M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté, et qui inaugure les travaux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est donc un projet de loi de ratification de deux ordonnances prises à l’été 2016.
Il s’agit de valider des réformes de diverses procédures d’information et de participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement.
Je veux saluer le travail mené sur ce texte, dès juillet, par notre collègue rapporteur Alain Fouché. La présentation qu’il a faite, mercredi dernier en commission, du contenu de ces deux ordonnances très techniques était parfaitement claire. Le rapporteur a aussi proposé des amendements visant à ne garder dans la loi que les dispositions de nature législative, renvoyant pour le reste au règlement.
Il s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de la volonté du Sénat, qui s’est engagé depuis plusieurs années dans cette voie de rigueur juridique.
Monsieur le secrétaire d’État, vous parliez de coopération entre le Gouvernement et le Parlement. Par exemple, il est vrai que l’on a trop souvent inséré dans la loi des mesures réglementaires qui n’avaient pas lieu d’y figurer. Mais si les parlementaires ont procédé de la sorte, c’est tout simplement parce que les décrets d’application déformaient parfois légèrement la volonté du Parlement.
M. Charles Revet. Cela arrive assez souvent, en effet !
M. Gérard Cornu. Voilà un domaine où la coopération entre le Gouvernement et le Parlement est à mon avis très intéressante : le ministre devra surveiller l’ensemble des travaux de façon que les décrets d’application soient conformes à la volonté des parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. Gérard Cornu. Si le travail du rapporteur doit être salué, on peut regretter que les membres de la commission n’aient eu qu’un temps très bref pour s’approprier le texte et le rapport, et trop bref pour proposer d’aller plus loin. Vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur le secrétaire d'État.
En effet, le sujet de la modernisation et de la simplification des procédures, notamment la consultation des citoyens, est inépuisable.
Je relève dans ce texte au moins deux motifs de satisfaction.
L’une des ordonnances prévoit que l’analyse des incidences sur l’environnement devrait intervenir le plus en amont possible, ce qui devrait mettre fin aux pertes de temps considérables que certains projets ont pu connaître par le passé, pertes de temps tellement pénalisantes pour l’économie d’un territoire ou même d’un pays.
Il est aussi prévu une réduction du nombre des projets devant automatiquement – je souligne ce terme – être soumis à étude d’impact. On doit s’en féliciter.
Il faut donc saluer l’objectif de simplification des procédures de consultation fixé dans ces ordonnances.
Mais il y a encore beaucoup à faire pour qu’un juste équilibre soit trouvé entre concertation avec le public et efficacité de la décision publique, entre protection de l’environnement et développement économique de nos territoires, entre principe de précaution et principe d’innovation.
Ici, au Sénat, nous sommes tout particulièrement sensibles à la complexité et attachés à la simplification des normes et des procédures. En effet, les élus locaux que nous représentons, et que nous avons été – où sommes encore – pour la plupart d’entre nous, sont exaspérés par une complexité qu’ils ne comprennent souvent pas et qui est source de freins à l’initiative et aux projets, mais aussi de dépenses publiques, alors qu’on leur demande constamment de faire des économies.
Par ailleurs, comme le rapporteur l’a souligné et comme je l’ai évoqué en commission, je pense que la rigueur des règles imposées devrait être mesurée par comparaison avec les procédures et règles applicables chez nos voisins européens. Il y va de la compétitivité de notre pays. Pourquoi serions-nous les plus tatillons ? Pour quel bénéfice ? Pourquoi la France est-elle le pays qui transpose le plus strictement les directives européennes, jusqu’à la surtransposition, reconnue, constatée et dénoncée par nos agriculteurs en particulier ? (M. Jean-Claude Requier opine.)
Que savons-nous des procédures et règles applicables chez nos voisins s’agissant de consultation des citoyens avant une décision environnementale ? Pas grand-chose… Il me semblerait utile d’en faire une brève synthèse comparée ; ce serait même, à mon avis, un facteur de cohésion juridique des États membres de l’Union européenne.
La procédure accélérée, utilisée sur ce texte déjà discuté à l’Assemblée nationale, ne permettra pas de le savoir. Il y aura, certainement, je l’espère, de nouvelles occasions de réflexion et de propositions plus approfondies sur ce sujet.
