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Dépôt de documents
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de reconstruction du centre hospitalier universitaire de Caen, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques, à celle des affaires sociales et à celle des finances.
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Retrait d’une question orale
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la question orale n° 1493 de M. Michel Savin est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
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Adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, présentée par M. Jean-Léonce Dupont et plusieurs de ses collègues (proposition n° 825 [2015-2016], texte de la commission n° 30, rapport n° 29).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Léonce Dupont, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
M. Jean-Léonce Dupont, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. »
La proposition de loi que vous examinez ce soir ne dément pas cette sage affirmation de Nicolas Boileau. Son texte est court : le Sénat n’aime guère les « lois bavardes ». Pourtant, sans fausse modestie, je peux l’affirmer : quand cette proposition fera loi, elle sera la réponse attendue à une préoccupation devenue majeure au sein de nos établissements d’enseignement supérieur et, singulièrement, de nos universités. Avec ce texte, nous adaptons enfin réellement l’organisation du cursus post-licence français aux exigences du LMD et d’abord du deuxième cycle, ou master.
En 2002, notre pays s’inscrit pleinement dans le système européen d’enseignement supérieur et de recherche. Une réforme en profondeur s’impose, mais elle ne sera que très imparfaitement réalisée.
Pour mieux apprécier l’économie du texte que je vous présente, il me semble utile de rappeler la situation pré-LMD.
Les parcours universitaires s’organisaient autour du DEUG, premier cycle en deux ans, suivi de la licence, obtenue après une année d’études, puis de la maîtrise, en une année également.. Licence et maîtrise constituaient le deuxième cycle. L’étudiant pouvait alors envisager un troisième cycle : il s’inscrivait, selon son projet et sous réserve qu’il soit retenu par l’équipe pédagogique en charge du diplôme, soit en DEA, formation plutôt théorique, soit en DESS, formation à vocation professionnelle. Au terme de cette année d’études, la porte, de préférence celle du DEA, s’ouvrait vers le doctorat.
En 2002, le LMD a produit ses effets sur cette organisation, mais, en réalité, d’une manière que j’oserais dire cosmétique. DEUG et licence sont « fusionnés » pour constituer ensemble les six semestres de la « nouvelle licence », soit le premier cycle. Le deuxième cycle de quatre semestres a priori insécables résulte du rapprochement de la maîtrise et du DEA/DESS, avec une distinction entre « master recherche » et « master professionnel », vite dénommé « master pro », qui n’était pas sans renvoyer à celle entre DEA et DESS. Le troisième cycle est composé du seul doctorat.
S’agissant du deuxième cycle, on comprend bien que l’étiquette « master » avait été apposée sur deux diplômes distincts, qui se retrouvaient faire diplôme unique sans réelle remise en question. Dans ce paysage, les établissements avaient continué de pratiquer une sélection à l’entrée de la seconde année de master, comme cela se pratiquait à l’entrée du DEA ou du DESS.
Cette sélection, en plein milieu du diplôme, devenait vaguement ubuesque. Les inconvénients étaient légion, pour les étudiants placés dans l’incertitude de leur devenir au terme du M1 comme pour les équipes pédagogiques, qui ne pouvaient pas réellement proposer une progression cohérente de la spécialisation sur les quatre semestres menant au diplôme. Il convient en effet d’ajouter qu’avec le temps les maquettes des masters avaient traversé plusieurs campagnes d’habilitation et qu’elles avaient forcément évolué : nouveaux projets, nouvelles évaluations ; les équipes porteuses des diplômes de masters se heurtaient à l’incohérence de la construction. Ainsi allait la vie universitaire.
C’est un avis contentieux du Conseil d’État, en février dernier, certes bien tardif, qui porte le coup de grâce à cette architecture en trompe-l’œil. Le Conseil d’État avait été saisi d’une demande d’avis par un tribunal administratif confronté à un recours d’étudiant sur un refus d’inscription en master. Il a alors estimé que la sélection pratiquée était illégale, faute d’un décret listant les masters concernés, conformément à ce que la loi prévoyait.
