Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de passer à la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures trente, est reprise à dix heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Candidatures à trois commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente aux commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion :
- de la proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales ;
- de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France pour les élections municipales ;
- et de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France.
La liste établie par la commission a été publiée et la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
5
Élection des conseillers municipaux en Polynésie française
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UDI-UC, la discussion de la proposition de loi relative à l’élection des conseillers municipaux dans les communes associées de la Polynésie française et à la modernisation du code général des collectivités territoriales applicable aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics, présentée par Mme Lana Tetuanui (proposition n° 583, texte de la commission n° 702 rectifié, rapport n° 701).
Mes chers collègues, je vous rappelle que l’Assemblée de la Polynésie française a été consultée sur cette proposition de loi, en application de l’article 74 de la Constitution et de l’article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, et qu’elle a rendu un avis favorable le 9 juin 2016.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Lana Tetuanui, auteur de la proposition de loi.
Mme Lana Tetuanui, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’ensemble de mes compatriotes polynésiens qui célèbrent la fête de l’Autonomie aujourd’hui – compte tenu du décalage horaire avec la métropole – et à tous ceux et celles qui nous regardent via internet en instantané à l’autre bout du monde, chez moi !
Mes pensées immédiates vont particulièrement à tous les élus locaux, plus précisément aux tavana, c’est-à-dire aux maires polynésiens, aux maires délégués, aux adjoints et aux conseillers municipaux, répartis sur l’ensemble des cinq archipels de notre Pays, qui attendent avec impatience le vote de ce texte.
Je ne vous cacherai pas ma grande satisfaction au moment de l’examen de ma toute première proposition de loi, dont l’objet se rapporte plus particulièrement à la vie quotidienne des communes polynésiennes, situées à plus de 20 000 kilomètres de l’Hexagone.
Pour avoir été moi-même élue maire déléguée d’une commune associée, je vous l’assure, ce sujet me tient tout particulièrement à cœur. Il m’est donné aujourd’hui l’opportunité de défendre tout simplement, mais sûrement, nos particularités trop souvent oubliées par le législateur national.
Bien sûr, je suis déjà intervenue dans cet hémicycle à l’occasion de la présentation de quelques amendements ou d’interventions orales, mais il me revient encore une fois de rappeler les principes, édictés par les dispositions de l’article 74 de la Constitution, de l’autonomie de la Polynésie française en sa qualité de collectivité d’outre-mer, principes précisés dans sa loi statutaire organique, que le Président de la République s’est engagé à réviser tout prochainement lors de son passage, au mois de février dernier, en Polynésie et dans mon île de Raiatea, située dans les îles Sous-Le-Vent.
La Polynésie est un pays d’outre-mer dont les spécificités sont nombreuses de par sa situation géographique – 118 îles –, son éloignement de la métropole et son étendue sur un espace maritime grand comme l’Europe.
Cette situation géographique doit être rappelée pour mieux appréhender et pour mieux comprendre les objectifs de ma proposition de loi.
Notre territoire compte 48 communes, dont 30 constituées de communes associées. Au total, nous avons 96 communes associées, ce qui s’explique par la cartographie des cinq archipels polynésiens.
Certaines de nos communes associées sont composées de trois atolls ou situées sur des atolls très éloignés, parfois à plus de trois heures de navigation maritime, seul moyen de transport disponible, pour se rendre à destination du chef-lieu communal.
Après cet état des lieux des communes polynésiennes, j’en viens au vif du sujet.
Cette proposition de loi vise à corriger, en premier lieu, le mode de scrutin qui nous a été imposé en 2014 avec l’introduction de la proportionnelle dans les communes dont toutes les communes associées comportaient 1 000 habitants au moins.
Ce changement de mode de scrutin a provoqué, notamment dans plusieurs communes associées, la désignation d’un maire délégué non représentatif de la majorité issue des urnes, ce qui a bien évidemment provoqué une instabilité politique immédiate avec des démissions en masse des conseils municipaux.