Globalement, toutefois, le texte va dans le bon sens. Le groupe Les Républicains le votera et suivra le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis et qui porte sur la ratification de deux ordonnances marque une évolution positive, même si elle est d’ampleur mesurée, dans le sens d’une meilleure gestion des projets affectant l’environnement, exclusivement dans le champ du code de l’environnement – je reviendrai sur ce point.
Le sujet principal, évoqué par M. le secrétaire d’État, est la création d’une étape nouvelle de participation préalable du public, jugée nécessaire à la suite du drame survenu à Sivens. Ce travail s’est fait en concertation avec l’ensemble des parties prenantes. Sommes-nous pour autant arrivés à une solution réellement satisfaisante ? Mon jugement sera mesuré.
Je ne peux manquer de souligner que le compromis auquel nous étions parvenus avec les différents partenaires était plus sobre que le texte dont nous débattons, à la fois dans sa rédaction – on peut toujours rédiger le droit avec davantage de brièveté et de simplicité – et le développement des procédures.
Cela étant, je ne suis pas là pour faire part de mes regrets. L’idée de faciliter un dialogue ouvert permettant d’envisager des alternatives ou des variantes au début ou en cours d’élaboration d’un projet, pour permettre une certaine conciliation des points de vue, ainsi qu’une prévention des conflits et des éventuels blocages, est effectivement mise en œuvre.
Il en résulte une procédure relativement souple, peu formaliste, avec un garant chargé d’équilibrer la discussion et de faciliter la recherche d’informations et de données sur le dossier, tout en veillant à ce que les obstacles ne soient pas trop significatifs pour le maître d’ouvrage.
Cette formule est valable pour les projets de taille moyenne, ce qui nous renvoie à la question du seuil, sur laquelle nous reviendrons lors de la discussion des articles.
Ce système, que le gouvernement précédent a introduit dans l’une des ordonnances qui nous sont soumises, et que nous allons ratifier, offre-t-il une garantie de non-conflictualité ? La réponse est clairement non.
Ce mécanisme permet certes de réduire les différences d’appréciation et les incompréhensions par manque d’information, mais pas de faire reculer des adversaires résolument déterminés à empêcher un projet – je pense notamment aux écoles de pensée prônant la décroissance. Il n’est donc nullement garanti qu’un effort de conciliation et d’écoute au moment du lancement du projet empêche la contestation et le développement de contentieux par la suite.
Mais c’est aussi, en partie, le résultat du principe « éviter », adopté à l’échelle européenne, et dont on tire dans notre droit des conséquences, que je trouve discutables. C’est avec une certaine hâte, pour ne pas dire une certaine légèreté, que nous avons posé comme obligation procédurale dans la préparation des projets une évaluation de la possibilité même d’éviter le projet. Ce n’est ni logique ni cohérent, et cela conduit à des manœuvres pour empêcher, effectivement, la réalisation de projets.
Toutefois, l’ordonnance n° 2016-1060 contient d’autres améliorations, en particulier un assouplissement des enquêtes publiques, et l’ordonnance n° 2016-1058 permet de réduire légèrement le nombre d’études d’impact.
Au-delà de ces quelques motifs de satisfaction, il subsiste tout de même des interrogations. Nos procédures d’autorisation en matière d’environnement restent globalement très formalistes, ce qui alimente le contentieux, lequel génère d’énormes pertes de temps et d’énergie.
Il y aura donc encore du travail à faire pour limiter le nombre et la durée des contentieux. De ce point de vue, d’ailleurs, je ne trouve pas logique d’avoir écarté la proposition du groupe de travail consistant à vider définitivement le contentieux de la concertation préalable à la fin de celle-ci, ce qui éviterait d’y revenir au moment de l’approbation du projet définitif, c’est-à-dire parfois deux ans après. J’espère que nous pourrons revenir sur cette erreur de raisonnement juridique. Ensuite, les études d’impact, telles qu’elles sont conçues en France, puis vérifiées par les tribunaux, sont encyclopédiques, avec à la clef des coûts tout à fait injustifiés.
