M. Jacques Mézard. Pas de problème !
Mme Sylvia Pinel, ministre. … ou dans un autre cadre, qu’il vous reviendrait de définir.
Quelles que soient nos sensibilités, vous le dites avec raison, nous avons la volonté d’avancer, de réussir. Nous voulons faire en sorte que ces territoires ne se sentent ni abandonnés ni délaissés. Nous avons évidemment ces convictions en partage.
Jean-Jacques Lasserre, vous avez raison d’insister sur l’apport des territoires ruraux à la politique environnementale et agricole. Cette question fera d’ailleurs l’objet d’un atelier qui se déroulera jeudi prochain dans la Drôme. Je ne peux, vous aussi, que vous inviter à contribuer au débat et à formuler des propositions sur ces divers sujets.
Plusieurs orateurs ont posé la question de la péréquation. Force est de constater que ce système a atteint ses limites. Il se heurte à un problème de lisibilité.
M. Pierre-Yves Collombat. Et d’injustice !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Depuis des années, et pas seulement depuis 2012, comme certains ont tenté de nous le faire croire à la droite de cet hémicycle,…
M. Rémy Pointereau. Ne soyez pas sectaire !
Mme Sylvia Pinel, ministre. … les réformes ont succédé aux réformes, sans vue d’ensemble, tandis que l’on perdait largement de vue l’objectif premier : la solidarité entre les territoires.
Ce dispositif est injuste, car rien ne peut justifier les écarts de un à deux, voire de un à trois, existant entre les intercommunalités quant au montant de la dotation globale de fonctionnement versée aux collectivités, entre les territoires urbains et ruraux.
M. Rémy Pointereau. Oui !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Certes, les premiers doivent faire face à certaines charges dites « de centralité », qui méritent d’être prises en compte.
M. Rémy Pointereau. Et la ruralité ?
Mme Sylvia Pinel, ministre. Mais les seconds doivent eux aussi assumer de lourdes charges au titre des équipements et des services auxquels les habitants et les entreprises qu’ils abritent aspirent légitimement.
Ils doivent également faire face à l’entretien des paysages, à la protection et à la valorisation de nos ressources naturelles ou encore à la protection de la biodiversité, missions qu’ils exercent au bénéfice de notre pays tout entier et qui, à ce titre, méritent d’être mieux prises en compte dans le calcul des dotations.
Enfin, la DGF n’a pas atteint les buts visés. En effet, la politique des dotations de l’État peine à assurer l’équilibre des territoires, qui est indispensable à la cohésion économique et sociale de notre pays.
C’est parce qu’il est bien conscient de ces limites que le Gouvernement a annoncé, par la voix du Premier ministre, une réforme générale de la dotation globale de fonctionnement.
M. Rémy Pointereau. On attend de voir…
Mme Sylvia Pinel, ministre. L’objectif clairement affiché, c’est d’œuvrer à un rapprochement des niveaux de dotations entre les territoires urbains et ruraux, en élaborant un dispositif plus juste et plus lisible pour chacun.
Le Gouvernement va confier à une mission parlementaire le soin de mener à bien ces travaux.
M. Pierre-Yves Collombat. Ah ! C’est un changement !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Toutefois, je le répète à l’intention des sénateurs de l’UMP, ce débat ne date pas de 2012.
M. Rémy Pointereau. Des noms ! Des noms ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Sylvia Pinel, ministre. Enfin, je reviendrai rapidement sur les pôles d’excellence rurale, évoqués par Rémy Pointereau.
Il n’est pas prévu de relancer une génération de pôles d’excellence rurale,…
M. Rémy Pointereau. C’est dommage…
Mme Sylvia Pinel, ministre. … étant donné les fortunes diverses qu’ils ont connues. J’ai préféré orienter prioritairement les crédits de mon ministère vers la contractualisation, qui me semble être l’outil le plus juste. Je précise que l’État continuera bien entendu à respecter ses engagements quant au financement des projets en cours.
Nous avons constaté que la procédure de l’appel à projets conduisait, en définitive, à sélectionner assez régulièrement les meilleurs,…
M. Rémy Pointereau. Où est le problème ?
Mme Sylvia Pinel, ministre. … ceux qui, parce qu’ils ont les moyens de s’assurer le concours de certains cabinets d’experts, peuvent préparer de bons dossiers. Voilà pourquoi la logique contractuelle me semble plus juste.
