Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaires :
MM. Philippe Adnot, Jackie Pierre.
2. Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. – Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 8 de M. Joël Labbé. – Rejet.
Amendement n° 2 rectifié de M. Didier Marie. – Rejet.
Amendement n° 12 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 10 de M. Jean-Marc Gabouty. – Devenu sans objet.
Amendement n° 11 rectifié de M. Jean-Marc Gabouty. – Retrait.
Amendement n° 7 de M. Yvon Collin. – Adoption.
Amendement n° 13 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 4 de M. Didier Marie. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 5 de M. Didier Marie. – Rejet.
Amendement n° 9 rectifié de M. Joël Labbé. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 6 de M. Didier Marie. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 1 de M. Didier Marie. – Rejet.
Amendement n° 14 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Questions d'actualité au Gouvernement
Mme Annie Guillemot ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
M. François Zocchetto ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
aéroport de notre-dame-des-landes
Mme Catherine Deroche ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Catherine Deroche.
décret sur les produits phytosanitaires
M. Yvon Collin ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Yvon Collin.
présence de pesticides dans l'alimentation
M. Joël Labbé ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
situation des mineurs isolés à calais
Mme Éliane Assassi ; Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes ; Mme Éliane Assassi.
M. Franck Montaugé ; Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
situation des chantiers navals stx
M. Joël Guerriau ; M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'industrie ; M. Joël Guerriau.
agression des policiers dans l'essonne
M. Alain Vasselle ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Alain Vasselle.
M. Jérôme Durain ; Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes.
trafic de drogue et attaque des policiers à viry-châtillon
M. Serge Dassault ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam ; M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
5. Réforme de la prescription en matière pénale. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 9 de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Chantal Jouanno. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié bis de Mme Chantal Jouanno. – Rejet.
Amendement n° 1 rectifié quater de M. Philippe Kaltenbach. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié quater de M. Philippe Kaltenbach. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié quater de M. Philippe Kaltenbach. – Rejet.
Amendement n° 15 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 3 rectifié quater de M. Philippe Kaltenbach. – Devenu sans objet.
Amendement n° 11 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 16 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 2 rectifié quater de M. Philippe Kaltenbach. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 14 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 8 rectifié quater de M. François Pillet. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 12 du Gouvernement. – Adoption de l'amendement rétablissant l'article.
Amendement n° 18 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
6. Usage des drones civils. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
Articles 1er, 2 et 3 – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié de M. André Trillard. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié de M. André Trillard. – Retrait.
Amendement n° 3 rectifié de M. André Trillard. – Retrait.
Adoption de l’article.
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
7. Communication du Conseil constitutionnel
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. Philippe Adnot,
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (proposition n° 496 [2015-2016], texte de la commission n° 11, rapport n° 10).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un grand honneur pour moi de venir débattre avec vous de cette proposition de loi, que je crois ambitieuse, sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Le Gouvernement est pleinement engagé dans ce débat, qui a été possible – chacun le sait ici – grâce à la détermination et à la pugnacité de l’auteur de cette proposition de loi, le député Dominique Potier. Je partage sa détermination.
Nous avons tous été sensibles au drame du Rana Plaza. L’effondrement de ces ateliers de confection avait mis en lumière un système ahurissant, où l’entreprise donneuse d’ordre ne s’est ni préoccupée ni inquiétée des conditions de travail déplorables dans lesquelles son sous-traitant réalisait les commandes. Cette dissociation n’est pas acceptable.
Si la chronologie des événements peut laisser penser que la proposition de loi dont nous discutons est un texte de circonstance, il n’en est rien. Les travaux d’aujourd’hui s’inscrivent dans un débat plus ancien, où la catastrophe du Bangladesh nous a rappelé l’urgence à agir.
La proposition de loi initiale sur le devoir de vigilance, qui avait été déposée à la fin de l’année 2013 par Philippe Noguès, Dominique Potier et Danielle Auroi, avait permis de faire écho à la mobilisation de la société civile et de démontrer la détermination du Parlement à renforcer la responsabilité sociale des entreprises multinationales. Cette proposition de loi a eu le mérite de se saisir de ces enjeux extrêmement lourds, mais elle soulevait aussi de très sérieuses difficultés juridiques. La deuxième proposition de loi, celle qui est aujourd’hui portée par Dominique Potier et qui a été adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale au mois de mars 2016, vise précisément à résoudre les difficultés juridiques soulevées par le texte initial.
Le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre est évidemment un sujet au cœur de nos préoccupations depuis plus d’une dizaine d’années. Il contribue à la responsabilisation des entreprises. Le développement économique ne peut plus se faire au détriment du progrès social, des avancées des droits de l’homme, de la santé publique ou encore de la protection de l’environnement.
L’idée de responsabiliser l’activité économique des entreprises est présente au niveau tant international que national.
À l’échelle mondiale, l’ONU a adopté trois résolutions pour encourager les entreprises à suivre des démarches responsables à l’égard de leur environnement ou du respect de valeurs fondamentales. L’Union européenne s’est également engagée, comme chacun le sait, dans une démarche de responsabilité sociale des entreprises, avec l’adoption de la directive du 22 octobre 2014 concernant la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, dont la transposition interviendra prochainement.
À l’échelle nationale, l’action dans ce domaine est réelle. Elle répond à un engagement pris par le Président de la République en 2011. Il avait déclaré vouloir traduire dans la loi « les principes de responsabilité des maisons mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l’étranger lorsqu’ils provoquent des dommages environnementaux et sanitaires ».
Le Gouvernement et le Parlement ont déjà œuvré dans ce domaine, grâce à l’adoption de la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dont l’article 5 promeut le devoir de vigilance des entreprises. Je pourrais également mentionner le projet de loi, actuellement en discussion, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – je le connais bien ! (Sourires.) –, dont l’article 8 crée une obligation de prévention des faits de corruption pour les grandes sociétés.
La présente proposition de loi est donc en cohérence avec les engagements de la France. Elle tend à poursuivre la politique menée depuis plus de quatre ans. C’est pourquoi je souhaite réaffirmer la volonté du Gouvernement de rendre effectif un devoir de vigilance en France.
Il ne suffit pas de se contenter d’une dénonciation des excès criants de la mondialisation. Il faut aussi se mobiliser pour les combattre. Soumettre les entreprises à une obligation de vigilance dans la mise en œuvre des mesures nécessaires et exiger d’elles un rapport sur les risques d’atteinte aux droits fondamentaux contribue à la réalisation de cette ambition. Les multinationales placées sous le contrôle de chacun seront incitées à développer des pratiques vertueuses en rapport avec les attentes des citoyens.
La proposition de loi va ainsi dans le bon sens, même si, en première lecture, elle a suscité des critiques, notamment de la part de la majorité sénatoriale. Ces remarques doivent évidemment être prises en considération. Pour certains, l’instauration d’un devoir de vigilance soulève des risques juridiques, notamment constitutionnels. Pour d’autres, elle porterait atteinte à l’attractivité de notre pays et à la compétitivité de nos entreprises. Cependant, ces critiques ne doivent pas desservir l’objectif des auteurs de la proposition de loi, en retirant tout contenu réel aux trois articles initialement proposés.
Le texte adopté par la commission des lois vise principalement à transposer la directive européenne sur la responsabilité sociale des entreprises. Ce n’est ni l’objectif des auteurs de la proposition de loi ni celui du Gouvernement, qui a toujours soutenu le texte initial, dont la vocation me paraît différente. La proposition de loi impose la mise en place de mesures de vigilance spécifiques pour les grandes entreprises tout au long de la chaîne de valeur et l’engagement de la responsabilité de celles qui y contreviendraient. Le Gouvernement soutient donc le rétablissement, proposé par certains sénateurs, des principes essentiels du texte, dans un sens conforme à l’esprit proposé par Dominique Potier.
Pour autant, la proposition de loi adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale appelle des ajustements rédactionnels afin de la rendre juridiquement irréprochable, en particulier du point de vue constitutionnel. Il est également indispensable de veiller à la compatibilité de cette mesure avec le droit national et avec les engagements européens et internationaux de la France. Ainsi, les sanctions en cas de non-respect de l’obligation de vigilance ne devront pas être disproportionnées au regard des manquements en cause. De plus, les contours de l’engagement de la responsabilité des entreprises devront être précisés.
Le texte devra également être efficace d’un point de vue économique, cette préoccupation m’accompagnant évidemment en permanence en tant que ministre de l’économie et des finances. Les contours du devoir de vigilance doivent donc être adaptés aux exigences de la compétitivité de l’économie française. Je sais que l’instauration de ce devoir de vigilance, exigeante obligation de moyens à l’égard des sociétés mères, ne portera pas atteinte – au contraire ! – à la compétitivité de nos entreprises.
Rien ne sert d’agiter les craintes des entrepreneurs. Le mécanisme de la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre du fait de leur sous-traitant est un principe qui existe déjà en droit français. Par exemple, il a été adopté, avec le soutien de tous ou presque, en 2014, pour réguler les difficultés suscitées par la présence de travailleurs détachés sur le territoire français. Je suis sûr que ce texte, comme les autres lois, n’entravera pas l’installation de nouvelles entreprises sur notre territoire et ne réduira pas la compétitivité de celles qui sont déjà installées. Au contraire ! Il participera, j’en suis persuadé, à un meilleur fonctionnement de nos entreprises.
Le travail parlementaire devra se faire avec le sérieux et la précision juridique nécessaires pour apporter les clarifications attendues.
Je suis convaincu que la morale, le droit et l’économie ne sont pas opposés. Les précédentes initiatives du Gouvernement dans le domaine l’ont prouvé.
Loin d’être un handicap pour notre pays, l’instauration du devoir de vigilance permettra d’impulser une nouvelle dynamique à la responsabilisation des entreprises. Les auditions menées par les auteurs de la proposition de loi prouvent que nos débats sont suivis attentivement par la société civile, les syndicats, les organisations non gouvernementales.
Il est donc temps d’adopter un texte exigeant, précis et juridiquement applicable. Notre engagement en faveur de la moralisation et de la transparence de la vie économique est attendu par tous. La France se dotera ainsi d’une législation exemplaire en la matière et participera à la prévention de nouvelles tragédies humaines et environnementales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre revient en deuxième lecture devant notre Haute Assemblée à la demande du Gouvernement.
Si votre commission des lois souscrit, comme en première lecture, à l’objectif de cette proposition de loi, elle ne peut que réitérer ses plus grandes réserves à l’encontre d’un texte déficient juridiquement et inadapté économiquement, qui correspond à une approche punitive de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
D’un point de vue juridique, je vous rappelle les incertitudes concernant les normes de référence sur la base desquelles le plan de vigilance devrait être élaboré, en matière sociale, environnementale, sanitaire ou encore de lutte contre la corruption, rendant incertain le contenu même de l’obligation à respecter, alors que des sanctions seraient encourues en cas de manquement.
Les critiques concernent aussi l’imprécision du régime de l’amende civile et la portée incertaine du régime de responsabilité figurant dans le texte.
De plus, j’insiste sur le risque contentieux accru qui résulterait d’un tel texte pour les entreprises françaises, avec une possible instrumentalisation, dès lors que toute personne intéressée à ce qu’une entreprise mette en œuvre un plan de vigilance pourrait engager une action en responsabilité en cas de dommage pouvant être rattaché de manière directe ou indirecte à son activité à l’étranger.
D’un point de vue économique, je vous rappelle le risque d’atteinte à la compétitivité des entreprises françaises que fait courir la présente proposition de loi. En effet, elle créerait une inégalité de traitement entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes, compte tenu des obligations qu’elle ferait peser sur les premières uniquement, et constituerait une atteinte à la concurrence, car les entreprises étrangères intervenant en France n’y seraient pas soumises, ce texte ne trouvant à s’appliquer qu’aux sociétés dont le siège est en France.
Le texte pourrait créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long des chaînes de sous-traitance, qui affecterait de très nombreuses entreprises françaises de toute taille. Je pense aux grandes entreprises, premières visées par le texte, mais aussi à tous leurs sous-traitants français, qui en subiraient nécessairement les répercussions ; pour la plupart, ce sont des petites et moyennes entreprises.
Au surplus, je ne peux pas négliger le risque de retrait des entreprises françaises de certains marchés étrangers pour éviter les risques liés à l’obligation de vigilance.
À l’inverse, des sous-traitants étrangers pourraient refuser de travailler pour des entreprises françaises en raison des charges que représenterait indirectement pour eux l’obligation de vigilance.
En tout état de cause, il est peu probable qu’une telle législation, si elle était adoptée par la France, améliore par elle-même la situation sociale et environnementale des pays en développement, où se trouvent nombre de sous-traitants de multinationales occidentales, ou fasse évoluer la législation de ces pays, alors qu’elle ne manquerait pas de perturber profondément le tissu économique français.
Tout en rejetant la proposition de loi telle que promue par ses auteurs pour l’ensemble des motifs juridiques et économiques que je viens de rappeler – je pense en particulier à l’accroissement des risques contentieux qui en résulterait pour les entreprises françaises –, votre commission avait conclu que le débat sur l’objectif pertinent de ce texte devait se situer dans une perspective européenne de plus long terme, afin que soient mises en place des règles communes à toutes les entreprises européennes.
Toutefois, au vu des éléments portés à sa connaissance, notamment par le Secrétariat général des affaires européennes, en première lecture, j’avais jugé improbable la présentation prochaine à l’échelon européen d’une initiative analogue à la présente proposition de loi, de sorte que ce texte, s’il était adopté, créerait de manière durable des distorsions de concurrence au détriment des entreprises françaises.
Ainsi, en l’état de sa rédaction issue de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi ne pouvait pas être adoptée par la commission des lois ni par notre assemblée. Pour ces raisons, elle avait été rejetée par votre commission, puis par le Sénat en première lecture.
Pour autant, votre commission a été saisie de cette proposition de loi en deuxième lecture, puisque le Gouvernement a demandé lui-même son inscription à l’ordre du jour du Sénat et devrait donc assurer l’aboutissement de la procédure législative devant conduire à son adoption définitive. Elle a donc jugé nécessaire d’adopter un texte dans une rédaction prenant sérieusement en compte les objections qu’elle a déjà formulées, au lieu de le rejeter de nouveau.
Ainsi que je l’avais relevé en première lecture, je vous rappelle que la France doit transposer, d’ici au 6 décembre 2016, la directive du 22 octobre 2014 modifiant la directive de 2013 en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes. Celle-ci rejoint l’objectif de la présente proposition de loi.
L’objectif de cette directive est de faire en sorte que les entreprises qui relèvent de son champ donnent « une image complète et fidèle de leurs politiques, de leurs résultats et de leurs risques » en matière d’informations non financières.
Votre commission des lois estime que l’obligation de publier des informations sur les procédures de diligence raisonnable destinées à prévenir les risques dans un certain nombre de domaines s’apparente à l’évidence à l’obligation d’établir, de rendre public et de mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à prévenir un certain nombre de risques comparables.
Toutefois, si la directive retient une approche reposant sur la transparence et l’incitation, la proposition de loi retient, quant à elle, une approche plus coercitive et punitive.
Si la France dispose déjà d’une législation assez avancée en matière de publication d’informations non financières, satisfaisant déjà en large partie aux exigences de la directive, il faut néanmoins procéder à la transposition de certaines dispositions non encore satisfaites par le droit français, en particulier la publication d’informations sur les mesures de diligence raisonnable mises en œuvre et les principaux risques dans ces mêmes domaines.
Je considère que la présente proposition de loi, si elle peut paraître plus ambitieuse de prime abord, en allant simplement au-delà du socle des obligations prévues par la directive, est en réalité en contradiction avec la directive, en faisant peser sur les sociétés françaises des obligations bien plus lourdes.
De plus, le dispositif d’amende civile et le régime de responsabilité contredisent la logique de la directive, qui ne comporte aucun mécanisme de sanction.
Depuis l’examen de la présente proposition de loi en première lecture, le Parlement a également été saisi du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dont l’article 8 instaure une obligation de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d’influence pour les sociétés employant au moins 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net d’au moins 100 millions d’euros.
J’observe que l’obligation prévue dans ce projet de loi correspond assez largement aux obligations de la directive en matière de lutte contre la corruption.
Il s’agit bien de mettre en place des procédures de diligence raisonnable en matière de lutte contre la corruption, appuyées sur une analyse des risques. Aucune publicité particulière n’est cependant prévue par ce projet de loi.
Je constate aussi que la présente proposition de loi inclut la question de la lutte contre la corruption dans le champ du plan de vigilance sans mentionner les sous-traitants. L’obligation de vigilance ne concernerait ici que la société mère et les sociétés qu’elle contrôle.
En l’état, ce projet de loi et cette proposition de loi se trouvent donc en contradiction l’un avec l’autre sur la question de la prévention de la corruption.
Attentive à l’exigence de transposition de la directive, votre commission des lois juge nécessaire d’assurer la cohérence des divers textes qui entrent dans le champ de la directive et interviennent sur la problématique de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, cohérence qui fait manifestement défaut, selon moi, car aucune coordination ne semble être assurée par le Gouvernement entre ces divers textes.
Dans ces conditions, sur mon initiative, et dans le respect des règles de recevabilité en deuxième lecture, votre commission des lois a souhaité procéder à la transposition des dispositions de la directive correspondant aux objectifs de la proposition de loi.
Aussi, afin d’assurer la convergence entre la présente proposition de loi et les dispositions correspondantes de la directive, votre commission des lois a adopté plusieurs amendements.
Un premier amendement, sur l’article 1er du texte, introduit un nouvel article L. 225-102-1-1 dans le code de commerce, au sein des dispositions relatives au contenu du rapport du conseil d’administration aux actionnaires, pour préciser que ce rapport doit également rendre compte des mesures de diligence raisonnable prises pour prévenir les principaux risques sociaux et environnementaux dans les sociétés cotées remplissant les critères fixés par la directive.
Le rapport devrait ainsi rendre compte des principaux risques dans les différents domaines visés. Il devrait également rendre compte des mesures de prévention de la corruption que la société serait tenue de prendre en application de l’article 8 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Il devrait enfin rendre compte des mesures de vigilance raisonnable prises par la société, afin de prévenir les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les risques de dommages corporels ou environnementaux graves et les risques sanitaires, en France et à l’étranger, du fait de son activité, de celle de ses filiales et de celle de leurs sous-traitants.
Des informations concernant les sous-traitants ne seraient publiées que lorsque cela se révèle pertinent et proportionné, compte tenu de la nature d’abord contractuelle des relations de la société mère ou de ses filiales avec les différents fournisseurs et sous-traitants, comme le précise la directive elle-même.
Votre commission conserve ainsi l’objectif de vigilance des grandes entreprises à l’égard des différents risques sociaux et environnementaux qui peuvent résulter de leur activité ou de celle de leurs filiales ou sous-traitants sur le territoire français ou à l’étranger, tout en l’intégrant mieux dans le cadre actuel du droit des sociétés et en respectant les exigences de la directive.
En cas de méconnaissance de ses obligations par une société, votre commission a conservé, à l’article 1er, un mécanisme d’injonction de faire sous astreinte, tout en clarifiant sa rédaction, en adoptant en ce sens un deuxième amendement.
Il s’agit de s’inspirer plus directement des mécanismes analogues déjà prévus par le droit des sociétés en cas de manquement d’une société à ses obligations de publicité.
Ainsi, si le rapport ne comprend pas toutes les informations prévues, toute personne intéressée pourrait demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
Un tel mécanisme ne méconnaît pas la logique de la directive en raison de son caractère incitatif et non punitif.
En revanche, compte tenu des difficultés qu’elle représentait, votre commission a supprimé l’amende civile de 10 millions d’euros par l’adoption d’un troisième amendement sur l’article 1er. En effet, comme je l’ai exposé en première lecture dans mon rapport, le caractère disproportionné de cette amende soulève un problème sérieux de constitutionnalité.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il existe également une interrogation au regard du principe de la légalité des délits et des peines, compte tenu du caractère général et relativement imprécis de l’obligation de vigilance.
Pour assurer l’effectivité de cette obligation, il est plus simple de recourir aux mécanismes habituels du droit des sociétés, c’est-à-dire l’injonction de faire sous astreinte, à la demande de toute personne intéressée.
Votre commission a également supprimé l’article 2, relatif au régime de responsabilité prévu spécifiquement en cas de non-respect par une société des obligations relatives au plan de vigilance, en adoptant un quatrième amendement.
M. le président. Il faut maintenant conclure, monsieur le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. À l’article 3, votre commission a adopté un cinquième amendement de coordination prévoyant l’application du texte dans les îles Wallis et Futuna. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Concluez, monsieur le rapporteur !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Votre commission a enfin adopté un sixième amendement, qui prévoit une entrée en vigueur différée de cette nouvelle obligation, à compter du rapport du conseil sur les comptes du premier exercice ouvert à compter la publication de la loi, c’est-à-dire le rapport présenté à l’assemblée générale de 2018 sur l’exercice 2017 dans le cas où la loi serait publiée avant le 31 décembre 2016. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions indiqué en première lecture, la multiplication de crises environnementales ou sociales impliquant des acteurs liés par leur activité économique impose de penser de nouvelles modalités d’encadrement et de régulation du pouvoir des chaînes de valeur toujours plus complexes.
Trop souvent les multinationales, en plus d’essayer de ne pas se soumettre à l’impôt, souvent avec succès, refusent tout simplement d’assumer la responsabilité sociale et environnementale, civile et pénale de leurs activités. Elles créent des filiales avec des liaisons opaques, qui recourent à une cascade de sous-traitants et se cachent derrière l’autonomie de la personne juridique lorsqu’une catastrophe humaine ou environnementale survient.
Comment, dès lors, remonter la chaîne des sous-traitants et des fournisseurs dans les approvisionnements ? Comment « responsabiliser » les sociétés mères à l’abri de leurs montages juridiques ? C’est bien l’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
À cet égard, nous ne pouvons que saluer le travail et la ténacité de nos collègues députés – M. le ministre a fait référence, à juste titre, à M. Dominique Potier –, qui ont eu le courage de proposer des solutions novatrices, même s’il nous semble possible d’aller plus loin vers la reconnaissance d’une responsabilité particulière des entreprises donneuses d’ordre. En effet, à l’origine de ce débat, la proposition de loi dont nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine étaient cosignataires avait un champ d’application plus large, en termes tant de seuil que de définition de la chaîne de valeur, avec un renversement de la charge de la preuve qui facilitait la mise en jeu de la responsabilité et la qualification de loi de police.
C’est pourquoi nous regrettons sincèrement la frilosité, voire la cécité de la majorité sénatoriale sur ces enjeux majeurs.
Car le devoir de vigilance, tel qu’il était initialement envisagé, constitue un vrai pas en avant en recourant à une définition de la notion de groupe plus proche de la réalité. En effet, le groupe n’est plus envisagé uniquement sous l’angle d’un pouvoir effectif de contrôle, mais aussi sous l’angle élargi d’une sphère d’influence. Comme le suggère la norme ISO 26 000, il s’agit de s’intéresser à l’impact et aux risques potentiels qu’un acteur économique peut entraîner, plutôt qu’à son espace de contrôle et d’exercice direct du pouvoir.
Nous comprenons d’autant moins la position de la commission que, comme il a été rappelé lors des précédents débats, ce texte est au service de la compétitivité des entreprises. Nous le maintenons, loin de les fragiliser, il permettra de valoriser les efforts des sociétés vertueuses qui appliquent déjà des procédures d’identification et de réduction des risques. Il rétablira des conditions de concurrence plus justes en sanctionnant le dumping social et environnemental. Et, comme je l’ai déjà souligné, cette proposition de loi constitue un pas supplémentaire dans la lutte, chère à mon collègue Éric Bocquet, contre les paradis fiscaux, la fraude fiscale, car elle impose plus de transparence ; elle vise à lutter contre la corruption.
Dans un premier temps, en première lecture, la majorité du Sénat avait purement et simplement supprimé le texte, refusant de fait toute idée de responsabilité.
Nous pouvons constater maintenant que les amendements proposés par le rapporteur en commission, s’ils restent très en deçà du texte issu de l’Assemblée nationale, montrent que celui-ci accepte, d’une part, le principe selon lequel la prise en compte des droits humains et des libertés fondamentales dans l’activité économique est absolument nécessaire et l’effondrement du Rana Plaza n’est pas un détail de l’histoire et, d’autre part, le fait que l’activité économique et commerciale peut entraîner des risques sociaux, environnementaux et de corruption et qu’il est bien de la responsabilité des entreprises de les prévenir par des actions connues et vérifiables. Enfin, il accepte l’idée de responsabilité du donneur d’ordre sur la chaîne de valeur. C’est une conversion que je voulais saluer, chers collègues de la majorité sénatoriale, même si le discours du rapporteur demeure particulièrement navrant, notamment dans sa première partie.
M. Yannick Vaugrenard. Je le confirme !
Mme Évelyne Didier. Pour autant, nous savons combien les belles intentions ne suffisent pas. Nous savons comment les entreprises tentent d’échapper à leurs responsabilités.
C’est la raison pour laquelle nous jugeons cette proposition de loi totalement insuffisante. Nous voterons donc contre ce texte qui, s’il reste en l’état, ne peut pas nous satisfaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour la deuxième lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Peut-être aurait-on plutôt dû, par souci de vérité, la baptiser « proposition de loi pour la responsabilité sociale et environnementale des multinationales » ou encore « proposition de loi contre les excès et les travers de la mondialisation ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Les enjeux sont globalement les mêmes qu’en première lecture : le contrôle par les grandes entreprises de leur chaîne de sous-traitance à l’étranger, la prise en compte des risques sociaux, sanitaires, humains et environnementaux, la possibilité ou non de prendre des mesures de sanction contre les entreprises non vertueuses. J’avais mentionné en première lecture l’importance des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mais aussi l’importance des principes de l’OCDE de 1976 et de la déclaration tripartite de l’Organisation internationale du travail de 1977, qui définissent les règles applicables au niveau mondial.
Souvenons-nous également qu’il existe en France la jurisprudence dite Erika, qui reconnaît la compétence des juridictions françaises à l’égard des faits survenus en dehors du territoire français et sanctionne la négligence des sociétés mères.
La proposition de loi avait été nettement rejetée par la majorité sénatoriale l’an dernier. Toutefois, le contexte législatif a évolué depuis, avec la mise à l’ordre du jour de la directive européenne relative à la publication par les entreprises d’informations non financières. Sa transposition dans le droit français était d’ailleurs initialement prévue à l’article 62 du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, toujours en cours d’examen par notre assemblée.
La majorité sénatoriale a décidé de supprimer cet article du projet de loi et, en lieu et place, de faire de la présente proposition de loi le véhicule de cette transposition. Dont acte. Cependant, l’Assemblée nationale ne rétablira-t-elle pas les versions initiales de ces deux textes ?
Quoi qu’il en soit, dans sa philosophie, la proposition de loi est sensiblement différente de la version présentée en première lecture. Je n’irais pas jusqu’à dire, comme l’a fait le rapporteur, que la version des députés serait en contradiction avec la directive. Toutefois, force est de constater que sa dimension contraignante a été remplacée par une logique d’incitation que l’on peut qualifier de plus libérale.
Alors que la proposition de loi initiale rendait obligatoire la mise en œuvre d’un plan de vigilance comportant des mesures propres à identifier et à prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, ainsi que les risques sanitaires, la présente version demande aux grandes entreprises de mettre en œuvre des procédures dites de vigilance raisonnée seulement « lorsque cela s’avère pertinent et proportionné ». Cette rédaction laisse, on le voit, bien plus de marges d’appréciation !
La commission des lois a également supprimé la disposition sur l’amende civile.
Je n’ai pas le temps de m’étendre trop longuement sur les subtilités de ces débats techniques. Néanmoins, au-delà des deux logiques distinctes, l’une plus coercitive, l’autre plus libérale, je souhaite relativiser la portée de cette proposition de loi, quelle que soit sa version finale.
En effet, elle crée une obligation de moyens, monsieur le ministre, mais non de résultat. Les mesures de vigilance raisonnable permettent de couvrir la responsabilité juridique des entreprises, mais ce n’est pas une garantie absolue contre le risque de nouveaux drames. Cela passe bien davantage par la prévention des risques et la promotion des droits des travailleurs dans les pays en développement, ainsi que par l’élaboration de droits du travail dignes de ce nom.
Enfin, si des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza, ou encore le travail des enfants et la pollution de l’environnement, suscitent une indignation légitime, nous devons sans doute réfléchir à deux fois avant d’adopter des lois d’émotion, qui s’avèrent le plus souvent n’être que des textes d’affichage à portée malheureusement limitée.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Exactement !
M. Yvon Collin. Le groupe du RDSE, conscient des arguments avancés par les uns et les autres, reste bien évidemment attaché aux principes d’égalité et de responsabilité. Mais, réservée comme en première lecture sur la portée réelle de cette proposition de loi, une majorité des membres du RDSE devrait s’abstenir. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous réexaminons en deuxième lecture une proposition de loi qui aborde des enjeux sensibles parce qu’elle concerne l’humain, parce qu’elle nous rappelle des drames et parce qu’elle a vocation à faire cesser des pratiques indignes qui ignorent ou bafouent les droits de l’homme et mettent en péril nos écosystèmes. Nous avons le devoir de tout faire pour que l’irréparable ne se reproduise pas.
L’examen de ce texte est attendu par les ONG et par nos concitoyens qui prennent chaque jour davantage conscience des réalités économiques, sociales et environnementales de la mondialisation. Il est également attendu par les consommateurs qui, face à la globalisation des chaînes de production, réalisent qu’ils ont aussi un pouvoir : celui de choisir de porter un tee-shirt qui ne soit pas issu de l’esclavage d’un autre être humain.
En toute responsabilité, le texte proposé par la commission s’inscrit dans la philosophie de la directive européenne d’octobre 2014. Il s’agit de renforcer la contribution des grandes entreprises françaises à l’amélioration des normes sociales et environnementales, au respect des droits de l’homme et à la prévention de la corruption dans le monde, sans pour autant faire porter exclusivement sur les entreprises françaises des contraintes et des sanctions qui, pour être efficaces, doivent s’imposer à l’ensemble des grandes multinationales.
Nous étions en désaccord avec le texte initial qui aurait pénalisé les seules entreprises françaises, fragilisant encore la situation économique et sociale de notre pays. Ce texte aurait certes pu satisfaire notre orgueil national en nous instituant comme les fers de lance de la lutte pour la responsabilité sociale des entreprises, mais il n’aurait en définitive été appliqué qu’aux multinationales françaises et donc n’aurait pas changé la situation dramatique des millions de travailleurs exploités à travers le monde. La France doit avoir une autre ambition !
Nous l’avions souligné en première lecture, faire évoluer les pratiques de manière efficace et sensible sur le terrain passe bien davantage par la mise en œuvre de dispositifs contraignants à l’échelle européenne et internationale que par un durcissement unilatéral de la législation française, déjà parmi les plus exigeantes en la matière.
Aujourd’hui, avec ce texte, vous nous proposez, monsieur le rapporteur, de franchir une étape essentielle : celle qui consiste à transposer la directive européenne du 22 octobre 2014 dont le délai de transposition expire au 6 décembre 2016.
On peut s’interroger, monsieur le ministre : pourquoi votre gouvernement, si favorable à la prise en compte de ce sujet, a-t-il tant tardé à proposer au Parlement la transposition de cette directive ? C’est seulement dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté que l’on a vu apparaître un certain nombre de propositions. Un sujet aussi grave n’aurait-il pas mérité autre chose qu’un article isolé dans une loi volumineuse ? C’est fort heureusement ce dont le Sénat a convenu.
L’objectif de cette directive pourrait se résumer de la sorte : permettre la photographie complète des politiques mises en œuvre par les entreprises en matière d’informations non financières, de leurs résultats et de leurs risques.
Le rapport de gestion des entreprises devra donc inclure une « déclaration non financière » présentant des informations liées aux incidences de leurs activités en matière environnementale, sociale, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption.
Il devra également inclure la description des politiques appliquées par l’entreprise et les procédures de diligence raisonnable qu’elle pense mettre en œuvre, la présentation des résultats, une analyse des risques principaux et des indicateurs de performance de nature non financière.
Bien que votre texte, monsieur le rapporteur, ne prévoie pas de mécanisme de sanction ou de régime juridique de responsabilité, l’article 1er tel qu’il est proposé déploie un mécanisme d’injonction de faire sous astreinte inspiré du droit des sociétés, en cas de manquement aux obligations de publicité.
Ainsi, dans les cas où le rapport serait incomplet, toute personne intéressée pourrait demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
À l’heure où l’on observe une mobilisation citoyenne puissante, où la pression des ONG et des médias peut menacer l’image de marque d’une entreprise et entraîner de lourdes répercussions économiques, cette mesure paraît suffisamment dissuasive.
Il convient, enfin, de s’interroger sur le champ d’application de ce dispositif quelque peu transformé par la commission. Sont concernés les sociétés cotées, les établissements de crédit, d’assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles, dès lors qu’ils dépasseraient les seuils de chiffre d’affaires net de 40 millions d’euros, de total de bilan de 20 millions d’euros et compteraient plus de 500 salariés, soit une définition plus large que celle du texte initial, qui plaçait le curseur à 5 000 salariés.
Adopter votre texte, monsieur le rapporteur, c’est enclencher une démarche incitative réaliste reposant sur la transparence. Cette adoption ferait de la France le premier des pays fondateurs de l’Union européenne à transposer la directive du 22 octobre 2014. À ma connaissance, à ce jour, seuls six pays de l’Europe de l’Est l’ont transposée.
Un des arguments récurrents de nos collègues de l’Assemblée nationale consiste à dire que la France doit montrer l’exemple à ses voisins. Eh bien, montrons-le en étant une des premières puissances européennes à transposer la directive ! Encourageons nos voisins européens, pays sièges de grandes multinationales, à s’engager résolument dans la défense des droits de l’homme et du bien commun.
La responsabilité sociale des entreprises repose aujourd’hui sur un fondement : les entreprises ne sont pas que des acteurs économiques ; elles incarnent aussi les valeurs humaines et les principes fondamentaux de nos sociétés. Cela les place face à leurs responsabilités citoyennes.
Cependant, au-delà du principe de moralité, il y a un enjeu commercial dont un certain nombre de multinationales commencent à prendre conscience, car la responsabilité sociale des entreprises peut devenir un atout stratégique, un levier de croissance et de compétitivité. Viser une performance globale, à la fois économique, sociale, sociétale et environnementale, et maîtriser les risques sont autant de choix qui singularisent et peuvent conforter l’entreprise.
La transposition de la directive européenne qui nous est ici proposée répond à cet objectif de performance globale et s’inscrit dans une démarche réaliste et vertueuse.
Il y a quelque chose de réconfortant et d’encourageant à penser que des enjeux humanistes et économiques peuvent parfois converger. Mais nous sommes lucides. Seule une prise de conscience internationale permettra d’apporter de réelles solutions à la situation et au quotidien des travailleurs exploités à travers le monde !
Enclencher une dynamique européenne constitue une première étape essentielle, mais elle n’est en aucun cas suffisante. Elle doit être précisée, ce que nous proposerons au travers d’un certain nombre d’amendements.
En tout état de cause, le groupe UDI-UC votera dans sa majorité l’adoption du texte dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, certains ont souligné que les enjeux humanistes et économiques pourraient un jour converger : ils doivent converger ! Il est temps d’en finir avec la frilosité !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mettez un pull ! (Sourires.)
M. Joël Labbé. Ne cherchez pas à me déstabiliser, monsieur le président !
Je remercie le Gouvernement d’avoir repris le texte initial et de le soumettre de nouveau au débat. L’enjeu est fort, puisqu’il s’inscrit à l’échelle humaine et planétaire.
La commission des lois, qui avait rejeté ce texte en première lecture, a adopté cette fois une approche plus constructive, que je salue. Néanmoins, cela ne nous satisfait pas.
Comme l’ensemble des textes que nous étudions, il est nécessairement technique et juridiquement complexe. Aussi, en préalable, permettez-moi de sortir du contexte du texte lui-même et de rappeler quelle est sa raison d’être ainsi que son sens, deux points qui devraient éclairer nos réflexions et nos travaux.
On le sait maintenant, beaucoup de produits vendus sur nos étals et dans nos magasins, y compris dans nos magasins de luxe, sont fabriqués dans des pays où la main-d’œuvre, particulièrement mal rémunérée, est exploitée dans des conditions humainement inacceptables, au mépris de l’ensemble des règles internationales et des droits humains les plus fondamentaux.
Le drame du Rana Plaza a mis en lumière les trop nombreux exemples de violations des droits humains et de catastrophes environnementales liés aux activités d’entreprises multinationales. Il a posé la question de la responsabilité, cette responsabilité qui nous préoccupe aujourd’hui en séance.
Avant d’en venir au texte, j’évoquerai un exemple très parlant aux yeux du grand public, témoignant de cette logique infernale qui guide de puissants groupes affichant partout la splendeur de leurs marques.
Prenons le cas de Nike. Certes, il s’agit d’une entreprise américaine, mais elle détient également une filiale française : nous sommes donc concernés ! Nike : super sponsor de notre super équipe de France de football ! Les maillots de l’équipe de France se vendent bien en ce moment et sont portés dans la rue avec fierté, par des enfants, par des jeunes et même par des moins jeunes, supporters de nos couleurs. Les maillots de qualité sont vendus en moyenne 85 euros. L’achat à la production, qui se fait dans le sud-est asiatique, est de l’ordre de 6 euros l’unité. Quant à l’ouvrier, celui qui réalise le produit, il ne touche que 65 centimes d’euros par maillot !
Les grandes marques comme Nike, Adidas ou Puma, si elles ont édicté des codes de conduite, restent très loin de ce qu’elles pourraient et de ce qu’elles devraient faire. Elles respectent une logique de pur business : au-delà de leur discours affiché de marques responsables, elles s’inscrivent plus que jamais dans une dynamique financière et privilégient toujours plus les dépenses de marketing. De fait, elles maintiennent une pression toujours plus forte sur leurs prix d’achat et sur les délais de fabrication.
C’est pourquoi les marques quittent maintenant la Chine, où la rémunération des salariés s’est améliorée, pour s’installer dans des pays voisins. Le collectif Éthique sur l’étiquette a fait mener une étude comparative sur les pays concernés : au Vietnam, le salaire moyen ouvrier est de 33 % inférieur au salaire vital, au Cambodge de 45 %, en Inde et en Indonésie de 50 %. Le salaire vital pour une famille avec deux enfants permet, je le rappelle, de couvrir les frais de logement, d’alimentation, d’éducation et de santé. Si l’on ne fait rien, ces puissantes multinationales ont encore de beaux jours de business devant elles, au détriment des droits humains fondamentaux !
Le texte initial de l’Assemblée nationale, réintroduit en deuxième lecture, a cette fois été pris en considération par la commission des lois, mais celle-ci n’a pas manqué d’en amoindrir considérablement la portée.
Ce texte n’est pourtant pas si ambitieux, il vise simplement à imposer aux grandes entreprises multinationales l’élaboration d’un plan de vigilance valable pour l’ensemble de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs afin de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement.
Il s’agit donc d’une obligation de moyens et non de résultat. De plus, ce sont les entreprises elles-mêmes qui définiront leur plan de vigilance.
La responsabilisation des entreprises est une nécessité. D’ailleurs, la France n’est pas seule à évoluer sur le sujet ; les Suisses ont lancé une « initiative populaire » ; l’Allemagne et le Royaume-Uni expérimentent déjà des mécanismes de responsabilisation afin de prévenir les atteintes aux droits humains. Au niveau international, la réflexion continue également de progresser sur ce sujet.
Je souhaite illustrer ce que permettrait un plan de vigilance en faisant le lien avec les travaux récents du Sénat. Un tel plan obligerait, par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile à s’assurer du bon devenir des téléphones usagés repris.
C’est une suggestion du récent rapport de la mission d’information du Sénat sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles, présidée par Jean-François Longeot et dont le rapporteur était Marie-Christine Blandin. Au lieu de fermer les yeux sur des exportations de téléphones usagés mélangeant occasions et déchets, cela favoriserait l’emploi ainsi que des filières environnementalement et socialement correctes.
Nous vous proposerons deux amendements : le premier visant à rétablir les seuils, le deuxième tendant à rétablir le nécessaire mécanisme de responsabilité en cas de défaut de devoir de vigilance.
Si le texte devait demeurer dans sa rédaction actuelle, nous ne pourrions que nous abstenir. J’espère donc que les divers amendements de retour au texte initial seront adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voilà enfin réunis pour l’examen en deuxième lecture de cette proposition de loi.
Je tenais, en introduction, à remercier le Gouvernement pour l’inscription tant attendue de ce texte à l’ordre du jour, car il est important que nous puissions l’adopter définitivement au plus vite. Je salue également le travail de nos collègues députés, Dominique Potier bien évidemment, mais aussi les membres des quatre groupes ayant soutenu cette initiative.
