M. Thierry Foucaud. La recherche constitue de longue date un secteur d’activité essentiel pour la compétitivité de notre économie.
L’investissement important de la puissance publique dans la recherche, même s’il connaît quelques difficultés depuis plusieurs années, appelle à notre sens le développement, de manière conjointe, d’un effort de recherche significatif de la part des secteurs productifs de l’économie marchande, pouvant être soutenu par la dépense fiscale.
À cet égard, il existe trois dispositifs en matière de financement de la recherche dans le secteur marchand. J’évoquerai ici celui du crédit d’impôt recherche, devenu, depuis 2007, l’une des principales dépenses fiscales minorant le produit de l’impôt sur les sociétés et celui de l’impôt sur la fortune, sans que le moindre document officiel ou le moindre rapport d’observation puisse permettre d’établir une corrélation entre l’accroissement des dépenses de recherche et la progression du montant du CIR, qui est, au demeurant, continue.
Un rapport sénatorial, qui n’a – hélas ! – pas été publié, a même établi que le crédit d’impôt recherche était devenu, avec le temps et étant donné la rareté des contrôles a posteriori, un instrument d’optimisation fiscale parmi d’autres.
Aujourd'hui, le crédit d’impôt recherche consomme à lui seul 10 % du produit brut de l’impôt sur les sociétés. Il ne saurait être question de laisser perdurer une situation où la hausse de la dépense fiscale semble quasiment incontrôlée et n’offre aucune garantie quant à la qualité des recherches menées, ni en matière d’emploi des chercheurs.
Cet amendement vise simplement à revenir à la situation antérieure à ce que l’on a appelé la « réforme Sarkozy ».
Mme la présidente. L'amendement n° I-339, présenté par M. Gattolin, Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 5 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le premier alinéa du I de l’article 244 quater B du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le seuil de 100 millions d’euros s’apprécie au niveau du groupe au sens de l’article 223 A. »
II. – Le présent article s’applique à compter des périodes d’imposition s’achevant le 31 décembre 2015.
La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Comme se plaît souvent à le souligner M. le secrétaire d’État, les amendements relatifs au crédit d’impôt recherche constituent des « marronniers » budgétaires. La raison en est que, pour défendre ce dispositif, le Gouvernement se borne, pour l’essentiel, à invoquer le dogme de la sanctuarisation. S’agissant d’une niche aussi coûteuse, qui s’ajoute à d’autres, nous ne saurions nous satisfaire de ce seul argument.
Ce sont les plus grandes entreprises qui captent la plus grande part du CIR. Ainsi, en 2011, alors que 19 700 entreprises bénéficiaient du CIR, une vingtaine de groupes seulement se partageaient environ le quart des 6 milliards d’euros de la dépense fiscale.
Cela n’aurait bien sûr rien de dérangeant si cette captation du crédit d’impôt recherche s’accompagnait d’un développement proportionnel des activités de recherche, qui témoignerait de l’efficacité du CIR. Mais il n’en est rien !
Entre 2007 et 2012, les dépenses de recherche et développement des grandes entreprises ont augmenté de 15 %, soit bien moins que celles des PME, qui ont, elles, progressé de 53 %. Or le montant du CIR a connu une évolution inverse : sur la même période, il a augmenté de 183 % pour les PME et de 482 % pour les grandes entreprises ! On voit bien là quel effet d’aubaine permet ce dispositif pour les grandes entreprises, qui l’utilisent à l’évidence à d’autres fins que le financement de la recherche.
C’est pourquoi cet amendement prévoit que le respect du seuil de 100 millions d’euros pour le CIR s’apprécie à l’échelon du groupe.
Sur ce sujet, on fait souvent dire au rapport de la Cour des comptes qu’il n’existerait pas de pratiques d’optimisation de la part des grands groupes.
