Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des sujets auxquels on ne touche pas sans trembler.
Au mois de décembre 1986 décédait, à quelques rues d’ici, le jeune Malik Oussekine, tombé sous les coups de « policiers voltigeurs ». Le ministre Devaquet, chargé des universités, démissionna… Une partie de la jeunesse étudiante était dans la rue pour s’opposer à la « sélection à l’université ». Depuis lors, c’est la sélection « par l’échec » et « l’abandon anormal » aboutissant à des parcours universitaires singuliers que nous constatons, faute d’avoir pu mettre en place collectivement une remédiation et une orientation.
Je tiens à saluer les efforts de tous, en particulier du rapporteur Jean-Léonce Dupont, en amont et lors de l’examen de ce texte. Ces efforts, nous pouvons les expliquer par un constat sur lequel nous nous rejoignons tous : le deuxième cycle de l’enseignement supérieur français rencontre des dysfonctionnements et des difficultés juridiques majeurs. Il est insuffisamment soucieux du processus de Bologne et de la logique de LMD, en raison de la distinction, très franco-française, entre le master 1 et le master 2, source d’insécurité juridique non seulement pour les universités, mais aussi pour les étudiants, notamment depuis l’arrêt du 10 février 2016 du Conseil d’État. Il était urgent d’agir. Pour autant, peut-on résoudre en six mois ce que l’on n’a pas résolu en trente ans ?
Mme Maryvonne Blondin. Bonne question !
Mme Corinne Bouchoux. Le texte initial a été réécrit et revu par notre commission, afin de tenir compte de l’accord du 4 octobre 2016. Ce dernier instaure une possible, mais non obligatoire, sélection à l’entrée du master, et non plus en cours de cycle. Parallèlement, il prévoit un « droit à la poursuite d’études » pour les titulaires d’un diplôme de licence validé qui le souhaitent.
La portée du droit à la poursuite d’études a soulevé d’importants et intéressants débats au sein de notre commission. Pour certains, ce droit aurait gagné à être opposable, car il se limiterait sinon à une illusion ; pour d’autres – plutôt du côté droit de l’hémicycle –, il annihilerait le principe de sélection posé par l’accord. Néanmoins, force est de constater que l’accord initial entre différentes parties a suscité l’adhésion de la plupart des acteurs de l’enseignement supérieur. Je pense aux organisations étudiantes et aux présidents d’université, dont certains sont présents dans nos tribunes, ainsi qu’au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à d’autres acteurs dont le rôle a visiblement été apaisant ; ils ont fait en sorte qu’il n’y ait pas de malentendu de communication sur ce texte. En plus, cet accord a été approuvé à une large majorité par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce qui n’est plus si fréquent.
Cet accord est donc le fruit d’une réelle concertation et propose une solution aux difficultés rencontrées par notre deuxième cycle. Je suis convaincue de la nécessité que cette proposition de loi, ainsi parvenue à une forme d’équilibre, aboutisse. Dans un souci de mettre le plus vite possible fin au flou juridique signalé, je rejoins l’idée selon laquelle le texte devrait s’appliquer dès la prochaine rentrée universitaire. Néanmoins, ne soyons pas naïfs, sa mise en œuvre dans un laps de temps très court nécessitera un très gros travail de pédagogie auprès de tous les acteurs du monde universitaire, mais surtout auprès des lycéens, qui sont toujours prompts à se mobiliser autour de leurs établissements au nom de causes plus ou moins importantes. Autrement dit, nous devrons maintenir le dialogue pour expliquer le sens de cet accord, qui n’est pas un renoncement. Au contraire, il est le résultat d’un consensus ; la démarche est beaucoup plus positive.
Nous sommes convaincus que la sélection à l’entrée du master doit s’accompagner d’un droit à la poursuite d’études ; ce dernier doit être effectif. Tel qu’il est prévu dans l’accord, ce droit semble relativement facile à mettre en œuvre dans les métropoles, mais peut-être moins dans les villes de taille moyenne. Chacun le sait, l’offre universitaire est plus importante dans les premières ; les étudiants issus des métropoles auront donc plus de chances de trouver sur place des possibilités de deuxième ou troisième choix.
