Sommaire
Présidence de M. claude bérit-débat
Secrétaires :
M. Bruno Gilles, Mme Valérie Létard.
2. Contestation de l’élection de sénateurs
3. Organisme extraparlementaire
4. Décision du Conseil constitutionnel
5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux propositions de loi
7. Décision du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
8. Saisine du Conseil constitutionnel
10. Questions orales
simplification pour l'industrie du tourisme
Question n° 845 de M. Luc Carvounas. – MM. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; Luc Carvounas.
Question n° 862 de Mme Marie-France Beaufils. – M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; Mme Marie-France Beaufils.
répartition des sièges au sein des assemblées intercommunales
Question n° 856 de M. Jean-Claude Lenoir. – MM. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; Jean-Claude Lenoir.
taux de taxe sur la valeur ajoutée des dotations publiques versées aux télévisions locales
Question n° 866 de M. Philippe Leroy. – MM. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; Philippe Leroy.
augmentation des prélèvements annuels sur le réseau action logement
Question n° 855 de M. Georges Labazée. – Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité ; M. Georges Labazée.
éventuel projet du gouvernement de créer un impôt sur les personnes propriétaires de leur logement
Question n° 850 de M. Jean Louis Masson. – Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Jean Louis Masson.
Question n° 849 de M. Philippe Kaltenbach. – Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche ; M. Philippe Kaltenbach.
Question n° 851 de M. Jean-Pierre Bosino. – Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Jean-Pierre Bosino.
Question n° 847 de M. Aline Archimbaud. – Mmes Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Aline Archimbaud.
obligation alimentaire dans le calcul des ressources des majeurs sous tutelle
Question n° 844 de Mme Claire-Lise Campion. – Mmes Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Claire-Lise Campion.
rétablissement de l'allocation équivalent retraite
Question n° 854 de M. Dominique Watrin. – MM. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Dominique Watrin.
centre de l'établissement public d'insertion de la défense de montry en seine-et-marne
Question n° 843 de M. Michel Houel. – MM. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Michel Houel.
dématérialisation des actes comptables pour les petites communes
Question n° 842 de M. Antoine Lefèvre. – MM. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Antoine Lefèvre.
liaisons maritimes en direction des îles du Morbihan
Question n° 863 de M. Michel Le Scouarnec. – MM. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Michel Le Scouarnec.
Question n° 864 de M. Maurice Antiste. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Maurice Antiste.
inadaptation du plan de prévention des risques de submersion pour la baie du Mont-Saint-Michel
Question n° 853 de M. Dominique de Legge. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Dominique de Legge.
Question n° 857 de M. Jean Boyer. – Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Jean Boyer.
conséquences du retrait du dispositif des politiques de la ville pour certaines villes du Douaisis
Question n° 829 de M. Dominique Bailly. – MM. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports ; Dominique Bailly.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
11. Désignation des conseillers prud'hommes. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales.
MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean Desessard, Dominique Watrin, Gilbert Barbier, Jean-Marie Vanlerenberghe, Jean-Pierre Caffet.
M. François Rebsamen, ministre.
Clôture de la discussion générale.
MM. Jean Desessard, Jean-Baptiste Lemoyne.
Amendements identiques nos 1 de M. Jean Desessard (Groupe écologiste) et 3 de Mme Laurence Cohen (Groupe CRC). – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Amendement n° 2 de M. Jean Desessard (Groupe écologiste). – Rejet.
Amendement n° 4 de Mme Laurence Cohen (Groupe CRC). – Retrait.
Amendement n° 5 de la commission. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
MM. Dominique Watrin, Jean Desessard, Jean-Pierre Caffet, Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Annie David.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
12. Respect des principes du code mondial antidopage dans le droit interne. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports ; Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la commission de la culture ; Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.
Mmes Corinne Bouchoux, Christine Prunaud, MM. Jean-Claude Requier, Claude Kern, Michel Savin, Dominique Bailly.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
13. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014
M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
MM. André Gattolin, Éric Bocquet, Jean-Claude Requier, Yves Pozzo di Borgo, Mme Fabienne Keller, M. Simon Sutour.
MM. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques ; Hervé Maurey, président de la commission du développement durable ; Mme Michèle André, présidente de la commission des finances ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État.
Mme Pascale Gruny, M. Harlem Désir, secrétaire d’État.
MM. Jean-Yves Leconte, Harlem Désir, secrétaire d’État.
MM. Philippe Bonnecarrère, Harlem Désir, secrétaire d’État.
MM. Ladislas Poniatowski, Harlem Désir, secrétaire d’État.
MM. Pascal Allizard, Harlem Désir, secrétaire d’État.
MM. Michel Canevet, Harlem Désir, secrétaire d'État ; le président de la commission des affaires européennes.
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. claude bérit-débat
vice-président
Secrétaires :
M. Bruno Gilles,
Mme Valérie Létard.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 9 octobre 2014 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Contestation de l’élection de sénateurs
M. le président. En application de l’article 59 de la Constitution, M. le président du Sénat a été informé que le Conseil constitutionnel a été saisi de dix-sept requêtes contestant les opérations électorales auxquelles il a été procédé, le 28 septembre 2014, dans les circonscriptions suivantes :
•Alpes-Maritimes (deux requêtes) ;
•Aveyron ;
•Bas-Rhin (deux requêtes) ;
•Calvados ;
•Eure-et-Loir ;
•Hérault ;
•Rhône ;
•Tarn ;
•Territoire de Belfort ;
•Vaucluse ;
•Yonne ;
•Guyane ;
•Polynésie française ;
•Saint-Martin ;
•Français établis hors de France.
Acte est donné de cette communication.
3
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a été invitée à présenter un candidat.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
4
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 9 octobre 2014, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Acte est donné de cette communication.
5
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux propositions de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen :
- de la proposition de loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 3 octobre 2014 ;
- et de la proposition de loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle pour des communes fortes et vivantes, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2014.
6
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article L.O. 1114-4 du code général des collectivités territoriales, le rapport sur l’autonomie financière des collectivités territoriales pour l’année 2012.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, ainsi qu’à la commission des finances.
