compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
Mme Valérie Létard,
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article R. 831-4-1 du code rural et de la pêche maritime, M. le Premier ministre, par lettre en date du 5 juillet 2016, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière de recherche appliquée sur le projet de nomination de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l’Institut national de la recherche agronomique.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.
Acte est donné de cette communication.
3
Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique – Orientation et protection des lanceurs d’alerte
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, dans les textes de la commission, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (projet n° 691, texte de la commission, n° 713, rapport n° 712, tomes I et II, avis nos 707 et 710) et de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte (proposition n° 683 rectifié, texte de la commission n° 714, rapport n° 712, tomes I et II).
projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (suite)
TITRE Ier (suite)
DE LA LUTTE CONTRE LES MANQUEMENTS À LA PROBITÉ
Chapitre II (suite)
De la protection des lanceurs d’alerte
M. le président. Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre II du titre Ier du projet de loi, à un amendement portant article additionnel après l’article 6 FA.
Article additionnel après l’article 6 FA
M. le président. L'amendement n° 418, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 6 FA
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l'état d'avancement de la législation définissant et harmonisant les droits, protections et obligations des lanceurs d’alerte.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Il s'agit ici d’une victoire de l’optimisme sur l’expérience ! En effet, cet amendement vise à prévoir la remise d’un rapport au Parlement sur l’état de l’harmonisation des droits, protections et obligations des lanceurs d’alerte.
Je tiens simplement à vous rappeler, mes chers collègues, que les cinq ou six lois qui ont trait aux lanceurs d’alerte comportent des dispositions relatives à leur protection qui sont disparates.
Ainsi, la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé et la loi relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte ont omis de les protéger contre le licenciement.
La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, quant à elle, a omis de protéger les lanceurs d’alerte en cas de rupture des relations contractuelles. Enfin, la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière omet de les protéger en cas de non-renouvellement de leur contrat, qu’il soit privé ou public.
Bref, le présent projet de loi, qui uniformise l’ensemble des dispositions relatives aux lanceurs d’alerte, ne manquera pas de rattraper en partie les oublis de cette législation mosaïque et disparate.
J’ai certes conscience que le rapport sénatorial sur le bilan annuel de l’application des lois pourrait très bien remplir la fonction du rapport dont je propose la publication par voie d’amendement. J’ai néanmoins souhaité que l’on puisse suivre précisément l’état d’avancement de la législation relative aux lanceurs d’alerte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’argumentaire que vient de développer notre collègue Nathalie Goulet montre parfaitement que le Sénat peut lui-même élaborer ce type de rapport…
C’est la raison pour laquelle la commission en restera à sa jurisprudence en matière de demande de rapport : elle émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Goulet. Je retire cet amendement, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 410, présenté par MM. Vincent, Anziani et Guillaume, Mme Espagnac, M. Yung, Mmes Bataille et Blondin, MM. Botrel, Cabanel et Courteau, Mme Jourda, MM. Labazée et Lalande, Mme Lienemann, MM. Marie, Miquel, Montaugé, Tourenne, Vaugrenard, Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
En cas de rupture de la relation de travail résultant d'une alerte mentionnée à l'article 6 A, le salarié peut saisir le conseil des prud'hommes, statuant en la forme des référés. Le conseil des prud'hommes statue dans les vingt et un jours suivant la saisine. Il peut ordonner le maintien du salarié dans l'entreprise ou, en cas de refus du salarié, peut ordonner le maintien du salaire jusqu'au prononcé du jugement.
La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Depuis le début de l’examen de ce texte, nous avons bien compris que la volonté de la majorité sénatoriale était de réduire le plus possible notre capacité d’agir en faveur des lanceurs d’alerte, si bien que nous avons également compris, au stade où nous en sommes, que la commission des lois et la majorité sénatoriale veulent que l’on reste dans le cadre spécifique du droit existant.
À notre sens, ils se privent ainsi de nouvelles possibilités de défendre les lanceurs d’alerte. Par leurs préconisations, ceux-ci couvrent un nouveau champ de risques pour la société, que le droit actuel ne prend pourtant pas en compte.
En supprimant l’article 6 FB qui figurait dans le texte issu de l’Assemblée nationale, la majorité sénatoriale et la commission des lois vont encore plus loin. Ils suppriment en effet une disposition qui s’inscrit clairement dans le cadre des procédures judiciaires en vigueur.