La question, cruciale, de la mobilité se pose donc pour un certain nombre de villes en région. Selon nous, elle doit attirer toute notre attention dans la mise en œuvre du texte ; il y va de l’effectivité du droit à la poursuite d’études et de la réussite du processus. Il faudra mener une réflexion sur le coût des transports, des déménagements et du logement ; tous les étudiants ne pourront peut-être pas y faire face. L’effectivité de la réforme pour toutes les étudiantes et tous les étudiants, quelles que soient leurs origines sociales, dépendra donc du déploiement de moyens et de l’accompagnement, notamment pour les boursiers.
À nos yeux, la solution apportée pour l’entrée en M1 masque en réalité une autre question beaucoup plus profonde : celle de l’orientation tout au long de la vie. Mme la présidente de la commission de la culture y a fait référence. Nous pensons qu’il faut en France une orientation beaucoup plus individualisée – cela nécessite des moyens –, beaucoup plus souple, avec un droit à l’erreur.
Vous l’avez compris, nous souhaitons donner une chance à la traduction législative de l’accord du 4 octobre 2016. Nous remercions donc les auteurs de cette proposition de loi, qui est désormais un texte à deux voix : celle de Jean-Léonce Dupont et celle de Dominique Gillot.
Nous espérons que, pour l’avenir, nous formerons à la pédagogie les enseignants-chercheurs. À l’heure de la formation tout au long de la vie, être capable de remédier aux lacunes des étudiants et à leurs difficultés d’adaptation est un défi que nous devrons tous relever. Nous faisons confiance à l’intelligence collective.
Certains voudraient supprimer le Sénat ; je me permets de leur dire que ce n’est peut-être pas une très bonne idée. (Marques d’approbation sur plusieurs travées.)
Mme Maryvonne Blondin. Bravo !
Mme Corinne Bouchoux. La soirée d’aujourd'hui montre que le Sénat est aussi le lieu de l’intelligence collective, où nous avons, pour l’essentiel, notre carrière derrière nous, et pas devant nous.
Monsieur le secrétaire d’État, nous espérons que la pédagogie sera mise en œuvre au retour des vacances. Aujourd'hui, les lycéens et les étudiants sont en vacances. Mais, dans dix jours, nous devrons leur expliquer que ce texte, loin d’être un signe de défiance, est au contraire une chance pour notre jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dès 1999, la France s’est engagée dans le processus de Bologne, qui vise à harmoniser l’architecture du système européen d’enseignement supérieur. Cette architecture est basée sur trois cycles – licence, master et doctorat –, définis en 2002. Elle s’est précisée au fil des années et des sommets, d’ailleurs difficilement ; l’intervention détaillée de notre rapporteur en décrivait bien les aléas.
En 2013, la loi Enseignement supérieur et recherche a introduit l’insertion professionnelle dans les missions de l’enseignement supérieur, insistant sur la réussite en premier cycle, avec le plan consacré à la licence, l’accompagnement des parcours, la qualité de vie étudiante et la synergie entre enseignement supérieur et recherche.
Depuis ces années, un grand nombre de difficultés perdurent : une disparité inacceptable dans le deuxième cycle, y compris sur un même site ; un étranglement entre le M1 et le M2 ; une angoisse récurrente chez les étudiants qui ne sont pas assurés de pouvoir poursuivre sereinement en deuxième année de leur master engagé.
L’entrée en deuxième cycle universitaire, période décisive, peut être bien complexe pour un étudiant. Il doit définir son périmètre de mobilité, rechercher sur les sites des établissements visés les formations correspondant à son projet professionnel, prendre connaissance des évaluations du HCERES, rédiger autant de lettres de motivation et de dossiers de candidature que nécessaire, puis attendre de savoir s’il sera retenu, et où ! Il doit aussi anticiper que toutes ces étapes pourront se reproduire l’année suivante pour entrer en deuxième année de ce master et poursuivre son cycle.
Pour les établissements, notamment pour ceux qui ont choisi de limiter le nombre de places de leur master pour assurer un certain niveau de suivi pédagogique, un certain niveau d’accompagnement des stages, d’encadrement de la rédaction des mémoires, chaque rentrée se fait avec le risque d’être poursuivis devant le tribunal administratif.