7
Décision du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du jeudi 9 octobre 2014, une décision du Conseil relative à deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la prolongation exceptionnelle de la garde à vue pour des faits d’escroquerie en bande organisée (n° 2014-420 et 2014 421-QPC).
Acte est donné de cette communication.
8
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 9 octobre 2014, en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, des dispositions des articles 1er et 30-I de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit et les dispositions des articles 59 et 77-I de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
9
Conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents, qui s’est réunie le jeudi 9 octobre, a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 14 octobre 2014
À 9 heures 30 :
1°) Lecture des conclusions de la conférence des présidents
2°) Questions orales
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 829 de M. Dominique Bailly à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports
(Conséquences du retrait du dispositif des politiques de la ville pour certaines villes du Douaisis)
- n° 842 de M. Antoine Lefèvre à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Dématérialisation des actes comptables pour les petites communes)
- n° 843 de M. Michel Houel à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
(Centre de l’établissement public d’insertion de la défense de Montry en Seine-et-Marne)
- n° 844 de Mme Claire-Lise Campion à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Obligation alimentaire dans le calcul des ressources des majeurs sous tutelle)
- n° 845 de M. Luc Carvounas transmise à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international
(Simplification pour l’industrie du tourisme)
- n° 847 de Mme Aline Archimbaud à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Santé et nucléaire)
- n° 849 de M. Philippe Kaltenbach à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Conséquences pour la commune de Châtenay-Malabry de la mise en œuvre du « campus Paris-Saclay » et du transfert de la faculté de pharmacie)
- n° 850 de M. Jean Louis Masson à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Éventuel projet du Gouvernement de créer un impôt sur les personnes propriétaires de leur logement)
- n° 851 de M. Jean-Pierre Bosino à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Création d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sur la commune de Montataire)
- n° 853 de M. Dominique de Legge à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Inadaptation du plan de prévention des risques de submersion pour la baie du Mont-Saint-Michel)
- n° 854 de M. Dominique Watrin à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
(Rétablissement de l’allocation équivalent retraite)
- n° 855 de M. Georges Labazée à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité
(Augmentation des prélèvements annuels sur le réseau Action Logement)
- n° 856 de M. Jean-Claude Lenoir à M. le ministre de l’intérieur
(Répartition des sièges au sein des assemblées intercommunales)
- n° 857 de M. Jean Boyer transmise à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique
(Avenir des départements)
- n° 862 de Mme Marie-France Beaufils à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice
(Avenir des études de notaires)
- n° 863 de M. Michel Le Scouarnec à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Liaisons maritimes en direction des îles du Morbihan)
- n° 864 de M. Maurice Antiste à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Algues des Sargasses)
- n° 866 de M. Philippe Leroy à M. le ministre des finances et des comptes publics (Taux de taxe sur la valeur ajoutée des dotations publiques versées aux télévisions locales)
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 :
3°) Projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes (Procédure accélérée) (texte de la commission, n° 770, 2013-2014)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 13 octobre, à 17 heures ;
- au lundi 13 octobre, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 14 octobre, en début d’après-midi.)
4°) Projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage (Procédure accélérée) (texte de la commission, n° 738, 2013-2014)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 13 octobre, à 17 heures ;
- au lundi 13 octobre, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission de la culture se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 14 octobre, en début d’après-midi.)
À 21 heures 30 :
5°) Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014
(La conférence des présidents a décidé d’attribuer, à la suite de l’intervention liminaire du Gouvernement de dix minutes, un temps d’intervention :
- de huit minutes à chaque groupe (cinq minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe) ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 13 octobre, à 17 heures ;
- puis de huit minutes à la commission des finances, à la commission des affaires économiques, à la commission du développement durable et à la commission des affaires européennes.
À la suite de la réponse du Gouvernement, les sénateurs pourront, pendant une heure, prendre la parole (deux minutes maximum) dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.)
Mercredi 15 octobre 2014
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (texte de la commission, n° 10, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé :
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 14 octobre, à 17 heures ;
- au mardi 14 octobre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 15 octobre matin.)
En outre, à 14 heures 30 :
- Désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.
(Les candidatures à cette commission d’enquête devront être remises au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle avant le mardi 14 octobre, à 17 heures.)
Jeudi 16 octobre 2014
À 9 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
1°) Suite du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
À 15 heures :
2°) Questions d’actualité au Gouvernement
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures 15 et le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
3°) Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin
4°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (texte de la commission, n° 8, 2014-2015)
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 15 octobre, à 17 heures ;
- au mardi 14 octobre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission des finances se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 15 octobre matin.)
SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE
Mardi 21 octobre 2014
À 9 heures 30 :
1°) Questions orales
À 14 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Sénat :
2°) Débats de contrôle
Mercredi 22 octobre 2014
De 14 heures 30 à 18 heures 30 :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés
Jeudi 23 octobre 2014
De 9 heures à 13 heures :
Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC
De 15 heures à 15 heures 45 :
- Questions cribles thématiques sur les accords de libre-échange
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
De 16 heures à 20 heures :
Ordre du jour réservé au groupe UMP
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 28 octobre 2014
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 16 heures 15 :
1°) Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution
(La conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 27 octobre, à 17 heures.)
Le soir :
2°) Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 6, 2014-2015)
(La commission spéciale se réunira pour le rapport le mardi 21 octobre après-midi (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 20 octobre, à 16 heures).
La conférence des présidents a fixé :
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 27 octobre, à 17 heures ;
- au mardi 28 octobre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.
La commission spéciale se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 29 octobre matin.)
