M. le président. Nous en avons terminé avec le débat portant sur les suites du référendum britannique et la préparation du Conseil européen.
Je remercie l’ensemble des orateurs de la qualité de leurs interventions.
J’adresse immédiatement au Président de la République, ainsi qu’à M. le Premier ministre, le compte rendu de nos débats de cet après-midi, ainsi que le rapport de notre commission des finances.
Par ailleurs, le Sénat prendra les initiatives qui lui paraîtront nécessaires, monsieur le ministre, pour contribuer à la mise en œuvre effective et sans délai de la décision de la majorité du peuple du Royaume-Uni et du renouveau de l’Europe.
Secrétaires :
Mme Corinne Bouchoux,
M. Christian Cambon,
M. Claude Haut.
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Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (projet n° 610, texte de la commission n° 662, rapport n° 661, tomes 1 et 2).
Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps de parole attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs – que je remercie pour leur participation active et plaisante pendant ces quinze jours –, mes chers collègues, je débuterai mon propos en reconnaissant un vrai talent.
Oui, madame la ministre, vous avez ce talent d’aimer le débat politique et, pendant ces quinze jours, vous avez eu à cœur d’expliquer, d’argumenter, de chercher à convaincre ! Ce texte, comme vous aimez le dire, vous l’avez défendu à 200 % !
La pièce maîtresse de cette défense est l’idée selon laquelle la négociation au niveau de l’entreprise permettra une adaptation plus fine de son organisation aux besoins du marché, par nature variables, tout en contribuant à recréer du dialogue social de proximité.
Nous souscrivons, bien sûr, à la nécessité d’adapter la production en fonction des commandes et d’étendre la participation des salariés à la bonne marche de l’entreprise. Mais la question est la suivante : en quoi cela n’est-il pas possible aujourd’hui ? Vous avez, durant ces quinze jours, évoqué la signature de nombreux accords d’entreprise dans le cadre de la loi actuelle.
Si nous partageons cette philosophie prônant l’instauration du dialogue social à tous les niveaux – national, par branche ou par entreprise –, nous ne pensons pas que le projet de loi Travail, tel que vous nous le présentez aujourd’hui, dans le contexte économique actuel, et compte tenu du climat qu’il a créé, garantisse un progrès social pour les salariés. Nous ne pensons pas non plus que son adoption permettra de créer des emplois et d’enrayer la précarisation croissante du salariat.
Effectivement, un certain nombre d’entrepreneurs peuvent utiliser l’article 2 à bon escient et gérer, dans le cadre d’accords d’entreprise, un bon équilibre entre le développement économique et le respect des conditions de travail des salariés.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Merci de le dire !
M. Jean Desessard. Mais dans certaines entreprises à faible organisation syndicale, des patrons, à la recherche du profit maximal, installeront les conditions les plus dures pour les salariés, lesquelles pourraient, dans le cadre d’une forte concurrence, devenir la norme.
C’est ce que nous appelons le « moins-disant social ». En répondant à la compétition internationale aiguë sur le terrain de l’aménagement des salaires et des conditions de travail, on s’engage assurément sur le chemin de la régression des avancées sociales.
D’ailleurs, la droite sénatoriale assume ce choix et, bien sûr, pousse la logique jusqu’au bout. D’après elle, pour demeurer compétitif dans une économie mondialisée, et non régulée, il faut faire sauter le verrou des 35 heures, donner davantage de pouvoir au chef d’entreprise en restreignant, dans un premier temps, puis en supprimant toutes les contraintes sociales. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous comprendrez, mes chers collègues, que ce n’est pas la dynamique que nous souhaitons suivre. Pour créer des emplois, nous croyons au partage du travail (Sourires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…
M. Charles Revet. Cela se saurait si ça fonctionnait !
M. Jean Desessard. … et non à l’idée qu’il faudrait travailler plus pour rester compétitifs face à ceux qui travaillent déjà plus !