La situation n’est satisfaisante pour personne. Le décret ministériel que vous avez signé au mois de mai dernier, monsieur le secrétaire d’État, pour sécuriser la rentrée de 2016 ne pouvait pas tenir bien longtemps. La polémique, dogmatique, risquait d’enfler et de compromettre toute recherche d’équilibre.
Il aura fallu le courage du Gouvernement pour ouvrir les discussions avec des partenaires jugés inconciliables et faire preuve d’une volonté pugnace pour aboutir à un accord avec tous les acteurs de la communauté universitaire autour d’un recrutement en master respectant les enjeux dégagés et partagés : assurer l’élévation du niveau de qualification de nos étudiants ; relever le pari que l’essor de notre pays passe par la diversification des origines sociale et géographique de ses cadres ; respecter, enfin, les engagements du processus de Bologne ; ne laisser personne sans diplôme et impérativement assurer une continuité avec la licence, en sécurisant bien les parcours ; prendre en compte les contraintes liées aux flux entrants ; rechercher une plus grande équité entre les parcours d’enseignement supérieur et rendre les filières universitaires plus attractives grâce à un meilleur recrutement, à un meilleur accompagnement et en imposant des exigences de réussite.
La proposition de loi de Jean-Léonce Dupont visant à instaurer une sélection dès l’entrée en master, déposée en septembre 2016, a devancé l’accord conclu le 4 octobre dernier. C’est le respect de cet accord qui a conduit la commission, après avis favorable du rapporteur, à adopter un amendement que j’avais déposé tendant à transcrire l’accord dans le texte de la proposition de loi dont nous débattons ce soir. Ce texte, lorsqu’il sera adopté, garantira le processus master sur ses quatre semestres, sans barrière en fin de premier cycle. Il s’appuiera sur une vraie carte des masters, plateforme qui rendra visible l’ensemble des filières sur tout le territoire, et permettra des choix éclairés et une orientation transparente.
Enfin, ce texte, qui reprend les termes d’un compromis issu de la concertation loyale et sincère de l’ensemble de la communauté universitaire, instaurera le droit à la poursuite des études.
Les établissements procéderont par concours ou sur dossier au recrutement en première année de master quand leur conseil d’administration aura voté une capacité d’accueil, négociée avec l’État et validée par le recteur, chancelier des universités. Chaque décision des jurys de recrutement sera motivée et notifiée à l’étudiant. Un étudiant qui n’aura pas été admis se verra proposer une inscription dans trois formations tenant compte de son projet professionnel, en privilégiant autant que faire se peut son établissement d’origine.
La mise en œuvre de ce droit à la poursuite des études, sous la responsabilité du recteur de la région académique, suppose trois conditions.
Elle suppose tout d’abord une meilleure visibilité de l’offre de formation pour chaque domaine. La cartographie nationale de l’offre de formation, déjà en expérimentation dans certaines régions, répondra à cette nécessité, réduisant les biais dans les choix des candidatures, et garantira que les propositions des recteurs seront au plus proche des attentes des étudiants.
Elle suppose ensuite un travail en bonne intelligence entre les recteurs et les établissements pour offrir la meilleure solution possible aux étudiants. Depuis le début de l’été, afin de trouver des pistes pour les étudiants malheureux du tirage au sort à l’entrée en licence, les équipes ont fait preuve d’engagement et de solidarité. Elles ont su augmenter leur capacité d’accueil et même contacter d’autres établissements quand il leur restait des places à pourvoir. Nous sommes donc quelque peu rassurés sur ce point, qui suscite encore des craintes.
Elle suppose enfin que la mobilité encouragée des étudiants sur le territoire ne soit pas tributaire de leur capacité financière pour être épanouissante. L’État devra veiller à la possibilité de poursuivre en deuxième cycle. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons vos engagements sur ce point.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me semble que ces trois conditions sont aujourd'hui réunies, et je ne suis pas la seule à le penser. L’ensemble des organisations étudiantes représentatives, sans aucune exception, défendent ce texte qu’elles ont signé. Les enseignants, les enseignants-chercheurs, les présidents et les directeurs d’établissement, via leurs syndicats et leurs conférences, le soutiennent aussi.
Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, réuni en session plénière le 17 octobre dernier, a voté très majoritairement, à 71,4 %, pour la mise en œuvre réglementaire du texte issu des travaux de la commission. Un tel niveau d’adhésion est suffisamment rare au CNESER pour le signaler, s’appuyer dessus et s’en réjouir !
Le calendrier parlementaire est connu de tous. Défenseurs de l’enseignement supérieur de qualité dans notre pays, de l’égalité d’accès aux études supérieures réussies, nous devons mobiliser nos efforts pour sécuriser la rentrée universitaire prochaine, dont les inscriptions, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, commencent à la fin du printemps. Pour cela, il importe de permettre l’instauration de cette réforme souhaitée et attendue en adoptant ici, au Sénat, ce texte, qui devra ensuite être voté conforme à l’Assemblée nationale.
Le groupe socialiste et républicain, auquel j’appartiens, votera cette proposition de loi dans un esprit de responsabilité et avec le sentiment, monsieur le secrétaire d'État, de contribuer au mouvement engagé de progrès et de modernisation de l’enseignement supérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir débattu, la semaine dernière, des conclusions du rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel consacré à l’orientation scolaire, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système LMD.
Ces questions pourraient sembler étrangères l’une à l’autre ; il n’en est rien, elles sont intimement liées. Je signalais, la semaine dernière, la situation difficile des universités françaises, qui résulte de la massification de l’enseignement supérieur et du doublement des effectifs étudiants depuis les années quatre-vingt. Je tiens néanmoins à rendre hommage à Thierry Mandon pour la sanctuarisation des crédits cette année. Je serai néanmoins vigilant, gardant à l’esprit le coup de rabot qui avait été donné l’année dernière par les députés. Nous espérons tous que cela ne se reproduira pas cette année.
On peut, bien sûr, se féliciter de constater que la proportion d’enfants d’une classe d’âge diplômés de l’enseignement supérieur a atteint des sommets autrefois inaccessibles. Cependant, toute médaille a son revers : en la matière, le revers est effrayant, et à double titre. Pour affronter l’échec et le décrochage, la solution passerait peut-être non pas seulement par la massification, mais également par la diversité des parcours.
D’abord, le diplôme ainsi obtenu ne constitue plus, tant s’en faut, une garantie de trouver un emploi. Ainsi que l’expose très justement notre collègue Dupont dans son rapport, la situation des diplômés de l’enseignement supérieur ne trouvant pas leur juste place sur le marché du travail est doublement difficile, car ils doivent souvent choisir entre le chômage et le déclassement.
Ensuite, les universités n’ont pas vu leurs dotations croître dans des proportions comparables à l’augmentation des effectifs. Qu’il s’agisse de moyens humains ou financiers, on demande donc aux universités de faire beaucoup plus, à moyens constants. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez reçu une lettre de la CPU dans laquelle il était question d’insécurité, d’insincérité et surtout peut-être de budgets déficitaires.
Une telle situation est littéralement intenable à long terme, soyons-en conscients. Elle porte en elle le germe d’une détérioration de la qualité du service offert et fait craindre l’avènement d’un système d’enseignement supérieur à deux vitesses : d’un côté, l’université gratuite non sélective dispensant un enseignement de masse de faible qualité ; de l’autre, les établissements payants sélectifs disposant de moyens considérables pour offrir une formation de qualité à des étudiants choisis parmi les meilleurs. Est-ce vraiment cela que nous souhaitons construire ?
Je félicitais, la semaine dernière, notre collègue Kennel de proposer la mise en place d’une sélection raisonnable à l’entrée de l’université dans les filières sous tension. Jean-Léonce Dupont a évoqué trois filières : le droit, la psychologie et les STAPS. Est-il normal qu’il y ait un droit de tirage ?
Je renouvelle mes félicitations, mais je souhaiterais insister sur le lien entre, d’une part, le refus dogmatique et socialement injuste de la sélection à l’entrée de l’université et, d’autre part, la nécessité d’une sélection en master : l’absence de la première rend la seconde absolument nécessaire.