Je me souviens, monsieur le secrétaire d’État, que lorsque le président Hollande avait lancé ce chantier à l’occasion d’une conférence environnementale, il avait demandé une normalisation des études d’impact, afin que l’on puisse reprendre les données d’une première étude d’impact concernant un projet de tel ou tel canton ou commune pour un nouveau projet similaire, tout étant déjà connu. Je ne suis pas sûr que ce processus de normalisation et d’accumulation d’informations ait été mené. Quand on connaît la surcharge des services, c’est pourtant un défi à relever.
Je n’ajoute rien à la demande de plusieurs collègues, notamment du rapporteur, de procéder à un comparatif sérieux, qui en revanche n’a rien de « limité ». Il est assez compliqué d’effectuer un véritable comparatif européen de procédures. Mais si vous trouvez quelques centaines de milliers d’euros, monsieur le secrétaire d’État, et une écoute attentive de l’OCDE, qui accomplit déjà ce travail, ce sera un outil utile.
En attendant, faisons fonctionner ces nouvelles dispositions et continuons à travailler pour alléger les procédures trop complexes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche et sur des travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer par quelques mots de méthode.
On ne peut pas se satisfaire des conditions d’examen de ce projet de loi. Les délais laissés aux parlementaires sont très resserrés.
La commission s’est réunie pour sa constitution jeudi dernier et a examiné dans la foulée ce projet de loi. Quelques jours plus tard seulement, nous sommes réunis dans l’hémicycle pour son examen.
Comment, dans ces conditions, pouvons-nous réellement appréhender ces ordonnances importantes, puisque ce sont soixante articles du code de l’environnement qui sont impactés ?
Cette procédure, cumulée à l’utilisation de la procédure accélérée, ne permet pas aux parlementaires d’effectuer correctement leur travail de législateur.
Au final, nous ne pouvons corriger les dispositions de ces ordonnances qu’à la marge, sans revenir sur l’économie générale de ces textes.
Pour cette raison, les sénateurs du groupe CRCE se prononcent régulièrement contre le recours aux ordonnances qui réduit le Parlement à une simple chambre d’enregistrement a posteriori, puisque ces ordonnances sont déjà en vigueur.
Notre opposition est d’autant plus grande que cette habilitation a été votée lors de la loi Macron, loi à laquelle le groupe CRCE s’est opposé.
Il existe, enfin, une contradiction évidente entre le fait de promouvoir la démocratie environnementale et la volonté de court-circuiter le Parlement.
J’en viens au contenu.
Sur la première ordonnance concernant la participation du public, si nous pouvons nous satisfaire de la volonté affichée d’améliorer le dialogue environnemental en amont de la prise de décision, les dispositifs préconisés paraissent particulièrement limités, voire lacunaires, et ce pour deux raisons principales.
La première tient aux seuils de l’initiative citoyenne, manifestement trop élevés dans tous les cas de figure. Je ne prendrai qu’un exemple : recueillir l’approbation de 500 000 de nos concitoyens pour demander un débat public sur une réforme nationale semble bien inaccessible, encore plus dans des délais courts, fixés à quatre mois. Nous regrettons d’ailleurs, à ce titre, que notre amendement visant à diminuer de moitié ce seuil ait été déclaré irrecevable.
La seconde raison tient dans l’absence d’obligation concrète du maître d’ouvrage de tenir compte des avis émis. On peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas simplement de renforcer l’acceptabilité de projets contestés, voire contestables, et non de permettre, par l’implication citoyenne, d’améliorer et même de transformer le projet soumis à consultation. Vous avez d’ailleurs reconnu, monsieur le secrétaire d’État, que ces dispositions visaient simplement à « faciliter l’aboutissement de projets »…
Par ailleurs, les critères d’éligibilité des installations devant entrer dans le champ de saisine restent très restrictifs, notamment en ce qui concerne les seuils financiers.
Pourtant, ni la convention d’Aarhus ni les directives européennes la déclinant n’autorisent à conditionner le niveau de participation citoyenne uniquement à des critères financiers. Il s’agit d’une vraie problématique sur laquelle les associations environnementales ont alerté les pouvoirs publics. Il existe des projets de faible ampleur financière aux conséquences très importantes sur l’environnement. La question reste donc posée d’une définition plus fine des critères pour permettre la participation des citoyens, laquelle est un droit constitutionnellement reconnu.