Il importe d’adopter définitivement ce texte au plus vite, car en permanence, dans de nombreux pays du monde, se produisent des drames qui, sans avoir l’ampleur malheureuse et la portée médiatique de l’effondrement du Rana Plaza, sont, pour chacun d’entre eux, une catastrophe humaine ou environnementale. Certaines situations défraient la chronique, comme les révélations sur le travail forcé pour la construction des stades au Qatar en vue de la prochaine Coupe du monde de football ou sur les sous-traitants ougandais d’un grand cimentier français qui feraient exploiter des mines par des enfants.
D’autres pratiques sont régulièrement révélées comme, récemment, la corruption généralisée impliquant des entreprises européennes extrayant le talc des mines d’Afghanistan et permettant de financer les talibans et l’État islamique. Cette semaine encore, au lendemain du salon de l’automobile, la presse s’est fait l’écho de doutes sur le recours au travail d’enfants pour la fabrication de composants de voitures électriques.
Plus incidemment, c’est dans nos smartphones, nos produits ménagers, nos vêtements, nos aliments, que se dissimulent des conditions de travail inhumaines, sans hygiène, sans sécurité. Des personnes travaillent douze heures par jour, six jours sur sept, pour des salaires de misère, sans protection sociale. Souvent, ces travailleurs sont victimes de brimades. Sans parler d’un pays comme le Bangladesh où, un jour sur deux, une femme travaillant dans l’industrie textile décède !
La plupart de ces personnes ne savent pas ce qu’est un contrat de travail. Certaines d’entre elles sont même des travailleurs forcés !
Il faut légiférer au plus vite, donc, car il est temps, dans une mondialisation toujours plus poussée par une concurrence exacerbée, de jeter les bases d’une nouvelle éthique des relations internationales, d’ouvrir une nouvelle ère de la protection des droits humains.
Il est temps de responsabiliser les entreprises qui, cherchant à tout prix les coûts de main-d’œuvre les plus bas, installent leurs filiales en Afrique, en Asie, en Amérique latine, où, on le sait, les législations ne sont pas aussi exigeantes. Elles y sous-traitent une partie de leur activité, dans des conditions qui ne seraient jamais tolérées en France, mais qui, parce qu’elles se déroulent dans un autre pays, loin du nôtre, loin de nos lois et de notre attention, ne soulèvent aucun problème, ni de réglementation ni même de conscience !
Cette proposition de loi vise à transcrire dans l’ordre juridique français les obligations internationales auxquelles la France a souscrit, notamment les principes directeurs des Nations unies adoptés à l’unanimité en 2011 sur les entreprises et les droits humains, invitant les premières à soutenir et à appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales, ainsi d’ailleurs que les orientations arrêtées par l’OCDE.
Cette proposition de loi s’inscrit dans une logique de transparence et d’éthique engagée en France avec l’adoption de la loi relative aux nouvelles régulations économiques en 2001 et le Grenelle II en 2010, ainsi que, plus récemment, avec la loi sur la biodiversité qui établit le préjudice écologique dans le code civil ou, prochainement, avec la loi Sapin II qui visera à lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par certaines multinationales.
Pour finir, il importe de légiférer au plus vite, car c’est toute la société civile qui attend ce texte et qui nous regarde : ONG, syndicats, et surtout consommateurs, de plus en plus attentifs aux conditions de production, comme le révèle une étude selon laquelle trois Français sur quatre soutiennent notre proposition. C’est également ce que révèle une pétition qui a recueilli 200 000 signatures.
De nombreuses entreprises de tous secteurs ont également marqué leur intérêt. Laissez-moi vous rappeler, chers collègues, qu’à l’Assemblée nationale ce texte a été voté très largement, à la quasi-unanimité, y compris par des députés de l’opposition !
Monsieur le rapporteur, je note avec intérêt que vous avez abandonné vos premières intentions qui vous avaient amené, en première lecture, à exhumer la procédure de motion préjudicielle, véritable obstruction à tout débat, surprenant jusqu’aux meilleurs connaisseurs de notre règlement. Initiative heureusement abandonnée, mais immédiatement remplacée par la suppression de tous les articles du texte !
Cette fois, et c’est une avancée que nous saluons, vous reconnaissez que les entreprises doivent faire preuve de vigilance.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je l’avais souligné en première lecture !
M. Didier Marie. Malheureusement, vous n’allez pas au bout du raisonnement et vous dénaturez l’esprit de la proposition de loi par vos amendements qui, de fait, reviennent à écrire un tout autre texte. Vous vous contentez d’esquisser une transposition de la directive européenne sur le reporting extrafinancier, sujet qu’il nous faudra traiter, mais vous passez, ce faisant, à côté de la cible de notre proposition de loi, qui vise à couvrir à trois cent soixante degrés le champ de la responsabilité des entreprises, englobant la défense des droits humains, la protection de notre environnement et la lutte contre la corruption.
Mes chers collègues, nous vous proposons aujourd’hui de dépasser le stade des intentions et de passer à l’acte.
Car, lorsque la logique du reporting est fondée sur une déclaration des entreprises qui n’est vérifiée qu’a posteriori, notre proposition permet de gérer les risques en amont et donc de prévenir les dommages. Lorsque vous préconisez une obligation de communication du plan de vigilance, nous y ajoutons une obligation de mise en œuvre. Lorsque vous ne prévoyez aucune sanction au manquement à l’obligation de reporting, nous prévoyons un recours devant le juge pour les victimes d’une violation et une mise en cause de la responsabilité du donneur d’ordre.
Monsieur le rapporteur, vous reconnaissez que bon nombre d’entreprises se sont déjà dotées de leur plein gré de dispositifs proches du devoir de vigilance dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, mais vous ne souhaitez pas contraindre celles qui ne le feraient pas, au nom de la compétitivité. Permettez-moi de relever la contradiction !
Ne pas adopter ce devoir de vigilance, c’est admettre que la compétitivité prime l’éthique et que la vie de travailleurs exploités loin de chez nous n’a que peu de valeur au regard de la recherche de la rentabilité.
Mme Évelyne Didier. Eh oui !
M. Didier Marie. Plus que cela, admettre que certaines entreprises puissent déroger aux principes de vigilance, c’est accepter une pression à la baisse sur nos standards nationaux en matière de protection sociale, de droits humains, de protection de la biodiversité et de l’environnement. C’est inciter à la délocalisation. Le moins-disant généralisé pénalise notre économie.
Monsieur le rapporteur, vous craignez l’isolement de la France, mais nous ne sommes pas les seuls à agir dans ce sens. De nombreux pays disposent de législations qui vont dans la même direction.
Vous estimez par ailleurs que cette proposition de loi est punitive, car elle est assortie d’une possibilité de sanction. Faut-il rappeler tout d’abord que la responsabilité de l’entreprise ne serait engagée, à la suite d’un accident dans une filiale ou chez un sous-traitant, qu’en cas d’absence de plan ou de défaut de mise en œuvre de ce plan ?
Vous considérez qu’il existe un risque d’inconstitutionnalité en relevant une responsabilité du fait d’autrui. Pourtant, notre droit prévoit déjà une obligation de vigilance. C’est le cas, notamment, en droit bancaire, en droit comptable, en droit de la concurrence ou encore en droit du travail – je pense au mécanisme de solidarité financière pour lutter contre le travail dissimulé. Le devoir de vigilance est une obligation de moyens et non de résultat !
Vous remettez en cause l’amende civile considérant que sa légalité serait incertaine et sa proportionnalité douteuse. Or le Conseil constitutionnel lui-même a pu, dans d’autres cas, notamment en droit de la concurrence, estimer que la proportionnalité était acceptable. Le montant plafond de 10 millions d’euros n’est qu’un plafond : seul le juge aura la charge de déterminer le niveau de l’amende.
Cessez donc de diaboliser ce texte ! Il représente une avancée à la fois ambitieuse et raisonnée pour que notre pays, comme dans d’autres domaines et à d’autres époques – je pense à l’abolition de l’esclavage –, éclaire le chemin vers une plus grande responsabilité sociétale des entreprises à l’échelle européenne.
C’est d’une conception de la mondialisation que nous parlons, celle de la place que l’on donne au respect des droits de l’homme, c’est une bataille que nous menons pour mettre fin à des formes modernes d’esclavage !
Pour terminer, monsieur le ministre, sans revenir sur l’urgence qui s’attache au vote de ce texte, je souhaite que soit précisé le calendrier devant nous amener à son adoption définitive et à la parution du décret qui permettra son application. Nous souhaitons que vous usiez de toutes vos prérogatives pour convoquer le plus rapidement possible une commission mixte paritaire.
L’adoption de ce texte marquera cette législature, rappelant que nous sommes fidèles aux valeurs humanistes de la France et que, sous notre majorité, notre pays assume ses responsabilités pour éclairer le chemin vers un nouvel âge de la mondialisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours malaisé d’analyser froidement les initiatives qui ont l’apparence de la supériorité morale. Nous savons tous combien les meilleures volontés peuvent tourner au cauchemar, particulièrement lorsqu’elles interviennent dans un domaine saturé par l’émotion.
Cette proposition de loi nous fait courir le même risque : d’apparence inoffensive, elle soulève de nombreuses objections juridiques et révèle un état d’esprit que nous ne pouvons cautionner.
D’apparence inoffensive, disais-je, elle a même à première vue l’aspect d’un texte salutaire. Il y aura évidemment consensus dans cet hémicycle pour nous accorder sur le principe de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE. Qui d’entre nous n’a pas été choqué par l’affaire de l’Erika ou par la tragédie du Rana Plaza ? Mais cette proposition de loi engage bien davantage qu’un examen rapide ne pourrait le laisser penser.
Je ne m’étendrai pas sur le contenu juridique du texte, analysé par le rapporteur au cours des différentes lectures, mais soulignerai sa rédaction vague, qui ouvre des brèches considérables dans la stabilité juridique dont ont besoin les entreprises, placées dans un climat particulièrement concurrentiel. Il sera très difficile pour les entreprises de prouver qu’elles respectent la loi ; quant aux obligations créées, elles auront un coût très important, voire seront impossibles à appliquer à toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs.
Par ailleurs, le champ potentiel de ce texte est considérable. Le cabinet ATEXO, que la délégation aux entreprises a chargé d’une étude sur la portée économique de la proposition de loi, a estimé qu’elle concernerait entre 146 et 243 entreprises, auxquelles il faudrait ajouter leurs filiales directes ou indirectes. Le chiffre de 243 entreprises peut paraître faible, mais il représente en réalité plus de 4 millions de salariés, plus de 33 % de la valeur ajoutée produite en France et plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’export. En bref, la proposition de loi aurait potentiellement un impact sur de très larges pans de l’économie française.
En tout état de cause, est-il raisonnable d’avoir une attitude unilatérale et franco-française en ce domaine ? Dans un monde de compétition internationale, l’échelle pertinente sur le sujet est-elle la France ? Certainement pas ! Une responsabilité sociale qui dépasse les frontières nationales doit s’accompagner logiquement d’une démarche juridique qui dépasse ces mêmes frontières. L’aire naturelle de cette démarche est l’Union européenne. C’est pourquoi je souscris totalement à la position du rapporteur de la commission des lois, qui propose de procéder à la transposition en droit national de la directive du 22 octobre 2014, que le Gouvernement n’a jusque-là pas cru bon d’opérer.
J’ajoute que les entreprises françaises sont très engagées dans une démarche volontaire et efficace en matière de RSE. La France est même leader, 47 % de ses entreprises ayant un système de management de la RSE considéré comme très performant, alors qu’elles sont seulement 40 % dans l’OCDE.
Enfin, je regrette l’état d’esprit de ce texte, qui considère l’entreprise davantage comme une source de dommages que comme créatrice de richesses et qui soupçonne plutôt que de faire confiance. La confiance, pourtant, le Président de la République lui-même l’appelait de ses vœux il y a un peu plus d’un an lorsqu’il disait aux entrepreneurs, lors de sa visite au salon Planète PME : « Vous êtes des chefs d’entreprise donc vous prenez des risques. Vous prenez des risques pour vous-mêmes, parfois pour votre famille. Vous prenez des risques aussi pour que notre pays soit plus fort, qu’il crée plus d’emplois, qu’il ait plus de richesse et qu’elle soit distribuée. C’est la raison pour laquelle nous devons avoir, avec des chefs d’entreprise, avec ceux qui créent, une relation de confiance. »
Or la confiance se construit sur des actes, et non pas seulement sur des paroles. C’est pourquoi je reste hostile à la proposition de loi initiale et voterai donc le texte de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne suis pas membre de la commission des lois, aussi est-ce avec intérêt que j’ai lu le rapport de notre collègue Christophe-André Frassa.
Monsieur le rapporteur, j’avais été quelque peu refroidi par votre approche nihiliste en première lecture. Rappelons les faits : après avoir envisagé la motion préjudicielle, vous aviez méthodiquement supprimé les articles un à un.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est peut-être la meilleure méthode…
M. Jérôme Durain. Je dois avouer que vous m’avez surpris en changeant votre fusil d’épaule ! Il vous était sans doute délicat de maintenir un rejet pur et simple d’une législation de progrès, alors que grandit la mobilisation civile et internationale en faveur de l’instauration d’un devoir de vigilance.
Mes chers collègues, vous le constatez comme moi, le rapporteur a considérablement élargi son spectre : il s’agit non plus d’empêcher qu’une nouvelle législation naisse, mais de faire en sorte que celle-ci ne change rien. N’allons surtout pas plus loin que la réglementation européenne qui ne traite pas ce sujet ! Ne prévoyons pas de bâton pour sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas cette loi ! Sauvegardons d’abord et avant tout la compétitivité ! Cette forme de laisser-faire est dissimulée derrière une intention de façade.
Je dis « de façade » parce que, en réalité, je n’ai pas vraiment compris, monsieur le rapporteur, quel était l’objectif de votre réécriture de la proposition de loi… Votre rapport est plein de détails sur la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises et de faire en sorte de ne pas punir ces dernières. En lisant et relisant votre rapport, on s’étonne. Il y a en effet des absents : les salariés des sous-traitants dont votre rapport ne fait pas mention. Vous écrivez « Rana Plaza » une fois, sans préciser s’il s’agit d’un atelier ou d’une épine dans le pied. J’ai l’impression, à la lecture du rapport, que certains sont pressés d’en finir avec ce débat qui constituerait « une atteinte à la concurrence », « engendrerait des coûts importants », voire « pourrait créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long de chaîne de sous-traitance ».
Cette proposition de loi a vocation à sauver des vies et à préserver l’environnement, mais on l’oublierait presque dans le rapport. Des salariés rescapés du Rana Plaza sillonnent pourtant la planète pour convaincre les opinions publiques qu’il faut inciter les compagnies occidentales à améliorer la sécurité de leurs usines. Des initiatives naissent dans de nombreuses démocraties : un référendum est à venir en Suisse ; le Modern Slavery Act a été adopté en 2015 au Royaume-Uni. Notons d’ailleurs que le lexique anglo-saxon démontre que les comparaisons que nous avons faites avec la fin de l’esclavage en France n’étaient pas aussi caricaturales que certains auraient bien voulu le faire croire.
Les États-Unis ont adopté une ligne très sévère avec le Bangladesh, puisqu’ils sont allés jusqu’à exclure ce pays d’un dispositif qui supprimait toute taxe dans le domaine de la poterie en juin 2013.
Ces exemples internationaux sont là pour vous convaincre que notre initiative ne relève pas du gauchisme de salon. Partout dans le monde, citoyens et institutions prennent conscience que la mondialisation sans frein n’a aucun sens. Ou plutôt qu’elle a bien un sens ou un objectif : le règne de l’oligarchie, comme l’écrit Thomas Guénolé dans un essai récent intitulé La mondialisation malheureuse. Sans règle, c’est la jungle. Toutes les démocraties occidentales, même celles que les partisans du laisser-faire ont tendance à citer en exemple, édictent des règles. Il ne suffit pas d’attendre que le MEDEF tienne ses promesses ou que les multinationales respectent leurs engagements humains. Il faut parfois, et je vais peut-être vous choquer, monsieur le rapporteur, utiliser le bâton.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Où est-il, votre bâton ?
M. Jérôme Durain. Je prendrai en exemple le décret de 2014 sur les investissements étrangers, dit « décret Montebourg ». Que n’a-t-on pas entendu à l’époque ? Les investisseurs étrangers allaient tous fuir sous des cieux plus hospitaliers – le Royaume-Uni, les États-Unis, etc. Et qu’a-t-on appris il y a deux semaines ? Que le gouvernement britannique conservateur durcissait son contrôle des investissements étrangers, nombre d’observateurs y voyant l’influence du décret Montebourg.
C’est de la politique concrète. Quel est notre objectif aujourd’hui ? Éviter un nouveau Rana Plaza. La proposition de loi permet d’éviter cela. Monsieur le rapporteur, pensez-vous que votre réécriture du texte empêchera de nouveaux drames ?
Vous comprendrez donc que votre argument selon lequel il ne faut surtout pas que la France soit en avance dans le domaine du devoir de vigilance ne m’a pas convaincu. Je suis très fier de la position de mon groupe qui a décidé de restaurer la version de la proposition de loi adoptée par les députés pour rester fidèle à son objectif : faire en sorte que la consommation ici ne s’appuie pas sur l’exploitation d’hommes et de femmes là-bas.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jérôme Durain. Les consommateurs, ou plutôt devrais-je dire les citoyens, veulent du concret. Les entreprises, dit-on, sont prêtes pour le concret. Les députés de gauche, mais aussi, me semble-t-il, certains députés du centre et de droite, sont prêts pour le progrès. Chers collègues de toutes les travées, le sommes-nous aussi ? Le groupe socialiste est clair sur cette question. Je suis certain qu’il ne sera pas isolé au Palais du Luxembourg.
J’entends déjà les rafales d’arguments que ne manquera pas de développer l’orateur suivant. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Mais il est possible d’imaginer un commerce international où l’on puisse, à la fois, vendre des avions et des tee-shirts et où les salariés de Dassault comme ceux des ateliers textiles du Bangladesh puissent bénéficier d’une égale dignité au travail ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de m’étonner de la conclusion de l’orateur socialiste qui m’a précédé. Qu’il vienne voir comment sont traités les salariés dans la société Dassault ! Ils touchent la moitié des bénéfices de l’entreprise, à égalité avec les actionnaires. Je ne crois pas qu’ils soient très malheureux !
M. Martial Bourquin. C’est bien ce qu’il a dit !
M. Serge Dassault. La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, présentée par le groupe socialiste, est extrêmement dangereuse pour toutes nos entreprises – les grands groupes comme les PME – et pour l’emploi, mais aussi, et plus généralement, pour la France, son économie et son attractivité. Notre pays n’est pas responsable des problèmes qui se posent dans les entreprises du monde entier. Il cherche à vendre ses produits et il trouve des sous-traitants. Ce n’est pas à lui d’aller vérifier que ces derniers respectent bien les règles humanitaires… C’est le travail de chaque État. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Évelyne Didier. Le propos a le mérite d’être clair…
M. Serge Dassault. La proposition de loi vise à instaurer en droit français une obligation de vigilance des entreprises à l’égard de leurs filiales, de leurs sous-traitants et fournisseurs, quelle que soit leur localisation dans le monde. Mais les filiales sont contrôlées et ne dépendent pas des pays étrangers. Ce n’est peut-être pas le cas pour les sous-traitants.
Le champ de cette obligation est très vaste : règles sanitaires, protection de l’environnement, droits de l’homme, corruption, risques d’accident… Mais comme les normes varient d’un pays à l’autre, elles sont impossibles à respecter. Une entreprise choisit un sous-traitant à l’étranger pour ses prix et la qualité de ses fabrications, et non pour ses règles de sécurité ou ses mesures de protection de l’environnement.
De plus, cette proposition de loi prévoit des sanctions pouvant atteindre 10 millions d’euros, que les entreprises françaises seraient les seules à respecter. Un tel dispositif n’existe nulle part ailleurs. Ces sanctions pourraient conduire les PME à la faillite. Si c’est ce que vous voulez, continuez ainsi, mais ne dites pas que vous cherchez à préserver l’emploi !
M. Alain Néri. Qui vend les Rafale ? Nous !
M. Serge Dassault. Cette proposition de loi est inacceptable, car les entreprises françaises sont déjà exemplaires et vigilantes en matière de respect des droits fondamentaux des salariés et de nos normes environnementales.
Elles se soumettent déjà et depuis fort longtemps, de manière responsable et volontaire, aux normes internationales dans ces domaines sensibles, que ce soit dans le cadre européen ou dans ceux de l’OCDE et des Nations unies, mais elles n’ont aucune information sur les normes applicables dans d’autres pays.
Je voudrais souligner les graves conséquences que cette législation pourrait avoir sur notre industrie et sur sa compétitivité. Il faut envisager la question dans son ensemble et ne pas examiner seulement les problèmes humanitaires, dont nous ne sommes pas responsables. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
En effet, cette proposition de loi, qui vise les grandes entreprises françaises implantées dans le monde, pénalisera toute la chaîne de leurs fournisseurs, qui seront contraints de respecter les mêmes obligations.
Cette initiative franco-française, que seuls les socialistes français réclament, entraînera une distorsion de concurrence sur le marché international au détriment de nos entreprises.
Enfin, j’ajoute que cette législation provoquera une forte inflation des coûts et des risques juridiques pour les entreprises françaises. Le marché de l’emploi dans notre pays, déjà bien dégradé, en subira alors toutes les conséquences, car cette loi obligera nombre d’entreprises françaises à se délocaliser pour se soustraire à ces nouvelles obligations que nous serons les seuls à appliquer. Cela ira à l’encontre de la volonté politique du gouvernement socialiste de restaurer la compétitivité des entreprises françaises par l’allègement des charges. Une fois de plus, ce sont nos entreprises qui seront pénalisées parce qu’elles seront les seules à appliquer ces règles.
Je me demande ce que cherche Bruno Le Roux, auteur de la proposition de loi, et la raison pour laquelle ce n’est pas le Gouvernement qui la présente. Pourquoi cherche-t-il à pénaliser nos entreprises, qui de ce fait partiront et créeront des emplois ailleurs ?
Il faut arrêter « d’empoisonner » nos entreprises avec de nouvelles normes stupides qui ne sont pas appliquées dans les autres pays. Sinon, elles finiront toutes par partir, et il ne restera plus que des chômeurs en France.
Le Gouvernement raconte qu’il fait tout pour renforcer nos entreprises ; mais les socialistes font tout pour les affaiblir. Ce n’est pas normal !
Cette proposition de loi est suicidaire pour nos entreprises, qui ne sont pas responsables des conditions de travail dans le monde entier et qui ont assez de normes à respecter. Arrêtez de les emm… ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous voterons contre cette proposition de loi stupide ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre
Article 1er
Après l’article L. 225-102-1 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-1-1. – Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, réalisent un total de bilan de plus de 20 millions d’euros ou un montant net de chiffre d’affaire de plus de 40 millions d’euros et emploient au moins cinq cents salariés permanents, le rapport mentionné à l’article L. 225-102 rend compte :
« 1° Des principaux risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, risques de dommages corporels ou environnementaux graves, risques sanitaires et risques de corruption résultant de son activité, de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 et de celle des fournisseurs et sous-traitants avec lesquels la société entretient une relation commerciale établie ;
« 2° Des mesures destinées à prévenir et détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d’influence, mises en œuvre par la société en application du chapitre XI du titre III du livre II ;
« 3° Lorsque la société n’est pas soumise à l’obligation de mettre en œuvre les mesures mentionnées au 2°, des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre par la société afin de prévenir les risques de corruption, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, résultant de son activité et de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 ;
« 4° Des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre par la société afin de prévenir les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les risques de dommages corporels ou environnementaux graves et les risques sanitaires, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, résultant de son activité et de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 ;
« 5° Lorsque cela s’avère pertinent et proportionné, des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre dans les domaines mentionnés aux 3° et 4°, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, par les fournisseurs et sous-traitants avec lesquels la société et les sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 entretiennent une relation commerciale établie.
« Lorsque la société ne met pas en œuvre de mesures dans certains domaines mentionnés aux 3° et 4°, le rapport en précise les raisons.
« Les mesures mentionnées au présent article font l’objet d’une vérification dans les conditions prévues au septième alinéa de l’article L. 225-102-1.
« Lorsque la société établit des comptes consolidés, les informations fournies sont consolidées et portent sur la société elle-même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales et des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3. Le présent article n’est pas applicable aux filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent le seuil mentionné au premier alinéa dès lors que ces informations sont publiées de façon consolidée par la société qui les contrôle au sens de l’article L. 233-3.
« Lorsque le rapport ne comprend pas les informations prévues au présent article, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les modalités de présentation des mesures mentionnées aux 3° à 5°. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, sur l’article.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’essentiel de la proposition de loi est contenu dans cet article. Si je comprends et approuve les objectifs des auteurs de ce texte, je m’interroge sur la portée réelle de ces dispositions.
En effet, la vérification de la réalisation de la formalité administrative liée à ce devoir de vigilance dans le rapport et les documents d’information de certaines entreprises est à la portée de notre administration. En revanche, l’effectivité des mesures de vigilance et des contrôles sur les échanges internationaux, qui reposent souvent sur des chaînes d’approvisionnement en cascade, est plus qu’aléatoire, voire impossible à assurer dans de nombreux cas.
Nous ne devons pas adopter des lois uniquement pour nous donner bonne conscience : il faut s’assurer de leur caractère opérationnel sur le terrain. Le dispositif proposé, tant dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale que dans celle du Sénat, a davantage une valeur incitative et pédagogique qu’une dimension opérationnelle.
Sur cette base, il ne me paraît pas utile de surtransposer par anticipation une directive européenne qui aurait pour seul effet concret de créer des contraintes administratives supplémentaires au moment où notre économie est en attente de simplification.
Pour la protection des droits humains, la défense de l’environnement et la lutte contre la corruption, nous devons agir d’abord au niveau des États, sur les législations et les réglementations qu’ils appliquent. C’est là que nous devons accentuer notre pression.
Mais il est vrai que l’on demande souvent davantage d’éthique aux entreprises, qu’elles soient nationales ou internationales, qu’aux États, y compris le nôtre, d’ailleurs. En effet, on pourrait s’interroger sur nos relations et partenariats commerciaux avec des pays qui n’appliquent pas un certain nombre de droits dont nous voulons nous assurer qu’ils sont bien respectés dans les échanges de l’économie privée.
Je citerai le Qatar ou l’Arabie Saoudite, qui ont déjà été mentionnés par l’un de mes collègues. Nous concluons des accords ou des conventions fiscales parmi les plus avantageuses au monde, avec le Qatar et le Koweït par exemple, sans nous poser trop de questions sur l’éthique, notamment en matière de droits de l’homme, de ces pays.
Avant de vouloir donner des leçons à la terre entière, il faut parfois savoir balayer devant sa porte !
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-4. - I. - Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.
« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Cet amendement vise à rétablir le texte initial de l’article. En effet, le mécanisme de responsabilité est essentiel dans le processus conduisant au respect par l’entreprise de son plan de vigilance. Si le plan ne bénéficiait pas de mécanismes de responsabilité civile, rien ne garantirait sa mise en œuvre effective par l’entreprise.
L’argumentation du rapporteur invoque des risques d’inconstitutionnalité, de responsabilité sans faute et d’extraterritorialité. Si elle peut tout à fait s’entendre, elle néglige néanmoins volontairement de préciser que l’entreprise est seulement responsable du plan de vigilance qu’elle a elle-même défini.
Ces arguments ne tiennent donc pas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous n’allons pas refaire le débat qui a eu lieu en première lecture. La position défendue par M. Labbé est contraire à celle de la commission.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Je l’ai dit dans la discussion générale, le Gouvernement sera favorable aux amendements qui rétablissent le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Néanmoins, comme je l’ai également indiqué, il faudra apporter un certain nombre de précisions juridiques.
Compte tenu de l’attitude peu coopérative de la majorité sénatoriale quant à la réécriture du texte, il me paraît préférable de rétablir la version de l’Assemblée nationale. Nous continuerons de peaufiner la rédaction lors de la prochaine lecture au Palais-Bourbon.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, je ne peux pas vous laisser dire que nous n’aurions pas été coopératifs, alors que les membres du groupe qui soutient le Gouvernement ont reconnu le contraire.
Nous avions décidé de nous opposer à cette proposition de loi. En deuxième lecture, nous avons cherché le moyen de la rendre viable, car elle ne l’est pas dans sa rédaction actuelle. Le texte est plein de bons sentiments, que nous partageons – nous ne devrions pas avoir à le répéter à longueur de débats –, mais les bons sentiments ne font pas les bonnes lois !
Les membres du groupe socialiste et républicain qui se sont succédé à la tribune ont rappelé que le texte comportait une obligation de moyens et non une obligation de résultat. C’est déjà dire que son ambition est limitée.
Cette ambition limitée, le texte ne permet même pas de la réaliser, pour une raison très simple : l’obligation de moyens est totalement indéfinie, indéterminée ! Voilà typiquement le type de législation pour lequel le Conseil constitutionnel nous dirait : « Mesdames, messieurs les parlementaires, vous venez de voter une loi qui n’épuise pas la compétence du législateur, car le juge ne saura pas comment l’appliquer. »
En effet, le contenu du plan de vigilance, qui serait opposable à des tiers, c’est-à-dire aux fournisseurs dénommés sous-traitants pour les besoins du texte, n’est pas précisé dans la proposition de loi. Comment un juge pourrait-il alors l’appliquer ? Il risque de mettre l’entreprise en situation d’insécurité : soit il aura des exigences élevées, soit il considérera que, en l’absence de précision, la loi permet de faire à peu près n’importe quoi si la lettre du texte est respectée.
La proposition de loi est donc inefficace, tout comme elle est probablement inconstitutionnelle. Elle n’est rien d’autre qu’un discours compassionnel mis en forme législative et sans valeur.
Dans ces conditions, le rapporteur, auquel je rends hommage, a dû faire de grands efforts pour essayer de sauver ce texte en lui permettant de ressembler, grâce à la transposition d’une directive, à une vraie loi, et non à un discours formé d’articles inconsistants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que nous n’avons pas déposé d’amendement. Il nous semble inutile d’essayer de modifier ce texte qui, évidemment, ne nous convient pas. Nous espérons que le travail de l’Assemblée nationale permettra de rétablir la version qui était importante pour nous.
La discussion générale était très intéressante. La position défendue par M. Dassault a montré qu’à l’évidence la majorité n’a pas opéré une véritable conversion. Elle a simplement essayé de masquer le caractère complètement archaïque de sa position initiale… Cela relève davantage d’un positionnement politique.
En tout état de cause, nous avons dit ce que nous avions à dire lors de la première lecture. Aujourd’hui, nous avons réaffirmé certains points lors de la discussion générale. Nous voterons malgré tout les amendements de nos collègues, parce qu’ils essaient de changer les choses, mais je dois avouer qu’il serait préférable d’en finir rapidement, car il n’y a pas grand-chose à attendre de notre débat, et de renvoyer le texte à l’Assemblée nationale.
M. Alain Néri. Bravo !
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer la référence :
L. 225-102-1
par la référence :
L. 225-102-3
et la référence :
L. 225-102-1-1
par la référence :
L. 225-102-4
II. – Alinéas 2 à 12
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 225-102-4. I. – Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.
« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. Les mesures du plan visent également à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société et des sociétés qu’elle contrôle.
« Le plan de vigilance est rendu public et inclus dans le rapport mentionné à l’article L. 225-102.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de présentation et d’application du plan de vigilance, ainsi que les conditions du suivi de sa mise en œuvre effective, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale.
« II – Toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut demander à la juridiction compétente d’enjoindre à la société, le cas échéant sous astreinte, d’établir le plan de vigilance, d’en assurer la communication au public et de rendre compte de sa mise en œuvre conformément au I.
« Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Cet amendement ne satisfera vraisemblablement pas le président de la commission des lois, puisqu’il vise à rétablir le texte initial et, en particulier, l’obligation faite aux grandes sociétés – je rappelle qu’elles doivent avoir plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés si l’on intègre leurs filiales à l’étranger – de prévoir un plan de vigilance, qui constitue en réalité le cœur du dispositif.
Contrairement à ce qui a été dit précédemment, l’article 1er définit le contenu de ce plan : il s’agit des « mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales ». Or nous savons bien ce que sont les droits de l’homme et les libertés fondamentales !
Il doit également contenir des mesures pour prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, les risques sanitaires ou la corruption active ou passive : autant de faits que nous savons aussi déterminer.
Nous souhaitons restaurer toute l’originalité et la force de ce dispositif qui établit une vigilance à trois cent soixante degrés, car la commission des lois n’a pas seulement changé les modalités du dispositif d’origine, elle en a modifié la nature même. C’est la raison pour laquelle nous sommes défavorables au texte de la commission et proposons de revenir au texte initial.
Par ailleurs, l’amendement tend à rétablir le mécanisme d’injonction sous astreinte. Sous couvert de clarification, la commission a restreint substantiellement la portée de ce mécanisme : dans son texte, il s’agit d’une simple injonction de communiquer des informations, alors que, dans la version initiale, il s’agissait d’une véritable injonction de faire, c’est-à-dire de communiquer, mais aussi de mettre en œuvre. C’est donc l’effectivité du dispositif qui est en jeu.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Art. L. 225-102-1-1. – Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé et qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, avec leurs filiales directes et indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, réalisent…
II. – Alinéa 3
Supprimer les deuxième, troisième et quatrième occurrences du mot :
risques
III. – Alinéa 10, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas tenues de rendre compte des informations prévues au présent article dès lors que ces informations sont publiées de façon consolidée par la société qui les contrôle au sens de l’article L. 233-3.
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Gabouty, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
qui
insérer les mots :
, au vu de leurs états financiers consolidés
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Cet amendement de précision vise à introduire la notion d’états financiers consolidés, qui existe déjà ailleurs dans le texte. Pour la définition du périmètre financier des entreprises, le terme « consolidé » ne figurait pas.
La consolidation peut être obligatoire : si le chiffre d’affaires est de 40 millions d’euros, les entreprises y sont tenues. En revanche, ce n’est pas le cas si le chiffre d’affaires est de 20 millions d’euros.
Cette notion d’états financiers consolidés est préférable à celle de chiffre d’affaires net, dont je ne connais pas la signification. Mon amendement suivant est un amendement de repli, qui prévoit une autre formulation.
Cette précision rédactionnelle ne change pas le sens du texte.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Gabouty, est ainsi libellé :
Alinéa 2
I. – Supprimer les mots :
total de
II. – Après le mot :
bilan
insérer le mot :
consolidé
III. – Supprimer le mot :
net
IV. – Après le mot :
affaire
insérer le mot :
consolidé
Cet amendement a été précédemment défendu.
L’amendement n° 7, présenté par MM. Collin et Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
affaire
par le mot :
affaires
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Il s’agit d’un amendement rédactionnel. L’article 1er, qui est le cœur de la proposition de loi, suscite un véritable débat sur le fond, et c’est bien compréhensible.
Toutefois, pour reprendre la formule de Victor Hugo, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Cet amendement vise à corriger un point de détail qui a échappé à la sagacité de mes collègues. En effet, en français, le mot affaire soit se mettre au pluriel dans l’expression « chiffre d’affaires ». Je ne doute pas que cet amendement recevra un avis favorable de la commission !
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article s’applique également aux établissements de crédit, aux entreprises d’assurance et de réassurance, aux institutions de prévoyance et à leurs unions et aux mutuelles et à leurs unions mentionnés aux 1° à 4° du III de l’article L. 820-1 lorsqu’ils dépassent, à la clôture de deux exercices consécutifs, les seuils prévus au premier alinéa du présent article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement vise à compléter le périmètre des « entités d’intérêt public » soumises à l’obligation de publier des informations sur les principaux risques sociaux et environnementaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Puisque l’amendement n° 2 rectifié est contraire à la position de la commission, celle-ci a émis un avis défavorable, les mêmes causes engendrant les mêmes effets.
Pour ce qui concerne les amendements nos 10 et 11 rectifié de M. Gabouty, qui sont liés – le premier vise à insérer la mention de la notion de comptes consolidés dans la vérification des sociétés concernées par l’obligation de vigilance et le second à préciser cette notion –, je ferai une réponse commune. Cette mention ne me paraît pas utile pour cerner le périmètre des sociétés cotées concernées par l’obligation de vigilance, puisque le texte, conformément à la directive européenne 2014/95/UE du 22 octobre 2014, fixe déjà des seuils précis incluant des filiales directes et indirectes françaises et étrangères.
De plus, la notion juridique de comptes consolidés englobe, outre la société mère, d’autres sociétés que les seules filiales – je vous renvoie notamment à l’article L. 233-16 du code de commerce. Cette précision serait donc en réalité une source de confusion sur le périmètre des sociétés soumises à cette nouvelle obligation.
Enfin, l’amendement n° 12, que je viens de défendre, contribue déjà à clarifier un dispositif dont je reconnais qu’il n’est pas aisément lisible…
C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer ces deux amendements, monsieur Gabouty.
En ce qui concerne l’amendement n° 7 de M. Collin, j’émets un avis évidemment très favorable, car il vise à corriger une faute d’orthographe qui s’est glissée dans le texte de la commission. La division des lois l’aurait directement corrigée, mais, puisqu’il s’agit du seul amendement du groupe du RDSE…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Faut-il d’ailleurs en déduire que mes collègues du groupe du RDSE soutiennent le texte de la commission ? (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Comme le dit très bien M. le rapporteur, les mêmes causes ont les mêmes effets, et cela se vérifie dans l’autre sens. (Sourires.)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Étonnant !
M. Michel Sapin, ministre. Chacun sa logique…
Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement n° 2, qui tend à rétablir le texte initial, et défavorable à l’ensemble des amendements qui visent à améliorer le texte de la commission.
Cela étant, je peux évidemment avoir une indulgence particulière pour la correction orthographique de M. Collin ; je suis donc favorable à cet amendement,…
M. Henri de Raincourt. Il y a des privilégiés !
M. Michel Sapin, ministre. … même si je suis défavorable aux mots ainsi corrigés.
Enfin, je suis également défavorable à l’amendement n° 13.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Estonie, Lituanie, Slovaquie, Portugal, Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Grèce : cette liste est celle des pays dont les parlements ont lancé, en mai dernier, une initiative demandant à la Commission européenne de légiférer sur un devoir de vigilance des entreprises européennes. Leur objectif est de prévenir et de réparer les dommages graves aux droits humains et sociaux et à l’environnement causés par les activités directes ou indirectes des entreprises.
Depuis l’effondrement du Rana Plaza, nombreuses sont les voix qui demandent que l’éthique prenne le dessus par rapport à l’économie ; la recherche effrénée de la rentabilité a trouvé ses limites.
Dans cette optique, le dispositif adopté en commission, du fait de sa souplesse et de son absence de caractère contraignant, fait perdre tout sens au texte initial.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la responsabilité sociale et environnementale des entreprises résulte d’une démarche née au sein des grandes entreprises elles-mêmes. Les premières firmes concernées au début des années 1990 étaient Levi’s, Nike, Reebok.
Je vous rappelle également le scandale qui a touché Nestlé à la suite de la révélation de la présence d’enfants dans ses plantations de cacao en Côte d’Ivoire. Cette société a dû organiser une campagne de communication affirmant que le recours à l’utilisation du travail des enfants dans sa chaîne d’approvisionnement du cacao allait à l’encontre de l’ensemble de ses valeurs.
Pour une grande entreprise, l’enjeu de la RSE est donc tout d’abord la compétitivité. Je vous renvoie d’ailleurs à l’étude du Conseil d’État de 2013, qui en fait le constat : « Il serait cependant réducteur de ne voir dans la RSE qu’un mécanisme défensif de réaction à des scandales. Ces démarches sont également sous-tendues par l’idée qu’une entreprise respectueuse des droits fondamentaux des travailleurs et de l’environnement aura une performance économique plus durable. Elles sont porteuses d’avancées. »
C’est l’économie qui doit être au service de l’humain et non l’inverse. Je voterai évidemment pour l’amendement de mon collègue Didier Marie.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 10 n’a plus d’objet.
Monsieur Gabouty, l’amendement n° 11 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Marc Gabouty. Non, monsieur le président, je le retire.
En termes comptables, je le répète, je ne sais pas ce qu’est un chiffre d’affaires « net » mais, dans ce contexte, cela n’a pas grande importance.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 7.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le juge peut prononcer une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d’euros. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Le présent amendement vise également à rétablir le texte initial pour offrir au juge la possibilité d’infliger une amende civile à une société négligente qui aurait omis d’établir son plan de vigilance. Le montant de cette amende civile ne pourrait être supérieur à 10 millions d’euros. En pratique, le juge vérifiera si l’entreprise a bien établi son plan, si elle en a assuré la communication et si elle a rendu compte de sa mise en œuvre.