Le Gouvernement a préparé en urgence le fameux décret. Le texte, pris en mai 2016, s’est retrouvé plaqué sur l’offre de formation pour tenter de sécuriser l’actuelle rentrée universitaire. Je dis « plaqué » sans que cela soit une critique du travail effectué : celui-ci était très compliqué à mener et le temps imparti très court. La nomenclature des masters n’est en effet pas unifiée. Ce travail est en cours. Nous constatons, au sein d’une même discipline, la coexistence de mentions de masters, dont certaines sont très générales et d’autres très spécialisées. C’est peu dire que la lisibilité n’est pas au rendez-vous.
Le décret de mai 2016 n’a pas apporté un apaisement juridique suffisant : la rentrée qui vient d’avoir lieu a été le théâtre de contentieux qui le démontrent. Il fallait donc très vite agir, pour sécuriser la rentrée de 2017. Le texte que j’avais déposé s’y attachait, avec un dispositif simple, non contraignant et transparent : d’une part, les universités choisissent, pour chacun des masters qu’elles offrent, le dispositif d’entrée, sélectif ou non ; d’autre part, les masters pour lesquels le dispositif de sélection demeurerait à l’entrée du M2, ce qui peut se justifier pour certaines filières, en particulier le droit et la psychologie, sont listés par décret – ces filières préparent à des concours ou à une certification professionnelle à bac+4, soit au niveau M1.
Dans le même temps, au terme d’une concertation engagée par le Gouvernement et qui ne fut pas – je crois pouvoir le dire – un long fleuve tranquille, un accord était trouvé au sein de la communauté universitaire pour accompagner cette sélection, admise, voire attendue par le plus grand nombre, grâce à l’introduction d’un dispositif destiné aux étudiants titulaires d’une licence non retenus dans un master sélectif et qui souhaiteraient néanmoins poursuivre leur formation. Ce sont les principes de ce dispositif qui ont été inscrits dans ma proposition de loi par voie d’amendement lors de l’examen du texte en commission, le mercredi 12 octobre.
J’ai accepté cet ajout, que je trouvais initialement contradictoire, sur lequel je conserve de vraies réserves, mais que je soutiens en définitive complètement, pour des raisons que je veux prendre ici le temps d’expliquer et dont je souhaite qu’elles retiennent favorablement l’attention de ceux de nos collègues qui ont des interrogations, déjà exprimées en commission.
La première raison est clairement pratique. Je l’ai dit, la rentrée de 2016 des masters a montré les fragilités juridiques du décret pris en urgence en mai ; il est finalement apparu indispensable de modifier préalablement la loi. Or une rentrée en master se prépare dès le printemps et s’accompagne très vite, en cas de mobilité géographique de l’étudiant, de questions matérielles, de logement notamment.
Mais, nous le savons bien, la session parlementaire sera suspendue le 27 février prochain. Il convient donc d’aller vite. Les étudiants et leur famille, pas plus que les responsables universitaires des masters, ne doivent être les otages du calendrier électoral.
La seconde raison me conduit à interroger la situation de nos universités, qui sont les principaux établissements porteurs de l’offre de masters, autant que celle de notre économie et des besoins de notre pays.
Après la grave crise économique dont nous peinons à voir l’issue, l’avenir et le redressement de la France passent par la jeunesse ; la question posée est celle du niveau de qualification qu’elle atteint lorsque, à l’issue de sa formation initiale, elle prépare son insertion professionnelle. C’est un défi qui doit être relevé ; cela suppose une élévation du niveau de qualification et de diplômation bien au-delà du seul baccalauréat. Tel est d’ailleurs l’un des objectifs de la StraNES, ou stratégie nationale de l’enseignement supérieur, dont nous avons débattu ici même au premier semestre. J’ai même dit à cette tribune que, si j’en partageais le postulat de départ et les finalités, j’avais quelques sérieux doutes sur la capacité à les atteindre au vu des moyens mis en œuvre. La voie que nous nous préparons à emprunter, via le texte qui vous est soumis, peut y aider, partiellement certes, mais réellement.