M. Rémy Pointereau. C’est faux !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Monsieur Pointereau, vous avez également mentionné le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC. C’est un fonds que je connais bien, pour en avoir été responsable pendant plus de deux ans et demi. Je ne vous rappellerai pas l’état dans lequel je l’ai trouvé à mon arrivée à Bercy, et le temps qu’il nous a fallu pour combler les retards que votre majorité avait accumulés à cet égard…
Pour notre part, nous avons amélioré et recentré ce dispositif, qui interviendra désormais en appui de certaines politiques que nous menons actuellement.
M. Rémy Pointereau. Ne soyez pas sectaire ! Soyez objective !
Mme Évelyne Didier. Très bien !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Je le répète, j’ai géré le FISAC pendant deux ans et demi, et je n’énumérerai pas les dossiers que vous avez omis de financer ou les promesses que vous avez multipliées sans les honorer nécessairement.
Mme Évelyne Didier. Vous l’avez cherché, monsieur Pointereau !
M. François Bonhomme. Merci beaucoup !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Monsieur Gérard Bailly, les zones de revitalisation rurale créées par la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005 sont ciblées sur les territoires ruraux peu denses ou en déprise. Vous le savez, une réflexion est en cours à ce sujet, en lien avec le rapport remis par vos collègues députés Calmette et Vigier.
Sur ce front, nous devons mener une concertation sereine et approfondie avec les associations représentatives des élus locaux. Tel est mon vœu. Voilà pourquoi je souhaite que le Parlement vote, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, la reconduction des mesures d’exonération fiscale ouvertes par le classement en ZRR, dans l’attente d’une refonte générale du dispositif l’année prochaine, au terme de la phase de concertation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les précisions que je souhaitais apporter en réponse à certaines de vos interrogations. Bien entendu, je souhaite que nous poursuivions ces échanges lors des ateliers prévus dans le cadre des Assises de la ruralité. Nous devons continuer à défendre cette belle ambition républicaine que nous partageons : celle de l’égalité et de la juste reconnaissance de l’ensemble de nos territoires, notamment de nos territoires ruraux et hyper-ruraux, dans notre République ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Ruralité et hyper-ruralité : restaurer l’égalité républicaine ».
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Prestation de serment d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. M. Alain Anziani, élu juge suppléant à la Cour de justice de la République le 29 octobre dernier, va être appelé à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment. Je vous prie de bien vouloir vous lever à l’appel de votre nom et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. »
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
(M. Alain Anziani, juge suppléant, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »)
Mme la présidente. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui.
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Durée du mandat du Président de la République
Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE (proposition n° 779 [2013-2014], rapport n° 92).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, il est légitime, pour une assemblée parlementaire, et donc pour le Sénat, de réfléchir sur l’évolution des institutions. Il ne m’apparaît pas raisonnable de considérer aujourd’hui que leur fonctionnement ne pose pas de problème. On peut d’ailleurs constater que le débat traverse toutes les travées, toutes les sensibilités politiques : il est naturel et légitime. Notre groupe a souhaité qu’il s’engage de manière formelle devant notre Haute Assemblée.
À l’issue du référendum du 24 septembre 2000, marqué par le triomphe de l’abstention avec 74,7 % des inscrits, la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la République, qui a établi le quinquennat, a mis fin à une tradition constitutionnelle remontant à 1873. C’était un bouleversement institutionnel, qui est passé presque inaperçu.
Aujourd’hui, les effets – les méfaits, pour certains – du quinquennat sur l’équilibre des pouvoirs sont bien connus. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de remettre cette question dans l’actualité en engageant le débat. Nous ne sommes pas seuls à réfléchir sur les institutions : le président de l’Assemblée nationale s’y intéresse également et a mis en place un comité, qui comprend d’ailleurs peu de sénateurs.
M. Yvon Collin. Hélas !
M. Jacques Mézard. Des députés ont en outre déposé une proposition de loi un peu semblable à celle dont nous débattons aujourd’hui. Monsieur le secrétaire d’État, vous serez certainement rassuré d’apprendre qu’il n’existe aucune corrélation directe entre les dépôts de ces deux propositions de loi !
