M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour ma part, je voterai la proposition de loi. Nous avons déjà eu ce débat lors de l’examen des textes budgétaires, et j’avais alors soutenu l’idée d’un reporting transparent et rendu public pour les grandes entreprises internationales.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez raison : oui, il y a eu de véritables avancées, de réels progrès ! Néanmoins, au regard de l’urgence à combattre l’évasion fiscale, il me semble indispensable d’aller plus vite et plus loin.
Vous avez expliqué, à juste titre, que nous avions gagné la bataille de la transparence bancaire. Je rappelle que le tout premier amendement parlementaire visant à l’instaurer n’avait pas été accueilli dans l’euphorie générale. Déjà, à cette époque, les arguments que l’on entend aujourd'hui avaient été avancés : il vaut mieux une initiative européenne, la France ne peut pas agir seule, etc. Fort heureusement, le Gouvernement avait émis un avis favorable, considérant que l’adoption de cette mesure pouvait aider dans le rapport de force communautaire en indiquant la direction que devait prendre l’Union européenne. Aujourd'hui, nous pouvons adopter la même démarche s’agissant des grandes entreprises.
Ce reporting est également très important pour l’administration fiscale, et il sera bientôt mis en place. Dans ces conditions, pourquoi ne serait-il pas public ? De nombreux orateurs de tous bords ont souligné que la transparence était devenue une exigence démocratique à un moment où, quels que soient les pays, la suspicion vis-à-vis de l’ensemble des dirigeants se développait et fragilisait la démocratie.
Les députés du groupe socialiste ont, à deux reprises, voté un amendement du même ordre, et il vous a fallu tout votre talent et toute votre énergie pour les convaincre, en dernier ressort, de ne pas se ranger à cette proposition. Je ne doute pas que vous ayez à cette occasion convoqué auprès d’eux des arguments comparables à ceux que vous avez développés devant nous aujourd’hui.
Monsieur le secrétaire d'État, saisissez au contraire ce soutien parlementaire dans le rapport de force que la France doit mener au sein de l’Union européenne. Ce n’est pas parce que la Commission européenne a formulé une proposition que celle-ci sera retenue : certains pays s’y opposeront, et il va falloir créer un large front pour faire reculer ceux qui refusent cette logique.
Certes, on peut avoir un débat sur le seuil, mais une fois que la directive sera votée, il sera très difficile de le modifier – et je ne parle pas de l’abaisser à 40 millions d'euros. Or Jacques Chiron a bien souligné que le seuil de 750 millions d’euros était trop élevé.
Enfin, je tiens à exprimer ma grande perplexité sur l’explication constitutionnelle que vous nous avez donnée. Je schématise : cette disposition est anticonstitutionnelle quand la France la décide, mais devient constitutionnelle si l’Union européenne l’adopte ! Je sais bien que la France peut contester une décision européenne lorsque celle-ci touche au « socle spécifique », par exemple, celui de la laïcité.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
M. Roger Karoutchi. Oui, ça fait plus de trois minutes !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais vous avouerez tout de même qu’une telle explication fragilise fortement nos institutions aux yeux de nos concitoyens. Puisque certains ont des idées de modifications constitutionnelles, leur contribution sur ce point sera bienvenue ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l'article.
M. Marc Laménie. On comprend bien l’esprit de cette proposition de loi, qui a été présentée avec beaucoup de conviction par notre collègue Éric Bocquet. Il s’agit d’un sujet d’actualité qu’il est tout à fait important de mettre en évidence, car la lutte contre l’évasion fiscale est fondamentale. Voilà qui explique le dilemme que nous ressentons face à ce texte, entre son bien-fondé et ses modalités pratiques.
En effet, le seuil est une donnée cruciale, car cela détermine le nombre d’entreprises concernées. M. le rapporteur a rappelé les chiffres : plus de 5 000 entreprises et plus de 5,2 millions d’employés. Cela risque d’augmenter les contraintes administratives et de devenir une embûche supplémentaire pour les dirigeants, quelle que soit la taille de leur entreprise, en particulier pour les plus petites d’entre elles.
Dans le même temps, nous avons conscience qu’il faut prendre des mesures en faveur de la transparence fiscale et de la lutte contre l’évasion fiscale. À cet égard, il faut souligner le travail accompli par les différents services de l’État.
