Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture un texte dont le sujet, difficile, concerne chacun de nous. Nous y avons été ou nous y serons un jour confrontés, pour nous-mêmes ou pour nos proches. Aussi la discussion se nourrit-elle naturellement de nos convictions, de nos peurs, de nos émotions, mais aussi de nos valeurs.
Je veux saluer avec une grande sincérité l’excellent travail, empreint de rigueur et d’humanité, des rapporteurs et du président de la commission des affaires sociales, dans ce contexte éminemment difficile, en faveur de la recherche consensuelle du bien commun, comme l’a dit notre collègue député Jean Leonetti.
Pour certains d’entre nous, ce texte va trop loin, pour d’autres, il est insuffisant. Ce texte, issu des travaux de la commission des affaires sociales, n’est pas destiné – faut-il le rappeler ici ? – à ceux qui veulent mourir, mais à ceux qui vont mourir, aux patients atteints d’une maladie incurable, soumis à des souffrances réfractaires à tout traitement, au stade ultime de leur vie et dont le pronostic vital est engagé à brève échéance.
Si la loi Leonetti de 2005 a représenté une avancée significative en améliorant la prise en compte de la volonté du patient et en prônant le développement de soins palliatifs ainsi que le rejet de l’acharnement thérapeutique, force est de constater qu’elle est méconnue ou insuffisamment appliquée.
La prise en charge de l’accompagnement des malades en fin de vie souffre aujourd’hui d’inacceptables insuffisances.
La première concerne la double inégalité d’accès aux soins palliatifs : l’inégalité liée à l’indécente insuffisance de places aujourd’hui – seuls 20 % des patients peuvent y accéder – et l’inégalité territoriale – 70 % des lits palliatifs sont concentrés dans cinq régions. Aussi convient-il de saluer l’annonce de l’inscription d’un crédit de 40 millions d’euros supplémentaires dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et du plan triennal que vous devez présenter prochainement, madame la ministre, et que nous attendons avec impatience. Celui-ci devra s’attacher au développement des soins palliatifs non seulement à l’hôpital, mais aussi dans les EHPAD et surtout à domicile. Le Sénat sera très vigilant et très exigeant quant au respect de votre engagement. L’indignité ne peut se contenter d’annonces !
La seconde insuffisance se trouve dans le déficit criant de formation aux soins palliatifs des professionnels de santé. Ce texte propose de la corriger. La médecine doit en effet être conçue et enseignée dans sa double finalité curative et palliative.
La proposition de loi des députés Claeys et Leonetti améliore la loi de 2005 par deux dispositions mesurées, non seulement respectueuses du point de vue du patient, mais également protectrices pour l’équipe médicale. Elle inclut en effet l’opposabilité des directives anticipées, facilitant ainsi la décision du médecin et rassurant le patient et sa famille quant à la prise en compte de leur volonté. Elle prévoit également le droit à la sédation profonde et continue, uniquement dans des cas très précisément définis, limitant ainsi le risque de décision arbitraire.
Mes chers collègues, la fin de vie dérange dans une société qui a chassé la mort du réel et qui condamne l’échec. Elle soulève des questions philosophiques, morales, éthiques et religieuses. Celles-ci sont légitimes d’un point de vue personnel. Ici, toutefois, nous légiférons au nom de la République.
Notre société peut-elle condamner ceux qui ont atteint la fin de leur chemin de vie à mourir dans la souffrance et l’angoisse, souvent dans une grande solitude, abandonnés par une science confrontée à son impuissance et à ses limites ? Est-ce ainsi que les hommes doivent nécessairement mourir ?