D’abord, les chiffres que je viens de citer à l’instant et qui prouvent le contraire émanent précisément de cette institution. Surtout, si, aux termes de ce rapport, que je vous invite à consulter, il ne semblerait pas y avoir de création de filiales dans le seul but de percevoir davantage de CIR, il n’est pas indiqué, en revanche, que les grands groupes n’utilisent pas leurs filiales déjà existantes, réelles ou virtuelles, pour pratiquer l’optimisation.
Que l’on me comprenne bien : nous ne voulons pas supprimer le CIR. Nous considérons que la recherche, y compris celle du secteur privé, doit être soutenue. Nous pointons simplement le fait que le crédit d’impôt recherche est largement détourné de son objet.
Mme la présidente. L'amendement n° I-358, présenté par Mme Bouchoux, M. Gattolin, Mme Blandin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 5 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l’article 244 quater B du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si le crédit d’impôt dont peut bénéficier l’entreprise est supérieur ou égal à un million d’euros, le bénéfice du crédit au-dessus de cette valeur est conditionné à la création d’emplois nouveaux, en contrat à durée indéterminée, à destination de titulaires d’un diplôme de doctorat au sens de l’article L. 612-7 du code de l’éducation. L’entreprise déclarante bénéficie d’un million d’euros de créance pour chaque emploi nouveau ainsi créé, dans les limites définies par le calcul du crédit éligible suivant les dispositions énoncées dans le présent article. »
La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Le doctorat, qui sanctionne une « formation à la recherche et par la recherche », selon le code de l’éducation, constitue le plus haut diplôme reconnu au niveau international.
Toutefois, force est de constater que les docteurs demeurent sous-représentés au sein des entreprises, et ce malgré la mise en place et le développement du crédit d’impôt recherche.
À titre d’exemple, en 2011, seulement 12 % des chercheurs en entreprise étaient titulaires d’un doctorat, 55 % d’entre eux étant diplômés d’une école d’ingénieurs ou d’une autre grande école. Le constat est d’autant plus inquiétant que le taux de docteurs, parmi les chercheurs en entreprise, est en baisse constante depuis quinze ans.
Or les chercheurs doivent jouer un rôle majeur pour que la recherche-développement soit performante. Dans cette optique, il convient de redonner sa juste place aux titulaires d’un doctorat.
C’est pourquoi le groupe écologiste du Sénat affirme avec constance que le CIR doit constituer un véritable levier pour la promotion de l’emploi des docteurs dans le domaine de la recherche-développement privée.
Cette affirmation a été corroborée par le Comité pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur, qui entend favoriser l’augmentation du nombre des docteurs et le développement de l’emploi scientifique.
Dans cette perspective, ce comité recommande, dans un rapport publié à la rentrée dernière, de « conditionner l’octroi du CIR à l’embauche de nouveaux docteurs ». Telle est la proposition que nous soumettons à l’examen du Sénat.
Thierry Mandon lui-même, nouveau ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a déclaré le 4 novembre dernier, devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication de notre assemblée, que, même si le Président de la République s’était engagé sur la stabilité du CIR pour une période de cinq ans, rien n’empêchait de mener une réflexion à plus long terme sur ce crédit d’impôt et ses effets en matière d’emploi des jeunes chercheurs, en vue de « répondre à la question de la bonification de la recherche privée dans notre pays ».
Si le CIR a été sanctuarisé dans son principe, rien n’empêche, en effet, de s’attacher à le rendre plus vertueux. C’est dans cet esprit que les écologistes proposent de subordonner son bénéfice à l’emploi de docteurs.
Mme la présidente. L’amendement n° I-217, présenté par MM. Bouvard et Raison, est ainsi libellé :
Après l’article 5 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le 6° du d du II de l’article 244 quater B du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Des instituts techniques liés aux professions mentionnées à l’article L. 830-1 du code rural et de la pêche maritime, ainsi qu’à leurs structures nationales de coordination. »
II. – Le I ne s’applique qu’aux sommes venant en déduction de l'impôt dû.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Michel Bouvard.