J’ajoute toutefois – cela est important pour notre débat – qu’il ne faut pas confondre élévation du niveau de qualification et surdiplômation. Des diplômés qui auraient étudié cinq ans après le baccalauréat et peineraient à accéder à un emploi utilisant leurs compétences vivraient un véritable déclassement professionnel. Ils en seraient légitimement frustrés, et ce serait pour nous, politiques, un échec cuisant, pour ne pas dire une faute.
C’est dans ce contexte économique et social que fonctionne notre modèle français de formation post-baccalauréat. Il repose sur une double logique.
La première est une logique sélective, plutôt omniprésente : accès par concours aux grandes écoles ; accès sur dossier en STS et, au sein même des universités, en IUT ; poursuite d’études après concours en formations de santé ; accès sur moyens financiers dans des établissements privés dont il se dit qu’ils sont de plus en plus recherchés.
La seconde logique est celle du libre accès, en licence générale après traitement des demandes via le portail d’admission post-bac, avec, pour quelques filières de quelques universités, des capacités d’accueil limitées.
Cette logique de libre accès conduit en licence un certain nombre de néobacheliers non retenus dans des voies sélectives, souvent non armés pour réussir. Les « plans licence » déployés par les établissements ne sont pas une remédiation suffisante. Les universités et leurs enseignants ne peuvent, en dépit d’efforts réels de leur part, « rattraper » des étudiants que leurs études au lycée n’ont pas tous armés pour des études en licence, avec un niveau d’abstraction et de conceptualisation auquel certains ne s’adaptent pas. J’ajouterai que la remédiation à ce niveau n’est pas le métier des enseignants-chercheurs.
Nous savons les taux d’échec, les réorientations sauvages, les étudiants qui ne viennent aux examens que pour émarger et conserver leurs bourses d’études ; nous en mesurons le coût humain d’abord, économique ensuite, pour les familles autant que pour l’État. Où que nous siégions dans cet hémicycle, nous avons échoué à proposer un dispositif d’orientation positive.
Bon an mal an, bon gré mal gré, des étudiants cheminent, parfois lentement, et obtiennent leur licence. Je vous rassure : il y a aussi d’excellents étudiants qui mènent à bien leurs trois années d’études, réussissant dès la première session tous leurs examens. Mais ils sont rares. La compensation entre semestres et entre unités d’enseignement, la capitalisation des matières, les deux sessions ou le poids du contrôle continu y contribuent, et les universitaires constatent que des étudiants obtiennent leur licence sans être toujours au point sur les fondamentaux de leur discipline.
Se pose alors la question de la suite : recherche d’emploi, complément dans une filière voisine et, naturellement, master.
On ne saurait donc affirmer, au terme de ces parcours, que tout étudiant désireux de s’inscrire en master en possède les prérequis suffisants. Or les masters placent leurs titulaires au niveau de sortie – bac+5 – des diplômés de grandes écoles et, dans certains champs disciplinaires, ceux-ci seront en concurrence pour des emplois d’encadrement de niveau supérieur et des postes à responsabilités. Il y va indirectement de l’image même de nos universités.
En outre, n’oublions pas que le master ouvre la porte du doctorat, troisième marche du système LMD, et qu’il convient de préparer les futurs thésards à la recherche. Là aussi, nos équipes de recherche, notre recherche dans son ensemble, ont besoin d’excellence. Sa jouvence est essentielle pour préparer nos futurs Nobel et médailles Fields – notre pays, cette année encore, peut s’enorgueillir de figurer au palmarès.
L’accès sélectif au master ou, au moins, à un certain nombre de masters est donc une condition nécessaire à la construction de l’avenir et à la qualité de notre recherche scientifique.
Mais que faire pour tous ceux qui ne seraient pas retenus au terme d’un processus sélectif ? Ils sont pour la plupart, sans doute, les « maillons faibles » du cursus universitaire, passés vaille que vaille d’une année à l’autre du parcours licence.
Dès lors que nous n’avons su ni construire avec eux, depuis le début même de leurs études au lycée, un parcours solide ni leur permettre de mieux s’orienter, nous avons à leur égard un devoir d’accompagnement. C’est cette conviction d’une responsabilité qui a finalement, malgré toutes mes réserves, guidé mon choix de soutenir l’amendement de notre collègue Dominique Gillot. Présenté en commission, il reprend la partie législative de l’accord trouvé au début de ce mois, au sein de la communauté universitaire, par ses représentants.