Si l’Assemblée nationale avait amélioré le texte, le Sénat a fait le choix de revenir sur plusieurs avancées.
Ainsi, des amendements avaient été adoptés afin d’abaisser la possibilité de saisine citoyenne pour les projets, programmes et plans à 5 millions d’euros comme seuil de dépenses publiques. Le délai concernant l’illégalité pour vice de forme ou de procédure avait été allongé à six mois. Le travail en commission au Sénat est revenu sur toutes ces améliorations. Nous le regrettons.
Reste la question de fond. Dans un cadre exigeant et évident de préservation de l’environnement, quels seront l’impact et la portée réels de ce droit d’initiative pour nos concitoyens et pour la qualité de la décision publique ? Il faudra y revenir et évaluer ces dispositifs. Nous aurions pu aller plus loin, notamment concernant la question du référendum en matière environnementale – cette thématique est abordée dans le rapport présenté par Alain Richard.
Les dispositions prévues paraissent donc timides et ne répondront pas à l’exigence souhaitée d’un meilleur partage des savoirs et des pouvoirs. La participation citoyenne semble si peu engageante pour les pouvoirs publics qu’elle risque même de s’avérer contre-performante en créant plus de frustration que d’enthousiasme.
S’agissant de la seconde ordonnance concernant l’évaluation environnementale, certaines de ses dispositions apparaissent clairement dangereuses. Il en va notamment de celles qui visent non pas à protéger l’environnement, mais à libérer les porteurs de projet, privés comme publics, de contraintes jugées excessives. Le Gouvernement se situe ici clairement dans la déréglementation, engagée et poursuivie par ses prédécesseurs au nom de la compétitivité coûte que coûte.
Pour exemple, le passage d’une étude d’impact au cas par cas plutôt qu’automatique nous semble particulièrement problématique.
La réduction des moyens dans l’administration risque, en effet, de laisser sans évaluation environnementale un grand nombre de projets, faute de temps et de moyens. Cela signifie que le respect du principe de non-régression du droit de l’environnement dépendra demain de la vigilance des services de l’État sur le terrain. C’est un risque que nous ne souhaitons pas prendre.
Nous sommes donc, en l’état, défavorables à ces évolutions législatives.
Pour autant, nous proposerons des amendements pour améliorer certains points de ces ordonnances. Nous espérons alors que le Gouvernement et la majorité sénatoriale sauront nous entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la manière de décider a changé.
Une décision est bonne non pas parce qu’elle l’est intrinsèquement, mais parce qu’elle est jugée bonne par ceux à qui elle a vocation à s’appliquer. L’aspiration des citoyens à s’exprimer directement et à être davantage associés à la prise des décisions publiques est incontestable.
Vous le savez aussi, mes chers collègues, la légitimité et l’efficacité de la décision publique se voient de plus en plus contestées. Nous devons donc passer d’une légitimité de « position » à une légitimité de « décision », suivant la formule de M. Marcel Gauchet.
La manière de décider, la façon d’organiser le débat public et le dialogue environnemental sont des questions qui passionnent le Sénat, et c’est à ce titre que vous aviez décidé, en novembre 2016, mes chers collègues, de créer une mission d’information sur le thème : « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 ? » Vous étiez donc au cœur du sujet de cet après-midi.
Le rapport de cette instance a été adopté à l’unanimité en mai dernier, sous le titre Décider en 2017 : le temps d’une démocratie « coopérative ». Comment, en effet, la démocratie participative peut-elle renforcer la démocratie représentative ? Comment mener à bien un projet d’infrastructure tout en veillant à la protection de l’environnement et à la consultation du public ? C’est à l’aune des préconisations de notre rapport que j’aborderai ce débat.
Monsieur le secrétaire d’État, nous partageons et comprenons l’esprit des quatre ordonnances environnementales qui sont intervenues en 2016 et 2017. Nous parlons, cet après-midi, de deux d’entre elles seulement, mais il y a également celle du 22 avril 2016 sur la consultation locale – elle vise les référendums du type « Notre-Dame-des-Landes » – et celle du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale unique. Nous examinons aujourd’hui la ratification des deux ordonnances du 3 août 2016 relatives à l’évaluation environnementale et à la participation du public, et nous connaîtrons plus tard de la ratification des deux autres ordonnances.