M. Michel Bouvard. Il s’agit d’un amendement de cohérence, visant à tirer les conséquences de l’article 64 de la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a inscrit les instituts techniques agricoles dans le code de la recherche, leur reconnaissant un rôle équivalent à celui des centres techniques industriels. Plus précisément, il s’agit d’étendre aux instituts techniques agricoles, ainsi qu’aux instituts techniques agro-industriels et à leurs structures nationales de coordination, le régime de doublement dont les centres techniques industriels bénéficient depuis 2006 en matière de crédit d’impôt recherche.
Pour une fois, nous suivons une démarche vertueuse, puisque nous avons attendu l’examen du projet de loi de finances pour tirer les conséquences fiscales de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Mes chers collègues, la vertu mérite qu’on l’encourage !
M. Richard Yung. Vive la vertu !
Mme la présidente. L’amendement n° I-325 rectifié, présenté par Mme Gonthier-Maurin, M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 5 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le III bis de l’article 244 quater B du code général des impôts, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Le crédit d’impôt pour dépenses de recherche mentionné au présent article n’est pas cumulable avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi mentionné à l’article 244 quater C. »
II. – Le présent article s’applique à compter des périodes d’imposition s’achevant le 31 décembre 2015.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement est la traduction d’une recommandation que j’ai formulée en tant que rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays. Si la commission d’enquête n’a pas adopté mon projet de rapport, nos travaux ont reflété des préoccupations bien réelles, dont certaines viennent d’être exprimées par M. Gattolin, et inspiré des propositions permettant à tout le moins d’encadrer un dispositif dont l’efficacité n’est pas prouvée et qui, parce que trop aveugle, n’est pas, en réalité, sécurisé.
Le projet de loi de finances pour 2016 établit à 5,5 milliards d’euros le montant de la créance résultant du CIR au titre de 2014. Décréter la sanctuarisation d’un dispositif aussi coûteux ne saurait suffire pour couper court aux interrogations et au débat. Au contraire, son évaluation est d’autant plus nécessaire que, incontestablement, les données macroéconomiques ne sont pas rassurantes quant à la conformité aux intentions du législateur des effets qu’il entraîne sur l’effort de recherche-développement réellement consenti par les entreprises et, partant, sur l’emploi scientifique.
Alors que la charge du CIR a considérablement augmenté du fait de la réforme menée durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy – elle est passée de 1,8 milliard à 5,3 milliards d’euros entre 2007 et 2012 –, la dépense intérieure de recherche et de développement des entreprises implantées en France, la DIRDE, n’a pas crû au même rythme. En effet, tandis que la créance associée au CIR s’est alourdie de 3,5 milliards d’euros durant cette période, la DIRDE n’a progressé que de 5,3 milliards d’euros, alors qu’elle aurait dû s’accroître de 10,5 milliards à 14 milliards d’euros, compte tenu du taux de couverture des dépenses de recherche et de développement par le crédit d’impôt recherche. C’est la preuve qu’un débat est nécessaire ! Pourquoi refuser l’exigence de contrôle et d’évaluation de cette dépense fiscale, quand la dépense budgétaire directe est, elle, régulièrement examinée ?
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le présent amendement vise à mettre un terme à la possibilité, pour les entreprises, de cumuler les avantages fiscaux liés au CIR et au CICE ; selon la Cour des comptes, ce chevauchement porte sur une assiette comprise entre 400 millions et 600 millions d’euros et coûte à l’État entre 120 millions et 200 millions d’euros au titre du CIR.
