M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite orienter notre réflexion vers quelques enjeux internationaux recouverts par la question.
Tout d’abord, le caractère pour le moins restreint de la liste des mauvais élèves de la fiscalité, ceux que l’on appelle les « paradis fiscaux », des territoires paradisiaques par les facilités qu’ils offrent à quelques entreprises à vocation transnationale de domicilier sur leur territoire, le plus souvent dans des « immeubles boîtes aux lettres », tout ou partie de leurs activités, plus que pour leur population.
Ainsi, en 2015, les Bahamas comptaient officiellement 13 % de chômeurs - plus de 35 % chez les jeunes -, la Barbade 12,3 %, le Belize 11,3 %. Si l’on prend le paramètre de la dette publique, la même année 2015, Antigua-et-Barbuda présentait une dette de 105,5 % du PIB et la Barbade de 103,3 %, ces deux pays encadrant le pourcentage des États-Unis…
Si l’on examine maintenant la question du commerce international, on trouve, parmi les vingt premiers excédents commerciaux de la planète, seize pays ayant de près ou de loin à voir avec le commerce des produits pétroliers bruts ou raffinés ou de matières premières stratégiques, à savoir les pétromonarchies du Golfe, le Sultanat de Brunei, les ex-Républiques gazières et pétrolières de l’URSS, les Pays-Bas et quatre autres nations dont je ne peux manquer de vous délivrer les noms : le Grand-Duché de Luxembourg, la ville-État de Singapour, l’archipel des Maldives et la République d’Irlande…
Les spécialistes acérés de la lutte contre l’évasion fiscale auront sans doute remarqué que nous sommes en ce cas plutôt en présence de pays ayant développé quelques pratiques d’opportunisme fiscal, bien connues des économies spécialisées, dans le secteur des « services financiers ».
Cela m’amène aux considérations suivantes. D’une part, la fraude et l’évasion fiscales ne sauraient se résumer à une affaire de groupes plus ou moins habiles à tirer parti des failles législatives nées d’une absence d’harmonisation des règles fiscales.
Je ne sais pas si je vais vous convaincre, mes chers collègues, mais il faut nous parler avec la plus grande des sincérités : l’optimisation fiscale est une sorte de forme légale de la fraude, qui procède de lois votées par des autorités élues, lois souvent promues par certains groupes. Il y a, en ces matières, une évidente coconstruction entre les milieux d’affaires et les responsables politiques.
Nous le voyons bien dans un pays comme les États-Unis, où le président Trump vient d’ouvrir la guerre des taux pour amener les champions de son économie à revenir au pays et à y rapatrier emplois et bénéfices, et cela nonobstant les conséquences, singulièrement du point de vue de la transition écologique…
L’Europe n’est pas en reste ! N’oublions pas, plus près de nous, que la coalition victorieuse des élections italiennes préconise, entre autres, une flat tax de 15 % pour tout impôt !
En France, quelle utilité par exemple à vouloir aligner la fiscalité des revenus du capital sur celle d’autres pays, plus libéraux, ou à réduire le taux facial d’un impôt sur les sociétés qui ne représente déjà plus que moins de 1,5 % du PIB ? Pour aider les entreprises, nous dit-on… Franchement, ce sont des sornettes – je reste correct –, des balivernes ! Qui peut le croire ?
Je rappelle qu’avant de solliciter l’épargne publique et singulièrement les marchés financiers, solution la plus coûteuse pour se développer, les entreprises disposent de deux outils fondamentaux pour se financer.
Le premier, c’est le produit de leur développement intrinsèque, c’est-à-dire la réaffectation des bénéfices qu’elles réalisent dans des investissements de capacité productive renouvelée. Le second, c’est le recours à la ressource bancaire, dont le coût, en termes de taux d’intérêt réel, demeure inférieur à la préemption exercée par le versement de dividendes sur le résultat de l’entreprise.
La remontée de l’endettement privé des entreprises me laisse d’ailleurs penser que le premier terme, c’est-à-dire l’autofinancement, est appauvri dans bien des cas par l’importance des bénéfices distribués.
La chance des entreprises françaises, c’est de travailler dans un pays où l’impôt est suffisamment important pour permettre, par la réalisation de la dépense publique, par l’investissement local comme national, la création d’un espace favorable à l’activité économique.