L’article 6 FB permettait aux lanceurs d’alerte de saisir le conseil des prud’hommes en référé et d’obtenir un jugement en vingt et un jours. Nous savons bien qu’il y a très souvent urgence à intervenir pour des lanceurs d’alerte dont l’emploi peut être menacé. La commission a estimé que le droit en vigueur suffisait. Nous ne le pensons pas.
En premier lieu, dans le droit existant, le référé prud’homal ne concerne que certains litiges qui doivent être liés au contrat de travail lui-même. Il ne prévoit donc pas la suppression éventuelle de ce contrat de travail.
En second lieu, nous considérons que la rapidité des procédures est déterminante pour les salariés mis en difficulté parce qu’ils ont lancé une alerte, qui peut être par ailleurs extrêmement utile à la société. Les lanceurs d’alerte méritent que la justice soit rendue très rapidement.
C’est pourquoi je défends cet amendement, qui vise à rétablir l’article 6 FB au bénéfice des lanceurs d’alerte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Mon cher collègue, votre amendement est satisfaisant. Ses dispositions se situent dans l’exact prolongement de l’objectif de la commission, qui souhaite en rester à un droit qui peut parfaitement suffire en tant que tel. Sur le fond, je ne vois donc aucune difficulté.
Néanmoins, il me semble que les dispositions que vous défendez sont satisfaites par le droit en vigueur.
En effet, en application des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du code du travail, le conseil des prud’hommes peut « ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend » et peut, « même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ». Il y a là un principe de compétence générale, confirmé par une jurisprudence ancienne et solide.
S’agissant du délai de jugement en référé, l’article L. 1451-1 du code du travail prévoit d’ores et déjà, depuis 2014, que le conseil des prud’hommes saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail « en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur » – nous sommes bien confrontés dans ce cas à une situation de discrimination – statue au fond dans un délai d’un mois.
Enfin, en ce qui concerne la forme, j’indique que toutes les procédures devant les juridictions prud’homales sont régies par le livre Ier du code de procédure civile et relèvent, de ce fait, du domaine réglementaire.
Telles sont les raisons très mesurées pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous le savions ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent, pour explication de vote.
M. Maurice Vincent. À vrai dire, je ne suis pas complètement satisfait des réponses qui m’ont été fournies.
Je souhaite néanmoins éviter un nouveau scrutin public, dans la mesure où chacun en connaît le résultat par avance.
M. François Pillet, rapporteur. Très bien ! Merci, cher collègue.
M. Maurice Vincent. Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 410 est retiré.
En conséquence, l’article 6 FB demeure supprimé.
Article 6 FC
(Supprimé)
Article 6 F
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 385, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le Défenseur des droits peut accorder, sur demande du lanceur d’alerte personne physique, une aide financière destinée à la réparation des dommages moraux et financiers que celui-ci subit pour ce motif et à l’avance des frais de procédure exposés en cas de litige relatif à l’application du I de l’article 6 E. Son bénéfice peut être exceptionnellement accordé aux personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France.
II. – L’aide financière prévue au I du présent article peut être totale ou partielle. Elle peut être accordée sans préjudice de l’aide juridictionnelle perçue par le lanceur d’alerte en application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
Son montant est déterminé en fonction des ressources du lanceur d’alerte et de la mesure de représailles dont il fait l’objet lorsque celle-ci emporte privation ou diminution de sa rémunération. Il est diminué de la fraction des frais de procédure prise en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection équivalent.
Pour le recouvrement du montant de cette aide financière, le Défenseur des droits est subrogé dans les droits du lanceur d’alerte.
III. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Un lanceur d’alerte ne peut être la victime ni d’une simple peine ni d’une double peine.
Chacun a sans doute en mémoire le cas de Mme Stéphanie Gibaud, ancien cadre de l’entreprise UBS, qui a subi la première peine d’être licenciée et qui, entre minima sociaux et risque d’expulsion, n’a jamais retrouvé de travail, ce qui a constitué pour elle une double peine, voire une triple peine ! Il faut donc que l’on puisse accorder aux lanceurs d’alerte une aide destinée à la réparation des dommages financiers et moraux dont ils peuvent être victimes en représailles.