Mme la présidente. L’amendement n° I-248, présenté par MM. Requier, Mézard, Collin, Amiel, Arnell, Barbier, Castelli, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et M. Vall, est ainsi libellé :
Après l'article 5 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 244 quater B du code général des impôts est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Les dépenses engagées dans le cadre des contrats de fouilles archéologiques prévus à l’article L. 523-9 du code du patrimoine n’ouvrent pas droit à ce crédit d’impôt. »
II. – Le I s'applique à compter du 1er septembre 2016.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le crédit d’impôt recherche a vocation à soutenir les efforts des entreprises en matière de recherche et développement, et non à subventionner un secteur d’activité. Or, depuis les années 2012 et 2013, un nombre croissant d’entreprises privées du secteur de l’archéologie préventive y ont recours pour réduire leurs coûts. Ces entreprises s’appuient sur la définition extrêmement large que donne l’article 244 quater B du code général des impôts de l’activité de recherche et développement pour profiter d’un pur effet d’aubaine, alors qu’il s’agit de surcroît d’une activité économique non délocalisable.
Une étude portant sur quatre entreprises agréées représentant environ 25 % du chiffre d’affaires annuel du secteur de l’archéologie préventive privée a fait apparaître que celles-ci avaient sollicité, en 2014, pour près de 1 million d’euros de crédit d’impôt recherche. Extrapolée à l’ensemble du secteur, dont Martine Faure, députée de Gironde, évalue le chiffre d’affaires annuel à environ 35 millions d’euros, cette donnée conduit à évaluer entre 3 millions et 4 millions d’euros le montant des aides publiques accordées chaque année aux sociétés privées d’archéologie préventive, qui, naturellement, répercutent ces aides sur leurs prix.
Cette « spirale déflationniste » dénoncée par Mme Faure dans son rapport « Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive » provoque une distorsion de concurrence évidente entre, d’une part, les acteurs privés de l’archéologie préventive, et, d’autre part, les services archéologiques des collectivités territoriales et l’Institut national des recherches archéologiques préventives, l’INRAP, qui ne peuvent prétendre aux mêmes aides.
C’est pourquoi nous proposons de rétablir l’égalité devant l’impôt des opérateurs intervenant sur le marché de l’archéologie préventive en excluant de l’assiette de calcul du CIR l’ensemble des dépenses engagées dans le cadre des contrats de fouilles d’archéologie préventive. Cette mesure n’entrerait en application qu’au 1er septembre 2016, ce qui laisserait aux opérateurs privés agréés le temps de prendre leurs dispositions. Par ailleurs, les opérateurs privés agréés conserveraient la possibilité de bénéficier du CIR pour toutes les dépenses réelles de recherche et développement qu’ils engagent en dehors des opérations d’archéologie préventive, dans le cadre notamment de fouilles programmées ou du développement de nouveaux procédés.
Sans être un fanatique de l’archéologie préventive, j’estime qu’il est nécessaire d’assurer l’égalité entre les acteurs publics et les acteurs privés de ce secteur !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Si la France est loin d’être le pays d’Europe le plus compétitif sur le plan fiscal et si nombre de ses dispositifs dans ce domaine sont critiquables, il en est un qui, pour le coup, nous distingue favorablement : le crédit d’impôt recherche. C’est si vrai que, lors du séminaire de travail que la commission des finances a organisé en juin dernier à Toulouse, les représentants d’Airbus et des autres entreprises, implantées dans tous les pays d’Europe, que nous avons rencontrés nous ont clairement indiqué que cet outil avait permis non seulement le maintien, mais parfois même la relocalisation, d’activités dans notre pays. Dans les arbitrages opérés pour l’implantation des centres de recherche, nous a-t-on expliqué, le crédit d’impôt recherche procure à la France un avantage compétitif réel. Par pitié, donc, ne touchons pas à un dispositif qui fonctionne !
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. À quel prix ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Les uns et les autres, nous plaidons pour la stabilité fiscale. Gardons-nous donc de modifier un dispositif qui a fait la preuve de son efficacité et qui permet à la France de maintenir sur son territoire un haut niveau de recherche.
La commission, soucieuse de le préserver et d’offrir aux entreprises une certaine visibilité, a émis un avis défavorable sur l’amendement n° I-164 rectifié, qui vise à supprimer l’ensemble des modifications ayant été apportées au CIR depuis 2007.
Les auteurs de l’amendement n° I-339 proposent que les dépenses de recherche des filiales soient prises en compte à l’échelon du groupe pour le calcul du crédit d’impôt recherche. Pour soutenir la nécessité de déterminer le respect du seuil de 100 millions d’euros au niveau du groupe, M. Gattolin a fait état, en commission, de pratiques d’optimisation fiscale dont j’ignore si elles sont avérées. Je me suis simplement référé au rapport établi en 2013 de la Cour des comptes et intitulé « L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche », qui ne signale rien de notable à cet égard. La commission souhaiterait entendre l’avis du Gouvernement sur cette question.
L’amendement n° I-358 vise à conditionner le bénéfice du CIR, au-delà de 1 million d’euros, à la création d’emplois nouveaux à destination de titulaires d’un diplôme de doctorat. Encourager le recrutement de docteurs est certainement une bonne chose, mais cette mesure serait-elle une incitation vraiment efficace ? La commission craint qu’elle n’ait surtout pour effet de compliquer encore le calcul du CIR et d’aggraver l’instabilité fiscale que nous souhaitons combattre, d’où son avis défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° I-217, la commission n’a pas pu apporter de réponse à la question intéressante posée par M. Bouvard relativement au doublement du CIR. Selon la doctrine fiscale, ce doublement serait possible pour les centres techniques industriels, mais non pas, à ce jour, pour les instituts techniques agricoles : on peine à comprendre pourquoi. Nous souhaiterions entendre les explications du Gouvernement sur ce problème de principe touchant à l’équité, sachant que l’enjeu financier – 3 millions d’euros – est modeste.
Les auteurs de l’amendement n° I-325 rectifié contestent la prise en compte au titre du CICE de dépenses de recherche déjà prises en compte au titre du CIR. Ce chevauchement est-il réel ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il est signalé par la Cour des comptes !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’entends bien, ma chère collègue, mais, dans la pratique, le bénéfice du CICE ne concerne que les salaires inférieurs à 2,6 fois le SMIC, un seuil que les salaires des chercheurs excèdent dans la très grande majorité des cas. Selon la commission des finances, le risque de chevauchement est donc surtout théorique, raison pour laquelle elle est défavorable à l’amendement.
Quant à l’amendement n° I-248, il vise à exclure du bénéfice du CIR les dépenses engagées dans le cadre de contrats de fouilles d’archéologie préventive. Le sujet est tout à fait particulier, et l’enjeu limité. À titre personnel, je suis favorable à la concurrence entre l’INRAP et d’autres organismes, notamment privés : les collectivités territoriales ou les entreprises qui doivent mener des fouilles doivent pouvoir choisir leur opérateur.
Nous aurons l’occasion de reparler de l’INRAP lors de l’examen d’articles relatifs à la rebudgétisation de l’archéologie préventive, sur lesquels la commission des finances a déposé plusieurs amendements. Sur un plan purement théorique, il est normal qu’une entreprise bénéficie du CIR, et pas un établissement public à caractère administratif. Nous souhaiterions connaître l’avis du Gouvernement sur ce sujet.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce débat est récurrent.
J’ai déjà invoqué l’argument de la stabilité du dispositif, nécessaire aux acteurs économiques.
Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, souhaitent revenir à la situation qui préexistait à la réforme de 2008. Je rappellerai que, entre 2008 et 2012, le montant du CIR a augmenté de 800 millions d’euros, tandis que les dépenses des entreprises en matière de recherche et de développement ont progressé de 4,2 milliards d’euros. On peut penser qu’il y a un lien entre les deux…
À ceux qui affirment que seules les grandes entreprises profitent du CIR, je ferai observer que, en 2013, celles-ci en ont bénéficié à hauteur de 2,4 milliards d’euros, les ETI de 1,4 milliard d’euros et les PME de 1,7 milliard d’euros. La répartition est tout de même beaucoup plus équilibrée que vous ne l’avez donné à entendre, monsieur Gattolin, surtout si l’on prend en compte le chiffre d’affaires des unes et des autres.