Mercredi 29 octobre 2014
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 et le soir :
- Suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Jeudi 30 octobre 2014
À 9 heures 30 :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
1°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (n° 660, 2013-2014)
2°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part (n° 661, 2013-2014)
3°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d’autre part (n° 662, 2013-2014)
4°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du protocole modifiant l’accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part (n° 780, 2013-2014)
5°) Projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République tchèque sur la coopération dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de la gestion des situations d’urgence (n° 516, 2012-2013)
6°) Projet de loi autorisant l’approbation du protocole additionnel à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (n° 518, 2012-2013)
(Pour ces six projets de loi, la Conférence des Présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le mardi 28 octobre, à 17 heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)
7°) Suite de la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
À 15 heures :
8°) Questions d’actualité au Gouvernement
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)
À 16 heures 15 et, éventuellement, le soir :
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
9°) Suite de l’ordre du jour du matin
Y a-t-il des observations sur les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances et à l’ordre du jour autre que celui résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement ?...
Ces propositions sont adoptées.
10
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
simplification pour l'industrie du tourisme
M. le président. La parole est à M. Luc Carvounas, auteur de la question n° 845, transmise à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
M. Luc Carvounas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec le pacte de responsabilité et de solidarité, la simplification des normes en matière économique est une priorité qui a été maintes fois rappelée par le Président de la République. La nomination de M. Thierry Mandon, lequel est exclusivement chargé de cette question au Gouvernement, témoigne d’ailleurs de cette volonté.
Comme vous le savez, l’industrie du tourisme souffre elle aussi d’une inflation de nouvelles normes, parfois difficiles à appliquer pour les professionnels du secteur. Si les grands groupes peuvent y parvenir, de nombreux indépendants, n’ayant pas les moyens de s’adapter à ces nouvelles contraintes de plus en plus importantes, vont jusqu’à mettre la clé sous la porte.
Pour pallier ce vrai problème posé à cette industrie, le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, a confirmé sa volonté d’adopter un plan spécifique de simplification pour le secteur du tourisme. En effet, lors de la clôture des Assises du tourisme, le jeudi 19 juin dernier, la décision n° 28 a prévu qu’une ordonnance de simplification des normes comportant un volet tourisme serait prise à l’automne 2014.
Urbanisme, numérique, démarches administratives et bien d’autres sujets encore préoccupent les professionnels du secteur, qui attendent avec impatience cette initiative.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai toute confiance dans votre détermination à améliorer la situation normative à laquelle sont actuellement confrontés les professionnels. Aussi, pouvez-vous nous indiquer plus précisément le calendrier et le contenu de l’ordonnance de simplification que vous comptez édicter pour aider la première industrie française à se développer davantage ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur Luc Carvounas, comme vous l’avez justement indiqué, lors des Assises du tourisme, qui se sont déroulées de novembre 2013 à juin 2014, les participants ont unanimement appelé de leurs vœux une simplification dans le secteur du tourisme. Vous avez également rappelé la priorité affichée par le Gouvernement en matière de simplification et le rôle de M. Thierry Mandon à cet égard.
À la suite de cet appel, le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence ce matin, a annoncé au nom du Gouvernement, lors de la clôture de ces Assises, le 19 juin dernier, la mise en œuvre de mesures de simplification dans le cadre d’une ordonnance « tourisme ».
Une demande d’habilitation pour simplifier par ordonnance le secteur du tourisme a alors été introduite dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises. Il s’agit de l’article 31 bis du texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 22 juillet dernier.
Cette disposition devrait être examinée par le Sénat très prochainement. L’objectif est de réduire les contraintes pesant sur les acteurs du tourisme afin de permettre le développement de ce secteur clé de notre économie nationale, des mesures de simplification et d’actualisation législative étant aujourd’hui nécessaires au regard de l’évolution des pratiques touristiques.
Afin d’avancer au mieux, et sous réserve bien sûr du vote définitif de la loi qui comporte cette habilitation, l’administration et nos services ont d’ores et déjà entamé les travaux de réflexion et de rédaction du projet d’ordonnance.
Une fois l’habilitation votée, l’ordonnance pourra être transmise au Conseil d’État, idéalement entre fin 2014 et début 2015, donc dans un calendrier que nous souhaitons, pour notre part, le plus resserré possible.
M. le président. La parole est à M. Luc Carvounas.
M. Luc Carvounas. Je souhaite remercier M. le secrétaire d’État de la réponse très claire qu’il m’a donnée, au nom du Gouvernement.
Ces mesures sont très attendues par les professionnels, d’autant que, hasard du calendrier, nous sommes au lendemain de l’intervention du Premier ministre qui a rappelé que le Gouvernement allait accompagner la candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025. Nous allons déposer dans quelques mois notre dossier, et nous aurons besoin de toutes les énergies et de tous les talents. Cette simplification, en donnant la possibilité de fédérer les acteurs, d’accompagner ce mouvement, permettra à notre pays d’être très en avance sur ces questions qui, je le répète, concernent notre première industrie.
avenir des études de notaires
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question n° 862, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les notaires que j’ai rencontrés dernièrement à Château-Renault, sont très inquiets, mais également extrêmement déterminés. Rapport de l’Inspection générale des finances, fuites dans la presse, déclarations ministérielles contradictoires : tout cela n’est pas fait pour les rassurer.
Les notaires ont conscience d’être la cible de tous ceux qui souhaitent la déréglementation de leur profession, voire sa disparition. Surtout, ils ne comprennent pas que ce soit le gouvernement actuel qui soit à l’origine de cette campagne.
Les notaires, en effet, ne méritent pas les caricatures entendues ces derniers temps visant à les stigmatiser. Je rappelle qu’ils ont collecté, en 2013, 22 milliards d’euros de recettes fiscales à titre gratuit pour l’État. Ce sont des officiers publics assurant une mission de service public, appliquant des tarifs réglementés, les mêmes sur tout le territoire.
La sécurité des actes notariés représente une garantie forte pour l’ensemble de nos concitoyens, notamment pour les plus faibles d’entre eux.
Un ministre a annoncé en août que 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat pourraient être restitués aux Français en déréglementant la profession. Or son successeur a déclaré en septembre qu’il était illusoire de penser qu’une telle réforme rendrait 6 milliards de pouvoir d’achat aux Français. Qui croire ?
