M. Martial Bourquin. Alors, ne soyez pas caricatural !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je le serai aussi peu que vous, donc ce sera difficile de ne pas l’être…
Cette disposition revêt une portée juridique particulièrement incertaine : selon les personnes que j’ai entendues en audition lors de la première lecture, soit il s’agit d’un simple rappel du droit commun de la responsabilité, auquel cas cette disposition est inutile, soit il s’agit de la création implicite d’un nouveau régime de responsabilité pour faute d’autrui – par exemple, la responsabilité de la société mère pour la faute d’un sous-traitant étranger ayant causé un dommage – destiné à trouver un moyen d’indemnisation, et, dans ce cas se pose un problème constitutionnel au regard du principe de responsabilité.
Le débat ne porte donc pas du tout sur l’obligation de moyens ou de résultat, comme le prétend l’objet de l’amendement.
La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas fait la distinction entre un sous-traitant et une filiale ; c’est tout de même un sacré problème !
Vous nous donnez une leçon de droit en vous appuyant sur l’exemple d’un sous-traitant, mais un sous-traitant n’est pas une filiale. Une filiale est une entreprise dont un groupe détient la majorité du capital. Or, justement, quand des problèmes émergent, ils impliquent souvent des filiales.
Toutes les argumentations que vous avez exposées présentent un véritable problème. Premièrement, vous dites que la compétitivité ne peut se fonder sur l’éthique ; or les entreprises françaises du CAC 40 ont, dans leur majorité, décidé de favoriser leur compétitivité grâce à l’éthique.
M. Martial Bourquin. Deuxièmement, vous demandez pourquoi la France devrait s’inscrire dans un tel projet alors que les autres pays européens ne le font pas. Eh bien, allons-y et essayons d’entraîner l’ensemble des pays européens ; faisons en sorte que la productivité et la compétitivité soient favorisées par l’éthique.
Je vous signale que des centaines, voire des milliers d’enfants sont victimes de cette situation. On observe de par le monde des comportements inacceptables et, pour notre pays, qui est le pays des droits de l’homme, c’est épouvantable. Il semble donc évident qu’il faut responsabiliser les sociétés mères par rapport à leurs filiales et nous devrions tous nous retrouver sur un tel sujet.
Sachez enfin que nous sommes observés sur de tels sujets et que se cacher derrière le droit comme vous l’avez fait, avec une mauvaise interprétation, me paraît peu élégant.
M. le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.
Article 3
L’article L. 225-102-1-1 du code de commerce est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
L’amende civile encourue en application des mêmes articles est prononcée en monnaie locale, compte tenu de la contre-valeur dans cette monnaie de l’euro.
La parole est à M. Didier Marie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4 (nouveau)
L’article L. 225-102-1-1 du code de commerce, tel qu’il résulte de l’article 1er de la présente loi, est applicable à compter du rapport mentionné à l’article L. 225-102 portant sur le premier exercice ouvert après la publication de la présente loi.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Il s’agit, là encore, d’un amendement de coordination avec le rétablissement du texte de l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après la référence :
L. 225-102
insérer les mots :
du même code
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est très important, car il témoigne d’une volonté, celle de faire en sorte que les sociétés mères exercent toute leur responsabilité à l’égard de l’action de leurs filiales dans le monde tel qu’il est, c’est-à-dire dans un monde marqué par l’exploitation. Mon collègue Martial Bourquin évoquait les enfants ; par ailleurs, on connaît et on garde en mémoire les accidents qui ont eu lieu, en particulier au Bangladesh.
Vous avez adopté en première lecture, monsieur Frassa, une méthode consistant à supprimer les articles un par un : à la fin du débat, il n’y avait donc plus de texte. Vous avez adopté cette fois-ci une méthode un peu plus subtile : vous édulcorez tellement le texte que, à la fin, il n’en reste plus rien non plus. Néanmoins, la méthode a changé et je vous en donne acte.
Quel est le fond de l’affaire ? Le Parlement et le Gouvernement français peuvent-ils prendre des dispositions qui montrent le chemin, non seulement pour nous, mais encore pour d’autres ? MM. Marie et Durain l’ont rappelé, le même débat a lieu ailleurs. Des initiatives sont d’ailleurs prises en ce sens tant dans d’autres pays qu’à l’échelon européen. Il nous appartient donc d’aller dans le même sens.