Monsieur le rapporteur, nous avons bien entendu votre argument selon lequel la réflexion – nécessaire – sur cette question porterait atteinte à l’image des parlementaires. Nous ne pouvons le recevoir. Le consensus sur le quinquennat est aujourd’hui remis en cause dans l’opinion et dans la vie publique par la position difficile de l’institution du Président de la République, soumise à toutes les avanies de l’actualité et aux volte-face d’une opinion que nous savons capricieuse et volage. Les élus de la République doivent avoir le courage de mener des réformes, même lorsqu’elles ne sont pas, ou peu, populaires !
Le philosophe Schopenhauer a écrit : « Une fois que l’opinion [a eu] pour elle un bon nombre de voix, les suivants [pensent] qu’elle n’[a] pu les obtenir que grâce à la justesse de ses fondements. » Il ajoute : « Les autres sont alors contraints de reconnaître ce qui [est] communément admis pour ne pas être considérés comme des esprits inquiets s’insurgeant contre des opinions universellement admises, et comme des impertinents se croyant plus malins que tout le monde. Adhérer [devient] alors un devoir ! » Nous n’adhérons pas à un régime factice de l’opinion du plus grand nombre !
Je souhaite corriger un point, monsieur le rapporteur. Il s’agit pour nous non pas d’affaiblir, de façon latente ou avouée, la fonction du Président de la République, mais bien plutôt de lui permettre de retrouver un statut qu’elle a perdu, en la restaurant dans son rôle d’arbitre au-dessus de la mêlée.
L’hypertrophie du Président de la République n’est pas un atout de la fonction, contrairement à ce que l’on pourrait penser, surtout dans un régime où l’exécutif se voudrait bicéphale. Au vu de votre sensibilité politique, monsieur le rapporteur – je salue également M. le président de la commission des lois –, vous vous accorderez à considérer que les propos du général de Gaulle sur le septennat et la non-concomitance de l’élection des députés et du Président de la République indiquent combien la mise en place du quinquennat va à l’encontre de la volonté initiale du fondateur de la Ve République.
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Jacques Mézard. Nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter de cet affaiblissement de la fonction présidentielle.
Le débat est justifié à nos yeux par l’ampleur des dégâts causés par le quinquennat dans le régime de la Ve République. Cet argument fallacieux ne peut nous être opposé, car les douze années de quinquennat nous confèrent désormais le recul nécessaire pour dresser un bilan de cette réforme. Celui-ci ne saurait être positif, il faut savoir reconnaître ses erreurs et celles de ses prédécesseurs ! Devrions-nous nous contenter d’un système qui ne fonctionne pas bien ? Ce n’est pas là une façon satisfaisante de faire évoluer les institutions et nous ne ferons pas nôtres ces considérations défaitistes et immobilistes.
Notre République n’a-t-elle pas sans cesse besoin d’être adaptée, modernisée, améliorée ? C’est pourtant bien ce que l’on nous rabâche à longueur de semaines et de mois. S’il est un domaine dans lequel il faut savoir évoluer, c’est bien celui-là ! Sans être de ceux qui souhaitent établir une VIe République, nous affirmons que notre système mérite une évolution.
La Ve République a déjà connu des modifications considérables. Avant le quinquennat, elle a vécu une réforme considérable en 1962 : l’élection du Président de la République au suffrage universel.
Le groupe dont je suis membre ne soutenait pas, à l’époque, cette révision. Il m’arrive régulièrement de relire les discours du président Monnerville à ce sujet. On y trouve des propos très clairs, annonciateurs de bien des vicissitudes de la Ve République. Voici ce qu’il écrivait en 1962 : « Réunir en une seule main, sur une seule tête, tous les pouvoirs sans nul contrepoids, c’est proprement abolir la démocratie. » Il faut dire que ce texte adressé aux Français, avait pour titre : La Constitution est violée, le peuple est abusé ! Nous avons vu la suite.
Mes chers collègues, je vous conseille de relire certains de ces discours, en particulier ceux de 1962 et de 1969, qui sont tout à fait prémonitoires de ce qu’est devenue la Ve République.
Dans l’histoire de la durée du mandat présidentiel, le quinquennat apparaît comme une question récurrente de la vie politique et institutionnelle de la Ve République. De Georges Pompidou à François Mitterrand, en passant par Jacques Chirac et son Premier ministre Lionel Jospin, qui a réactivé la question en 2000, la durée du mandat présidentiel a constamment suscité des débats.