L’incidence de cette réforme du mode de scrutin introduite en 2014 n’a pas été évaluée, notamment les conséquences entraînées en Polynésie et ce, par méconnaissance de nos spécificités, une fois de plus !
Ainsi, il est proposé aujourd’hui de corriger cette anomalie par une modification innovante du mode électoral qui garantira la légitimité du nouveau maire. Ce dernier disposera d’une large majorité sur laquelle s’appuyer tout au long de sa mandature, et ce dans l’esprit d’une bonne gouvernance et d’une meilleure gestion des politiques de développement à l’échelon communal.
Il s’agit aussi d’asseoir la légitimité des maires délégués issus du résultat des urnes, surtout celle des membres de la liste ayant gagné l’élection dans chaque commune associée – c’est-à-dire de respecter la volonté de la population locale –, afin de leur donner plus de compétences dans l’exercice de leur mandat sur leur territoire respectif, avec une délégation de pouvoir que le maire pourra leur octroyer le cas échéant. De surcroît, ces élus seront rétribués à juste titre.
Permettez-moi de prendre deux cas concrets : pour se rendre dans la commune de Makemo, constituée de quatre communes associées dans l’archipel des Tuamotu de l’Est, le maire délégué de la commune associée de Taenga doit parcourir un trajet de trois heures en bateau, ce quand l’océan Pacifique est calme, or celui-ci n’est pas toujours une mer d’huile ! (Sourires.) Le maire délégué de la commune associée de Hereheretue, située à près de de 350 kilomètres de son chef-lieu, la commune Hao, est exposé au même type de problème. Vous comprenez les difficultés auxquelles sont confrontés ces élus pour répondre aux besoins immédiats de leur population, qu’il s’agisse, par exemple, de l’achat de balais pour l’entretien de l’école primaire ou de la gestion du personnel – demandes de congés ou d’absence… Avec ces nouvelles dispositions législatives, ils bénéficieront d’une souplesse de gestion par une délégation du maire et une reconnaissance, par leur population, de leur qualité d’élu gestionnaire.
Il s’agit d’un simple exemple parmi tant d’autres. C’est un peu compliqué chez nous, avec notre espace maritime, qui demeure néanmoins notre capital pour le développement à venir de notre collectivité d’outre-mer comme pour celui de la France.
En second lieu, cette proposition de loi prévoit un toilettage du code général des collectivités territoriales, le CGCT, ainsi que l’introduction de diverses dispositions législatives : création de sociétés publiques locales, dont le capital sera entièrement détenu par les communes, pour permettre d’accompagner ces dernières dans leurs nouvelles compétences, notamment en matière de gestion des déchets ; adoption du dispositif de téléconférence pour les séances du conseil municipal eu égard aux distances entre les différentes communes associées ; extension des dispositions applicables en matière de marchés publics ; réajustement du versement des indemnités allouées aux adjoints et aux maires délégués, afin d’éviter toute inégalité en matière de traitement ; adoption de mesures plus cohérentes relatives à la gestion des cimetières et des opérations funéraires dévolues aux communes ; abrogation des dispositions ne concernant nullement la Polynésie, notamment en matière de partage des biens à vocation pastorale ou forestière ; extension aux élus communaux du dispositif du droit individuel à la formation et, à compter du 1er janvier 2020, du nouveau régime indemnitaire des élus des syndicats de communes.
Pour votre information, mes chers collègues, sachez que ce texte a fait l’objet, depuis plus d’un an, de nombreuses discussions entre les élus communaux, les services compétents du Haut-Commissariat de la République en Polynésie française et le gouvernement de la Polynésie française.