Vous avez tous probablement entendu le récit de lanceurs d’alerte malmenés et isolés, comme M. André Cicolella, chercheur réintégré plusieurs années après avoir été licencié sur avis du Conseil d’État, ou M. Pierre Meneton, autre chercheur traîné en justice pour avoir dénoncé l’effet du sel sur nos artères.
Je veux témoigner ici de l’absolue nécessité de faire du Défenseur des droits un interlocuteur et un appui pour ces lanceurs d’alerte, au travers du cas moins médiatisé et pourtant révélateur des souffrances de l’isolement qu’est celui de Mme Denise Schneider.
Vous avez peut-être vu cette simple mère de famille à la télévision il y a une dizaine d’années : riveraine d’une usine de fonte de batteries usagées qui contaminait son village de l’est de la France, l’usine Métal Blanc, elle a presque seule osé lancer l’alerte et subi le discrédit, ainsi que le poids des inquiétudes en ce qui concernait son emploi et les menaces. Elle a obtenu des autorités sanitaires un rapport accablant : sol et rivière contaminés, vingt-deux des quatre-vingt-seize enfants du village atteints de saturnisme.
Du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières où elle porta plainte en 1997 à la cour d’appel de Reims où elle obtint la condamnation de l’usine pour mise en danger de la vie d’autrui et sa mise aux normes en 2009, elle a traversé, non sans dommages, douze ans de procédures judiciaires et d’expertises.
Tout le monde n’a pas cette force d’âme. Il faut que le Défenseur des droits puisse accorder une aide juste, afin de garantir aux victimes qu’elles ne sont pas seules, lorsqu’elles prennent des risques pour défendre l’intérêt général.
Telle est la raison pour laquelle le groupe écologiste souhaite rétablir l’article 6 F. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. L'amendement n° 643, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le Défenseur des droits peut accorder, sur sa demande, à une personne physique qui engage une action en justice en vue de faire reconnaître une mesure défavorable prise à son encontre au seul motif du signalement qu’elle a effectué en application de l’article 6A une aide financière sous la forme d’une avance sur les frais de procédure exposés.
L’aide financière prévue au premier alinéa peut être accordée sans préjudice de l’aide juridictionnelle perçue en application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
Cette aide peut être refusée lorsque les faits n’ont pas été signalés dans les conditions prévues au présent chapitre.
Le montant de cette aide est déterminé en fonction des ressources de la personne et en tenant compte de la nature de la mesure défavorable dont elle entend faire reconnaître l’illégalité lorsque cette mesure emporte privation ou diminution de sa rémunération. Il est diminué de la fraction des frais de procédure prise en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection équivalent.
II. – Indépendamment des actions en justice engagées par une personne physique afin de faire valoir ses droits, le Défenseur des droits peut lui accorder un secours financier temporaire s’il estime qu’en raison du signalement qu’elle a effectué dans les conditions énoncées au présent chapitre, elle connaît des difficultés financières présentant un caractère de gravité et compromettant ses conditions d’existence.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Cet amendement, comme celui de Mme Blandin, a toute son importance, et ses dispositions ont commencé à animer nos discussions dès hier.
Nous sommes d’accord pour dire que le lanceur d’alerte, dès lors qu’il est reconnu comme tel, doit être indemnisé en raison du préjudice subi. Ce n’est donc pas cela qui est en cause. Au fond, la question posée aujourd’hui est de savoir si le lanceur d’alerte doit être laissé seul, avant que le juge compétent ne fixe le montant du préjudice.
Ce lanceur d’alerte doit en effet affronter au moins deux types de difficultés. En premier lieu, il doit faire face aux frais de procédure, puisqu’il est souvent engagé dans des procédures longues et coûteuses.
En second lieu, il y a la vie quotidienne : le lanceur d’alerte est souvent confronté à une situation où il ne peut pas faire face à un certain nombre de besoins immédiats, parce qu’il a été privé de son poste de travail, par exemple, ou qu’il ne dispose pas d’autres revenus.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à cette question qu’il vous est demandé aujourd’hui de répondre, lorsque nous vous proposons d’autoriser l’autorité publique concernée, en l’occurrence le Défenseur des droits, à accorder aux lanceurs d’alerte un soutien pour les procédures juridiques engagées, ainsi qu’une aide financière immédiate pour faire face aux difficultés rencontrées.