Reste que, sur l’article 1er, à titre personnel, je me rallierai à la position du rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. J’appelle l’attention de mes collègues sur un phénomène psychologique assez commun dans toute assemblée parlementaire, en particulier la nôtre, à savoir que l’hémisphère gauche ignore ce que fait l’hémisphère droit.
Du côté de l’hémisphère gauche, tout le monde reconnaît que nous sommes là face à un problème essentiel. Pas besoin de vous faire un dessin : 60 milliards à 80 milliards d’euros d’évasion fiscale, ça correspond à peu près au déficit du pays ! Cette question est donc tout sauf anodine, tout le monde est d’accord là-dessus. Et, même si l’on chipote sur les détails, on reconnaît à peu près tous que ce texte est opportun.
Cette proposition de loi demande un peu de lumière. Elle ne demande pas de supprimer les paradis fiscaux. D’abord, on ne pourrait pas, parce que le traité européen sur le fonctionnement de l’Union européenne s’y oppose :…
M. Michel Bouvard. Bien sûr !
M. Pierre-Yves Collombat. … on ne peut pas limiter ou contrôler les flux de capitaux ; pour avoir une politique fiscale européenne commune, il faut l’unanimité des États membres… Autant dire que c’est pour faire joli !
Du côté de l’hémisphère droit, là, tout change :…
M. Roger Karoutchi. Allons donc !
M. Pierre-Yves Collombat. … il n’y a aucune urgence. En France, le ministère des finances et le Parlement ont déjà fait un boulot absolument extraordinaire, si bien qu’il n’y a plus de problèmes…
Du côté de l’Union européenne, comme d’habitude, c’est en train, et des directives sont en préparation. D’ailleurs, c’est M. Juncker qui y veille ; c’est vous dire si c’est un fin connaisseur ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.)
Mme Cécile Cukierman. Excellent !
M. Pierre-Yves Collombat. On nous dit aussi que, pour aller loin, il faut être plusieurs. C’est vrai, mais à condition qu’on aille tous dans la même direction, ce qui n’est pas sûr ! (Nouvelles exclamations amusées sur les mêmes travées.)
J’ai beaucoup aimé le dernier argument qui a été avancé, qui est d’ordre juridique : on ne peut pas, parce que ce n’est pas constitutionnel. Je n’ai pas tout compris…
M. Pierre-Yves Collombat. Faire la loi, si je pouvais, je la ferais ! (Rires sur les mêmes travées.)
Tout se passe comme si le politique n’existait plus ! Aujourd'hui, ce sont le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, accessoirement ce qui se passe à Bruxelles, qui font la loi.
Vous l’aurez compris, je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Dominati, rapporteur. Je remercie tous ceux qui ont participé activement à ce débat. Sur ce sujet, nous avons tous le même objectif, mais nous n’appréhendons pas forcément les modalités et le rythme de la même manière. Je souhaite par conséquent apporter quelques précisions.
L’article 1er de la proposition de loi fixe un seuil. Or, au cours du débat, la question de la compétitivité de nos entreprises à l’exportation n’a pas été suffisamment abordée. Monsieur Foucaud, ce seuil me préoccupe. Selon vous, une entreprise de 250 salariés qui réalise un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros, c’est déjà une grosse entreprise. C’est sans doute le cas à l’échelle régionale ou nationale, mais, à l’échelon international et plus encore en matière d’exportation, c’est loin d’être vrai. L’OCDE a défini un seuil de 750 millions d'euros, dans un contexte de relations internationales ; il faut donc a priori partir de là.
La commission a auditionné des dirigeants d’entreprise du secteur automobile. Je ne prendrai l’exemple que d’une seule d’entre elles, qui ne propose que quatre ou cinq produits. Elle veut s’implanter dans un pays d’Europe centrale, sur un marché assez petit. Si, à cause du seuil fixé par cette proposition de loi, elle doit communiquer des informations, elle deviendra moins compétitive et moins agressive à l’exportation. Ce point concerne un grand nombre d’entreprises.