Cette proposition de loi est le fruit d’un large consensus et d’une volonté de l’ensemble des communes. Elle a été approuvée unanimement par les membres du syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française, le SPCPF, rassemblant quarante-six des quarante-huit communes du territoire polynésien. Elle témoigne de la volonté commune de tous les élus locaux et des cadres communaux, dans l’esprit d’une meilleure gouvernance de leurs circonscriptions, de mieux servir leurs concitoyens.
Je ne suis que le relais de ces derniers à l’échelon territorial, puisque j’ai défendu ce texte au sein de l’Assemblée de la Polynésie française voilà moins de quinze jours en ma qualité de vice-présidente. Je fais de même aujourd’hui, devant la Haute Assemblée, en ma qualité de sénatrice.
Aussi, au nom de tous les élus locaux de ma collectivité, je tiens à remercier avant tout mon groupe et son président qui m’ont permis de bénéficier de la niche parlementaire réservée à l’UDI-UC.
Je remercie également le ministère de l’outre-mer, les cabinets de l’Élysée, du Premier ministre et du ministre de l’intérieur de l’écoute attentive des élus polynésiens et de tous les échanges constructifs avec les services du Haut-Commissariat de la République en Polynésie française et de notre collectivité.
Je remercie ensuite M. le président de la commission des lois d’avoir accueilli et pris le temps d’écouter les arguments des membres de la délégation institutionnelle du SPCPF dépêchée à Paris dans le cadre du congrès des maires.
Enfin, je ne peux oublier de citer et de remercier le vaillant rapporteur de ma proposition de loi, Mathieu Darnaud, sénateur de l’Ardèche – quel rapport entre l’Ardèche et la Polynésie, me direz-vous ? (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. L’amour ! (Mêmes mouvements.)
Mme Lana Tetuanui. Pour notre collègue membre de la commission des lois et de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, nos particularités insulaires ne sont plus abstraites – peut-être à la suite de son séjour en Polynésie dans le cadre du rapport d’information sur les identités foncières ? Il a su convaincre les membres de la commission des lois, qui ont adopté ce texte à l’unanimité.
Par ailleurs, au regard des difficultés d’applicabilité des dispositions du code général des collectivités territoriales en Polynésie, j’ai saisi M. le président du Sénat pour qu’une délégation sénatoriale puisse être envisagée et dépêchée en Polynésie, afin de mener une large réflexion sur ce thème cher à nos élus.
J’en profite pour dire à M. le président de la commission des lois que je l’attends chez moi ! (Sourires.)
Pour conclure, mes chers collègues, cette proposition de loi ne devrait soulever aucune critique. Elle vise tout simplement, sans esprit partisan, à corriger des dispositions prises par le passé et qui ne convenaient pas à nos particularités insulaires. C'est la raison pour laquelle je sollicite du Sénat un soutien unanime, toutes tendances politiques confondues. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est au vaillant rapporteur de la commission. (Sourires.)
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Ardèche, comme les autres territoires représentés dans cet hémicycle par de tout aussi vaillants sénateurs, peut témoigner de l’attachement de la métropole aux territoires ultramarins.
La proposition de loi présentée par Lana Tetuanui comporte des avancées majeures pour les communes de Polynésie en répondant de façon concrète à certains problèmes de gouvernance.
Je veux donc féliciter Mme Tetuanui, dont l’expérience et la connaissance d’élu local, sur son île de Raiatea, nous ont permis de parvenir au consensus.
Cette proposition de loi est le fruit d’un travail de concertation, comme nous avons pu l’observer lors des différentes auditions. Nos échanges avec le président du SPCPF et différents maires de Polynésie française nous ont permis de comprendre combien ce texte permettait de répondre de façon très concrète aux problématiques qu’ils rencontrent en matière de gouvernance.
Ces modifications ont été validées à l’unanimité par l’Assemblée de la Polynésie française, consultée en application de l’article 74 de la Constitution.
Ce texte est fondé sur un retour d’expérience des élus locaux pour faire face aux contraintes polynésiennes. Il s’agit d’adapter l’application du code électoral et du code général des collectivités territoriales à la Polynésie française.