La commission des lois a supprimé l’amende civile en invoquant notamment son caractère disproportionné. Rappelons toutefois que cela concerne des entreprises qui emploient au moins 5 000 salariés, directement ou par l’intermédiaire de filiales directes ou indirectes, donc de très grands groupes dont la pérennité ne devrait pas être remise en cause par une amende de cette nature si, par malheur, ils devaient en être frappés. Par ailleurs, le texte fixe certes un plafond, mais il appartiendra au juge de fixer le montant de chaque amende, qui a une fonction de prévention des infractions au regard des objectifs d’intérêt général du texte.
Autre argument invoqué par la commission à l’appui de la suppression de l’amende civile : le mécanisme de l’injonction suffirait. Néanmoins, je le disais précédemment, ce mécanisme a été restreint et sa portée amoindrie. En outre, notre objectif consiste à créer un dispositif complet instaurant des obligations claires et intelligibles pour les entreprises avec, parallèlement, un dispositif de sanctions qui, pour être efficace, doit être gradué. Cette amende ne doit donc pas être opposée au mécanisme d’injonction ; au contraire, les deux sanctions forment un tout pouvant être mis en œuvre par le juge.
Les craintes exprimées par la commission des lois nous paraissent donc infondées, d’autant qu’il sera toujours possible, M. le ministre l’indiquait, de préciser dans la suite de la discussion, notamment à l’Assemblée nationale, les modalités de mise en œuvre de cette amende.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de rétablir le texte dans sa version initiale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Outre qu’elle va à l’encontre la position de la commission, cette amende civile posera – le Gouvernement ne pourra pas prétendre le contraire – des problèmes constitutionnels.
L’avis de la commission sur cet amendement est évidemment défavorable.
Je m’en tiendrai là, mais je précise que c’est votre conception même du dispositif qui est viciée. En effet, comment peut-on faire de la prévention avec des amendes ? Il s’agit de deux conceptions qui s’opposent, au-delà même de ce que les uns et les autres peuvent penser.
Mme Évelyne Didier. Non !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce sont deux conceptions différentes ! Vous avez la vôtre, j’ai la mienne, et je ne les discute pas sur le fond.
Mme Évelyne Didier. Il n’y aurait pas de sanction pour ceux qui se conduisent mal, alors ?
M. le président. Poursuivez, monsieur le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’appelle faire de la prévention, dans ce cas ! On peut créer des sanctions, mais il ne faut pas dire, comme je l’entends partout depuis ce matin, que l’on fait de la prévention. Dites que vous faites un texte coercitif !
Mme Évelyne Didier. Un plan de vigilance, c’est de la prévention !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. La vigilance ne relève pas de la sanction. Soyez coercitifs, mais ne déguisez pas vos propositions en plan de vigilance.
Mme Évelyne Didier. La RSE ne relève pas de la sanction.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. N’appelez pas cela la « responsabilité » sociale et environnementale ; ayez le courage de votre opinion et allez au bout de la démarche. Faites un plan de sanctions des entreprises, un plan coercitif, mais n’invoquez pas une vertu qui n’en est pas une.
Mme Évelyne Didier. Caricature !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Je ne vais pas relancer le débat, mais il est vrai qu’il vaut mieux éviter de caricaturer les positions des uns et des autres sur ce sujet.
En ce qui concerne cet amendement, j’émets, respectant la logique que j’ai invoquée précédemment, un avis favorable, puisqu’il s’agit de rétablir le texte initial. Néanmoins, je ne le dissimule pas, il y a effectivement un problème de constitutionnalité lié à la proportionnalité de la peine. Il faudra donc que l’Assemblée nationale adopte un certain nombre de modifications qui n’amoindriront pas le texte, mais qui lui conféreront toutes les garanties juridiques et constitutionnelles nécessaires.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je ne veux pas allonger excessivement le débat mais, le rapporteur donnant un peu dans la caricature, on ne peut laisser passer les propos qu’il a tenus.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. C’est cette proposition de loi qui est une caricature !
M. Didier Marie. Ce dispositif est bien une mesure de prévention. Vous l’avez souligné vous-même en commission, près de 80 % des entreprises du CAC 40 se sont déjà engagées dans des mesures proches de celles que nous souhaitons instaurer pour l’ensemble des entreprises. Pour celles qui ont déjà adopté une démarche de RSE, il n’y aura aucune difficulté à aller un peu plus loin et à mettre en œuvre le plan que nous souhaitons.
Il reste néanmoins 20 % des entreprises qui n’ont rien fait. Nous supposons que, une fois ce texte adopté, et il le sera, bon nombre d’entre elles franchiront le pas. Il en demeurera toujours, vraisemblablement, quelques-unes qui, pour des raisons diverses, notamment la volonté de privilégier la rentabilité par rapport à l’humanité, essaieront d’y échapper. Certes, elles pourront peut-être édicter un plan et communiquer à son sujet, mais elles ne le mettront pas en œuvre. La sanction est donc là pour ces sociétés.
Les entreprises, dans leur grande majorité, sont responsables, mais certaines ne le sont pas, l’actualité le démontre malheureusement chaque jour. C’est contre cela, contre cette forme d’esclavage moderne, que nous nous battons.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-5. – Le non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1382 et 1383 du code civil.
« L’action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l’article L. 225-102-4 du présent code.
« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Le présent amendement vise à rétablir l’article 2 de la proposition de loi dans sa rédaction initiale. Pour justifier la suppression de cet article, la commission des lois a considéré que sa portée juridique posait problème.
De quoi s’agit-il ? L’article 2 du texte introduit un régime de responsabilité civile fondé sur les anciens articles 1382 et 1383 du code civil, désormais numérotés 1240 et 1241. En pratique, il reviendrait au juge d’établir l’existence d’une faute, consistant dans le défaut d’établissement d’un plan de vigilance, dans l’absence de publication ou dans la mise en œuvre imparfaite de ce plan. Il devrait aussi établir l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité.
En conséquence, il n’y a pas lieu de penser que les entreprises concernées par cette obligation seraient exposées à un risque important de contentieux. Il reviendrait en effet aux sociétés, pour satisfaire à leur obligation, d’édicter un plan contenant des mesures raisonnables et de le mettre effectivement en œuvre.
Pour en revenir à la critique du rapporteur, l’article ainsi rédigé ne contredit pas le juge constitutionnel, lequel a posé une double condition : que chaque personne consente à ce qu’une organisation représentative introduise une action pour son compte et qu’elle conserve la liberté de conduire la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action.
Ainsi, ces doutes nous paraissant excessifs, nous demandons le rétablissement de cet article 2.
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-5. – Le non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1240 et 1241 du code civil.
« L’action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l’article L. 225-102-4 du présent code.
« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Cet amendement est défendu !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ces amendements sont quasi identiques et tendent à rétablir le texte de l’article 2 issu de l’Assemblée nationale portant sur le régime de responsabilité. Faisons court…
M. Henri de Raincourt. Oui !
M. Martial Bourquin. Alors, ne soyez pas caricatural !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je le serai aussi peu que vous, donc ce sera difficile de ne pas l’être…
Cette disposition revêt une portée juridique particulièrement incertaine : selon les personnes que j’ai entendues en audition lors de la première lecture, soit il s’agit d’un simple rappel du droit commun de la responsabilité, auquel cas cette disposition est inutile, soit il s’agit de la création implicite d’un nouveau régime de responsabilité pour faute d’autrui – par exemple, la responsabilité de la société mère pour la faute d’un sous-traitant étranger ayant causé un dommage – destiné à trouver un moyen d’indemnisation, et, dans ce cas se pose un problème constitutionnel au regard du principe de responsabilité.
Le débat ne porte donc pas du tout sur l’obligation de moyens ou de résultat, comme le prétend l’objet de l’amendement.
La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas fait la distinction entre un sous-traitant et une filiale ; c’est tout de même un sacré problème !
Vous nous donnez une leçon de droit en vous appuyant sur l’exemple d’un sous-traitant, mais un sous-traitant n’est pas une filiale. Une filiale est une entreprise dont un groupe détient la majorité du capital. Or, justement, quand des problèmes émergent, ils impliquent souvent des filiales.
Toutes les argumentations que vous avez exposées présentent un véritable problème. Premièrement, vous dites que la compétitivité ne peut se fonder sur l’éthique ; or les entreprises françaises du CAC 40 ont, dans leur majorité, décidé de favoriser leur compétitivité grâce à l’éthique.
M. Martial Bourquin. Deuxièmement, vous demandez pourquoi la France devrait s’inscrire dans un tel projet alors que les autres pays européens ne le font pas. Eh bien, allons-y et essayons d’entraîner l’ensemble des pays européens ; faisons en sorte que la productivité et la compétitivité soient favorisées par l’éthique.
Je vous signale que des centaines, voire des milliers d’enfants sont victimes de cette situation. On observe de par le monde des comportements inacceptables et, pour notre pays, qui est le pays des droits de l’homme, c’est épouvantable. Il semble donc évident qu’il faut responsabiliser les sociétés mères par rapport à leurs filiales et nous devrions tous nous retrouver sur un tel sujet.
Sachez enfin que nous sommes observés sur de tels sujets et que se cacher derrière le droit comme vous l’avez fait, avec une mauvaise interprétation, me paraît peu élégant.
M. le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.
Article 3
L’article L. 225-102-1-1 du code de commerce est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
L’amende civile encourue en application des mêmes articles est prononcée en monnaie locale, compte tenu de la contre-valeur dans cette monnaie de l’euro.
La parole est à M. Didier Marie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4 (nouveau)
L’article L. 225-102-1-1 du code de commerce, tel qu’il résulte de l’article 1er de la présente loi, est applicable à compter du rapport mentionné à l’article L. 225-102 portant sur le premier exercice ouvert après la publication de la présente loi.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Marie, Durain, Cabanel, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Il s’agit, là encore, d’un amendement de coordination avec le rétablissement du texte de l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après la référence :
L. 225-102
insérer les mots :
du même code
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est très important, car il témoigne d’une volonté, celle de faire en sorte que les sociétés mères exercent toute leur responsabilité à l’égard de l’action de leurs filiales dans le monde tel qu’il est, c’est-à-dire dans un monde marqué par l’exploitation. Mon collègue Martial Bourquin évoquait les enfants ; par ailleurs, on connaît et on garde en mémoire les accidents qui ont eu lieu, en particulier au Bangladesh.
Vous avez adopté en première lecture, monsieur Frassa, une méthode consistant à supprimer les articles un par un : à la fin du débat, il n’y avait donc plus de texte. Vous avez adopté cette fois-ci une méthode un peu plus subtile : vous édulcorez tellement le texte que, à la fin, il n’en reste plus rien non plus. Néanmoins, la méthode a changé et je vous en donne acte.
Quel est le fond de l’affaire ? Le Parlement et le Gouvernement français peuvent-ils prendre des dispositions qui montrent le chemin, non seulement pour nous, mais encore pour d’autres ? MM. Marie et Durain l’ont rappelé, le même débat a lieu ailleurs. Des initiatives sont d’ailleurs prises en ce sens tant dans d’autres pays qu’à l’échelon européen. Il nous appartient donc d’aller dans le même sens.
Certains, comme M. Dassault, nous disent que l’adoption de telles dispositions entraînera la ruine des entreprises françaises, qui subiront des contraintes que d’autres n’auront pas. Pardon de me répéter, puisque j'y ai déjà fait référence en commission : Victor Schœlcher siégeait dans cet hémicycle, au deuxième rang derrière vous, monsieur le ministre. Je ne sais si, au XIXe siècle, on lui a dit que l’abolition de l’esclavage dans notre seul pays entraînerait un préjudice considérable pour l’industrie française, car les autres pays continueraient de recourir à l’esclavage, mais il a tenu bon et la France, la République française, a souvent tenu bon !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut sans doute apporter des précisions juridiques au texte et cela sera fait, M. le ministre l’a dit, mais, sur le fond, c’est bien ceci qui est en cause : montrer le chemin pour garantir le respect des droits des êtres humains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Joël Labbé et Yvon Collin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je trouve que cette argumentation fondée sur la culpabilisation a quelque chose d’assez déloyal.
Je souhaite pour ma part revenir au fond du texte. On peut regretter que les informations demandées sur les mesures de sauvegarde, qu’il s’agisse du texte sénatorial ou de celui de l’Assemblée nationale, se limitent aux seules sociétés mères cotées en bourse et ne s’appliquent pas à toutes les entreprises d’une certaine taille, notamment aux entreprises à capitaux publics. Il me semblerait en effet plus logique de viser toutes les entreprises et non une seule catégorie d’entre elles en raison de leur capital et de leur actionnariat.
Pour aborder positivement ce texte, plutôt que de faire de grandes déclarations et de nous donner bonne conscience avec des mesures qui, de toute façon, n’auront pas d’effectivité lorsqu’elles feront l’objet d’un contrôle – il s’agit donc surtout de se faire plaisir –, proposons quelque chose. Je suggère donc que, bien que cela relève du domaine réglementaire, on intègre ce rapport de sauvegarde et de prévention des risques parmi les critères pris en compte dans l’appréciation de la valeur technique d’une entreprise dans le cadre de l’attribution d’un marché public. Cela aurait un impact réel, concret. C’est peut-être plus modeste, moins ambitieux, mais cela correspondra à une réalité de fonctionnement.
Par ailleurs, en ce qui concerne la directive européenne et la démarche du Sénat, ne faites pas de procès d’intention à la majorité sénatoriale, dont je fais bien entendu partie. Je pense que nous avons le même objectif, la même volonté ; simplement, vous cherchez une formule idéale quand nous visons plus modestement, pour notre part, des mesures plus concrètes et applicables dans la réalité.
Le groupe UDI-UC votera le texte de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Au terme de ce débat, je veux saluer les personnes avec lesquelles j’ai travaillé, en particulier les syndicalistes travaillant à l’échelon international qui ont rencontré des syndicalistes et des salariés d’entreprises comme celles qu’abritait le Rana Plaza. Ils nous ont fait part de l’action importante que ces syndicats mènent pour qu’évoluent, dans leur propre pays, les droits des salariés et les droits humains en général. Je place beaucoup d’espoir dans la relation qu’entretiennent les syndicats de nos pays avec ceux de ces pays-là.
Je veux également souligner l’action des ONG qui sont à l’initiative, me semble-t-il, de ce texte, comme le collectif Éthique sur l’étiquette, que j’ai rencontré.
Les consommateurs et les associations de consommateurs – je pense en particulier à l’Association pour l’information et la défense des consommateurs salariés, INDECOSA-CGT –, avec lesquels j’ai travaillé, sont parfaitement conscients des enjeux. Or les choses bougeront aussi grâce à la prise de conscience de la société civile.
Je ne crois pas, mon cher collègue, qu’il s’agisse de se donner « bonne conscience » ni de « se faire plaisir ». Présenter les choses ainsi relève, là encore, de la caricature et fait fi des convictions des uns et des autres. Vous avez des convictions, nous en avons d’autres et nous essayons tous de les défendre au mieux.
Que le débat fasse apparaître la vérité de chacun ! C’est la raison pour laquelle j’ai trouvé de débat très intéressant, en particulier l’intervention de M. Dassault. Grâce à lui, les choses étaient claires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est, pour le groupe écologiste, un texte clef et un marqueur qui fait avancer les choses, même si c’est d’un petit cliquet. Ce n’est qu’un plan de vigilance, certes, mais il s’agit d’un marqueur majeur.
M. Sueur évoquait les temps de l’esclavage, mais, si l’on y regarde bien, n’est-ce pas une forme d’esclavage des temps modernes que de demander à des gens, y compris des enfants, à l’autre bout du monde, de travailler pour trois fois rien dans des conditions parfois abominables ? Tout cela pour assurer le confort de ceux qui, dans les sociétés occidentales, en ont encore les moyens ! Le fonctionnement du monde et le grand marché mondial doivent être remis en question.
J’entends, par ailleurs, parler de bonne conscience ; c’est blessant pour ceux qui se battent contre ce système !
Outre les syndicats, qu’Évelyne Didier vient d’évoquer, le Sénat a entendu des associations et des ONG membres d’un même forum, à savoir le collectif, que j'ai déjà cité, Éthique sur l’étiquette, mais aussi Amnesty International, les Amis de la terre, CCFD-Terre solidaire et Sherpa. Or les membres de la société civile organisée, qui représentent l’opinion politique française de manière grandissante, sont convaincus que l’on ne peut continuer ainsi.
Il est important de donner à notre population des signes sur le virage à prendre. Avec cette proposition de loi, nous sommes en plein dans le sujet de la COP 21 ! Que le texte soit sur la table aurait peut-être mérité que nous nous abstenions, mais il a tellement été vidé de sa substance que nous allons voter contre, non sans désespoir. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Tout d'abord, je veux réitérer mes remerciements au Gouvernement, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une semaine qui lui était réservée. Sans cette initiative, le texte n’aurait pu être examiné aujourd'hui et, surtout, il aurait risqué de ne pas aboutir avant la fin de la législature.
Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà indiqué dans la discussion générale, nous attendons que son examen par le Parlement se poursuive, de telle sorte que le décret puisse paraître avant cette échéance.
Au-delà du débat juridique, qui est bien évidemment tout à fait normal, la présente proposition de loi peut donner lieu à des points de vue différents. Nos discussions ont permis une clarification politique, ainsi que ma collègue Évelyne Didier vient de le souligner.
À cet égard, je remercie très sincèrement M. Dassault de s’être exprimé : son intervention nous a permis de connaître le fond de la pensée des sénatrices et sénateurs qui soutiennent la position du rapporteur, loin des circonvolutions dont use celui-ci. En réalité, il s'agit tout simplement de refuser de mettre en place un devoir de vigilance, en considérant que la compétitivité prime l’éthique !
Pour ce qui nous concerne, nous pensons l’exact inverse.
Mme Élisabeth Lamure. Vous n’êtes pas réalistes !
M. Didier Marie. Nous considérons que compétitivité et éthique sont compatibles. Mieux, nous estimons que l’éthique permet un différentiel positif de compétitivité pour nos entreprises, car les consommateurs d’aujourd'hui attendent et demandent de la transparence.
Ils attendent et demandent que les produits qu’ils achètent soient fabriqués dans des conditions dignes, respectant les droits humains et l’environnement. Aucun de nos concitoyens n’accepterait aujourd'hui d’acheter un tee-shirt taché de sang ou un smartphone fabriqué avec des composants issus de ce qu’une ONG appelle « les minerais de sang » !
M. Henri de Raincourt. Surtout s’il s’agit du Galaxy Note 7…
M. Didier Marie. Enfin, accepter et mettre en œuvre un devoir de vigilance, c’est aussi refuser la pression à la baisse qui est exercée sur nos standards nationaux en matière de protection sociale et de droits humains. En effet, si les grandes entreprises européennes, notamment françaises, sont autorisées à perpétuer leurs pratiques malheureuses dans un certain nombre de pays, il serait logique que ces pays nous demandent un abaissement des standards de production qui sont les nôtres, dans un souci de compétitivité.
Certes, le rapport entre compétitivité et éthique est complexe, mais nous considérons que l’éthique doit être prise en compte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je soutiens totalement le texte, tel qu’il nous a été présenté par notre rapporteur, M. Frassa.
Je veux apporter un témoignage. J’étais chargé du commerce extérieur de la France lors de la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce. Alors que nous défendions des clauses à la fois sociales et environnementales, nous avons soulevé l’hostilité déterminée de toute une série de pays, qui avaient accédé à l’industrie tardivement.
Les représentants de ces pays nous tenaient un discours parfaitement cohérent : « Si les pays occidentaux, qui disposent d’à peu près tous les avantages – la technologie, les outils de production, la propriété industrielle, la détention des centres de recherche… –, nous imposent des clauses environnementales ou sociales que nous sommes incapables de respecter aujourd'hui, nous, pays moins favorisés, ne vendrons plus aucun de leurs produits ».
Et ils nous rappelaient, à juste raison, que certaines étapes, au démarrage, nécessitent un certain nombre de sacrifices. Chers collègues, vous avez évoqué le combat pour l’abolition de l’esclavage de Victor Schœlcher, mais je rappelle que, à la même époque, Villermé publiait son rapport sur les conditions de travail, notamment celles des enfants, qui prévalaient dans la France industrielle du XIXe siècle. (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.)
Faut-il se résigner ? Je ne le pense pas. Faut-il légiférer ? Je suis convaincu qu’il s’agit là de bonne conscience, monsieur Labbé. Le véritable atout, le véritable partenaire de l’évolution sociale, c’est le consommateur.
Or nous constatons aujourd'hui que les consommateurs recherchent, pour une fraction importante d’entre eux, des produits équitables, à l’instar des produits labellisés dans le domaine de l’environnement – la forêt, par exemple. Par ailleurs, toute une série de nouveaux pays industriels sont en train d’épouser la cause des clauses sociales, naturellement par respect pour leur population, mais aussi, de manière certainement bien plus déterminante, pour retrouver le soutien des consommateurs riches des pays occidentaux, États-Unis ou États européens.
J’ajoute que nous avons la responsabilité de l’industrie française. À ce titre, nous avons des salariés à faire vivre. Puisque nous sommes amenés à vendre un certain nombre de produits dans des pays avec lesquels nous sommes en compétition, nous sommes bien obligés de bénéficier de ces contreparties !
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, je trouve quelque peu dommage que nous sombrions aujourd'hui dans une espèce de jeu politique (M. Martial Bourquin proteste.), qui consiste à cliver, alors que, au final, nous le savons tous, nous sommes d’accord sur l’essentiel, qui est la nécessité d’agir pour les travailleurs exploités.
Ce que je retiens aujourd'hui, c’est que le Sénat affirme une volonté forte, celle de transposer la directive européenne relative au devoir de vigilance aux entreprises.
Ce premier pas est essentiel, et nous devrions tous nous réjouir de l’avoir franchi !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, je veux réagir à l’intervention de Gérard Longuet.
À vous entendre, cher collègue, on ne saurait faire autrement que de sacrifier des générations pour que les pays moins développés que le nôtre puissent l’être un peu plus demain, et ce sera alors seulement que l’on pourra évoquer la question sociale.
Les conséquences de ces propos sont dramatiques. Il s'agit tout de même d’enfants qui vivent dans des conditions absolument pitoyables ! Dois-je rappeler que la France est le pays des droits de l’homme ?
Par parenthèse, sur un plan strictement politique, je suis surpris de la différence d’appréciation entre députés et sénateurs de droite. Il faudra que l’on nous en explique les raisons !
Tout à l'heure a été évoquée la mémoire de Victor Schœlcher, l’un des plus éminents sénateurs qui aient siégé sur les travées où nous siégeons aujourd'hui. Voilà quelques générations, ce sont les mêmes arguments qui étaient échangés sur le problème de l’esclavage : le débat était strictement identique !
Pour ce qui me concerne, je suis fier de siéger sur les mêmes travées que Victor Schœlcher et Victor Hugo. Ce dernier disait : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Ayons le courage d’ouvrir nos ailes pour les enfants, pas pour les enfants de demain ou d’après-demain, mais pour ceux d’aujourd'hui ! Tel est le sens de cette proposition de loi, que soutient le Gouvernement. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Notre collègue Gérard Longuet évoquait les rapports d’État à État, mais il s’agit bien aujourd'hui d’aborder la responsabilité des sociétés mères et de leurs filiales ! Ce n’est pas du tout le même sujet. Il s’agit de faire en sorte qu’une entreprise dont une filiale impose des conditions de travail mettant en cause les droits humains puisse voir sa responsabilité engagée.
Au demeurant, pourquoi ces entreprises recourent-elles au moins-disant social et à des conditions de travail effroyables ? Parce que, souvent, elles ne veulent pas investir en France. Il est parfois bien plus simple de recourir à des ateliers, où peuvent survenir des accidents épouvantables, comme on l’a vu, que de robotiser et de moderniser sur notre sol. Souvent, l’attitude des filiales qui ne respectent pas les droits humains doit être mise en relation avec des délocalisations et un certain sous-investissement.
Franchement, opposer l’éthique et la productivité me paraît une erreur fondamentale. Aujourd'hui, on voit de grandes entreprises – j’en connais – décider de réinvestir et de moderniser en France, parce qu’elles se rendent compte des limites des pratiques que nous dénonçons.
Pour terminer, je veux dire que nos positions ne relèvent pas d’un jeu politicien. Ce qui s’est passé au Rana Plaza est épouvantable. Il faut savoir que de telles catastrophes se produisent encore aujourd'hui dans plusieurs pays du monde ! Vouloir intervenir pour changer cette situation et chercher à responsabiliser les sociétés mères, c’est simplement défendre les droits de l’homme à travers le monde.
Nous sommes particulièrement fiers d’avoir cherché à rétablir cette proposition de loi dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je veux profiter de cette prise de parole pour m’exprimer avec sincérité.
D’après les propos que nous avons entendus, non seulement ceux d’entre nous qui sont hostiles à la proposition de loi que l’Assemblée nationale nous a transmise seraient insensibles aux tragédies survenues voilà quelques années et malheureusement susceptibles de se reproduire, mais en outre ils sont renvoyés à ceux qui, au XIXe siècle, luttaient contre l’abolition de l’esclavage. En somme, nous serions implicitement complices tant de la misère du monde que de l’esclavagisme d’autrefois !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et de la mort des enfants !
M. Martial Bourquin. Je n’ai jamais dit cela !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sont ces arguments qui ont été utilisés contre Victor Schœlcher !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je considère que ce procédé de débat politique est inacceptable, car nous sommes tous également sensibles aux problèmes que soulève cette proposition de loi.
M. Martial Bourquin. Non !
M. Yannick Vaugrenard. Si tel est le cas, tirez-en les conséquences !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Notre différence, c’est que nous considérons, à juste titre, me semble-t-il, que cette proposition de loi est un coup d’épée dans l’eau.
M. Michel Savin. Bien sûr !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pis, elle induit en erreur nos concitoyens sur l’efficacité de l’action publique : chers collègues de l’opposition sénatoriale, ce n’est pas parce que vous aurez inscrit dans la loi l’obligation de mettre en place un plan de vigilance dans l’entreprise, sans que vous vous soyez à aucun moment interrogés sur la substance de ce plan, qui n’est pas définie dans ce texte – cela semble vous indifférer –, que vous aurez eu la moindre action utile pour réduire les risques de l’activité économique internationale ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Yannick Vaugrenard. On ne peut donc rien faire ?
Mme Évelyne Didier. Que proposez-vous ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce moyen est totalement inefficace.
M. Martial Bourquin. En somme, il est urgent d’attendre…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Chers collègues, ce n’est pas parce que ce moyen est jugé inefficace par la commission des lois et par la majorité sénatoriale que nous préconisons de ne rien faire !
Nous constatons que le texte dont nous sommes saisis, qui a été proposé par le président du groupe socialiste, écologiste et républicain de l’Assemblée nationale, est inopérant et, de surcroît, inconstitutionnel. Ce ne sont pas des arguties juridiques ! Le droit, l’État de droit, la Constitution et le Conseil constitutionnel sont des réalités, dont il faut tenir compte.
D’ailleurs, des représentants de votre famille politique ont eu l’occasion de le rappeler dans d’autres circonstances.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous sommes ici pour légiférer, pas pour mettre en forme de loi un discours politique sans aucune incidence sur la réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)
M. le président. Il est vraiment temps de conclure, monsieur le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, je n’ai pas abusé de la parole dans ce débat ! Puisque vous me le demandez, je me rassois, mais je ne manquerai pas de vous redemander la parole en tant que président de la commission. Vous serez alors obligé de me l’accorder ! (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Monsieur le président de la commission, je suis dans l’obligation de faire respecter le règlement, dont vous avez soutenu la mise en place, du reste.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je demande la parole !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, en me donnant la parole, vous venez de confirmer que le président de la commission a toujours droit à la parole quand il la sollicite ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin. Gardez votre sang-froid !
M. le président. Monsieur le président de la commission, ne créons pas de problème. Ne permettons pas que de mauvaises interprétations du règlement se fassent jour.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Je demande à chacun de respecter le temps de parole qui lui est imparti et d’être attentif au respect des uns et des autres.
justice sociale
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Annie Guillemot. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Madame la ministre, une récente étude de la Caisse nationale d’allocations familiales, la CNAF, fait apparaître pour la première fois depuis 2009, date de la création du revenu de solidarité active, une baisse du nombre de bénéficiaires de cette prestation.
Ainsi, de juin 2015 à juin 2016, le nombre de bénéficiaires du RSA socle est passé de 1,66 à 1,64 million, soit une baisse de 0,9 %.
M. Philippe Dallier. Il y en a encore trop !
Mme Annie Guillemot. De même, le nombre des bénéficiaires du RSA majoré a reculé de 4 %, passant de 240 000 à 230 000. Rappelons que, entre 2007 et 2012, notre pays avait compté plus de 800 000 nouveaux bénéficiaires du RSA. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Trop nombreux sont encore nos concitoyens qui éprouvent les plus grandes difficultés à vivre. La solidarité, cette notion profondément républicaine, nécessite la mobilisation de tous, et au premier rang celle de l’État.
Sous votre responsabilité, madame la ministre, et celle de Ségolène Neuville, des avancées concrètes ont été enregistrées. Ainsi, la revalorisation du RSA a concerné 2 millions de ménages, celle du « minimum vieillesse » 550 000 personnes retraitées, et la prime d’activité créée le 1er janvier dernier a été versée à plus de 2 millions de ménages, dont 20 % de jeunes.
Aider chacun à accéder à de meilleures conditions de vie, à rebours des discours stigmatisants : il est vrai que nous sommes loin des clichés et de l’amalgame entre allocations et assistanat que certains n’hésitent toujours pas à faire, dans le cadre de la « primaire ». Cela signifie surtout la promesse d’une prochaine ère glaciaire pour les plus modestes et pour la solidarité… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ainsi la majorité de notre assemblée a-t-elle, hier, vidé la loi SRU de son objectif essentiel – la construction de logements sociaux –, en supprimant l’objectif de 25 % ! C’est la réponse de la droite à près de 2 millions de demandeurs de logements. Les quelque 700 000 logements sociaux attendus dans les communes carencées et déficitaires attendront.
Oublié, le vibrant message de l’abbé Pierre à l’Assemblée nationale, le 24 janvier 2006, qui avait appelé le président Chirac à « faire pression sur les députés pour qu’aucun ne s’abaisse à cette indignité d’assouplir la loi SRU sur le logement social ». (M. Philippe Dallier s’exclame.)
M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue.
Mme Annie Guillemot. Enfin, sans même qu’il ait été procédé à leur examen et pour des raisons strictement politiciennes, les mesures prévues pour la réforme des minima sociaux ont été rejetées.
Madame la ministre, contrairement à cette politique injuste et de régression sociale que nous propose la droite, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de poursuivre la lutte contre les inégalités et la pauvreté ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Vous l’avez souligné, madame la sénatrice, le Gouvernement a engagé une politique résolue en faveur de nos concitoyens les plus modestes, en particulier de ceux qui souffrent de la pauvreté.
Au-delà de la baisse que vous avez évoquée du nombre d’allocataires du RSA, l’action résolue que nous avons engagée a permis de faire diminuer le taux de pauvreté dans notre pays.
Ce taux n’est jamais satisfaisant : il y a toujours trop de pauvres. Toutefois, pendant que la France engageait cette politique résolue, je le répète, de baisse du taux de pauvreté, lequel est passé de 14 % en 2011 à 13 % selon les dernières données disponibles, ce taux augmentait en moyenne dans les autres pays européens, passant de 16 % à 17 %. La politique volontariste de la France donne donc des résultats, et nous voulons l’amplifier, via une réforme des minima sociaux qui va connaître plusieurs étapes.
Dès le projet de loi de finances pour 2017, à la demande du Premier ministre, nous prenons un certain nombre de mesures pour rendre les dispositifs existants plus lisibles et plus compréhensibles pour nos concitoyens. C’est une manière de dire que nous croyons à l’accompagnement et que nous ne pensons pas qu’il y ait de l’assistanat dans notre pays.
Nous allons renforcer les services en ligne, stabiliser le montant des prestations versées, clarifier les soutiens apportés en cas de reprise d’activité, mieux accompagner les personnes handicapées.
Vous le voyez, madame la sénatrice, nous agissons résolument dans la perspective de la mise en place d’un revenu social universel garanti, à laquelle nous travaillerons ensemble.
Nous voulons dire à nos concitoyens les plus modestes que nous sommes à leurs côtés pour les aider, les soutenir et les accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
politique générale
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comment vous dire notre étonnement, et même notre stupéfaction, à la lecture, ce matin, d’un ouvrage dans lequel le Président de la République se met en scène. Celui-ci a en effet choisi de se livrer au cours de soixante entretiens, totalisant plus de cent heures d’échanges.
Faut-il rappeler que notre pays compte 5 millions de chômeurs, 70 milliards d’euros de déficit, 2 000 milliards de dette, que nous sommes à la merci d’attentats terroristes et que nous accumulons les soucis en matière de politique étrangère ?
M. Philippe Dallier. « Ça va mieux » ! » (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Zocchetto. Certains se sont autorisés à se demander quand donc travaillait le Président de la République. Je préfère poser la question suivante : quand trouve-t-il le temps de mener ces entretiens ?
Outre cette curieuse façon d’utiliser un temps si rare, ce livre nous fait découvrir un Président cultivant le commentaire de ses hésitations, de son inaction, de son cynisme, qu’il assume lui-même lorsqu’il reconnaît des jugements à l’opposé de ses déclarations publiques.
Aujourd’hui, derrière l’incompréhension, nous sentons poindre l’exaspération, voire la révolte, chez certains de nos concitoyens, lorsqu’ils voient le Président de la République en commentateur public de sa propre vie domestique et, plus généralement, se contemplant lui-même.
M. Jean-Louis Carrère. Vous disiez déjà cela de Mitterrand !
M. François Zocchetto. Vraiment, un Président de la République ne devrait pas tenir de tels propos !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas une question d’actualité !
M. François Zocchetto. Dans ce contexte, monsieur le ministre, j’ai une question à vous poser : comment le Gouvernement compte-t-il restaurer un tant soit peu la crédibilité de la parole publique ? (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. La voix de son maître !
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur et président du groupe UDI-UC, vous avez terminé votre intervention en évoquant la crédibilité de la parole publique.
Or, dans l’histoire de cette République, en termes de crédibilité de la parole publique, chacun pourra être renvoyé à ses propres réflexions et engagements !
M. Jacques Grosperrin. « Moi président »…
M. Stéphane Le Foll, ministre. La crédibilité de la parole publique, monsieur le sénateur, c’est de donner les résultats de la politique qui est conduite en matière de compétitivité de l’industrie française, laquelle avait été perdue. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Au mois de septembre de cette année, pour la première fois, nous avons constaté une hausse de plus de 2,9 % du nombre de créations d’entreprises, un score jamais atteint depuis 2010.
Vous avez parlé des 70 milliards d’euros de déficit. Dois-je vous rappeler, monsieur le sénateur, que les déficits s’élevaient en 2011, dans notre pays, à plus de 100 milliards ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Dois-je vous rappeler que l’endettement de la France s’était accru de 25 points de produit intérieur brut sous la présidence précédente, alors qu’il n’est que de 5 points sous celle de François Hollande et que ce chiffre baisse encore ?
Si vous voulez parler de crédibilité, il faut regarder les faits, les actes et les résultats. Certes, ceux-ci peuvent être discutés et contestés. Chacun peut avoir des moments de doute et d’hésitation, et vous en avez eu aussi.
M. Jacques Grosperrin. Répondez à la question !
M. Pierre Charon. La question !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Chacun, dans la vie politique, peut avoir pris des positions à un certain moment et en avoir changé… Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser à la primaire de la droite qui vient de commencer (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et de comparer les propos tenus autrefois par le précédent Président de la République avec ce qu’il dit aujourd’hui. Pour ce qui est de la crédibilité, je vous renvoie donc, monsieur le sénateur, au débat de ce soir !
M. Jacques Grosperrin. C’est cela, votre réponse ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Pour notre part, comme vient de le dire Marisol Touraine, nous continuerons à agir afin que notre modèle social, la République et notre économie se redressent, pour le bien des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
aéroport de notre-dame-des-landes
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Ma question, qui s’adressait à M. le Premier ministre, concerne un dossier récurrent, mais toujours d’actualité : l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. (Ah ! sur les mêmes travées.)
Il convient de rappeler quelques chiffres : 156 décisions de justice favorables au projet, 269 000 personnes ayant voté « oui » en juin dernier lors du référendum décidé par le Président de la République, mais aussi 200 exactions commises par les « zadistes » dans cette zone de non-droit.
Depuis ce référendum, le Premier ministre et le garde des sceaux ont été clairs, tout au moins verbalement, sur l’engagement du Gouvernement : faire appliquer la loi et respecter le choix des habitants de la Loire-Atlantique.
Or, après la manifestation du week-end dernier, qui a réuni moins de 13 000 personnes, Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, a fait entendre une voix discordante au sein du Gouvernement.
Ma question est claire : quelle est aujourd’hui la volonté commune du Gouvernement et du Président de la République ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Parlez, madame Royal !
M. François Grosdidier. Pour une fois que Mme Royal est là, il faut qu’elle réponde !
M. le président. Mes chers collègues, monsieur Grosdidier, laissez M. le secrétaire d’État répondre, et atterrir ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jacques Grosperrin. C’est un vrai crash !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. J’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce qui vous intéresse dans la question posée, c’est la réponse…
Madame la sénatrice, la consultation locale qui a été organisée le 26 juin dernier a abouti, vous le savez, à un résultat sans aucune ambiguïté : 55 % des voix en faveur du projet de transfert de l’aéroport de Nantes sur le site de Notre-Dame-des-Landes. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. On le sait ! Vous tournez en boucle…
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le taux de participation était de 51 %, ce qui est tout à fait important pour ce type de consultation. Qui plus est, les choses se sont faites de façon très claire, en toute connaissance de cause, notamment après la remise des rapports émis par la Commission nationale du débat public, la CNDP. La presse locale et les élus de toutes sensibilités se sont, en effet, fortement exprimés sur le sujet.
Dans ce contexte, la majorité d’électeurs qui s’est prononcée en faveur de ce projet de transfert est très claire. Le Gouvernement récuse donc, avec la plus grande fermeté,…
M. Jacques Grosperrin. Cela, on ne le sait pas !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … ceux qui parlent de déni de démocratie.
Le déni de démocratie serait, en l’espèce, d’abandonner un projet qui a été validé par la justice, voulu par la population, soutenu par les élus locaux et les gouvernements successifs depuis quarante ans. C’est la raison pour laquelle rien ne s’opposera plus, désormais, à la mise en œuvre de ce projet.
M. Christian Cambon. Et Mme Royal ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le Premier ministre a demandé au préfet de Loire-Atlantique de réunir prochainement les élus locaux pour les informer de l’avancement de ce projet.
Bien sûr, les voix des opposants peuvent se faire entendre, et ils l’ont d’ailleurs fait, comme vous l’avez rappelé, le week-end dernier. Mais soyons clairs : il n’est pas possible de s’opposer par la force à la réalisation d’un projet non seulement parfaitement légal, mais dont l’assise démocratique a été confortée par ce gouvernement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Voilà qui serait parfaitement incompréhensible, et qui ne sera donc pas toléré.
Le Gouvernement s’engage donc très clairement sur ce point : l’État de droit prévaudra à Notre-Dame-des-Landes, comme partout ailleurs dans le pays.
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Toutes les personnes de bonne volonté doivent respecter ce droit et le verdict des urnes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le secrétaire, nous vous entendons… une fois de plus ! En effet, depuis octobre 2014, pas moins de dix questions ont été posées – droite et gauche confondues – sur ce dossier.
M. Jean-Louis Carrère. Les questions ne font pas avancer les dossiers !
Mme Catherine Deroche. À chaque fois sont prononcées des paroles rassurantes, non suivies d’actes.
La position du Président de la République n’était pas aussi claire que vous l’avez laissé entendre, puisque l’on peut supposer qu’il espérait secrètement que le non l’emportât au référendum.
Quant à vous, madame Royal, vous conviendrez que vos prises de position divergentes et successives, contraires aux engagements antérieurs – après l’épisode de l’autoroute A 831, Notre-Dame-des-Landes ! –, exaspèrent les Ligériens. On se souvient que, en 2007, vous vous drapiez dans les voiles de la démocratie participative. Or celle-ci ne vous convient que lorsqu’elle va dans votre sens.
Les Ligériens, comme les Français, en ont plus qu’assez ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
décret sur les produits phytosanitaires
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du RDSE.
M. Yvon Collin. Ma question, qui s’adresse à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), concerne la réécriture de l’arrêté du 12 septembre 2016 relatif à l’utilisation des produits phytosanitaires, à la suite de son abrogation par le Conseil d’État.
Madame la ministre, puisqu’il semble que vos services, et non ceux de votre collègue de l’agriculture, aient la charge de réécrire ce décret, je m’adresse à vous.
Ce décret peut avoir des conséquences dramatiques pour la profession agricole, et peut-être plus encore pour les producteurs de fruits et légumes.