Faut-il que cette sélection ait lieu en première ou en seconde année de master ? J’avoue qu’il me semblerait raisonnable, sur une telle question, de reconnaître la plus grande liberté aux universités. Toutefois, dans la mesure où les dispositions de ce texte, telles qu’elles résultent des travaux en commission, confèrent une certaine souplesse en prévoyant le principe de la sélection à l’entrée en M1 et la possibilité transitoire d’une sélection retardée à l’entrée en M2, celles-ci me semblent très acceptables.
L’instauration d’un droit à la poursuite d’études en master m’interpelle, notamment en raison du risque de dévalorisation du master. J’ai bien compris, monsieur le secrétaire d'État, que le véhicule législatif emprunté par notre collègue Jean-Léonce Dupont était peut-être une aubaine. Quoi qu’il en soit, nous nous interrogeons sur cet accord historique, car nous avons peur de cette université à deux vitesses. Nous avons auditionné ce matin des étudiants qui craignaient l’émergence de masters « poubelles » opposés à des masters de qualité. Nous voudrions attirer votre attention sur cette inquiétude. Le risque est grand, surtout, de conduire à la création de masters spécifiquement tournés vers l’accueil des refusés.
Nous sommes inquiets de cette université à deux vitesses, mais inquiets aussi de la mise en place opérationnelle par le recteur, chancelier des universités, qui aura une lourde tâche. La formulation retenue par la commission pour l’article L. 612-6, alinéa 3, du code de l’éducation me semble toutefois de nature à éviter ces risques.
J’aimerais, enfin, vous faire part d’une réserve d’interprétation quant à une phrase relevée dans le rapport. Celui-ci mentionne que « la sélection est aussi l’assurance de recruter des étudiants de haut niveau dans les formations de haut niveau que sont les masters puis, a fortiori, les doctorats ». Cette affirmation est tout à fait pertinente, et je la fais mienne sans hésiter. Cependant, la phrase qui suit immédiatement me semble susceptible d’une interprétation que j’aimerais écarter. Il y est affirmé que c’est « à partir de ce niveau de formation universitaire » – c'est-à-dire le master – « que les étudiants bénéficient pleinement de l’activité de recherche de leurs enseignants ».
Une lecture a contrario de cette phrase pourrait conduire à relativiser l’importance de la recherche pour les universitaires enseignant en premier cycle, ce qui me semblerait infondé. Je crois en effet très important d’affirmer l’immense intérêt et la chance inouïe des étudiants de pouvoir bénéficier, dès la première année, de cours dispensés par des enseignants de très haut niveau, parce qu’ils sont pleinement investis dans leurs missions de recherche. Je suis convaincu que, parce qu’ils constituent le socle sur lequel reposent toutes les matières enseignées par la suite, les enseignements de licence doivent se nourrir, en permanence, des recherches menées par l’enseignant.
Le premier cycle universitaire ne peut pas et ne doit pas être réduit à un prolongement du lycée. Il me semble dès lors capital de maintenir l’intérêt, pour les professeurs les plus brillants et les mieux investis dans leurs activités scientifiques, qu’il peut y avoir à prendre en charge de jeunes étudiants. C’est aussi cela qui permettra à l’université française de remplir ses importantes missions.
Monsieur le secrétaire d'État, en commission, nous avons beaucoup débattu, notamment avec Bruno Retailleau, que je salue, du droit à poursuivre des études, sujet qui nous inquiétait et sur lequel nous éprouvions des réserves. Nous ne sommes ni dupes ni complices, mais tout simplement pragmatiques. Depuis 2002, l’ensemble de la communauté éducative et surtout les étudiants attendent une sécurité plus importante dans le suivi des études. Après les prochaines échéances électorales de 2017, viendra peut-être le temps d’une refondation pas simplement de l’école, mais aussi de l’université. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, personne ne conteste plus aujourd’hui l’exigence d’élévation du niveau des connaissances. Nous revendiquons pour notre part cette élévation pour tous et toutes, considérant qu’il s’agit d’une condition pour que notre société puisse faire face à son propre développement. La France a d’ailleurs pris dans ce domaine des orientations importantes via la stratégie nationale de l’enseignement supérieur. Celle-ci fixe un cap clair : porter à 60 % d’une classe d’âge, contre 42 % aujourd’hui, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur. Cela impose, selon nous, de réinterroger la question des capacités d’accueil et des moyens budgétaires.