Certains, comme M. Dassault, nous disent que l’adoption de telles dispositions entraînera la ruine des entreprises françaises, qui subiront des contraintes que d’autres n’auront pas. Pardon de me répéter, puisque j'y ai déjà fait référence en commission : Victor Schœlcher siégeait dans cet hémicycle, au deuxième rang derrière vous, monsieur le ministre. Je ne sais si, au XIXe siècle, on lui a dit que l’abolition de l’esclavage dans notre seul pays entraînerait un préjudice considérable pour l’industrie française, car les autres pays continueraient de recourir à l’esclavage, mais il a tenu bon et la France, la République française, a souvent tenu bon !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut sans doute apporter des précisions juridiques au texte et cela sera fait, M. le ministre l’a dit, mais, sur le fond, c’est bien ceci qui est en cause : montrer le chemin pour garantir le respect des droits des êtres humains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Joël Labbé et Yvon Collin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je trouve que cette argumentation fondée sur la culpabilisation a quelque chose d’assez déloyal.
Je souhaite pour ma part revenir au fond du texte. On peut regretter que les informations demandées sur les mesures de sauvegarde, qu’il s’agisse du texte sénatorial ou de celui de l’Assemblée nationale, se limitent aux seules sociétés mères cotées en bourse et ne s’appliquent pas à toutes les entreprises d’une certaine taille, notamment aux entreprises à capitaux publics. Il me semblerait en effet plus logique de viser toutes les entreprises et non une seule catégorie d’entre elles en raison de leur capital et de leur actionnariat.
Pour aborder positivement ce texte, plutôt que de faire de grandes déclarations et de nous donner bonne conscience avec des mesures qui, de toute façon, n’auront pas d’effectivité lorsqu’elles feront l’objet d’un contrôle – il s’agit donc surtout de se faire plaisir –, proposons quelque chose. Je suggère donc que, bien que cela relève du domaine réglementaire, on intègre ce rapport de sauvegarde et de prévention des risques parmi les critères pris en compte dans l’appréciation de la valeur technique d’une entreprise dans le cadre de l’attribution d’un marché public. Cela aurait un impact réel, concret. C’est peut-être plus modeste, moins ambitieux, mais cela correspondra à une réalité de fonctionnement.
Par ailleurs, en ce qui concerne la directive européenne et la démarche du Sénat, ne faites pas de procès d’intention à la majorité sénatoriale, dont je fais bien entendu partie. Je pense que nous avons le même objectif, la même volonté ; simplement, vous cherchez une formule idéale quand nous visons plus modestement, pour notre part, des mesures plus concrètes et applicables dans la réalité.
Le groupe UDI-UC votera le texte de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Au terme de ce débat, je veux saluer les personnes avec lesquelles j’ai travaillé, en particulier les syndicalistes travaillant à l’échelon international qui ont rencontré des syndicalistes et des salariés d’entreprises comme celles qu’abritait le Rana Plaza. Ils nous ont fait part de l’action importante que ces syndicats mènent pour qu’évoluent, dans leur propre pays, les droits des salariés et les droits humains en général. Je place beaucoup d’espoir dans la relation qu’entretiennent les syndicats de nos pays avec ceux de ces pays-là.
Je veux également souligner l’action des ONG qui sont à l’initiative, me semble-t-il, de ce texte, comme le collectif Éthique sur l’étiquette, que j’ai rencontré.
Les consommateurs et les associations de consommateurs – je pense en particulier à l’Association pour l’information et la défense des consommateurs salariés, INDECOSA-CGT –, avec lesquels j’ai travaillé, sont parfaitement conscients des enjeux. Or les choses bougeront aussi grâce à la prise de conscience de la société civile.
Je ne crois pas, mon cher collègue, qu’il s’agisse de se donner « bonne conscience » ni de « se faire plaisir ». Présenter les choses ainsi relève, là encore, de la caricature et fait fi des convictions des uns et des autres. Vous avez des convictions, nous en avons d’autres et nous essayons tous de les défendre au mieux.
Que le débat fasse apparaître la vérité de chacun ! C’est la raison pour laquelle j’ai trouvé de débat très intéressant, en particulier l’intervention de M. Dassault. Grâce à lui, les choses étaient claires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est, pour le groupe écologiste, un texte clef et un marqueur qui fait avancer les choses, même si c’est d’un petit cliquet. Ce n’est qu’un plan de vigilance, certes, mais il s’agit d’un marqueur majeur.