Vous n’êtes pas sans savoir que nos agriculteurs doivent faire face à de multiples crises, qu’ils traversent une période très difficile et qu’ils seront nombreux à jouer leur survie dans les prochains mois. Votre collègue de l’agriculture vous a, je le sais, prévenu de cette situation.
Or, madame la ministre, si l’on en croit un projet de rédaction de décret que nous avons pu nous procurer, il y a de quoi s’inquiéter. Mais un projet n’est pas le texte final, et c’est pourquoi nous tenons, avec mes collègues du RDSE, à vous alerter tant qu’il en est encore temps !
Il nous semble particulièrement important que ce décret respecte l’équilibre auquel était parvenu le Parlement à l’occasion de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture : équilibre entre impératifs de santé publique et de protection de l’environnement, d’un côté, et nécessité pour les agriculteurs de pouvoir vivre de leur production, de l’autre. Or le projet de décret aggraverait les contraintes pour les exploitants agricoles, en les portant à un niveau tel qu’elles fragiliseraient les rendements, quand elles ne seraient pas tout simplement inapplicables sur le terrain.
De plus, en envisageant d’étendre à 20 ou 50 mètres, selon les cas, l’extension des zones non traitées, vous iriez au-delà des préconisations européennes… Qu’en est-il vraiment, madame la ministre ? Quand ce décret paraîtra-t-il ? Et surtout, quelles sont vos intentions ?
Pouvez-vous nous rassurer et nous dire aujourd’hui que ce décret ne sera ni une contrainte supplémentaire ni une menace grave pour l’agriculture française ? (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je vois à peu près quelle intention est la vôtre. Je rappelle que ce décret concerne trois ministères. Vous avez omis d’en citer un : celui de la santé.
C’est entre ces trois ministères que sont organisés les conseils interministériels portant sur ce dossier ; je transmets cette information à ceux qui vous ont indiqué qu’il fallait adresser votre question uniquement à Mme la ministre de l’environnement…
Trois ministères, je le redis, sont concernés : celui de la santé, car cette question touche les habitants – il faut bien en tenir compte ! ; celui de l’agriculture, car ce décret est à destination des agriculteurs ; celui de l’environnement, puisqu’il s’agit de produits phytosanitaires.
M. Christian Cambon. Le trio magique ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Foll, ministre. Les débats sont en cours. On anticipe là sur des décrets qui seraient publiés ! Il est vrai – vous l’avez dit parce vous êtes honnête, monsieur Collin – que vous tenez vos informations de la FNSEA…
Une commission de simplification a été mise en place et, le 18 octobre prochain, le préfet remettra son rapport, lequel intégrera les enjeux liés à l’arrêté.
Par ailleurs, par qui cet arrêté a-t-il été contesté ? Il ne l’a pas été par le ministère de l’agriculture, celui de l’environnement ou celui de la santé, mais par une association de producteurs de poires et de pommes qui voulait que les modalités d’application soient modifiées. Saisi, le Conseil d’État a alors indiqué que ledit arrêté n’était plus conforme à la réglementation européenne et qu’il fallait le réécrire. Voilà pourquoi nous y retravaillons !
Nous allons donc reprendre cet arrêté en prenant en compte trois enjeux : l’environnement, la santé des habitants et la production agricole. Jamais je n’ai laissé penser que l’on ferait des choix au détriment de l’agriculture et des agriculteurs !
Ces choix, nous les faisons en prenant en compte l’ensemble des éléments liés à l’environnement et à la protection des habitants et des habitations. C’est ainsi que nous pourrons aboutir à un accord conciliant les grands enjeux de santé publique, la protection de l’environnement et l’intérêt économique des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour la réplique.
M. Yvon Collin. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais je ne suis pas certain que vous ayez répondu à ma question… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le décret que nous avons découvert est-il, oui ou non, le bon, et sera-t-il modifié ? Telle était précisément ma question.
présence de pesticides dans l'alimentation
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.
M. Joël Labbé. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Chaque semaine nous apporte son lot d’alertes dans le champ de l’alimentation, qui est intimement lié à celui de la santé.
Avant-hier, un grand quotidien titrait : « Un bol de pesticides pour votre petit-déjeuner ». L’association Générations Futures venait, en effet, de publier les conclusions d’une étude des plus sérieuses, qui présentait les résultats accablants d’une série d’analyses portant sur un produit de plus en plus présent sur la table du petit-déjeuner, le muesli.
Ce mélange de fruits desséchés et de céréales est particulièrement prisé des parents soucieux d’apporter à leurs jeunes enfants une alimentation équilibrée, variée et riche en vitamines. Les adolescents et les femmes enceintes sont souvent friands de ce produit a priori au-dessus de tout soupçon en termes de qualité.
En fait, selon cette étude, quelque 100 % des échantillons de muesli non bio contiennent une quantité importante de résidus de pesticides, reconnus notamment comme étant des perturbateurs endocriniens. Au passage, l’analyse des échantillons à base de produits bio démontre que ceux-ci en sont indemnes.
La concentration moyenne des résidus décelés est de 0,177 milligramme par kilo. Cela peut sembler très faible, mais c’est pourtant 354 fois la concentration maximale admissible dans l’eau de boisson pour l’ensemble des pesticides !
Pourquoi ces produits sont-ils autorisés ? Tout simplement parce que la limite maximale de résidus, la LMR, c’est-à-dire la norme qui s’applique aux aliments, fixe une limite admissible pour chaque substance et chaque type d’aliment et qu’il n’y a pas de limite globale de résidus, comme pour l’eau de boisson. Ainsi n’est-il tenu aucun compte des potentiels « effets cocktail ». Cela laisse la possibilité de multiplier à l’infini le nombre de substances résiduelles.
Madame la ministre, la Commission européenne a publié, avec près de trois ans de retard, sa définition des perturbateurs endocriniens. Celle-ci est beaucoup trop restrictive, de l’avis même de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, notre propre agence de sécurité sanitaire, qui propose, quant à elle, une définition bien plus ambitieuse.
Dès lors, pouvez-vous nous dire quelle sera la position défendue par la France à Bruxelles, afin d’obtenir une réglementation européenne à la hauteur des enjeux de santé publique et de l’attente de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, une étude sur le muesli qui peut conduire à se poser un certain nombre de questions et provoquer des inquiétudes, dans la mesure où ce produit est largement consommé, comme vous l’avez souligné.
Il s’agit de s’assurer que nous pouvons limiter l’exposition de nos concitoyens, en particulier celle des populations les plus sensibles, aux perturbateurs endocriniens. En tant que ministre de la santé, je me suis fortement impliquée dans ce dossier. Ainsi, ont été introduites dans les lois de santé des dispositions en ce sens, visant notamment à interdire le bisphénol A, d’abord dans les contenants, puis dans les jouets ou les amusettes.
Vous avez également évoqué le travail engagé au niveau européen.
Il est vrai que le projet qui émane de la Commission européenne n’est pas satisfaisant, car il propose une définition trop restrictive des perturbateurs endocriniens. Voilà pourquoi j’ai porté à Bruxelles une proposition différente.
J’ai reçu voilà quelques jours, à Paris, le commissaire européen chargé de la santé. Je lui ai indiqué que les travaux de l’ANSES, que vous avez cités, nous permettaient d’être plus ambitieux et que nous souhaitions que la définition adoptée à Bruxelles aille plus loin que celle envisagée actuellement.
La position de la France va donc dans le sens d’une définition plus ambitieuse, par la Commission européenne, des perturbateurs endocriniens.
Pour ce qui est des pesticides et du problème spécifique lié à l’alimentation que vous avez soulevé, j’ai décidé, avec Stéphane Le Foll et Ségolène Royal (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), de saisir l’ANSES, afin qu’elle nous propose des critères permettant de prévoir une limite maximale globale pour tous les pesticides présents dans l’alimentation, comme cela existe pour l’eau. Il n’y a pas de raison que les normes applicables à l’eau que nous buvons soient plus strictes que celles qui portent sur les aliments que nous mangeons !
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous sommes pleinement mobilisés, parce qu’il y va de la santé de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
situation des mineurs isolés à calais
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.
Mme Éliane Assassi. Ma question s’adresse à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
Des centaines de mineurs non accompagnés, donc des enfants, sont présents sur le site de Calais. Cette situation est très préoccupante ; elle est même dramatique. Isolés, ils sont la proie d’ignobles passeurs et doivent affronter de multiples dangers. Certains s’exposent même à la mort en tentant de passer la frontière illégalement. (M. David Rachline s’exclame.)
Depuis le mois de mars dernier, la Grande-Bretagne dit s’engager à accueillir les mineurs qui auraient des attaches familiales au Royaume-Uni. M. Cazeneuve a estimé, fort justement d’ailleurs, qu’il était du devoir moral de la Grande-Bretagne de le faire, affirmant même : « Quand toutes les caméras seront tournées vers ces mineurs isolés que les Britanniques ne prendront pas, ça se verra…, donc ils ont intérêt à les prendre. »
Ce devoir moral, la France doit aussi l’exercer pleinement. L’annonce du démantèlement prochain du camp de Calais ne prévoit pas de dispositif particulier pour l’accueil de ces mineurs.
Doit-on rappeler que les mineurs isolés étrangers relèvent du droit commun de la protection de l’enfance et qu’ils doivent bénéficier, à ce titre, d’une prise en charge spécifique, qui commence par une mise à l’abri adaptée à leur jeune âge ? Or, chaque fois qu’un camp est démantelé, les associations déplorent la disparition d’enfants.
Les fermetures prévues du centre d’accueil provisoire et du centre Jules-Ferry ne vont pas améliorer la situation de ces mineurs.
Madame la ministre, quels dispositifs comptez-vous mettre en œuvre afin d’assurer leur mise à l’abri et leur protection dans les semaines à venir, sachant que les conseils départementaux en charge de l’aide sociale à l’enfance, l’ASE, sont déjà saturés de demandes ? Ne peut-on héberger ces enfants dans le centre Jules-Ferry, en attendant l’ouverture de la frontière anglaise, qui leur permettra de rejoindre, enfin, leurs proches ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. Vous le savez, madame la sénatrice, la situation sanitaire des migrants à Calais, en particulier celle des plus vulnérables d’entre eux – les mineurs non accompagnés, les femmes, les malades –, est une préoccupation constante, et même quotidienne, du Gouvernement, des ministères de l’intérieur, de la justice et du mien.
La décision du Gouvernement d’organiser le démantèlement de la jungle de Calais est une décision juste. Les conditions dans lesquelles vivent des êtres humains à Calais ne sauraient, en effet, être considérées comme durables et pérennes.
Nous nous engageons dans une opération qui, pour nous, est avant tout humanitaire, et nous mettrons les mineurs à l’abri.
Cette opération sera effectuée en tenant compte de la situation de chacun – mineurs non accompagnés, personnes malades ou vulnérables… –, afin de proposer une situation de mise à l’abri la plus adaptée possible. Tous les services de l’État sont mobilisés pour servir cet objectif, tout comme nos partenaires et les associations. Cette mobilisation continuera après le démantèlement.
Selon le recensement opéré lundi dernier par France Terre d’Asile – sur une base déclarative et non statistique – plus de 1 000 mineurs non accompagnés, dont 500 disent avoir de la famille au Royaume-Uni, seraient aujourd’hui à Calais : quelque 95 % d’entre eux expriment le souhait de quitter le territoire français pour rejoindre le Royaume-Uni. Nous leur proposons de rester en France et de profiter des mêmes conditions d’accueil que nous garantissons aux autres mineurs non accompagnés dans les services de l’ASE.
Le ministre de l’intérieur s’est rendu à Londres le 18 octobre dernier, afin de rencontrer son homologue britannique. Cette rencontre a été l’occasion de réaffirmer la nécessité d’une coopération étroite pour traiter de la situation des mineurs isolés.
Les accords conclus lors du sommet franco-britannique tenu à Amiens, en mars dernier, prévoient l’accueil au Royaume-Uni des mineurs non accompagnés disposant d’attaches familiales outre-Manche. Comme je l’ai souligné, ces situations, auxquelles nous accordons la plus grande priorité, font l’objet d’une prise en compte spécifique, conformément au droit.
C'est la raison pour laquelle toutes les solutions, y compris celles que vous évoquez, madame la sénatrice, sont examinées chaque jour. Nous souhaitons trouver la meilleure réponse possible pour accueillir, mettre à l’abri, protéger ces mineurs et faire en sorte qu’ils restent en France, là où nous les installons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.
Mme Éliane Assassi. Je me suis rendue à Calais lundi dernier et j’ai pu entendre les grandes inquiétudes du monde associatif, voire des réfugiés eux-mêmes, sur le sort de ces enfants.
La seule réponse que nous attendons est celle du respect des droits de ces mineurs et l’application de la convention internationale relative aux droits de l’enfant. J’ose espérer que nous allons très rapidement passer des paroles aux actes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
cop 21 et accord de paris
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Franck Montaugé. Ma question s'adresse à madame la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Madame la ministre, la COP 21 a été un succès. Sous l’impulsion décisive du Président de la République, grâce à votre engagement et grâce à l’efficacité de la diplomatie climatique française, les parties à l’accord de Paris ont conclu un accord historique : limiter à 2 degrés le réchauffement du climat de la planète.
En portant ce message d’intérêt général universel, la France a fait preuve de grandeur. Elle a donné le meilleur d’elle-même, en contribuant au nécessaire progrès de l’humanité.
Comme vous vous y étiez engagée, l’objectif d’une entrée en vigueur de l’accord de Paris avant le début de la conférence de Marrakech, dite « COP 22 », est atteint. Cela n’allait pas de soi et nombre d’observateurs ou d’acteurs avisés pensaient que ce ne serait pas possible dans un tel délai.
Or c’est fait, et c’est tout à l’honneur de la France ! Pour autant, beaucoup reste à faire pour traduire dans la réalité quotidienne de tous les pays du monde, et dans les délais critiques impartis, cette maîtrise du climat.
Après le temps de la décision et des résolutions qu’a été la COP 21, le temps de l’action est venu avec la COP 22. La France, dans le cadre de la loi de transition énergétique pour une croissance verte que vous avez portée, madame la ministre, a donné l’exemple de l’engagement de l’action vers une société décarbonée.
Toutefois, à l’échelle de la planète, rien n’est acquis. À n’en pas douter, la COP 22 devra être la conférence de l’action concrète et efficace, ce qui passera par la question centrale du financement de la transition, de la refonte des modèles de fiscalité, de la coordination des politiques publiques, mais aussi et surtout de l’aide financière pour soutenir les mesures d’atténuation et d’adaptation des pays en développement.
Madame la ministre, comment la France va-t-elle conserver, dans le cadre de la COP 22 de Marrakech et de ses enjeux, le rôle moteur qui a été le sien pour aboutir au succès de l’accord de Paris du 12 décembre 2015 ?
Outre la question des fonds de financement, quels sujets devraient mobiliser prioritairement l’engagement de notre pays dans la période qui s’ouvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’environnement. (Ah ! et exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Merci de ces encouragements ! (Sourires.)
Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, la communauté internationale, l’Europe et la France ont été au rendez-vous de l’histoire climatique.
Nous avons réalisé un véritable record : il avait fallu attendre sept ans pour faire appliquer le protocole de Kyoto ; en neuf mois, nous avons fait ratifier l’accord de Paris par plus de 55 pays, représentant plus de 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À l’heure où je vous parle, quelque 70 pays ont ratifié cet accord. Le monde a donc compris l’urgence climatique, notamment l’Union européenne, qui a consenti un important effort pour simplifier ses procédures – c’est la ratification de l’accord par 7 pays membres de l’Union européenne qui a permis d’atteindre le seuil des 55 % d’émissions mondiales de gaz à effet de serre.
M. Jacques Grosperrin. Ségolène Royal prix Nobel ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Ségolène Royal, ministre. Vous m’interrogez sur le rôle de la présidence française. Nous conduisons principalement quatre actions.
La première consiste à accélérer les ratifications, pour faire en sorte que l’accord de Paris soit le plus universel possible au moment de l’ouverture de la COP 22. Je réunis demain l’ensemble des ambassadeurs en poste à Paris, pour leur donner l’impulsion et les clefs des modalités de cette ratification si importante. En effet, seuls les pays ayant ratifié l’accord de Paris assisteront à la première réunion de la conférence des parties.
Nous voulons ensuite que chaque pays applique les engagements nationaux qu’il a pris. La France l’a fait à travers la loi de transition énergétique et pour la croissance verte. Chaque pays doit maintenant appliquer ce que l’on appelle en anglais les INDC, pour Intended Nationally Determined Contributions, c’est-à-dire ses engagements nationaux.
Notre troisième champ d’action a trait au financement. L’accord prévoit de doter le Fonds vert pour le climat de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Toutefois, nous cherchons surtout à mobiliser les financements privés. Les entreprises ont compris qu’investir dans la croissance verte et dans le climat, c’est aussi investir pour l’innovation, pour la création d’emplois. Nous voulons aider les entreprises à être imaginatives et à créer de l’activité.
Nous nous efforçons enfin de favoriser les coalitions de l’action. Sur ce sujet, la France doit continuer d’être à l’offensive. Je songe, par exemple, à notre action sur les énergies renouvelables en Afrique, à la coalition solaire copilotée par la France et par l’Inde ou à l’initiative CREWS, le système d’alerte précoce aux catastrophes du climat pour les petites îles.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre. Nous saurons, là aussi, grâce aux efforts de tous, rester au rendez-vous de cette histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
situation des chantiers navals stx
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Joël Guerriau. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'industrie.
François Hollande annonce « ne pas avoir peur de perdre en 2017 », sans frustration. En ce qui nous concerne, nous sommes frustrés par un taux de chômage très élevé et nous avons peur pour nos industries ! Je pense à de beaux fleurons de l’industrie française, parfois très convoités. Je pense surtout à une entreprise, véritable fierté nationale : les Chantiers de l’Atlantique.
La justice coréenne envisage une cession globale du groupe STX incluant sa filiale française des Chantiers de l’Atlantique. Dans ce package, la perspective d’un transfert de technologie constitue une part importante de la valorisation des actions. Selon l’acquéreur, il existe un risque de disparition du site de Saint-Nazaire.
Comment admettre et comprendre qu’une industrie affichant une véritable réussite commerciale et dont le carnet de commandes est rempli pour les dix prochaines années puisse être en danger de délocalisation ?
Le gouvernement Fillon a montré en 2008 qu’il pouvait agir vite par la prise de participation de 33 % de STX France. En 2014, le groupe sud-coréen souhaitait et pouvait vendre ses actions. La situation actuelle était donc prévisible et aurait pu être anticipée. L’a-t-elle été vraiment, alors que l’État avait de belles cartes à jouer ?
Il y a une logique de rapprochement avec DCNS. Les Chantiers de l’Atlantique, avec leurs équipements uniques en France, seront indispensables, demain, pour réaliser de grands bâtiments militaires, tels les porte-avions. Faute d’une solution nationale, ne faut-il pas chercher une réponse à l’échelle européenne ?
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer comment l’État va garantir sur le long terme le maintien à Saint-Nazaire d’un savoir-faire non transférable ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de l’industrie.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet de vous donner quelques éléments importants sur ce dossier.
Depuis septembre dernier, le tribunal de commerce de Séoul n’a pas fait connaître le délai au cours duquel seront examinées les différentes propositions qui pourraient être faites. Cette situation pourrait perdurer encore quelques semaines, voire jusqu’en 2017.
Par ailleurs, nous ne disposons d’aucun élément indiquant une vente en bloc de l’ensemble des activités du groupe. La décision sera probablement annoncée demain. Aujourd’hui, rien ne nous permet de confirmer la vente de STX France, comme nous l’imaginons, ou celle de l’ensemble du groupe.
Bien évidemment, le Gouvernement se mobilise sur la question des Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire. Les enjeux économiques et stratégiques, comme vous l’avez rappelé, sont extrêmement importants.
Nous restons vigilants et sommes prêts à agir, le cas échéant, au travers de deux outils : d’une part, la minorité de blocage que nous octroie le pacte d’actionnaire ; d’autre part, les dispositions de la réglementation relative aux investissements étrangers en France.
Pour autant, notre intention est de privilégier la reprise des Chantiers par un groupe industriel avec un projet industriel. Nous rencontrons des porteurs de projets européens et échangeons également avec DCNS.
Les enjeux économiques de ce dossier justifient que nous travaillions activement avec l’ensemble des partenaires et des élus locaux. Bien évidemment, je tiendrai informée la Haute Assemblée de la suite de ces travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Nous sommes tous unanimes pour souligner l’importance stratégique des Chantiers de l’Atlantique au plan national.
Ce qui me gêne, c’est que, en 2013, dans cet hémicycle, j’ai posé une question sur l’incertitude que faisait peser l’actionnaire principal, STX, sur les Chantiers de l’Atlantique. Nous savions sa fragilité, nous pouvions anticiper pour éviter de nous retrouver dans la situation que connaissons aujourd’hui. Nous avons le sentiment d’une certaine précipitation, comme si nous étions au pied du mur.
M. Jean-Louis Carrère. Votre temps de parole est épuisé !
M. Joël Guerriau. Il s’agit d’un sujet majeur. Notre intérêt commun est de préserver une société installée à Saint-Nazaire depuis plus de cent cinquante-quatre ans.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Joël Guerriau. Tâchons d’aller dans le même sens pour trouver une solution qui soit pérenne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
agression des policiers dans l'essonne
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour le groupe Les Républicains.
M. Alain Vasselle. Ma question s'adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, nous assistons depuis plusieurs années à l’abandon des banlieues, ces territoires perdus de la République. Dans ces quartiers délibérément laissés aux mains de la délinquance, on voit s’instaurer des zones de non-droit, dont vous niez l’existence et dont l’actualité, hélas, nous rappelle constamment l’évidence.
À Viry-Châtillon, samedi dernier, une équipe de policiers a été agressée au cocktail Molotov par une bande d’individus qui avaient clairement l’intention de tuer, se considérant comme les seuls maîtres des lieux.
La patrouille était sous-équipée et composée de policiers qui n’étaient pas formés à faire face à un tel déchainement de violence. Nous arrivons à une absurdité totale : comment protéger les policiers chargés de protéger les caméras, chargées elles-mêmes de protéger la population ?
Mes chers collègues, je voudrais rendre hommage à ces femmes et à ces hommes qui continuent d’assurer leur mission de protection dans des conditions qui se dégradent constamment. Ils sont aujourd’hui les premières victimes d’un État devenu impuissant, conduit par un gouvernement tétanisé par une politique de l’excuse et une actualité qui le dépasse. N’est-ce pas là l’acceptation pure et simple de cette violence ?
Après chaque nouveau drame, c’est le même cérémonial : le ministre vient faire sur place un constat, annonce de nouvelles résolutions et déclare qu’on va voir ce qu’on va voir ! Las, quelques jours plus tard, les compagnies de CRS venues en renfort repartent, la violence reprend ses droits et l’État perd un peu plus de son autorité.
Monsieur le ministre, quand et comment comptez-vous enfin enrayer cette folle escalade ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Vasselle, je vous rejoins pour souligner l’exceptionnelle gravité des faits qui se sont déroulés à Viry-Châtillon : des voyous ont voulu tuer des policiers. Ils ont attaqué une première patrouille, avant de s’en prendre à une seconde, venue en renfort.
Nos pensées, auxquelles vous vous associerez sans doute, vont d’abord aux quatre policiers blessés et à leurs proches. Deux sont encore hospitalisés : une gardienne de la paix de 39 ans, mère de trois enfants, et un adjoint de sécurité de 28 ans, dont le pronostic vital est toujours engagé.
Le Premier ministre et le ministre de l’intérieur se sont rendus sur place, pour soutenir ces fonctionnaires et souligner le travail accompli chaque jour par les forces de police.
Je veux être très clair : l’État sera respecté. Ces criminels doivent savoir que le Gouvernement est déterminé à les mettre hors d’état de nuire. Comme à Moirans voilà quelques mois, nous faisons pleinement confiance aux enquêteurs pour trouver les responsables de ces actes odieux.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous nous interrogez sur les moyens qui ont été accordés à la police, en remettant en cause leur importance. Oui, depuis plusieurs années, des moyens supplémentaires ont été donnés aux forces de police, notamment aux brigades anti-criminalité, les BAC, et aux pelotons de surveillance et d’intervention.
L’effort se poursuit pour les policiers du quotidien, en particulier pour ceux des zones de sécurité prioritaire, qui verront leurs moyens renforcés de manière importante. Quelque 9 000 postes ont été créés depuis 2012, quand 13 000 avaient été supprimés sous le quinquennat précédent. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – C’est la vérité ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Ces chiffres ne sont pas sans rapport avec le sentiment d’inaction que vous dénoncez, monsieur Vasselle. (Mêmes mouvements.)
Plus encore, depuis 2012, les moyens donnés à cette police d’investissement ont augmenté de 73 % ! Voilà quelle est la réalité, monsieur le sénateur. Aujourd’hui, le Gouvernement agit, quand la majorité sénatoriale en est encore au précédent quinquennat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. François Grosdidier. C’est vous qui êtes restés bloqués en 2012 !
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour la réplique.
M. Alain Vasselle. Monsieur le secrétaire d’État, le constat est affligeant : plus de 500 policiers blessés chaque mois ; 5 736 policiers blessés en mission en 2015 et 3 275 pour le seul premier semestre 2016 !
La police n’accepte plus cet état de fait. De nombreux fonctionnaires démissionnent ou demandent à être mutés loin de ce chaos urbain que vous tolérez. Écoutez les policiers et cessez d’éluder vos responsabilités quand cela fait presque cinq ans que vous gouvernez ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jérôme Durain. Ma question s'adresse à Mme la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes.
Il y a des paroles que nous avons le devoir d’entendre. Violentes, sexistes, intrusives, ces phrases n’ont pas été prononcées en Pologne. Ces paroles ont été adressées en France, à des femmes qui ont eu le malheur de consulter des opposants, masqués, à l’IVG.
Chers collègues masculins, comme nous ne serons jamais destinataires de ces violences verbales, je tiens à vous en livrer quatre. Quatre phrases, dont les femmes de votre entourage – épouses, sœurs, filles, amies – pourront confirmer l’existence.
Voici ce qu’on peut entendre : « C’est un gros piège, l’IVG » ; « Est-ce que vous pourrez continuer à avoir une vie sexuelle normale après une IVG ? Je ne peux pas vous le dire » ; « Pourquoi vous pleurez ? C’est vous qui l’avez voulue cette intervention, non ?» ; « Il peut y avoir des cancers du poumon après une IVG en raison de l’augmentation de la consommation de tabac ».
Ces phrases constituent autant d’attaques contre le droit des femmes. Elles doivent nous interpeller tous, hommes et femmes, parce que le droit des femmes à disposer de leur corps est sans cesse remis en question.
Je ne critique pas la liberté de conscience : chacun a le droit d’avoir sa position sur l’IVG. Ce qui est répréhensible, c’est le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une interruption volontaire de grossesse.
Le délit d’entrave a été mis en place face à l’action de commandos anti-IVG ciblant les femmes à la porte des centres de planning familial ou des hôpitaux. Aujourd’hui, l’intimidation a lieu sur internet. Le Gouvernement l’a bien compris. Mais que peut-il faire face à des associations qui utilisent des noms de domaines quasi institutionnels ? Que peut-il faire face à des associations qui prétendent apporter une information objective, mais refusent de donner les adresses des centres IVG ? Que peut-il faire face à des gens masqués qui font tout pour décourager l’IVG chez leurs interlocutrices ?
La droite sénatoriale a décidé d’empêcher l’examen de l’amendement gouvernemental visant à élargir le délit d’entrave aux sites internet. Nos collègues socialistes de l’Assemblée nationale en ont tiré les conséquences en rédigeant une proposition de loi dédiée.
Madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement quant à cette proposition de loi que les membres de mon groupe souhaitent examiner le plus tôt possible ? (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des familles, de l’enfance et du droit des femmes.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question et de sa tonalité.
Les faits que vous avez rapportés sont exacts. Certains groupes et courants de pensée n’ont jamais désarmé dans leur hostilité à l’IVG : ils se sont d’abord enchainés aux portes des centres d’orthogénie, avant de pénétrer à l’intérieur. Nous avons créé et étendu le délit d’entrave pour permettre aux femmes d’accéder sereinement à l’IVG.
Soyons clairs : être hostile à l’interruption volontaire de grossesse est une opinion que chacun est libre d’exprimer. Mais la liberté d’opinion n’inclut pas le droit au mensonge. Et c’est de mensonges qu’il s’agit quand des femmes désireuses de s’informer sur l’IVG – sur les délais, sur le coût, sur le montant du remboursement, sur les techniques opératoires… – sont attirées sur des sites internet qui cherchent à les intimider et à les culpabiliser pour les pousser à renoncer à cette intervention.
Il y a pour moi une différence très claire entre liberté d’opinion et désinformation à l’encontre des femmes. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.) C'est la raison pour laquelle j’avais déposé un amendement, porté par Patrick Kanner dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG à ces sites internet manipulateurs.
Je regrette que le Sénat ait utilisé une procédure inédite – inédite, j’y insiste –, celle de l’irrecevabilité d’un amendement du Gouvernement en commission, pour refuser d’en débattre. Je n’aurais pas été choquée que le Sénat décide de refuser cet amendement, mais encore eût-il fallu que la Haute Assemblée accepte d’en débattre.
Pour cette raison, je soutiens la proposition de loi des députés socialistes et souhaite vivement que le débat puisse avoir lieu ici et que chacun exprime sa position, non pas sur la procédure, mais sur le fond ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. Et chacun pourra respecter l’article 45 de la Constitution !
trafic de drogue et attaque des policiers à viry-châtillon
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault, pour le groupe Les Républicains.
M. Serge Dassault. Ma question s'adresse à M. le ministre de l’intérieur et concerne le trafic de drogue.
Il s’est passé récemment, à Viry-Châtillon, un événement inadmissible qui relève de la guerre civile. Des jeunes cagoulés se sont attaqués à des policiers qui surveillaient le quartier et ont tenté de les brûler vifs dans leur voiture. Ainsi, ces trafiquants sont devenus des assassins pour pouvoir continuer leur trafic.
Le Gouvernement n’a fait aucune déclaration sur cet événement. Il faut croire que cela ne l’intéresse pas…
Ce drame pourrait s’étendre à de nombreuses communes où les trafics de drogue se développent de plus en plus et où les maires et les habitants commencent sérieusement à s’inquiéter.
Sans police municipale pour les plus petites communes, sans commissariats modernes pour d’autres, sans les caméras de surveillances nécessaires, avec des effectifs de police et de CRS insuffisants, comme le précise Mme la préfète Josiane Chevalier, et sans tous les moyens nécessaires de protection, de tels drames pourraient se multiplier.
Le Gouvernement ne fait rien, alors qu’il faudrait donner à ces policiers la possibilité d’utiliser leurs armes en cas de menace vitale – ils ne l’ont pas fait à Viry-Châtillon, se contentant de combattre l’incendie, sans dégainer, alors qu’ils étaient menacés de mort – et à la justice les moyens de punir lourdement ces trafiquants qui s’attaquent à un policier, en faisant en sorte qu’elle ne les relâche pas, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui.
On devrait aussi se demander pourquoi la drogue se multiplie à cette vitesse. La raison principale est l’inactivité de jeunes, dont certains sont même très jeunes, sans métier, sans emploi et dont les revenus proviennent de ce trafic.
Pourquoi n’ont-ils pas de métier ? Parce que l’éducation nationale, avec le collège unique et la suppression des examens, ne s’intéresse pas à l’apprentissage et laisse de nombreux jeunes, à seize ans, sans métier et sans avenir, avec le risque qu’ils deviennent des délinquants. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Serge Dassault. C’est pourquoi ils se mettent à vendre de la drogue, dans les rues et dans les cages d’escaliers, un peu partout en France.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour réduire ces menaces qui se développent à Viry-Châtillon et dans bien d’autres communes ? Surtout, pourquoi avoir attendu un événement si dramatique pour, enfin, réagir contre ce fléau de la drogue et de la violence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Dassault, vous conviendrez avec moi que le trafic de drogue et les violences qui l’accompagnent ne sont pas apparus au cours de ces dernières années en France. Notre pays n’est d’ailleurs pas le seul à souffrir de cette situation dramatique. Nos forces de police, depuis des années, quel que soit le gouvernement aux affaires, luttent contre ce phénomène de bandes.
Nous avons renforcé les moyens de manière générale et décidé, après l’événement survenu dans votre département, de les accroître encore davantage dans les zones de sécurité renforcée.
Nous voulons faire en sorte que les policiers du quotidien aient des moyens d’action renforcés – moyens largement supprimés, tant en hommes qu’en capacité d’investissement, par la droite. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. François Grosdidier. À cause de Mme Taubira, il n'y a plus de politique pénale !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Nous débattrons bientôt des orientations budgétaires. La majorité sénatoriale aura alors à cœur de ne pas répéter les erreurs qu’elle a commises lors des précédentes législatures. Cela vous donnera plus de force pour interpeller le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
emploi des jeunes
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour le groupe Les Républicains.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. En 2012, le Président de la République nous annonçait que son quinquennat serait centré sur la jeunesse. Quatre ans plus tard, qu’en est-il ?
Notre jeunesse, en plein désarroi, cherche de plus en plus à s’expatrier faute de trouver, en France, des raisons d’espérer. Nos jeunes ne croient plus pouvoir mener, dans notre pays, de carrière à la hauteur de leurs ambitions.
Mme Nicole Bricq. C’est faux !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Plus de 200 000 Français partent chaque année, soit l’équivalent de la population de Bordeaux !
M. Jean-Louis Carrère. C’est donc la faute de Juppé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Et 80 % d’entre eux ont entre 15 et 29 ans.
Certes, il y a une génération Erasmus, enthousiaste à l’idée de découvrir le monde. Mais beaucoup de ces jeunes ne veulent plus revenir, ayant perdu confiance dans notre capacité à leur offrir des chances de carrière. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Il est de notre devoir de leur redonner le goût de la France, notamment au travers de nos ambassades et de nos conseillers consulaires, pour que cette expatriation souvent subie devienne un vecteur de rayonnement économique et culturel.
À l’inverse, on trouve une jeunesse faussement intégrée, par le biais de dispositifs d’emplois aidés dont la plupart ne débouchent sur rien. La Cour des comptes souligne que les efforts publics en faveur de l’emploi des jeunes ont un coût supérieur à 10,5 milliards d’euros, pour des résultats très décevants.
L’accès des jeunes à l’emploi se détériore sur les plans tant quantitatif que qualitatif. Seuls 37 % des jeunes de 15 à 24 ans ont une activité, contre 67,5 % au Royaume-Uni. Voilà un constat accablant !
M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quand allez-vous prendre conscience que vos politiques économiques et financières, que votre conception de la formation uniformisée et votre rejet du mérite et de la valeur travail, non seulement étranglent le pays, mais démoralisent une jeunesse qui voit dans un départ à l’étranger la seule solution possible ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice, je m’inscris en faux contre le paysage catastrophique que vous venez de dessiner pour évoquer la jeunesse de notre pays.
Je veux vous rappeler la couleur de la page que nous avons trouvée en 2012…
Mme Colette Mélot. Encore cet argument !
M. Patrick Kanner, ministre. … s'agissant des politiques menées en faveur de la jeunesse : elle était quasi blanche, avec à peine 12 000 services civiques et moins de 10 000 RSA en faveur des jeunes actifs.
Madame la sénatrice, faites preuve d’un peu d’humilité ! Pour ma part, je suis très fier du bilan qui est celui du Gouvernement. Je tiens à vous rappeler les actions que nous avons conduites. Elles impliquent l’ensemble de mes collègues ici présents, ainsi que ceux qui nous écoutent sûrement.
Je suis fier que tous les jeunes de moins de 30 ans puissent, dès cette année, bénéficier d’un cautionnement pour accéder au logement ; je suis fier que les bourses aient été augmentées et qu’un échelon ait été créé pour les classes moyennes, sans oublier la hausse de 40 % des crédits du programme Erasmus ; je suis fier d’avoir étendu la prime d’activité, qui fonctionne sur vos territoires, à 500 000 jeunes, en supprimant le RSA jeunes ; je suis fier que le nombre de « décrocheurs » ait enregistré, grâce au rétablissement des moyens accordés à l’éducation nationale, une baisse de 30 000 personnes ; je suis fier d’avoir amélioré la couverture santé des jeunes ; je suis fier de porter le service civique à 350 000 jeunes d’ici à une demi-génération ; je suis fier d’avoir créé la grande école du numérique pour 10 000 jeunes en grande difficulté.
Madame la sénatrice, même si je peux entendre les critiques de la Cour des comptes, je suis fier que 300 000 jeunes, dont 80 % n’avaient pas le baccalauréat, aient bénéficié d’un emploi d’avenir. C’est aussi cela, notre bilan ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Carle. Des emplois d’avenir financés par qui ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Vous vous voilez la face !
M. Patrick Kanner, ministre. Madame Garriaud-Maylam, je ne me voile pas la face ; je connais les difficultés. Je sais aussi que, dans cet hémicycle, je défends des valeurs, notamment par le biais du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Or la seule proposition que vous avez votée en faveur de la jeunesse vise à la création d’un emploi d’appoint pour les jeunes, un sous-salariat de quinze heures par semaine, payé au SMIC, qu’il sera impossible de prolonger au-delà de 26 ans. Tel est votre bilan.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. N’importe quoi !
M. Patrick Kanner, ministre. Nous n’avons pas les mêmes valeurs s’agissant de la jeunesse française.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ça, c’est sûr !
M. Patrick Kanner, ministre. Je serai là, avec d’autres, pour éviter que vous n’appliquiez des mesures aussi rétrogrades pour le pays et notre jeunesse. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Louis Carrère. C’est l’arroseur arrosé !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 18 octobre prochain et seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Dépôt d'un rapport
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif à l’ajustement du partage des ressources entre les régions et les départements rendu nécessaire par les transferts de compétences entre collectivités territoriales opérés par la loi n° 2015–991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances, à la commission des lois et à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
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Réforme de la prescription en matière pénale
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant réforme de la prescription en matière pénale (proposition n° 461 [2015-2016], texte n° 9, rapport n° 8).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, dans son discours préliminaire au projet de code civil, Portalis donnait des lois la définition suivante : « Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».
Cette définition est à mon sens un très bel idéal législatif, une boussole qui doit nous guider dans la fabrique et dans la finalité de la loi. Cette boussole doit d’autant plus être prise en considération que le sujet est important. C’est le cas de celui qui nous réunit aujourd’hui et que vous avez souhaité étudier sereinement, en prenant le temps nécessaire.
La prescription est, depuis plusieurs siècles, la clef de voûte de notre système judiciaire. Elle n’est d’ailleurs pas seulement un principe ; nous parlons d’elle comme d’une « institution ». Toutefois, nous le savons bien, les règles légales et jurisprudentielles de la prescription sont devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Leurs incohérences et leur instabilité sont devenues préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique.
Il était donc nécessaire de réfléchir à la manière de faire évoluer les règles de la prescription, d’entendre les juges et de considérer les besoins de la société et ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.
C’est ce qu’avait fait en son temps l’excellent rapport d’information de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent », déposé sur le bureau de votre assemblée le 20 juin 2007.
Prudent et exhaustif, le rapport soulignait l’effet sur les justiciables des règles de prescriptions actuelles, qui peuvent susciter en eux un sentiment d’imprévisibilité et, parfois, d’arbitraire.
Ses conclusions concernant la prescription en matière civile ont été traduites dans la loi du 17 juin 2008.
S’agissant de la matière pénale, vos collègues députés Alain Tourret et Georges Fenech ont poursuivi la réflexion engagée, dans le cadre d’une nouvelle mission d’information parlementaire, laquelle a permis d’élaborer la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise. L’un est député de la majorité ; l’autre siège dans l’opposition. Ils ont su faire fi de leurs positions politiques, conscients que cette question transcendait les clivages partisans.
Les préconisations en matière pénale n’ont pas toutes été reprises. Néanmoins, dans le principe, tout ce qui était préconisé dans le rapport du Sénat concernant la consécration et la codification de la jurisprudence dans la loi, l’allongement des délais de prescription et la clarification du régime de prescription figure bien dans ce texte.
Saisi par le président de l’Assemblée nationale, le Conseil d’État a intégralement validé cette proposition de loi sur le fond, ce qui souligne sa grande qualité. Il a aussi émis plusieurs suggestions pour l’améliorer.
Ces dernières ont été suivies et, le 2 mars 2016, la commission des lois de l’Assemblée nationale adoptait l’ensemble des amendements déposés par le rapporteur en ce sens.
Le Gouvernement avait également souhaité que la règle de l’imprescriptibilité ne soit pas étendue aux crimes de guerre, mais qu’elle soit réservée aux crimes contre l’humanité. Cela fait d’ailleurs écho à une position exprimée non seulement dans le rapport du Sénat de 2007, mais aussi, plus récemment, par Robert Badinter.