Le texte qui nous est proposé par la commission des affaires sociales du Sénat est ciselé, ses mots sont pesés, exempts de toutes les scories qui pourraient provoquer les consciences. Il est acte d’humanité et geste de fraternité, portant la promesse de la société de ne pas abandonner les siens à l’heure ultime. Je crois sincèrement, en mon âme et conscience, qu’il honore le Sénat. C’est avec le sentiment d’un devoir de fraternité accompli que la grande majorité du groupe UDI-UC le votera. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons à nouveau le sujet de la fin de vie. Sujet difficile s’il en est, car, au-delà des positionnements politiques, il traite de l’intime. Nous ne pouvons nous empêcher de penser à notre vie, ou encore à celle de nos proches, et à la manière dont nous souhaitons qu’elle se termine. Difficile aussi, car la mort, si elle est partie intégrante de notre existence, n’est pas un sujet dont nous avons l’habitude de parler. Pourtant, parce qu’il nous touche toutes et tous, ce sujet nécessite d’être porté devant le Parlement.
La proposition de loi présentée par MM. Claeys et Leonetti était fortement attendue. Attendue d’abord par les malades en fin de vie, qui souhaitent que leur volonté soit prise en compte. Attendue ensuite par le corps médical, dont les membres sont amenés à accompagner les personnes en fin de vie sans toujours disposer des outils juridiques adéquats. Attendue enfin par l’ensemble des citoyennes et des citoyens, soucieux de garantir à leurs proches une fin de vie apaisée et sans douleur.
La proposition de loi qui nous avait été présentée en première lecture était, je l’avais dit, en deçà de ces nombreuses attentes. En premier lieu, parce que la mise en œuvre des droits en matière de fin de vie ne peut être dissociée des moyens qui doivent être alloués aux soins palliatifs. Or ce volet financier était de fait absent de la proposition de loi. En second lieu, parce que la « mesure phare » du texte, la sédation profonde et continue jusqu’au décès, reste limitée dans sa portée : elle ne concerne qu’un nombre restreint de patients, ceux qui sont atteints d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme.
Malgré la faible ambition de ce texte, une partie de la droite sénatoriale s’était mobilisée lors de son examen en première lecture pour le vider entièrement de sa substance. Cela nous avait conduits à rejeter la proposition de loi, si bien que l’Assemblée nationale a examiné en seconde lecture le texte qu’elle avait adopté en première lecture.
Ce qui s’est passé en séance publique au Sénat est d’autant plus regrettable que des modifications utiles avaient été introduites, notamment en matière de soins palliatifs. Le Sénat avait ainsi exigé un développement des soins palliatifs susceptible de couvrir l’ensemble du territoire, y compris en dehors de l’hôpital. Il avait également introduit une obligation de formation aux soins palliatifs pour le personnel des EHPAD. Le Sénat avait en outre adopté notre amendement visant à ce que le médecin ne puisse pas s’opposer à la mise en œuvre de la procédure collégiale.
Ce travail a fort heureusement été repris par les rapporteurs ; ils ont fait une synthèse des différentes positions, si bien que le texte désormais soumis à notre vote est équilibré. Il retient les principales avancées de la proposition de loi : le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès dans des cas définis ; le droit de s’opposer à un acharnement thérapeutique ; la clarification du format et de la portée des directives anticipées ; la définition du statut de la personne de confiance ; l’accès à une formation initiale et continue aux soins palliatifs pour le personnel médical et médico-social. Sur ce dernier point, je rappelle que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé un amendement dans le cadre du projet de loi de santé ayant le même objet.
Si nous souscrivons à l’intérêt de ces dispositions, nous souhaitons renforcer le caractère contraignant des directives anticipées, qui doivent de notre point de vue s’imposer au médecin. De plus, nous souhaitons permettre au patient de désigner une personne de confiance suppléante. Enfin, avec plusieurs de mes collègues, j’aimerais approfondir le droit des personnes à mourir dans la dignité. En effet, comme je l’ai déjà indiqué, s’il est équilibré, ce texte à une portée limitée : il permet, quand la mort est inéluctable et à très court terme, de voir sa souffrance apaisée par une sédation profonde et continue accompagnée d’un arrêt des traitements, dont la nutrition. Il s’agit de « laisser mourir », parfois de faim.
Pourquoi ne pas permettre, quand le patient le demande, la mise en œuvre d’une assistance médicalisée à mourir ? Cela permettrait d’apporter une solution à de nombreuses personnes qui estiment que leur maladie ou leur état de dépendance est incompatible avec l’idée qu’elles se font de la dignité. Ces personnes estiment qu’elles devraient avoir le droit de choisir de mourir dans l’apaisement et sans douleur.
À toutes ces personnes, la présente proposition de loi n’apporte pas de réponse. Ainsi du tristement célèbre cas de Vincent Lambert, qui n’est toujours pas résolu et qui n’est pas visé par ce texte.
Animés par la volonté de créer un meilleur vivre ensemble, nous ne pouvons ignorer la question du « bien mourir ». Le combat pour une vie digne ne peut être dissocié de celui pour une fin de vie digne. Cela d’autant moins que, dans ces moments douloureux de fin de vie, le sentiment de perte de dignité est particulièrement important. Il est lié à l’idée que chacune et chacun a de sa propre image, de sa dégradation du fait de la maladie, de son incapacité à remplir les actes les plus simples de la vie quotidienne.
Cette perception est propre à chaque individu. Elle dépend des croyances, du vécu, mais aussi de la personnalité ou des relations familiales et sociales de chacun. Dans ce contexte, il est difficile de prévoir une loi qui laisse suffisamment de libertés tout en offrant suffisamment de garanties pour que nos concitoyennes et nos concitoyens bénéficient d’une fin de vie correspondant à leur propre définition de la dignité.
Cet objectif ambitieux ne semble que partiellement atteint par cette proposition de loi. Je le regrette, mais le souci de synthèse qui a animé ses auteurs, ainsi que nos trois rapporteurs, est réel. Le texte dont nous allons débattre a ainsi le mérite de clarifier certaines situations et de créer de nouveaux droits, qui, malgré leur portée limitée, doivent être affirmés.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce texte, sous réserve qu’il corresponde aux résultats des travaux de notre commission et qu’il ne soit pas dénaturé en séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques heures, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement était adopté dans cet hémicycle à la quasi-unanimité. Rassurez-vous, je n’y vois pas là une suite logique de nos débats. (Sourires.) Je me félicite simplement que la Haute Assemblée ait pleinement conscience de la nécessité d’instaurer de nouveaux droits en faveur de personnes souvent en détresse face à l’isolement, à la perte d’autonomie, à la solitude, à la souffrance, voire à la mort.
Après avoir consacré la liberté de choix de la personne âgée, renforcé les droits des usagers en établissements, développé l’offre d’habitat intermédiaire ou regroupé et souligné l’importance de la représentation des personnes âgées, je suis fier que nous soyons prêts aujourd’hui à confirmer des droits essentiels pour les personnes en fin de vie : le droit de ne pas souffrir grâce à la sédation profonde et continue jusqu’à la fin, le droit de voir sa volonté respectée grâce à la possibilité d’écrire et de réviser à tout moment des directives anticipées qui s’imposeront à tous.
Nous voici donc réunis pour examiner un texte qui a fait vivre à notre hémicycle des heures difficiles. Il faut dire qu’il s’agit d’un sujet qui nous touche tous. Nous avons tous un parent ou un ami proche dont nous avons partagé ces dernières heures si importantes à plus d’un titre ; importantes, parce que leur souvenir s’imprime dans nos mémoires ; importantes, parce qu’elles nous aident parfois à faire notre deuil ; importantes, surtout, parce qu’elles illustrent la volonté du vivant, c’est en tout cas ma conviction.
Qu’il est difficile lorsqu’on travaille sur ces sujets de se détacher de nos propres expériences ! Qu’il est cruel de revivre ces souffrances lorsque nous débattons ! Qu’il est terrible de devoir parfois réduire nos souvenirs à la vision de corps en souffrance !
Mes chers collègues, nous nous sommes brutalement affrontés sur ce sujet en première lecture, mais il n’est pas question de « refaire le match ». Les mots que j’ai le plus entendus ces derniers jours – dialogue, équilibre, consensus – montrent la volonté d’apaisement qui a animé nos travaux, ce que je salue.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie. Votre souci d’apporter de la sérénité à nos débats a permis de rendre au Sénat son rôle de législateur. Sans votre travail, le texte finalement adopté aurait pu être issu des seuls travaux de l’Assemblée nationale, ce qui aurait été un comble quand on sait le rôle important des sénateurs sur ce sujet ces quinze dernières années.
Madame la ministre, je vous remercie également. Vos paroles rappelant le souhait du Président de la République d’aboutir à un « consensus le plus large possible pour proposer une étape législative nouvelle » ont été entendues.
Enfin, je remercie nos trois rapporteurs. Leur travail important de précision et d’encadrement suffira cette fois, je l’espère, à apaiser les craintes, à défaut de toutes les souffrances. Il est de notre devoir de faire en sorte que l’ombre ne s’étende pas plus ! Je suis en effet persuadé que le verdict intervenu cette semaine dans le cadre du procès d’un médecin de mon territoire, le docteur Bonnemaison, aurait été différent si le texte de loi dont nous débattons avait été adopté définitivement.
Cela étant, preuve que nous pouvons tous évoluer, un grand nombre de sénateurs socialistes ont, après de nombreuses discussions, décidé de considérer l’hydratation comme un soin, alors que, en première lecture, nous avions choisi de suivre le Conseil d’État, qui considérait l’hydratation comme un traitement, au même titre que la nutrition. C’est non seulement la qualité de nos échanges qui a permis une telle évolution de notre raisonnement, mais également nos douloureuses expériences personnelles. Je note quand même, madame la ministre, que l’amendement n° 28 que le Gouvernement a déposé hier suscite des interrogations. Nous espérons que vous pourrez dissiper nos craintes…
Je ne reviendrai pas sur le contenu du texte, ni sur les apports issus des travaux de notre commission – les orateurs qui m’ont précédé l’ont déjà fait. Retenons toutefois que les apports issus de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale sont loin d’être négligeables. Je pense par exemple à la possibilité de désigner une personne de confiance suppléante, au cas où la personne de confiance titulaire se trouverait dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient qui l’a désignée.
Le groupe socialiste votera cette proposition de loi si elle demeure conforme au texte de notre commission – je rejoins sur ce point notre collègue Annie David. Par cohérence et souci d’équilibre, nous tenons en effet à ce que l’architecture soit maintenue. Reste que je peux m’empêcher d’appeler de mes vœux les plus sincères une étape supplémentaire. Pour beaucoup d’entre nous, il est nécessaire qu’un autre texte soit prochainement inscrit à l’ordre du jour de nos assemblées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie la commission des affaires sociales, son président, les rapporteurs, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des lois, qui, grâce à un travail serein, apaisé, de qualité, ont certainement contribué à rattraper l’image quelque peu écornée que le Sénat a pu donner lors de la dernière discussion du présent texte en séance publique.
Lundi 2 novembre se tiendra la huitième Journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité. Notre débat pourrait être l’occasion d’adresser aujourd’hui un message d’espoir et un signal fort aux personnes qui vivent ou ont vécu des situations douloureuses et des drames de fin de vie.
Ces situations sont nombreuses. Ainsi, Jean Mercier, originaire du Maine-et-Loire, a été condamné hier à une peine d’un an de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Il s’agissait en fait d’une assistance au suicide apportée à son épouse, qui, après trente ans de souffrance, n’en pouvait plus de vivre.
Bien que nous n’ayons pas pour rôle de commenter les décisions de justice, force est de constater la nécessité d’une évolution législative sur la fin de vie. Comme 96 % des Françaises et des Français, nous soutenons une telle évolution.
Pourtant, malgré l’excellent travail qui a été effectué par la commission et l’ensemble de nos collègues, de trop nombreux cas ne sont toujours pas couverts par notre législation. Il y a un pas, difficile, que nous n’arrivons pas à faire… Comme cela a été souligné, le texte est fait pour ceux qui vont mourir, pas pour ceux qui voudraient partir.
Je ne prétends pas que la loi doit régler tous les cas. Mais, sur une question aussi sensible, il faudrait sans doute qu’elle réponde mieux à une attente forte de la population, celle de pouvoir partir au moment de son choix.
Le Sénat a la responsabilité de prendre en compte ou, du moins, d’entendre ces attentes.
Cela étant, je pense que ce texte comporte un certain nombre d’améliorations. Mais, à nos yeux, il ne va pas encore assez loin.
Vous vous en souvenez, mes chers collègues, dans un premier temps, dépassant les clivages habituels, des sénatrices et des sénateurs de tous les groupes politiques du Sénat sauf un avaient voulu soutenir ensemble le choix de pouvoir bénéficier d’une aide active à mourir. C’est ce pas que la présente proposition de loi ne permet pas de faire.
Nous proposons de reconnaître la volonté du patient de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir dans des conditions strictes. Associée à l’analgésie et à l’arrêt des traitements, la « sédation profonde et continue jusqu’au décès », telle qu’elle a été définie, ne saurait être la seule réponse à toutes les situations. C’est pourtant ce que le texte prévoit.
Avec le recours possible à une sédation profonde et continue, la proposition de loi contient tout de même une avancée : le fait d’être endormi. Cette réelle vision de la dignité est positive. Mais elle ne suffit pas à tous ! De plus, cette solution n’est pas réellement le fait du patient. C’est l’équipe soignante – et le caractère collégial est important – qui en décidera.
Vous l’aurez compris, même si nous saluons la qualité du travail effectué comme des débats, ainsi que la méthode, nous considérons que ce texte ne va pas suffisamment loin. Peut-être l’engagement n° 21 du candidat François Hollande, dont nous attendions beaucoup, était-il formulé de manière trop ambiguë. Peut-être l’attente de certains était-elle trop grande.
Quoi qu’il en soit, nous respectons évidemment les convictions de toutes celles et de tous ceux qui ont une position différente sur le sujet.
La loi de 2005 a très largement montré ses limites. La présente proposition de loi est censée y remédier, avec une volonté de remettre le patient au centre de la décision. Mais ce texte déçoit encore ceux et celles pour qui le droit à la mort fait partie des droits individuels humains. Selon nous, chacun doit pouvoir choisir sa mort sans être riche ou obligé, comme certains, de partir en Suisse !
Nous savons que l’objectif actuel est de trouver un équilibre, ce qui est difficile. Mais nous souhaitons qu’il soit possible d’aller plus loin dans un avenir proche. Tel est le sens d’un amendement que nous avons déposé.
Si cette proposition de loi reste comme elle est à ce stade, le groupe écologiste s’abstiendra, en saluant la qualité de nos débats, mais en soulignant qu’il aimerait aller plus loin. Plus tard, peut-être…
Néanmoins, je me félicite que le Sénat humaniste offre aujourd'hui une image plus positive que lors de nos derniers débats sur ce sujet ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau.
Mme Brigitte Micouleau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Dix ans après la promulgation de la loi de Jean Leonetti, texte qui a permis de répondre à une grande part des situations de fin de vie, un constat s’impose : les soins palliatifs auxquels les patients devraient pouvoir prétendre sont loin d’être accessibles à tous, et les inégalités géographiques restent importantes.
Pourtant, les Français ont besoin d’un accès effectif aux soins palliatifs. Trop de personnes se trouvent encore aujourd’hui dans une situation d’extrême détresse face à la maladie et à la souffrance. En tant que législateurs, nous avons une responsabilité : créer les conditions favorables à un accompagnement tout au bout de la vie.
Ces disparités marquées de l’offre de soins palliatifs ont été révélées par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2015, intitulé Les soins palliatifs, une prise en charge toujours très incomplète.
À cela s’ajoute une disparité pour ce qui concerne le taux d’équipement en lits des unités de soins palliatifs. Il est inquiétant de constater que seul un patient ayant besoin de soins palliatifs sur deux en bénéficie. Entre 2007 et 2012, notre pays est passé de 90 à 122 unités de soins palliatifs, le nombre de lits de ces unités progressant de 942 à 1301 en 2012. Mais il est urgent d’aller plus loin. En réalité, nous aurions besoin de 5 000 nouveaux lits et d’un doublement des équipes mobiles, en lien notamment avec les équipes d’hospitalisation à domicile.
Par ailleurs, force est de constater la quasi-inexistence de soins palliatifs dans les établissements médico-sociaux, en particulier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.
Dans son rapport de 2013 consacré à la fin de vie des personnes âgées, l’Observatoire national de la fin de vie relevait que 85 % des EHPAD ne disposaient pas d’infirmière de nuit, d’où une multiplication des hospitalisations en urgence.
Sur les plus de 17 000 patients qui sont décédés en 2012 aux urgences, 52 % étaient âgés de soixante-quinze à quatre-vingt-neuf ans et 22 % avaient quatre-vingt-dix ans ou plus. Pourtant, 60 % de ces patients ont été hospitalisés pour une pathologie qui aurait nécessité des soins palliatifs.
En outre, il serait nécessaire de renforcer la formation des médecins et des soignants aux soins palliatifs, notamment aux traitements contre la douleur. Cette formation, qui doit être initiale et continue, est indispensable.
La douleur peut désormais être soulagée en France. Et de nombreux services sont formés à ces pratiques. Mais il faut continuer à développer celles-ci en faisant prévaloir la prescription de sédations conformes à des recommandations de bonnes pratiques.
Il existe également un manque de formation à l’écoute et à l’accompagnement des patients. Pourtant, l’échange avec les familles peut apporter un soulagement réel, psychique et bien souvent aussi physique. Je crois que les Français demandent aujourd’hui à être soulagés et accompagnés.
Aussi, madame la ministre, nous espérons que le plan triennal visant à promouvoir la culture palliative que vous avez récemment annoncé aura une traduction concrète dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, texte dont nous allons prochainement discuter.
Enfin, je tiens à saluer le travail accompli lors de la réunion de la commission des affaires sociales ; c’est ce qui nous permet d’examiner aujourd’hui le présent texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 25 janvier 2011, au cours d’une longue nuit, nous avons débattu d’un texte sur la fin de vie assez voisin de celui que nous examinons aujourd’hui. De cette séance, je garde un souvenir douloureux en me remémorant les interventions de Guy Fischer et Jean-Louis Lorrain – animés de convictions, certes, contraires –, deux collègues que le même mal devait emporter quelque temps plus tard.
Était-il nécessaire de rouvrir ce dossier, qui suscitera toujours des positions antagonistes très marquées, mais aussi respectables – et nous devons les respecter ! – les unes que les autres ? Chacun de nous peut et doit avoir ses propres convictions, fondées sur son vécu, ses croyances ou son approche philosophique. Les uns souhaitent un droit à la liberté de l’individu, exigeant de la société qu’elle lui fournisse les moyens de l’exercer ; c’est l’un des enjeux de ce texte. Les autres s’appuient sur les valeurs de la société, le devoir de ne point nuire et d’assurer la protection des personnes les plus fragiles ou en situation de faiblesse.
La commission des affaires sociales souligne d’ailleurs l’ambiguïté du titre de la proposition de loi et propose de supprimer les mots : « en faveur des malades ». C’est heureux ! En revanche, elle ne précise pas ce qu’est le « court terme ». Qui va le définir ? Que faire du patient qui considère que sa souffrance physique ou morale le conduit à vouloir en finir ?
Mais, au-delà de cette ambiguïté, chacun a bien compris que nous sommes de fait face à deux courants de pensée difficilement conciliables. On peut travailler le sens des mots ou trouver des périphrases ambiguës dont l’interprétation plongera les équipes soignantes et les patients dans le doute, sinon dans l’angoisse. En effet, certains patients hésiteront peut-être à faire part de leur souffrance, de peur de voir un protocole terminal mis en place à leur insu. Entre le souhait de tout individu normalement constitué d’éviter toute souffrance à cet instant de la vie et le risque d’une fin provoquée, l’inquiétude naîtra.
La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, ou SFAP, par la voix de son président, Charles Joussellin, rappelle l’avis de son comité scientifique, qui approuve le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans sa réserve sur la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. En revanche, sur le caractère contraignant des directives anticipées, il ne soutient pas l’évolution d’une loi vers un droit à la sédation du patient en fin de vie. M. Charles Joussellin le rappelle : « Pour faire société, les individus s’inscrivent dans un ensemble de valeurs et de croyances qui permettent à l’humanisation de s’instituer autour de lois dont la première est l’interdiction de tuer. » Fallait-il de nouveau légiférer ?
Ces derniers jours, la discussion en commission a conduit à une prise de position qui ne manque pas de m’interpeller. Au nom d’un compromis, ai-je à renoncer à mes convictions profondes et au serment que j’ai prononcé en son temps ? Comment accepter une périphrase dont le sens profond est évident pour tous : la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » ?
J’ai relu Marie de Hennezel, Axel Kahn, Jean-Luc Romero, Louis Puybasset, Léon Schwartzenberg, Jankélévitch, monseigneur d’Ornellas et d’autres. J’ai lu les derniers écrits de Damien Le Guay dans son appel à ce que ce texte soit amendé pour qu’il n’apparaisse pas comme une nouvelle étape vers l’euthanasie. En 2006, Anne Richard taxait l’euthanasie de « combat d’arrière-garde », tant la loi de 2005 semblait donner ce droit à ne pas souffrir dans l’ultime combat du malade contre la mort.
J’ai parcouru le compte rendu des débats à l’Assemblée nationale, notamment la longue discussion de cet amendement déposé par 137 députés qui a finalement été rejeté. Madame la ministre, j’ai lu votre analyse considérant que cette loi était une avancée, mais aussi une étape. Une étape vers quoi ? Il apparaît dans vos propos que, la société française n’étant pas tout à fait mûre, il ne faut pas aller plus loin pour l’instant…
Pour certains, il fallait avant tout lever cette emprise insupportable de l’équipe soignante et du médecin sur la personne. Pourtant, la loi en vigueur, dans son esprit et dans sa lettre, répond à l’immense majorité, pour ne pas dire à la totalité des cas douloureux de fin de vie ; il suffirait de l’appliquer. C’est ce que souligne le professeur Puybasset. D’ailleurs, Axel Kahn le confirme : « Si la loi Leonetti était bien connue et bien appliquée, l’euthanasie transgressive n’aurait pas lieu d’être pratiquée. »
Ce texte voté en l’état suscitera plusieurs interrogations. Dans un essai récent, le professeur Laurent Degos les pose d’une manière assez directe, et je reprends ses termes : « Le Président de la République a souhaité en janvier dernier “une assistance médicalisée pour terminer sa vie en dignité”. Que signifie “assistance médicalisée” de la mort » ? Il soulève aussi d’autres interrogations. La sédation profonde est-elle une euthanasie passive ou un soulagement du patient ? À partir de quand l’acharnement thérapeutique devient-il une obstination déraisonnable ? Est-ce par compassion que l’on va donner la mort ? Quelle vision a-t-on du professionnel de santé qui soigne et qui apporte par ailleurs la mort ? Les termes sont crus ; ils nous interpellent. Mais ce sont bien ces questions auxquelles nous devons nous répondre aujourd'hui !
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, Emmanuel Hirsch, que vous avez cité, évoque une « obstination politique déraisonnable ». Je me permets de reprendre les propos que vous avez tenus voilà quatre ans : « L’évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les valeurs communes qui sont au fondement d’une société et soutiennent ses institutions. […] J’estime, en conclusion, qu’il n’est pas opportun de voter une nouvelle loi ».
Vous comprendrez que je ne voterai pas ce texte. Je remercie le président du RDSE de m’avoir permis de m’exprimer, sachant que les collègues de mon groupe, vous vous en doutez, sont loin d’acquiescer à ma position. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)