L’impôt juste et justement recouvert et acquitté, ce n’est pas juste l’impôt ! Ce sont les réseaux routier et ferroviaire, sur lesquels vont circuler les marchandises, c’est le réseau de téléphonie moderne, qui va faciliter les échanges, c’est la vente à distance, c’est l’appareil de formation et d’éducation d’où vont venir les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers qualifiés de demain.
Prenez en compte les points de croissance que nous laissons en route, parce que la concurrence n’a pas résolu le problème de la couverture du territoire en haut débit !
L’Union européenne, qui n’est pas exempte de reproches en matière de concurrence fiscale déloyale, semble poursuivre depuis quelque temps une étrange logique d’harmonisation fondée sur l’allégement de l’impôt perçu dans l’entreprise et le développement de la fiscalité de consommation – taxe sur la valeur ajoutée, taxes sur l’essence, contribution carbone – et de la fiscalité dite « comportementale » – taxes sur l’alcool, les tabacs… Et cela n’arrange pas du tout les affaires du reste du monde !
Si je devais d’ailleurs formuler une proposition concrète de lutte immédiate contre la fraude et l’évasion fiscales, j’inviterais le Gouvernement à faire en sorte que les élus du personnel, ceux du comité d’entreprise entre autres, soient avisés du montant des royalties perçues lors de la cession de brevets ou d’actifs immatériels, informés des prêts financiers intragroupes ou du prix des transferts. Ça, ce serait une innovation sociale et démocratique en marche !
Fruit de la collaboration entre entreprises transnationales et gouvernements à l’autorité souvent faible, fraude et évasion fiscales conduisent, bien souvent, au pillage des ressources naturelles des pays, nous le savons tous ici. L’insuffisance de ressources publiques de bien des pays en voie de développement demeure un dangereux vecteur des idées obscurantistes. Combattre sans répit la fraude fiscale, c’est aussi éviter l’exil forcé de populations appauvries, qui est le ferment du terrorisme.
J’ai bien écouté le discours de notre collègue de La République En Marche…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pascal Savoldelli. Franchement, monsieur Rambaud, pourquoi conclure que vous n’allez pas voter cette proposition de résolution ?
Permettez-moi de citer Victor Hugo, dont j’aperçois le siège depuis la tribune : « La fraude est vilaine et donne un profit nul ; mentir ou se tuer, c’est le même calcul. » (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes dans la même configuration que le 27 octobre dernier, ce qui m’oblige à être un peu créative par rapport à ce que j’avais dit, qui était pourtant très bien. (Sourires.)
Je regrette franchement que l’hémicycle se soit vidé,…
M. Joël Labbé. Très juste !
Mme Nathalie Goulet. … car le problème de l’évasion fiscale et celui des retraites ne sont pas sans relation de cause à effet. Et l’on parle de 766 euros d’un côté et de 80 milliards d’euros de l’autre ! Si l’on rapatriait l’argent concerné, on arriverait probablement à améliorer les retraites de nos agriculteurs… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Jacques Panunzi applaudit également.)
Je vais vous parler, moi aussi, des territoires et des États non coopératifs. Juste pour le plaisir, parce que nous sommes entre nous, j’évoquerai l’excellent rapport d’Éric Bocquet, qui date tout de même de 2012. Aussi, lorsque vous estimez, les uns et les autres, que nous avons beaucoup progressé, je trouve que l’on fait plutôt du surplace…
J’en viens à la carte du tendre des paradis fiscaux – je reprends le plan du rapport : une cartographie à géométrie variable ; des paradis perdus – mais pas pour tout le monde ; des paradis à l’ombre des listes officielles ; 2012, des listes allégées ; le Forum mondial : la transparence au milieu du gué – on n’en est toujours pas sorti ; une grille de lecture complexe de la liste française ; une liste française à dimension discrétionnaire – c’est toujours le cas aujourd’hui.
La deuxième partie du rapport évoquait les paradis retrouvés ; les « territoires coquilles », où l’on retrouve l’ensemble des territoires cités, dont la Barbade, les Seychelles, l’île Maurice ; les paradis officiels, comme les Îles Marshall ; un début théorique – j’insiste sur ce mot, mon cher collègue de La République En Marche – de transparence ; le marché ciblé de l’évasion fiscale ; les milliers de mètres carrés de ports francs en Suisse ; les 30 000 mètres carrés de nouveaux ports francs au Luxembourg ; le Liechtenstein et les îles anglo-normandes, bien entendu ; les « paradis sélectifs » de Monaco et d’Andorre.