L’imprescriptibilité doit demeurer une règle exceptionnelle.
Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 mars dernier. La commission des lois du Sénat a amendé le texte, afin non seulement d’en améliorer la rédaction sur certains points, mais également d’en renforcer la sécurité juridique. C’est le sens de l’introduction d’un délai butoir de prescription, afin que les règles de report du point de départ de la prescription ne conduisent pas à une imprescriptibilité de fait.
Ce texte vous est aujourd'hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement souhaite que votre assemblée vienne renforcer le point d’équilibre trouvé.
Cette proposition de loi constitue en effet une réelle avancée en matière de procédure pénale. Elle inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription des délits occultes. Cela renforce la sécurité juridique et améliore la lisibilité du droit, sous réserve que le cas des délits dissimulés soit également traité de manière appropriée.
Chacun doit en effet pouvoir connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert et sans devoir analyser la jurisprudence.
En outre, ce texte tend à rassembler dans un même code des dispositions qui étaient éparpillées, contribuant ainsi à améliorer la lisibilité de la loi.
Enfin, cette proposition de loi a pour objet de clarifier et d’améliorer l’efficacité des règles de prescription s’agissant de la durée, des modalités de calcul des délais, ainsi que des règles de suspension ou d’interruption.
Grâce à ce texte, un grand pas pourrait être franchi pour éclairer notre réflexion commune sur la prescription. Ce sujet avait été abordé à de très nombreuses reprises, au cours de ces dernières années, dans différents travaux législatifs, mais c’est la première fois qu’une vision globale et une cohérence d’ensemble sont apportées.
Il m’appartient donc de vous dire que le Gouvernement est très attaché à ce texte et qu’il le soutient. En 1772, la romancière Marie-Jeanne Riccoboni écrivait qu’« une longue attente est un long supplice ». Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps ne doit pas, et ne peut pas, devenir l’ennemi de la justice. Œuvrons donc ensemble pour que cette loi soit un acte de sagesse, de justice et de raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est saisi pour la deuxième fois de ce texte. Nous avons en effet adopté, le 2 juin dernier, à ma demande, une motion de renvoi en commission.
Je me fondais alors sur la nécessité d’approfondir les questions soulevées par l’Assemblée nationale au mois de mars dernier, s’agissant tout particulièrement de la prescription des crimes commis sur les mineurs et des évolutions proposées, notamment en termes de prescription, par rapport à d’autres pays européens et en essayant d’évaluer l’impact budgétaire de cette réforme.
Le temps qui nous a été imparti de juin à octobre nous a bien évidemment permis d’avancer.
Tout d’abord, la commission a accepté le doublement des délais du droit commun de la prescription, qui passeraient respectivement de dix ans à vingt ans pour les crimes et de trois ans à six ans pour les délits. Faut-il rappeler que de telles dispositions avaient été proposées en 2007 dans le rapport de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung sur le régime des prescriptions civiles et pénales, intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent » ? Nos collègues concluaient en ces termes leur rapport : « les délais de prescription de l’action publique apparaissent aujourd’hui excessivement courts », notamment au regard de ceux qui sont retenus par nos voisins au sein de l’Union européenne.
Ensuite, la commission a refusé le dispositif proposé d’imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l’humanité, rappelant la spécificité des crimes contre l’humanité, les seuls à pouvoir être imprescriptibles dans notre droit positif. Il ne pouvait y avoir, sur un sujet aussi important, une quelconque possibilité d’interprétation ou un changement de principe.
Je le rappelle, le texte d’origine prévoyait une telle imprescriptibilité, une rédaction ayant été trouvée par l’Assemblée nationale. Toutefois, le Sénat a préféré en revenir à un principe clair : les crimes de guerre sont prescriptibles après trente ans. Bien entendu, s’ils sont connexes à des crimes contre l’humanité, ils peuvent faire l’objet de poursuites dans le cadre de cette qualification pénale, la jurisprudence s’appliquant naturellement.
Par ailleurs, la commission des lois a surtout veillé à éviter tout risque d’imprescriptibilité de fait. La prescription a des fondements extrêmement forts : la reconnaissance de la faillibilité de la justice, le droit à un procès équitable et le droit à être jugé dans un délai raisonnable.
Dans un arrêt en date du 22 octobre 1996, la Cour européenne des droits de l’homme rappelait ainsi les finalités des délais de prescription : « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actes, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ».
Par ailleurs, si la commission a accepté de donner un fondement légal aux innovations jurisprudentielles, elle les a encadrées. La proposition de loi fixe le point de départ du délai de prescription des infractions occultes par nature ou dissimulées, non pas au jour de leur commission, mais au jour où le délit est apparu dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. C’est la consécration de la jurisprudence sur ce point depuis 1935.
La commission des lois a accepté cette règle, même si la question des infractions dissimulées ne va pas de soi. Mais elle a assorti ce report d’un délai butoir, pour éviter des poursuites tardives qui ne respectent pas le droit de chacun d’être jugé dans un délai raisonnable.
Elle s’est également efforcée de mieux définir la liste des actes interruptifs de la prescription, refusant qu’une plainte simple de la victime soit considérée comme un acte interruptif, ce qui aurait sans doute conduit à de nombreux abus.
Elle a également précisé le champ des obstacles de droit ou de fait insurmontables, qui ont un effet suspensif sur la prescription.
Enfin, j’en viens à l’importante question des crimes commis sur les mineurs, dont nous allons sans doute débattre. Un certain nombre de nos collègues estiment que ces crimes doivent revêtir un caractère imprescriptible. D’autres considèrent que la prescription, aujourd'hui de vingt ans à compter de la majorité, doit être prolongée à trente ans. À titre personnel, mon raisonnement sur le sujet a évolué.
Nous avons auditionné des associations de victimes, La Parole Libérée et Stop aux violences sexuelles, ainsi que Mme Violaine Guérin, spécialiste de l’amnésie traumatique. Nous avons également entendu des magistrats et le docteur Caroline Rey-Salmon, chef de service de l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu.
Après avoir tenté de trouver une réponse, qui n’est d’ailleurs pas simple, car il n’y a pas de vérité absolue, la commission s’est déclarée hostile à l’imprescriptibilité, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, liées à la nécessité d’une prescription.
En revanche, sur le fait de savoir s’il faut l’augmenter à trente années ou la maintenir, tel que le prévoit le texte, à vingt années, j’ai proposé à la commission de maintenir le délai de prescription à vingt ans, rejoignant ainsi la proposition de l’Assemblée nationale, laquelle s’inscrit d'ailleurs dans ce qui est une constante du droit depuis maintenant plusieurs années.
Nous en avons discuté entre nous et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de prolonger ce débat en cet instant à la tribune, d’autant que nous y reviendrons, je l’imagine, lors de l’examen des articles. Je veux seulement dire ce qui a emporté ma conviction et m’a conduit à proposer d’en rester, pour les crimes, à une durée de vingt ans. Ce qui m’a convaincu, c’est que les magistrats et surtout les médecins considèrent qu’il n’y a pas, très honnêtement – et je pèse mes mots –, sur le plan judiciaire et sur le plan de la procédure, d’avantage particulier à prolonger la prescription dans la mesure où plus le temps passe, plus il est difficile, voire quasiment impossible, de rapporter la preuve des faits commis. Je le dis évidemment avec respect pour les victimes et pour les situations existantes, les mesures de relaxe, de non-lieu, voire d’acquittement sont en réalité assez nombreuses faute de preuves et faute de pouvoir établir ces dernières.
Telles sont les conditions dans lesquelles ce texte a été voté par la commission des lois ce mercredi et vient devant vous cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après un renvoi en commission, cette proposition de loi est débattue de nouveau en séance cet après-midi. Loin d’être un « petit texte », si je puis m’exprimer ainsi, elle marque une réforme d’une importance capitale pour notre droit pénal.
Cette proposition de loi repose essentiellement sur son article 1er, qui modifie de manière substantielle les dispositions relatives à la prescription de l’action publique – les articles 7 à 9 du code de procédure pénale –, en doublant les délais applicables en matière criminelle et délictuelle, portés de dix à vingt ans pour les premiers et de trois à six ans pour les seconds.
Pour nous, faire cela, c’est faire l’impasse sur le droit à l’oubli, le « pardon social », fondé à la fois sur la nécessité de laisser le temps faire son œuvre et de favoriser l’apaisement social, sans oublier le dépérissement des preuves, que les progrès scientifiques n’annihilent pas.
Certes, cela a été rappelé par le rapporteur et nous y reviendrons sûrement lors du débat sur les amendements, de nombreuses associations de victimes auraient voulu allonger encore le délai de prescription pour certains crimes, voire pour certains délits. Or d’un point de vue plus « psychologique », le temps produit des effets positifs, car la personne a pu travailler sur ses craintes et le souvenir est moins vif. Poursuivre devant le tribunal des faits anciens remontant à plus de trois années pour les délits, à plus de dix ans pour les crimes, reviendrait à réactiver le trouble par des poursuites parfois tardives qui peuvent ne pas donner toutes les réponses qu’attendent les victimes.
Les faits délictuels ou criminels qui s’inscrivent dans une relation d’emprise ou que les victimes tardent à dénoncer relèvent déjà quasi systématiquement de règles de prescription spécifiques et dérogatoires ; c’est le cas notamment pour les mineurs victimes d’infractions sexuelles.
Malgré cela, ils sont souvent évoqués dans le débat public pour nier toute la logique de la prescription : il faudrait attendre autant de temps que nécessaire à la personne victime pour porter plainte. Cependant, prendre ce débat extrêmement important sous l’angle émotionnel – qu’il faut respecter – n’est pas la solution à nos yeux.
Je l’ai dit, de nombreuses associations demandent un allongement de la prescription, notamment pour les violences ou les crimes sexuels. Le souci des victimes est évidemment à entendre et à respecter face aux conséquences psychologiques de certaines atteintes au plus profond de leur être.
Cependant, nous partageons l’analyse portée par le Syndicat de la magistrature : « la solution ne se trouve pas dans un illusoire allongement de la prescription mais dans la prévention ; inciter, faciliter le dépôt de plainte dans les affaires de violences physiques et/ou sexuelles ;… ».
J’ouvre ici une parenthèse pour dire que, nous le savons, il est encore parfois difficile d’être entendu et de faire prendre sa plainte dans un certain nombre de commissariats.
J’en reviens à la citation du Syndicat de la magistrature : « … sensibiliser l’ensemble des intervenants et donner la priorité à ces enquêtes, en termes de moyens notamment, contrer certains discours de banalisation, financer des dispositifs permettant de faciliter la parole et de se libérer d’une emprise ». J’ajouterai à ces priorités déclinées par les magistrats l’importance de respecter la victime sans la faire passer au statut, sinon de coupable, en tout cas de responsable de ce qu’elle a subi.
Pour nous, le premier droit des victimes est de pouvoir être entendues, être reconnues et d’accéder à un procès afin de pouvoir entamer le processus, parfois long, de reconstruction personnelle.
Nous sommes pour le droit à être jugé dans un délai raisonnable, pour que ce droit soit effectif. Cela impose également des délais de prescription mesurés. Car la peine ne traduit pas uniquement l’évaluation de la gravité des faits, la réprobation de la société, elle sert à punir, mais aussi à insérer ou réinsérer, elle doit donc être individualisée.
Pour répondre à cet enjeu d’un procès dans un délai raisonnable, se pose la question des moyens à laquelle il semblerait que l’on tente toujours de remédier en s’improvisant réformateurs d’un droit pénal dont l’équilibre fragile est alors compromis.
Or, pour éviter la prescription des peines, ce qu’il faut instaurer, c’est non pas l’allongement des délais, mais l’allocation de davantage de moyens aux services de greffe chargés de la mise en forme des décisions, à ceux de l’exécution des peines, aux huissiers qui signifient les jugements, aux services de police interpellateurs et aux services de l’application des peines, allocation accompagnée d’une réflexion sur le sens même de la peine et de la pénalisation de certains actes.
Deux avancées peuvent néanmoins être observées sur ce texte : d’abord, et nous y souscrivons, la précision de la définition et de la portée des motifs d’interruption du délai de prescription et la fixation des conditions de sa suspension, qui sont de nature à assurer davantage de sécurité juridique ; ensuite, le refus de notre commission – que le rapporteur a rappelé – d’inscrire l’imprescriptibilité des crimes de guerre et la décision de ne laisser qu’aux seuls crimes contre l’humanité l’exceptionnalité d’une imprescriptibilité totale.
Pour le reste, le projet de société de fuite en avant sécuritaire qui nous est proposé n’est pas acceptable à nos yeux.
Une telle proposition de loi va à l’encontre de la justice pénale humaniste et progressiste que les sénateurs communistes républicains et citoyens défendent. Ainsi, vous l’aurez compris, nous ne voterons pas ce texte en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en ce jour assez noir pour la justice et la magistrature de ce pays, je me demandais tout à l’heure s’il est opportun d’en « rajouter une couche » !
M. André Trillard. On voit ce qu’il veut dire !
M. Jacques Mézard. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler non seulement nos doutes mais aussi, et assez souvent, notre opposition à une accumulation de mesures législatives réformant ou modifiant par à-coups nos dispositions législatives en matière pénale.
J’ai beaucoup de respect et d’estime pour les deux auteurs de cette proposition de loi, les députés Fenech et Tourret, l’un membre du groupe Les Républicains, l’autre, du groupe radical. Il n’en reste pas moins que je ne peux pas voter ce texte, et il en sera de même pour la très grande majorité de mon groupe.
Je veux aussi le dire, nous avons beaucoup apprécié le travail de notre rapporteur, lequel a, comme d’habitude, fait preuve d’une grande rigueur – dans le bon sens du terme – pour atténuer un certain nombre de dispositions qui nous paraissaient particulièrement dommageables.
Je rappelais, en première lecture, deux citations, que je peux reprendre aujourd’hui parce qu’elles me permettent de dire le fond de notre pensée.
J’avais emprunté une citation à Jean de La Bruyère – « Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à se plaindre de sa brièveté » –, et une autre au professeur Bouloc – « Au bout d’un certain temps, mieux vaut oublier l’infraction qu’en raviver le souvenir ».
Parce que nous sommes – je dis bien « nous » – tous responsables de ce qui se passe et qui s’aggrave de jour en jour, nous pouvons facilement être trop sensibles à l’opinion publique – je partage ce qui vient d’être dit excellemment par Cécile Cukierman –, sensibles au légitime combat de nombreuses associations qui agissent souvent avec beaucoup de générosité, poursuivant des objectifs tout à fait acceptables. Le but du législateur n’est cependant pas d’être simplement généreux, il est aussi d’être efficace dans l’intérêt général.
Doubler les délais de prescription, quelle curieuse conception !
Il m’est arrivé, dans ma vie professionnelle, à un certain nombre de reprises, de plaider des dossiers où les faits remontaient à plus d’une quinzaine d’années. Que ce soit du côté de la victime ou du côté de l’auteur des faits, je peux vous dire que, très souvent, les dégâts sont considérables puisque nous parlons souvent d’affaires en matière sexuelle. Il faut donc être très prudent, et s’il est un domaine dans lequel la réflexion est indispensable, c’est bien ce domaine du droit pénal.
Monsieur le garde des sceaux, j’attendais – je resterai sur ma faim et vous n’y êtes pour rien parce que vous avez hérité d’une situation avec peu de temps pour la rétablir –, j’attendais, disais-je, une grande loi de réforme du droit pénal et de la procédure pénale, réglant les vrais problèmes, avec un objectif, avec un plan. Les sujets importants, ce sont, premièrement, le déclenchement des poursuites et l’interruption des délais de prescription, deuxièmement, le moment du jugement, avec l’échelle des peines et, troisièmement, l’exécution des peines.
Sur toutes ces questions, a-t-on avancé ces dernières années, tous gouvernements confondus ? Je le dis en toute franchise, j’en ai autant au service du précédent quinquennat où chaque fois qu’un chien faisait des dégâts on prenait une nouvelle disposition législative ! Eh bien, sur ces trois éléments, qui sont les trois éléments fondamentaux en matière pénale, je considère que non seulement on n’a pas forcément avancé, mais qu’on a souvent – malheureusement – compliqué les choses.
En matière législative, en matière pénale en particulier, nous avons besoin, au contraire, vis-à-vis de nos concitoyens, d’avoir un langage clair. Les difficultés, on les connaît. Vous les avez exposées avec courage, monsieur le garde des sceaux, en disant que la situation de notre justice est très difficile et qu’elle a besoin de moyens. Et vous allez faire des efforts dans le prochain budget. Dire que l’on va régler les problèmes en déjudiciarisant au maximum et en doublant les délais de prescription, j’en suis tout à fait convaincu, ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas une bonne façon de faire évoluer notre droit pénal !
Je parlais de l’échelle des peines. Aller se lancer dans une réforme des délais de prescription sans avoir remis à jour les questions d’échelle des peines, avec un certain nombre de contradictions que nous connaissons tous, là aussi, ce n’est pas raisonnable !
Si nous avons apprécié – je le redis – l’excellent travail de notre collègue rapporteur François-Noël Buffet, nous ne pouvons pas, parce que ce serait contraire à toutes nos convictions en matière d’œuvre législative, apporter notre soutien à un tel texte. Ce n’est pas une bonne façon de faire le droit et de faire la justice de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Cécile Cukierman et M. François Pillet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lorsque nous avions été saisis de cette proposition de loi en juin dernier, nous étions assez largement convenus que les conditions de travail de notre Haute Assemblée n’étaient pas à la hauteur du sujet abordé.
Le renvoi en commission était alors la seule solution raisonnable et il a permis à chacun de bénéficier de plus de temps pour approfondir un sujet important.
En effet, cette réforme de la prescription pénale est fondamentale pour notre système judiciaire. Modifier les conditions de la prescription pénale, c’est toucher, oserai-je dire, au cœur même de notre système de justice.
Toutefois, je relève qu’une interrogation a été soulevée en commission par plusieurs collègues, qui se sont demandé si cette réforme était indispensable et urgente.
Dans la situation actuelle de notre pays, et surtout dans la situation de notre système judiciaire, n’y a-t-il pas plus urgent que de réformer les règles de prescription ?
Notre rapporteur nous l’a confirmé en commission, cette réforme aura naturellement un impact financier non négligeable. À l’heure où l’administration pénitentiaire ne dispose même plus des moyens suffisants pour assurer l’escorte des détenus jusqu’au tribunal – ce qui conduit parfois à remettre dans la nature des délinquants –, faut-il consacrer plus de moyens aux conséquences d’un allongement des délais de prescription ? On peut évidemment se poser la question aujourd’hui.
Et l’on pourrait multiplier les exemples de défis qui sont face à nous en matière judiciaire, défis que M. le garde des sceaux connaît bien. Je n’en citerai qu’un autre : l’exécution des peines. Avec cette problématique, c’est la crédibilité et la confiance dans l’autorité judiciaire qui sont en jeu.
Vous l’aurez compris, le groupe centriste pense que nous aurions pu nous intéresser prioritairement à d’autres chantiers qu’à celui de la prescription. Toutefois, cela ne signifie nullement que le sujet que nous abordons aujourd’hui soit mineur, bien au contraire.
Dans cet univers où tout s’accélère, dans cet univers où internet pose la question de la suspension du droit à l’oubli, l’extension des délais de prescription pose une question fondamentale. Le droit à l’oubli est, indéniablement, un outil qui concourt à la pacification de notre société. Il est parmi les fondements mêmes de ce qui rend notre vivre ensemble possible.
À l’heure où notre société n’en finit plus de perdre ses repères, affaiblir cette notion essentielle qu’est le droit à l’oubli, c’est prendre le risque de déstabiliser encore notre société. J’en ai la conviction, ne pas chercher systématiquement à réveiller ce que le temps a apaisé est tout à fait sain. Cela me paraît même indispensable.
Est souvent présenté comme un argument d’autorité le fait que le progrès des techniques d’investigation doit ouvrir la voie à une extension de la prescription. Cela est discutable techniquement et moralement. Techniquement, parce que les progrès que j’évoque permettent aussi de découvrir plus immédiatement d’éventuelles preuves. Moralement, parce que cela n’est pas une raison suffisante pour remettre en cause le fait que les crimes doivent un jour être prescrits.
Et cela vaut même pour les plus graves d’entre eux. Telles sont les raisons pour lesquelles nous soutenons la suppression des dispositions qui prévoyaient l’imprescriptibilité de l’action publique pour les crimes de guerre connexes à un crime contre l’humanité. En effet, ces dispositions risqueraient de banaliser le crime de génocide et les crimes contre l’humanité en rompant le caractère absolument exceptionnel de l’imprescriptibilité.
Outre cette modification très symbolique, notre commission a amélioré le texte de la proposition de loi sur d’autres points.
Le texte de l’Assemblée nationale prévoyait d’intégrer les plaintes simples parmi les actes interruptifs de la prescription, contrairement aux solutions retenues jusqu’à présent par la jurisprudence.
Cette modification du code de procédure pénale nous apparaissait tout à fait contestable. Elle aurait ouvert la voie à des manœuvres abusives. C’est donc à juste titre que notre commission a supprimé cette possibilité. Comme le rappelle notre collègue François-Noël Buffet dans son rapport, « un simple courrier d’un plaignant ne saurait produire les mêmes effets juridiques qu’une plainte avec constitution de partie civile ».
La présente proposition de loi contient également des modifications concernant les infractions dites « astucieuses ». Reprenant les solutions jurisprudentielles dégagées de longue date par la Cour de cassation, elle prévoit que « le délai de prescription de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue ». Cette modification permettra de mettre fin à l’insécurité juridique née des débats doctrinaux sur cette question.
Enfin et surtout, ce texte prévoit le doublement des délais de droit commun de prescription de l’action publique en matière criminelle et délictuelle afin d’améliorer la répression des infractions. Si ce doublement permettra d’accorder plus de temps aux victimes pour porter plainte, le risque sera de leur donner de faux espoirs. Si les progrès réalisés dans le recueil, l’exploitation et la conservation des preuves scientifiques peuvent justifier un allongement des délais de prescription, le dépérissement des preuves, notamment l’affaiblissement, avec le temps, des témoignages, reste cependant une réalité.
Après l’excellent travail réalisé par notre collègue François-Noël Buffet, le texte qui nous est aujourd’hui soumis nous apparaît donc équilibré. Il ne faut d’ailleurs pas sous-estimer l’importance du temps de réflexion supplémentaire dégagé, grâce au renvoi en commission, dans cet équilibre final.
Sous réserve que cette réforme n’occulte pas les défis très importants qui restent à régler pour moderniser la justice, le groupe UDI-UC soutiendra ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi des députés Alain Tourret et Georges Fenech visant à réformer la prescription en matière pénale. Pour être précis, nous réexaminons ce texte après son renvoi en commission des lois le 2 juin dernier.
À l’appui de la motion de renvoi, le rapporteur arguait du fait que la prescription pénale méritait un important débat que le calendrier parlementaire imposé par le Gouvernement ne permettait pas. Il estimait également nécessaire qu’une étude d’impact soit menée afin d’évaluer la charge supplémentaire qui pèserait sur les juridictions, par l’effet de la réduction du nombre d’affaires prescrites chaque année.
Cet aléa de la procédure parlementaire montre surtout que la prescription n’est pas une simple question de procédure, mais qu'elle porte en elle un important débat et nous interroge sur notre rôle de législateur.
Depuis plusieurs années, de nombreuses propositions ont été faites en la matière. Dès 2007, nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, dans leur rapport d’information Pour un droit de la prescription moderne et cohérent, formulaient sept recommandations au nombre desquelles on retrouve l’allongement des délais de prescription de l’action publique à cinq ans en matière délictuelle et à quinze ans en matière criminelle.
Plus récemment, en mai 2015, les auteurs de la présente proposition de loi déposaient un rapport d’information sur la prescription en matière pénale et préconisaient également l’allongement des délais de prescription.
Concrètement, le droit a été modifié et, au fil des années, on a allongé le délai de prescription de l’action publique pour certaines infractions, telles que les crimes contre l’humanité, le terrorisme, le trafic de stupéfiants, les infractions contre les mineurs, les infractions sexuelles…
À ce titre, le professeur Jean Danet s’interrogeait en 2006 : « La désintégration de toute unité du système de la prescription de l’action publique est-elle alors inéluctable puisque les exceptions aux règles générales deviennent, en étant assurées de recueillir l’approbation des victimes, le moyen de marquer fortement l’importance que le législateur attache à la poursuite et à la sanction de certains faits, même si elles surviennent très longtemps après leur commission ? La prescription est-elle en train d’être pensée désormais davantage au travers des fonctions qu’elle peut remplir dans une politique criminelle qu’au travers de ce qui la fonde ? N’est-elle plus qu’un signe ? Ou conserve-t-elle un sens ? »
Ces propos reflètent la position que le groupe écologiste défend ici. Si, en tant qu’hommes et femmes politiques, nous avons la volonté légitime de vouloir rassurer les victimes, de leur dire que nous mettons tout en œuvre pour qu’elles puissent obtenir justice, nous avons également, en tant que législateur, le devoir de maintenir un droit solide, cohérent et qui fait sens.
À ce titre, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a le grand mérite de poser le débat en termes généraux et de nous éloigner ainsi d’un droit d’exception que nous avons toujours refusé.
Il renforce la sécurité juridique en ce qu’il vient préciser clairement le point de départ du délai de prescription pour chaque infraction ou catégorie d’infraction.
Si la nécessité de mettre à plat le droit de la prescription ne fait, pour nous, aucun doute, la nécessité d’allonger les délais de prescription de droit commun en matière délictuelle et criminelle ne nous semble toutefois pas aller de soi.
Il est important de le rappeler, la prescription n’a pas pour seule fonction de protéger la « sécurité juridique » des auteurs d’infractions ; elle est aussi, dans une certaine mesure, une forme de protection des victimes.
Le Syndicat de la magistrature l’a rappelé, d’autres professionnels du droit également, le procès qui se termine par un acquittement ou une relaxe parce qu’il n’y a plus assez d’éléments pour condamner est d’une extrême violence à l’endroit de la victime qui vit cela comme une négation de sa parole et un déni de justice.
De surcroît, pour reprendre les termes du Syndicat de la magistrature : « Même en cas de déclaration de culpabilité, le procès qui intervient trop longtemps après les faits peut se terminer par une ″peine symbolique″. Il ne pourra donc apaiser les souffrances de la victime, car si la société démocratique admet et réclame l’individualisation des peines, la victime ne peut la supporter ».
Je conclurai, mes chers collègues, en vous disant que la majorité du groupe écologiste s’abstiendra sur ce texte. Il le fera, d’abord, parce que le grand débat que la droite sénatoriale appelait de ses vœux n’a pas eu lieu, le rapporteur n’ayant d’ailleurs entendu que deux syndicats et une personnalité qualifiée lors des auditions complémentaires. Il s’abstiendra, ensuite et surtout, parce que cette proposition de loi ne nous semble finalement rendre service ni aux victimes, ni au droit.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi nous permet, d’abord, de resituer le rôle du droit pénal à la place qu’il doit avoir : son rôle premier est non pas de protéger et d’indemniser les victimes, mais de sanctionner des comportements que la société ne tolère pas. Il est de défendre l’intérêt général, de défendre l’ordre public. À travers le droit pénal, c’est la société qui sanctionne un comportement, lequel fait, certes, une victime, mais qui est d’abord inacceptable pour nos règles sociales.
C’est ainsi que dans beaucoup de domaines, hors du champ des grands principes qui régissent le crime, nous sanctionnons, notamment au titre de délits, des comportements économiques qui, jadis, ne faisaient pas l’objet de sanctions pénales. Dans le droit du travail, nous sanctionnons des comportements qui ne faisaient pas l’objet de sanctions pénales. En matière de conduite routière, nous sanctionnons des comportements routiers qui ne faisaient pas forcément l’objet de sanctions pénales.
Ne l’oublions pas, le droit pénal est là pour protéger la société, parce que celle-ci considère qu’une sanction est justifiée. Et en droit pénal, la prescription exprime le sentiment de la société qui considère qu’il arrive un moment où la sanction de faits trop anciens n’a plus d’intérêt. D’ailleurs, on le voit, plus on s’éloigne des moments où l’infraction, le crime, le délit ou la contravention ont été commis, moins la sanction est lourde parce qu’elle est aussi prononcée au regard de l’évolution de la personnalité de l’intéressé.
La prescription pénale, elle est faite, d’abord, dans le cadre du droit pénal et dans l’intérêt de la société. Elle est faite, ensuite, au regard des capacités dont la justice dispose pour se prononcer. Et il est évident que plus les faits sont éloignés dans le temps, moins – sauf si les preuves ont été conservées – l’on peut apporter la preuve de la commission des faits. Telle est la raison pour laquelle il est aujourd'hui évident qu’il fallait nécessairement revoir nos prescriptions de l’action publique au regard même de la mission du droit pénal.
Monsieur le garde des sceaux, certains collègues ont objecté que tout le monde aurait préféré un véritable ensemble de règles nouvelles du code pénal et du code de procédure pénale. Cependant, il s’agit d’un travail tellement important que, du coup, on n’avance jamais.
Je vais vous livrer le fond de ma pensée. Il existe un rapport daté de juin 2007, rédigé au nom du Sénat, toutes tendances confondues. Ce document exprime tout à fait clairement la nécessité de réviser la prescription pénale. Et il existe un rapport d’information, rédigé par deux collègues parlementaires de sensibilités différentes qui vont dans le même sens. Eh bien, ce que je pense, c’est qu’il faut donner une suite à ces rapports pour qu’il y ait quelque efficacité ! C’est ce qui a été fait à l’Assemblée nationale, et c’est ce qu’il nous revient de faire.
Cette efficacité supposait aussi – et je salue le travail de notre rapporteur – que nous ayons du temps. C'est pourquoi notre groupe a, lui aussi, voté la motion de renvoi en commission. Le rapporteur l’a dit, ce délai a fait évoluer sa propre conception et a permis d’éclairer davantage l’ensemble de la commission des lois.
Cette réforme est maintenant nécessaire. En effet, la société est confrontée au fait que nombre de délits et, surtout, de crimes sont révélés extrêmement tard et qu’il n’est donc pas acceptable qu’on ne les poursuive plus. La victime – j’y reviendrai à propos de la question des violences sexuelles – ne peut jamais accepter qu’on lui dise : aujourd’hui, l’acte dont tu as été victime est prescrit. C’est inadmissible pour la victime, mais c’est acceptable pour la société. En revanche, dans les autres pays européens, pour les crimes, les délais de prescription sont de quinze ou vingt ans. Dès lors, aux yeux de la société, nous devons nous adapter à l’aune des réalités européennes.
En outre, nous bénéficions aujourd’hui de moyens nouveaux pour poursuivre des individus. Par conséquent, la découverte du coupable peut intervenir plus tôt. Prenons le cas du vol, qui, si notre proposition de loi est définitivement adoptée, sera prescrit après six ans au lieu de trois. Aujourd’hui, dans le cas d’un vol de voiture ou du cambriolage d’une maison, on relève systématiquement les empreintes. Évidemment, cela ne permet pas de trouver le coupable dans la minute qui suit ; mais quand, quelques années plus tard, on arrête quelqu’un et qu’on confronte ses empreintes, on peut faire la liste de l’ensemble des infractions qu’il a commis. Cela permet de clarifier réellement sa responsabilité, mais aussi de donner satisfaction aux victimes : le coupable aura un jour été arrêté. Dès lors, nous devons accepter que les moyens nouveaux permettent des poursuites sur une période plus longue.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale nous est apparu globalement équilibré, à quelques exceptions près, que notre commission des lois, grâce, notamment, à votre travail, monsieur le rapporteur, a permis de corriger dans un contexte plus satisfaisant. Nous pouvons d’ailleurs caresser l’espoir qu’un vote majoritaire dans cet hémicycle permettra, si l’Assemblée nationale accepte les modifications intelligentes qui ont été apportées par notre commission des lois, que nous arrivions très rapidement à un vote conforme qui devrait à mon sens, monsieur le garde des sceaux, satisfaire la justice, malgré les observations que d’aucuns ont pu nous faire.
Les modifications apportées par la commission des lois sont utiles aussi sur le sujet de l’imprescriptibilité des peines. Le vrai sujet – un orateur l’a rappelé avant moi – est plutôt la mise en œuvre de l’exécution des peines. Il ne sera pourtant traité, monsieur le garde des sceaux, que lorsque la justice aura les moyens de procéder à une exécution rapide des peines. Il ne faut pas laisser des exécutions de peine courir faute de moyens pour les mettre en œuvre.
Une autre modification importante a été apportée par notre commission sur le sujet des actes interruptifs. Selon moi, à l’évidence, considérer la plainte de la victime comme un acte interruptif, même si en apparence c’est faire plaisir aux victimes, constitue un leurre du point de vue de la technique de la procédure pénale. La plainte avec constitution de partie civile est plus forte que la simple déclaration faite dans un commissariat de police ou la lettre envoyée au procureur de la République, puisqu’elle oblige la saisine du juge d’instruction. Il faut sur ce point être tout à fait sérieux.
Un autre point est important en matière de prescription : le point de départ de celle-ci. À cet égard, la proposition de loi concrétise dans la loi ce que la jurisprudence essaye de construire depuis des années : il s’agit de pouvoir rendre non prescrites un certain nombre d’infractions qui l’étaient. Cela s’est fait, jusqu’à présent, par un jeu subtil d’évolution de la jurisprudence fondée sur la reconnaissance d’actes interruptifs. Néanmoins, cela donnait lieu à une forme d’instabilité et d’incertitude, ce qui justifie la clarification générale apportée par ce texte.
En revanche, monsieur le rapporteur, vous avez bien fait de nous proposer de revenir à un principe essentiel pour notre société, en affirmant que l’imprescriptibilité ne peut s’appliquer qu’à ce que le monde a découvert au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à savoir les crimes contre l’humanité. Ces crimes, qui étaient auparavant prescrits, ont fort heureusement été déclarés imprescriptibles en 1945, d’ailleurs de manière rétroactive, parce que c’étaient les agissements les plus graves que l’humanité puisse rencontrer. Des crimes de guerre pourront être considérés comme des crimes contre l’humanité – ils l’ont d’ailleurs déjà été – ; ceux-là seront imprescriptibles. Pour les autres crimes de guerre, maintenons un délai de prescription de trente ans au lendemain d’une guerre, délai déjà extrêmement important.
Voilà pourquoi j’estime que la modification apportée par la commission sur ce point est parfaitement acceptable. J’espère donc qu’elle sera reprise par nos collègues de l’Assemblée nationale.
S’agissant de la prescription des violences sexuelles sur mineurs, comme je le disais, la victime ne peut jamais se satisfaire de la prescription. Certains d’entre nous vont jusqu’à demander, pour certains de ces crimes, l’imprescriptibilité. Néanmoins, il est clair que, comme l’a exprimé Robert Badinter, il n’y a que les crimes contre l’humanité qui puissent souffrir cette exception.
La demande qui est faite est néanmoins à double détente. Il s’agit, d’une part, d’assurer la protection de la victime, qui ne réalise et ne dénonce la gravité de faits dont elle a été victime dans son enfance que bien plus tard. Cela s’explique parfois, sans doute, parce qu’elle n’a pas osé en parler plus tôt. Certains estiment aussi que ce retard peut découler de ce qu’on appelle l’amnésie traumatique, phénomène qui reste encore à éprouver médicalement.
Par ailleurs, les spécialistes considèrent que le pervers qui a commis des actes à l’égard d’enfants mineurs poursuivra son action tant qu’il n’est pas arrêté ; il reproduit souvent fort longtemps ses agissements. La presse parle beaucoup, à notre époque, de ces situations où l’on découvre que tel enseignant, tel éducateur, tel homme d’église en contact avec des enfants, a eu des comportements que l’on ne découvre que bien après les faits. Dans de telles situations, des victimes se manifestent, parfois, après l’expiration du délai de prescription.
Ce qui est important, ce n’est pas de pouvoir poursuivre tel ou tel individu trente, quarante, ou je ne sais combien d’années plus tard ; c’est de pouvoir le poursuivre le plus tôt possible ! De ce point de vue, l’essentiel est de créer les conditions qui vont amener ces victimes et leur entourage à donner des informations, à oser s’exprimer.
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Jacques Bigot. Or les choses ont considérablement évolué : au sein des familles, on ose dire les choses, on parle beaucoup plus d’inceste. Les comportements troubles d’un adulte à l’égard d’un enfant font souvent que l’enfant pose des questions et que, si l’on est attentif à lui, on peut remarquer qu’il va moins bien. Les adultes qui entourent les enfants ont donc la responsabilité de solliciter ces déclarations afin de pouvoir engager le plus tôt les poursuites.
L’essentiel, ce n’est donc pas la prolongation du délai de prescription. Celui-ci, ne l’oublions pas, ne court que du jour de la majorité de la victime, et ce, si l’on décide le doublement de la prescription actuelle, pour une durée de vingt ans. Par conséquent, la victime peut se déclarer jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de trente-huit ans, ce qui est déjà très important.
Si l’on va plus loin, un risque existe. Il est difficile de prouver quelque chose qui s’est passé dans l’intimité ; la décision ne peut se fonder que sur les déclarations des uns et des autres. Dès lors, on risque, cela a déjà été dit, que le procès aboutisse à un acquittement ou à une sanction tellement peu importante que la victime aura l’impression d’être encore victime.
Ne l’oublions pas, au sortir d’une cour d’assises, même si l’accusé est condamné, la victime est toujours victime ; elle l’est encore plus si l’accusé sort acquitté. Selon moi, de ce point de vue, l’essentiel est que les poursuites puissent avoir lieu.
Pour le groupe socialiste et républicain, cette proposition de loi, telle que rectifiée, amendée et améliorée par notre commission des lois, mérite d’être soutenue. Tout à l’heure, nous aurons un débat. Je comprends que certains de nos collègues – nous avons d’ailleurs eu un débat au sein de notre groupe à ce sujet – aient proposé ce délai de prescription rallongé pour les violences sexuelles sur mineurs. Pour autant, restons aussi conscients que l’intérêt de cette proposition de loi, telle qu’elle est, est de clarifier les choses ; cette clarification passe aussi par le refus de trop nombreuses exceptions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Catherine Di Folco applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si les principes de la prescription en matière pénale ont été consacrés dans le code d’instruction criminelle de 1808, ses fondements remontent à l’ancien droit et s’enracinent dans le droit écrit héritier du droit romain.
De tout temps, la prescription aura voulu assurer la sécurité juridique et, en matière pénale, répondre à la nécessité de la répression autant qu’à des exigences sociales. La jurisprudence et la volonté du législateur n’auront cessé de répondre au mieux à ce double défi.
L’évolution des techniques pousse continuellement à renforcer l’action et, par conséquent, à desserrer la contrainte des délais. Dans le même temps, la société se satisfait de moins en moins de règles susceptibles de freiner ou d’éteindre l’action pénale.
La jurisprudence aura fortement contribué à cette évolution, en posant des principes comme la règle contra non valentem agere non currit praescriptio : la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir. S’y ajoute la pression de l’opinion, par exemple en matière de violences sexuelles.
Ces règles devenues inadaptées aux attentes de la société exigent un travail législatif. Celui-ci fut entrepris dès 2007, avec la mise en place, par la commission des lois du Sénat, d’une mission confiée à nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, qui formulèrent dix-sept recommandations visant à créer « un droit de la prescription moderne et cohérent ».
Si la réforme du 17 juin 2008 a exprimé cette réactualisation des règles de prescription en matière civile, en revanche, en matière pénale, les recommandations étaient restées lettre morte jusqu’à ce jour.
C’est donc cette réponse que nous apportons aujourd’hui en légiférant sur ces prescriptions en matière pénale. Je salue les adaptations et orientations adoptées sur l’initiative de notre rapporteur, François-Noël Buffet, qui nous propose un texte regroupant des mesures rénovées et équilibrées.
Il était en effet indispensable de nous donner le temps d’auditionner, de comparer et de réfléchir. Aussi le renvoi en commission décidé le 2 juin dernier a-t-il été hautement bénéfique.
Sans vouloir polémiquer sur l’actualité des déclarations présidentielles, monsieur le garde des sceaux, moderniser nos institutions, ce n’est pas légiférer plus rapidement, c’est légiférer moins et mieux.
Les fondements de la prescription de l’action publique et de la peine sont en partie communs. M. le rapporteur nous l’a rappelé et nous y sommes attachés.
Ainsi, la commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, et à une très forte majorité, a prévu un allongement des délais de prescription en matière pénale et un encadrement des règles relatives à leur computation, ce afin d’éviter de créer de nouvelles imprescriptibilités, de droit ou de fait.
Il est donc important de répondre à la double nécessité d’améliorer la répression des infractions tout en préservant les principes fondateurs de la prescription sous un regard toujours plus attentif et sensible de l’opinion.
S’agissant des délais de prescription de droit commun, nous souscrivons à l’allongement des délais de prescription de l’action publique en matière criminelle et délictuelle.