La notion de seuil peut paraître simple pour beaucoup. En réalité, on ne prend pas assez en compte le fait que les entreprises françaises n’exportent pas suffisamment par rapport à celles d’autres grands partenaires européens.
Le seuil retenu pose un autre problème, au-delà de l’argument constitutionnel. J’ai cru comprendre que certains de nos partenaires européens, notamment l’Allemagne, étaient pour l’instant réticents à l’idée d’une communication des données à tout public. Il ne faudrait pas que la France, en voulant aller trop vite, ne puisse pas les convaincre.
Dans ce domaine, l’Union européenne est en pointe et, au sein de l’Union européenne, la France est en pointe. Toutefois, n’oublions pas que deux autres grandes zones dans le monde n’avancent pas au même rythme : l’Amérique du Nord et l’Asie. À vouloir être en permanence en avance et exemplaire, on se retrouve en dehors du rythme.
M. Thierry Foucaud. Et les conséquences ?
M. Philippe Dominati, rapporteur. L’article 2 a trait à la communication publique des données. Or, là encore, le seuil peut influencer nos partenaires européens et les inciter à ne pas aller aussi loin.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l’article.
M. Éric Bocquet. Les interventions nuancées des uns et des autres, quelles que soient les travées, montrent bien l’intérêt que suscite un tel débat. Ce sujet nous préoccupe tous ! Je rappelle d’ailleurs que les membres des deux dernières commissions d’enquête sur ce thème, présidées respectivement par Philippe Dominati et François Pillet, ont adopté à l’unanimité leurs conclusions.
On a beaucoup évoqué les « Panama papers ». Et pour cause ! Chacun se souvient du choc de ces révélations. Rappelons néanmoins qu’il ne s’agit que d’un seul cabinet dans un seul paradis fiscal.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Éric Bocquet. À Chypre, on dénombre 20 000 avocats fiscalistes. Or, Chypre, c’est l’Union européenne ! Malheureusement, il faut s’attendre à ce que, demain, d’autres scandales surgissent : JerseyLeaks, SingapourLeaks, HongKongLeaks, BermudesLeaks…
Adopter ce texte contribuerait donc à la lutte globale contre l’évasion fiscale. Dans ce domaine, notre pays doit être pilote. Or je peux dire, sans exagérer son poids, que la France est entendue, en tout cas écoutée. Elle peut donc avoir un rôle déterminant au sein de l’Union européenne, et même à l’échelle internationale, car c’est bien évidemment à cette échelle qu’il faut mener ce combat.
Ce matin, nous avons entendu Mme la procureur du Parquet national financier, une personne de très grande valeur, dont la qualité de l’intervention nous a tous frappés.
M. Michel Bouvard. Tout à fait !
M. Éric Bocquet. Ce fut une audition extrêmement enrichissante. Après deux ans d’existence du Parquet national financier, Mme Houlette constate « une coopération internationale qui demeure chaotique et lente ». Je ne parle pas de l’insuffisance en moyens humains, autre sujet tout aussi important. Elle a cité des pays à fort secret bancaire pour lesquelles la coopération judiciaire s’est révélée infructueuse. Nous avons demandé des noms, nous les avons obtenus : la Russie, le Qatar, l’île Maurice, la Suisse.
Si nous n’aidons pas ces pays à faire preuve de bonne volonté pour qu’ils transmettent leurs données, nous allons devoir attendre longtemps, très longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 225 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 33 |
Contre | 305 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
Au premier alinéa du II de l’article L. 611-2 du même code, après la référence : « L. 910-1 A », sont insérés les mots : « ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir ».
M. le président. Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur le fait que, si l’article 2 n’était pas adopté, il n’y aurait pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il ne faut pas tourner en ridicule les arguments constitutionnels. Deux d’entre vous au moins l’ont fait, ce que je trouve un peu surprenant.
Je voudrais revenir sur mes explications pour ceux qui n’étaient pas présents lorsque je me suis exprimé dans la discussion générale. (Murmures sur les travées du groupe CRC.)
Le Conseil constitutionnel a validé la procédure entre administrations sous réserve qu’elle ne soit pas publique, sinon cela remettrait en cause la liberté d’entreprendre.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est un scandale de dire ça !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. C’est le considérant du Conseil constitutionnel que j’ai lu à la tribune. Je peux, si vous le souhaitez, vous transmettre le texte.