Enfin, le rapport de 2012 avait identifié les paradis technologiques et le problème irrésolu de l’imposition des bénéfices du numérique. Nous avions le tort d’avoir raison trop tôt !
La mise à jour de la liste française des États et territoires non coopératifs, les ETNC, se fait, comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, sur la base de l’article 238-0 A du code général des impôts. L’actualisation de la liste, qui a lieu chaque année, est largement mécanique : la simple signature d’une convention fiscale avec la France suffit à retirer un État de cette liste. Cette situation n’est pas satisfaisante !
La radiation ne devrait intervenir qu’a posteriori, une fois constaté que la mise en œuvre de la convention signée par la France avec cet État ou territoire permet effectivement à l’administration fiscale d’obtenir les renseignements nécessaires à l’application de la législation fiscale française.
Ce n’est pas nouveau : c’était la proposition 40 figurant à la page 585 du rapport de 2012, qui n’est toujours pas appliquée ! Je vous en donne lecture : « Conditionner le retrait d’un État de la liste française des ETNC non pas à la simple signature d’une convention fiscale avec la France, mais à la mise en œuvre effective d’une coopération fiscale de cet État avec la France au titre de cette convention. » Nous avons une marge de progrès très importante.
Sur ce sujet majeur, notre collègue député Fabien Roussel vient de déposer une proposition de loi extrêmement intéressante et fournie visant à établir une liste française des paradis fiscaux. Nous la soutiendrons, comme nous soutiendrons la proposition de résolution présentée ce soir par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
La proposition de loi est d’ailleurs intéressante, car, pour faire court, c’est toujours : « Un scandale, une annonce » ! En 2015, dans le sillage de LuxLeaks, on annonce un premier pas vers une approche commune et cohérente, à l’échelon européen, des paradis fiscaux, ainsi qu’une première liste noire. La méthode retenue souligne la portée symbolique de la démarche. La liste, dépourvue de sanctions, est laissée à la libre appréciation des États ; Gibraltar et Jersey n’y figurent pas.
Deux ans plus tard surviennent les « Paradise papers ». Là encore, un scandale, une annonce ! Le 5 décembre 2017, les ministres des finances des pays membres de l’Union européenne annoncent une nouvelle liste. Là encore, le résultat déçoit : 17 noms sont inscrits sur la liste noire, 47 sur une « liste grise ». Pourquoi avoir écarté les États membres de l’Union européenne ? Ce n’est pas pour autant qu’ils respectent les règles ! L’organisation Oxfam, citée tout à l’heure, a établi que l’Irlande, les Pays-Bas, Malte et le Luxembourg auraient dû figurer sur la liste noire.
Cette fois encore, il faudrait retenir plus de critères. Sur la base de ceux qui ont été retenus par Oxfam, ce sont cinquante-huit pays, et non plus dix-sept, qui figurent sur la liste noire. L’association Tax Justice Network effectue également un travail remarquable.
Dans ces conditions, autant dire que le bricolage européen et les annonces purement cosmétiques constituent, madame la secrétaire d’État, une insulte réitérée à notre intelligence. Les listes s’allongent et se rétrécissent…
Le Conseil constitutionnel ayant estimé que l’intervention du législateur dans la fixation de la liste des paradis fiscaux contreviendrait à la distinction des domaines de la loi et du règlement opérée aux articles 34 et 37 de la Constitution, je vous propose, madame la secrétaire d’État, en cette saison de modifications constitutionnelles, celle de l’article 34, en précisant, au quatrième alinéa, que la loi fixe également les règles concernant « les dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale ». Ce serait au moins aussi intéressant que d’y inscrire la lutte contre le changement climatique !
Ainsi, mes chers collègues, cela permettra au Parlement d’avoir toute compétence sur un sujet qui, reconnaissez-le, nous concerne tout de même un petit peu. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Le travail parlementaire est freiné par le contenu des articles 34 et 37 de la Constitution. L’extension du champ de l’article 34 contribuera, pour le coup, à faire de ce sujet une priorité, qui n’était pas celle du candidat Macron et qui, manifestement, n’est toujours pas celle des parlementaires de son parti aujourd’hui.