Regardons de près ce qui s’est passé aux Pays-Bas. En libéralisant les tarifs voilà douze ans, les Néerlandais ont provoqué une hausse de 70 % du coût des actes notariés, ce qui a accru l’inégalité d’accès au service public notarial. Où est donc l’intérêt économique d’un tel bouleversement ?
Le président du Conseil national du notariat soulignait en mai dernier : « Ce n’est pas parce qu’il y aura plus de concurrence entre notaires qu’il y aura plus d’achats immobiliers ou plus de successions à régler ! Cela n’aura aucun impact sur le PIB. »
Si ce projet n’a aucune conséquence, ni sur le pouvoir d’achat ni sur le PIB, en quoi pourrait-il être utile ? La seule solution raisonnable me semble donc son retrait immédiat. En effet, sa mise en œuvre porterait atteinte à notre modèle social républicain déjà fortement attaqué.
Une libre installation « sauvage » entraînerait une dégradation de la sécurité juridique et une remise en cause de la garantie collective. Par ailleurs, l’entrée de capitaux étrangers dans leurs études par l’intermédiaire des banques, des compagnies d’assurance ou d’autres investisseurs, conduira inéluctablement à une perte d’indépendance, ainsi qu’à la disparition des petites structures.
Une telle réforme signera le recul non seulement de la présence de la puissance publique dans des territoires aujourd’hui très affectés par la disparition de services publics comme La Poste ou encore les trésoreries, mais aussi de l’accès au droit pour nombre de nos concitoyens, à l’image de ce qui s’est passé avec la fermeture de tribunaux. Et cela, nous ne pouvons l’accepter !
La défense de l’accès au droit, la préservation de la mission de service public des notaires et la sécurité juridique sont autant de principes chers à Mme Taubira, ministre de la justice. Je me félicite qu’elle les ait défendus à maintes reprises, montrant ainsi son attachement à la réglementation notariale. Devant le congrès des notaires qui se tenait à Lyon en juin 2013, elle disait à propos de la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles : « Il a fallu se battre contre ceux qui sont persuadés qu’il faut déréglementer ces professions. […] Nous sommes armés d’une culture du service public. Nous avons la culture de la présence territoriale. Nous avons la culture de la citoyenneté. Armés de cela, nous avons décidé d’être invincibles et nous avons été invaincus ! »
Alors, monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas laisser s’installer une telle entreprise de destruction de nos principes républicains au profit de l’installation d’un hypermarché du droit. Comment comptez-vous donc préserver dans notre pays les valeurs fondamentales qui régissent cette profession ? Les notaires et les personnels des études sont prêts à appuyer toute initiative allant en ce sens. (M. Michel Houel applaudit.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, vous avez appelé l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, dont je vous prie d’excuser l’absence, sur le projet de réforme des professions réglementées, et plus particulièrement sur la situation des notaires.
Mme la garde des sceaux reconnaît avec vous la place importante qu’occupent les notaires dans le service public de la justice. Comme vous le rappelez, le Gouvernement a d’ailleurs soutenu devant les institutions européennes la spécificité de cette profession lors des discussions relatives à la révision de la directive dite « qualifications professionnelles » du 7 septembre 2005. C’est en invoquant cette spécificité que le gouvernement français a obtenu l’exclusion du notariat du champ d’application de cette directive, alors que cette bataille n’était pas gagnée d’avance !
Dans le même sens, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé, dans un arrêt du 24 mai 2011, que les notaires « poursuivent des objectifs d’intérêt général, qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers » – je cite le point 87 de cet arrêt. À ce titre, toujours selon la Cour, les restrictions relatives à l’organisation du notariat en France peuvent être compatibles avec la liberté d’établissement garantie par le droit de l’Union.
En ce qui concerne la réforme des professions juridiques réglementées, la ministre de la justice a conduit depuis le 17 septembre une série de consultations avec les représentants de ces professions et le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Cette concertation a déjà permis de dissiper un certain nombre des inquiétudes qui, il faut le reconnaître, avaient pu naître. Je note avec satisfaction que les mouvements de protestation qui entouraient l’ouverture des concertations ont été suspendus.
La nécessité de réformer les professions juridiques réglementées est largement admise, y compris par les professionnels eux-mêmes. Depuis 2012, Mme la garde des sceaux a lancé ce processus de modernisation, en lien avec leurs représentants. Ainsi, elle a déjà agi pour la réduction du tarif des greffiers des tribunaux de commerce avec le décret du 19 mai 2014. L’ordonnance du 12 mars 2014 réforme les procédures collectives et modifie également les conditions de désignation des administrateurs et mandataires judiciaires. Le nombre de notaires salariés pouvant être nommés a été augmenté par l’ordonnance du 27 février 2014. Des participations financières croisées sont désormais possibles entre professionnels du droit et du chiffre depuis un décret du 19 mars 2014. Tout récemment, enfin, il a été procédé, par un décret du 28 août dernier, à l’extension de la compétence territoriale des huissiers de justice du ressort du tribunal de grande instance au département.
C’est dans un esprit de dialogue que doivent se poursuivre les discussions. Personne, au sein du Gouvernement, ne peut se voir reprocher d’adopter une logique simpliste ou de tenir un discours caricatural. Au contraire, tous ses membres ont le souci constant d’assurer la qualité du service public, de garantir la sécurité juridique des actes concernés et de préserver un maillage territorial serré, comme nos concitoyens sont en droit de l’attendre
Ainsi, c’est à l’aune de ces exigences qu’il faut analyser les risques que présenteraient la liberté d’installation, l’orientation des tarifs vers les coûts ou encore l’ouverture à la concurrence de certains actes. (Mme Frédérique Espagnac et M. Luc Carvounas applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez bien résumé l’ensemble des déclarations de Mme la garde des sceaux. Malheureusement, certains faits continuent de les contredire. Je vais donc finir par me dire qu’un autre ministère ne défend peut-être pas tout à fait la même conception de la concertation, s’agissant de la profession de notaire. En effet, Les Échos ont récemment publié des « pistes de réflexion » du ministère de l’économie, alors que les sujets évoqués n’avaient fait l’objet d’aucun débat avec la profession. Ainsi, pendant la consultation, la presse publie des éléments qui n’ont absolument pas été abordés par les négociateurs. Il va donc falloir à un moment adopter une méthode de travail plus claire, afin qu’un accord s’établisse entre les déclarations publiques et le contenu des discussions.