Près de trois quinquennats plus tard, nous pouvons aujourd’hui affirmer que son instauration a considérablement modifié la pratique des institutions issues de la Constitution du 4 octobre 1958, sans que les conséquences majeures de cette modification, a priori minime et présentée alors ainsi, aient été perçues et prises en compte.
Adopté dans la quasi-indifférence de nos concitoyens, le remplacement du septennat par le quinquennat a constitué, en réalité, un bouleversement constitutionnel, dont nous mesurons les uns et les autres depuis quelques années les conséquences souvent dommageables.
Quelles sont-elles ?
Le quinquennat, aussi appelé « présidence de législature » en raison de la concomitance entre l’élection du Président de la République et celle des députés qui la suit immédiatement, a mis fin au statut particulier d’arbitre institutionnel du Président de la République, qui répondait pourtant à la volonté expresse des rédacteurs de la Constitution de la Ve République.
M. Gilbert Barbier. Bien sûr !
M. Yvon Collin. C’est tout le problème : il est le chef de la majorité.
M. Jacques Mézard. Le fondement même de cette Constitution, et, en particulier, son article 5, monsieur le rapporteur, vise à faire du Président de la République un arbitre au-dessus des partis.
On sait d’ailleurs ce que pensait des partis l’illustre personnage qui avait mis en place cette Constitution !
Il faut souligner que les constituants de la Ve République concevaient la durée de la fonction présidentielle en fonction de son importance comme clé de voûte des institutions et de leur conception de l’équilibre entre les différents pouvoirs.
Cette position est consacrée par la Constitution à son article 5 :
« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.
« Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »
Brandissant le spectre de la cohabitation, les partisans du quinquennat, issus des différentes sensibilités, sont parvenus à imposer leurs vues, réfutant la souveraineté des électeurs qui, en 1986, en 1993 et en 1997, avaient choisi, de leur plein arbitre, de confier le destin national à une majorité différente. Reste à savoir si le quinquennat empêche réellement cela !
Or, une nouvelle fois, le quinquennat ne semble pas avoir réglé la question de cette configuration institutionnelle. La cohabitation est possible – et elle le sera toujours ! – tant que le Président de la République disposera du droit de dissolution, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Pour empêcher toute cohabitation, il aurait fallu supprimer l’article 12 de la Constitution, au lieu d’instaurer le quinquennat.
L’un des véritables problèmes de nos institutions est aujourd'hui la censure et la dissolution. Il faudra bien, un jour, avoir ce débat, car il est urgent !
Effectué au nom de l’impératif de modernisation des institutions, le remplacement du septennat par le quinquennat ainsi que l’inversion du calendrier électoral ont altéré, et même dénaturé, la nature constitutionnelle originelle du Président de la République. L’alignement de la durée de la fonction présidentielle sur celle de la fonction parlementaire a mis fin au privilège du Président de la République, transformant finalement ce dernier en « superélu », chef de la majorité en lieu et place du Premier ministre. Ce que nous avons vécu au cours de ces dernières années et de ces derniers mois en est la parfaite illustration.
En 1993, les conclusions du comité Vedel avaient clairement souligné les contradictions inhérentes au quinquennat présidentiel : « Ainsi, la réduction de l’exécutif à la seule personne du Président ferait en réalité de celui-ci le véritable Premier ministre. Or il est singulier de vouloir tout à la fois réduire dans le temps les pouvoirs dévolus au chef de l’État et, dans cette durée, les renforcer et les étendre plus encore. » Le doyen Vedel était un excellent constitutionnaliste, monsieur le rapporteur ! Lui aussi était parfaitement sage dans ses propos.
Entre un Président de la République chef de la majorité et un Président de la République arbitre des institutions et, par nature, irresponsable, il faut choisir !
Dès lors, comment s’étonner de l’abaissement de la fonction, qui est le corollaire du désenchantement des citoyens vis-à-vis de leurs institutions ?
L’hyperprésidentialisation, dont d’aucuns, présents sur ces travées, ont pu faire le procès sous le précédent quinquennat – le titulaire de la fonction présidentielle change, mais le problème demeure ! –, est synonyme non pas d’un renforcement de l’autorité du Président de la République, mais de la polarisation de la vie politique autour d’une personnalité, d’un homme médiatiquement surexposé et responsable individuellement des malheurs collectifs de la France.