En réalité, l’allongement des délais de prescription répond à l’hypothèse d’un signalement tardif des faits aux autorités, plusieurs années après leur commission. Ce doublement permettra donc d’accorder plus de temps aux victimes pour porter plainte. De surcroît, ces nouveaux délais de prescription se rapprocheront des délais prévus dans les autres pays de l’Union européenne, en particulier pour les délits.
S’agissant de l’imprescriptibilité des crimes de guerre, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette disposition nouvelle, issue d’un amendement de compromis adopté par l’Assemblée nationale, n’est juridiquement imposée ni par le statut de la Cour pénale internationale ni par aucun engagement international de la France. L’objectif visé est d’ores et déjà satisfait par la jurisprudence. Pour les crimes de guerre connexes à des crimes contre l’humanité, ceux-ci se trouvent déjà bénéficier de l’imprescriptibilité.
Il s’est donc fortement imposé de ne pouvoir déroger au caractère exceptionnel de l’imprescriptibilité reconnu aux seuls crimes contre l’humanité. Je salue donc la suppression de ce qui a été qualifié d’« OVNI pénal », et j’y souscris pleinement.
Enfin, il est apparu nécessaire, du fait de l’évolution de la jurisprudence, et pour éviter le sentiment d’arbitraire, de clarifier le report du point de départ des délais de prescription à l’égard de délits « occultes » ou « dissimulés », sans que la détermination des infractions répondant à ces qualifications puisse être dégagée avec une réelle certitude.
Ainsi, il nous est apparu tout à fait pertinent, en premier lieu, pour certaines infractions commises sur les mineurs, de conserver le report du point de départ jusqu’à leur majorité, permettant ainsi l’engagement de l’action publique jusqu’à ce que les victimes atteignent l’âge de 28 ou 38 ans.
Nous avons choisi, en deuxième lieu, de consacrer législativement la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la définition et au report du point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions occultes.
Enfin, en troisième lieu, nous avons voulu fixer un délai butoir pour le report du point de départ des délais de prescription de ces infractions, délai qui ne pourrait excéder dix ans, en matière délictuelle, et vingt ans, en matière criminelle, à compter de la commission de l’infraction.
En revanche, nous ne pouvions souscrire à la position de l’Assemblée nationale quant à la définition des infractions dissimulées. La formulation retenue par les députés est en effet autant imprécise que trop vaste.
S’agissant des actes interruptifs de prescription, qui ont pour effet l’anéantissement rétroactif du délai ayant déjà couru par l’effet d’un événement de la procédure marquant le point de départ d’un nouveau délai, il nous est apparu nécessaire de donner une base légale aux solutions jurisprudentielles reconnaissant cet effet interruptif aux actes d’enquête, ainsi qu’aux actes d’instruction ou de poursuite émanant de la personne exerçant l’action civile.
Pour autant, comment accepter que les plaintes simples puissent avoir un effet interruptif ? La jurisprudence a d’ailleurs toujours refusé de consacrer ce principe, notamment parce que cela risquerait d’être source de manœuvres abusives. Pour notre part, nous recherchons une sécurité juridique optimale pour les procédures pénales.
Pour conclure, vous me permettrez de rappeler, comme l’évoquait le président Bertrand Louvel, les règles de prescription qui figuraient dans la charte d’Aigues-Mortes de 1246. Celles-ci prévoyaient, aux côtés des délais de la prescription de l’action, un délai de prescription du procès, qui devait être achevé en moins d’un an à compter du début de l’enquête, à moins qu’il n’y ait appel, auquel cas la procédure d’appel devait être achevée en moins de six mois. Bien que tombé dans l’oubli, le droit international rappelle avec insistance comme principe le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
Vous comprendrez, mes chers collègues, par ce rappel à l’histoire et à ceux qui voudraient en douter, que le principe de prescription est une notion plus moderne qu’il peut y paraître.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale
Article 1er
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Les articles 7 à 9 sont ainsi rédigés :
« Art. 7. – L’action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.
« L’action publique des crimes mentionnés aux articles 706-16, 706-26 et 706-167 du présent code, aux articles 214-1 à 214-4 et 221-12 du code pénal et au livre IV bis du même code se prescrit par trente années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.
« L’action publique des crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 du code pénal est imprescriptible.
« Art. 8. – L’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.
« L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, à l’exception de ceux mentionnés aux articles 222-29-1 et 227-26 du code pénal, se prescrit par dix années révolues à compter de la majorité de ces derniers.
« L’action publique des délits mentionnés aux articles 222-12, 222-29-1 et 227-26 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par vingt années révolues à compter de la majorité de ces derniers.
« L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-16 du présent code, des délits mentionnés à l’article 706-26 du même code, des délits mentionnés à l’article 706-167 dudit code, lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement, ainsi que de ceux mentionnés au livre IV bis du code pénal se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.
« Art. 9. – L’action publique des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l’infraction a été commise. » ;
2° Après l’article 9, sont insérés des articles 9-1 A à 9-3 ainsi rédigés :
« Art. 9–1 A. – Par dérogation aux premiers alinéas des articles 7 et 8, le délai de prescription de l’action publique des crimes et délits mentionnés à l’article 706-47 et aux articles 222-10 et 222-12 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un mineur, et du crime prévu à l’article 214-2 du même code, lorsqu’il a conduit à la naissance d’un enfant, court à compter de la majorité du mineur.
« Par dérogation aux articles 7 et 8 du présent code, le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, et au plus tard dix ans, pour les délits, et trente ans, pour les crimes, à compter du jour où l’infraction a été commise.
« Est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire.
« Art. 9–1. – Le délai de prescription de l’action publique est interrompu par :
« 1° Tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l’action publique, prévu aux articles 80, 82, 87, 88, 388, 531, 532 et à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
« 2° Tout acte d’enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction ;
« 3° Tout acte d’instruction prévu par les articles 79 à 230 du présent code, accompli par un juge d’instruction, une chambre de l’instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaires par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction ;
« 4° Tout jugement ou arrêt, même non définitif, s’il n’est pas entaché de nullité.
« Tout acte, jugement ou arrêt mentionné aux 1° à 4° fait courir un délai de prescription d’une durée égale au délai initial.
« Le présent article est applicable aux infractions connexes ainsi qu’aux auteurs ou complices non visés par l'un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt.
« Art. 9-2. – (Supprimé)
« Art. 9–3. – Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique suspend la prescription. » ;
3° (nouveau) La première phrase du second alinéa de l’article 15-3 est complétée par les mots : « , qui mentionne les délais de prescription de l’action publique définis aux articles 7 à 9 ainsi que la possibilité d’interrompre le délai de prescription par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, en application de l’article 85 ».
Mme la présidente. Je suis saisie de neuf amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
L’amendement n° 9, présenté par M. Mézard, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 10
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Nous demandons la suppression des alinéas 2 à 10 de cet article. Nous avons pour objectif de maintenir les délais actuels de prescription de l’action publique. En effet, nous considérons que, avant de proposer un doublement de ces délais, il serait opportun de mieux en évaluer les conséquences pour les justiciables et pour la cohérence globale de notre système pénal.
Je ne reviendrai pas sur les explications que j’ai données dans la discussion générale ; je répéterai néanmoins qu’il ne nous paraît pas opportun de doubler ainsi les délais de prescription sans avoir procédé à une étude d’impact suffisante et sans que nous ayons eu une réflexion globale, à la fois sur l’adéquation de ces changements avec l’échelle des peines et sur une véritable réforme de notre procédure pénale.
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Jouanno, MM. Houpert, Cadic, Médevielle et Cigolotti, Mmes Férat, Gatel et Létard, M. Bockel et Mme Billon, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du présent code et à l’article 222-10 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, est imprescriptible. »
II. – Alinéa 7
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
vingt
III. – Alinéa 8
Remplacer le mot :
vingt
par le mot :
trente
IV. – Alinéa 12
Supprimer les mots :
crimes et
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement, de même que le suivant, que je présenterai à la suite de celui-ci, porte sur la prescription des crimes sexuels. C’est un sujet dont nous avons très largement débattu au sein de cet hémicycle, notamment en 2014 lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Muguette Dini.
Je tiens tout d’abord à rappeler quelques chiffres. En effet, peut-être parce qu’ils sont assez méconnus, les viols sont souvent considérés comme un phénomène anecdotique. À cet égard, le Haut Conseil à l’égalité vient de publier un rapport sur ce phénomène. Selon lui, 84 000 femmes, chaque année, sont victimes de viol ou de tentative de viol, et 14 000 hommes, ce qui représente un phénomène assez méconnu. En outre, moins de 10 % de ces actes sont déclarés, que les victimes soient des adultes ou des enfants.
Or le droit existant prévoit, pour les viols et autres crimes sexuels commis sur des mineurs, un délai de prescription de vingt ans à compter de la majorité de la victime, qui court donc jusqu’à ce qu’elle ait trente-huit ans. Cette proposition de loi ne prévoit pas, à ce stade, de changer ces dispositions.
Pourtant, comme nous en avons largement discuté lors de notre précédent débat, l’amnésie post-traumatique n’est pas contestée scientifiquement. Elle existe, cela a été prouvé par la recherche médicale. Je vous invite sur ce point, mes chers collègues, à vous rapprocher des différents scientifiques qui travaillent sur ce sujet ou encore à travailler avec une association comme Stop aux violences sexuelles, qui connaît très bien ces sujets.
Ce phénomène amène parfois à des prises de conscience très tardives – bien après l’âge de trente-huit ans – de viols subis quand on était mineur. Or les délais de prescription sont alors écoulés. De fait, certains pays et territoires, comme, tout récemment, la Californie, ont décidé de rendre ces crimes imprescriptibles, ce qui est l’objet de l’amendement n° 6 rectifié bis. Cet amendement comporte également des dispositions visant à augmenter les délais de prescription pour les cas de traite ou de proxénétisme sur des mineurs.
L’amendement n° 7 rectifié bis, quant à lui, est un amendement de repli qui reprend très exactement les dispositions que nous avions votées dans cet hémicycle en 2014. Il vise à allonger à trente ans le délai de prescription de l’action publique des crimes sexuels commis sur des mineurs, à compter de la majorité de ceux-ci.
En effet, la présente proposition de loi, telle qu’issue des travaux de la commission, ne fait plus de différence, en termes de délais de prescription, suivant que les crimes soient commis contre des mineurs ou des majeurs : dans les deux cas, ce délai est fixé à vingt ans. Auparavant, il existait une différence : le délai était de dix ans pour les crimes sur personnes majeures ; de vingt ans, pour les crimes sexuels sur mineurs. Cela me pose quelques problèmes, puisqu’on tend désormais à considérer que ce n’est pas plus grave si ces crimes ont été commis sur des mineurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par Mme Jouanno, MM. Houpert, Cadic, Médevielle, Cigolotti et Roche, Mmes Férat et Gatel, M. Bockel et Mmes Létard et Billon, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du présent code et à l’article 222-10 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers. »
II. – Alinéa 7
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
vingt
III. – Alinéa 8
Remplacer le mot :
vingt
par le mot :
trente
Cet amendement a été précédemment défendu.
L’amendement n° 1 rectifié quater, présenté par M. Kaltenbach, Mmes Blondin, Meunier, Tasca et Lepage, M. Botrel, Mme Campion, MM. Carvounas, Courteau et Duran, Mme E. Giraud, MM. Lalande et Masseret, Mme Perol-Dumont, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Tourenne et Vaugrenard, Mme Herviaux, M. Reiner, Mme Espagnac, MM. Roger et Manable, Mme Guillemot, M. F. Marc, Mme Génisson, M. D. Bailly et Mme Monier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’action publique du délit mentionné à l’article 434-3 du code pénal, lorsqu’il est commis sur des mineurs, se prescrit par six années pour les délits et vingt années révolues pour les crimes à compter de la majorité de ces derniers.
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. J’ai déposé sur cet article, en compagnie de vingt-sept autres membres du groupe socialiste et républicain, quatre amendements – nos 1 rectifié quater, 5 rectifié quater, 4 rectifié quater et 3 rectifié quater – qui, globalement, visent à allonger le délai de prescription lorsque l’on a affaire à des crimes sexuels commis sur des mineurs. Je ferai dès à présent une présentation d’ensemble de ces amendements.
Malheureusement, beaucoup trop de mineurs, encore aujourd’hui, sont victimes de crimes sexuels. Cela les marque pour très longtemps. Par ailleurs, bien souvent, comme ces crimes ont été commis par des personnes de leur entourage – parents, membres de la famille, éducateurs –, leur souvenir met très longtemps à ressortir. La mémoire ne revient souvent que bien après la majorité et même le délai de prescription actuel, qui est de vingt ans après la majorité.
Lorsque j’ai été nommé rapporteur de la proposition de loi de Mmes Dini et Jouanno, j’ai eu l’occasion de rencontrer des médecins, et notamment Mme Guérin, qui a bien analysé ce phénomène d’amnésie traumatique, qui fait que les victimes ne se remémorent ce qui s’est passé que bien après et souvent, d’ailleurs, lorsqu’elles ont elles-mêmes des enfants qui parviennent à l’âge où elles ont été elles-mêmes victimes de ces crimes sexuels. Il est donc clair que, en reportant de dix ans ce délai de prescription, on arrivera à couvrir beaucoup plus les possibilités liées à cette amnésie traumatique.
C’est pourquoi, voilà deux ans et demi, lors du débat de la proposition de loi de Mmes Dini et Jouanno, en tant que rapporteur, j’avais écarté la demande d’imprescriptibilité pour me rabattre sur cette demande de prolongation de vingt à trente ans du délai. J’avais d’ailleurs été suivi par une large majorité sur toutes les travées de cet hémicycle.
Cette proposition de loi, malheureusement, n’a pas prospéré à l’Assemblée nationale. Voilà pourquoi je saisis le véhicule que nous fournit cette proposition de loi consacrée à l’augmentation des délais de prescription pour revenir sur un sujet qui est, à mon sens, aujourd’hui essentiel.
En effet, beaucoup trop d’enfants sont victimes de ces crimes et beaucoup trop d’adultes vivent très mal d’avoir été victimes quand ils étaient enfants. J’ai rencontré des victimes qui, vingt ou trente ans plus tard, continuent de souffrir de ce qu’elles ont subi dans leur enfance. Je crois que nous leur devons justice. J’ai entendu des orateurs, à cette tribune, parler au nom des victimes, mais je dois dire que je ne me suis pas reconnu dans leur discours. En effet, les victimes que j’ai rencontrées m’ont toutes expliqué que, même si, après vingt ou trente ans, les preuves seront difficiles à trouver, ce qu’elles demandent, c’est que l’affaire soit traitée, qu’elles soient entendues et qu’un juge se prononce ; s’il risque d’y avoir acquittement, du moins on ne laisse pas d’incertitude.
Voilà pourquoi nous avons déposé ces amendements visant à allonger ce délai de vingt à trente ans. Notre assemblée a voté cet allongement il y a deux ans. Aujourd’hui, nous allons allonger le délai de prescription de tous les crimes de dix à vingt ans. Le parallélisme des formes voudrait donc que l’on allonge ce délai de vingt à trente ans pour les crimes sexuels sur mineurs.
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié quater, présenté par M. Kaltenbach, Mmes Blondin, Meunier, Tasca et Lepage, MM. Duran, Tourenne, Courteau et Botrel, Mme Perol-Dumont, M. Carvounas, Mme Tocqueville, MM. Vaugrenard, Roux et Masseret, Mmes Campion et E. Giraud, M. Lalande, Mme Herviaux, M. Reiner, Mme Espagnac, MM. Roger et Manable, Mme Guillemot, MM. F. Marc et D. Bailly et Mmes Génisson et Monier, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
vingt
Cet amendement a été précédemment défendu.
L’amendement n° 4 rectifié quater, présenté par M. Kaltenbach, Mmes Blondin, Meunier, Tasca et Lepage, MM. Duran, Tourenne, Courteau et Botrel, Mme Perol-Dumont, M. Carvounas, Mme Tocqueville, MM. Vaugrenard, Roux et Masseret, Mmes Campion et E. Giraud, M. Lalande, Mme Herviaux, M. Reiner, Mme Espagnac, MM. Roger et Manable, Mme Guillemot, MM. F. Marc et D. Bailly et Mmes Génisson et Monier, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer le mot :
vingt
par le mot :
trente
Cet amendement a été précédemment défendu.
L’amendement n° 13, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’action publique des délits mentionnés à l’article 706–167 du présent code, lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement, ainsi que celle des délits mentionnés aux articles 706–16 et 706–26 du même code et au livre IV bis du code pénal se prescrivent par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 17 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 13, alinéa 3
Remplacer la référence :
et 706–26 du même code
par les mots :
du présent code, à l’exclusion de ceux définis aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du code pénal, et 706-26 du présent code
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Ce sous-amendement a pour objet d’écarter l’application des délais de prescription allongés en matière terroriste aux délits d’apologie du terrorisme et de consultation habituelle de site terroriste.
D’une moindre gravité et sans lien direct avec la réalisation d’un acte terroriste, ces infractions ont en effet déjà un régime répressif distinct des autres, ainsi que l’a notamment décidé le législateur, dans la récente loi du 21 juillet 2016 prolongeant l’état d’urgence, en interdisant les aménagements de peines aux personnes condamnées pour une infraction terroriste autre que l’apologie du terrorisme ou la consultation habituelle de site terroriste.
Le nouveau délai délictuel de droit commun de six ans sera donc applicable à ces délits, et non le délai de vingt ans.
Mme la présidente. L’amendement n° 15, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 9–1 A. – Le délai de prescription de l’action publique des crimes et délits mentionnés à l’article 706–47 et aux articles 222–10 et 222–12 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un mineur, court à compter de la majorité de ce dernier.
« Le délai de prescription de l’action publique du crime prévu à l’article 214–2 du même code, lorsqu’il a conduit à la naissance d’un enfant, court à compter de la majorité de ce dernier.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement est, lui aussi, rédactionnel.
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié quater, présenté par M. Kaltenbach, Mmes Blondin, Meunier et Tasca, M. Botrel, Mme Lepage, MM. Duran, Tourenne et Courteau, Mme Perol-Dumont, M. Carvounas, Mme Tocqueville, MM. Vaugrenard, Roux et Masseret, Mmes Campion et E. Giraud, M. Lalande, Mme Herviaux, M. Reiner, Mme Espagnac, MM. Roger et Manable, Mme Guillemot, M. F. Marc, Mme Génisson, M. D. Bailly et Mme Monier, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce délai de prescription est de trente années révolues.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements, à l’exception de ceux qu’elle a elle-même présentés ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur l’amendement n° 9, défendu par M. Mézard, l’avis de la commission est défavorable. En effet, ses auteurs refusent simplement l’augmentation des délais de prescription des délits et des crimes.
J’en viens aux amendements nos 6 rectifié bis et 7 rectifié bis, présentés par Mme Jouanno. Le premier d’entre eux vise à établir l’imprescriptibilité des crimes commis sur des mineurs ; le second, à défaut, tend à fixer pour ces crimes un délai de prescription de trente ans.
La commission est défavorable à ces deux amendements, pour des raisons que nous avons déjà exposées. Pour le premier, nous estimons que l’imprescriptibilité n’est pas souhaitable, quelle que soit la nature de l’infraction, en dehors des crimes contre l’humanité, dont nous avons rappelé la spécificité. Pour le second, la décision n’a pas été facile. Néanmoins, au vu des auditions et de ce que nous avons pu en comprendre et en tirer, il nous est apparu raisonnable de nous en tenir aujourd’hui à un délai de vingt ans. Outre le maintien du principe de la prescription, nous avons surtout voulu que la qualité des preuves puisse prospérer et que l’on puisse aboutir à un procès où le risque d’acquittement de l’accusé ne soit pas trop élevé. En effet, un acquittement peut au final s’avérer plus ravageur. Nous préférons que le procès se tienne beaucoup plus tôt, ce qui permet de préserver les preuves.
Concernant l’amendement n° 1 rectifié quater, pour être tout à fait honnête, je n’en ai pas très bien compris l’objet : il tend à créer le délit de non-dénonciation de délits sur mineur. Or le droit prévoit, à travers les dispositions de l’article 434–3 du code pénal, un délit de non-dénonciation de délits sur mineur. Dès lors que la prescription sera de six ans, ce délit s’appliquera sans difficulté aux faits que vise tout particulièrement M. Kaltenbach, à compter de la majorité de la personne. Le droit positif suffit donc largement et me semble beaucoup plus clair. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 5 rectifié quater vise à porter le délai de prescription de dix ans à vingt ans pour les délits commis sur mineurs prévus à l’article 706–47 du code de procédure pénale. Pour la commission, lorsqu’il s’agit d’un délit, le délai de dix ans, qui commence à courir à compter de la majorité de la victime, semble satisfaisant. C’est pourquoi elle émet également un avis défavorable.
La commission émet aussi un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié quater, qui tend à faire passer de vingt ans à trente ans la prescription pour les délits de violence ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours.
La commission émet en revanche un avis favorable sur le sous-amendement n° 17 rectifié, qui tend à réinscrire le délai de prescription de six ans, ce qui paraît équilibré.
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 3 rectifié quater, qui a pour objet de porter à trente ans la prescription des infractions sur des mineurs. Je me suis déjà expliqué sur ce sujet.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission des lois. Il ne peut qu’être défavorable à la position de Jacques Mézard, qui s’oppose au principe même de la proposition de loi : il considère au contraire que les progrès réalisés en matière de recueil, d’exploitation ou de conservation des preuves nécessitent d’envisager de nouveau un allongement des délais de prescription.
Le Gouvernement considère également que le délai de vingt ans pour les délits les plus graves commis sur les mineurs est suffisant au regard à la fois du report du point de départ à la majorité des victimes et de la difficulté qu’il y aurait à juger ces affaires trop longtemps après la commission des faits. C’est pourquoi il émet un avis défavorable sur les amendements visant à prévoir des évolutions dans ce domaine. En revanche, il émet un avis favorable sur les amendements de la commission des lois.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je tiens à remercier Mme Jouanno d’avoir posé, à travers son premier amendement, la question de l’imprescriptibilité. C’est en effet le vrai sujet de ce débat. Je peux comprendre que, pour certains, les violences sexuelles sur les enfants soient tellement graves qu’elles ne puissent jamais être prescrites. Dans ce cas-là, c’est le principe même de la prescription en matière pénale qui doit être rebattu. Après tout, on pourrait très bien concevoir que, dans notre société, aucune prescription n’existe pour les crimes et délits.
La proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles de Mmes Dini et Jouanno, dont Philippe Kaltenbach était le rapporteur, a été déposée à une période où la plupart des crimes étaient prescrits par dix ans : il fallait donc instaurer des dispositions particulières pour les violences sexuelles commises sur des enfants. Nous fixons aujourd'hui un cadre général et le texte que nous examinons apporte des clarifications, en prévoyant un rythme de prescription qui soit à peu près analogue.
Cela ne signifie nullement que l’on considère que les violences sexuelles faites aux mineurs ne sont pas des actes graves – ce sont des actes graves ! – : il faut sensibiliser la société et les poursuivre le plus vite possible ; voilà le vrai sujet. C’est ainsi que l’on évitera des amnésies post-traumatiques. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. J’ai un peu de mal à entendre, et ce dans les différents sens du terme, ce qui vient d’être dit.
Je rappelle qu’un certain nombre de pays ont voté l’imprescriptibilité pour les crimes sexuels sur mineurs : la Suisse, le Canada et, dernièrement, le gouvernement de Californie. À mon avis, ces États n’ont pas pris ces décisions à la légère. Ils ont constaté que les crimes sexuels commis sur des mineurs avaient des conséquences en chaîne extrêmement graves et pouvaient être considérés comme des phénomènes épidémiques qui se reproduisaient. C’est bien la réalité en France, il n’est qu’à citer les chiffres du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : 84 000 viols ou tentatives de viol par an, plus de 14 000 sur des hommes. Ce sont des chiffres énormes, qui plus est ils ne baissent pas.
Il faudrait, selon certains, faire en sorte que la révélation ait lieu le plus tôt possible, mais, dans 90 % des cas, les auteurs de ces actes sont des proches ! Il n’y aura donc pas de révélation par les proches.
Je comprends très bien que la question de l’imprescriptibilité entraîne un débat extrêmement lourd, puisque nous avons fait le choix de la limiter aux crimes contre l’humanité.
J’en viens au délai de trente ans. Comment comprendre que l’on traite exactement de la même manière des crimes sexuels commis sur des adultes et des crimes sexuels commis sur des mineurs quand on voit les conséquences sur les enfants ? Comment comprendre que la France ait jusqu’à présent jugé nécessaires des délais de prescription différents entre adultes et mineurs et que ce ne soit plus le cas aujourd'hui ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Ce texte présente l’intérêt de clarifier et de codifier un certain nombre de règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines qui sont aujourd’hui dans la jurisprudence.
Toutefois – et c’est l’objet de l’amendement n° 9 que je soutiendrai –, doubler les délais de prescription sur l’action publique pour les délits et les crimes me semble très dangereux, pour des raisons tant philosophiques que techniques.
La notion même de prescription jour un rôle dans la pacification de la société et sa cohésion. J’entends bien ce que l’on peut dire sur les crimes les plus graves et les crimes sexuels, mais des dispositions particulières sont déjà prévues, qui prennent en compte cette spécificité et prévoient un délai jusqu’à vingt ans après la majorité. Faire vivre la société en se projetant dans son avenir et non dans son passé est essentiel, la notion de pardon l’est tout autant.
Par ailleurs, il faut reconnaître que la capacité d’administration d’une preuve s’estompe avec le temps, la mémoire s’étiole, se déforme. De ce point de vue, nous ne pouvons considérer que l’augmentation des délais de prescription améliorera la qualité de la justice.
Je relève en outre deux contradictions. Il est question des nouvelles technologies, mais les nouvelles technologies nous permettent d’aller plus vite, elles ne justifient pas de doubler les délais. Pourquoi des analyses demandées par les magistrats à la police scientifique mettent-elles si longtemps à être réalisées ? Il ne faudrait pas qu’il s’agisse d’une simple mesure de confort et que cela revienne à adapter les délais aux moyens de la justice. Ce sont les moyens qui sont nécessaires. En votant un doublement des délais de prescription, nous obtiendrons une justice plus lente et moins efficace.
Par conséquent, l'amendement n° 9, qui vise à éviter ce doublement des délais de prescription, est favorable aux victimes. Il permet en effet de se concentrer sur les moyens pour avoir une justice rapide et efficace et non une justice de confort où l’on adapte les délais aux moyens. (M. Jacques Mézard et Mme Cécile Cukierman applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.
M. Jean-François Longeot. Je ne veux pas du tout me placer en donneur de leçons ou porter un jugement. Sur ce dossier, il ne faut pas raisonner de façon uniquement juridique, en évoquant l’encombrement de la justice, sa lenteur, que sais-je encore, il faut une approche beaucoup plus humaine. Dans cette optique, porter le délai à trente ans me paraît important. C’est pourquoi je soutiendrai les amendements de Chantal Jouanno.
Il ne s’agit pas d’un sujet facile, mais mon intime conviction est la suivante : il faut allonger ce délai de vingt ans. (Mme Chantal Jouanno et M. Loïc Hervé applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. Même si je salue le travail du rapporteur, j’avoue être un peu déçu par sa position sur l’allongement du délai de prescription à trente ans. J’avais même cru pouvoir le convaincre, au mois de mai dernier, lors de l’examen de ce texte par la commission, puisqu’il avait lui-même déposé le 23 mai un amendement visant à porter ce délai à trente ans. J’avais d’ailleurs demandé que soit entendu le docteur Guérin, qui explique de façon extrêmement convaincante le phénomène de l’amnésie traumatique.
Malheureusement, dans cet hémicycle, une majorité n’est pas favorable à l’allongement de ce délai. À la suite de Chantal Jouanno, je tiens à insister sur le fait que, lors de l’examen de la proposition de loi cosignée par Mmes Dini et Jouanno il y a trois ans, nous avons voté cette disposition après un long débat, considérant alors que les crimes sexuels sur enfants étaient très graves, inacceptables, qu’ils se reproduisaient. En outre, le prédateur sexuel qui viole des enfants mineurs a malheureusement tendance à réitérer son geste et à ne pas s’arrêter. Il faut donc tout mettre en œuvre pour l’arrêter. En allongeant les délais de prescription, on se donne des outils supplémentaires.
Qui plus est, il faut penser aux victimes, qui sont profondément traumatisées par ce qu’elles ont subi : elles en porteront leur vie durant les conséquences extrêmement graves et lourdes. Les victimes demandent l’imprescriptibilité, je les ai rencontrées. En allongeant le délai de prescription, on répond à une demande forte en leur permettant d’agir plus longtemps.
Les victimes ont en effet expliqué que, bien souvent, la fin de l’amnésie traumatique arrivait après quarante ans. Avec la disposition prévue, vingt ans après la majorité, on arrive à trente-huit ans. En portant le délai à trente ans, on fait un geste en direction des victimes, on rend notre justice plus efficace pour lutter contre les prédateurs sexuels qui s’attaquent à des enfants et on fait évoluer le droit dans un sens favorable à la défense des victimes et à la lutte contre les violences sexuelles sur mineurs.
Il est vrai qu’il s’agit d’un système un peu dérogatoire, mais, face à de tels crimes, il faut savoir être humain, souple et trouver les meilleures armes juridiques. C’est pourquoi je maintiens les amendements que j’ai déposés.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Je partage l’analyse sur la prescription et ce qui la fonde. Dans notre État de droit, la prescription permet que l’ordre public ne soit pas à nouveau troublé lorsque le temps l’a apaisé. La prescription protège également la justice de l’érosion et de la mauvaise qualité de la preuve, vous l’avez tous évoqué. Par conséquent, par la prescription, la justice se protège elle-même des erreurs qu’elle pourrait commettre. C’est très important.
Je comprends parfaitement que l’on insiste sur le caractère gravissime de certains crimes. Comme l’a excellemment dit, dans une formule que je retiens, Jacques Bigot, à la fin d’une session d’assises, du côté de l’accusation, il y a un coupable ou un innocent, mais, du côté de la victime, quoi qu’ait été décidé, la victime reste la victime.
J’évoquerai une expérience professionnelle, même si elle n’a pas sa place dans un hémicycle, puisque ni sa qualité ni, a fortiori, son intensité ne peuvent être mesurées. Lorsque vous avez reçu dans votre cabinet de telles victimes, quinze ans, voire vingt ans après les faits et que l’instruction est telle que la preuve n’est pas là, qu’attend-on de la session d’assises sinon qu’elle participe à la thérapeutique ?
M. Philippe Kaltenbach. À la reconstruction !
M. François Pillet. Non, la justice n’est pas une thérapeutique.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. François Pillet. Qui pis est, lorsque, à la fin de la session d’assises, on aura dit à la victime que le coupable ne l’est pas, on aura rouvert une blessure qui deviendra alors inguérissable, parce que le débat aura eu lieu dans la sphère publique et aura montré que les preuves n’étaient pas là.
Je comprends, je partage même la volonté de protéger la victime, mais, ce faisant, vous allez renforcer son état de fragilité. Je le répète, la justice n’est pas une thérapeutique : il faut trouver d’autres voies pour œuvrer en faveur de la guérison de la victime et pour que justice lui soit rendue. (M. François Commeinhes et M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Les amendements qui ont été présentés ont permis de mettre en évidence l’aspect humain, qui est tout à fait légitime dans ce débat.
Je salue le travail mené par nos collègues de la commission des lois sur cette proposition de loi. Modifier le code pénal est très compliqué et je me rallie bien évidemment à la position du rapporteur.
Nous ne pouvons qu’être interpellés par ces drames, ces crimes sur mineurs, mais il faut faire confiance à la justice et à l’engagement de tous ceux qui œuvrent dans ce cadre et jouent un rôle fondamental. Nous parlons de l’efficacité de la justice. Il faut trouver des solutions et défendre les victimes innocentes, les plus jeunes. Cela passe aussi par l’engagement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Au regard des remarques que nous avons formulées dans la discussion générale, nous voterons l’amendement n° 9 et faisons nôtres les arguments que Jacques Mézard a avancés en le présentant.
J’en viens aux autres amendements. Il faut veiller à se préserver de toute émotion quand nous pensons à ces victimes. Nous sommes touchés, car nous pouvons toutes et tous être une victime potentielle demain. Ce n’est pas cela qui doit nous animer aujourd’hui, au moment d’élaborer la loi.
Quand on parle de souplesse, on ne garantit plus l’équité et ce que doit être la justice dans notre pays. Même si c’est difficile à dire, je trouve que l’on oublie que le temps de l’instruction et le procès permettent de garantir la justice aux deux parties, à la victime comme à la personne qui sera peut-être reconnue coupable.
Cette fuite en avant du temps de la prescription n’offre pas nécessairement la garantie d’une véritable justice, tant pour la victime que pour la personne qui, à l’issue du procès, sera ou non reconnue coupable.
Il a également été question du choc traumatique. Vous l’avez rappelé, madame Jouanno, nous en avons déjà débattu lors de l’examen de la proposition de loi que vous avez cosignée avec Mme Dini. Peut-être faut-il reprendre ce dossier du point de vue législatif et pénal et revoir le point de départ du délai de la prescription. En effet, c’est au moment où la victime a conscience de ce qui lui est arrivé que cela commence. En revanche, ce n’est pas en allongeant le délai de prescription à trente ans – pourquoi ne pas le porter à quarante ans, voire rendre le délit imprescriptible ? – que l’on réglera la question, notamment les problèmes de choc post-traumatique.
C’est pourquoi, en l’état, nous ne voterons pas ces différents amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Il s’agit là d’un sujet extrêmement sensible. Nous avons rarement dans cet hémicycle des discussions sur un texte qui touche à la conscience de chacun. Il n’y a pas de vérité absolue sur la question qui nous est posée aujourd’hui.
Un travail de fond a été mené en commission.
Mme Cécile Cukierman. Un vrai travail !
M. Yves Détraigne. François Pillet a bien souligné qu’il fallait un droit à l’oubli. Il ne faut pas faire remonter à la surface des affaires anciennes que le temps n’a pas fait oublier – on n’oublie jamais certains traumatismes –, mais qui a permis d’apaiser la société.
Je l’ai dit lors de la discussion générale, la prescription est un élément du vivre ensemble. Je crois sincèrement qu’il faut à un moment que l’oubli arrive, ne serait-ce que pour la régulation de notre société, même s’il est vrai que ce n’est pas possible pour tout le monde – il est des traumatismes que l’on n’oublie jamais lorsque l’on en a été la victime.
En droit, on dit souvent qu’en raison de l’ordre public on n’appliquera pas telle ou telle disposition. Selon moi, en raison de l’ordre public, il faut une prescription. C’est pourquoi je me rangerai à la position de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Bien sûr, je voterai mon amendement.
M. Philippe Kaltenbach. Quelle surprise ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Mézard. Il arrive que l’on retire ses amendements après avoir été convaincu par les arguments des autres. Pour votre part, monsieur Kaltenbach, vous ne m’avez absolument pas convaincu. C’est la raison pour laquelle je voterai mon amendement avec encore plus de résolution.
Ce n’est pas parce que l’on est opposé à l’allongement des délais de prescription que l’on n’est pas sensible aux problèmes des victimes et que l’on ne s’en préoccupe pas. Je rappelle d’ailleurs que l’expression « victimes innocentes » est un pléonasme.
Ce n’est pas protéger les victimes que d’allonger les délais de prescription. Certes, cela fait plaisir à un certain nombre d’associations – on connaît aujourd’hui le fonctionnement d’un certain nombre de courants. Pour ma part, si je respecte toutes les opinions, je pense que nous ne faisons pas du bon travail et que ce n’est pas le moyen de protéger les victimes.
Dans la discussion générale, j’ai parlé de l’échelle des peines.
Mme Cécile Cukierman. Oui !
M. Jacques Mézard. Bien sûr, s’attaquer à des mineurs, à des enfants, est absolument intolérable, mais tuer des gens l’est tout autant !
M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. François Pillet a raison de dire que l’expérience professionnelle est subjective et qu’il ne faut pas en abuser. Reste qu’elle permet d’avoir un certain recul. Compte tenu des modifications des jurisprudences de nos tribunaux et de nos cours au regard de certains types d’infractions en une trentaine d’années, il faut être extrêmement prudent lorsque l’on prend des décisions sans tenir compte de l’échelle des peines.
Je le redis, car j’en suis convaincu – c’est notre rôle de dire ce que l’on croit être bon, même si l’on se trompe –, nous faisons du mauvais travail, qui aura des conséquences dans les années à venir.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je tiens à expliquer le cheminement qui a conduit la commission à présenter à la Haute Assemblée un texte qui ne touche pas aux délais de prescription concernant les infractions commises contre les mineurs. Personne ici, quel qu’il soit, ne manque d’humanité à l’égard des victimes (M. Jacques Mézard opine.), singulièrement les mineurs, agressées par ceux qu’il faut appeler des criminels. Il n’y a pas de doute sur ce point.
Lorsque nous avons eu à travailler, décider et légiférer sur un sujet aussi important que celui de savoir si nous prolongions le délai de prescription pour ce type d’infraction, je me suis posé deux questions.
En premier lieu, du point de vue judiciaire, cela fera-t-il avancer la qualité du procès ? La vérité judiciaire et la poursuite criminelle en seront-elles meilleures ?
En second lieu, le procès constitue-t-il, en la circonstance, un moyen de thérapie pour les victimes ? (Mme Chantal Jouanno s’exclame.) C’est une question légitime, ainsi que l’a relevé François Pillet.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois a auditionné de nombreux magistrats, qui nous ont très clairement indiqué que, dans ce type de dossiers, plus les procédures étaient engagées tardivement, moins le procès prospérait, faute de preuves.
M. Jacques Mézard. C’est évident !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Bien sûr, nous le regrettons, mais, dans la grande majorité des cas, les infractions commises ne permettent pas, vingt ans, trente ans ou quarante ans plus tard, d’établir la preuve et aboutissent toutes à des non-lieux, des acquittements, des relaxes, voire rien du tout si l’auteur est décédé.
Le procès a-t-il alors un rôle thérapeutique ?
Mme Chantal Jouanno. Personne n’a parlé de thérapie !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ma chère collègue, vous ne pouviez participer aux auditions que la commission a organisées dans le cadre de ce texte avec les associations qui ont évoqué ce sujet, je le regrette d’ailleurs. C’est la raison pour laquelle j’en livre le résultat à la Haute Assemblée. J’ai interrogé le chef de service de l’unité médico-judiciaire judiciaire de l'Hôtel-Dieu, sa réponse était formelle : le fait que la procédure et le procès soient engagés très longtemps après la commission des faits ne règle pas du tout le problème ; ce n’est de toute façon pas leur rôle, a-t-elle ajouté, ce qui est une remarque assez juste. Selon elle, le délai de vingt ans à compter de la majorité est largement suffisant.
Ce qui compte, c’est de se donner les moyens de sensibiliser les victimes le plus tôt possible (M. Jacques Mézard opine.) pour qu’elles puissent elles-mêmes être en mesure d’engager les procédures le plus tôt possible. À partir de là, le délai de vingt ans courant à partir de la majorité, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de trente-huit ans, suffit, si l’on est bien organisé, pour que les procédures puissent être engagées.
Face à ces deux éléments, qui m’ont paru importants, j’ai considéré qu’il fallait maintenir le délai de vingt ans.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 17 rectifié.
(Le sous-amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 3 rectifié quater n'a plus d'objet.
L'amendement n° 11 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 13
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Par dérogation au premier alinéa des articles 7 et 8 du présent code, le délai de prescription de l'action publique de l'infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l'infraction a été commise.
II. – Après l’alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Est dissimulée l'infraction dont l'auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir la règle du report du point de départ de la prescription en cas d’infraction dissimulée, qui figurait dans la version initiale de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Il s’agit de l’un des points d’équilibre essentiels du texte.
Il ne me paraît pas souhaitable de ne retenir que l’hypothèse trop restrictive des infractions occultes par nature. Une telle restriction constituerait un retour en arrière, en particulier dans le domaine des infractions financières, par rapport aux avancées de la jurisprudence.
Sur ce point, la commission des lois du Sénat a amendé le texte afin d’améliorer sa rédaction, mais également de renforcer sa sécurité juridique.
Tel est le sens de l’introduction d’un délai butoir de prescription, afin que les règles de report du point de départ de la prescription ne conduisent pas à une imprescriptibilité de fait. Cette préoccupation est partagée par le Gouvernement.
C’est la raison pour laquelle l’amendement que je vous propose en conserve le principe tout en procédant à une réécriture, en augmentant la durée de dix à douze ans correspondant au double de la nouvelle prescription de droit commun de six ans, soit deux fois six ans.
En effet, si on retenait des délais plus courts, comme cela existait, on empêcherait des poursuites d’affaires financières d’une importance particulière, comme il en existe actuellement. Je n’imagine pas que le Sénat puisse ne pas souhaiter instaurer cette imprescriptibilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement a deux objets.