J’ajoute que les informations diffusées dans la presse ne permettent pas au public de comprendre les réalités en cause. Par exemple, les tarifs réglementés permettent aux personnes les plus modestes de bénéficier de tarifs très raisonnables, pour des biens d’une valeur allant jusqu’à 200 000 euros. Or peu de gens savent que, à la rémunération du notaire, s’ajoutent des frais correspondant tout simplement à des impôts. Le mélange de ces chiffres crée une confusion quant au coût véritable de l’intervention du notaire.
Ainsi, pour un bien de 200 000 euros, s’il faut verser 12 500 euros au Trésor public, l’office notarial ne perçoit, quant à lui, que 2 500 euros. Cette réalité est très mal connue, et il ne faut donc pas s’étonner que la perception du coût de l’acte juridique, en dépit de la sécurité qu’il apporte, soit totalement faussée. Je souhaite par conséquent que l’État apporte les éclaircissements nécessaires dans ce débat. (MM. Jean-Claude Lenoir et Michel Houel applaudissent.)
M. Jean-Claude Lenoir. Nous approuvons cette intervention !
répartition des sièges au sein des assemblées intercommunales
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la question n° 856, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de saluer votre présence, pour la première fois, au fauteuil de la présidence, de même que celle de M. Matthias Fekl, qui intervient également pour la première fois au nom du Gouvernement dans cet hémicycle.
Ma question porte sur les conditions dans lesquelles s’organise l’intercommunalité. Comme vous le savez, mes chers collègues, la loi du 16 décembre 2010 prévoit que les sièges des assemblées communautaires peuvent être répartis sur la base d’un accord local. En l’absence d’accord, les dispositions législatives s’appliquent.
De fait, en 2013, lors du renouvellement des assemblées communautaires qui a fait suite à la recomposition des communautés de communes, 90 % de ces assemblées ont été reconstituées sur la base d’un accord local. Or la disposition législative permettant ces accords a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel – je ne porte évidemment aucun jugement sur cette décision –, ce qui crée malheureusement une situation très difficile au sein des communautés de communes.
En effet, l’accord local n’étant plus possible, il faudra appliquer la loi de manière très stricte dès le prochain renouvellement des conseils communautaires. Certaines communes seront ainsi privées du droit de conserver un ou deux représentants au sein du conseil communautaire, et nous y voyons une atteinte au principe selon lequel tout le territoire d’une communauté de communes doit être représenté de façon satisfaisante au sein du conseil.
J’ai entendu dire que cette décision ne s’appliquerait qu’en 2020. Or je n’en suis pas sûr. En effet, un projet de loi qui devrait prochainement être discuté par le Parlement prévoit une nouvelle composition des communautés de communes. Lorsque cette disposition aura été adoptée, il faudra bien procéder à un renouvellement des instances communautaires : ce sera avant 2020, sans doute dès l’année prochaine ! Il est donc urgent de régler ce problème.
J’ai été particulièrement heureux de lire dans la presse que M. le Premier ministre avait déclaré, devant la convention nationale de l’Assemblée des communautés de France, réunie la semaine dernière, qu’il allait consulter le Conseil d’État sur la proposition de nos collègues de la commission des lois MM. Jean-Pierre Sueur et Alain Richard. Il s’agit d’une base de réflexion sur laquelle nous pouvons nous pencher, mais il y a vraiment urgence à légiférer, monsieur le secrétaire d’État !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur Jean-Claude Lenoir, vous avez interrogé le ministre de l’intérieur, qui vous prie d’excuser son absence ce matin, sur la décision dite Commune de Salbris rendue le 20 juin 2014 par le Conseil constitutionnel, qui a déclaré contraires à la Constitution les dispositions relatives aux accords locaux de composition des conseils communautaires des communautés de communes et des communautés d’agglomération. Vous venez d’ailleurs de nous présenter une analyse de cette décision.
Si le Conseil constitutionnel a jugé que l’accord local était insuffisamment encadré pour garantir le respect du principe d’égalité devant le suffrage, la modulation dans le temps de cette annulation a permis d’éviter la remise en cause des résultats des élections municipales et communautaires de cette année.
Le Gouvernement a par ailleurs adressé des instructions aux préfets leur précisant la procédure à suivre pour la modification de la composition des conseils communautaires, dans le but d’accompagner les élus locaux, sur le terrain, compte tenu des nombreuses interrogations suscitées par cette décision du Conseil constitutionnel.
Au-delà de cet accompagnement nécessaire, le Gouvernement est attaché à conserver la possibilité d’accords locaux sur la composition des instances des communautés de communes ou d’agglomération. Tout en respectant la décision du Conseil constitutionnel, il convient d’accorder plus de souplesse aux élus, car la possibilité de nouer des accords locaux de représentation est en effet une condition de l’efficacité de l’intercommunalité. Le Premier ministre l’a d’ailleurs lui-même rappelé lors de la convention nationale de l’Assemblée des communautés de France, l’AdCF, le 9 octobre dernier.
Un nouveau dispositif compatible avec les exigences de la décision du Conseil constitutionnel relatives au respect du principe d’égalité de suffrage doit donc être élaboré. La proposition de loi déposée en ce sens par vos collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur sera examinée demain par la commission des lois et la semaine prochaine en séance publique.
Afin qu’une solution présentant toutes les garanties juridiques puisse être adoptée à brève échéance, le Gouvernement envisage de saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis relative à l’interprétation de la décision du Conseil constitutionnel. Je ne doute pas que ces éléments nous permettront d’éclairer les débats qui auront lieu au sein de votre assemblée et d’aboutir à un dispositif sûr et pérenne.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le secrétaire d’État, je ne voudrais pas surestimer le poids de mes initiatives, mais je constate avec plaisir que le dépôt de cette question est à l’origine d’un certain nombre de mesures destinées à corriger le problème que j’ai soulevé !