Il ne s’agit pas de créer un droit au master pour tous, comme le soutiendraient les tenants d’un raccourci forcément caricatural ; il s’agit de ne pas laisser sans soutien des diplômés, certes parvenus au niveau bac+3, mais dont les compétences sont fragiles. Faut-il les orienter vers un autre master que celui ou ceux qu’ils convoitaient ? Oui, mais sans bouleverser l’économie de masters « rares » qu’il convient de préserver ! Oui, mais sans laisser non plus se constituer dans nos universités des masters « refuges », car je refuse, mes chers collègues, d’utiliser le terme de « poubelles », particulièrement dégradant pour les étudiants, leur famille, leurs enseignants et l’université dans son ensemble ! Oui, mais sans oublier que le bénéfice de ce droit au master peut être différé dans le temps : la formation continue tout au long de la vie existe !
Il faut laisser aux établissements le soin de veiller à la mise en œuvre de ce droit ; c’est leur autonomie pédagogique qui est en jeu, et je sais aussi leur éthique de responsabilité à l’égard des étudiants. Les recteurs seront associés dans leur rôle traditionnel de chanceliers des universités.
Le texte que la commission a examiné et amendé s’efforce donc de concilier la légalisation du droit à la sélection avec l’obligation d’une réponse à ceux qui seraient sans solution.
S’agissant du premier point, la possibilité d’une sélection dès l’entrée en première année de master, sélection liée aux capacités d’accueil fixées par les établissements, est affirmée et l’entrée en master, le cas échéant, subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Vous noterez qu’il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une possibilité laissée à l’appréciation de chaque établissement pour chacun des masters qu’il propose.
Les modalités de la sélection sont elles aussi ouvertes. Mais le droit existe de manière incontestable. Les étudiants ayant réussi les épreuves sanctionnant les deux premiers semestres de leur master accèdent de droit à la seconde année.
La loi réserve la possibilité d’une sélection à l’entrée de la seconde année pour certaines disciplines. Je n’y reviens pas : ces disciplines sont connues.
S’agissant du second point, introduit par amendement en commission, la loi permettra que, sur demande d’un étudiant non admis en première année de master, il lui soit proposé une inscription dans une autre formation de deuxième cycle, sur la base de son projet professionnel et en fonction de l’établissement dans lequel il étudiait en licence. Les modalités d’exercice de ce nouveau droit seront fixées par voie réglementaire, en l’espèce un décret en Conseil d’État, pris après consultation du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles ne sauraient en effet relever du domaine de la loi.
J’appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la distinction nécessaire, dans la démarche en cours, entre ce qui relève de l’information sur l’offre de master, extrêmement légitime et même attendue, et ce qui relèverait d’une volonté de gérer les vœux des étudiants en lieu et place des établissements et des équipes pédagogiques de chaque master. Ce serait là un coin enfoncé de manière inacceptable dans l’autonomie universitaire. Nous aurons l’occasion d’examiner tout à l’heure un amendement de notre collègue Jean-Claude Carle sur l’inscription dans la loi d’un dispositif spécial d’information et d’orientation des étudiants. C’est l’une des missions de l’université, et j’y attache beaucoup d’importance.
J’ajoute que j’ai souhaité, au regard de la nouveauté de ce dispositif et des réserves qu’il fait naître non seulement chez votre rapporteur, mais également chez plusieurs de nos collègues, que figure dans la loi un engagement d’évaluation de son fonctionnement après la troisième rentrée sous ce régime, soit à la fin de 2019. Cette évaluation, confiée au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, autorité administrative indépendante, comme vous le savez, sera transmise au Parlement au plus tard le 1er mars 2020 ; elle portera sur l’impact mesurable de ce dispositif sur la qualité de l’offre de formation de deuxième cycle et sur la réalité de la sécurité juridique qu’il doit apporter.
Mes chers collègues, le dispositif que je vous propose d’adopter ce soir ne saurait être ni une fin ni le simple moyen de surmonter les difficultés que j’évoquais au début de mon propos. Il nous oblige. Et il nous oblige sur toutes les travées, eu égard à la responsabilité partagée que nous portons sur la situation actuelle ! Il nous oblige à réfléchir à ce qui se passe en amont du master et, plus encore qu’à réfléchir, à agir.