Encore faut-il, pour comprendre ce territoire, en appréhender la géographie. Je ne vais pas reprendre les propos de l’auteur de cette proposition de loi, mais j’insiste sur le fait qu’il est nécessaire de bien comprendre l’éloignement d’un territoire, qui représente la moitié de la Corse, étiré sur une surface équivalente à celle de l’espace européen. Ce texte, particulièrement réaliste et pragmatique, permet justement de prendre en compte ces contraintes territoriales.
La proposition de loi s’articule autour de trois types de dispositions.
Tout d’abord, un ensemble de dispositions électorales. L’auteur du présent texte a rappelé l’instabilité résultant des différents modes de scrutin électoraux qui ont eu une résonnance particulière sur certaines communes, entraînant la démission de plusieurs maires.
Il était donc nécessaire de permettre l’émergence d’un nouveau mode de scrutin municipal. Tel est l’objet des articles 1er et 3 de ce texte, dont l’ensemble des dispositions entrera en vigueur lors du prochain renouvellement général des conseils municipaux, au mois de mars 2020.
Cette proposition de loi comporte ensuite des dispositions relatives au fonctionnement des collectivités polynésiennes.
Il s’agit, là aussi, de prendre en compte cette géographie particulière que j’évoquais, notamment au travers des conditions de recours à la téléconférence pour les réunions de communes composées de plusieurs communes associées, réparties sur plusieurs îles, si ces réunions s’accompagnent de dépenses disproportionnées pour les finances des communes, ce qui est souvent le cas, notamment sur l’archipel des Marquises.
De même, ce texte autorise les EPCI à fixer leur siège en dehors du territoire intercommunal.
Enfin, les articles 6 et 10 portent sur le statut des élus Polynésiens, notamment pour mieux prendre en compte le coût de leurs éventuels déplacements.
Le troisième type de dispositions de cette proposition de loi permet de toiletter le code général des collectivités territoriales et de l’adapter à la Polynésie française
L’article 2, par exemple, vise à étendre la faculté de créer des sociétés publiques locales par les communes de Polynésie française ou leurs regroupements dont Mme Tetuanui a expliqué le bien-fondé.
Il est également prévu, à l’article 5, d’élargir la délégation du conseil municipal aux maires en matière de marchés publics.
Enfin, les articles 8 et 11 contiennent certaines adaptations ou clarifications en matière de droit funéraire et de droit forestier.
Toutes ces modifications, notamment celles qui portent sur les dispositions électorales, relèvent du pouvoir d’adaptation prévu à l’article 74 de la Constitution. Elles étaient nécessaires pour permettre une application réaliste de ces normes.
Pour conclure, je dirai que l’histoire singulière des communes de Polynésie française, ainsi que leur géographie marquée par les phénomènes de l’insularité et de l’éloignement souvent extrême exigent d’adapter le fonctionnement de ces collectivités.
En apportant ces modifications essentielles, nous ferons progresser la démocratie locale, montrant là toute la force de notre République décentralisée qui consiste à faire vivre ses principes à travers les réalités territoriales les plus diverses.
Croyez bien que le sénateur ardéchois que je suis, tout comme le sénateur du Lot qu’est M. Requier, pourrait témoigner des diversités territoriales de la métropole ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons, en cette journée symbolique pour la Polynésie, la proposition de loi relative à l’élection des conseillers municipaux dans les communes associées de la Polynésie française et à la modernisation du code général des collectivités territoriales applicable aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics.
Avant d’évoquer la substance de ce texte, présenté par la sénatrice Lana Tetuanui, je voudrais souligner que cette proposition de loi constitue l’aboutissement d’un processus de dialogue et d’écoute réciproque qu’il importe de saluer.
Écoute et dialogue entre le Gouvernement et les parlementaires polynésiens, d’abord.