Plus sérieusement, je suis heureux que vous ayez confirmé devant nous les déclarations de M. le Premier ministre devant la conférence nationale de l’Assemblée des communautés de France, car l’avis du Conseil d’État sera extrêmement important.
Je dirai, pour être tout à fait clair, que nous avons collectivement commis une erreur, lors de la discussion de la loi du 16 novembre 2010, en décidant que la représentation au sein des conseils communautaires devait « tenir compte » de la population, alors qu’il aurait fallu préciser qu’elle était établie « en fonction » de la population. D’un point de vue strictement juridique, cette différence dans la formulation est très importante, avec les conséquences que l’on sait.
J’ajoute que la disposition de la loi du 16 décembre 2010 en cause n’avait pas été censurée par le Conseil constitutionnel. C’est sur l’initiative de Salbris, dans le Loir-et-Cher, commune qui a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, que le Conseil constitutionnel a été amené rétroactivement à la juger inconstitutionnelle. L’affaire étant jugée, je ne ferai pas de commentaire, même si nous sommes nombreux à regretter les conséquences de cette décision. J’apprécie donc que des initiatives fortes soient prises pour nous permettre de corriger bientôt ce problème !
taux de taxe sur la valeur ajoutée des dotations publiques versées aux télévisions locales
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy, auteur de la question n° 866, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Philippe Leroy. Monsieur le secrétaire d’État, je joins mes salutations à celles que vous a présentées M. Jean-Claude Lenoir.
Je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur l’assujettissement à la TVA des dotations publiques versées aux télévisions locales. L’ensemble des dispositions législatives et réglementaires en vigueur permet la mise en place de services de télévision destinés à diffuser, par voie hertzienne ou par toute autre voie autorisée, des informations sur la vie locale. On compte ainsi en France quarante-huit télévisions locales au titre de la TNT et presque cent télévisions dites « télévisions locales câblées » qui sont soit en délégation de service public, soit, quelquefois, en régie directe.
Les collectivités locales concluent avec ces télévisions, pour des durées comprises entre trois et cinq ans, des contrats d’objectifs et de moyens qui permettent de leur verser des aides pour équilibrer leur budget. C’est ainsi que toutes les chaînes de télévision locales bénéficient de soutiens qui sont, comme je l’ai déjà dit, indispensables à cet équilibre.
Or, l’économie de ce secteur est fragilisée par l’application sur ces versements des collectivités locales d’un taux de TVA, très dernièrement porté de 5 à 10 %. Outre que ce taux est assez défavorable, il est d’autant plus anormal que le taux prélevé sur les versements de l’État à France Télévisions, également bénéficiaire d’un contrat d’objectifs et de moyens, n’est que de 2,1 %. Il y a là inégalité de traitement entre des services publics !
Monsieur le secrétaire d’État, pour quelles raisons tolère-t-on encore cette différence de traitement entre des télévisions qui relèvent toutes du service public, même si, pour France Télévisions, c’est au titre national et, pour les télévisions locales, c’est au titre des collectivités publiques locales ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l’attention de M. le ministre des finances et des comptes publics, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence, sur le taux de TVA applicable aux dotations publiques versées aux télévisions locales.
Comme vous le savez, les taux de TVA sont modifiés depuis le 1er janvier 2014 : le taux normal est fixé à 20 % et le taux réduit de 7 % est porté à 10 %.
Dans ce cadre, conformément aux dispositions du j de l’article 279 du code général des impôts, les rémunérations versées par les collectivités territoriales et leurs groupements pour la mise en œuvre d’un contrat d’objectifs et de moyens correspondant à l’édition d’un service de télévision locale sont soumises au taux de 10 %. Ce taux est identique à celui qui est appliqué aux abonnements souscrits par les usagers afin de recevoir un service de télévision.
En outre, une mesure de baisse du taux de TVA – ce taux ne pourrait en tout état de cause être inférieur au taux de 5,5 %, puisque aucun taux réduit inférieur à 5 % ne peut plus être introduit depuis 1991 – provoquerait une distorsion de concurrence entre, d’une part, les télévisions locales signataires d’un contrat d’objectifs et de moyens et, d’autre part, les télévisions locales qui n’auraient pas le soutien d’une collectivité territoriale.
Dans ces conditions et pour ces raisons, le Gouvernement n’envisage pas d’abaisser le taux de TVA applicable aux prestations en cause.
M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.
M. Philippe Leroy. Monsieur le secrétaire d’État, cette décision est à mon avis tout à fait regrettable ! En effet, on ne peut pas méconnaître la réalité et la justesse des taux d’imposition applicables aux versements faits par les collectivités aux télévisions locales. Il n’en reste pas moins qu’il y a vraiment discordance de traitement entre France Télévisions et les télévisions locales. Elles sont toutes les deux de nature publique lorsqu’il y a un contrat d’objectifs et de moyens, et la différence de taux de TVA est donc incompréhensible ! On peut noter également que, d’une façon générale, les télévisions locales ne bénéficient d’aucune autre aide de l’État, et notamment pas du fonds d’aide à la presse.
Je réitérerai donc ma question sur une situation qui crée une insécurité financière pour des télévisions locales, lesquelles valent bien les télévisions nationales pour l’information du public. Je rappelle que plus d’un million de Français regardent chaque jour les télévisions locales pour une durée moyenne de quarante minutes. C’est dire que les Français portent une attention très vive à leurs télévisions locales et à leurs informations locales !
augmentation des prélèvements annuels sur le réseau action logement
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, auteur de la question n° 855, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.
M. Georges Labazée. Je salue la présence ce matin dans cet hémicycle du grand quart sud-ouest, des ministres siégeant au banc du Gouvernement jusqu’à vous, monsieur le président, en passant par moi qui suis un peu plus âgé ! (Sourires.)