M. Sueur évoquait les temps de l’esclavage, mais, si l’on y regarde bien, n’est-ce pas une forme d’esclavage des temps modernes que de demander à des gens, y compris des enfants, à l’autre bout du monde, de travailler pour trois fois rien dans des conditions parfois abominables ? Tout cela pour assurer le confort de ceux qui, dans les sociétés occidentales, en ont encore les moyens ! Le fonctionnement du monde et le grand marché mondial doivent être remis en question.
J’entends, par ailleurs, parler de bonne conscience ; c’est blessant pour ceux qui se battent contre ce système !
Outre les syndicats, qu’Évelyne Didier vient d’évoquer, le Sénat a entendu des associations et des ONG membres d’un même forum, à savoir le collectif, que j'ai déjà cité, Éthique sur l’étiquette, mais aussi Amnesty International, les Amis de la terre, CCFD-Terre solidaire et Sherpa. Or les membres de la société civile organisée, qui représentent l’opinion politique française de manière grandissante, sont convaincus que l’on ne peut continuer ainsi.
Il est important de donner à notre population des signes sur le virage à prendre. Avec cette proposition de loi, nous sommes en plein dans le sujet de la COP 21 ! Que le texte soit sur la table aurait peut-être mérité que nous nous abstenions, mais il a tellement été vidé de sa substance que nous allons voter contre, non sans désespoir. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Tout d'abord, je veux réitérer mes remerciements au Gouvernement, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une semaine qui lui était réservée. Sans cette initiative, le texte n’aurait pu être examiné aujourd'hui et, surtout, il aurait risqué de ne pas aboutir avant la fin de la législature.
Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà indiqué dans la discussion générale, nous attendons que son examen par le Parlement se poursuive, de telle sorte que le décret puisse paraître avant cette échéance.
Au-delà du débat juridique, qui est bien évidemment tout à fait normal, la présente proposition de loi peut donner lieu à des points de vue différents. Nos discussions ont permis une clarification politique, ainsi que ma collègue Évelyne Didier vient de le souligner.
À cet égard, je remercie très sincèrement M. Dassault de s’être exprimé : son intervention nous a permis de connaître le fond de la pensée des sénatrices et sénateurs qui soutiennent la position du rapporteur, loin des circonvolutions dont use celui-ci. En réalité, il s'agit tout simplement de refuser de mettre en place un devoir de vigilance, en considérant que la compétitivité prime l’éthique !
Pour ce qui nous concerne, nous pensons l’exact inverse.
Mme Élisabeth Lamure. Vous n’êtes pas réalistes !
M. Didier Marie. Nous considérons que compétitivité et éthique sont compatibles. Mieux, nous estimons que l’éthique permet un différentiel positif de compétitivité pour nos entreprises, car les consommateurs d’aujourd'hui attendent et demandent de la transparence.
Ils attendent et demandent que les produits qu’ils achètent soient fabriqués dans des conditions dignes, respectant les droits humains et l’environnement. Aucun de nos concitoyens n’accepterait aujourd'hui d’acheter un tee-shirt taché de sang ou un smartphone fabriqué avec des composants issus de ce qu’une ONG appelle « les minerais de sang » !
M. Henri de Raincourt. Surtout s’il s’agit du Galaxy Note 7…
M. Didier Marie. Enfin, accepter et mettre en œuvre un devoir de vigilance, c’est aussi refuser la pression à la baisse qui est exercée sur nos standards nationaux en matière de protection sociale et de droits humains. En effet, si les grandes entreprises européennes, notamment françaises, sont autorisées à perpétuer leurs pratiques malheureuses dans un certain nombre de pays, il serait logique que ces pays nous demandent un abaissement des standards de production qui sont les nôtres, dans un souci de compétitivité.
Certes, le rapport entre compétitivité et éthique est complexe, mais nous considérons que l’éthique doit être prise en compte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je soutiens totalement le texte, tel qu’il nous a été présenté par notre rapporteur, M. Frassa.
Je veux apporter un témoignage. J’étais chargé du commerce extérieur de la France lors de la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce. Alors que nous défendions des clauses à la fois sociales et environnementales, nous avons soulevé l’hostilité déterminée de toute une série de pays, qui avaient accédé à l’industrie tardivement.