Notre collègue Guy-Dominique Kennel a remis en juin au Sénat son rapport d’information intitulé Une orientation réussie pour tous les élèves, témoignant de l’urgence d’en finir avec l’orientation par l’échec. Sachons ici nous en souvenir. Si nous voulons, à l’avenir, que des étudiants en licence cessent d’échouer aux portes du master ou qu’ils puissent plus facilement, avec leur licence, s’insérer dans la vie active et si nous voulons que le dispositif que je vous propose d’adopter ne soit qu’une transition nécessaire et devienne un jour inutile, car alors chacun aura su trouver la voie positive de son parcours personnel, nous devons modifier le modèle actuel des parcours, du lycée à la licence.
La sélection, selon le Larousse, est notamment l’action de choisir les personnes qui conviennent le mieux. C’est donc une démarche positive et constructive. Mais elle impose aussi, lorsqu’il s’agit de notre jeunesse, de nos enfants, qu’aucun d’eux ne soit laissé seul et sans espérance. C’est tout le sens de l’équilibre recherché par ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mmes Maryvonne Blondin et Corinne Bouchoux applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà une semaine à peine, nous étions réunis pour débattre des conclusions de l’excellent rapport intitulé Une orientation réussie pour tous les élèves de notre mission d’information présidée par Jacques-Bernard Magner et rapportée par Guy-Dominique Kennel. Sur toutes les travées de l’hémicycle comme au banc du Gouvernement, nous avions déploré une orientation qui se fait essentiellement « par l’échec » et dont le coût, avant tout humain, est terrible pour nos enfants et leur famille.
Ce soir, nous abordons en quelque sorte les « travaux pratiques ». Nous avons collectivement l’occasion de refuser cette orientation par l’échec dans l’enseignement supérieur, en adoptant la proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont, qui instaure enfin le principe de sélection à l’entrée du master.
Permettez-moi de rendre un hommage très appuyé au travail que Jean-Léonce Dupont a accompli sur ce délicat dossier et à la clairvoyance qui a été la sienne quand, au début du mois de septembre, il nous a collectivement incités à prendre le sujet de la sélection en master à bras-le-corps. J’ai immédiatement adhéré à sa démarche, à son audace, en cosignant sa proposition de loi.
Dans cette dynamique impulsée par Jean-Léonce Dupont, un protocole d’accord a ensuite été signé entre le Gouvernement et la communauté universitaire, le 4 octobre dernier. Nous voici aujourd’hui, à peine trois semaines plus tard, réunis pour donner puissance législative à cet accord, qui constitue une indéniable avancée. Le Parlement, en particulier le Sénat, a montré sa réactivité.
Dans quelques semaines, deux ou trois mois tout au plus, ce texte devrait être définitivement adopté et permettre de sécuriser enfin la prochaine rentrée universitaire, et ce, en dépit d’un calendrier parlementaire terriblement contraint par les prochaines échéances électorales. Je voudrais remercier ici l’ensemble des collègues des différents groupes de notre commission, qui ont tous mesuré l’enjeu de cette réforme et eu une attitude très constructive dans nos débats et l’élaboration de notre réflexion commune.
Je soutiens sans réserve le cœur de la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont : l’instauration du principe de sélection à l’entrée en master. Il était temps que nous en parlions. En effet, depuis 2002, notre organisation, avec cette césure en plein milieu du diplôme de master, était bancale ; ni la loi LRU ni la loi ESR n’avaient pu y remédier. Il était donc plus que temps de remettre notre organisation la « tête à l’endroit » !
Comme l’a rappelé notre rapporteur voilà quelques minutes, nous sommes nombreux ici à émettre des réserves sur l’instauration du mécanisme dit de « poursuite d’études » et à refuser tout « droit au master », tout « droit inconditionnel » à la poursuite des études ; cela ne signifie évidemment pas qu’il ne faut pas se préoccuper de l’avenir et de l’accompagnement de nos jeunes. Je soutiens en tout point ce que notre rapporteur nous a dit à l’instant. Une poursuite d’études ? Oui, mais pour les étudiants qui ont un véritable projet professionnel en ce sens, avec une perspective de débouchés professionnels à l’arrivée ! Oui, mais sans dévaloriser le diplôme de master et en gardant toujours à l’esprit cette exigence de qualité, voire d’excellence, qui fait notre fierté française !