M. Pierre-Yves Collombat. Non, non, je vous crois !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous dites que c’est un scandale – je vous laisse la liberté de vos propos –, mais, je le répète, c’est ce qu’affirme le Conseil constitutionnel, garant de l’adéquation de la loi par rapport à la Constitution, ainsi que l’a lui-même prévu le texte constitutionnel.
Nous nous sommes demandé – car nous sommes favorables au dispositif – si cela fermait la porte à la possibilité d’avoir, un jour, ce reporting public, tel qu’il semblerait que beaucoup de gens le souhaitent. La seule disposition que nous avons trouvée pouvant être opposée à cette réserve du Conseil constitutionnel, c’est l’obligation constitutionnelle qui nous est faite de transcrire les directives européennes. Voilà l’argument que j’ai développé ! Dans ces conditions, à quoi bon dire « personne n’y comprend rien » ou « c’est n’importe quoi » ?
Par conséquent, je le redis, il nous semble que seule l’adoption d’une directive européenne peut nous permettre de contourner l’objection émise par le Conseil constitutionnel. Nous avons en effet l’obligation de transcrire les directives européennes dès lors qu’elles ne vont pas à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Il nous apparaît que la liberté d’entreprendre n’en fait pas partie.
Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant qu’il fallait vous opposer un argument juridique, ce n’est ni mon métier ni ma formation. C’est après avoir travaillé avec nos services juridiques les plus pointus que j’ai développé cette argumentation, afin qu’elle puisse servir de point d’appui à un certain nombre de réflexions, y compris celles du Conseil constitutionnel.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
M. le président. Les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale n’est pas adoptée.
6
Nomination de membres d’une mission d’information
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidats pour la mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, la liste des candidats est ratifiée, et je proclame membres de la mission d’information : MM. Michel Amiel, Pierre Camani, Daniel Chasseing, René Danesi, Serge Dassault, Mme Annie David, M. Jean Desessard, Mmes Chantal Deseyne, Élisabeth Doineau, Nicole Duranton, Frédérique Espagnac, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-François Husson, Éric Jeansannetas, Dominique de Legge, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, Patricia Morhet-Richaud, MM. Robert Navarro, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, M. Yves Rome, Mme Patricia Schillinger, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle et Yannick Vaugrenard.
7
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires étrangères a émis un vote favorable - 22 voix pour, 5 voix contre, 10 bulletins blancs ou nuls - à la nomination de M. Rémy Rioux aux fonctions de directeur général de l’Agence française de développement.
8
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration du Centre scientifique et technique du bâtiment.
La commission des affaires économiques propose la candidature de M. Bruno Sido.
La candidature été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
9
Contrôles d'identité abusifs
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain et citoyen, de la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 257, résultat des travaux de la commission n° 599, rapport n° 598).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi.
Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je veux remercier M. le rapporteur pour son travail, bien que je ne partage évidemment pas ses conclusions, tout en regrettant – comme je lui en ai fait part – que la liste des personnes et organismes qui ont été auditionnés n’ait pas été élargie, notamment aux associations de protection des droits de l’homme.
Cela dit, je vous rappelle que, depuis le rapport Guichard de 1976 jusqu’au rapport de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, l’INHESJ, sur la Seine-Saint-Denis en 2007, l’éloignement progressif entre police et population n’a cessé d’être mis en avant. Aujourd’hui, la situation est par endroits très dégradée avec des conséquences négatives sur les citoyens, sur les services de police et de gendarmerie et, finalement, pour la sécurité de tous.
Si, en France, l’absence de collecte de données et de trace des contrôles d’identité rend impossible toute évaluation de l’usage abusif des contrôles d’identité, de nombreuses publications attestent cependant de la réalité des contrôles au faciès et révèlent leur inefficacité, au-delà de leur caractère humiliant, ce que dénoncent depuis des décennies les acteurs de terrain. À cet égard, je vous invite à prendre connaissance du rapport édifiant du collectif Stop le contrôle au faciès, intitulé Les maux du déni, qui rend compte de cinq ans de contrôles abusifs rapportés par les victimes et leurs familles. Je tiens ici à saluer le sérieux de leur travail. Leur action et leur combat engagés pour plus d’égalité en France sont plus que jamais nécessaires.