La StraNES propose de consacrer 2 % du PIB à l’enseignement supérieur et, surtout, d’exclure ces dépenses des calculs des déficits publics. Les derniers projets de loi de finances nous placent bien loin de cette ambition ! De plus, les difficultés budgétaires des universités consécutives à la loi LRU et au passage aux RCE ne sont pas derrière nous. De nouvelles inquiétudes s’expriment en cette rentrée 2016 face à l’inadaptation des moyens par rapport à l’afflux de nouveaux étudiants, d’autant qu’après cette rentrée se profilent 30 000 à 40 000 nouvelles arrivées pour 2017. Voilà dans quel contexte nous débattons aujourd’hui !
L’accord du 4 octobre signé par la quasi-totalité des organisations représentatives prévoit la mise en place d’une plateforme sur laquelle les étudiants saisiront leurs vœux de master et sur laquelle les universités se sont engagées à rendre publics et transparents les capacités d’accueil, les prérequis… Cette plateforme est une bonne chose. Cette transparence devrait d’ailleurs être généralisée à l’ensemble des cycles.
Que prévoit le texte que nous examinons ce soir ?
Conformément à l’accord du 4 octobre, il vise à apporter une réponse à la mise en œuvre inachevée du système LMD, issu du processus de Bologne, processus auquel, je le rappelle, mon groupe était opposé. Il s’agit donc de légaliser la barrière « sélective », actuellement pratiquée par les universités entre le M1 et le M2, pour la déplacer à l’entrée du master, et de modifier en conséquence le code de l’éducation. Or nous continuons de défendre le principe d’une non-sélection dans la poursuite des études supérieures, ce qui n’exclut pas – bien au contraire ! – d’améliorer les processus d’orientation.
Certes, l’accord prévoit en contrepartie un « droit à la poursuite d’études en master », fruit du compromis obtenu le 4 octobre. Cela fait d’ailleurs réagir les partisans de la sélection sèche, qui la revendiquent dès l’entrée à l’université, couplée à une hausse des frais d’inscription.
Comment pourrait se déployer ce « droit » à la poursuite d’études en master qui, dans la proposition de loi, n’est pas nommé comme tel, étant entendu que ce sont les conseils d’administration des universités qui fixent leurs capacités d’accueil ? Ce dernier point, en revanche, est bien précisé dans le texte.
L’étudiant dont les premiers vœux de master n’auront pas abouti devra demander au recteur le déclenchement du dispositif qui comprendra trois propositions. L’une, au moins, devra tenir compte de son projet professionnel et de l’établissement où il a obtenu sa licence. Il appartiendra au recteur, en « dialogue » avec les universités, de lui trouver une place en master.
L’accord prévoit que cette demande formulée par l’étudiant pourra se faire immédiatement après l’obtention de la licence ou de manière différée. La proposition de loi omet cette précision importante ; nous avons déposé un amendement pour y remédier.
Deux propositions pourront donc concerner une place en master hors de son établissement d’origine, dans des régions académiques, pour certaines, très élargies du fait de la loi NOTRe. Dès lors, notre inquiétude fondamentale réside dans la capacité d’accompagnement pédagogique et d’aide à la mobilité géographique des étudiants, notamment au travers du volet financier.
Le Gouvernement a indiqué qu’il n’ouvrirait pas dans le projet de loi de finances pour 2017 une ligne budgétaire dédiée, donc pérenne, et que le financement s’opérera par redéploiement budgétaire, grâce à une sous-consommation « estimée » du dispositif ARPE, voté cet été. Autant dire que les capacités de mobilité risquent d’être faibles. C’est pourquoi je propose une solution pour abonder ce fonds d’aide à la mobilité via un redéploiement, très partiel je vous rassure, du dispositif du crédit d’impôt recherche dédié – faut-il le rappeler ? – aussi à l’embauche de jeunes docteurs, donc à leur formation.