Voilà pourquoi notre commission est très attachée au dispositif d’évaluation qu’elle a inséré dans cette proposition de loi. Les trois prochaines rentrées universitaires en master devront être analysées, évaluées, décortiquées par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, le HCERES. Cette évaluation devra être remise au Parlement avant le mois de mars 2020. Soyez assuré, monsieur le secrétaire d’État, que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sera particulièrement vigilante aux enseignements qui pourront en être tirés. Bien entendu, si besoin est, le législateur prendra ses responsabilités et remettra l’ouvrage sur le métier ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mmes Maryvonne Blondin et Corinne Bouchoux applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le 1er janvier prochain, la France assurera la présidence du processus de Bologne. Ce processus permet la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur. Cela s’est traduit en France par la réforme licence-master-doctorat de 2002 visant à réorganiser l’offre de formation supérieure en fonction de ces trois niveaux de qualification.
D’une certaine manière, cette adaptation est une course d’obstacles pour notre monde universitaire, qui a besoin d’évolutions. Voilà quelques mois, nous nous sommes attaqués, avec les partenaires, au chantier des contrats doctoraux et de la formation doctorale. Aujourd'hui, nous nous réunissons sur la question du master. Dans un futur que j’espère proche, même s’il dépasse le terme de la présente législature, il faudra probablement travailler sur la licence. Nous devrons innover pour combiner les principes qui – j’en ai la conviction à vous entendre – nous servent de boussole commune. Il y a une volonté de démocratisation, car c’est sur le terrain de l’élévation des niveaux de qualification des jeunes que la compétition entre les nations se développe aujourd'hui. Mais il faut veiller à faire en sorte que cette démocratisation se conjugue avec l’excellence et la qualité des diplômes : nos jeunes doivent être armés pour leur vie personnelle et professionnelle, dont les aléas seront, à n’en pas douter, multiples dans les années à venir.
Depuis 2002, le cursus conduisant au diplôme national de master, constitué de quatre semestres répartis sur deux années consécutives, dites M1 et M2, a été conçu à partir des cycles et diplômes qui existaient antérieurement : maîtrise, diplôme d’études approfondies, ou DEA, et diplôme d’études supérieures spécialisées, ou DESS. L’organisation de ce cursus recouvre aujourd’hui une hétérogénéité de situations, certaines permettant de déployer une formation complète sur quatre semestres, d’autres conservant une procédure sélective à l’entrée de nombreux M2, héritée de l’accès limité qui existait à l’entrée des DEA et des DESS.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette situation est insatisfaisante pour tout le monde. Elle est contraire à la règle de l’indivisibilité des quatre semestres du master, dont la validation des deux premiers conditionne seule le passage en seconde année. Elle pénalise les étudiants placés devant l’impossibilité d’obtenir leur diplôme de master faute parfois d’admission en M2 et elle les contraint trop souvent à redoubler leur première année même s’ils l’ont validée. Elle est un frein à la poursuite d’études, notamment pour les étudiants issus de milieux défavorisés. Elle est juridiquement insoutenable, car elle crée des contentieux récurrents, sources d’instabilité aussi bien pour les requérants que pour les établissements mis en cause ; ayons l’actualité récente à l’esprit. Cela a d’ailleurs conduit certains établissements à organiser à l’usage l’orientation à l’entrée de la première année de master, sans base juridique ni réglementation claire, ce qui pénalisait les étudiants les moins informés. Je ne leur jette pas la pierre ; ils l’ont parfois fait parce qu’ils ne savaient pas comment gérer la situation.