Sur les paradis, je terminerai en vous disant que toutes les recettes sont là (L’orateur brandit le rapport précédemment évoqué.) et qu’il suffit de les appliquer. Je voudrais saluer à mon tour, pendant les quelques secondes qui me restent, l’initiative de nos collègues de l’Assemblée nationale sur le « verrou de Bercy ». Nous avons, là aussi, été précurseurs. Le Sénat a voté par trois fois la suppression de ce verrou et la commission d’enquête de 2013–2014 a, elle aussi, proposé de supprimer cette anomalie procédurale. Je remarque que nos collègues de l’Assemblée nationale ont plus de latitude que nous pour les commissions d’enquête, et je regrette, au regard du travail franchement remarquable qui a été fait, que nous n’en ayons pas autant. Nous sommes proches du résultat, ici, dans la maison de Victor Hugo, qui siégea dans ce même hémicycle. Il faut espérer que, comme les murailles de Jéricho, au septième tour, ce verrou s’écroulera. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Joël Labbé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe socialiste et républicain. (M. Thierry Carcenac applaudit.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet de l’évasion fiscale et de la fiscalité internationale est d’une importance cruciale. C’est pourquoi je remercie les auteurs de cette proposition de résolution, et je salue le travail de notre collègue Éric Bocquet.
L’économie mondialisée au sein de laquelle la France s’insère est atteinte d’un mal terrible, résultant de la compétition que se livrent les juridictions fiscales à l’échelle mondiale. Cette compétition généralisée est désastreuse, parce qu’elle tarit les ressources financières des États et qu’elle freine la coopération entre les pays. Ce sont autant de ressources qui devraient être mobilisées dans l’objectif d’une redistribution plus juste des richesses.
La fraude fiscale et l’optimisation fiscale utilisent les mêmes stratégies. Ces phénomènes sont qualitativement différents, l’optimisation étant légale. Mais cette dernière n’en reste pas moins immorale. Dans les deux cas, il s’agit, pour certains, de tout mettre en œuvre pour éviter de payer la part, légitime, qui leur incombe dans le cadre de la contribution aux dépenses publiques collectives.
Ces détournements de richesses sont possibles grâce à la mondialisation des flux de capitaux et aux progrès technologiques, qui permettent, en quelques clics, de créer des sociétés écrans ou d’orienter les flux de bénéfices des entreprises multinationales vers des territoires fiscalement avantageux.
Ces phénomènes, qu’il est bien difficile de maîtriser dans le système bancaire conventionnel, sont totalement hors de contrôle dans la zone d’ombre du shadow banking. Ils permettent souvent à la corruption et à l’argent sale de prospérer.
Quelles sont les conséquences de ce système – car il s’agit bien d’un système généralisé s’appuyant sur une industrie de l’ingénierie fiscale –, qui est malheureusement toléré par les États ?
Pour les pays en voie de développement, cela représenterait dix fois le montant de l’aide au développement : largement de quoi lutter contre la pauvreté, voire l’éradiquer. En France, les montants estimés de cette fraude représenteraient de 60 milliards à 80 milliards d’euros par an : cela ferait une vraie différence dans nos débats budgétaires si nous disposions d’une telle somme. Je rejoins Mme Goulet lorsqu’elle relie ce débat avec celui que nous avons eu précédemment sur les retraites agricoles, que nous verrions en effet d’un tout autre œil : la vraie question, c’est non pas l’addiction aux dépenses publiques, mais plutôt la rupture avec l’addiction à la fraude fiscale. (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme Sophie Taillé-Polian. La fraude fiscale pose fondamentalement la question de la démocratie et du contrat social sur lequel elle est fondée, c’est-à-dire le consentement à l’impôt. Nos concitoyens ne peuvent comprendre la tétanie des autorités nationales et internationales lorsqu’ils mesurent les montants en jeu, et alors qu’on fait toujours appel à eux pour se serrer la ceinture. L’évasion et la fraude fiscales sont de véritables cancers pour notre démocratie, et il est temps que le Gouvernement prenne ses responsabilités en la matière.