J’ai défendu, en 2015, le projet de loi d’actualisation du droit des outre-mer – la loi qui en est résultée a été promulguée au mois d’octobre dernier –, qui comportait, dans sa version initiale, des dispositions proches de celles que nous allons examiner ensemble aujourd’hui.
Lors de l’examen de ce projet de loi par le Sénat, l’ensemble des parlementaires polynésiens et des élus locaux ont appelé mon attention sur le fait que le calendrier associé à ce texte risquait d’interférer avec les échanges menés à l’échelon local sur ce sujet. Conjointement, nous avons donc estimé qu’il était préférable de repousser l’adoption de ces modifications législatives pour laisser le temps à la concertation locale d’aboutir.
Écoute et dialogue entre les partenaires polynésiens, ensuite.
En effet, le syndicat de promotion des communes de Polynésie française, qui réunit quarante-six des quarante-huit communes du territoire, a organisé plusieurs réunions de travail de mars à septembre 2015. En octobre, le résultat de cette concertation a été présenté au Haut-Commissaire, au Pays et aux parlementaires. Ce processus a abouti aux propositions formulées ce jour par la sénatrice Lana Tetuanui.
Cette proposition de loi est donc emblématique de la volonté de concertation qui m’anime et qui anime également l’auteur de ce texte.
Cette concertation était d’autant plus nécessaire que le texte a trait à une spécificité du territoire : les communes associées. Sur ce sujet plus que sur tout autre, il m’a paru essentiel de parvenir à une approche commune, partagée et consensuelle, ce qui me semble être le cas aujourd’hui.
Comme l’ont souligné les orateurs précédents, la configuration du territoire polynésien est unique.
La Polynésie française est située à 18 000 kilomètres de la métropole. Elle est constituée de 118 îles, réparties en cinq archipels, sur une superficie émergée de 3 600 kilomètres, dispersée sur plus de 4 millions de kilomètres carrés, soit l’équivalent de l’Europe.
L’organisation de la vie publique et citoyenne y est nécessairement singulière et les règles qui s’appliquent dans l’Hexagone doivent souvent y être assouplies.
Il en va ainsi des communes, seulement créées en 1971 en Polynésie française : sur les 48 communes du territoire, 30 sont composées de 96 communes associées.
Ces dernières représentent souvent une vallée ou un atoll. Elles constituent une section électorale de plein droit, disposent d’un maire délégué et d’une certaine autonomie.
Les maires délégués jouissent, en pratique, d’un véritable magistère, remplissant les fonctions d’officier d’état civil et de police judiciaire. Ils sont apparentés à d’authentiques tavana. Les difficultés que rappelait Mme Tetuanui expliquent cette situation.
Lors de mes déplacements, j’ai pu mesurer l’attachement des Polynésiens à ce dispositif, qui permet de consolider la démocratie de proximité, par-delà les distances géographiques et la configuration particulière des territoires.
Jusqu’au renouvellement général des conseils municipaux du mois de mars 2014, les conseillers municipaux des communes composées de communes associées étaient tous élus au scrutin majoritaire plurinominal. Or, depuis l’entrée en vigueur de modifications législatives en 2013 et en 2014, le mode de scrutin a été quelque peu complexifié, avec l’introduction d’un scrutin de liste à la représentation proportionnelle dans les cinq communes de plus de 3 500 habitants ne comprenant que des communes associées de plus de 1 000 habitants. Ce nouveau régime a donné lieu à des difficultés et à des frustrations, notamment dans les communes associées où le maire délégué n’était pas issu de la liste arrivée en tête dans la section.
Pour pallier ces difficultés, il est envisagé dans la proposition de loi de modifier le mode de scrutin dans les communes de Polynésie française constituées de communes associées.
Dans les communes concernées, le nombre de sièges à pourvoir sera réparti au sein des communes associées, proportionnellement à leur population.
Toutes les communes de plus de 1 000 habitants, même celles qui sont composées de communes associées comptant moins de 1 000 habitants, seront soumises au scrutin à la représentation proportionnelle.
