions d’euros d’amende et sept ans d’emprisonnement en cas de domiciliation fictive à l’étranger. Comme outils, je pourrais citer la création d’une Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, celle d’un parquet financier ou encore les dispositifs de circulation auprès de TRACFIN, la cellule de traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins.
Ce renforcement de l’arsenal législatif se nourrit des propositions du Sénat, et je salue ici le travail de notre collègue Éric Bocquet, rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Saluons aussi le travail des services et des agents de l’État, bien loin des caricatures désignées dans le texte que nous discutons ce soir.
Ce vaste chantier de la lutte contre la fraude ne peut rester national. La communauté internationale a d’ailleurs pris acte, tardivement, des risques que fait peser l’évasion fiscale sur l’économie. Le G8 et le G20 ont ainsi donné l’impulsion politique nécessaire pour confier mandat à l’OCDE d’agir dans cette lutte, l’OCDE qui anime depuis 2000 le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, visant à identifier les États qui ne respectent pas les standards internationaux.
L’une des réponses du multilatéralisme passe en effet par l’échange automatique d’informations : ici encore, il s’agit d’une impulsion du G20, traduite par l’adoption en février 2014 par l’OCDE d’une norme mondiale unique relative à l’échange automatique de renseignements.
Le 30 septembre 2017, est entré en vigueur l’accord multilatéral entre autorités compétences pour l’échange automatique de renseignements, qui prévoit d’importants échanges bilatéraux. En clair, cet outil va permettre au fisc français de connaître automatiquement le contenu des comptes bancaires offshore ou onshore de tous les Français dans chacun des pays signataires. Il ne concerne que cinquante et une juridictions à ce jour, mais des territoires souvent visés ont signé, comme Jersey et l’île de Man. Il faut aller plus loin et convaincre notamment les États-Unis.
De manière plus approfondie, l’Union européenne a beaucoup avancé depuis la directive épargne de 2003. Le Conseil de l’Union européenne a complété cette dernière en mars 2014, et, depuis 2017, l’échange d’informations financières est une réalité sur les intérêts, les dividendes, les produits de ventes d’actifs, les produits d’assurance vie et les revenus perçus par des structures intermédiaires localisées dans des États tiers.
L’Union européenne conclut par ailleurs des accords bilatéraux dans le cadre du secret bancaire : le 1er janvier 2018 a marqué la fin du secret bancaire suisse pour les ressortissants étrangers.
Toutes ces mesures arrivent tardivement, nous en conviendrons, mais elles arrivent. Le chantier de la lutte contre l’évasion fiscale est toutefois un énorme chantier, et il reste beaucoup à faire, tant pour harmoniser les fiscalités que pour lutter contre la fraude.
La question de l’harmonisation souligne aussi l’importance de la taxation des acteurs du numérique. Depuis septembre 2017, la France est à la pointe de la bataille pour que les GAFA paient leurs impôts au niveau approprié : cela ne peut plus durer.
Le second point, la lutte contre la fraude fiscale, montre l’importance du plan préparé par le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, en la matière. Il saura, je le crois, répondre à une partie des manques qui sous-tendent cette proposition de résolution.
En conclusion, mes chers collègues, il y a beaucoup à faire et cette proposition de résolution nous le rappelle ; elle est en ce sens salutaire. Elle nous rappelle que le cadre de coopération utile est le cadre multilatéral, notamment au sein de la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui rassemble 117 juridictions à ce jour.
Le groupe La République En Marche entend aborder avec réalisme la complexité de ce problème. Il travaillera au Sénat sur ces questions concrètes, mais ne soutiendra pas cette proposition de résolution, qui ne nous paraît pas constituer la bonne solution.
Les questions d’évasion demandent des réponses techniques, de longue haleine, pour éviter les trous dans la raquette et des législations imparfaites ; c’est aussi le risque que nous encourrons avec un accord international, fruit de négociations sur les virgules et peu normatif.