Ce dernier multiplie les baisses d’impôt pour les plus riches et les mesures d’austérité, juge les fonctionnaires trop nombreux, veut en finir avec les « profiteurs » qui abusent de statuts prétendument privilégiés, entend faire la chasse aux « fraudeurs aux aides sociales ». Nous sommes en droit d’attendre, et ce devrait être une priorité, que la traque aux fraudeurs fiscaux et à toutes les stratégies d’optimisation qui flirtent avec l’illégalité soit intraitable.
Pour y arriver, il reste des chantiers extrêmement importants à mener. Des mesures ont été prises lors du précédent quinquennat : réforme bancaire de 2013, loi Sapin II de 2016, vote de l’échange automatique d’informations au début de 2017. D’ailleurs, ces éléments auraient pu être intégrés dans le texte présenté ici, comme ils l’avaient été, en février 2017, à l’Assemblée nationale.
J’en conviens, le présent texte reste très largement à compléter avec des éléments indispensables : la levée du verrou de Bercy, cela a été dit, la protection plus forte des lanceurs d’alerte, le reporting pays par pays ; mon collègue Thierry Carcenac y reviendra.
Aussi, nous attendons avec une grande impatience le projet de loi pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, que le Gouvernement a annoncé. Car nous ne saurions attendre la communauté internationale pour agir. La France doit, conformément à ses valeurs multiséculaires, se montrer avant-gardiste en la matière.
Revenons à la proposition émise par ce texte, que nous soutenons totalement, car elle insiste sur l’importance de la coordination entre les différents États dans la lutte contre le dumping fiscal et contre l’évasion fiscale. Les grandes organisations internationales prétendent toutes avoir la volonté d’enrayer ce fléau. Mais l’un des principaux problèmes est qu’aucune ne fait comme les autres : elles ne s’arrêtent pas sur les mêmes définitions, les mêmes critères, les mêmes listes de paradis fiscaux, rendant toute mise en place de mesures concrètes impossible, voire utopiste. Les listes de paradis fiscaux publiées relèvent plus de tractations diplomatiques que de réalités statistiques.
La dernière liste de paradis fiscaux établie par l’Union européenne le démontre : ses États membres en ont été écartés d’office, y compris ceux dont la fiscalité est reconnue comme étant avantageuse, pour ne pas dire accommodante. On nous a promis hier, et on nous le promet encore aujourd’hui même, d’épingler les mauvais élèves. Très bien ! Toutes les avancées sont bonnes à prendre, nous verrons ce qu’il en sera réellement. Dans cette même liste, en outre, certains pays mentionnés ne sont vraisemblablement pas les paradis fiscaux les plus prisés.
Les organisations internationales ne font qu’inviter les « paradis » à prendre les décisions adéquates, mais ne formulent aucune menace. Et si ces « paradis » les acceptent, aucune évaluation réelle n’est prévue pour en mesurer l’impact.
Nous sommes ainsi très favorables à ce que la France porte la présente proposition de résolution pour la mise en place d’une conférence des parties, sous l’égide des Nations unies, car elle serait le signe d’une mobilisation générale. La présence active de la société civile dans ce type de réunions et de mobilisations serait un garde-fou essentiel, et nous devons nous appuyer sur le travail exceptionnel, qu’il faut saluer, qu’ont réalisé nombre d’ONG sur ces questions.
L’émergence d’une véritable coopération internationale au service d’une plus juste répartition des richesses est absolument indispensable.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je terminerai en regrettant que le groupe LREM ne soutienne pas cette proposition de résolution. Cela ne peut que nous faire douter sur la volonté du Gouvernement de lutter à tous les niveaux contre le fléau de la fraude fiscale. La France s’honorerait pourtant de prendre la tête de cette croisade, à l’intérieur de nos frontières comme à l’international. C’est peut-être une vision du vieux monde, mais ce nouveau monde, visiblement, n’est pas le nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Union Centriste. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on a beaucoup parlé, ces dernières années, de la « finance », souvent pour la diaboliser. Je crois que ce raccourci nous freine collectivement pour réfléchir sereinement sur l’économie financière et proposer des politiques publiques adaptées.