L’élection se déroulera sur le fondement d’une liste unique, qui comportera nécessairement un ou des représentants des communes associées, afin de favoriser l’appropriation dans les programmes des enjeux propres aux communes associées.
Il est en outre prévu qu’une prime majoritaire soit attribuée à la liste arrivée en tête à l'échelon communal et répartie dans chaque commune associée. Il s’agit – c’est bien légitime – que chaque commune associée puisse disposer d’au moins un élu.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que la liste ayant gagné dans une commune associée puisse disposer d’au moins un élu.
Ce nouveau régime électoral, qui fait application de la parité, devrait permettre que le maire délégué soit issu de la liste arrivée en tête dans la commune associée, même si cette liste ne l’a pas emporté à l’échelon communal.
Outre ces considérations de légitimité, la modification devrait permettre de dégager des programmes électoraux communs aux différentes communes associées, de renforcer les majorités au plan communal et de favoriser l’émergence d’une opposition structurée.
Ce dispositif, assez proche de celui que j’avais proposé l’année dernière, me semble de nature à dynamiser la démocratie locale, dans le respect des singularités des communes associées de Polynésie française. J’y suis donc favorable.
Le second volet de cette proposition de loi est relatif à d’autres ajustements susceptibles de faciliter le fonctionnement des communes de Polynésie française. Les principales avancées donneront la possibilité aux communes du Pays de créer des sociétés publiques locales, afin de faciliter leurs commandes publiques. Pour mémoire, la loi du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales qui a institué l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales relatif à la création de sociétés publiques locales ne prévoyait aucune disposition outre-mer. La possibilité de créer une société publique locale a été étendue à la Nouvelle-Calédonie et à ses communes par la loi organique du 15 novembre 2013 et la loi simple du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Je ne vois aucun obstacle à ce que cette faculté soit désormais étendue à la Polynésie française.
Sont ensuite envisagées les possibilités que les conseils municipaux des communes composées de communes associées puissent se tenir par téléconférence et que le maire dispose d’une délégation plus large en matière de marchés publics. Ces simplifications, ainsi que les propositions relatives aux indemnités des maires délégués ne rencontrent évidemment aucune opposition de la part du Gouvernement.
Par ailleurs, je ne peux qu’être favorable aux extensions et modifications suggérées dans le domaine des marchés publics et aux changements apportés pour les établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, car ces deux propositions répondent aux demandes concrètes des élus locaux de Polynésie.
La Haute Assemblée devra se prononcer sur un nombre réduit d’amendements présentant l’intérêt d’apporter des améliorations rédactionnelles ou des précisions qui semblent nécessaires au rapporteur comme au Gouvernement.
Compte tenu de la qualité de la proposition de loi et de son origine consensuelle sur le territoire, je ne doute pas que le Sénat adoptera ce texte important pour les élus locaux de Polynésie française, pour le fonctionnement des communes et pour la meilleure compréhension du fonctionnement de ces institutions de proximité. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Polynésie française constitue un atout majeur pour notre pays ; elle permet en effet de faire de la France une grande puissance du Pacifique. Toutefois, certaines dispositions institutionnelles ne sont pas en adéquation avec la situation géographique polynésienne. Un ajustement législatif était ainsi très attendu. C’est pourquoi la proposition de loi présentée par Lana Tetuanui est tout à fait bienvenue.
Il est d’abord indispensable de souligner les particularités géographiques et institutionnelles des communes et de leurs groupements en Polynésie française. Mathieu Darnaud, rapporteur sur ce texte, l’a fait au nom de la commission des lois.
À cet égard, l’existence de communes associées dispersées sur une multitude d’îles est tout à fait édifiante. Ce phénomène entraîne une grande complexité dans l’organisation des conseils municipaux et le fonctionnement de certains services publics locaux.