L’abaissement de la fonction, au sens où l’entend notre rapporteur, serait donc salvateur pour cette figure centrale de la Ve République, puisque cela lui permettrait, au contraire, de retrouver une stature et une autorité nationales. Nous n’avons manifestement pas la même vision.
L’argument de la modernité, avancé en d’autres circonstances et en d’autres lieux, a également été celui des défenseurs du quinquennat, qui ont fait valoir l’accélération de l’histoire, ainsi que l’importance du temps médiatique. Pourtant, la modernité ne peut-elle pas s’accommoder du temps de la réflexion, qui est nécessaire pour engager des réformes législatives efficaces et ne pas légiférer par retouches et petits arrangements ? Or telle est la situation que nous connaissons, quelles que soient les majorités en place.
Enfin, le rôle du chef de l’État dans la politique internationale, notamment son rôle de représentation, doit entrer en ligne de compte.
Le temps est un facteur essentiel des relations internationales. Compte tenu de l’importance des relations personnelles entre les chefs d’État et du fait que de nombreuses décisions, même économiques, sont prises lors des sommets, le temps doit conférer au chef de l’État non seulement une expérience, mais aussi une autorité morale et un pouvoir d’influence qui lui permettent de négocier et d’appuyer ses revendications.
L’exemple du rôle du couple franco-allemand – Adenauer-de Gaulle, Schmidt-Giscard d’Estaing, Kohl-Mitterrand – dans la relance de la construction européenne est, à ce titre, révélateur de la puissance de la durée.
Le titulaire de la fonction présidentielle étant placé dans la position de candidat à sa succession – l’actualité en est la démonstration –, le quinquennat nuit à la qualité du débat politique, tandis qu’il consacre un nouvel affaiblissement du Parlement.
Le quinquennat a induit dans la situation temporelle de la vie politique un système négatif. Pour preuve, s’il en était besoin, la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui : deux années à peine après l’élection de l’actuel Président de la République, les candidats à sa succession, dans l’opposition comme dans la majorité, se sont déjà déclarés les uns après les autres. Nous y voyons là une américanisation de la vie politique, avec la campagne des primaires, trois années avant l’élection ! D’ailleurs, il est souvent reproché au président des États-Unis en exercice de ne plus être, au cours des deux dernières années de son mandat, que le candidat à sa propre succession.
La théorie économique du cycle électoral a bien illustré ces problématiques. Appliquée à la fonction présidentielle, cette théorie montre que le titulaire de la fonction présidentielle, loin de pouvoir arbitrer le destin national conformément à la lettre et l’esprit de la Constitution de 1958, se voit obligé d’entrer dans la mêlée politique, dans la perspective très proche de sa réélection. La conséquence essentielle de cette nouvelle temporalité est de privilégier le court terme, médiatique, au long terme, faisant ainsi passer l’intérêt partisan avant l’intérêt général.
Enfin, l’adoption du quinquennat a eu pour dommage plus que collatéral la restriction des pouvoirs de la majorité parlementaire, tenue aujourd'hui plus que jamais au rôle de chambre d’enregistrement des directives du pouvoir exécutif. Nous en payons tous les jours le prix fort !
Après trois quinquennats, le Président de la République ne peut plus aspirer à incarner le pouvoir d’État. Le temps présidentiel s’est finalement aligné sur le temps médiatique, sans que les bienfaits attendus de cette accélération du temps politique se réalisent. Le maintien du quinquennat ne pourra se faire qu’au détriment de l’intérêt national.
Notre proposition de loi constitutionnelle prévoit donc de revenir à la durée initiale du mandat présidentiel, à savoir le septennat, pour un strict équilibre des institutions – nous ne vous proposons pas de supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel, car, dans les circonstances actuelles, il nous faudrait alors franchir un pas difficile ! –, …
Mmes Évelyne Didier et Éliane Assassi. Pourquoi pas ? (Sourires.)
M. Jacques Mézard. … et d’empêcher l’exercice de deux mandats présidentiels consécutifs, au vu de sa durée. Il convient d’affirmer dès cette année que l’on peut mener une politique dans la liberté, en étant moins soumis aux aléas des différentes élections.
Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, comme le rapporteur a pu le faire valoir. Nous ne souhaitons pas revenir au septennat renouvelable, qui a d’ores et déjà montré ses limites.