Il vise, d’une part, à réinstaurer dans le texte les infractions dites « dissimulées », que la commission avait supprimées. À l’expertise et à la suite d’échanges avec M. le garde des sceaux, il apparaît qu’il existait des risques potentiels sur les infractions à caractère financier. Il n’était pas question de permettre une quelconque échappatoire en la matière.
Il vise, d’autre part, non pas à modifier le principe du délai butoir, mais à porter le délai de dix à douze ans.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 16, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Remplacer le mot :
judiciaires
par le mot :
judiciaire
La parole est à M. le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 133-2 est ainsi modifié :
a) Au début, les mots : « Sous réserve des dispositions de l’article 213-5 » sont supprimés ;
b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Par dérogation au premier alinéa, les peines prononcées pour les crimes mentionnés aux articles 214-1 à 214-4 et 221-12 et au livre IV bis du présent code ainsi qu’aux articles 706-16, 706-26 et 706-167 du code de procédure pénale se prescrivent par trente années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive.
« Par dérogation au premier alinéa, les peines prononcées pour les crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 du présent code sont imprescriptibles. » ;
2° L’article 133-3 est ainsi modifié :
a) Le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « six » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les peines prononcées pour les délits mentionnés au livre IV bis du présent code, aux articles 706-16 et 706-26 du code de procédure pénale et, lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement, à l’article 706-167 du même code se prescrivent par vingt années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive. » ;
3° (Supprimé)
4° Après le même article 133–4, il est inséré un article 133-4-1 ainsi rédigé :
« Art. 133-4-1. – Le délai de prescription des peines est interrompu dans les conditions prévues à l’avant-dernier alinéa de l’article 707-1 du code de procédure pénale. »
Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié quater, présenté par M. Kaltenbach, Mmes Blondin, Meunier et Tasca, M. Botrel, Mme Campion, MM. Carvounas, Courteau et Duran, Mme E. Giraud, M. Lalande, Mme Lepage, M. Masseret, Mme Perol-Dumont, M. Roux, Mme Tocqueville, MM. Vaugrenard et Tourenne, Mme Herviaux, M. Reiner, Mme Espagnac, MM. Roger et Manable, Mme Guillemot, MM. F. Marc et D. Bailly et Mmes Génisson et Monier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° Au premier alinéa de l’article 434-3, après les mots : « de mauvais traitements ou », sont insérés les mots : « de crimes ou ».
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Cet article ne vise pas expressément les crimes contre les mineurs. Il ne cite que les agressions ou atteintes sexuelles, qui sont des délits.
Le droit pénal étant d’application et d’interprétation stricte, on ne peut considérer que les termes « agressions sexuelles » s’entendent comme des termes génériques visant également le viol, qui est un crime. Si le législateur réprime le fait de ne pas dénoncer un délit, il est évident qu’il souhaite également, et à plus forte raison, réprimer le fait de ne pas dénoncer un viol ou tout autre crime sur mineur.
Je propose donc, pour des raisons de cohérence, d’ajouter à l’article 434–3 du code pénal la notion de crime au délit de non-dénonciation, qui, pour l’instant, ne vise que les délits.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.
Les auteurs de cet amendement considèrent que les agressions sexuelles n’incluent pas le viol, alors même que ce crime est défini au sein d’une section nommée « Des agressions sexuelles » et qu’il constitue lui-même une agression sexuelle aggravée.
Pour vous en convaincre, permettez-moi de vous donner lecture de l’article 222–22 du code pénal : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.
« Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. »
L’amendement est donc largement satisfait par le droit positif.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Kaltenbach. Je retire cet amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié quater est retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
I. – (Non modifié) Le code pénal est ainsi modifié :
1° Les articles 213-5, 215-4, 221-18 et 462-10 sont abrogés ;
2° Le dernier alinéa de l’article 434-25 est supprimé.
II. – (Non modifié) Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° A La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 85 est supprimée ;
1° Les articles 706-25-1 et 706-175 sont abrogés ;
2° Les deux premiers alinéas de l’article 706-31 sont supprimés.
III. – (Non modifié) Le titre Ier du livre II du code de justice militaire est ainsi modifié :
1° À l’article L. 211-12, la référence : « 9 » est remplacée par la référence : « 9-3 » ;
2° L’article L. 212-37 est ainsi rédigé :
« Art. L. 212-37. – L’action publique des crimes se prescrit selon les règles prévues aux articles 7 et 9-1 A à 9-3 du code de procédure pénale. » ;
3° Les articles L. 212-38 et L. 212-39 sont ainsi rédigés :
« Art. L. 212-38. – L’action publique des délits se prescrit selon les règles prévues aux articles 8 et 9-1 A à 9-3 du code de procédure pénale.
« Art. L. 212-39. – L’action publique des contraventions se prescrit selon les règles prévues aux articles 9 à 9-3 du code de procédure pénale. »
IV (nouveau). – L’article 351 du code des douanes est ainsi rédigé :
« Art. 351. – L’action de l’administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes délais et dans les mêmes conditions que l’action publique en matière de délits de droit commun.
« En matière de contravention, l’action publique se prescrit par trois années révolues selon les mêmes modalités. »
Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 17
Remplacer le mot :
publique
par les mots :
de l'administration des douanes
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié quater, présenté par MM. Pillet, Bouchet, Carle, César, Chaize, Chasseing, Cornu, Danesi et Delattre, Mmes Deroche, Des Esgaulx et Di Folco, M. Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grand, Houel et Huré, Mmes Imbert et Lamure, MM. Laufoaulu, Lefèvre, Leleux et P. Leroy, Mme Lopez, MM. Magras, A. Marc et Mayet, Mmes M. Mercier et Micouleau, MM. Pinton, Reichardt et de Raincourt, Mme Troendlé, MM. Vasselle, Vaspart et Capo-Canellas, Mmes Gatel et Joissains, M. Roche et Mmes Tetuanui, Deseyne et Doineau, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le premier alinéa de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque les infractions auront été commises par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne, sauf en cas de reproduction du contenu d'une publication diffusée sur support papier, l'action publique et l'action civile se prescriront par une année révolue, selon les mêmes modalités. »
La parole est à M. François Pillet.
M. François Pillet. Si nous proposons de porter de trois mois à un an le délai de prescription du délit de diffamation, c’est en raison de la spécificité d’internet : dix ans après, l’infraction peut subsister.
En outre, cette disposition est cohérente avec celle qui a été adoptée hier dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, le Gouvernement ayant porté le délai de prescription en cas de contravention de diffamation ou d’injure non publique à un an. Il nous semble cohérent que le même délai s’applique à une contravention et à un délit.
Enfin, j’invite ceux qui tirent argument de la décision du Conseil constitutionnel de 2004 à la relire. Elle n’interdit absolument pas cette spécificité, qui, au contraire, me semble-t-il, rend notre droit homogène.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement, d’autant qu’il a déjà été voté par notre assemblée hier soir.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement ayant déjà été adopté hier, le Gouvernement pense qu’il serait bien plus logique que l’honorable parlementaire le retire. Il paraîtrait paradoxal que le Sénat vote deux fois le même texte.
Mme la présidente. Monsieur Pillet, l'amendement n° 8 rectifié quater est-il maintenu ?
M. François Pillet. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Nous savons, mes chers collègues, que notre désaccord porte non pas sur le fond, mais sur le moment où la loi de 1881 doit être modifiée afin de prendre en compte l’évolution des techniques de communication et d’internet. Nous en avons longuement débattu hier soir, jusqu’à une heure du matin. Cet amendement a déjà été adopté dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Un accord est possible sur le présent texte avec l'Assemblée nationale. Or, si cet amendement est maintenu, et sans doute adopté, compte tenu de la composition de notre assemblée, je crains que cela n’empêche un vote conforme. Nous ne pourrons donc pas aboutir alors que nous le souhaitons très majoritairement. Il nous faudra alors revenir sur ce texte en deuxième lecture, nul ne sait quand. Le délibéré sera long. La justice est lente, mais le Parlement aussi…
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Mon cher collègue, le support législatif que constitue ce texte est meilleur que celui d’hier soir. Par ailleurs, nous sommes parvenus à un accord avec nos collègues de l'Assemblée nationale et M. le garde des sceaux.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
(Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 12, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n’était pas acquise.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Tout en consacrant la jurisprudence sur le point de départ différé de la prescription pour les infractions occultes ou dissimulées, la proposition de loi prévoit un délai butoir maximum de douze ans pour les délits et de trente ans pour les crimes, qui ne résulte actuellement pas de la jurisprudence.
Il convient dès lors de préciser dans une disposition transitoire expresse que ces dispositions ne pourront pas conduire à la prescription d’infractions pour lesquelles l’action publique a déjà été valablement mise en mouvement, dans des hypothèses où, pour des infractions occultes ou dissimulées, les poursuites auraient été engagées plus de douze ou trente ans après les faits.
Cette précision paraît nécessaire ou opportune.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 4 est rétabli dans cette rédaction.
Article 5 (nouveau)
I. – À l’article 711–1 du code pénal et au premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, les mots : « de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste » sont remplacés par les mots : « de la loi n° … du … portant réforme de la prescription en matière pénale ».
II. – Après le mot : « applicable », la fin de l’article 69 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigée : « , dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … portant réforme de la prescription en matière pénale, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. »
III. – Le III et le IV de l’article 3 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Mme la présidente. L'amendement n° 18 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par deux paragraphes ainsi rédigés :
I. – Après les mots : « résultant de », la fin du premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigée : « la loi n° … du … portant réforme de la prescription en matière pénale, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
I. bis – Après les mots : « résultant de », la fin de l’article 711-1 du code pénal est ainsi rédigée : « la loi n° … du … portant réforme de la prescription en matière pénale, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »
II. – Alinéa 3
Remplacer cet alinéa par deux paragraphes ainsi rédigés :
III. – Le III de l’article 3 et l’article 4 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
IV. – Le IV de l’article 3 est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Saint-Barthélemy.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Antoine Lefèvre, pour explication de vote.
M. Antoine Lefèvre. Lors de la précédente discussion, avortée, de cette proposition de loi, j’avais évoqué dans la discussion générale la proposition de loi que j’avais moi-même déposée et qui allait dans le même sens que celle qui nous occupe aujourd'hui, et ce dès 2010.
Je ne peux donc que me réjouir de nos travaux de ce jour, enrichis des réflexions complémentaires de la commission et des documents d’évaluation versés par la Chancellerie.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale.
(La proposition de loi est adoptée.)
6
Usage des drones civils
Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils (proposition n° 851 [2015–2016], texte de la commission n° 5, rapport n° 4).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils.
Comme vous le savez, nous assistons en France et dans le monde à l’essor de l’usage, à la fois professionnel et de loisir, des drones civils. Rappelons rapidement quelques chiffres clés, qui illustrent le développement très dynamique de la filière, notamment dans les usages professionnels. À la fin de l’année 2012, elle ne comptait que 50 opérateurs. À la fin du mois d’août 2016, plus de 2 600 opérateurs de drones sont déclarés et exploitent plus de 4 200 drones ; ils représentent plus de 5 000 emplois.
L’usage des drones de loisir est également en plein essor, et les lancements récents de nouveaux modèles par les grands noms du secteur laissent entrevoir une nouvelle année de ventes record en 2016.
Depuis 2012, de nombreuses utilisations professionnelles des drones civils se sont développées dans différents domaines. Le drone peut ainsi se révéler un moyen à la fois efficace et économiquement compétitif au service de nos concitoyens, de leur sécurité et de l’environnement, tout comme de nombreuses autres activités.
Face à ces perspectives, il devenait autant nécessaire qu’urgent de prévoir les mesures permettant la régulation de l’usage des drones civils.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi, après les deux premiers arrêtés relatifs à l’usage des drones pris dès 2012, de soutenir cette proposition de loi déposée le 25 mars 2016 par vos collègues MM. Xavier Pintat, Jacques Gautier et Alain Fouché, et sur laquelle vous avez effectué, monsieur le rapporteur, un travail important et constructif que je veux saluer ici.
À l’issue des travaux de votre assemblée, nous avons souhaité inscrire un examen dès le mois de septembre à l’Assemblée nationale afin de ne pas perdre de temps, ce texte étant attendu.
Je l’ai souvent dit, le développement rapide de la filière française est le fruit d’une longue tradition aéronautique, d’un tissu de PME particulièrement dynamique, et d’utilisateurs visionnaires qui ont bénéficié d’une réglementation équilibrée et innovante. Cette filière est aujourd'hui à la croisée des chemins : entre aéronautique et numérique, entre innovation technologique et innovation par les usages, entre PME et grands groupes… Et elle nous demande de nous adapter en permanence à ces nouvelles technologies et pratiques, dont la plupart nous sont d’ailleurs à l’heure actuelle probablement toujours inconnues.
Si ces développements prometteurs nous ont conduit à définir un cadre d’usages dès 2012, l’avenir de cette filière nécessitait néanmoins de prendre en compte les nouveaux enjeux liés à la sécurité et à la sûreté qu’elle suscite. Les préoccupations de sûreté sont notamment consécutives aux signalements de survols illicites de zones sensibles.
Je profite de cette tribune pour apporter les compléments demandés par M. le sénateur Alain Fouché lors de l’examen de ce texte en mai dernier sur le cas particulier de la protection du secteur nucléaire : l’analyse des capacités actuelles des drones civils menée en 2014 ne faisait pas apparaître de menace qui ne serait pas prise en compte par la directive nationale de sécurité actuellement en vigueur. Les progrès technologiques étant très rapides, il est nécessaire d’anticiper sur les menaces futures que pourraient présenter les drones. Des réflexions ont donc été conduites, sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Elles ont porté sur plusieurs axes : les moyens techniques de détection, d’identification et de neutralisation ; l’articulation avec les missions de protection de l’espace aérien, mises en œuvre par l’armée de l’air ; la chaîne opérationnelle de commandement, allant de la détection à la neutralisation en passant par la levée de doute.
Les services de l’État travaillent ainsi actuellement à la préservation d’une chaîne opérationnelle robuste allant de la détection à la neutralisation, qui soit également adaptée aux drones. Parallèlement, nous sommes également en contact très étroit avec nos voisins européens les plus impliqués sur le sujet afin de partager ensemble les pistes prometteuses en matière de lutte contre les drones malveillants. Enfin, l’État doit également se doter des moyens de détecter et de faire cesser des survols indésirables. Des essais ont déjà eu lieu, et des travaux de recherche financés par le Gouvernement sont actuellement en cours. Ces travaux portent leurs fruits puisque des solutions techniquement viables ont pu être mises en évidence.
Le texte qui vous est proposé complétera très utilement le corpus existant ; ces règles doivent répondre à l’objectif délicat de concilier la sécurité, la sûreté, la protection de la vie privée et le soutien au développement d’une filière émergente, source de réelles opportunités de croissance économique et de création d’emplois, sans remettre en cause les pratiques historiques des aéromodélistes en club.
Je reprendrai brièvement les grandes idées déjà développées en première lecture au Sénat et à l’Assemblée nationale.
Cette proposition de loi pose les principes d’un nouvel encadrement de l’activité drone. Leur immatriculation et leur enregistrement permettront d’assurer une meilleure traçabilité des appareils, tandis que des dispositifs de signalement permettront d’améliorer la sécurité des tiers dans les espaces aériens.
La définition de la fonction de télépilote consolidera par ailleurs la création d’un statut des télépilotes, en cohérence avec les travaux en cours au sein de la filière.
Pour les obligations de formation, ce texte inclut de nouvelles dispositions relatives à l’obligation de formation pour la pratique des activités de loisir et ouvre également la voie à l’élaboration d’un titre de télépilote, notamment pour les activités les plus complexes.
En outre, le texte prévoit pour certains drones une obligation d’emport d’un dispositif de limitation des performances, que les députés ont souhaité renommer « limitation de capacités ». Ce dispositif vise notamment à assurer la sécurité des vols habités. Il est cohérent avec les réflexions en cours à l’échelon européen, notamment au sein de l’Agence européenne de la sécurité aérienne. Le texte qui vous est présenté permettra la prise en compte des progrès de la technologie lorsqu’ils seront devenus opérationnels.
Enfin, cette proposition de loi sécurise le régime juridique de sanctions pour les contrevenants. Ce point est indispensable. En effet, la réponse pénale est absolument essentielle à la cohérence du dispositif juridique. Elle est complémentaire des actions d’information et de pédagogie. Il importe en effet de promouvoir les règles d’usage des drones en toute sécurité et d’en informer le grand public : les notices, que ce texte rendra obligatoires, y contribuent, en complément des actions actuelles menées par l’État. L’Assemblée nationale a précisé que cette obligation s’appliquerait également à la vente des drones d’occasion.
Le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile souligne d’ailleurs, dans son récent rapport sur les incidents survenus à l’aéroport Paris–Charles-de-Gaulle les 19 février et 2 juillet derniers, que l’ensemble des différentes mesures prévues par cette proposition de loi participera à réduire le risque de collision entre un drone et un aéronef piloté.
Les travaux menés par les députés ont également permis de clarifier deux points tout à fait essentiels. Premièrement, une période transitoire a été prévue pour l’applicabilité de l’obligation d’emport des dispositifs de signalement électronique ou numérique, de signalement lumineux et de limitation de capacités. Cela permettra notamment de ne pas pénaliser les utilisateurs professionnels de drones qui auraient acheté leur outil avant que ces dispositifs soient disponibles, en prévoyant un délai de mise en conformité.
Le second point est relatif à l’applicabilité du texte dans les territoires et collectivités d’outre-mer.
Cette proposition de loi repose sur un équilibre entre les principes, qui relèvent de la loi, et leur mise en œuvre technique, qui procédera de l’adoption de dispositions réglementaires.
S’agissant des seuils de masse, en dessous des plafonds prévus maintenant par la loi, ils seront choisis de sorte que la contrainte qui pèsera sur les industriels et les utilisateurs soit correctement proportionnée aux objectifs de sûreté et de sécurité.
Le Gouvernement avait soutenu ici même une démarche renvoyant la détermination de tous les seuils aux décrets. Nous estimions en effet que cela permettait une adaptation rapide aux évolutions de ces aéronefs sans pilote. Les députés ont souhaité introduire un seuil plafond de 800 grammes. Le Gouvernement accepte cette démarche qui, par le choix d’un seuil plafond, maintient la possibilité d’adaptation rapide et souple.
Les députés ont également souhaité préciser, sur proposition de Mme la rapporteur, Marie Le Vern, qu’en matière de signalement les drones devront être équipés d’un dispositif de « signalement électronique ou numérique ». Cette précision permettra, par voie réglementaire, de définir, à un instant donné, la solution technique la mieux adaptée en fonction des technologies disponibles et de l’objectif poursuivi.
L’Assemblée nationale a, enfin, apporté des améliorations prévoyant dans le texte même un mécanisme qui permettra la reconnaissance par équivalence de certaines formations et transformant une faculté d’exemption de l’obligation d’équipement de différents dispositifs pour les vols opérés dans un cadre agréé et dans des zones identifiées, en dérogation de droit.
Ces mesures bénéficieront notamment à la pratique de l’aéromodélisme, dans le cadre d’un club membre d’une fédération agréée, et sur des sites de vols d’aéromodélisme ayant fait l’objet d’une localisation d’activité portée à la connaissance des usagers aériens par la voie de l’information aéronautique.
La possibilité de préciser les conditions d’exemption laissée au pouvoir réglementaire permettra également de prendre en compte au mieux les spécificités de cette pratique.
En conclusion, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, apporte une réponse législative aux préoccupations de sécurité publique émergentes liées au développement des activités drone.
Je tiens de nouveau à remercier M. le sénateur Cyril Pellevat, rapporteur du texte, d’avoir permis, depuis plusieurs mois, en concertation avec les professionnels, les fédérations et les administrations concernés, d’atteindre la qualité qui est aujourd’hui celle du texte qui vous est proposé. Je remercie également votre commission d’avoir entendu l’importance que revêt l’adoption rapide de ce texte et, pour cela, de s’être fixé l’objectif d’un vote conforme, que j’appelle de mes vœux.
Cette proposition de loi permettra à la France de continuer à montrer la voie dans un secteur d’activité où elle compte de nombreuses réussites économiques. Son objectif majeur est clair : conjuguer les exigences de la sécurité et l’essor économique de la filière drone. (MM. Jean-Jacques Filleul, Claude Bérit-Débat, Jacques Gautier et Xavier Pintat applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Cyril Pellevat, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils, déposée le 25 mars 2016 par nos excellents collègues Xavier Pintat et Jacques Gautier. Je vous rappelle qu’elle tire les conséquences d’un rapport réalisé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, à la demande du Parlement, publié le 20 octobre 2015, sur les risques et menaces liés à l’essor des drones aériens civils en France.
Ce texte avait été examiné en première lecture par le Sénat dans des délais rapides : le 11 mai en commission et le 17 mai en séance publique. Il avait globalement fait l’objet d’un travail de réécriture, dans l’esprit des auteurs et en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse.
L’Assemblée nationale a ensuite examiné cette proposition de loi le 20 septembre dernier en commission et le 27 septembre en séance publique. Les députés ont apporté quelques compléments sans remettre en cause la philosophie générale du dispositif.
Nous pouvons de nouveau nous féliciter de la réactivité de notre assemblée, car nous avons examiné ce texte en commission le 5 octobre, soit huit jours après les députés, et nous sommes aujourd’hui réunis pour son examen en séance publique, à peine plus de deux semaines après les députés.
Il s’agit en effet d’un sujet sur lequel nous devons légiférer rapidement. L’engouement de nos concitoyens pour les drones ne tarit pas, comme en témoigne le succès du Paris Drone Festival, qui s’est déroulé le 4 septembre dernier sur les Champs-Élysées. Je me plais à imaginer que cet événement pourra devenir un rendez-vous majeur de la communauté droniste mondiale ; il contribuera au rayonnement de Paris, en tant que capitale du drone, et de la France, un pays qui invente l’avenir.
Toujours est-il que le besoin d’une réglementation et d’une information claires est exprimé par le grand public, qui peine à s’y retrouver dans les textes actuels.
En même temps, la concurrence entre les fabricants ne cesse de s’intensifier. Parrot, notre champion national, a publié, le 23 septembre dernier, un avertissement sur ses revenus 2016. Le marché est en pleine mutation : certains acteurs comme DJI avec le Mavic Pro ou GoPro avec le Karma commencent à s’implanter sur le même segment que Parrot, à savoir les drones de moyenne gamme. Ces industriels ont besoin de connaître rapidement les nouvelles normes qui vont s’imposer, afin d’anticiper d’ores et déjà les évolutions de leurs prochains modèles.
Enfin, la menace sécuritaire ne diminue pas, dans un contexte où le risque terroriste reste malheureusement élevé. La probabilité d’un accident grave croît également à mesure que l’usage des drones civils se répand. Or le moindre incident, outre ses conséquences potentiellement dramatiques, risque de porter un coup d’arrêt au développement de la filière.
Dans ce contexte, je me félicite du fait que nos collègues députés aient conservé les principaux marqueurs de cette proposition de loi sénatoriale, qui repose sur quatre piliers : l’information, la formation, l’enregistrement-immatriculation et le signalement. L’Assemblée nationale a d’ailleurs apporté des précisions utiles, en prenant en compte les contraintes particulières de l’aéromodélisme, une pratique ancienne qui diffère du « dronisme » grand public à plusieurs niveaux, et en prévoyant les mesures transitoires nécessaires pour le parc de drones déjà existant, nos collègues députés étant conscients qu’un retour en usine généralisé serait parfaitement irréalisable.
En commission, j’ai en revanche exprimé deux principales réserves.
Ma première réserve porte sur le niveau arbitrairement retenu pour plafonner à 800 grammes les seuils réglementaires liés au poids des drones. Lors de la première lecture, j’avais délibérément souhaité que ces seuils d’application ne soient pas définis dans la loi, car il s’agit d’une compétence manifestement réglementaire. Pour la rapporteur de l’Assemblée nationale, Marie Le Vern, ce plafonnement permet de pallier d’éventuelles carences du pouvoir réglementaire et contribue à la sécurité juridique. Ce n’est pas faux, mais rien ne garantit qu’il sera conforme à la future réglementation européenne.
Certes, cette réglementation ne devrait probablement pas voir le jour avant 2018. Le Parlement européen examinera en première lecture un projet de règlement vers la fin de l’année. Il sera ensuite complété par des règles de l’Agence européenne de la sécurité aérienne, qui fixeront des seuils en fonction de plusieurs paramètres : poids, altitude, utilisation, vitesse. Si ces règles sont contradictoires avec les nôtres, elles pourraient entraîner un réexamen de notre législation, qu’un renvoi au décret aurait permis d’éviter.
Au-delà de ces considérations juridiques, les débats à l’Assemblée nationale ont montré toute la difficulté de retenir un niveau arbitraire sans réel fondement scientifique. De fait, la rapporteur Marie Le Vern présente ce plafonnement comme celui qui permet de cibler a minima les 10 % d’appareils les plus dangereux : d’après elle, un plafonnement à 1 kilogramme ne permettrait de cibler que 6 % des appareils, et priverait la loi de toute portée utile. Elle suggère également que ce plafonnement correspond à une rupture de gamme, et donc de prix, entre les drones très grand public et les autres. Je n’approuve pas ce raisonnement, dans la mesure où le Parrot Disco – 750 grammes pour un prix de 1 299 euros – est sensiblement au même prix que le DJI Phantom 4 – 1 380 grammes pour 1 399 euros –, par exemple.
Surtout, bien que j’aie à cœur de soutenir l’industrie française, en particulier lorsqu’elle est en pointe dans des secteurs innovants, je m’inquiète du fait que ce plafonnement arbitraire à 800 grammes puisse être trop facilement qualifié de protectionniste.
En effet, les modèles phares de Parrot, notre champion national, sont systématiquement en dessous du seuil : le quadricoptère Bebop 2 pèse 500 grammes et la nouvelle aile Disco, 750 grammes. A contrario, les produits grand public du chinois DJI sont systématiquement au-dessus : le Phantom 3 pèse 1 280 grammes et le Phantom 4 pèse 1 380 grammes. Certes, DJI vient de sortir un nouveau modèle Mavic qui pèse 743 grammes, mais il n’est pas certain que cela suffise à convaincre de la neutralité du choix de 800 grammes.
Enfin, un plafonnement uniforme à 800 grammes laisse entendre que le seuil réglementaire pourrait être le même pour les différentes obligations d’enregistrement – article 1er –, de formation – article 2 – et de signalement-limitation de capacités – article 4. Cela est contraire à l’esprit initial de la proposition de loi, qui vise à mettre en place une série d’obligations croissantes en fonction de la dangerosité potentielle du drone utilisé, en général corrélée à son poids. Il ne serait pas aberrant que l’obligation d’enregistrement s’impose à tous les drones capables de voler en extérieur, soit au-dessus de 250 grammes, et que le signalement électronique ne concerne que les plus lourds, au-dessus de 800 grammes par exemple. Est-ce bien ce que vous envisagez dans les décrets d’application, monsieur le secrétaire d’État ?
Ma seconde réserve porte sur l’utilité réelle du dispositif de signalement sonore en cas de perte de contrôle, qui risque au contraire d’accroître les risques par d’éventuels déclenchements intempestifs susceptibles de perturber le télépilote. Comment distinguer une perte de contrôle d’une figure de voltige par exemple ?
De plus, les drones réellement silencieux sont rares, on entend en général le bourdonnement des rotors ou le sifflement du déplacement dans l’air, ce qui, dans les faits, suffit généralement à attirer l’attention des personnes à proximité. Surtout, il faudrait prévoir un type de système sonore qui serait encore capable de fonctionner si tous les systèmes électriques sont en panne sur le drone en train de tomber.
Néanmoins, il apparaît que sa mise en œuvre ne constitue pas une contrainte insurmontable pour les industriels du secteur, d’autant plus qu’il n’y aura pas d’obligation rétroactive d’équipement pour les drones déjà enregistrés au 1er juillet 2018.
Au final, ma conviction, à laquelle adhère la commission tout entière, est que l’intérêt d’une entrée en vigueur rapide du texte l’emporte sur ces quelques réserves et justifie des concessions.
Nous sommes au terme d’une année d’échanges depuis la publication du rapport du SGDSN, et je considère désormais que cette proposition de loi est suffisamment aboutie pour être adoptée sans délai supplémentaire. (M. Xavier Pintat opine.) Le marché du drone civil connaît une expansion fulgurante et chaque mois écoulé rend sa régulation d’autant plus difficile que nécessaire. Le législateur se doit d’être réactif : il est à l’honneur du Sénat d’être en mesure de proposer, d’examiner et de faire aboutir, en un temps record et sans procédure accélérée, un texte sur un domaine innovant, dans lequel la France excelle.
Par conséquent, nous avons estimé que cette proposition de loi apporte une réponse attendue aux préoccupations exprimées par l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des fabricants, des utilisateurs, des tiers, ou de l’administration. Elle prévoit une réglementation équilibrée, permettant de conjuguer les exigences de sécurité et l’essor du marché.
Pour cette raison, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable est, à l’unanimité, favorable à son adoption conforme par le Sénat, en dépit des quelques réserves soulevées. Il ne reste qu’à espérer que notre travail puisse désormais inspirer les réflexions en cours au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Leila Aïchi et M. Jean-François Longeot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les auteurs de la proposition de loi, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, selon toute vraisemblance, nous en arrivons au terme des discussions sur ce texte.
En effet, comme l’a très bien expliqué notre rapporteur, mon collègue haut-savoyard Cyril Pellevat – et je salue la qualité du travail qu’il a effectué sur ce texte –, l’Assemblée nationale a repris l’essentiel de nos travaux de première lecture.
Elle a tout de même apporté au texte un certain nombre de modifications. Les deux principales sont, d’une part, l’inscription dans la loi du seuil défini pour les obligations d’enregistrement, de formation et de signalement-limitation de capacités et sa fixation au poids de 800 grammes et, d’autre part, la mise en place d’un dispositif de signalement sonore permettant d’alerter les personnes qui se trouvent sur la trajectoire d’un drone en cas de perte de contrôle du télépilote.
Ces innovations ne vont pas sans poser quelques difficultés de mise en œuvre, difficultés qui ont été très bien exposées par notre rapporteur à l’instant. Mais, avec lui, nous concluons que ces difficultés ne méritent pas de prolonger inutilement nos débats. Nous souscrivons à la proposition faite par notre commission d’adopter conforme le présent texte, d’autant qu’il y a en réalité urgence à légiférer.
On le sait, le développement considérable du secteur des drones s’est déjà accompagné de nombreux incidents. Comme je l’avais également signalé en première lecture, en 2014 et 2015, une vingtaine de sites sensibles français, abritant des activités nucléaires ou militaires, ont été survolés illégalement par des drones.
Notons aussi que l’utilisation croissante de drones militaires, commerciaux et de loisirs pourrait également entraîner des collisions entre ces appareils sans pilote et des avions de ligne, avec des conséquences catastrophiques. Je rappelle qu’un avion de la compagnie British Airways a d’ailleurs été concerné à l’aéroport international de Genève, voilà quelques jours.
De plus, en cette période où la menace terroriste est à son paroxysme, ces vols représentent un risque réel et croissant. L’État se doit d’agir rapidement. La technique de miniaturisation, notamment des charges explosives, et des drones pouvant porter ces charges est de nature à nous inquiéter. Il est important qu’au cours des débats parlementaires, dans le contexte actuel, nous puissions évoquer cette question.
La population découvre l’important potentiel des applications, autrefois réservées à l’armée, des aéronefs sans passager à bord, qui sont très performants, extrêmement légers et vendus à des prix abordables. J’ai pu moi-même en faire l’expérience récemment, ayant offert à mon père un drone de ce type.
Les drones de loisirs et civils étant à la fois relativement nouveaux et leurs usages en plein développement, la réglementation dans ce domaine comporte certaines zones d’ombre. C’est la raison pour laquelle le Parlement doit s’adapter en encadrant davantage cette filière et en réprimant l’usage malveillant et illicite des drones pour mieux contrôler leurs utilisateurs.
Il faut légiférer intelligemment. La France doit mieux réglementer l’usage de ces aéronefs circulant sans personne à bord, non seulement pour ne pas mettre en danger l’aviation civile, mais également pour profiter de l’accès du grand public à cette technologie en vue d’inciter des entrepreneurs et des investisseurs à s’implanter durablement en France.
Il existe déjà 1 200 sociétés, essentiellement des PME et des TPE, qui travaillent dans la fabrication de ce type d’aéronefs, dont l’entreprise française Parrot, qui est l’un des leaders mondiaux dans ce domaine.
À l’horizon 2020, le marché potentiel pourrait atteindre 180 millions d’euros par an pour notre pays.
En dehors de l’usage militaire et civil, les drones sont essentiellement portés par la filière de l’audiovisuel et de la photographie, premier secteur d’activité ayant entraîné la création d’environ 50 % de petites sociétés d’experts ou d’auto-entrepreneurs.
À l’avenir, des perspectives de croissance importantes se dessinent dans les domaines de la surveillance, de la sécurité et de l’agriculture.
Élu, comme notre rapporteur, d’un département de montagne, la Haute-Savoie, j’estime que l’État devrait davantage utiliser les drones dans les milieux naturels difficiles d’accès. Cette technologie est l’occasion pour l’homme de limiter les prises de risques et l’empreinte environnementale.
Les drones pourraient ainsi être employés à titre préventif, en déclenchant, par exemple, des avalanches et en détectant les départs d’incendies ou la présence de pollutions. Les pompiers auraient, eux aussi, la possibilité de s’en servir pour évaluer des sinistres, pour la recherche et le sauvetage de personnes en difficulté en montagne et pour procéder à des largages de vivres, de médicaments et d’équipements dans le cadre de secours d’urgence.
Devant cet avenir économiquement prometteur pour la France, les acteurs de la filière ont toutefois conscience qu’un grave accident risquerait de lui porter un coup d’arrêt fatal et d’obérer son développement. Les professionnels du secteur paraissent, aujourd’hui, majoritairement favorables à la mise en place d’une réglementation équilibrée afin d’accompagner l’essor du marché.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, les membres du groupe de l’UDI-UC que je représente voteront, une fois de plus, cette proposition de loi qui vise à la fois à prévenir les risques et à identifier rapidement les drones coopératifs non menaçants, pour que la filière puisse poursuivre son développement sereinement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en deuxième lecture, la proposition de loi de nos collègues Jacques Gautier et Xavier Pintat visant à encadrer l’usage des drones civils professionnels et de loisirs.
Nous souscrivons à l’approche qui a été celle des auteurs, à savoir le besoin d’accompagner l’évolution technologique rapide et constante dans le domaine des drones en privilégiant une approche préventive et la nécessité d’informer les usagers.
Il s’agit là d’une réponse équilibrée et aujourd’hui nécessaire à la suite des différents incidents rapportés, tels que le survol répété de sites sensibles ou encore les collisions évitées de justesse aux abords des aéroports.
En effet, la multiplication des possibilités technologiques pose nécessairement la question d’une démocratisation sereine de ces nouveaux potentiels. L’enjeu est d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’un domaine comme celui des drones, qui connaît une expansion fulgurante avec près de 4 200 drones professionnels aujourd’hui comptabilisés en France et environ 200 000 drones de loisirs.
Face à ce phénomène, des questions juridiques, technologiques, sécuritaires, mais surtout éthiques se posent. Il est aujourd’hui impératif de parvenir à limiter les accidents, mais surtout l’utilisation de drones à des fins délictuelles ou encore la captation indue d’information. Dans la mesure où l’usage des drones civils est appelé à croître dans les prochaines années, le respect de la vie privée doit être un impératif inébranlable.
Ainsi, au-delà de l’aspect répressif visant l’usage illicite et malveillant des drones, nous estimons que les outils préventifs proposés au travers de ce texte sont une première réponse appropriée : l’enregistrement en ligne ou l’immatriculation, l’obligation de formation et d’information des usagers, le signalement lumineux et sonore, ou encore la mise en place d’un dispositif de limitation de capacités.
L’unanimité qu’a suscitée ce texte en commission prouve que nous nous accordons tous sur l’utilité de tels dispositifs.
L’Assemblée nationale a confirmé l’équilibre de ce texte en y apportant quelques modifications : renforcement du dispositif de signalement, prise en compte des aéromodélistes, adaptation au parc des drones existants, mais surtout introduction des seuils réglementaires dans la loi. C’est sur ce dernier point que je souhaiterais revenir.
En effet, la fixation des seuils à partir desquels les différents dispositifs ont vocation à s’appliquer était, dans la version adoptée par le Sénat en première lecture, renvoyée à des décrets. J’avais d’ailleurs sur ce point appelé à la vigilance afin que le Parlement prenne toute sa part dans l’évolution de la législation en ce domaine.
Il s’avère que l’examen à l’Assemblée nationale a permis d’encadrer dans la loi ces différents seuils de masse, à savoir un premier seuil variable, mais qui ne peut pas excéder 800 grammes, et un second seuil à 25 kilogrammes.
J’ai toutefois bien noté vos réserves, monsieur le rapporteur, sur le choix « arbitraire », selon vous, d’un premier seuil à 800 grammes, qui pourrait constituer un frein.
Cependant, il ne s’agit là que d’un plafond, comme vous l’avez vous-même rappelé, et qui pourra justement être modifié par décret pour tenir compte notamment des évolutions technologiques dans ce domaine, évolutions qui se caractérisent par une miniaturisation croissante des drones.
Ainsi, les modifications apportées par l’Assemblée nationale sur ce point nous apparaissent souhaitables dans la mesure où elles contribuent à la fois à la sécurité juridique en fixant une référence directement dans la loi tout en permettant, dans le même temps, une évolution dans le futur par voie réglementaire.
La nécessité de souplesse de la réglementation ne doit pas être synonyme de contournement du Parlement : la rapidité de la navette parlementaire sur ce texte en est la preuve.
Le groupe écologiste est, en effet, conscient de l’importance de légiférer rapidement afin de répondre aux préoccupations des fabricants, des utilisateurs et des tiers. Et si, bien évidemment, nous nous réjouissons que la France soit pionnière dans ce domaine depuis 2012, nous considérons qu’il est toutefois nécessaire d’impulser un réel élan européen sur ce sujet. Nous ne pouvons pas nous borner au seul niveau national. En effet, il est important d’encourager une harmonisation de la réglementation à l’échelon européen, encore trop peu développée.
Plus encore, si le rapport du Gouvernement publié en octobre 2015 sur l’essor des drones aériens civils et les moyens d’y faire face appelle à une adaptation du corpus juridique, il préconise également un accroissement des travaux de recherche et de développement, y compris dans le cadre de coopérations internationales. Ce texte ne constitue donc qu’une partie de la réponse et il importe de renforcer les moyens capacitaires afin d’offrir une réponse globale et multidimensionnelle.
Le groupe écologiste soutient donc les améliorations apportées au texte initial et reconnaît l’utilité de cette proposition de loi dans sa dimension préventive, d’information et d’accompagnement. C’est pourquoi, comme en première lecture, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le rapporteur, je tiens tout d’abord à saluer votre excellent état d’esprit sur ce texte et le travail que vous avez réalisé.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. L’essor rapide de ce marché soulève de nombreux problèmes de sécurité, notamment parce que les drones sont utilisés dans l’espace aérien.
Le rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale remis au Parlement en octobre 2015 a clairement fait apparaître l’inadaptation et le caractère lacunaire du droit applicable en matière d’usage des drones civils. Il souligne également l’insuffisante information des utilisateurs et suggère, en conséquence, d’adapter et de compléter le corpus juridique existant : instaurer de nouvelles obligations dans les domaines de l’information, de la formation, de l’immatriculation et de l’identification.
Face aux évolutions technologiques et à la démocratisation de la pratique des drones, il est urgent de fixer un cadre législatif adapté à l’essor des drones aériens civils, sans pour autant entraver ce secteur à fort potentiel de développement, au sein duquel la France a une place prépondérante et un véritable avenir industriel.
Depuis 2012, des règles existent. Elles ont été précisées par deux arrêtés de décembre 2015 : les vols des drones civils – loisirs, aéromodélisme et activités professionnelles – ne sont autorisés dans l’espace aérien qu’en dessous de 150 mètres, mais sont interdits le vol de nuit, le vol au-dessus des agglomérations et des personnes, sauf autorisation du préfet, le vol dans les zones situées dans un rayon de 5 kilomètres autour des aérodromes – la distance est portée à 15 kilomètres si leurs pistes dépassent 1 200 mètres – et la circulation « hors vue » de leurs utilisateurs.
La proposition de loi qui nous revient de l’Assemblée nationale prévoit une obligation d’enregistrement des drones de plus de 800 grammes. Ce seuil est susceptible d’être abaissé par le pouvoir réglementaire afin de prendre en compte les évolutions techniques à venir, notamment la réduction des formats de drones. Ceux qui excèdent le poids de 25 kilogrammes doivent, quant à eux, être immatriculés. Bien entendu, nous sommes en accord avec ces deux précisions de seuil.
