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Droits des malades et des personnes en fin de vie
Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (proposition n° 12, texte de la commission n° 104, rapport n° 103, avis n° 106).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au début de ce mois d’octobre, l’Assemblée nationale a de nouveau adopté, en deuxième lecture, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Donner à nos concitoyens de nouveaux droits, c’est une exigence, parce que les progrès de la science et de la médecine ont changé notre relation à la mort. Les situations de fin de vie deviennent plus longues et plus complexes. Des situations individuelles particulièrement difficiles et médiatisées interpellent régulièrement l’opinion.
Les attentes des Français ont évolué. La mission confiée au professeur Sicard, les débats régionaux et la conférence citoyenne organisés par le Comité consultatif national d’éthique ont permis à la société, à nos concitoyens, de s’exprimer le plus directement possible. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses : chacun a pu faire valoir son point de vue, ses attentes, ses espoirs.
Quels ont été les enseignements de ces consultations ? D’abord, les soins palliatifs ne sont pas accessibles à tous, du moins pas dans les mêmes conditions ; ensuite, nos concitoyens ne connaissent pas suffisamment leurs droits ; enfin, une nouvelle étape est nécessaire pour mieux accompagner les personnes qui souffrent en fin de vie.
Le Président de la République a souhaité que le consensus le plus large possible soit trouvé pour avancer dans cette direction à travers une étape législative nouvelle. C’est le sens de la mission conduite par les députés Alain Claeys et Jean Leonetti et qui a abouti à l’élaboration du texte que vous examinez de nouveau aujourd’hui.
Cet examen intervient dans un contexte particulier : si l’Assemblée nationale s’est prononcée – par deux fois et à une très large majorité – en faveur de ce texte, votre assemblée l’a, pour sa part, rejeté à une très large majorité en première lecture. Pourquoi ? Parce que plusieurs de ses mesures fortes avaient été supprimées lors de son examen en séance publique. Le texte qui avait été soumis à votre vote final, amputé de ses ambitions d’origines, ne répondait plus aux attentes des sénateurs de la majorité gouvernementale, la majorité sénatoriale s’étant quant à elle divisée.
L’enseignement que nous pouvons en tirer, c’est que le texte tel qu’il a été rédigé correspondait bien à un point d’équilibre. Il n’y a aujourd’hui de majorité ni pour aller plus loin ni pour considérer qu’il faut en rester au droit actuel. La question qui est aujourd’hui posée est de savoir si le texte adopté par l’Assemblée nationale répond aux attentes de nos concitoyens et constitue une avancée réelle en ce sens. C’est là ma conviction, parce que ce texte contient des dispositions qui vont nous permettre de franchir une étape décisive.
Première avancée : la proposition de loi renforce l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant.
C’est un fait : les Français ne sont pas égaux face à la mort. Les deux tiers d’entre eux qui meurent d’une maladie auraient besoin de soins palliatifs. Les unités de soins palliatifs se sont développées dans notre pays, le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans. Pourtant, une trop grande partie de nos concitoyens n’y ont pas accès ou en bénéficient trop tardivement. Derrière cette réalité se cache par ailleurs une grande injustice sociale et territoriale, qui n’est ni acceptable ni justifiable.
Le Président de la République a donc annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie. J’ai réuni le 24 juin dernier les membres de son comité de pilotage. Ce plan, qui s’adressera tant aux professionnels de santé qu’aux patients eux-mêmes, comportera quatre priorités : mieux informer les patients et leur permettre d’être au cœur des décisions qui les concernent ; accroître les compétences des différents acteurs, en confortant la formation des professionnels, en soutenant la recherche et en diffusant mieux les connaissances sur les soins palliatifs ; développer les prises en charge de proximité, notamment au domicile et dans les établissements sociaux ou médico-sociaux ; réduire les inégalités d’accès aux soins palliatifs.
Je présenterai très prochainement aux acteurs des soins palliatifs le détail de ce plan dans le cadre d’un déplacement auprès d’une structure particulièrement impliquée dans la prise en charge des soins palliatifs à domicile. Je précise à cet égard que, lorsque nous parlons de soins palliatifs, nous évoquons spontanément les établissements de santé. Or nous devons penser aussi à leur mise en œuvre à domicile et au sein des maisons de retraite.