Aujourd’hui, l’existence des contrôles d’identité discriminatoires dits « au faciès » est une réalité incontestable.
Comme le révèle également l’étude menée conjointement par des chercheurs du CNRS et Open Society Justice initiative, en moyenne, une personne noire a six fois plus de risque qu’une personne blanche de subir un contrôle d’identité et une personne « arabe » huit fois plus. De surcroît, ces contrôles abusifs viennent au quotidien s’ajouter à la liste des discriminations dont sont victimes beaucoup de nos concitoyens : discrimination à l’embauche, discrimination à l’accès au bail, etc., véritables « cérémonies permanentes de dégradation » selon leurs propres mots.
Dernière « preuve » implacable des dérives d’un tel outil : la condamnation de l’État, le 24 juin 2015, par la cour d’appel de Paris, sur laquelle reviendra ma collègue Laurence Cohen dans la discussion générale.
Avant d’aller plus loin, je voudrais être claire sur un point : l’ambition de cette proposition de loi n’est pas de remettre en cause l’usage ciblé et approprié des contrôles d’identité dans un objectif de prévention et de répression de la délinquance. Au contraire, l’un des objectifs de notre proposition de loi est d’améliorer les relations entre la police et la jeunesse, pour qui, surtout dans nos quartiers, le premier contact avec l’État et la République est soit l’école, soit la police ! À cet égard, je rappelle la grande nécessité de « rétablir » une police de proximité.
Il serait injuste de parler de la police dans sa généralité et de penser que tous les policiers sont unanimes sur le sujet. Nombre d’entre eux sont favorables à une révision de l’article 78-2 du code de procédure pénale et à l’expérimentation de la remise d’un récépissé lors des contrôles.
Aujourd’hui, la discussion de notre proposition de loi se télescope avec la manifestation des policiers appelés par Alliance à protester contre leur stigmatisation. Nous comprenons, j’y insiste, l’exaspération des policiers surmenés qui ne comprennent plus le sens de leur mission. Fonctionnaires de police et de gendarmerie souffrent, eux aussi, de cette détérioration des relations avec les citoyens.
M. Loïc Hervé. Il n’y a pas que ça !
Mme Éliane Assassi. La remise d’un récépissé permettrait aussi de les protéger et de leur donner un cadre mieux délimité dans leur mission afin qu’ils s’emploient par ailleurs plus efficacement à leur travail d’enquête.
Mais, comme chacun le sait, la politique du chiffre n’est pas de leur fait. Le principe d’efficacité de la police, entériné par Nicolas Sarkozy, est parvenu à faire de nos anciens « gardiens de la paix » des « forces de l’ordre » : changement sémantique particulièrement éloquent et révélateur de la désincarnation de notre police et de la tentative d’instrumentalisation de leur travail à des fins politiques.
À ce sujet, je vous invite à lire La force de l’ordre, sous-titrée Une anthropologie de la police des quartiers, de Didier Fassin, qui est par ailleurs professeur de sciences sociales. Loin des imaginaires que nourrissent le cinéma et les séries télévisées, il raconte le désœuvrement et l’ennui des patrouilles, la pression du chiffre et les doutes sur le métier, les formes invisibles de violence et les manifestations méconnues de discriminations. Inscrivant ces pratiques policières dans les politiques qui les rendent possibles, il montre qu’elles visent à protéger moins la sécurité de nos concitoyens qu’un certain ordre social.
Face à ces constats, il apparaît urgent de rétablir une sécurité juridique et une utilisation efficace de ces contrôles en modifiant l’article 78-2 du code de procédure pénale. L’imprécision de sa rédaction actuelle favorise des dérives, limite l’efficacité de toute autre mesure et contribue aux violations graves et répétées des droits fondamentaux, comme la liberté de circulation, la protection contre l’arbitraire, la protection de la vie privée ou encore la non-discrimination.
C’est là l’essentiel de notre proposition de loi : remplacer les mots « raisons plausibles de soupçonner » par les mots « raisons objectives et individualisées ». Il s’agirait là d’un changement de paradigme incontestable : insuffler un nouveau sens à ces contrôles, changer les mentalités et, dans l’idéal et dans la continuité de notre proposition de loi, revoir la formation des agents de police.