En ce qui concerne l’amendement n° I-358, je souligne que les dépenses liées à l’emploi de jeunes docteurs comptent double au titre du CIR pendant les vingt-quatre premiers mois : il s’agit d’une incitation déjà très significative.
Comme à l’Assemblée nationale, d’autres questions plus ponctuelles ont été évoquées, notamment celle de l’éligibilité des instituts techniques agricoles au doublement du CIR, dont bénéficient les centres techniques industriels.
Les centres techniques industriels sont des organismes privés reconnus par la loi comme des établissements d’utilité publique et placés sous le contrôle économique et financier de l’État, ce qui permet de les assimiler à des organismes de recherche publique. Quand une entreprise sous-traite sa recherche et développement à un organisme public, son crédit d’impôt recherche se trouve doublé. À ma connaissance, les instituts techniques agricoles et agro-industriels ne bénéficient pas du statut d’établissements d’utilité publique. Par conséquent, il me semble impossible d’accéder à votre demande, monsieur Bouvard.
Enfin, concernant la question très spécifique de l’accès au CIR des entreprises privées œuvrant dans le domaine de l’archéologie préventive, monsieur Requier, il me paraît assez difficile d’exclure certains secteurs d’activité du bénéfice du dispositif. Une telle mesure semble assez fragile au regard du droit, en particulier du droit communautaire.
Les entreprises se plaignent souvent auprès de moi d’un excès de contrôles sur l’utilisation du CIR. À l’inverse, j’entends également dire ici ou là – y compris parfois dans cet hémicycle – que les contrôles sont insuffisants, ce dont certaines entreprises profiteraient pour se livrer à des pratiques d’’optimisation. En règle générale, lorsque les avis sont ainsi partagés, cela signifie que l’on a atteint un bon équilibre ! (Sourires.)
La validation des demandes d’octroi du CIR ne relève pas des seuls fonctionnaires des impôts, les travaux de recherche portant souvent sur des domaines technologiques très pointus : la décision concernant l’éligibilité d’un dossier résulte, la plupart du temps, d’une concertation avec des fonctionnaires du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela peut parfois entraîner des retards, mais nous avons assoupli la procédure et mis en place un comité consultatif du CIR, à la demande d’ailleurs des entreprises.
Pour conclure, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble des amendements faisant l’objet de la discussion commune. Par souci de stabilité, nous n’entendons pas modifier le CIR, qui est l’un des nombreux facteurs d’attractivité de notre pays !
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.
M. Francis Delattre. La réforme de 2008 a eu pour résultat concret d’ouvrir l’accès au CIR à 20 000 entreprises : par définition, ces entreprises ne relèvent pas toutes du CAC 40 ! Grâce à cette réforme, le nombre des entreprises bénéficiaires du dispositif a presque doublé. J’ajoute qu’aucune PME ou PMI n’investit moins d’argent qu’elle n’en reçoit au titre du CIR.
Quant aux grandes entreprises, avec le système en vigueur, elles pourraient dans la plupart des cas bénéficier d’un montant plus élevé de CIR, mais elles préfèrent souvent développer leurs efforts de recherche et développement au sein de leur propre écosystème : ce que l’on appelle « filiale » est souvent, en réalité, une entreprise à laquelle un groupe, pour des raisons de réactivité et de simplicité, confie des travaux de recherche.
Monsieur le secrétaire d’État, la demande des entreprises porte surtout sur la mise en place d’une instance de conciliation fiscale, au sein de laquelle puisse s’établir un dialogue sur des problèmes fiscaux assez complexes, s’agissant de l’éligibilité au dispositif de travaux de recherche. Une association plus étroite du monde de la recherche serait nécessaire. Les contrôles sont plus souvent réalisés sur pièces que sur place.
Renault a fait l’objet d’une controverse au sujet de sa filiale dédiée à la voiture connectée, qui est pourtant une vraie filiale. Que cette filiale bénéficie du CIR n’apparaît pas constituer un détournement de ce dernier !