Monsieur le rapporteur, vous me reprendrez si je me trompe, mais j’ai cru comprendre que ce qui a animé les travaux de la commission était la volonté de ne pas faire du Défenseur des droits l’autorité qui aurait à apprécier le montant du préjudice subi par les lanceurs d’alerte.
Je partage pleinement cette préoccupation : il n’appartient pas au Défenseur des droits de jouer ce rôle. En effet, c’est compliqué : il existe nombre de préjudices différents, des préjudices matériels, immatériels ou encore moraux. L’appréciation du préjudice doit donc revenir au juge compétent.
Toutefois, pour tenir compte de l’urgence et de la nécessité d’agir dans l’immédiat, et dès lors que le Défenseur des droits possède les caractéristiques qui sont les siennes, il me paraît légitime de revenir aux dispositions votées par l’Assemblée nationale. C’est pourquoi le Gouvernement propose de rétablir cet article.
En tout cas, à moins que vous ne me contredisiez, il n’existe pas d’autres types de procédures permettant aussi simplement et aussi rapidement d’apporter une aide aux lanceurs d’alerte. En revanche, vous m’opposerez peut-être qu’une interrogation demeure : au bout du compte, lorsque le lanceur d’alerte aura été indemnisé de son préjudice, s’il doit l’être, que deviendra la première aide financière que lui a accordée le Défenseur des droits ?
Le débat permettra probablement de nous éclairer, mais je suis d’ores et déjà prêt à considérer que cette première aide pourrait être déduite du montant du préjudice subi au bout du compte. Ce n’est certes pas au Défenseur des droits de fixer le préjudice subi, mais c’est bien à lui, me semble-t-il, qu’il revient d’apporter tous les éléments permettant de conforter le lanceur d’alerte dans sa démarche et de l’aider à traverser ces moments difficiles.
Il est tout de même choquant qu’une personne ayant pris autant de risques dans le sens de l’intérêt général, puisque c’est ce qui caractérise un lanceur d’alerte, se trouve confrontée à des situations aussi dommageables et douloureuses.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Je vais me permettre d’apporter une réponse globale aux deux amendements, même s’ils sont rédigés un peu différemment.
Pour commencer, monsieur le ministre, je reconnais parfaitement, même si c’est à mon grand regret, que nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’un organisme faisant en quelque sorte office de banquier, pour réparer les préjudices subis par les lanceurs d’alerte. Si une structure prenant en charge de tels montants existait au sein d’un ministère quelconque, que ce soit le ministère du budget, celui de l’intérieur ou celui de la justice, cela arrangerait tout le monde, mais tel n’est pas le cas ! Nous nous trouvons par conséquent devant une situation particulière.
Tout d’abord, sur le premier point, celui de l’indemnisation des préjudices, je souhaite revenir sur ce que j’ai expliqué tout à l’heure : un lanceur d’alerte – prenons le cas d’un lanceur d’alerte discriminé dans son travail – peut parfaitement obtenir devant le conseil des prud’hommes statuant en référé, au besoin en référé d’heure à heure, une provision sur tous les types de préjudices que vous avez énumérés, monsieur le ministre, qu’il s’agisse d’un préjudice moral ou financier, parce qu’il aurait été victime d’une sanction ou qu’il ne toucherait pas son salaire.
Il peut même bénéficier d’une provision ad litem, c’est-à-dire d’une somme lui permettant de faire face au paiement de la rémunération de son ou de ses défenseurs. Sur le papier, nous avons donc tout ce qu’il faut au niveau de l’institution judiciaire.
Mme Marie-Christine Blandin. Le problème, c’est justement que c’est sur le papier !
M. François Pillet, rapporteur. Soit, rectifions le papier si vous le souhaitez, mais, en réalité, l’institution judiciaire, quand elle dispose des moyens matériels et humains d’agir, en a la capacité ! Notre première réserve par rapport à ces amendements tient donc à la cohérence du système judiciaire.
Le second point, qui est plus ennuyeux, concerne l’intervention du Défenseur des droits : on comprend bien le cheminement de votre pensée, qui est parfaitement respectable, et le lien entre Défenseur des droits et lanceurs d’alerte. Toutefois, la Constitution n’a pas du tout créé le Défenseur des droits dans ce but !