Par ailleurs, nous souhaitons également l’introduction, qui pourrait apparaître comme évidente, de la non-discrimination dans les motifs de contrôles, au sens de l’article 225-1 du code pénal, qui définit la notion de « discrimination ».
Enfin, nous proposons qu’une mesure, qui a fait la preuve de son efficacité, fasse l’objet d’une expérimentation sur le territoire, au titre de l’article 37-1 de la Constitution, c'est-à-dire la remise d’un document spécifiant le motif du contrôle, ainsi que les modalités de garantie de l’anonymat des personnes contrôlées.
En réponse aux « nombreuses difficultés juridiques » et aux « conséquences particulièrement dommageables pour l’ordre public » dont serait porteuse notre proposition de loi, aucune autre alternative n’a été proposée, aucune amélioration ou réécriture n’a été faite par M. le rapporteur, dont l’argumentation s’est cantonnée à des éléments juridiques purement techniques. Mais personne n’est dupe, mes chers collègues, le juridique sert le politique et non l’inverse !
En feignant de ne pas comprendre ce que signifient les « raisons objectives et individualisées », vous avez, aussi simplement que faussement, assimilé notre proposition de loi à une suppression des dispositifs de contrôle d’identité nécessaires, ce que nous pourrions qualifier de « mauvaise foi ».
Ce discrédit, ce mépris à notre endroit, mais aussi et surtout à l’endroit des associations et des acteurs de terrain qui travaillent au quotidien sur le sujet, sont particulièrement regrettables, sans pour autant être étonnants, compte tenu du climat ambiant. L’ère de la suspicion est bien entamée comme en attestent les dernières lois sécuritaires et inégalitaires, telles celles qui concernent la sécurité dans les transports, ou encore la criminalité organisée et le terrorisme, pour lesquelles nous avions également suggéré, par voie d’amendements, les modifications législatives que porte la présente proposition de loi. Or ces amendements considérés comme peu sérieux par les temps qui courent ont été balayés d’un revers de main.
Dans la droite ligne de la politique pénale de M. Sarkozy, le Gouvernement s’enferme dans une politique du tout-sécuritaire dont il ne recherche même plus l’issue ; au contraire, il persiste et signe, faisant fi des engagements chimériques du candidat François Hollande. Mais, comme nous l’a fait remarquer M. Bigot en commission des lois, nous les avons sans doute mal lus, comme d’autres textes, d'ailleurs, que nous aurions mal lus. L’engagement n° 30 nous semblait pourtant clair : « Lutter contre le “délit de faciès” lors des contrôles d’identité avec une nouvelle procédure respectueuse des citoyens. »
Une circulaire contre les « délits de faciès » lors des contrôles devait être envoyée avant le 29 juin 2012, selon l’agenda du changement. Si nous étions positifs, nous parlerions de retard, mais nous ne sommes pas naïfs : cet engagement, comme celui concernant, par exemple, le droit de vote pour les résidents étrangers, ne sera tout bonnement pas respecté.
L’attitude de nos collègues socialistes nous étonne, d’autant plus lorsqu’un de nos collègues centristes, M. Pozzo di Borgo, propose, en dehors de toute posture politique, d’améliorer la situation par son amendement.
Toutefois, sans même parler de promesses, il est un article de la Constitution qui semble plus perméable à la sagacité du Gouvernement. Il s’agit du tout premier, qui garantit que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Nous ne nous faisons pas d’illusions sur le devenir de cette proposition de loi au sein de cet hémicycle, les échanges en commission des lois ayant déjà été édifiants ; mais nous sommes convaincus que cette initiative, qui dépasse déjà les murs du Parlement, aboutira tôt ou tard à de réelles évolutions vers plus d’égalité. Cela ne fait aucun doute. Là où la société civile décide de lever l’omerta, les politiques et les idéologies en place sont bousculées et finissent par faiblir.
Avec cette proposition de loi, nous accompagnons et nous soutenons un mouvement bien plus large. Il est encore temps, mes chers collègues, de le rejoindre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)