Les représentants de ces pays nous tenaient un discours parfaitement cohérent : « Si les pays occidentaux, qui disposent d’à peu près tous les avantages – la technologie, les outils de production, la propriété industrielle, la détention des centres de recherche… –, nous imposent des clauses environnementales ou sociales que nous sommes incapables de respecter aujourd'hui, nous, pays moins favorisés, ne vendrons plus aucun de leurs produits ».
Et ils nous rappelaient, à juste raison, que certaines étapes, au démarrage, nécessitent un certain nombre de sacrifices. Chers collègues, vous avez évoqué le combat pour l’abolition de l’esclavage de Victor Schœlcher, mais je rappelle que, à la même époque, Villermé publiait son rapport sur les conditions de travail, notamment celles des enfants, qui prévalaient dans la France industrielle du XIXe siècle. (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.)
Faut-il se résigner ? Je ne le pense pas. Faut-il légiférer ? Je suis convaincu qu’il s’agit là de bonne conscience, monsieur Labbé. Le véritable atout, le véritable partenaire de l’évolution sociale, c’est le consommateur.
Or nous constatons aujourd'hui que les consommateurs recherchent, pour une fraction importante d’entre eux, des produits équitables, à l’instar des produits labellisés dans le domaine de l’environnement – la forêt, par exemple. Par ailleurs, toute une série de nouveaux pays industriels sont en train d’épouser la cause des clauses sociales, naturellement par respect pour leur population, mais aussi, de manière certainement bien plus déterminante, pour retrouver le soutien des consommateurs riches des pays occidentaux, États-Unis ou États européens.
J’ajoute que nous avons la responsabilité de l’industrie française. À ce titre, nous avons des salariés à faire vivre. Puisque nous sommes amenés à vendre un certain nombre de produits dans des pays avec lesquels nous sommes en compétition, nous sommes bien obligés de bénéficier de ces contreparties !
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, je trouve quelque peu dommage que nous sombrions aujourd'hui dans une espèce de jeu politique (M. Martial Bourquin proteste.), qui consiste à cliver, alors que, au final, nous le savons tous, nous sommes d’accord sur l’essentiel, qui est la nécessité d’agir pour les travailleurs exploités.
Ce que je retiens aujourd'hui, c’est que le Sénat affirme une volonté forte, celle de transposer la directive européenne relative au devoir de vigilance aux entreprises.
Ce premier pas est essentiel, et nous devrions tous nous réjouir de l’avoir franchi !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, je veux réagir à l’intervention de Gérard Longuet.
À vous entendre, cher collègue, on ne saurait faire autrement que de sacrifier des générations pour que les pays moins développés que le nôtre puissent l’être un peu plus demain, et ce sera alors seulement que l’on pourra évoquer la question sociale.
Les conséquences de ces propos sont dramatiques. Il s'agit tout de même d’enfants qui vivent dans des conditions absolument pitoyables ! Dois-je rappeler que la France est le pays des droits de l’homme ?
Par parenthèse, sur un plan strictement politique, je suis surpris de la différence d’appréciation entre députés et sénateurs de droite. Il faudra que l’on nous en explique les raisons !
Tout à l'heure a été évoquée la mémoire de Victor Schœlcher, l’un des plus éminents sénateurs qui aient siégé sur les travées où nous siégeons aujourd'hui. Voilà quelques générations, ce sont les mêmes arguments qui étaient échangés sur le problème de l’esclavage : le débat était strictement identique !
Pour ce qui me concerne, je suis fier de siéger sur les mêmes travées que Victor Schœlcher et Victor Hugo. Ce dernier disait : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Ayons le courage d’ouvrir nos ailes pour les enfants, pas pour les enfants de demain ou d’après-demain, mais pour ceux d’aujourd'hui ! Tel est le sens de cette proposition de loi, que soutient le Gouvernement. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Notre collègue Gérard Longuet évoquait les rapports d’État à État, mais il s’agit bien aujourd'hui d’aborder la responsabilité des sociétés mères et de leurs filiales ! Ce n’est pas du tout le même sujet. Il s’agit de faire en sorte qu’une entreprise dont une filiale impose des conditions de travail mettant en cause les droits humains puisse voir sa responsabilité engagée.