Pour atteindre un tel objectif, les accords de branche doivent, selon nous, être vivifiés et élargis à l’échelle européenne. Les conventions internationales ne doivent pas se fonder sur la libre circulation des capitaux et des marchandises : elles doivent, au contraire, être établies selon un principe de respect des droits sociaux et selon des règles fiscales communes. Vous me permettrez également d’évoquer des clauses environnementales, même si ce n’est pas l’objet du débat de ce jour.
Madame la ministre, vous nous avez assuré que vous aviez prévu des garanties pour les salariés. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner lors du débat, il s’agit de quelques garde-fous, vous permettant de ne pas aller aussi loin que la droite sénatoriale. Mais êtes-vous sûre que ces dispositifs seront maintenus en cas d’alternance politique ?
N’avez-vous pas pris le risque de l’isolement politique avec le 49.3 (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et de la division syndicale en voulant, à tout prix, faire céder une partie importante du mouvement syndical ?
Mme Sophie Primas. Ah !
M. Jean Desessard. Quel intérêt y a-t-il à imposer une loi contre une partie de la gauche, pour la remettre, clés en main, à une possible alternance politique, qui ne manquerait pas de la durcir vers davantage de flexibilité ?
Vous aurez ainsi affaibli le mouvement syndical pour une loi qui ne durera que le temps d’une campagne présidentielle !
M. Michel Savin. Eh oui !
M. Jean Desessard. Comme je l’ai répété au cours des derniers jours, l’alternative est claire : soit on se lance dans la dynamique de la flexibilité, sans véritables contreparties, et on n’en connaît pas le terme ; soit on considère que le modèle social français vaut la peine d’être maintenu, aménagé et élargi au niveau européen, vers des conventions internationales de coopération.
La mise en œuvre d’une loi Travail dans un objectif de dialogue social méritait une concertation accrue, un consensus avec le monde syndical.
Néanmoins, le texte initial comprenait un certain nombre d’avancées – et là je m’adresse plus particulièrement à cette partie de l’hémicycle (L’orateur se tourne vers les travées de la droite.), comme la garantie jeunes, qui a été supprimée, et le compte personnel d’activité, lequel a été vidé de sa substance dans la version aujourd’hui présentée au vote.
La majorité sénatoriale a par ailleurs procédé à l’assouplissement des critères du licenciement pour motif économique et réintroduit le plafonnement des indemnités prud’homales. Ces deux points suscitent notre désapprobation, et celle d’une majorité des syndicats.
Ainsi, le projet de loi considéré comme adopté grâce au 49.3 à l’Assemblée nationale est devenu, au Sénat, un texte caricatural quant à la prise en compte des droits des salariés.
En conséquence, le groupe écologiste votera contre ce texte issu des travaux de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. Alain Néri, Jean-Pierre Godefroy et Dominique Watrin applaudissent également. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, depuis deux mois, la vie des Français est pourrie par la collusion entre des casseurs gauchistes et un syndicat qui en est encore à la lutte des classes ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin rit également.)
L’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a eu parfaitement raison de dénoncer ce qu’il appelle la « chienlit » créée par la CGT et les extrémistes de tout poil. Il a également eu raison de souligner que l’on ne peut plus accepter que 7 % de grévistes, à Air France ou à la SNCF, parviennent à paralyser le trafic et à nuire à l’ensemble de la Nation.
M. Charles Revet. Bravo !
M. Jean Louis Masson. Compte tenu des menaces d’attentats islamistes, la police a quand même mieux à faire que de surveiller des manifestations truffées de casseurs !
M. Gérard Cornu. C’est vrai !
M. Jean Louis Masson. Quant à l’image que cela donne de la France, je préfère ne pas en parler.
Mme Éliane Assassi. N’en parlez pas !
M. Patrick Abate. C’est mieux !
M. Jean Louis Masson. Cette réforme du code du travail est l’une des très rares lois qui, depuis 2012, vont dans le bon sens. Même si elle a été vidée d’une grande partie de son contenu, elle montre que nos dirigeants actuels commencent à prendre conscience de certaines réalités économiques incontournables.
C’est pourquoi je regrette qu’au sein de la droite parlementaire, on n’ait pas soutenu plus clairement le Gouvernement face à un syndicat fossilisé dans l’archaïsme. (MM. Patrick Abate et Dominique Watrin ainsi que Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Annie David sourient.) En démocratie, c’est le Parlement qui vote la loi. Il est donc intolérable qu’un syndicat ne représentant qu’une infime proportion de salariés veuille faire la loi à notre place !
En fait, l’exercice du droit de grève devrait être adapté au monde moderne, car nous ne sommes plus au XIXe siècle. On ne peut plus accepter que la vie du pays soit paralysée…
Mme Éliane Assassi. Parlez-nous de la loi !
M. Jean Louis Masson. … par une minorité agissante, qui bloque les services publics ou quelques secteurs clés.
M. Éric Doligé. Exact !
M. Jean Louis Masson. C’est d’autant plus vrai que les grévistes les plus virulents ne sont absolument pas les salariés les plus malheureux. Ainsi, à la SNCF ou à EDF, le statut du personnel est tout de même plutôt avantageux. Quant aux contrôleurs aériens, au personnel des raffineries et aux pilotes d’Air France, ce sont des super-privilégiés, qui abusent sans scrupule d’une situation exorbitante.
Mme Éliane Assassi. Et vous, qu’êtes-vous ?
M. Jean Louis Masson. Une réforme du droit de grève est donc indispensable pour élargir le principe du service minimum et éviter que certains individus contrôlant tel ou tel secteur clé de l’économie ne profitent de la situation au détriment de l’intérêt général.
Le projet de loi que nous avons examiné aura eu l’intérêt de mettre en évidence les abus de certains syndicats, qui, je le répète, sont fossilisés dans le passé. Mais il va un peu dans le bon sens et, une fois n’est pas coutume, je le voterai, bien sûr avec les nettes améliorations apportées par le Sénat. (M. Gérard Cornu applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe du Rassemblement démocratique social et européen. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après dix jours de débat, nous arrivons au terme de l’examen de ce projet de loi, qui, depuis des mois, focalise toutes les attentions dans un climat manquant par trop de sérénité, un climat que l’on peut qualifier de délétère. Aussi – je réitère là l’interrogation que j’ai formulée lors de la discussion générale –, était-il opportun de présenter ce texte en fin de quinquennat ? Une telle réforme, concernant tous les actifs dans ce pays, de même que ceux qui ont vocation à le devenir, ne méritait-elle pas un débat plus serein et moins orienté par des arrière-pensées politiques, syndicales, voire électoralistes ?
Avec l’ensemble de mes collègues du RDSE, et particulièrement ceux qui se sont relayés en séance au cours de la discussion des amendements, nous tenons toutefois à saluer la qualité des débats. Malgré des divergences certaines, et assumées sur les différentes travées, ceux-ci ont permis à chacun d’exprimer ses positions et ses convictions, toujours dans le respect, l’écoute et l’échange.
Nous nous félicitons surtout du fait que le débat ait pu avoir lieu dans notre Haute Assemblée. C’est, une nouvelle fois, un signal fort adressé à tous ceux qui souhaitent remettre en cause le bicamérisme. Tant qu’il y aura un article 49, alinéa 3, dans la Constitution, le Sénat sera bien le garant de la tenue d’un débat démocratique et transparent (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel et M. Gérard Roche applaudissent également.), au cours duquel les positions pluralistes pourront s’exprimer et se confronter dans le respect des règles propres au Parlement.
Si le Sénat a permis de sortir des caricatures et des raccourcis médiatiques, alors ses travaux, en commission comme en séance publique, auront fait œuvre utile !
Car qu’entend-on à l’extérieur ? Ceux qui sont hostiles à ce projet de loi dénoncent « un retour au XIXe siècle », un texte qui faciliterait les licenciements, permettrait de contourner la loi dans les entreprises et menacerait les conditions de travail des salariés. Mais encore faut-il l’avoir véritablement lu !
Mme Éliane Assassi. Ou avoir un peu siégé en séance…
M. Michel Amiel. En réalité, dès la version initiale du projet de loi, c’est une plus grande place que l’on a cherché à donner à la négociation collective, dans la continuité des réformes menées depuis les lois Auroux de 1982. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Le 13 mai 1982, devant les députés, Jean Auroux ne parlait-il pas déjà de « textes ouvrant, par la négociation et le contrat, des dynamismes et des souplesses qui répondront aussi bien à des contraintes économiques ou technologiques qu’à des aspirations sociales nouvelles et diverses » ? Ce sont ces textes qui ont permis aux accords collectifs de déroger à la loi, et ce fut un progrès, une avancée sociale ! Aujourd'hui, il ne vient à personne l’idée de revenir sur de tels acquis !
La présente réforme s’inscrit dans ce prolongement.
Dans le contexte économique dégradé que nous connaissons, marqué par un taux de chômage structurel qui reste à un niveau très élevé et par un taux de recours aux CDD particulièrement important, il apparaît nécessaire d’assouplir le droit du travail et de l’adapter à la réalité du temps présent.
Aussi le groupe du RDSE partage-t-il avec le Gouvernement la même volonté de tenir compte du réel et d’oublier les dogmatismes ou les idéologies pour faire preuve d’efficacité, une efficacité guidée par le seul pragmatisme, voire le bon sens, pour faire reculer durablement le chômage.
Pour autant, mes chers collègues, le texte tel qu’il résulte de nos travaux n’est pas pleinement satisfaisant.
Suivant l’avis de ses rapporteurs, le Sénat a refusé, après un long débat, de porter à 50 % le seuil de représentativité nécessaire à la conclusion d’un accord d’entreprise, alors que cette disposition renforçait le dialogue social au sein des entreprises et garantissait la légitimité des accords d’entreprise et des organisations syndicales.
Il a dénaturé l’article 11 en mettant en place un régime juridique unique pour les accords de préservation ou de développement de l’emploi.
Il a supprimé, hélas, la généralisation de la garantie jeunes, mesure qui s’adressait à des jeunes en grande difficulté, vulnérables sur le marché du travail et confrontés à un risque de marginalisation sociale.
Il a substitué au droit pour les entreprises d’avoir, de la part de l’administration, une information précise, transmise dans un délai raisonnable, une sorte de rescrit social qui permettra aux employeurs de rendre opposable la réponse de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, à toute administration.
Il a enfin limité au territoire national le périmètre permettant d’apprécier la situation économique d’une entreprise et a choisi d’encadrer les barèmes prud’homaux.
Bien sûr, nous sommes nombreux au RDSE à déplorer ces orientations souhaitées par la majorité sénatoriale, même si, dans le même temps, nous nous félicitons de l’adoption de plusieurs de nos amendements sur différents sujets.
Je pense, bien sûr, à l’amendement, défendu par notre collègue Françoise Laborde, tendant à inscrire dans le règlement intérieur le principe de neutralité, auquel tout le groupe du RDSE est fortement attaché.
Nous avons également permis d’étendre le bénéfice du congé au cas de décès du concubin et de porter la durée de deux à trois jours pour le décès des proches.
La Haute Assemblée a par ailleurs accepté, comme nous le demandions, de rétablir l’article 39 bis, ouvrant ainsi la possibilité de conclure des contrats de travail intermittent pour l’emploi de saisonniers.
S’agissant de la médecine du travail – je le répète une fois de plus –, nous ne pouvons pas engager une véritable réforme au détour d’un texte uniquement consacré au travail.
Pour autant, et malgré l’adoption de plusieurs de nos propositions, madame la ministre, mes chers collègues, la très grande majorité des sénateurs du RDSE ne peut souscrire à la plupart des orientations retenues par la Haute Assemblée durant nos débats. Nous les considérons souvent excessives et elles constituent, elles aussi, à nos yeux, un marqueur avant tout idéologique.
C’est pourquoi, à l’exception de l’un d’entre nous, nous nous prononcerons contre la version du texte élaborée par la majorité sénatoriale et soumise, dans quelques instants, au vote du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici enfin parvenus au vote de ce projet de loi, si controversé dans le pays.
Ce texte, dont l’examen en première lecture s’est achevé dans la nuit de vendredi à samedi, aura marqué l’histoire de notre institution, puisque, à l’issue des deux semaines de débats, nous avons battu des records, avec 160 scrutins publics…
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Alain Milon. … – soit 16 heures de décompte –, dont 52 durant la journée du 16 juin, à l’occasion de l’examen de l’article 2.
Tout au long de la discussion, le Sénat, qui a opté pour un intitulé simplifié – retenant la formule « modernisation du droit du travail » –, a reconstruit un texte, reprenant et consolidant la logique de souplesse que l’économie actuelle réclame en matière de droit du travail.
Il y a urgence à agir, les récents chiffres du chômage nous le rappellent.
La majorité sénatoriale a donc travaillé dans une grande sérénité, avec un esprit constructif et de responsabilité, loin de tout dogmatisme. C’est tout aussi sereins que nous avons par ailleurs observé les passes d’armes entre les diverses familles de la gauche.
Mme Colette Giudicelli. Eh oui !
M. Alain Milon. Mes chers collègues, le texte que nous nous apprêtons à voter est une vraie réforme, ayant pris soin de ne pas tomber dans la caricature que certains ont trop rapidement dénoncée.
Les débats, en commission des affaires sociales tout d’abord, puis ici même, en séance publique, ont montré que ce qui nous sépare, majorité et opposition sénatoriales, c’est bien une conception différente de l’entreprise et des rapports humains.
La majorité sénatoriale, j’y insiste, a souhaité travailler dans une grande sérénité, sans tenir compte des divisions déclarées d’une gauche en quête de réconciliation.
Le texte prétendument « ultralibéral » du Sénat devait montrer a contrario les vertus sociales du vôtre, mes chers collègues de l’opposition. Mais tout ce qui n’est pas de gauche n’est pas forcément ultralibéral,…
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Alain Milon. … pour reprendre un terme qui vous est cher et qui a pour effet de jeter l’opprobre sur tout adversaire. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Oui, nous avons simplement une autre vision de l’entreprise. Pour nous, celle-ci est une source de création de richesses, et ce sont les richesses que nous voulons partager. C’est notre conception de l’égalité républicaine.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Alain Milon. Malgré les tentatives et souhaits de quelques-uns, comme pour la révision constitutionnelle, la manœuvre n’a pas fonctionné.
Notre texte, dans une très large mesure, reprend des propositions que vous aviez formulées vous-même. Ces propositions ne sont pas devenues ultralibérales au seul prétexte que nous nous les sommes appropriées !
En examinant ce projet de loi, nous avons voulu vous proposer une vraie réforme.
Parce qu’il reste enfermé dans un carcan juridique décourageant l’embauche, notre pays prend chaque jour du retard.
L’avant-projet de loi, inspiré du rapport Combrexelle, montrait que le Gouvernement, madame la ministre, avait aussi intégré les réponses à donner. Vous avez voulu tenter une incursion socio-libérale, mais beaucoup de vos « amis » n’y sont manifestement pas prêts. Pourtant la France a besoin de réformes ! (M. Jean-Pierre Raffarin opine.)
En quelques mois, on a donc vu les bonnes intentions se diluer dans les affrontements internes d’une gauche conservatrice. Des mesures phares, seul reste l’article 2, qui donne des haut-le-cœur à une partie de la gauche et entretient encore le bras de fer entre le Gouvernement et la CGT.
Vous n’aurez mis qu’un pied dans le XXIe siècle et vous l’avez retiré précipitamment. Nous vous proposons d’y revenir avec nous ! Quitte à faire usage du 49.3, autant le faire pour une réforme ambitieuse,…
M. Michel Savin. Très bien !
M. Alain Milon. … une réforme absolument nécessaire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, l’économie française a laissé passer le train de la reprise, pour n’avoir pas su prendre celui de la réforme.
Je parle d’une réforme nécessaire, mais aussi d’une réforme cohérente.
Oui, certaines mesures figurant dans votre projet méritent, selon nous, d’être maintenues. Nous les avons donc conservées : durée maximale quotidienne de travail portée à 12 heures, au lieu de 10 actuellement, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise ; réforme de la médecine du travail ; possibilité de passer à une moyenne hebdomadaire de travail de 46 heures, au lieu de 44, sur 12 semaines.
À cela, s’ajoute la mesure phare du projet de loi, sans doute la plus emblématique : l’article 2 et le principe d’inversion de la hiérarchie des normes, avec primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche.
Mais, parce que cela nous semblait essentiel, nous avons aussi rétabli le plafonnement des dommages et intérêts accordés aux prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;…
M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo !
M. Alain Milon. … la prise en compte du périmètre national en matière de licenciement économique ; la possibilité pour l’employeur de fixer les forfaits en heures ou en jours sans passer par un accord collectif, dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; l’augmentation de la durée maximale de travail de l’apprenti à 40 heures hebdomadaires ; la clôture du compte personnel d’activité au moment de la retraite de son titulaire ; enfin, la possibilité de déroger au repos quotidien de 11 heures, qui a été supprimée par nos collègues députés.
Mes chers collègues, nous sommes nombreux ici à penser que les reculs du Gouvernement ont conduit à l’adoption de mesures qui sont susceptibles de dénaturer l’esprit du texte, voire de conduire à l’inverse de l’objectif de simplification annoncé.
Vous êtes partis d’une ambition réformatrice pour arriver à un texte qui, sur bien des points, alourdirait le droit du travail. C’est un comble !
Voilà pourquoi il a été décidé, par la majorité sénatoriale, de supprimer le compte d’engagement citoyen,…
Mme Nicole Bricq. Il n’y a pas de quoi être fier !
M. Alain Milon. … de supprimer la généralisation de la garantie jeunes, d’aménager le dispositif sur les « accords offensifs », de simplifier le compte pénibilité,…
M. Michel Savin. Très bien !
M. Alain Milon. … de supprimer la représentativité syndicale dans les réseaux de franchisés, de conditionner l’augmentation de 20 % des heures de délégation des délégués syndicaux, d’améliorer le dispositif prévu pour les licenciements économiques, de rendre facultatif le mandatement syndical pour les TPE-PME.
Parallèlement, nous avons amélioré le texte par un rehaussement des seuils sociaux, la création d’un contrat de mission, l’assouplissement du recours au CDD, la possibilité de transformer en rémunération une semaine de RTT ou de congés, la fin des 35 heures en privilégiant la négociation, la suppression des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, la mise en place d’un rescrit en matière de droit du travail, la création de mesures en faveur des personnes handicapées, pour mieux les intégrer dans le monde du travail.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Alain Milon. Enfin, nous avons tenu à ajouter deux séries de mesures phares : un dispositif complet de développement de l’apprentissage…
M. Charles Revet. Très bien !
M. Alain Milon. … et la baisse du forfait social pour l’intéressement et la participation, afin de renforcer le pouvoir d’achat des salariés.
L’avant-projet de loi témoignait du fait que vous aviez pris conscience de la situation et que vous saviez où étaient les clés du problème. Malheureusement, le texte initial a heurté une partie de la gauche, qui ne s’attendait pas à un tel revirement de votre part.
En vérité, ces divergences de vues, parfois profondes, tiennent au fait que nous avons deux conceptions diamétralement opposées de l’entreprise et, sans doute, des rapports sociaux.
M. Jeanny Lorgeoux. Quel manichéisme !
M. Alain Milon. Il faut partir de la base, et non de la superstructure, une base qui correspond aux nouvelles formes de management, où la hiérarchie est de plus en plus horizontale et de moins en moins verticale. Nous sommes convaincus que les rapports de confiance favorisent la performance et le développement des entreprises, que c’est la richesse qui permet le partage. Et cette richesse, nous proposons de la partager : c’est tout le sens des amendements que nous avons votés sur la participation et l’intéressement.
Mes chers collègues, je conclurai en faisant nôtre cette phrase de Voltaire : « Les progrès de la raison sont lents, les racines des préjugés sont profondes ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)