La proposition de loi définit la notion de télépilote en distinguant le vol manuel, le vol automatique et le vol autonome et prévoit une formation des télépilotes de drones de plus de 800 grammes.
Par ailleurs, le texte impose aux fabricants et importateurs de drones de loisirs la fourniture d’une notice d’information relative à leur usage. Cette obligation s’applique à l’ensemble des drones, et non pas seulement aux drones de loisirs.
Les drones à usage professionnel et de loisirs de plus de 800 grammes devront comporter un dispositif de signalement lumineux et électronique ou numérique, ainsi qu’un dispositif de limitation des performances. Nos collègues députés ont fait le choix d’imposer un dispositif de signalement sonore permettant, en cas de perte de contrôle du drone, d’alerter les personnes situées sur sa trajectoire, sauf si le drone évolue « dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet ».
Enfin, la proposition de loi étend aux télépilotes les dispositions déjà prévues pour les pilotes, à savoir le délit de survol par maladresse ou négligence d’une zone du territoire français en violation d’une interdiction prononcée.
Le drone est bel et bien devenu un loisir de masse. D’après l’institut GFK, les ventes ont triplé en France en 2015. Une croissance de 30 % est prévue en 2016. Il est vrai que les drones trouvent de nombreuses applications dans le secteur des loisirs, comme dans le domaine professionnel.
La capacité du drone à embarquer une charge utile, telle que caméra, capteurs ou instrument de mesure, lui permet de réaliser des missions variées. La capture de données permet une multitude d’applications dans des domaines allant de l’agriculture aux ouvrages d’art – ponts, viaducs, barrages, éoliennes… –, en passant par le BTP, la police, l’industrie ou l’audiovisuel. Elle permet également de réaliser des missions d’observation, de surveillance et d’inspection – dans le cadre d’études scientifiques, de gestion de situations d’urgence, de détection des pollutions… –, des opérations de transport, de livraisons, de cartographie, ou de lutte contre les incendies.
L’avenir des drones dans le domaine de l’agriculture et de la sylviculture apparaît particulièrement prometteur au regard de leur capacité à apporter des éléments d’aide à la décision, à l’heure où le monde agricole cherche à produire plus et mieux, tout en préservant l’environnement et en offrant aux agriculteurs de meilleures conditions de travail.
Même les Champs-Élysées – comme l’a rappelé notre rapporteur – ont vu, au début de septembre, une première course de drones, organisée par la Mairie de Paris, avec succès, nous a-t-on dit.
Certains de nos collègues ont été sollicités par des présidents de clubs d’aéromodélisme. Cette pratique est ancienne ; elle concerne des passionnés d’aéronautique qui font voler des appareils qu’ils construisent souvent eux-mêmes. Cette activité passionnante se pratique en clubs, sur des sites agréés par la DGAC. Ils sont pilotés à vue, ce qui les distingue souvent des drones. Notre rapporteur a souligné que l’article 2 a été modifié par les députés pour garantir que les aéromodélistes ne soient pas soumis à une double obligation de formation, dans la mesure où ceux-ci sont déjà formés dans le cadre de leur club.
Dans le même esprit, à l’article 4, les aéromodélistes sont exonérés de l’obligation de s’équiper d’un dispositif de signalement et de capacité quand ils pratiquent dans un cadre agréé et dans des zones identifiées.
Cette proposition de loi marque une nouvelle étape dans l’encadrement juridique de l’usage des drones civils. Toutefois, face à cette technologie très évolutive, il est vraisemblable que l’arsenal législatif devra évoluer au même rythme dans les prochaines années.
Malheureusement, nos craintes en matière de sécurité ont été validées par un incident grave révélé récemment : une attaque réalisée le 2 octobre dernier à l’aide d’un drone piégé a gravement blessé deux commandos français en Irak et coûté la vie à deux combattants kurdes. Sous réserve de plus d’informations, cet acte criminel aurait été commis à l’aide d’un banal appareil grand public transportant une charge explosive déclenchée sur une courte distance.
Ce texte vient donc à point pour encadrer la pratique des drones et leur régulation dans l’espace aérien. C’est un texte consensuel qui doit être rapidement mis en application, au regard de toutes les raisons évoquées précédemment. Le groupe socialiste et républicain votera donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à mon tour, je veux saluer le travail du rapporteur et de la commission.
Après son examen par l’Assemblée nationale, les nouvelles obligations posées par la proposition de loi relative à l’usage des drones civils ont été précisées, parfois élargies, souvent renforcées, et cela dans le même esprit qui avait conduit le Sénat à adopter ce texte à l’unanimité. Nous soutenons donc l’ensemble des dispositions proposées, en formulant toutefois quelques questions.
L’article 1er vise à mettre en place un régime d’enregistrement par voie électronique des drones télépilotés dont la masse est supérieure ou égale à un seuil de 800 grammes. Une obligation d’enregistrement sans considération de la masse du drone aurait peut-être été préférable pour responsabiliser les utilisateurs et leur faire prendre conscience que le drone n’est pas un jouet anodin, et ce d’autant que les prix des drones vont certainement baisser et qu’un public nouveau et de plus en plus large sera concerné.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez indiqué, lors des débats à l’Assemblée nationale, que le renvoi au pouvoir réglementaire permettrait une adaptation rapide aux évolutions de ces aéronefs sans pilote. La proposition de loi, en introduisant un seuil plafond à 800 grammes, maintiendrait ainsi, tout en l’encadrant, une possibilité d’adaptation rapide et souple. Nous entendons ces arguments, mais nous ne voyons pas bien ce qui s’oppose à un enregistrement généralisé, dans la mesure où la miniaturisation risque d’être à l’ordre du jour, ce qui ne signifiera d'ailleurs pas que les objets seront pour autant anodins.
L’article 2 définit le télépilote. Il reprend la disposition sénatoriale visant à encadrer les opérations professionnelles hors vue, ce qui constitue une amélioration. Cet article renvoie à un décret le soin de définir l’obligation de formation du télépilote, utilisant des drones au-dessus de 800 grammes, ce seuil pouvant être abaissé. Nous aurions aimé avoir des précisions sur les modalités de la formation, le contrôle de sa compréhension et de sa maîtrise par l’utilisateur. Il ne faudrait pas, en effet, que celle-ci se résume à une simple information.
Au-delà des considérations techniques, évidemment importantes, l’aspect éthique lié à l’usage du drone, le respect de la vie privée, le secret des données à caractère personnel seront-ils abordés dans le cadre de cette formation ? Nous aimerions obtenir une réponse à cette question avant la fin de nos travaux, mais cela risque d’être difficile.
Ensuite, nous approuvons les articles 3 et 4 concernant les obligations d’information et de signalement électronique et lumineux. La généralisation de l’information par voie de notice, notamment en cas de cession d’un drone d’occasion, est positive. Encore faudra-t-il bien avertir les acheteurs qu’ils doivent la conserver et la transmettre.
En revanche, comme l’a souligné notre collègue le député Jean-Jacques Candelier, considérant le fait que les drones peuvent être des armes par destination, au même titre qu’un véhicule terrestre à moteur, par exemple, il serait intéressant de renforcer les contrôles et la traçabilité des acheteurs. On pourrait ainsi instaurer, comme il l’a proposé, des plateformes de vente agréées permettant de contrôler l’identité des acheteurs et des vendeurs. Ce contrôle pourrait porter également sur l’identité des acquéreurs lors des rachats de drones sur le marché d’occasion. Peut-être pouvez-vous nous donner votre sentiment sur cet aspect des choses ?
Enfin, l’article 5, qui instaure des sanctions visant à réprimer un usage illicite des drones, n’appelle pas, de notre part, de remarque particulière.
En ce qui concerne les moyens physiques d’intervention de l’État pour prévenir ou faire cesser un usage illicite, vous avez expliqué, monsieur le secrétaire d'État, que « l’État se dote des moyens de détecter et de faire cesser des survols indésirables et qu’à ce titre des solutions techniquement viables ont pu être mises en évidence ». Pourriez-vous nous apporter davantage de précisions sur ce point ?
Pour conclure, j’aimerais aborder une question qui est étrangère au texte, mais non au sujet des drones, à savoir l’écoconception et le devenir des drones après usage.
La mission d’information sur l’avenir des matériaux et composants des téléphones mobiles a mis en évidence les questions liées au recyclage des appareils et au traitement des objets en fin de vie en raison de la multiplication des téléphones et de leur obsolescence rapide.
Les drones appellent sans aucun doute des remarques similaires. En effet, ils contiennent également une grande diversité de matériaux – métal, plastique –, mais également de composants dans les circuits électroniques, les batteries, avec la présence, entre autres éléments, de métaux lourds. Il est donc important pour nous d’accompagner l’expansion commerciale des drones d’une réflexion sur le traitement des déchets liés à l’usage de ces appareils et de prévoir en amont, avec la filière, les solutions réglementaires de réutilisation et de traitement de ces déchets électriques en fin de vie. Il est nécessaire de poursuivre les travaux d’écoconception. On sait, par exemple, que des étudiants américains ont réfléchi à cette question et ont même été à l’initiative d’un drone fabriqué à l’aide de mycélium, partie végétative des champignons ou de certaines bactéries filamenteuses.
Le circuit électrique a été imprimé à l’aide d’encre à base de nanoparticules d’argent. Des solutions existent donc ; il faut les promouvoir. D’autant que le propriétaire ne retrouve pas toujours son appareil…
Nous voterons pour cette proposition de loi, parce qu’elle pose les bases d’une réglementation nécessaire. Le marché des drones étant en pleine expansion, nous devrons suivre de près l’évolution des questions liées à ce sujet. À côté des enjeux liés à la sécurité et à la sûreté, des enjeux éthiques et environnementaux existent, qu’il faudra prendre en compte avec diligence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe Les Républicains. – MM. Loïc Hervé et Jean-Jacques Filleul applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant que coauteur, avec mon collègue Jacques Gautier, de la proposition de loi qui a abouti au texte que nous examinons aujourd’hui, je voudrais dire quelques mots de nos objectifs.
Auparavant, je voudrais me réjouir que le Gouvernement ait accepté d’inscrire rapidement ce texte à l’ordre du jour, permettant ainsi son examen dans des délais particulièrement brefs.
Lors de la discussion parlementaire de ce qui allait devenir la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, nous vous avions demandé, monsieur le secrétaire d’État, au nom du Gouvernement, de chercher des réponses au risque d’intrusion aérienne sur des sites sensibles.
En effet, une soixantaine de survols par des drones avaient alors été répertoriés, dont celui de la base militaire de l’île Longue, en janvier 2015. Ces événements ont suscité une inquiétude croissante et fait naître de multiples interrogations, malgré – et fort heureusement – l’absence de danger réel et immédiat.
Un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, nous a été remis, comme prévu, et comme promis – il faut s’en féliciter –, à l’automne dernier.
Il a fait le point sur les adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises par l’usage croissant de ces drones, dont les performances sont en constante augmentation.
Comme M. le rapporteur l’a rappelé, plusieurs incidents de circulation aérienne ont confirmé la nécessité de renforcer la sécurité de l’usage des drones civils, à l’étranger, mais aussi à proximité de Roissy, au point d’ailleurs que ce phénomène est devenu un sujet de vigilance majeur pour l’Association internationale du transport aérien – IATA –, qui a lancé un appel à la mise en place de réglementations et de moyens adaptés.
D’autres incidents, comme ce drone venu se poser à quelques mètres de la chancelière allemande Angela Merkel en septembre 2013, ont mis en évidence un danger potentiel pour la sécurité des personnes, notamment lors de grands événements ou de rassemblements sur la voie publique.
Les États-Unis, eux, n’ont pas tardé à réagir à cette menace, en instituant un cadre juridique qui leur a permis de recenser, en quelques semaines, plus de 300 000 drones.
Le Sénat a donc voté, le 17 mai dernier, notre proposition de loi, dont le texte a été amélioré par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
J’en remercie d’ailleurs le rapporteur, notre collègue Cyril Pellevat, qui n’a pas ménagé son investissement sur ce sujet important, qu’il a traité avec beaucoup de compétences.
Le texte adopté met en place des dispositifs de formation, d’information, d’enregistrement et de signalement des drones, afin d’améliorer les compétences des télépilotes et de faciliter leur identification.
Que penser, dès lors, du texte qui nous revient aujourd’hui après avoir été modifié par l’Assemblée nationale ?
Nos collègues députés ont souhaité préciser les seuils prévus par le texte. Nous avions préféré, pour plus de souplesse, renvoyer au pouvoir réglementaire, mieux apte à répondre rapidement aux évolutions techniques et aux difficultés juridiques soulignées par le rapporteur.
Un seuil de 25 kilogrammes a donc été institué, déclenchant l’obligation d’immatriculation. Par ailleurs, les diverses autres obligations prévues par le texte s’appliqueront à compter d’un seuil, ou de plusieurs seuils, qui ne pourront être supérieurs à 800 grammes.
Les députés ont par ailleurs apporté diverses précisions techniques quant aux modalités de signalement des drones, ainsi que pour permettre la mise en place de systèmes de geofencing, c’est-à-dire de barrières électroniques, pour empêcher le survol de certaines zones.
Enfin, nos collègues députés ont apporté des garanties supplémentaires aux aéromodélistes.
Ceux-ci sont exonérés de certaines obligations, lorsqu’ils pratiquent leur activité sur les sites identifiés auprès de la DGAC ou dans le cadre d’usage bien identifié.
En définitive, le texte que nous examinons aujourd’hui paraît donc équilibré. Il répond aux objectifs qui étaient les nôtres au départ : renforcer la sécurité de l’usage des drones et préserver le dynamisme de ce secteur.
Je ne vois donc pas de raison majeure de retarder l’adoption de ce texte, qui est soutenu par le groupe Les Républicains, et qui a fait l’objet d’un examen parlementaire approfondi, en bonne entente avec le Gouvernement, et en concertation avec les acteurs de la filière.
Je souhaite par conséquent que cet élan, monsieur le secrétaire d’État, puisse être rapidement concrétisé par l’adoption, dans les meilleurs délais, des textes réglementaires nécessaires à l’entrée en vigueur de la loi. (MM. Jacques Gautier et Jean-Jacques Filleul applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous discutions déjà, le 27 mai dernier, de cette même proposition de loi que nous avons votée au Sénat. Après une modification par l’Assemblée nationale, nous voilà de nouveau saisis de ce sujet.
Je veux attirer votre attention sur l’encadrement des drones civils. En effet, il y a quelques années déjà, un signalement de huit survols illicites à proximité de l’aéroport de Roissy avait attiré l’attention sur ce sujet.
Aujourd’hui, cette situation persiste, notamment par le survol de drones chez des particuliers ou dans des propriétés privées.
De nombreux habitants m’ont alerté sur ce sujet et fait part de leurs inquiétudes.
L’article 5 dispose qu’est puni de six mois d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait pour un télépilote de faire survoler, par maladresse ou négligence, par un aéronef circulant sans personne à bord, une zone du territoire français en violation d’une interdiction.
C’est une bonne chose, monsieur le secrétaire d’État, mais quelles solutions préconiser ? Qu’est-ce qu’un particulier a le droit de faire lorsqu’un drone survole sa propriété, le cas échéant équipé d’une caméra ? Faut-il alerter les autorités ? Que faire en cas de récidive ?
Notre collègue Yves Pozzo di Borgo avait rappelé, lors de la dernière discussion au Sénat, qu’un drone utilisé pour des atteintes à l’intimité de la vie privée pourrait être confisqué.
Ces infractions étant de plus en plus nombreuses, notamment avec le survol d’habitations et de propriétés privées, mais également de sociétés ou de sièges sociaux d’entreprises, je veux ici redire mon inquiétude devant ce phénomène en pleine recrudescence.
On s’attaque ainsi à la vie privée des gens. Il peut s’agir aussi d’espionnage industriel.
La confiscation des drones à l’utilisateur, à condition qu’on puisse les identifier dans de telles circonstances, ne peut être la seule solution. Faut-il aller jusqu’à les abattre ? J’avoue que la question est compliquée.
Il faut aussi impérativement encadrer et contrôler davantage la vente des drones d’occasion, afin d’éviter un trafic.
Je voterai évidemment ce texte, mais je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, dans la mesure du possible, que vous nous fassiez part de votre sentiment ou des réflexions que vous envisagez d’engager. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Jacques Filleul applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je voudrais tout d’abord remercier les sénateurs qui ont suivi l’examen de ce texte de loi pour la qualité de leurs interventions et la pertinence de leurs questions.
Vous m’avez interrogé, naturellement, sur l’élaboration en parallèle de la législation européenne, une question centrale dans notre débat.
L’Union européenne travaille actuellement à l’adoption d’un cadre réglementaire harmonisé relatif à l’usage des drones. Ce travail comprend deux étapes : la première suppose la révision du règlement-cadre relatif à la sécurité aérienne, afin de donner compétence à l’Union – celle-ci doit intervenir, au mieux, à la mi-2017 – ; la deuxième suivra, avec l’adoption de règles proposées par l’Agence européenne de la sécurité aérienne, dont la mise en œuvre est prévue pour la fin de l’année 2019.
Les travaux en cours au sein de l’Union n’ayant pas encore abouti, il est prématuré de procéder à une analyse de compatibilité entre la loi nationale et la future réglementation européenne. On peut néanmoins d’ores et déjà constater, au vu du projet de règles diffusé par l’ESA à la fin du mois d’août, de larges convergences par le recours aux notions d’enregistrement, de dispositif d’identification, de limitation de capacité ou de notice d’information.
Le travail de définition de ce cadre européen de règles de l’usage des drones va se poursuivre et les experts français y sont étroitement associés. Le travail d’élaboration des mesures réglementaires d’application de la loi pourra, en fonction de l’état d’avancement de la réflexion européenne, prendre celle-ci en considération. Une fois la réglementation européenne applicable – ce ne sera sans doute pas avant trois ans –, la France restera dans tous les cas compétente en matière de défense de la sûreté nationale, notamment par la définition des zones interdites de survol, comme en matière de répression pénale des manquements aux règlements de l’Union.
Nous le voyons, les problèmes dont la représentation nationale débat légitimement se posent évidemment dans les autres pays. Les deux législations vont évoluer en parallèle, mais il était tout à fait justifié, compte tenu du calendrier et des exemples que vous avez tous cités, que l’on fixe un certain nombre de règles et de principes, dès à présent, dans la réglementation nationale.
S’agissant maintenant des questions relatives à l’utilisation des drones, vous avez cité, notamment, leur usage en zone de montagne – certains d’entre vous, comme M. Pintat, qui habitent plus près du littoral, auraient pu également citer l’intervention en bord de mer, puisque nous avons constaté cet été, pour la première fois, que l’utilisation de drones pouvait être très efficace en matière de secours aux personnes sur les plages, en particulier sur la côte atlantique. Certes, les textes réglementaires qui permettent aux communes d’organiser les secours ne sont pas totalement adaptés aujourd’hui, monsieur le maire de Soulac-sur-Mer, mais je me suis engagé, après les avoir examinés, à modifier les textes, notamment afin que les communes disposent de cette compétence. L’expérience en montagne et en mer montre que le recours aux drones dans ce cas peut s’avérer extrêmement efficace.
Mme Didier et M. Fouché ont élargi le débat à la question de la protection de la vie privée et de l’éthique, c’est-à-dire, aussi, à la question de la formation. D’ores et déjà, les notices qui sont distribuées sur le site du ministère abordent la question de l’éthique et du respect de la vie privée. Naturellement, dans la notice que la loi prévoit, cette question sera abordée. Quoi qu’il en soit, vous avez parfaitement raison de poser cette question et nous nous retrouverons peut-être dans quelque temps pour débattre de cette difficulté. (M. Alain Fouché opine.) Vous avez évoqué le fait que de nombreuses personnes se plaignent de voir arriver au-dessus de leurs propriétés des drones : ce n’est pas toujours le résultat d’une mauvaise manœuvre, il peut s’agir aussi d’atteintes volontaires à la vie privée ou d’espionnage industriel.
Comme vous le savez, le code pénal sanctionne aujourd’hui les atteintes au droit au respect de la vie privée, opérées « par quelque moyen que ce soit ». Le Gouvernement considère donc que le cadre juridique actuel englobe les situations que vous avez évoquées. Le droit positif précise aussi que l’on peut procéder à la confiscation de l’objet qui a permis de porter atteinte à la propriété privée. Il ne nous paraît donc pas nécessaire, à ce stade, de modifier notre texte répressif. (MM. Xavier Pintat et Jacques Gautier opinent.)
Il reste cependant la question que vous posez : que faire lorsque vous vous reposez dans votre jardin et que vous voyez arriver un drone au-dessus de votre tête ? Évidemment, il ne faut pas le détruire vous-même – le droit ne le permet pas –, mais il convient d’appeler la gendarmerie ou la police. De plus en plus, la formation des agents de la gendarmerie et de la police leur permettra de détecter le pilote de ce drone.
Mais vous avez raison, madame Didier, la question éthique sera forcément de plus en plus prégnante.
Vous m’avez également posé d’autres questions, auxquelles je ne peux pas répondre publiquement aujourd’hui, sur les moyens techniques dont nous disposons. M. Fouché s’était déjà interrogé sur ce sujet, à la suite du rapport que nous avons déposé.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous avons procédé à des expérimentations, financé des travaux de recherche et travaillé avec d’autres pays européens. Les choses ont aujourd’hui suffisamment avancé pour que nous soyons en situation de disposer de moyens de riposte. Toutefois, dès lors qu’il ne s’agirait plus d’une fausse manœuvre, mais d’un acte malveillant, je ne vais pas donner à ceux qui seraient alors nos adversaires les réponses qui leur permettraient de s’adapter aux moyens dont nous disposons aujourd’hui. Chacun peut le comprendre.
Je veux simplement dire à la représentation nationale que des moyens techniques ont été mis en œuvre et que nous sommes plus en capacité d’organiser la riposte qu’il y a quelques mois. Certes, nous assisterons probablement à une course technologique dans les années à venir, mais je sais pouvoir compter sur votre vigilance, mesdames, messieurs les sénateurs.
Pour conclure, je souhaite vraiment que ce texte soit définitivement adopté. Le débat n’est sans doute pas clos, mais nous sommes tenus par l’agenda parlementaire – si ce texte n’était pas adopté maintenant, nous aurions peut-être des difficultés pour trouver d’autres créneaux.
Nous avons besoin de ce texte et je vous remercie tous de votre contribution très efficace à la résolution de ce problème, qui, je le sais, est aujourd’hui largement partagé par beaucoup de Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mme Leila Aïchi applaudit également.)
(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Françoise Cartron au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils
Article 1er
(Non modifié)
L’article L. 6111-1 du code des transports est ainsi modifié :
1° Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Sont ajoutés des II et III ainsi rédigés :
« II. – Par dérogation au I, les aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote au sens de l’article L. 6214–1, dont la masse n’excède pas 25 kilogrammes, ne sont pas soumis à l’obligation d’immatriculation.
« Les aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote au sens du même article L. 6214–1 sont soumis à un régime d’enregistrement par voie électronique si leur masse est supérieure ou égale à un seuil fixé par voie réglementaire, qui ne peut être supérieur à 800 grammes.
« Les modalités d’application du présent II, à l’exception de la définition du seuil mentionné au deuxième alinéa, sont fixées par décret en Conseil d’État.
« III. – Par dérogation au I, certains aéronefs non mentionnés au II sont exemptés de l’obligation d’immatriculation en raison de leurs caractéristiques particulières. La liste des catégories de ces aéronefs et les modalités d’application du présent III sont fixées par décret en Conseil d’État. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Le titre Ier du livre II de la sixième partie du code des transports est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« Règles relatives à la circulation des aéronefs opérés sans personne à bord
« Art. L. 6214-1. – (Non modifié)
« Art. L. 6214-2. – Tout télépilote doit avoir suivi une formation visant à permettre le contrôle de l’évolution des aéronefs circulant sans personne à bord, en sécurité et dans le respect des règles et des conditions d’emploi relatives à la navigation aérienne. Cette obligation n’est pas applicable à l’utilisation de loisir d’aéronefs circulant sans personne à bord, lorsque leur masse est inférieure à un seuil fixé par voie réglementaire. Ce seuil ne peut être supérieur à 800 grammes.
« Les objectifs et les modalités de la formation, les modalités de vérification de son assimilation ainsi que les modalités de reconnaissance par équivalence d’autres formations sont précisés par voie réglementaire.
« Art. L. 6214-3. – (Non modifié) » – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
I. – Le titre II du livre IV du code de la consommation est complété par un chapitre V ainsi rédigé :
« CHAPITRE V
« Dispositions relatives aux aéronefs circulant sans personne à bord
« Art. L. 425-1. – Les fabricants ou importateurs d’aéronefs circulant sans personne à bord incluent dans les emballages de leurs produits ainsi que dans les emballages de leurs pièces détachées une notice d’information relative à l’usage de ces aéronefs. Cette notice rappelle les principes et les règles à respecter pour utiliser ces appareils en conformité avec la législation et la réglementation applicables.
« L’obligation définie au premier alinéa s’impose au vendeur d’un aéronef d’occasion.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »
II. – (Supprimé) – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
I. – La section 5 du chapitre II du titre Ier du livre II du code des postes et des communications électroniques est complétée par un article L. 34–9–2 ainsi rétabli :
« Art. L. 34–9–2. – Les aéronefs circulant sans personne à bord, d’une masse supérieure à un seuil fixé par voie réglementaire, qui ne peut être supérieur à 800 grammes, sont équipés d’un dispositif de signalement lumineux et d’un dispositif de signalement électronique ou numérique.
« Sont exemptés de l’obligation définie au premier alinéa les aéronefs circulant sans personne à bord et qui sont opérés dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet.
« Un décret en Conseil d’État précise les objectifs des dispositifs mentionnés au premier alinéa et les conditions dans lesquelles des aéronefs circulant sans personne à bord sont exemptés de l’obligation définie au même premier alinéa. »
II. – Le chapitre IV du titre Ier du livre II de la sixième partie du code des transports, tel qu’il résulte de l’article 2 de la présente loi, est complété par des articles L. 6214-4 et L. 6214-5 ainsi rédigés :
« Art. L. 6214-4. – Les aéronefs circulant sans personne à bord et d’une masse supérieure à un seuil fixé par voie réglementaire, qui ne peut être supérieur à 800 grammes, sont équipés d’un dispositif de limitation de capacités.
« Sont exemptés de l’obligation définie au premier alinéa les aéronefs circulant sans personne à bord et qui sont opérés dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet.
« Un décret en Conseil d’État précise les objectifs du dispositif mentionné au premier alinéa ainsi que les conditions dans lesquelles des aéronefs circulant sans personne à bord sont exemptés de l’obligation définie au même premier alinéa.
« Art. L. 6214-5. – Tout aéronef circulant sans personne à bord et d’une masse supérieure à un seuil fixé par voie réglementaire, qui ne peut être supérieur à 800 grammes, est équipé d’un dispositif de signalement sonore qui se déclenche en cas de perte de contrôle des évolutions de l’appareil ou de perte de maîtrise de la trajectoire de l’appareil par son télépilote.
« Sont exemptés de l’obligation définie au premier alinéa les aéronefs circulant sans personne à bord et qui sont opérés dans un cadre agréé et dans des zones identifiées à cet effet.
« Un décret en Conseil d’État précise les objectifs du dispositif mentionné au premier alinéa ainsi que les conditions dans lesquelles des aéronefs circulant sans personne à bord sont exemptés de l’obligation définie au même premier alinéa. »
III. – Les I et II entrent en vigueur le 1er juillet 2018. Toutefois, pour les aéronefs circulant sans personne à bord enregistrés en application de l’article L. 6111–1 du code des transports avant le 1er juillet 2018, les I et II du présent article ne s’appliquent qu’à compter du 1er janvier 2019. L’article L. 6214-5 du même code n’est pas applicable aux aéronefs enregistrés en application de l’article L. 6111–1 dudit code avant le 1er juillet 2018.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Trillard, G. Bailly, Bizet, Chaize, Dallier, Doligé, B. Fournier et Mandelli, Mme Lamure, M. Revet, Mme Micouleau et MM. Laménie, Vial, Mayet, Rapin, Lefèvre, Morisset, D. Laurent, Perrin, Pierre, D. Robert, Gilles et Houel, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
et dans des zones identifiées à cet effet
par les mots :
hors zones interdites ou restreintes
La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Si vous me le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 1 rectifié, 2 rectifié et 3 rectifié.
M. le président. J’appelle donc en discussion les amendements nos 2 rectifié et 3 rectifié.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Trillard, G. Bailly, Chaize, Dallier, B. Fournier et Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent, Lefèvre, Mandelli et Mayet, Mme Micouleau et MM. Morisset, Perrin, Pierre, Rapin, D. Robert, Vial, Revet, Bizet, Doligé, Houel et Gilles, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
et dans des zones identifiées à cet effet
par les mots :
hors zones interdites ou restreintes
L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Trillard, G. Bailly, Bizet, Chaize, Dallier, B. Fournier, Gilles, Houel et Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent, Lefèvre et Mayet, Mme Micouleau et MM. Morisset, Perrin, Pierre, Rapin, D. Robert, Vial, Doligé, Mandelli et Revet, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer les mots :
et dans des zones identifiées à cet effet
par les mots :
hors zones interdites ou restreintes
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. André Trillard. Les activités d’aéromodélisme sont très encadrées et ne posent aucun problème de sécurité ou de sûreté, car les modèles réduits radiocommandés font l’objet d’un pilotage manuel à vue directe tout au long de leur vol.
À ce jour, les 30 000 aéromodélistes licenciés respectent scrupuleusement l’arrêté du 17 décembre 2015, qui interdit le survol des agglomérations et des espaces et rassemblements publics. Ainsi, on ne déplore en France aucun accident provoqué par un modèle réduit, au sens historique du terme.
Certes, en première lecture, l’aéromodélisme a été – fort heureusement – exempté de l’obligation de disposer d’un signal lumineux et sonore, ainsi que de la limitation de capacité.
Cependant, la rédaction actuelle soulève le problème de son existence même : concentré sur les seuls terrains homologués, l’aéromodélisme perd tout son sens, puisque le vol en campagne comme celui en montagne deviendraient impossibles de fait, sans l’autorisation formelle de la direction générale de l’aviation civile, la DGAC, pour la déclaration de l’activité ou l’équipement électronique important du modèle réduit.
Je précise que cette procédure d’autorisation est, à ce stade, lourde et que son instruction peut durer jusqu’à un an. En outre, dans la foulée de l’adoption de la loi, la DGAC va être confrontée à des milliers de demandes d’agrément, dont l’instruction pourrait alors durer des années. Un seul exemple de problème soulevé pour l’homologation d’une parcelle de terrain en montagne : à qui appartient cette parcelle ?
À travers les trois amendements que j’ai déposés, qui concernent uniquement l’aéromodélisme traditionnel, je souhaite obtenir des explications de la part de M. le secrétaire d’État. Elles seront d’autant plus importantes que nous nous situons ici dans le domaine réglementaire, non dans celui de la loi.
C’est pourquoi je peux envisager de retirer ces amendements, si M. le secrétaire d’État m’apporte des éclaircissements raisonnables.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur. La commission demande le retrait de ces amendements ; à défaut, son avis sera défavorable.
Ces amendements visent à étendre la dérogation prévue pour l’aéromodélisme sur site déclaré à l’ensemble des activités pratiquées hors zones interdites ou restreintes.
En pratique, ils auraient pour effet d’exonérer autant les aéromodélistes que les dronistes des dispositifs de signalement lumineux et électronique ou numérique. En effet, la définition juridique de l’aéronef circulant sans personne à bord ne permet pas, en droit français, de distinguer le drone de l’aéromodèle, d’où la nécessité d’opérer des distinctions en fonction de l’usage.
Le ciblage des sites déclarés à la DGAC permet justement de viser une grande partie des activités d’aéromodélisme.
En résumé, c’est le régime dérogatoire qui s’appliquera sur les sites déclarés et, en dehors – je pense que le secrétaire d’État reviendra sur ce sujet –, ce seront les dispositions du décret.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. La position du Gouvernement rejoint celle du rapporteur.
Je voudrais d’abord préciser qu’on ne peut pas considérer qu’il n’y a jamais eu d’accident avec l’aéromodélisme. J’y ai moi-même été confronté en septembre 2015 : un enfant a malencontreusement été blessé à cette occasion, à la suite d’une erreur et sans qu’il y ait malveillance.
La question posée au travers de ces amendements a également nourri les débats à l’Assemblée nationale, où les aéromodélistes se sont manifestés.
Sommes-nous en situation de distinguer juridiquement le drone de l’aéromodèle ? Ce serait le plus simple, mais personne n’est capable de le faire. J’ai moi-même demandé aux grands esprits et spécialistes qui m’entourent que cette piste – encore une fois, la plus simple – soit explorée, mais elle n’aboutit qu’à de la confusion.
Comme l’a dit le rapporteur, une réponse a déjà été apportée pour préserver l’activité traditionnelle générale de l’aéromodélisme, mais il est vrai qu’une question, qui concerne uniquement les vols dans des circonstances non prévues, continue de se poser. C’est dans cette situation qu’on retombe dans la difficulté, que je mentionnais à l’instant, de distinguer le drone de l’aéromodèle.
C’est pourquoi, au niveau du pouvoir réglementaire, nous avons conservé de la souplesse. Cela doit nous permettre d’avancer avec les aéromodélistes sur ces questions.
L’objectif du Gouvernement n’est pas de nuire à l’activité de l’aéromodélisme, qui a toute sa place dans la famille de l’aéronautique. Je peux vous dire que le secrétaire d’État en charge du transport aérien et de l’aviation en est bien conscient !
Nous nous heurtons, c’est vrai, à des difficultés, mais les aéromodélistes sont des citoyens effectivement conscients des exigences actuelles et des enjeux de sécurité et de sûreté.
Le Gouvernement, qui est notamment chargé du pouvoir réglementaire, va poursuivre le dialogue engagé pour essayer de répondre aux questions légitimes soulevées par les amendements.
C’est pourquoi, à ce stade de nos débats et au bénéfice des engagements que je viens de prendre et des dispositions déjà présentes dans la proposition de loi, je vous suggère de retirer vos amendements ; à défaut, mon avis serait défavorable.
M. le président. Monsieur Trillard, les amendements nos 1 rectifié, 2 rectifié et 3 rectifié sont-ils maintenus ?
M. André Trillard. Monsieur le secrétaire d’État, la question pourrait être considérablement simplifiée, s’il existait, dans chaque département, une liste positive des communes, dans lesquelles une déclaration préalable serait suffisante. On pourrait y inscrire celles qui ne se situent pas en zone urbaine ou qui ne présentent aucune difficulté du point de vue de la défense nationale.
Il me semble que cette piste, qui permettrait de se passer de l’autorisation de la DGAC, mérite d’être approfondie.
Cependant, compte tenu de l’urgence du dossier pour les drones, dont je suis bien conscient, et de la problématique importante qu’elle représente et de l’enjeu que constitue le changement de législature, je retire ces amendements, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 1 rectifié, 2 rectifié et 3 rectifié sont retirés.
Je mets aux voix l’article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Le chapitre II du titre III du livre II de la sixième partie du code des transports est complété par une section 6 ainsi rédigée :
« Section 6
« Aéronefs circulant sans personne à bord
« Art. L. 6232-12. – Est puni de six mois d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait pour un télépilote de faire survoler, par maladresse ou négligence, par un aéronef circulant sans personne à bord, une zone du territoire français en violation d’une interdiction prononcée dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 6211–4.
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait pour un télépilote :
« 1° D’engager ou de maintenir un aéronef circulant sans personne à bord au-dessus d’une zone mentionnée au premier alinéa du présent article ;
« 2° De ne pas se conformer aux prescriptions de l’article L. 6211–4.
« Art. L. 6232-13. – Le télépilote reconnu coupable d’une des infractions prévues à l’article L. 6232–12 du présent code ou de l’infraction prévue à l’article 223–1 du code pénal encourt également la peine complémentaire de confiscation de l’aéronef circulant sans personne à bord qui a servi à commettre l’infraction. » – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
I. – Le livre VII de la sixième partie du code des transports est ainsi modifié :
1° L’article L. 6761-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 6111-1 est applicable en Nouvelle-Calédonie dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » ;
2° L’article L. 6762–1 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par les mots : « , à l’exception de celles du chapitre IV du titre Ier » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La section 6 du chapitre II du titre III du livre II est applicable en Nouvelle-Calédonie dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » ;
3° L’article L. 6771–1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 6111–1 est applicable en Polynésie française dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » ;
4° L’article L. 6772–1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le chapitre IV du titre Ier et la section 6 du chapitre II du titre III du livre II sont applicables en Polynésie française dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » ;
5° L’article L. 6781–1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 6111–1 est applicable à Wallis-et-Futuna dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » ;
6° L’article L. 6782–1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le chapitre IV du titre Ier et la section 6 du chapitre II du titre III du livre II sont applicables à Wallis-et-Futuna dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » ;
7° L’article L. 6791–1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’article L. 6111–1 est applicable dans les Terres australes et antarctiques françaises dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » ;
8° L’article L. 6792-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le chapitre IV du titre Ier et la section 6 du chapitre II du titre III du livre II sont applicables dans les Terres australes et antarctiques françaises dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. »
II. – Au titre VI du livre IV du code de la consommation, sont insérés des chapitres Ier et II ainsi rédigés :
« CHAPITRE IER
« Dispositions relatives à Wallis-et-Futuna
« Art. L. 461-1 – L’article L. 425–1 est applicable à Wallis-et-Futuna dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils.
« CHAPITRE II
« Dispositions relatives aux Terres australes et antarctiques françaises
« Art. L. 462-1 – L’article L. 425–1 est applicable dans les Terres australes et antarctiques françaises dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. »
III. – Le titre II du livre III du code des postes et des communications électroniques est complété par des articles L. 142 à L. 144 ainsi rédigés :
« Art. L. 142. – L’article L. 34–9–2 est applicable en Polynésie française dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils.
« Art. L. 143. – L’article L. 34–9–2 est applicable à Wallis-et-Futuna dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils.
« Art. L. 144. – L’article L. 34–9–2 est applicable dans les Terres australes et antarctiques françaises dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. » – (Adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen du texte de la commission.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Avant que nous ne passions au vote, je souhaiterais dire quelques mots.
Je me réjouis que cette proposition de loi ait réuni une belle unanimité.
Je voudrais remercier tout d’abord ses auteurs, MM. Xavier Pintat et Jacques Gautier, qui ont bien perçu l’intérêt de légiférer sur ce sujet, comme l’urgence à le faire.
Les drones sont utilisés de plus en plus fréquemment pour des raisons très diverses, y compris, dorénavant, pour l’activité économique. Et il est nécessaire de fixer des règles pour éviter toute malveillance ou tout incident préjudiciable.
Je remercie également le rapporteur, qui s’est investi sur cette question, parfois très technique, et qui a produit un travail considérable. Il a su trouver le nécessaire équilibre entre les attentes d’une filière économique dynamique et l’intérêt général, notamment en ce qui concerne la sécurité.
Je me réjouis que les députés aient suivi le Sénat, en examinant très vite cette proposition de loi. Je remercie d’ailleurs le Gouvernement d’en avoir lui-même perçu tout l’intérêt et d’avoir fait en sorte – ce qui n’est pas si habituel – que le texte soit inscrit sur l’ordre du jour qui lui est réservé.
Nous avons nous-mêmes, collectivement, été tout à fait raisonnables, en décidant d’adopter le texte conforme malgré les réserves légitimes qui ont été exprimées par les uns et par les autres, notamment sur la question de l’inscription dans la loi d’un seuil de nature réglementaire, ce qui nous obligera certainement à revenir ultérieurement sur ce texte.
Je crois, comme cela a été largement dit, que ce cadre juridique était attendu. Notre pays est leader sur cette question des drones. Nous sommes aussi leaders en adoptant une réglementation, puisque beaucoup de pays européens n’ont pas encore de réglementation nationale. J’espère qu’en agissant ainsi nous pourrons inspirer la réglementation européenne en la matière, que nous appelons tous de nos vœux.
Enfin, je me félicite du fait que le Sénat ait pu être tourné – comme souvent, monsieur le secrétaire d’État – non pas vers le passé, mais vers l’avenir, en prenant l’initiative d’anticiper des évolutions technologiques et économiques porteuses de croissance pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mme Leila Aïchi et M. Jean-Jacques Filleul applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents.
7
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par un courrier en date du 13 octobre 2016, une décision relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (n° 2016–582 QPC).
Acte est donné de cette communication.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au vendredi 14 octobre 2016, à neuf heures trente, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’égalité et à la citoyenneté (n° 773, 2015-2016) ;
Rapport de Mmes Dominique Estrosi Sassone et Françoise Gatel, fait au nom de la commission spéciale (n° 827, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 828, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD