M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, permettez-moi, en préalable à mon intervention, de saluer la mémoire d’un jeune lycéen de seize ans, Mickaël Asaturyan, sauvagement et mortellement poignardé à Marseille, alors qu’il sortait de son lycée. Je présente à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, notre pays est en guerre. Son ennemi a un nom : le terrorisme islamiste, qui est l’instrument du djihad.
Il y a moins d’une semaine, le terrorisme islamiste a frappé notre pays en plein cœur. Les terroristes ont clairement revendiqué leur filiation avec Al-Qaïda et l’État islamique, qui contrôle de vastes territoires à cheval sur la Syrie et l’Irak.
Plus que jamais, aujourd’hui, la peur doit changer de camp et, pour cela, nous devons à notre tour aller frapper au cœur de l’épicentre de la terreur. Parler de notre intervention en Irak, c’est parler de la France, car nul ne peut plus nier que la menace est devenue intérieure et que cette menace a la même origine, ici et là-bas.
Mais, en préambule, je ne saurais décemment passer sous silence les responsabilités écrasantes qui sont les vôtres, et celles de vos prédécesseurs de l’UMP, dans la situation actuelle.
En effet, qui a laissé notre pays devenir une place forte des djihadistes, en abdiquant tout contrôle sérieux de nos frontières et en laissant les imams les plus radicaux fomenter la haine dans nos quartiers ? C’est vous !
Qui a défilé dimanche dernier à Paris aux côtés de représentants des pays du Golfe qui abritent les sponsors du djihad mondial, ou encore la Turquie de Recep Erdogan, allié objectif de l’État islamique par peur de l’autonomisme kurde ? C’est encore vous !
M. Jeanny Lorgeoux. C’est le peuple de France !
M. Stéphane Ravier. Qui a fait le lit de l’islamisme le plus violent en déstabilisant tout le Proche-Orient au nom de faux prophètes médiatiques les cheveux au vent et de leur idéologie mondialiste, à l’opposé de toutes les réalités locales ? C’est toujours vous !
Nous seuls avions prédit, avec Marine Le Pen, que la stratégie atlantiste des changements de régime, que vous avez appelés « printemps arabes », déboucherait inévitablement sur des hivers islamistes. Les régimes autoritaires alors en place n’étaient certes pas des parangons de vertu politique, mais ils étaient préférables au chaos et à la violence fanatique qui les ont remplacés. Ils étaient également préférables au régime que vous soutenez toujours dans la péninsule arabique. Ces financeurs du djihad ont largement contribué à plonger la Syrie et l’Irak dans la situation actuelle.
C’est à partir de la Syrie, où vous l’avez laissé prospérer contre le régime, que l’État islamique a pu mettre la main sur des pans entiers de l’Irak. Dans ces régions, il pratique un véritable génocide des chrétiens d’Orient et d’autres minorités. Ce génocide, mes chers collègues, vous ne pourrez pas dire que vous ne le connaissiez pas !
Face à cela, qu’aurons-nous fait aux yeux de l’Histoire ? Nous intervenons en appui des forces irakiennes et kurdes, au moyen d’une quinzaine d’avions de combat et de deux bâtiments de la marine nationale. Le porte-avions Charles-de-Gaulle doit quitter Toulon cette semaine, et vous avez annoncé le 17 décembre dernier, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, l’envoi de 120 soldats français aux côtés des forces de sécurité irakiennes et kurdes. Cela fait de nous le deuxième contributeur à la coalition, devant les Britanniques, ces mêmes Britanniques qui, à cause de leur intervention en 2003 aux côtés des États-Unis, portent une lourde responsabilité dans la déstabilisation de la région.
Toutefois, le poids militaire de la coalition reste relativement mesuré, et ses forces n’arrivent toujours pas à stopper l’armée djihadiste de Daech.
Nous voterons donc la prolongation de notre intervention, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin si nous voulons non seulement honorer notre rôle multiséculaire de protecteurs des chrétiens d’Orient, mais aussi, tout simplement, protéger les Français en France. La priorité de notre pays est d’éliminer ce cancer de l’islamisme armé et ses métastases qui s’étendent jusque sur notre sol, et de permettre ainsi aux populations déplacées de revenir chez elles vivre en paix.
Je n’ignore pas que les modalités d’intervention relèvent de l’exécutif, mais, pour être efficace, vous allez devoir revenir sur certains de vos choix, qui ont eu des conséquences gravissimes. Vous devez de toute urgence cesser de dépouiller nos armées de leurs moyens humains et financiers. Vous leur demandez toujours plus avec toujours moins de moyens, non seulement pour les opérations extérieures, mais aussi, désormais, sur le territoire national. Avec le déploiement de 10 000 hommes sur notre sol, la France est aujourd’hui notre premier théâtre d’opérations. Vous l’avez dit vous-même, il s’agit d’une « véritable opération intérieure » sans précédent.
Vous devez exiger de la Turquie qu’elle soit enfin claire dans son appui contre l’État islamique, au lieu d’utiliser ce dernier contre les Kurdes. Vous devez tirer toutes les conséquences de la continuité territoriale entre la Syrie et l’Irak, qui constitue une vaste bande incontrôlable où l’État islamique prospère sur fond de trafics. Vous devez également reprendre un dialogue soutenu avec le régime syrien, non pas pour le sanctifier ou l’absoudre, mais tout simplement pour réduire notre ennemi premier, qui est un ennemi commun.
J’ajoute que ce dialogue, qui implique les autres grandes puissances – les États-Unis et la Russie –, doit prendre en compte les spécificités régionales. De grâce, cessons de vouloir dupliquer nos propres institutions et faisons enfin preuve de réalisme dans des pays qui n’ont pas les mêmes traditions politiques que les nôtres.
Il est urgent et légitime de prolonger notre intervention en Irak, mais aussi d’agir en Syrie et de monter en puissance jusqu’à ce que cette région ne soit plus un sanctuaire et un camp d’entraînement géant pour ces djihadistes qui nous ont si durement frappés dans notre chair.
(M. Claude Bérit-Débat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe UDI-UC.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous fûmes totalement pris par surprise. Comment près de 200 000 kilomètres carrés d’Irak et de Syrie ont-ils pu être conquis en quelques semaines ? Comment Mossoul, deuxième ville d’Irak, avec 3 millions d’habitants, a-t-elle pu être prise en quelques heures ? D’où est issue cette force motorisée, comment toute cette logistique a-t-elle pu être mise en place ? Certes, il y a eu des prises de guerre au détriment des armées syriennes et irakiennes, mais personne n’imaginait une telle montée en puissance. La carence des services de renseignement occidentaux est vraiment stupéfiante, et très alarmante.
Nous fûmes donc contraints de déclencher l’opération Chammal dans l’urgence. Notre réaction fut émotionnelle et improvisée. Maintenant, nous devons nous engager dans une action réfléchie, en coordonnant tous les adversaires de Daech autour d’un seul objectif : le détruire.
Oui, il faut détruire Daech, pour des raisons humanitaires, afin de protéger les populations locales, faire cesser les massacres abominables de milliers de chrétiens, de yazidis, de sunnites modérés et de chiites, faire cesser les viols et le commerce de petites filles.
Il faut détruire Daech, pour des raisons de sécurité intérieure. Combien de Kouachi, combien de Coulibaly sont présents sur notre sol, équipés de kalachnikov, de RPG ou d’explosifs par des cellules dormantes, prêts à exécuter des policiers, des juifs, des journalistes ? Nous n’en savons rien.
On évalue entre 1 000 et 1 500 le nombre de djihadistes français de Daech. Ils sont sans doute plus, selon les Kurdes qui les affrontent. En effet, on peut se rendre en Irak et en Syrie par avion et être repéré, mais aussi en voiture, en train ou en bateau sans l’être. Mes chers collègues, on ne peut être que très alarmé par un sondage, même indicatif, selon lequel 25 % des 18-25 ans éprouveraient de la sympathie pour Daech. Mes chers collègues, 25 %... !
Daech a su s’adapter aux frappes aériennes en se mêlant à la population des villes et des villages. Il est donc absolument impossible de l’éradiquer sans forces au sol.
Quelles sont les forces au sol qui peuvent être mises en œuvre ? On a constaté à Mossoul la piètre qualité de l’armée irakienne. On ne peut pas compter sur les forces des pays du Golfe et de l’Arabie saoudite : non seulement elles sont peu importantes, mais, en outre, comme elles sont composées de sunnites, elles ne se battront pas contre d’autres sunnites aux côtés de chiites.
Les États-Unis ne veulent que positionner des forces spéciales et acheminer des équipements lourds pour les peshmergas, car le président Obama craint trop l’enlisement et ne rééditera pas les erreurs commises en Afghanistan ou la désastreuse campagne d’Irak.
Les forces britanniques, qui se sont épuisées sur ces mêmes théâtres d’opérations, ne peuvent ni ne veulent envoyer de troupes au sol.
Quant à la France, les opérations extérieures absorbent la quasi-totalité de nos forces disponibles et, même si nous le voulions, il nous serait impossible de faire plus que l’envoi de quelques conseillers et de forces spéciales.
Pour éliminer Daech, nous devons remettre en cause un certain nombre d’a priori et ne pas oublier la responsabilité de ceux de notre camp qui ont contribué à sa genèse.
Quelles sont les forces qui peuvent se battre au sol ? Les Kurdes. Nous fournissons des armes lourdes et des conseillers aux Kurdes d’Irak, les peshmergas. Ils sont en phase de reconquête de leur territoire. Cependant, comme ils sont en état de paix depuis 2003, ils ont, hormis la garde présidentielle, perdu une partie de leur efficacité. Sous la poussée de Daech, après la prise de Mossoul, Erbil aurait pu et même dû tomber. C’est la garde présidentielle du président Barzani, appuyée par le PKK et renforcée par les armes lourdes iraniennes et les frappes américaines, qui a brisé l’offensive. Ce sont ces combattants qui ont évité, avec leur branche syrienne du PYD, que Kobané ne soit prise.
Le PKK est la force la plus efficace sur le terrain, mais nous ne coopérons avec lui que de façon occulte, car il est considéré comme une organisation terroriste. En effet, depuis trente ans, un conflit très meurtrier l’oppose au gouvernement turc. Ce conflit a fait près de 45 000 victimes – des soldats turcs et des membres du PKK –, mais aussi provoqué la destruction de 4 000 villages kurdes.
Le terrible danger que représente Daech et notre objectif d’efficacité doivent amener notre diplomatie à œuvrer pour que les négociations de paix qui se déroulent entre le PKK et la Turquie aboutissent. Nous devons aussi convaincre la Turquie de participer activement, ne serait-ce qu’en raison de sa longue frontière avec les théâtres d’opérations. Ce sont là des éléments majeurs pour venir à bout de Daech.
Ayons en mémoire, pour contribuer à sortir le PKK de la liste des organisations terroristes, que la frontière entre résistants et terroristes s’efface souvent dans le temps. Rappelons-nous que l’Israélien Menahem Begin et le Palestinien Yasser Arafat, d'abord considérés comme des terroristes et pourchassés en tant que tels, reçurent tous deux le prix Nobel de la paix !
Les peshmergas, le PKK et le PYD ont stoppé l’offensive de Daech, mais ils ne sont pas en mesure de reconquérir les 200 000 kilomètres carrés qu’il contrôle. La seule force capable de le faire, c’est l’Iran.
L’Iran lutte en Syrie contre l’armée islamique par l’intermédiaire du Hezbollah. Il effectue des frappes aériennes en Irak et approvisionne les milices chiites en armes. Les pasdarans sont présents en nombre ; la mort d’un de leurs généraux démontre l’importance de leur engagement.
Nous avons hérité de relations exécrables avec l’Iran, en partie pour des raisons valables, mais aussi pour des raisons moins convaincantes : elles ont surtout pour origine la révolution islamique de 1979.
Faire la guerre pour la gagner, c’est porter au plus haut le pragmatisme. Pour éradiquer Daech, quelle autre solution qu’une coordination avec l’Iran ? Une telle coordination sera certainement difficile, car elle représentera un véritable aggiornamento pour notre diplomatie. Ajoutons-y le très sensible dossier nucléaire.
Cependant, cette coordination serait pragmatique et courageuse. Elle incarnerait à nouveau la capacité de notre diplomatie à s’émanciper qu’ont démontrée en leur temps le général de Gaulle, en reconnaissant la Chine, en 1962, en pleine guerre du Vietnam, et le président Chirac, en refusant de participer à la guerre contre l’Irak, en 2003.
Faisons preuve d’autonomie. Quel est notre poids dans la coalition ? Participons-nous aux décisions ? Notre contribution militaire, fortement symbolique, n’est aujourd’hui que mineure, mais nous pouvons jouer demain un rôle politique majeur par notre action diplomatique.
Dans notre action pour coordonner les acteurs, nous devons introduire aussi la Russie et la Turquie dans le débat. Nous devons avoir la volonté d’engager des négociations avec l’Iran, puissance régionale incontournable avec laquelle nous entretenions des liens privilégiés. Nous devons l’inciter et l’aider à trouver sa place dans le débat international ; cela permettrait en outre d’améliorer le respect des droits civiques à l’intérieur du pays.
M. Jean-Yves Leconte. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Malgré notre hostilité au régime de Bachar al-Assad, nous devons, comme nos alliés, élargir les frappes aériennes à la Syrie, sous peine de faire de ce pays un sanctuaire pour Daech. Il faut savoir choisir !
Poursuivons l’opération Chammal en l’élargissant donc à la Syrie, poursuivons les livraisons directes d’armes lourdes aux Kurdes d’Irak, la présence des forces spéciales et les frappes aériennes. Participons bien sûr à la reconstruction de l’armée irakienne, et coordonnons-nous avec les forces locales, ennemies irréductibles de Daech : les peshmergas, le PKK, le PYD et l’Iran. C’est notre seule option pour que notre action humanitaire et sécuritaire en Irak tourne à notre avantage.
M. Jean-Yves Leconte. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. La guerre est le domaine où le pragmatisme est le plus nécessaire. Nous devons réaliser que, si nous nous refusons à coopérer avec les Iraniens et à agir en Syrie, l’opération Chammal ne connaîtra pas de fin. Aujourd’hui, la guerre est sur notre sol. Pour la gagner en France, il faut d’abord la gagner en Irak et en Syrie. C’est pourquoi le groupe UDI-UC votera la prolongation de notre intervention en Irak. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe UMP.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, lors du débat précédent sur les attaques terroristes, nous avons tous tenu à saluer, pour leur rendre hommage, les forces de l’ordre.
En cet instant, je veux également rendre hommage à celles et ceux de nos soldats qui sont engagés non seulement en Irak, mais également sur d’autres théâtres d’opérations. Je souhaite aussi saluer nos diplomates, monsieur le ministre des affaires étrangères, ces hommes et ces femmes qui composent notre réseau diplomatique et qui font preuve, comme nos forces armées, d’un très grand courage. Pour connaître certains de nos diplomates, je puis vous assurer que, à leur façon, ce sont aussi des soldats, les soldats de l’idéal, comme aurait dit Georges Clemenceau.
Le Gouvernement nous demande aujourd’hui de l’autoriser à prolonger l’engagement français en Irak, ce qui, à mon sens, nécessite de répondre à deux questions.
Existe-t-il aujourd’hui des éléments qui contredisent l’analyse qui nous a amenés à cet engagement ?
Si la réponse est négative, et si donc cet engagement conserve son bien-fondé, pouvons-nous dire que les moyens et les modalités que nous avons définis sont proportionnés aux objectifs que nous nous sommes donnés et qu’ils nous permettront de les atteindre ?
S’agissant tout d’abord du bien-fondé de notre intervention, il m’apparaît aujourd’hui évident que nous devons absolument remettre en perspective l’engagement international avec les attentats perpétrés sur le sol français, au cœur de l’Île-de-France, la semaine dernière.
Si vous me le permettez une digression un peu personnelle, je vous dirai comment s’est forgée ma conviction sur la nécessité de cette opération. Monsieur le ministre des affaires étrangères, souvenez-vous, nous en avons discuté ensemble dans votre bureau.
C’était au mois d’août dernier et j’étais sans doute un des tout premiers parlementaires à me déplacer, après vous, en Irak. Daech venait de conquérir une très grande partie de la plaine de Ninive qui est, je vous le rappelle, l’un des grands berceaux de la civilisation, mais aussi Mossoul, Karacoch, grande ville chrétienne. À Erbil, au Kurdistan irakien, j’ai vu s’entasser par milliers des enfants, des vieillards, des femmes et des hommes, dans des églises, dans des appartements encore en construction, sur le moindre terrain vague.
Je les ai entendus et je les ai vus, la peur au ventre, l’effroi marquant leurs regards, leurs visages. Bien sûr, les médias ont relayé ces images et ces témoignages, qui nous ont permis, intellectuellement au moins, d’appréhender l’étendue du désastre, mais lorsque vous êtes en présence d’hommes et de femmes, en chair et en os, qui racontent ce qui vient de leur arriver, le ressenti est absolument différent. Grâce à ces personnes, j’ai compris que nous étions en présence d’une radicalité absolue, que j’ai qualifiée, après d’autres, d’islamo-fascisme, une forme de totalitarisme caractérisée par la haine de l’autre.
Aussi, j’ai immédiatement eu la conviction qu’il fallait impérativement que mon pays, la France, terre de liberté qui a encore une ambition diplomatique internationale, puisse contribuer à l’éradication de Daech, non seulement au nom de nos intérêts vitaux et de notre qualité de membre du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi pour toutes ces minorités, chrétiennes et yazidies.
Mes chers collègues, nous devons agir au nom de nos valeurs, pas seulement les valeurs françaises ou occidentales, mais les valeurs de toute l’humanité, les valeurs universelles.
Cette certitude qu’à quelques heures de Paris se met en place une base terroriste d’une puissance inégalée, qui s’appuie sur un quasi-État, avec une armée et des moyens financiers considérables, m’amène à penser que la réponse au terrorisme ne peut être que globale.
L’engagement français en Irak est aussi le prolongement naturel du combat que nous menons sur notre sol. Aussi, bien sûr, le groupe UMP soutiendra et votera cette demande d’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces françaises en Irak.
Néanmoins, ce soutien à la prolongation de l’intervention ne nous exonère pas collectivement de l’obligation d’en discuter les objectifs et d’en connaître les modalités.
Quels sont ces objectifs ? Les premières frappes américaines, puis françaises, ont d’abord eu pour but de stopper Daech, d’empêcher que l’État islamique ne s’empare de Bagdad et d’Erbil, ce qui aurait entériné de fait la disparition de l’Irak. Désormais, l’objectif est l’élimination, l’éradication de Daech, avec les problèmes qu’une telle entreprise peut poser.
Les buts sont clairs, mais est-ce que les moyens, les modalités sont proportionnés et nous permettront de les atteindre ?
Sur le plan militaire, la doctrine est la suivante : pas de présence au sol, recours aux frappes aériennes. Seulement, nous savons parfaitement, tout comme vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, que nous n’obtiendrons pas l’élimination de Daech sans forces au sol. Je parle non pas de forces françaises ou américaines, ni même des forces issues de la grande coalition, mais des peshmergas, que nous devrons soutenir, et de l’armée irakienne. Il nous faudra aussi, à un moment ou à un autre, clarifier la situation à l’égard de la Syrie.
En parlant des modalités, ici, au Sénat, qui, voilà quelques mois, a refusé – et pour la première fois - de voter les crédits militaires, je ne peux que répéter nos interrogations et redire l’inquiétude que nous inspire le budget de la défense nationale, qui ne nous semble pas à la hauteur de ce que nous exigeons de nos soldats, les recettes n’étant pas garanties. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Monsieur le ministre des affaires étrangères, n’y voyez aucun désir de polémiquer, mais, au moment où le Président de la République et le Premier ministre demandent à 10 000 soldats français de se déployer dans la profondeur du territoire pour faire face à un danger intérieur imminent, cette question prend une particulière acuité. Nous devons nous en emparer pour mettre fin, à un moment ou à un autre, à cette ambiguïté. Si nous n’anticipons pas, nous n’en sortirons qu’à nos dépens.
S’agissant des modalités politiques, vous devez avoir à l’esprit qu’aucune victoire militaire n’est possible si elle n’est précédée de victoires politiques. Aussi, je suis heureux que le nouveau premier ministre, M. al-Abadi, que nous avons rencontré voilà quelques semaines avec le président Larcher, ait tiré les enseignements de l’action malheureuse de son prédécesseur. Il poursuit une politique d’unité et d’inclusion nationale de toutes les minorités et de toutes les confessions. Cela me paraît absolument fondamental pour que la paix civile règne dans l’Irak libre, pays qui doit se dresser comme un seul homme face à l’inhumanité de Daech.
J’en viens maintenant naturellement à la question diplomatique. À cet égard, je pense qu’il faudra sortir d’un certain nombre sinon de contradictions, du moins d’ambiguïtés à l’égard de pays qui nous seront utiles pour atteindre nos objectifs.
Il y a d’abord la Syrie, dont j’ai déjà parlé, et que vous avez tout à l’heure évoquée. La situation n’y est pas simple. Évidemment, il ne s’agit pas de légitimer Bachar al-Assad, mais, pour reprendre les propos tenus par Hubert Védrine devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat voilà quelques semaines, il s’agit d’établir une priorité.
L’art de la guerre est tout d’exécution, un art qui exige de hiérarchiser des priorités sans pour autant transiger avec les idéaux qui sont les nôtres et pour lesquels nos soldats sont envoyés là-bas. Aussi, il nous faut bien considérer qu’il n’y aura pas d’élimination de Daech si cette organisation n’est pas atteinte en sa tête, qui se trouve non pas sur le territoire irakien, mais sur le territoire syrien.
Nous sommes aussi dans l’ambiguïté avec d’autres pays sans lesquels, vous le savez parfaitement, il ne pourra pas y avoir de solution diplomatique et politique. Je veux parler, comme d’autres avant moi, de la Russie, de l’Iran et de la Turquie.
Pouvons-nous travailler avec la Russie et l’Iran pour atteindre notre objectif dans cet arc de terreur absolue et de conflits qui court de l’Afrique subsaharienne, avec Boko Haram, jusqu’à l’Afghanistan, sinon même jusqu’au Pakistan ? Je pense que la raison nous commande de dire oui, sans brader les exigences que nous devons avoir sur le nucléaire avec les Iraniens, sans brader les exigences que nous devons opposer, dans la crise ukrainienne, à ce grand pays qu’est la Russie.
Enfin, il y a la Turquie, qui est certes un grand pays de l’OTAN,…
Mme Michelle Demessine. Elle est ambiguë !
M. Bruno Retailleau. … mais qui interdit toujours à la grande coalition, dont elle fait partie, de faire décoller ses avions des bases aériennes turques.
Pourtant, à mon sens, les Kurdes ne peuvent pas être mis au même niveau que les terroristes de Daech.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, c’est un travail énorme. Nous ne vous demandons pas de tout résoudre à l’instant, mais, au moment où notre groupe s’apprête à vous accorder la confiance pour continuer à agir dans ces pays, nous voulons être sûrs que vous vous en donnez bien les moyens, car la vie de nos soldats en dépend aussi.
Enfin, je voudrais terminer sur la question humanitaire, qui me tient particulièrement à cœur, comme vous le savez. Dans quelques semaines, les agences onusiennes n’auront plus les moyens de soutenir les 2 millions de déplacés, alors qu’il fait froid aujourd’hui en Irak.
Mes chers collègues, lorsque j’ai reçu les témoignages, à deux reprises, de ces gens, chrétiens ou yazidis, voire d’autres minorités, je vous assure que j’ai vu dans leur regard s’allumer une lumière quand le traducteur qui m’accompagnait leur indiquait que j’étais Français.
Ces réfugiés n’étaient jamais allés en France, ne savaient d’ailleurs sans doute pas situer notre pays sur une carte du monde, mais, dans leur carte affective intime, la France était pour eux une grande espérance. Je le répète, j’ai vu dans leur regard, par ailleurs marqué par la terreur et par l’effroi, cette lumière s’allumer.
Faisant écho au général de Gaulle, qui a déclaré que la France resterait toujours la voix des hommes qui n’en ont pas, je pense que ces peuples et ces réfugiés, qui n’ont plus rien du tout, attendent de nous que nous puissions mobiliser la communauté européenne.
Car où est l’Europe, mes chers collègues ? Il y a le Royaume-Uni, peut-être un peu l’Allemagne, mais où est l’Union européenne ? Si l’Union ne peut pas, ce que je peux comprendre par ailleurs, prendre les moyens de la force, qu’elle donne au moins les moyens budgétaires nécessaires à cette cause humanitaire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Bruno Retailleau. On ne peut pas aller en Irak pour protéger non seulement les Irakiens et ces minorités dont nous avons la charge depuis si longtemps, mais aussi le peuple français, sans considérer également cette donnée humanitaire. Dans quelques semaines, mes chers collègues, je vous l’assure, il pourrait être trop tard et ce pays pourrait connaître un drame humanitaire sans précédent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les 7, 8 et 9 janvier dernier, la France a été victime, sur son sol, d’attaques terroristes d’une nature inédite par leur ampleur, puisqu’elles ont fait dix-sept morts et de nombreux blessés, mais aussi inédite par leur portée.
En effet, au-delà du lâche assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, de plusieurs membres des forces de l’ordre et de civils de confession juive qui faisaient simplement leurs courses dans un supermarché, c’est-à-dire de ceux qui s’expriment librement, de ceux qui font appliquer les lois et de ceux qui ont d’autres croyances, c’est aux valeurs qui fondent notre République que les terroristes s’attaquaient.
Au-delà des personnes touchées dans leur chair et leur vie, c’est une partie de notre âme que l’on a cherché à atteindre. En cela, les mobilisations citoyennes du 11 janvier sont une formidable réponse de la France et du monde à l’obscurantisme, et elles nous obligent à poursuivre et renforcer notre combat pour faire vivre les valeurs républicaines qui nous animent tous.
C’est au nom de ces mêmes valeurs que nous nous sommes engagés sur de multiples théâtres d’opérations, parmi lesquels le Mali, la République centrafricaine, l’Irak...
Avec Serval, on peut assurer que nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés, à savoir la sauvegarde de l’intégrité territoriale et politique du Mali et la relance d’un processus politique, certes lent, mais réel. Naturellement, le terrorisme, tel qu’il évolue dans la bande sahélo-saharienne et auquel répond Barkhane, opération régionalisée avec cinq États africains, nécessitera de relever le défi libyen. Ces deux clefs permettront de juguler cette menace.
Il y a quelques jours, nous étions avec le ministre de la défense au Niger, plus exactement à Madama, au plus près de la frontière libyenne. Sur place, dans ce fortin battu par les vents de sable, nous avons pu prendre physiquement la mesure de l’immensité du défi que doivent relever nos troupes dans ce bastion avancé de la lutte contre le terrorisme. Je veux rendre ici un hommage appuyé au courage de ces femmes et de ces hommes qui représentent si bien l’état d’esprit de nos forces armées.
Venons-en à l’Irak, où l’opération Chammal s’inscrit dans cette stratégie globale visant à lutter contre ce qui devient un nouveau centre de gravité du djihadisme international. Nourrie d’une idéologie salafiste sommaire, Daech est à l’opposé de nos valeurs et de tout ce sur quoi notre République est bâtie. Les atrocités commises par ses membres dans les territoires qu’elle occupe, sur les femmes yazidies, les prisonniers de guerre, sur toutes les minorités, ainsi que sur celles et ceux qui ne se plient pas à leur idéologie, sont d’une inhumanité inqualifiable.
On sait comment est né Daech et comment il a prospéré. En participant à la guerre civile en Syrie, il est devenu l’État islamique en Irak, puis l’État islamique en Irak et au Levant. Daech contrôle aujourd’hui 200 000 kilomètres carrés, c’est-à-dire un tiers de l’Irak et un quart de la Syrie, une population de dix millions de personnes, des ressources matérielles et financières considérables et des stocks d’armes lourdes. Cette organisation, qui n’est pas un État, dispose de plusieurs dizaines de milliers de combattants constitués en organisation militaire.
En bâtissant cette entité, Daech s’inscrit dans la durée et veut déstabiliser le Moyen-Orient.
À cela, il faut ajouter l’élément de difficulté lié au contexte de la globalisation, qui est une source de mieux-être pour nos sociétés et permet à bien des pays de se développer, mais qui offre aussi à des organisations comme Al-Qaïda et Daech de puiser des ressources en finances et en hommes pour propager leurs idéologies rétrogrades.
Comme nous l’avons entendu dire lors de l’audition d’un général par la commission des affaires étrangères du Sénat, la notion de théâtres d’opérations avec des limites géographiques strictes perd peu à peu de sa pertinence. Quelle plus terrible illustration de ce constat que les événements que la France vient de connaître sur son sol ?
Le lien est de plus en plus fort entre la défense de « l’avant » – les opérations extérieures – et la sécurité de « l’arrière » – le territoire national –, ce qui valide plus encore la fameuse notion de « défense et sécurité nationale » définie dans le Livre blanc. Dès lors, il ne fait aucun doute que la guerre contre cette organisation sera longue. Aucun désengagement n’est possible et notre stratégie doit s’adapter à ces contraintes.
La France a une stratégie cohérente et souple. À ceux qui pourraient douter de sa légitimité, je veux rappeler que notre action est doublement incontestable, d’abord parce qu’elle s’appuie sur la résolution 2170 des Nations unies, qui incite les nations à agir, et ensuite parce qu’elle répond à la demande des autorités irakiennes. Tel était le sens du déplacement en Irak du Président de la République, le 12 septembre dernier, au cours duquel il a réaffirmé son soutien à ces autorités.
La France a donc pris ses responsabilités, bâti un dispositif militaire adapté et mis en œuvre une stratégie à la mesure des menaces, en adéquation avec ses moyens et en conformité avec le droit. Ne pas participer à cette coalition eût été étrange, voire curieux, compte tenu de nos responsabilités.
La France tient son rang.
Il s’agit de stabiliser un Moyen-Orient dont les frontières sont aujourd’hui remises en cause par l’expansion de Daech et, avant cela, par l’implosion de la Syrie. Il s’agit également de protéger les minorités de la région : chrétiens, yazidis, Kurdes, tous connaissent le même calvaire, tous doivent bénéficier d’une action vigoureuse de la communauté internationale.
Il s’agit enfin de participer à la sécurisation de notre propre territoire et de nos intérêts nationaux, de dissuader ceux que les islamistes radicaux appellent « combattants étrangers » de se rendre en Syrie ou en Irak et qui, une fois de retour sur le territoire national, sont en mesure de commettre d’autres attentats. Les opérations conduites par nos militaires en Irak sont donc parties prenantes de notre sécurité nationale. Parmi ces combattants, figurent, hélas, trop de citoyens français. Il convient que nous poursuivions la réflexion sur la stratégie nécessaire pour y faire face.
Quel rôle s’est donné cette coalition ? Briser l’élan des groupes armés de Daech, faire en sorte que les forces armées irakiennes et leurs partenaires, qui sont nos alliés sur place, je pense en particulier aux peshmergas kurdes, et les organisations syriennes modérées soient en mesure de reconquérir le terrain perdu.
Comme cela a été rappelé, plusieurs priorités découlent de cette stratégie. Il s’agit de faire converger des objectifs de cette coalition composée de soixante États membres, aux moyens et aux implications très disparates. Les attendus de l’Arabie saoudite, de la Turquie ou des États-Unis ne sont pas les mêmes. Il y a urgence à mettre en cohérence ces stratégies, qui ne visent pas toutes les mêmes objectifs.
Il faut reconquérir le cœur et les esprits – pour reprendre une terminologie propre aux théories de la contre-insurrection – des tribus sunnites en Irak. En effet, c’est lorsque celles-ci se sont mobilisées qu’Al-Qaïda en Irak, dirigée alors par le Jordanien Abou Moussad al-Zarqaoui, a pu être vaincue.
Il s’agit également de trouver et d’aider des partenaires en Syrie, une opposition syrienne modérée, qui permette de faire le poids face à Jabhat al-Nosra et Daech, qui contrôlent la majeure partie du territoire soustrait à l’autorité de Bachar-al-Assad. Il s’agit enfin de réduire les ressources matérielles et financières de Daech. Ces trois points sont essentiels.
Le 19 septembre 2014, la France a donc lancé l’opération Chammal, qui vise à apporter un soutien aérien aux forces armées irakiennes. Nous avons déployé des moyens à la mesure de nos capacités et des objectifs à atteindre. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, il s’agit de neuf appareils de combat de type Rafale sur notre base d’Abou Dhabi, de six appareils de combat Mirage 2000D en Jordanie, ainsi que d’un ravitailleur et un avion de patrouille maritime. Sur mer, une frégate antiaérienne a intégré le groupe aéronaval américain et demain, mais cela reste à confirmer, le porte-avions Charles-de-Gaulle appareillera pour l’Océan indien.
Nous bénéficions de l’appui logistique des États-Unis qui complètent nos capacités de ravitaillement en vol. Lorsque nous mettons en perspective les opérations Chammal et Barkhane, nous ne pouvons que constater l’excellence de la coopération entre les États-Unis et la France.
Ces moyens déployés font de la France, très loin devant nos partenaires britanniques, la seconde puissance contributrice de la coalition. Par ailleurs, contrairement à une idée répandue dans certaines sphères, les décisions sont prises et la stratégie militaire est élaborée de façon concertée avec nos partenaires. La France garde son autonomie quant au choix des cibles, puisque notre pays possède des capacités de renseignement satellitaires et électroniques suffisantes pour lui permettre de conserver cette liberté d’action.
Je rappelle que la France n’effectue pas de frappes en Syrie et qu’elle ne plaide pas encore pour une intégration de l’Iran à la coalition internationale. Elle ne souhaite pas renforcer par son action le régime de Damas, tant qu’une solution politique entre les différentes parties prenantes ne verra pas le jour. La Syrie doit connaître un processus politique semblable à celui qui s’est esquissé en Irak, avec des élections sous supervision internationale et la formation d’un gouvernement d’union nationale inclusif. Une telle évolution en Syrie n’est possible qu’en dehors de Bachar al-Assad.
L’Iran ne pourra participer à la coalition qu’une fois les négociations sur le nucléaire abouties. Il est évident que la participation de l’Iran à la lutte contre Daech serait déterminante, mais elle ne doit pas se faire au détriment d’un règlement ferme et définitif de la problématique nucléaire. (M. Yves Pozzo di Borgo s’exclame.)
Nous pouvons donc considérer aujourd’hui que nous avons atteint un premier objectif : Bagdad a été sécurisée, Daech aurait perdu près de deux mille combattants depuis l’été, 1 300 cibles ont été détruites, dont les raffineries et une partie des infrastructures militaires... La première phase de l’opération Chammal peut être considérée comme réussie.
La question de l’engagement au sol, à ce stade du débat, est régulièrement posée, mais il nous semble que ce rôle ne nous incombe pas en Irak, compte tenu de l’ensemble des précédents malheureux. Il est important que les peuples que nous soutenons produisent l’effort nécessaire pour susciter un sursaut militaire et un processus politique permettant de consolider les États. Tel est le sens de nos actions en matière de formation, d’équipement et de financement, en Jordanie, au Liban et dans certains pays d’Afrique. Si nous nous concentrons sur la reconstruction de l’armée malienne et sur la consolidation des armées des pays partenaires, les Américains, quant à eux, gardent leur leadership, en quelque sorte, sur la remontée en puissance de l’armée irakienne.
Envisageons à présent l’issue de cet effort. D’emblée, je crois ici nécessaire d’affirmer qu’il est important de ne pas se fixer de calendrier. Personne n’imaginait que cette guerre serait gagnée en quatre mois, pour deux raisons qui tiennent à la nature et à l’échelle de l’espace-temps.
D’une part, fixer un délai à nos actions permettrait à notre adversaire d’adapter sa stratégie. Ce serait un contresens, car ce combat relève évidemment du temps long. Il faut au contraire bien affirmer qu’il s’agit d’une priorité stratégique de notre propre agenda.
D’autre part, l’échelle de ces opérations est inédite, car il s’agit d’une lutte globale sur plusieurs points du globe : hier en Afghanistan, aujourd’hui au Mali, au Yémen, en Somalie ou en Irak et, qui sait, demain, en Libye ou face à Boko Haram, dont l’actualité rappelle, hélas, l’horreur des exactions.
Il faut continuer à travailler à l’adaptation de nos forces armées à ce type de guerre où elles doivent pratiquer un nomadisme stratégique. De ce point de vue, le Livre blanc de 2008 et celui de 2013 avaient bien anticipé ces menaces et les efforts aujourd’hui engagés en matière d’équipement et de modernisation vont dans le bon sens, même si j’admets volontiers qu’ils sont difficiles à concilier avec la diminution des effectifs en cours.
Issus d’une idéologie totalisante, déshumanisante et régressive, Daech et ses émules prospèrent au Moyen-Orient sur les frustrations engendrées par le Réveil arabe. La non-prise en compte du pluralisme multiséculaire de ces pays en est une preuve supplémentaire. Seules des solutions politiques répondront à ces questions. La France doit donc continuer à plaider en faveur d’une action concertée des pays du Moyen-Orient au sein de la coalition internationale : cela constituerait une avancée majeure.
Les chefs d’État qui étaient présents à Paris lors du rassemblement de dimanche dernier ont pu prendre la mesure de la menace terroriste, ce qui devrait inciter encore plus de nations à s’engager dans cette guerre contre le terrorisme, en particulier en Europe.
Pays des droits de l’homme, la France, désignée par ces organisations comme l’une de leurs cibles privilégiées, doit livrer ce combat pour préserver ses libertés – les libertés ! –, son pluralisme et son universalisme, cette façon si singulière de voir le monde et que le monde libre apprécie et salue. Les attentats perpétrés sur notre sol ces derniers jours, les atrocités commises par Daech renforcent notre détermination à poursuivre le combat que nous menons aujourd’hui en Irak. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste. – M. Alain Gournac applaudit également.)