La publication du décret du 25 mai 2016 relatif au diplôme national de master a, certes, permis de sécuriser les procédures d’admission à l’entrée en M2 pratiquées par certaines universités pour la rentrée universitaire de 2016. Toutefois, à l’époque, la ministre Najat Vallaud-Belkacem et moi-même avions indiqué très clairement ici même, en réponse à vos interpellations légitimes, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous souhaitions une réponse pérenne et équilibrée aux difficultés d’organisation de l’ensemble du cursus de master, à l’issue d’une large concertation rassemblant l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire.
J’insiste sur ce point. Nous n’en avons pas fini avec les défis qui pèsent sur l’enseignement supérieur français, qu’il s’agisse de sa modernisation ou de son nouveau modèle économique. Mais, à mon sens, il faut privilégier la voie de l’accord entre les membres de la communauté universitaire. Ayons une attitude adulte, une démarche de réflexion et de projection, qui conjugue l’intérêt des étudiants, de leur famille et les capacités des établissements et des enseignants-chercheurs. La recherche systématique du consensus est, me semble-t-il, la seule voie sérieuse.
Cette concertation a permis de dégager un compromis et d’aboutir à la position commune du 4 octobre 2016 entre le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et les principales organisations représentant les étudiants – UNEF, FAGE, PDE –, les enseignants et personnels – SNESUP-FSU, SGEN-CFDT, Sup’ Recherche UNSA, SNPTES – et les établissements d’enseignement supérieur, en l’occurrence la CPU et la CDEFI.
Je souhaite remercier chaleureusement ces différents acteurs. Certains ont joué un rôle moteur dans cet accord, que plusieurs parmi eux réclamaient depuis longtemps. Tous ont fait preuve de maturité, passant outre les très nombreux obstacles, qui ont parfois pu faire s’interroger sur la finalisation du processus. Je veux aussi, parce que c’est justice, remercier mes collaborateurs et ceux de Najat Vallaud-Belkacem qui ont accompagné cette démarche. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, tout n’a pas été simple.
Le compromis a été approuvé – ce fut un autre moment fort – par une très large majorité du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche lors de sa séance du 17 octobre 2016. Telle qu’adoptée par votre commission, la présente proposition de loi est la traduction législative de cette position commune visant à permettre une nouvelle organisation du master.
Monsieur le rapporteur, cette proposition de loi, amendée par Dominique Gillot en commission, prend appui sur votre initiative. Vous l’avez formalisée avec vos cosignataires à la fin de l’été ou au début du mois de septembre. L’ensemble des acteurs de la communauté et nous-mêmes avons d’ailleurs interprété votre initiative comme un appel à aboutir, de la part de personnalités ayant des convictions fortes. Je tenais à vous en remercier.
Le texte, ainsi amendé par la sénatrice Gillot, a pour principal objectif de permettre la construction d’une offre de formation de master qui se déroule pleinement sur deux années, en supprimant la barrière sélective actuelle entre la première et la seconde année de master, conformément aux attendus de la réforme LMD et aux standards internationaux, afin de permettre la nécessaire élévation du niveau de qualification des jeunes. Pour ce faire, le texte permet aux universités de mettre en place un recrutement à l’entrée de la première année du deuxième cycle, tout en garantissant à tout titulaire d’un diplôme national de licence un droit à la poursuite d’études dans un cursus conduisant au diplôme national de master. Il sécurise donc les établissements – c’était indispensable – et élargit les possibilités d’orientation des jeunes. Il vise à orienter sans empêcher. Aucun étudiant titulaire de la licence souhaitant poursuivre ses études en master ne sera laissé sans solution, sans choix, sans droit.
Tel est l’objet de l’article 1er tel que vous l’avez modifié en commission. Il permet aux universités de fixer des capacités d’accueil, après un dialogue avec le recteur, et de subordonner l’admission en première année du deuxième cycle au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Ainsi, il facilite un choix fondé sur des critères objectifs, transparents et vérifiant le niveau pédagogique ou le projet professionnel des étudiants. Les réponses à leurs candidatures devront être motivées et communiquées aux candidats. Là aussi, c’est très important.