Le septennat non renouvelable constitue une forme d’adaptation à la modernité et à sa temporalité particulière. Le comité Vedel avait lui-même mis en avant les avantages d’un tel dispositif, considérant que « la durée de sept ans convient au développement d’un projet appuyé sur une majorité et lui suffit en même temps, que l’importance et la nature des pouvoirs confiés au chef de l’État restituent à la fonction arbitrale tout son sens si son titulaire ne peut se présenter à nouveau au suffrage [...] et, enfin, que l’autorité du Président de la République en matière internationale gagnerait à l’accomplissement d’un seul septennat ». C’était, à l’époque, une réflexion pleine de sagesse, qui vaut toujours.
La fonction ne serait plus atteinte par le biais du cycle électoral, bien connu des économistes, et retrouverait la dignité et la sérénité nécessaires dans l’art de gouverner.
Tel est, mes chers collègues, l’objet de cette excellente proposition de loi constitutionnelle que nous vous demandons d’adopter. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – MM. Jean-Yves Leconte et Robert Navarro applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle déposée par le président Jacques Mézard et les membres du groupe du RDSE est sûrement excellente ! (Sourires.) En tout cas, elle est très intéressante pour une raison au moins : elle nous permet de poursuivre – et non d’ouvrir – un débat qui dure depuis 1958 sur la fonction présidentielle et le cadre temporel dans lequel celle-ci s’exerce.
Tout d’abord, permettez-moi de faire un rappel et d’établir une comparaison.
La question du retour au septennat implique que l’on revienne sur les raisons de l’adoption du quinquennat.
Rappelons que le septennat ne procède pas à l’origine d’une tradition républicaine : il est le fruit d’un compromis passé entre les deux familles dynastiques, qui se querellaient pour savoir qui exercerait le pouvoir politique en France dans les années 1870. Sept ans, c’était le temps nécessaire pour régler la question de la « durée de vie » présumée du comte de Chambord.
Le compromis de 1873 a ensuite été introduit dans les institutions de la IIIe République pour une raison simple : lorsque les républicains sont devenus majoritaires et ont vidé la fonction présidentielle de son contenu politique, la durée du mandat n’avait plus grande importance.
Ce qui était, au départ, un compromis de circonstance est donc tout simplement devenu une tradition, les querelles ayant disparu ; le septennat a été maintenu.
En 1946, après avoir évacué le premier projet de Constitution, lorsqu’on s’est rangé à un retour partiel à la IIIe République avec la Constitution d’octobre 1946, on a conservé le septennat jusqu’en 1940 dans la conception qui avait été celle de la pratique de la IIIe République. Vincent Auriol et René Coty ont été des présidents élus pour sept ans, avec un pouvoir encore moindre que celui que détenait le président de la IIIe République.
En 1958, les auteurs avaient trois mois, rappelons-le, pour rédiger la Constitution, les plus brefs délais de l’histoire républicaine. En effet, si la Constitution n’avait pas été adoptée avant octobre, on en revenait automatiquement à l’application de la Constitution de la IVe République. Il a donc fallu aller très vite. D’ailleurs, des pans entiers de la Constitution ont été repris de la Constitution antérieure ; on n’a pas rédigé de déclaration ; le préambule est un copié-collé de celui de la Constitution de 1946 ; on a même sauvegardé les principes fondamentaux de ce préambule, par manque de temps.
Concernant la conception de la fonction présidentielle, l’essentiel pour le général de Gaulle était surtout d’exercer cette fonction ! La question du mandat de sept ans ne s’est donc pas posée.
Pour les gaullistes, à l’époque, il fallait que le mandat durât longtemps. Michel Debré avait estimé, dans un livre écrit pendant la Seconde Guerre mondiale, que la durée idéale d’un mandat de chef d’État était de douze ans. (M. Charles Revet s’exclame.) Il avait fait la moyenne de la durée des grands règnes sous l’Ancien régime, et un mandat de sept ans était donc en quelque sorte un pis-aller pour lui.
Certes, le septennat a été adopté et introduit, mais il faut bien comprendre que le général de Gaulle le concevait comme une durée maximale. Le Président de la République était élu et rééligible, mais la contrepartie de ce mandat était la responsabilité politique du Président de la République devant le peuple. Ce dernier pouvait à tout moment, à l’occasion d’un référendum notamment, poser au peuple la question de confiance, la sanction étant celle de la démission en cas de réponse négative de l’électorat.