Au demeurant, pourquoi ces entreprises recourent-elles au moins-disant social et à des conditions de travail effroyables ? Parce que, souvent, elles ne veulent pas investir en France. Il est parfois bien plus simple de recourir à des ateliers, où peuvent survenir des accidents épouvantables, comme on l’a vu, que de robotiser et de moderniser sur notre sol. Souvent, l’attitude des filiales qui ne respectent pas les droits humains doit être mise en relation avec des délocalisations et un certain sous-investissement.
Franchement, opposer l’éthique et la productivité me paraît une erreur fondamentale. Aujourd'hui, on voit de grandes entreprises – j’en connais – décider de réinvestir et de moderniser en France, parce qu’elles se rendent compte des limites des pratiques que nous dénonçons.
Pour terminer, je veux dire que nos positions ne relèvent pas d’un jeu politicien. Ce qui s’est passé au Rana Plaza est épouvantable. Il faut savoir que de telles catastrophes se produisent encore aujourd'hui dans plusieurs pays du monde ! Vouloir intervenir pour changer cette situation et chercher à responsabiliser les sociétés mères, c’est simplement défendre les droits de l’homme à travers le monde.
Nous sommes particulièrement fiers d’avoir cherché à rétablir cette proposition de loi dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je veux profiter de cette prise de parole pour m’exprimer avec sincérité.
D’après les propos que nous avons entendus, non seulement ceux d’entre nous qui sont hostiles à la proposition de loi que l’Assemblée nationale nous a transmise seraient insensibles aux tragédies survenues voilà quelques années et malheureusement susceptibles de se reproduire, mais en outre ils sont renvoyés à ceux qui, au XIXe siècle, luttaient contre l’abolition de l’esclavage. En somme, nous serions implicitement complices tant de la misère du monde que de l’esclavagisme d’autrefois !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et de la mort des enfants !
M. Martial Bourquin. Je n’ai jamais dit cela !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sont ces arguments qui ont été utilisés contre Victor Schœlcher !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je considère que ce procédé de débat politique est inacceptable, car nous sommes tous également sensibles aux problèmes que soulève cette proposition de loi.
M. Martial Bourquin. Non !
M. Yannick Vaugrenard. Si tel est le cas, tirez-en les conséquences !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Notre différence, c’est que nous considérons, à juste titre, me semble-t-il, que cette proposition de loi est un coup d’épée dans l’eau.
M. Michel Savin. Bien sûr !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pis, elle induit en erreur nos concitoyens sur l’efficacité de l’action publique : chers collègues de l’opposition sénatoriale, ce n’est pas parce que vous aurez inscrit dans la loi l’obligation de mettre en place un plan de vigilance dans l’entreprise, sans que vous vous soyez à aucun moment interrogés sur la substance de ce plan, qui n’est pas définie dans ce texte – cela semble vous indifférer –, que vous aurez eu la moindre action utile pour réduire les risques de l’activité économique internationale ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Yannick Vaugrenard. On ne peut donc rien faire ?
Mme Évelyne Didier. Que proposez-vous ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce moyen est totalement inefficace.
M. Martial Bourquin. En somme, il est urgent d’attendre…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Chers collègues, ce n’est pas parce que ce moyen est jugé inefficace par la commission des lois et par la majorité sénatoriale que nous préconisons de ne rien faire !
Nous constatons que le texte dont nous sommes saisis, qui a été proposé par le président du groupe socialiste, écologiste et républicain de l’Assemblée nationale, est inopérant et, de surcroît, inconstitutionnel. Ce ne sont pas des arguties juridiques ! Le droit, l’État de droit, la Constitution et le Conseil constitutionnel sont des réalités, dont il faut tenir compte.
D’ailleurs, des représentants de votre famille politique ont eu l’occasion de le rappeler dans d’autres circonstances.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous sommes ici pour légiférer, pas pour mettre en forme de loi un discours politique sans aucune incidence sur la réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
M. le président. Il est vraiment temps de conclure, monsieur le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je n’ai pas abusé de la parole dans ce débat ! Puisque vous me le demandez, je me rassois, mais je ne manquerai pas de vous redemander la parole en tant que président de la commission. Vous serez alors obligé de me l’accorder ! (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Monsieur le président de la commission, je suis dans l’obligation de faire respecter le règlement, dont vous avez soutenu la mise en place, du reste.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je demande la parole !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.