Vous le savez, la Polynésie française se compose de six archipels, qui s’étirent sur une surface équivalente à celle de l’Europe. Ainsi, 48 communes se répartissent sur près de 120 îles. Et il n’est pas rare – Lana Tetuanui l’a souligné tout à l’heure – que trois heures de navigation soient nécessaires pour aller d’un atoll à l’autre.
Cette insularité et cet éloignement des communes ou des parties d’une même commune ont de profondes conséquences sur l’organisation des services publics, comme l’adduction d’eau, la distribution d’électricité, la gestion des déchets, ou encore la sécurité civile, les rendant notamment plus onéreux et plus complexes.
En outre, le mode de scrutin proportionnel, qui a été appliqué pour la première fois lors des élections municipales du mois de mars 2014, ne permet pas de dégager de majorité stable, les sièges étant répartis en fonction des suffrages exprimés au niveau des différentes communes associées.
Ce sont donc ce que l’on peut appeler des majorités de circonstances qui émergent ; cela accentue les problèmes de fonctionnement, notamment s’agissant des sujets clivants.
La présente proposition de loi est par conséquent tout à fait opportune, dans la mesure où l’introduction du scrutin majoritaire plurinominal pour les communes constituées de communes associées et dont la population est d’au moins 1 000 habitants est prévue.
L’objectif est ainsi de garantir à la tête de liste de la liste ayant remporté les élections de devenir maire avec une légitimité électorale et de disposer d’une large majorité sur laquelle elle pourra s’appuyer tout au long de sa mandature.
Très vraisemblablement, un tel système aura pour conséquence de permettre à ces communes de connaître une bien meilleure gestion, avec notamment la définition de politiques plus globales et la création d’une situation bien plus opérationnelle pour ce qui est du service rendu au citoyen.
En outre, il se trouve que les élus polynésiens rencontrent diverses difficultés pratiques dans l’exercice quotidien de leur mandat. Les problèmes tiennent en grande partie aux difficultés d’application du code général des collectivités territoriales en Polynésie française.
Cependant, le présent texte est encore en l’espèce parfaitement propice, puisqu’il améliore également les règles du code général des collectivités territoriales applicables aux communes polynésiennes ou à leurs groupements, en prenant notamment en compte les spécificités géographiques ou de fonctionnement de ces communes.
Ainsi, les maires délégués des communes associées se voient dotés d’un meilleur statut, afin de faciliter le fonctionnement de celles-ci.
De plus, la désignation de ces derniers au sein de chaque commune associée est encadrée, le choix devant se porter en priorité sur un membre de la liste arrivée en tête au sein de la commune associée.
Par ailleurs, la possibilité de réunion du conseil municipal par téléconférence est instaurée, de même que la faculté pour un EPCI de fixer son siège à l’extérieur de son périmètre pour des questions d’organisation et de facilité d’accès.
Ces deux mesures permettraient par conséquent de pallier en partie l’insularité et l’éloignement des communes.
D’autres dispositions encore facilitent grandement la vie des élus polynésiens. Je pense à l’extension de la possibilité pour les communes ou leurs groupements de créer des sociétés publiques locales, ou bien à la modernisation des notions applicables en matière de marchés publics.
Mes chers collègues, ces diverses adaptations se justifient ainsi pleinement par les particularités des communes de Polynésie française, particularités inconnues des autres communes, métropolitaines ou ultramarines, de notre pays.
Il est en effet difficile de comprendre parfaitement la situation dans son ensemble d’un territoire qui se situe à plus de 15 000 kilomètres de Paris.
La présente proposition de loi est donc tout à fait consensuelle. Elle peut être – nous l’espérons au sein du groupe UDI-UC – adoptée à l’unanimité par le Sénat. C’est important pour la navette parlementaire.
Pour toutes ces raisons, l’ensemble des sénateurs du groupe UDI-UC votera évidemment en faveur de ce texte, tel qu’amendé par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)