Nous sommes loin d’avoir affaire à un monde monolithique et caricatural : la diversité des métiers, des pratiques et des finalités de la finance, au service de l’économie réelle et des ménages, doit nous inciter à la prudence dans nos mots et dans nos actes.
Le système financier français est un fleuron souvent envié par bien d’autres pays ; sachons le préserver. Parlons plutôt ici d’impôt, de fraude, de mécanismes internationaux qui favorisent des pratiques d’évitement fiscal. Il me semble que l’amalgame entre finance et fraude qui est fait dans cette proposition de résolution participe à une confusion des genres.
Sans nier la réalité des pratiques frauduleuses, appuyées sur des montages financiers complexes, mettre tout le monde dans le même panier ne nous aide pas à apporter des solutions fines et précises sur un sujet de dimension internationale. Derrière la fraude fiscale internationale il y a, certes, des institutions financières complices, mais également des États, des entreprises et des particuliers coupables.
Il y a bien une galaxie d’acteurs dont les intérêts convergent et vont à l’encontre de ce que vous appelez, chers collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, la « justice fiscale ». Comme vous, je le déplore et, comme vous, j’estime qu’il faut lutter contre la coalition des intérêts. En revanche, notre vision de la réponse à y apporter n’est pas la vôtre, celle de l’écrasement d’une économie qui serait intoxiquée par la finance. Nous croyons à l’efficacité des marchés et à l’internationalisation des flux de capitaux, à condition, bien sûr, que ces marchés soient régulés par des institutions pour tendre vers une justice sociale internationale.
En matière de régulation, force est de constater que des actions ont bien déjà été engagées depuis la crise de 2008, notamment sous l’impulsion d’un Français, que je souhaiterais saluer, Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE. Il mène depuis plusieurs années une véritable croisade contre la fraude fiscale internationale, qui a permis de moderniser le droit. L’OCDE a ainsi mis en place un cadre inclusif, rassemblant plus de cent pays et juridictions qui travaillent en collaboration pour mettre en œuvre des politiques de lutte contre l’érosion de la base fiscale et les transferts de bénéfices. La clause anti-abus, visant à éviter l’utilisation excessive des dispositions des conventions fiscales, en est une bonne illustration.
L’OCDE a également élaboré une norme d’échange automatique d’informations bancaires, adoptée le 29 octobre 2014 par l’ensemble des pays qui la composent et par les membres du G20.
En Europe, la Commission européenne a récemment relancé le projet de directive visant à l’adoption d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, pour mettre fin à la concurrence fiscale entre États membres. Le paquet TVA, en cours de négociation, a pour objectif de mettre fin à une fraude communautaire qui coûte plus de 150 milliards d’euros par an aux États de l’Union européenne.
Le cadre international de lutte contre la fraude fiscale n’a donc plus rien à voir avec ce qu’il était voilà encore quelques années. Néanmoins, je vous rejoins dans l’idée que des progrès sont toujours possibles. Si nous pouvons y contribuer, nous devons le faire. Soulignons, à cet égard, trois éléments.
Tout d’abord, les listes internationales de paradis fiscaux sont encore trop timides et soumises à des considérations politiques qui les vident de leur substance. Ensuite, les États, y compris européens, se livrent toujours à des politiques non coopératives en matière fiscale, avec une multiplication des « visas dorés » par des pays comme Chypre ou Malte, avec des rescrits fiscaux ou une course au moins-disant en matière d’impôt sur les sociétés. Enfin, la nouvelle économie, celle des GAFA, questionne les politiques fiscales des États, qui sont peu adaptées pour capter les bénéfices internationaux tirés des effets de réseaux. L’initiative française de taxation des géants du net est ainsi la bienvenue, même si elle doit être menée dans une logique d’équité et non punitive.
Des marges de progression existent donc pour atteindre la justice fiscale mondiale que nous appelons, bien sûr, tous de nos vœux. Cependant, je crois à la volonté des institutions et des professionnels pour combler ces lacunes et avancer dans le sens d’une régulation plus efficace. Nous ne pensons pas qu’il faille ajouter à cet ensemble une organisation de plus, dont la conception s’éloigne, de surcroît, de la logique pragmatique et technique qui nous semble devoir s’appliquer sur cette question.
Pour toutes ces raisons, et bien que nous partagions votre préoccupation devant l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, pas plus que La République En Marche, n’approuvera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)