Nous comprenons, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’enjeu politique qui existait en 2016 pour tenter de sortir de dossiers très douloureux que chacun de nous a en mémoire.
Nous comprenons et partageons l’idée suivant laquelle, en consultant le plus en amont possible, il doit être possible de préparer et de dédramatiser la décision de réaliser telle ou telle infrastructure. C’était l’esprit du rapport de M. Vernier et, surtout, de celui qu’a rédigé la commission présidée par notre collègue Alain Richard, à laquelle il a été fait plusieurs fois référence.
Nous savons aussi – c’est le troisième élément qui a conduit à la rédaction de ces ordonnances – que notre pays doit respecter ses engagements : la convention d’Aarhus de 1998, l’article 7 de la Charte de l’environnement, de valeur constitutionnelle, auquel M. le secrétaire d’État a fait référence dans son intervention préalable, mais aussi une directive européenne de 2003 qui avait déjà défini les modalités de participation, et que nous n’avions pas transposée.
Rien, en résumé, ne fait difficulté dans le fond des deux ordonnances qui nous sont présentées, qu’il s’agisse de la définition plus précise des études d’impact – les propos de M. le secrétaire d’État, qui a indiqué tout à l’heure que « plus précise » signifiait « plus simple », devront peut-être être nuancés, la pratique montrant que « plus précise » signifie généralement plus formaliste, et donc plus complexe –, de l’élargissement de la saisine de la CNDP, ou du droit d’initiative citoyenne.
Nous avons bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, votre phrase, dont la presse s’était déjà fait l’écho, suivant laquelle il s’agirait de savoir prendre du temps pour mieux en gagner. Sur le principe, c’est très bien ! Toutefois, M. Richard s’est interrogé, avec discrétion, mais à haute voix, sur le résultat que pourrait produire cette formule, dont il ne faut peut-être pas abuser.
La concertation est en effet respectable et nécessaire, mais la faisabilité de l’infrastructure l’est tout autant. L’objectif reste que notre pays soit capable de développer, d’aménager.
Évitons l’exercice très français consistant à passer du tout l’un à tout l’autre !
Nous attirons votre attention sur l’équilibre prévu, qui consiste à mener plus de concertation en amont pour plus d’efficacité en aval. Les ordonnances, y compris avec les ajouts de l’Assemblée nationale, ont certes renforcé la partie amont, mais elles n’ont pas allégé la partie aval, sous réserve peut-être, nous le verrons à l’expérience, de l’autorisation environnementale unique.
Finalement, mes chers collègues, nous sommes confrontés au problème de la sédimentation des procédures et des délais. Entre parenthèses, je relève que l’Assemblée nationale a ajouté, de façon légitime lors de l’examen du texte, trois délais supplémentaires de deux mois chacun – nous ne manquerons pas d’évoquer cette question lors de la discussion des amendements.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous indiquiez tout à l’heure que vous recherchiez une convergence entre les règles du code de l’environnement et celles du code de l’urbanisme. Or les ordonnances ne vont pas du tout dans ce sens, par exemple sur la définition des concertations, et les dispositions des deux codes ont plutôt une tendance à la sédimentation…
Je souhaite aussi rappeler qu’il faut en moyenne vingt ans pour réaliser une ligne ferroviaire et entre quinze et dix-sept quand il s’agit une autoroute. On ne peut pas dire que de tels délais favorisent la crédibilité de ces opérations.
Deux thèmes chers à M. le Président de la République, la simplification et l’expérimentation, ne doivent par conséquent pas être oubliés.
Pour le groupe centriste, les ordonnances que nous examinons aujourd’hui doivent globalement être soutenues, même si nous proposons des amendements pour essayer d’en fluidifier certains dispositifs.