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. François Pillet, rapporteur. Si bien que vous allez attribuer une nouvelle compétence au Défenseur des droits – elle n’est d’ailleurs pas financée –, qui ne correspond pas du tout aux missions que lui confie la Constitution.
Le Défenseur des droits est l’institution impartiale par excellence, car c’est le rôle que lui attribue la Constitution. Si nous adoptions ces deux amendements, il ne le serait plus tout à fait. Notre seconde réserve porte donc sur le respect des dispositions constitutionnelles.
C’est sur le fondement de ces deux réserves, que j’exprime avec une nuance de regret – vous la sentez peut-être –, que la commission émet un avis défavorable sur votre amendement, madame Blandin, ainsi que sur le vôtre, monsieur le ministre, encore que vous ayez fait un effort, de votre côté, pour revoir les dispositions sur la nature et l’évaluation des préjudices.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 385 ?
M. Michel Sapin, ministre. J’espère que vous me le pardonnerez, madame Blandin, mais le Gouvernement a une faiblesse pour son amendement, qui est malheureusement incompatible avec le vôtre !
J’émets donc un avis défavorable sur l'amendement n° 385.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. J’ai bien sûr entendu M. le ministre, mais j’ai surtout comparé les rédactions de nos amendements respectifs. Or je trouve plus pertinent que nous nous prononcions sur l’amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 385 est retiré.
La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote sur l'amendement n° 643.
M. Alain Anziani. Je voudrais apporter quelques précisions, notamment par rapport à l’argumentation développée par notre excellent rapporteur.
Il est faux d’affirmer que les lanceurs d’alerte disposent aujourd’hui, dans le droit existant, de solutions leur permettant d’avancer les frais de procédure qu’ils engagent ! En effet, monsieur le rapporteur, les affaires ne relèvent pas toutes du conseil des prud’hommes. Nous discutons du cas des salariés. Certes, les salariés ont la faculté de saisir le conseil des prud’hommes en référé. Mais que fait-on pour les lanceurs d’alerte qui ne sont pas salariés ?
Je ferai observer, à cet égard, que les dispositions de l’amendement du Gouvernement vont bien au-delà du seul cas des salariés, puisqu’elles ne couvrent pas les seuls salariés et vont jusqu’à prévoir d’accorder une aide « aux personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France ». Cet amendement me paraît donc tout à fait pertinent.
J’ajouterai tout de même que je suis d’accord avec ceux qui estiment qu’il ne faut pas trop charger la barque du Défenseur des droits et qu’il ne faut pas le mettre à toutes les sauces, car il a une spécificité et une identité. Si je comprends parfaitement cet argument, il existe également l’argument de l’urgence : aujourd’hui, on ne sait pas comment aider les lanceurs d’alerte. Or, dans un tel cas, il faut se saisir des outils existants.
Je souhaiterais que, à l’issue de ce débat, monsieur le ministre, une réflexion s’engage sur la meilleure manière de restaurer l’identité au Défenseur des droits, donc de trouver une solution de rechange au dispositif sur lequel nous allons nous prononcer.
En l’état actuel des choses, malgré tout, je ne vois pas ce que l’on pourrait faire d’autre à part voter l’amendement du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Autant je me suis battu contre une définition extensive de la notion de lanceur d’alerte, autant je trouve que l’amendement du Gouvernement répond parfaitement à toutes les objections qui lui sont faites. En effet, dès lors que l’on reconnaît à une personne le statut de lanceur d’alerte selon la définition retenue par notre commission, je ne comprends pas les observations de notre excellent rapporteur.
On me dit que la justice peut accorder des provisions aux lanceurs d’alerte. Oui, elle en est capable, mais on sait très bien qu’il vaut mieux ne pas avoir besoin des sommes d’argent qu’elle ordonne de verser !
Est-ce le rôle du Défenseur des droits de fixer le montant du préjudice ? Je n’en sais rien, mais il faut bien trouver une solution ! En tout cas, cette proposition ne me paraît pas contradictoire avec sa mission, qui est de veiller au respect des droits et libertés.
Aider une personne qui a le courage d’affronter de tels obstacles n’est pas incompatible avec la logique générale que défend le Sénat jusqu’ici. Je suis quelque peu étonné de la réticence exprimée par la commission et je voterai en faveur de l’amendement du Gouvernement ! (MM. André Gattolin et Jean Desessard applaudissent.)