Madame la ministre, ma question porte sur la décision du Gouvernement d’accroître ses prélèvements annuels sur le réseau Action Logement. Nous sommes d’ailleurs nombreux dans cette assemblée à vous avoir sollicitée sur ce problème.
Vous le savez – et l’action depuis plus de deux ans du Gouvernement l’a bien démontré –, le logement social est une priorité pour les Français. Pour nous, élus, il est bien souvent la première sollicitation que nous adressent nos administrés. Preuve qu’il s’agit aussi d’une priorité du Gouvernement, le projet de loi de finances pour 2015 fait du budget de votre ministère un véritable budget de combat, en hausse de 80 millions d’euros à périmètre constant.
Madame la ministre, le financement du logement social est largement assuré par la contribution d’Action Logement. En 2013, près de 560 000 ménages ont bénéficié des aides d’Action Logement et 70 000 ménages ont été logés dans le logement social sur réservations des comités interprofessionnels du logement, les CIL.
Plus concrètement, dans le département des Pyrénées-Atlantiques que je connais bien, Action Logement a mobilisé 4,5 millions d’euros de prêts et subventions pour financer des logements locatifs sociaux, contribuant ainsi en partie à l’agrément de 1 547 logements locatifs sociaux.
La lettre d’engagement mutuel signée en novembre 2012 entre l’État et Action Logement permettait au réseau d’emprunter 3 milliards d’euros sur les années 2013-2015 en contrepartie d’une réduction progressive par l’État de ses prélèvements. L’objectif était d’accompagner la volonté gouvernementale de produire 150 000 logements sociaux par an.
Pourtant, madame la ministre, le 15 juillet dernier, vous avez confirmé la décision du Gouvernement d’accroître ses prélèvements annuels sur le réseau Action Logement d’1,5 milliard d’euros sur quatre ans « pour tenir compte du pacte de responsabilité et de solidarité qui va bénéficier directement et rapidement aux entreprises et à leurs salariés ».
Vous comprendrez que cette augmentation considérable aura des conséquences sur les missions d’Action Logement.
Je voudrais donc vous interroger sur les décisions que le Gouvernement entend prendre : renoncer à ce projet de prélèvement, ou amender ce denier ? J’attends avec beaucoup d’intérêt votre réponse, madame la ministre !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le sénateur, vous avez raison de rappeler que le logement constitue une priorité pour ce gouvernement, comme l’ont démontré les différents plans et mesures que nous avons présentés en juin et en août avec M. le Premier ministre en vue de relancer la construction de logements sans négliger la nécessité de rénover le parc existant.
Aujourd’hui, vous appelez davantage mon attention sur les conséquences de l’augmentation de la contribution d’Action Logement aux politiques nationales.
Comme vous l’avez rappelé, j’ai reçu le 15 juillet dernier les partenaires sociaux d’Action Logement pour avancer sur les négociations portant sur la première convention quinquennale 2015-2019.
Cette négociation s’inscrit dans le cadre de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ou loi ALUR, qui marque le retour du dialogue social sur l’utilisation des fonds issus de la participation des employeurs à l’effort de construction. Je me félicite de la qualité de nos échanges et de nos débats.
Les objectifs poursuivis à travers cette négociation sont, d’abord, l’augmentation de la construction de logements sociaux et intermédiaires dans les zones sous tension, ensuite, le renforcement de l’accession à la propriété des Français, enfin, l’accompagnement à la mobilité professionnelle.
Lors de notre rencontre avec Action Logement, j’ai rappelé l’urgence de la situation du logement et la nécessaire mobilisation de tous les acteurs pour relancer la construction en France.
Une avancée importante dans les discussions a été obtenue le 15 juillet dernier au sujet du financement. Nous nous sommes accordés sur le montant de la contribution d’Action Logement aux politiques nationales, contribution qui sera relevée à hauteur d’un milliard d’euros en 2016, de 900 millions en 2017, de 700 millions en 2018, et de 500 millions en 2019. Il s’agit en effet, comme vous l’avez rappelé, de tenir compte du pacte de responsabilité et de solidarité, qui va bénéficier directement aux entreprises et à leurs salariés.
Le dialogue avec les partenaires sociaux se poursuit sur le montant et le ciblage de l’effort d’Action Logement en faveur de la production de logements, l’articulation de ses dispositifs avec ceux de l’État, notamment en matière d’accession à la propriété, l’effort en faveur des personnes les plus modestes et le renforcement de l’efficacité de la collecte par le réseau des comités interprofessionnels du logement.
Je précise que les grandes lignes de l’accord sont consensuelles. Quelques détails nécessitent encore des discussions plus approfondies, plus techniques, en vue d’une signature de la convention avant la fin de l’année.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, la politique du Gouvernement en matière de logement bénéficie d’objectifs volontaristes et de moyens à la hauteur de ses ambitions, ainsi que vous l’avez rappelé. Bien sûr, nous avons besoin de l’engagement non seulement de l’ensemble des partenaires, mais également des élus locaux qui, sur le terrain, ont à nous accompagner pour relancer la construction et permettre l’accès de nos concitoyens au logement.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Madame la ministre, je vous remercie de votre propos. Cette semaine, j’ai été reçu par votre cabinet ministériel. J’espère que, dans le prolongement de cet entretien fructueux, une solution quant au relèvement des plafonds nous concernant directement sera trouvée, nous permettant ainsi de produire encore plus de logements.
éventuel projet du gouvernement de créer un impôt sur les personnes propriétaires de leur logement
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la question n° 850, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Jean Louis Masson. Madame le secrétaire d’État, je voudrais attirer votre attention sur un problème qui me préoccupe et qui inquiète un certain nombre de Français. Selon les rumeurs insistantes reprises par la presse, et notamment par des journaux a priori sérieux – Le Point, La Tribune, l’Express –, le Gouvernement aurait pu étudier ou avoir étudié, en concertation avec des parlementaires socialistes, la possibilité de taxer les résidences principales des personnes propriétaires de leur logement.