Cet article encadre également la procédure de poursuite d’études. En effet, tout étudiant titulaire d’un diplôme national de licence qui n’aura pas reçu de réponse positive à ses demandes d’admission en première année de master se verra assurer une inscription. Il reviendra au recteur de région académique de formuler trois propositions d’inscription, dont l’une au moins concernera en priorité l’établissement dans lequel l’étudiant a obtenu sa licence lorsque l’offre de formation le permet et, à défaut, un établissement de la même région académique pour éviter une mobilité trop lourde et imposée. Ces propositions tiendront notamment compte des capacités d’accueil des établissements, du projet professionnel de l’étudiant, mais également de la compatibilité entre les mentions du diplôme national de licence et les mentions du diplôme national de master, assurant ainsi que les étudiants disposeront des prérequis nécessaires au cursus de master dans lequel une admission leur sera proposée. Vous l’avez rappelé, un décret en Conseil d’État, pris après avis du CNESER, précisera les modalités de mise en œuvre de ce droit à la poursuite d’études.
Suite à cela, ce même article supprime la barrière sélective entre M1 et M2, en précisant que « l’accès en deuxième année d’une formation du deuxième cycle conduisant au diplôme national de master est de droit pour les étudiants qui ont validé la première année de cette formation ». Cela confirme la référence à une organisation du master sur quatre semestres.
Cet article permet enfin de maintenir la possibilité de fixer par un décret pris après avis du CNESER la liste des formations dont l’accès est libre en première année de master et pour lesquelles l’admission à poursuivre en deuxième année peut dépendre des capacités d’accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Une telle disposition permettra de maintenir de manière transitoire l’organisation actuelle du master pour tenir compte de la spécificité de certaines filières dont l’inscription dans les attendus de la réforme LMD nécessitera une réingénierie importante des formations.
En commission, vous avez souhaité prévoir une évaluation par une agence indépendante, évaluation qui vous sera présentée. Cet ajout recueille pleinement notre accord. À titre personnel, je considère même qu’il faut développer les stratégies d’évaluation indépendantes des textes que nous prenons et, si nécessaire, revenir devant le Parlement pour corriger ce qui, à l’usage, mérite de l’être.
Cette réforme ne se limite pas à une simple modification législative. Il s’agit d’un ensemble de mesures concertées avec la communauté universitaire, qui en font un tout cohérent. La loi évoque le décret qui fixera plus précisément le rôle du recteur de région académique. Au-delà de ce cadre réglementaire, nous proposerons une plateforme décrivant la carte nationale des formations conduisant au diplôme national de master, afin de faciliter les candidatures des étudiants.
Lorsque la poursuite d’études s’accompagnera pour l’étudiant d’une mobilité géographique, un dispositif d’aide à la mobilité très précis et sérieux sera mis en place par l’État. Il viendra compenser ce qui peut parfois être vécu comme une sélection sociale.
Enfin, nous lancerons prochainement une réflexion avec la CPU et les organisations représentatives sur l’effet de cette réforme sur le cursus de licence, notamment sur le renforcement du suivi personnalisé prévu par l’arrêté licence du 1er août 2011 et sur les perspectives d’insertion professionnelle. Ce sera également l’occasion d’avancer vers une meilleure articulation avec la licence professionnelle.
Vous l’aurez compris, ce texte étant le résultat d’un travail de coconstruction avec les acteurs de la communauté universitaire, je me fais en quelque sorte le garant de cet accord, comme vous l’avez d’ailleurs fait vous-même, dans cet hémicycle. Si l’amélioration du texte est possible, un amendement dont l’adoption aurait pour effet de dénaturer la portée du compromis ne pourrait évidemment pas recueillir notre accord.
Je me réjouis que, pour l’examen de cette proposition de loi amendée, le Sénat ait fait la démonstration de son agilité. Le texte a été déposé en septembre, et il est examiné en séance publique à la fin du mois d’octobre. Je salue cet exercice d’intelligence parlementaire.
Un tel processus n’est pas le fruit du hasard. C’est la preuve que les parlementaires sont capables de faire avancer la loi, parce qu’ils partagent des convictions essentielles pour l’avenir de notre pays. C’est ce qui nous réunit aujourd'hui, au-delà de nos divergences politiques. Cela rend cette réforme forte, puissante. Dans le même temps, c’est prometteur pour d’autres réformes indispensables à notre système d’enseignement supérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)