Sans attendre la déclinaison de ce plan, j’ai souhaité que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 réserve une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour renforcer le développement des soins palliatifs. Concrètement, dès 2016, au moins trente équipes mobiles et six unités de soins palliatifs seront créées grâce à ces fonds.
Cette proposition de loi consacre à toute personne malade un droit universel à accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Les agences régionales de santé auront la charge de veiller à sa bonne application.
Cette mesure, cette perspective, cette démarche en faveur des soins palliatifs nous rassemble tous, vous rassemble sur toutes les travées, et elle répond à une attente forte de nos concitoyens. Il s’agit donc d’un point important de l’équilibre de cette proposition de loi.
Deuxième grande avancée : la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits.
Les Français ne sont pas suffisamment informés. Près de la moitié d’entre eux ignore que le patient peut demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seuls 2,5 % – je dis bien 2,5 % ! – de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées, alors même que l’existence de celles-ci pourrait, dans bien des cas, répondre à l’incertitude.
Cette réalité, pour frappante qu’elle soit, ne peut être un prétexte à l’inaction ou à la résignation. Elle nous invite, au contraire, à chercher des solutions nouvelles pour permettre à nos concitoyens d’exercer leur droit.
C’est la raison pour laquelle ce texte prévoit de renforcer l’information sur les directives anticipées. Un modèle type de directive anticipée sera élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé. Un registre national automatisé sera créé, qui permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit et donnera aux médecins une visibilité immédiate sur ces directives. Je ne m’étendrai pas sur ce point : nous avons eu l’occasion d’en débattre en première lecture, et nous y reviendrons sans doute au cours de cette discussion. La rédaction de directives anticipées, ainsi que la proposition d’un modèle type, est tout sauf simple et exigera une réflexion très compliquée, en vue de faciliter la décision de nos concitoyens.
Pour inciter nos concitoyens à s’emparer de ce droit, de leur droit, encore faut-il les convaincre de son effectivité. Là encore, le texte que vous examinez permettra d’avancer. Les directives anticipées sont ainsi rendues contraignantes pour les professionnels de santé, et leur durée de validité est supprimée. C’est une avancée majeure, parce que ces directives ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments de la décision du médecin. Désormais, c’est la volonté du patient qui sera déterminante pour définir l’issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu’au moment où on la quitte, voilà l’enjeu de dignité auquel s’attache la proposition de loi !
Enfin, ce texte prévoit de franchir une étape supplémentaire en direction de l’autonomie des Français.
Depuis 2005, date de l’adoption définitive de la loi Leonetti, la société a évolué et, avec elle, nos attentes et notre rapport à la fin de vie. L’encadrement de l’arrêt des traitements a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades, mais il reste insuffisant. Les patients et leurs familles nous le disent : ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment entendus, parce que, en l’état actuel du droit, c’est au seul médecin que revient la décision d’interrompre ou de ne pas débuter les traitements. Dans le même temps, nombre de professionnels m’ont dit, sur le terrain, être trop souvent désemparés face à des situations qui les laissent dans la solitude de leur seule conscience.
Là aussi, les Français attendent que nous franchissions une étape nouvelle, en démédicalisant la fin de vie. C’est ce qu’ont proposé les auteurs de ce texte, en précisant les modalités d’interruption des traitements, en clarifiant la notion d’« obstination déraisonnable » et en instaurant un droit à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.
La présente proposition de loi, lors de son examen par votre commission des affaires sociales, s’est éloignée des équilibres qui avaient été trouvés sur ces dispositions. La rédaction de l’article 2, telle qu’elle résulte des derniers travaux de votre commission, est en recul non seulement par rapport à la position de l’Assemblée nationale, mais aussi par rapport à la loi Leonetti de 2005 telle qu’elle a été interprétée par le Conseil d’État.
La définition de l’obstination déraisonnable se trouve ainsi restreinte à deux critères, au lieu de trois : la disproportion des traitements et le maintien artificiel de la vie. Le troisième critère, celui de l’« inutilité » est quant à lui supprimé. Cette nouvelle rédaction constitue une régression des droits des patients par rapport à la loi Leonetti de 2005. Concrètement, cela signifie que des patients en fin de vie continueraient de recevoir des traitements que les médecins eux-mêmes considéreraient comme inutiles.
La nouvelle rédaction de l’article 2 indique par ailleurs, contrairement au choix de votre commission en première lecture, que l’hydratation artificielle est un soin qui peut être maintenu jusqu’à la fin de la vie. Cette nouvelle rédaction, contraire à l’esprit même de la proposition de loi, qui est de placer la volonté du patient au cœur de la décision, conduirait à maintenir en vie des patients que l’on cesserait d’alimenter mais que l’on continuerait d’hydrater, et par là même à prolonger leurs souffrances.
Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement visant à conserver les acquis de la loi Leonetti de 2005 sur la définition de l’obstination déraisonnable, à rétablir les avancées de ce texte sur la volonté du patient et à rappeler expressément que l’hydratation et l’alimentation artificielles sont des traitements susceptibles, comme tout autre traitement, d’être arrêtés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous revient aujourd’hui d’examiner un texte important, un texte attendu, un texte de progrès pour les patients, un texte d’humanité, qui constitue un point d’équilibre. Il s’agit d’offrir aux Français le droit et les moyens de mourir aussi dignement qu’ils auront vécu. J’espère que nous parviendrons à nous retrouver, aujourd’hui ou dans la suite de la procédure parlementaire, pour répondre à cet enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur.
M. Gérard Dériot, corapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 6 octobre dernier, l’Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Le texte examiné par la commission des affaires sociales était quasiment identique à celui adopté par les députés en première lecture. Le corapporteur Jean Leonetti a justifié le rétablissement du texte de l’Assemblée nationale, en indiquant qu’un dialogue de fond devait être mené entre nos deux chambres.
En séance publique, l’Assemblée nationale a néanmoins adopté sept amendements. Les dispositions les plus substantielles reprennent une mesure proposée par notre commission, à savoir la cosignature, par la personne de confiance, de la décision par laquelle elle est désignée.
Nos collègues députés ont également prévu la possibilité de désigner une personne de confiance suppléante dans l’hypothèse où la personne de confiance titulaire « serait dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient ».
Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité, comme notre commission, que chacun soit libre de la forme donnée à ses directives anticipées, sans avoir à se conformer à un modèle impératif.
En deuxième lecture, notre commission a fait le choix de reprendre l’important travail de précision et d’encadrement qu’elle avait effectué en première lecture, tout en tenant compte des préoccupations légitimes exprimées en séance publique sur toutes les travées de cet hémicycle. Elle n’a donc pas rétabli purement et simplement son texte, mais y a intégré un grand nombre d’amendements que nous avions adoptés en séance publique.
Concrètement, la commission des affaires sociales a fixé un cadre garantissant que la mise en place d’une sédation profonde et continue ne constitue en aucun cas un acte d’euthanasie. (M. Gilbert Barbier manifeste sa circonspection.) Cette sédation profonde et continue ne pourra concerner que les personnes malades qui sont déjà en fin de vie et dont la souffrance est réfractaire à tout autre traitement. À mon sens, c’est là un point essentiel.
De même, notre commission a accepté de rendre opposables les directives anticipées, à condition qu’elles soient le moyen, non seulement de demander un arrêt des traitements, mais aussi de s’opposer à un tel arrêt.
En revanche, la commission a jugé important de reprendre l’amendement, rédigé en séance publique, tendant à préciser que l’hydratation est un soin pouvant être poursuivi jusqu’au décès.
Mes chers collègues, comme en première lecture, nous cherchons à atteindre le consensus le plus large possible sur un sujet qui ne relève absolument pas des oppositions de partis.
M. Hubert Falco. Très bien !
M. Gérard Dériot, corapporteur. À nos yeux, le Sénat a un rôle important à jouer, afin que le texte qui s’appliquera demain soit de la meilleure qualité possible et qu’il préserve réellement un équilibre entre les droits du patient et les devoirs des soignants. Si nous n’y parvenons pas – je me permets d’insister sur ce point –, c’est nécessairement le texte de l’Assemblée nationale qui s’appliquera, tel qu’il a été voté par les députés.
M. Hubert Falco. Eh oui !
M. Gérard Dériot, corapporteur. Or, face à cette question, qui constitue un véritable sujet de société, la Haute Assemblée doit jouer pleinement son rôle. Il est donc indispensable que nous puissions aboutir à un texte réunissant la grande majorité d’entre nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Gérard Dériot vous a indiqué l’esprit dans lequel la commission des affaires sociales a travaillé. C’est dans cet esprit que le texte qui vous est soumis intègre à la rédaction élaborée en première lecture par la commission des affaires sociales l’ensemble des amendements de la commission des lois adoptés en séance publique. Je ne citerai que quelques-unes de ces dispositions : la possibilité pour une personne malade en fin de vie de s’opposer à l’arrêt des traitements de maintien en vie, tout en demandant une sédation profonde et continue ; la possibilité réaffirmée de modifier, à tout moment, ses directives anticipées et de les révoquer par tous moyens ; le rappel régulier adressé à l’auteur de directives anticipées sur le fait qu’elles existent ; enfin, la précision selon laquelle le témoignage de la personne de confiance prévaut sur tout autre.
J’en viens aux autres amendements repris par la commission.
À l’article 1er, le présent texte réaffirme le droit d’accéder aux soins curatifs et palliatifs sur l’ensemble du territoire. Cette disposition répond à la préoccupation d’une large majorité de nos collègues.
M. Hubert Falco. Eh oui !
M. Michel Amiel, corapporteur. Mme la ministre vient de le rappeler : on meurt mal en France. Aussi, ce point nous a paru essentiel.
À l’article 2, relatif à l’obstination déraisonnable, outre l’important amendement ayant pour objet l’hydratation, que Gérard Dériot a déjà mentionné, le texte élaboré par la commission lève l’interrogation émise par notre collègue Gilbert Barbier quant à la notion d’inutilité des traitements prescrits. Cette référence a été supprimée.
Mes chers collègues, permettez-moi d’insister sur un point : l’article 2, tel qu’il a été rédigé par la commission, permet de mieux garantir les droits des patients lorsque l’équipe soignante considère que la poursuite des traitements pourrait relever de l’obstination déraisonnable. En effet, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale ne précisait pas que le consentement du patient devait être recherché avant toute décision d’arrêt des traitements, au titre du refus de l’acharnement thérapeutique. L’arrêt des traitements pouvait donc être automatique.
À l’article 3, conformément à un amendement adopté sur l’initiative du groupe CRC, disparaît la mention selon laquelle la procédure collégiale chargée de s’assurer du respect de la loi est engagée sur l’initiative du médecin. Cette modification permet de dissiper toute ambiguïté quant à un éventuel pouvoir exorbitant d’opposition du médecin à la réunion du collège des soignants. Dans un souci de clarification rédactionnelle, il est également précisé que le patient a bien la possibilité de choisir le lieu où il souhaite que la sédation soit réalisée : à son domicile, au sein d’un établissement de santé ou encore dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un EHPAD. Mourir chez soi, n’est-ce pas le souhait de la majorité d’entre nous ?
Enfin, à l’article 14, plusieurs groupes, dont le groupe écologiste, ayant souhaité un suivi de l’accès aux soins palliatifs, le texte qui vous est soumis maintient le principe d’un rapport annuel prévu par l’Assemblée nationale. Il précise cependant le contenu de ce document. Il s’agit de garantir que le suivi de la politique de développement des soins palliatifs inclut bel et bien les établissements de santé, les EHPAD et, bien entendu, le domicile.
Face au besoin criant dont nous avons tous fait le constat, nous attendons avec impatience l’annonce du nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs et surtout les mesures concrètes qui permettront sa mise en œuvre.
Mes chers collègues, je ne le répéterai jamais assez : cette proposition de loi est faite pour ceux qui vont mourir, non pour ceux qui veulent mourir. Ce constat balaie définitivement, me semble-t-il, les risques d’une dérive euthanasique. (M. Gilbert Barbier manifeste son scepticisme.)
Au-delà des justes préoccupations éthiques et juridiques, le présent texte entend aller au plus proche de la vraie vie. Sa seule ambition est de permettre à nos concitoyens de vivre leurs derniers instants sans douleur et sans angoisse.
Albert Camus a décrit la mort heureuse, la tête dans les étoiles. Dans les faits, ce n’est, hélas ! pas ainsi que les choses se passent. Puisse cette proposition de loi apporter l’humanité nécessaire à celui qui va mourir et toute la sérénité possible à son entourage comme au personnel soignant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention en qualité de rapporteur pour avis de la commission des lois sera brève. En effet, le travail de la commission des affaires sociales, conduit par son président et ses deux corapporteurs, a été…
M. Hubert Falco. Remarquable !
M. François Pillet, rapporteur pour avis. … particulièrement éclairé et consensuel.
J’ai assisté à ces débats, humanistes profonds et sereins, face à des questions bioéthiques aussi majeures, et je tiens sincèrement à témoigner de la qualité du travail accompli.
La commission des affaires sociales présente à la Haute Assemblée un texte qui a su intégrer les préoccupations exprimées par la commission des lois. Cette rédaction constitue le socle de l’accord qu’il convient de forger sur ce sujet.
J’aurai à défendre, au nom de la commission des lois, trois amendements, qui portent sur deux points. Je le dis avec vigueur et sincérité, ces amendements ne tendent nullement à atténuer l’efficacité du texte qu’a élaboré la commission des affaires sociales et qui traduit la force de ses convictions. Bien au contraire, les précisions que vous proposera la commission des lois renforceront la protection assurée via ces dispositions.
Ces précisions puisent leur légitimité et leur opportunité dans l’attachement de la commission des lois et du Sénat tout entier à ce que soient supprimés les automatismes décisionnels. En effet, ces derniers sont contraires au principe selon lequel il convient de préserver la liberté d’appréciation du médecin et, surtout, la volonté du malade.
Ainsi, la commission des lois a réaffirmé sa volonté de voir apporter une modification rédactionnelle à l’alinéa 4 de l’article 3. Sur ce point, la rédaction initiale de l’Assemblée nationale faisait obligation au médecin de recourir préventivement à une sédation profonde et continue, afin d’éviter toute souffrance au patient. La rédaction adoptée par la commission des affaires sociales a très opportunément rompu cette automaticité. Toutefois, l’amendement que je vous présenterai vise, dans la mesure du possible, à rendre cette disposition plus claire en ajoutant la précision suivante : le médecin ne peut mettre en œuvre cette sédation préventive que s’il estime que le patient risque d’être exposé à une souffrance réfractaire à tout autre traitement. En l’occurrence, il s’agit de s’appuyer sur l’appréciation médicale et d’éviter une nouvelle fois les systématismes.
Enfin, à travers ses amendements, la commission des lois évoquera la portée des directives anticipées. Quelque texte que ce soit ne doit jamais laisser subsister la moindre réserve quant à la volonté du malade.
L’Assemblée nationale l’a dit, et elle ne l’a pas dit si mal : si ces directives anticipées sont manifestement inappropriées, il est légitime que le médecin ne les applique pas. Sur ce point, nous proposerons un texte différant légèrement de celui qu’ont adopté nos collègues députés. Quand se fait jour une contestation sérieuse, un élément allant, au regard de la question médicale, plus loin que la simple appréciation des directives anticipées, le médecin doit conserver la possibilité de ne pas donner suite à ces dernières.
Mes chers collègues, telles sont les dispositions, de portée très limitée, proposées par la commission des lois. Je ne les ai présentées que schématiquement et les détaillerai davantage dans la suite de la discussion. J’insiste à mon tour sur cette nécessité, qu’a rappelée Gérard Dériot et qui sera respectée – je suis parfaitement confiant à cet égard –, que le devoir des soignants et le droit des malades soient impérativement préservés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois réunis pour débattre d’un texte relatif à la fin de vie, ou du moins, et plus précisément, d’une proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
J’ai eu, ici même et à maintes reprises, l’occasion de m’expliquer et d’exposer ma position sur cette question. Reconnaissons-le, ce sujet reste polémique. Cela étant, nous devons avant tout respecter la dignité du patient et trouver des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations qui restent exceptionnelles et parfois dramatiques.
Rares sont les thèmes qui cristallisent les passions, les débats ou encore les antagonismes, tant il est clair qu’ils ne relèvent pas seulement de la raison. La fin de vie en est incontestablement un, puisqu’elle touche à l’essence même de nos interrogations existentielles.
La proposition de loi dont nous allons débattre n’est certes pas le premier des textes consacrés à cette question. Nous, législateur, en avons déjà voté plusieurs depuis une quinzaine d’années. Permettez-moi d’en rappeler les principaux.
En 1999, une première loi visait « à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ».
En 2002, a été votée la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Le patient, y compris celui en fin de vie, s’est vu reconnaître des droits et une autonomie qu’il n’avait pas jusqu’alors. Il est devenu maître de sa santé.
Enfin, en 2005, la loi dite « Leonetti » a considérablement renforcé l’accès aux soins palliatifs, en consacrant la possibilité d’une limitation ou d’un arrêt des traitements. Ce texte a en outre créé les directives anticipées, toutefois non contraignantes pour le corps médical.
Confrontés à la réalité sans cesse changeante de notre système de santé, au vieillissement de la population, ainsi qu’à l’exigence de plus en plus forte de notre société en matière de démocratie en santé, ces différents textes législatifs ont probablement besoin d’être complétés, au vu, notamment, du développement de pratiques alternatives profondément inégalitaires et dangereuses.
L’ambition de la proposition de loi peut paraître réelle, car le débat pose publiquement les problèmes rencontrés en fin de vie, surtout depuis que les progrès techniques de la médecine permettent de maintenir en vie des personnes qui, autrefois, seraient décédées.
Ces interventions ne créent pas toujours les conditions de vie souhaitées par les patients et leurs proches, et la peur des fins de vie prolongées et dénuées de toute autonomie conduit à un questionnement sur les limites éventuelles des interventions.
Cette ambition n’est donc pas seulement médicale, en instituant la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; elle n’est pas uniquement démocratique et humaniste, en permettant à tout un chacun de rédiger des directives anticipées, qui s’imposent cette fois aux professionnels de santé ; elle est aussi philosophique.
Cette proposition de loi veut changer la fin de vie. Elle a pour credo de permettre au malade de connaître une fin de vie digne et apaisée. Notre travail de terrain, mes chers collègues, montre qu’une loi ne change pas du jour au lendemain des attitudes et des habitudes bien ancrées. Les observations recueillies et les entretiens menés avec les professionnels ont confirmé la difficulté qu’éprouvent les médecins à arrêter un traitement et à affronter l’idée de ne plus pouvoir guérir un patient ou éviter sa mort. Ils sont nombreux à ressentir ces situations comme un échec.
Alors que la majorité des médecins souhaite le soutien des équipes mobiles de soins palliatifs quand ces questions surviennent, plusieurs d’entre eux témoignent des problèmes qu’ils rencontrent quand il faut intégrer une équipe extérieure dans leur travail.
De même, les médecins se montrent encore très préoccupés par la souffrance physique et psychologique d’un patient qui se trouve en fin de vie.
Les entretiens menés avec eux suggèrent que la perception, par les médecins, de cette souffrance comme insupportable relève de leur propre malaise face à la mort et à l’inefficacité de leurs thérapeutiques. Cependant, nous avons souvent constaté que leur souhait de soulager la douleur du patient est inhibé par la crainte d’employer des doses antalgiques trop fortes, qui pourraient produire comme effet secondaire une dépression respiratoire, souvent considérée comme une euthanasie.
Dans d’autres cas, le désir de soulager est parfois si fort que certains médecins, qui restent très minoritaires, se disent même favorables parfois, sous certaines conditions, à une euthanasie afin d’atteindre ce but.
Je rappelle que le droit fondamental au respect de la dignité est censé protéger la liberté de l’individu contre l’intervention indue de l’État.
Dans la continuité d’un parcours de santé qui s’étendra sur tous les lieux de vie et à tous les âges, la fin de vie ne doit pas être délaissée au profit des autres étapes de l’existence. Elle doit répondre aux mêmes exigences, tant sur le plan de l’accompagnement médical que sur celui du droit des usagers, voire à d’autres encore, puisque les souffrances liées à la fin de vie se révèlent souvent intolérables pour le malade et, par voie de conséquence, pour ses proches. En aucun cas, elle ne doit être ce royaume où, une fois la frontière passée, les rôles se trouvent subitement inversés, où l’on décide pour les usagers et où des soins sont prodigués en l’absence de tout consentement.
À défaut de « bien mourir », sera-t-il un jour possible de ne plus « mal mourir » ? C’est en tout cas, me semble-t-il, l’ambition de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Cette conception du « bien mourir » semble donc s’imposer dans les normes d’un acte de soin abolissant toute exigence, sinon l’instauration du cérémonial apaisé d’un dispositif sédatif.
Il est désormais évident que, à défaut de créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, cette nouvelle législation de la « mort sous sédation », dont nous allons débattre, ajoutera à nos vulnérabilités des souffrances, des indignités et des deuils insurmontables. Ainsi, comme le soulignait le professeur Hirsch, « se refondent aujourd’hui […] les valeurs compassionnelles de notre démocratie. Une démocratie ainsi elle-même sédatée ». Permettez-moi de reprendre à mon compte ces derniers mots. (Sourires.)
Puisque nous allons débattre, n’oublions pas que l’enjeu principal semble être la question de l’autonomie du malade à choisir les conditions dans lesquelles il souhaite mourir.
Bien que l’on puisse éventuellement modifier les circonstances et conditions susceptibles de pousser un malade à demander sa mort, il y aura toujours des patients qui réclameront une euthanasie ou un suicide assisté, en raison de convictions purement individuelles. La mort induite d’un individu peut-elle être acceptable, ou non ? Même si l’on répond à tous les autres éléments importants dans la prise en charge des situations de fin de vie, le problème moral né de cette question persiste. Ainsi, on peut faire diminuer l’apparition des demandes d’euthanasie par une prise en charge tenant compte des besoins individuels des malades, mais on ne pourra jamais éliminer toutes les demandes d’euthanasie ou de suicide assisté.
Est-ce qu’accorder le droit de mourir ainsi est une avancée dans le respect de l’autonomie du malade ? C’est une question morale à laquelle une société ne peut échapper, mais qu’une meilleure connaissance du contexte des fins de vie peut éclairer.
Pour conclure mon propos, je dirai qu’il me semble que la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie, telle que réécrite par la commission des affaires sociales, qui, monsieur le rapporteur pour avis, a intégré plusieurs amendements de la commission des lois, réussit le tour de force d’être à la fois une avancée et le fruit d’un consensus. Je me félicite de la plupart des orientations de ce texte de loi, qui vont dans le sens d’une plus grande autonomisation de l’individu, même si celle-ci reste encore à parfaire.
Avant de laisser place au débat, je citerai une nouvelle fois le professeur Emmanuel Hirsch, pour qui « il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant “à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité” ».
La moindre infraction au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive.
De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société apaisée est prête aux avancées préconisées.
La sédation profonde et continue est avancée comme une évolution majeure en matière de droit de la personne malade ou en fin de vie. Les problèmes liés à la fin de vie ne concernent pourtant pas uniquement les patients. On constate, de même, un malaise chez les professionnels confrontés aux fins de vie et aux questions touchant aux bonnes pratiques. Ces problèmes avaient notamment été mis en évidence à l’occasion de différentes affaires, dont celle de Vincent Humbert en 2003 fut la plus marquante et, probablement, la plus médiatisée.
Dans cette atmosphère favorable au respect de l’autonomie du malade, mais opposée à tout acte qui provoquerait sa mort, l’approche des soins palliatifs a pu se développer assez facilement. Elle participe au renforcement des droits de l’usager, tout en permettant à chacun de bénéficier d’une fin de vie aussi digne que possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)