Je terminerai mon intervention sur la question des comparaisons internationales, dont plusieurs collègues ont souhaité disposer. Vous en trouverez plusieurs, certes simplifiées, dans le rapport que j’ai présenté au Sénat sur la démocratie coopérative. Disons grosso modo que le Canada connaît une forte tradition de concertation, accompagnée de procédures plus souples, que les Pays-Bas ont adopté de nouvelles dispositions pour réduire les délais et que les pays scandinaves utilisent beaucoup ce qu’ils appellent les véhicules législatifs – à chaque projet d’infrastructure correspond un texte spécifique qui organise le déroulement des opérations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la Haute Assemblée examine aujourd’hui le projet de loi visant à ratifier deux ordonnances du 3 août 2016 relatives à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement. En effet, l’article 106 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », habilite le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances dans le domaine du droit de l’environnement.
À titre liminaire, je veux préciser que, selon nous, ces ordonnances sont essentielles.
Je tiens, par ailleurs, à saluer l’implication du précédent gouvernement dans la rédaction de ces ordonnances, lesquelles sont le fruit de longs mois de travaux et – il est important de le rappeler – l’aboutissement d’un large consensus qui dépasse les clivages partisans. Le travail que le Sénat fournit aujourd’hui respecte donc pleinement le principe de continuité républicaine, auquel nous sommes tous attachés dans cet hémicycle.
Dès 2014, à la suite de la conférence environnementale, plusieurs groupes de travail se sont réunis. Cette riche concertation et les travaux menés en lien avec la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique présidée par notre collègue Alain Richard ont permis cette modernisation du droit de l’environnement. À l’issue de ce processus, un rapport a été rendu en mars 2015 par le président des groupes de travail, Jacques Vernier.
Les ordonnances que nous examinons aujourd’hui s’en inspirent – disons-le – très largement. Il faut rappeler qu’elles constituent, en quelque sorte, une réponse au drame du barrage de Sivens et aux événements douloureux que chacun connaît.
Selon nous, ces ordonnances vont d’autant plus dans le bon sens qu’elles reposent sur de grands principes, notamment l’article 7 de la Charte de l’environnement, laquelle a valeur constitutionnelle et consacre le principe du dialogue environnemental. Elles réaffirment aussi le principe figurant dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, à savoir la séquence éviter-réduire-compenser.
La première ordonnance porte sur la réforme des procédures destinées à assurer l’information du public et sa participation à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement. La seconde est relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes.
D’une manière générale, nous ne pouvons que nous féliciter de mesures telles que le renforcement de la transparence, la participation plus facile du public à la concertation, notamment par la mise en place d’une plus grande dématérialisation, ou encore l’accroissement du rôle et des prérogatives de la Commission nationale du débat public.
L’ordonnance n° 2016-1060 tend à atteindre les objectifs de la loi de 2015 visant à moderniser et simplifier les procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de projets, plans et programmes, afin notamment de « mieux garantir leur conformité aux exigences constitutionnelles ». Il s’agit donc bien de renforcer la concertation en amont, « à un stade de leur élaboration où ils peuvent facilement évoluer pour prendre en compte les observations du public ».
En redéfinissant et en étendant le champ de compétences de la Commission nationale du débat public, le texte vient renforcer son rôle et ses prérogatives, ce qui – à mon sens – est une garantie supplémentaire d’efficacité. Par exemple, la Commission désignera des garants, chargés de veiller au bon déroulement des concertations.
Nous nous réjouissons notamment de l’ouverture d’un nouveau droit pour les citoyens, qui peuvent désormais demander l’organisation d’une concertation préalable sur certains projets. Toutefois, mon groupe a souhaité déposer un amendement concernant le montant du seuil de dépenses ou de subventions publiques permettant l’ouverture de ce nouveau droit. J’aurai l’occasion tout à l’heure de le présenter avec un peu plus de détails.
Pour finir, je souhaite rappeler que ce projet de loi est d’autant plus important qu’il permet de transposer la directive européenne relative à l’évaluation environnementale des projets et d’améliorer la conformité du droit français au droit de l’Union européenne et à la jurisprudence de la Cour de justice. Il me semble important de le noter.
Ces ordonnances permettent des simplifications, sans pour autant réduire l’exigence de protection de l’environnement. En conséquence, mon groupe votera en faveur de ce projet de loi et proposera deux amendements, qui ne visent pas à briser l’équilibre trouvé après des années de travail, mais qui s’inscrivent dans un état d’esprit pleinement constructif et vigilant. J’ai d’ailleurs cru comprendre, monsieur le secrétaire d’État, que vous pourriez y être favorable… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)