L’idée serait qu’une personne propriétaire de sa résidence principale bénéficie d’un revenu fictif correspondant à l’absence de loyer pour l’occupation de ladite résidence. De ce fait, il serait donc envisagé de considérer que l’équivalent du loyer, parce qu’il est un revenu fictif, doit être imposé au titre de l’impôt sur le revenu.
Il est à peine croyable que l’on puisse simplement envisager une telle mesure aussi injuste à l’encontre de familles qui ont parfois travaillé toute une vie pour devenir propriétaires de leur logement !
Madame le secrétaire d’État, vos services ont-ils, oui ou non, étudié d’une façon quelconque une telle possibilité de taxation ?
D’une façon plus générale, vous le savez, les Français qui travaillent – et souvent durement, d’ailleurs – croulent sous le poids des impôts et des taxes. Au lieu d’aggraver encore la situation, il conviendrait à mon avis de réaliser des économies, notamment au niveau du laxisme de l’assistanat dont profitent certains marginaux qui vivent systématiquement aux crochets de la société sans jamais travailler, ou des ressortissants étrangers attirés en France uniquement par le niveau des aides sociales attribuées à guichet ouvert.
Je vous rappelle, madame le secrétaire d’État, que le père de la petite Leonarda – celui-là même que connaît bien le Président de la République, lequel voulait faire revenir cette jeune fille en France –, interviewé sur une chaîne de télévision italienne, avait répondu, alors qu’on lui demandait pourquoi il avait quitté l’Italie où il était installé pour se rendre dans notre pays, que les aides sociales et les soutiens divers aux pseudo-réfugiés y étaient bien supérieurs aux dispositifs existants en Italie. Même si l’intéressé n’a pas fait exprès de dire cela, je pense que sa remarque apporte de l’eau au moulin de tous ceux qui, en France, se posent un certain nombre de questions en la matière.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je vous demande tout d’abord, monsieur le sénateur, de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre des finances et des comptes publics.
Je ne répondrai pas à la partie de votre propos qui concerne un autre sujet que celui sur lequel vous avez interrogé M. le ministre. Je tiens simplement à vous dire que ce gouvernement privilégie l’accompagnement vers l’autonomie des familles qui sont les plus en difficulté et que les questions auxquelles vous faites référence, en des termes que je ne partage pas, sont d’ordre européen. Il s’agit de questions de flux de populations migrantes au sein de l’Europe, et il est effectivement temps que l’Europe s’en préoccupe si elle veut être respectée et bénéficier de toute la confiance qu’il convient de lui porter.
Je me concentrerai donc sur la question que vous avez posée à M. Michel Sapin.
Conformément aux dispositions du II de l’article 15 du code général des impôts, les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu. Cela étant, l’imposition des contribuables propriétaires de leur logement sur un revenu fictif équivalent au loyer économisé a déjà été pratiquée. En effet, jusqu’en 1965, la législation française taxait sur la base d’un revenu fictif le propriétaire qui se réservait la jouissance d’un logement. Cette mesure visait à assurer, sur le plan des principes, l’égalité entre celui qui, pour se loger, était obligé d’engager une dépense substantielle par le paiement d’un loyer et celui qui, propriétaire de son logement, économisait la valeur de son loyer.
Cette législation, prévoyant l’imposition du propriétaire à raison du loyer qu’il économisait, soulevait toutefois de nombreux problèmes.
Ainsi, sur le plan technique, se posait la question de la détermination du loyer à prendre en compte et, par suite, celle de l’évaluation de la valeur locative des logements en cause.
Sur le plan budgétaire, l’imposition du loyer économisé par le propriétaire avait pour contrepartie logique la déduction des charges afférentes au logement. Dans cette hypothèse, le loyer effectivement imposable se trouvait en définitive significativement réduit.
Enfin, sur le plan économique, l’imposition d’un loyer fictif constituait un frein à l’acquisition de logements. C’est la raison pour laquelle la loi de finances pour 1965 – loi n° 64-1279 du 23 décembre 1964 – a posé le principe de l’exonération des logements dont les propriétaires se réservent la jouissance.
L’inégalité qui existe entre le locataire et le propriétaire de son logement doit en tout état de cause être relativisée puisque ce dernier, même s’il n’acquitte pas de loyer, supporte néanmoins, outre les charges financières qui lui incombent s’il a financé son acquisition au moyen d’un emprunt, des dépenses spécifiques auxquelles n’est pas tenu le locataire : impôts fonciers, charges de copropriété le cas échéant et, de manière générale, intégralité des dépenses d’entretien et de réparation du bien.
Dès lors, il n’est pas envisagé de remettre en œuvre la fiscalisation des loyers implicites.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Je vous remercie, madame le secrétaire d’État, pour cet historique et la présentation que vous avez faite de cette question. Si, sur la conclusion que vous avez tirée, on ne peut qu’être d’accord, on ne peut pas constamment parler de la différence entre propriétaire et non-propriétaire, notamment en termes d’avantages.
Si une personne est propriétaire de son logement et ne paie pas de loyer, c’est parce qu’elle a économisé et sué sang et eau pour acheter son appartement ou sa maison. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait prendre en considération une quelconque différence entre propriétaire et non-propriétaire. Chacun, dans la vie, fait les choix qui l’intéressent. Si certains, qui sont actuellement propriétaires, ont peiné pour acheter leur logement, il n’y a pas de raison de les taxer.
Je note, madame le secrétaire d’État, que vous n’envisagez pas de donner suite à cette interrogation ; mais il y a tout de même eu dans la presse un remue-ménage qui n’a été suivi d’aucun démenti officiel de la part des pouvoirs publics.
Sur votre conclusion, je le répète, je suis d’accord avec vous ; j’aurais néanmoins aimé que vous me disiez si la rumeur diffusée par la presse était fondée et si des études avaient effectivement été menées sur le sujet par vos services, en concertation avec les élus socialistes. Sur ce point, votre réponse a, hélas ! été un peu plus elliptique.
conséquences pour la commune de châtenay-malabry de la mise en œuvre du « campus paris-saclay » et du transfert de la faculté de pharmacie
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, auteur de la question n° 849, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Philippe Kaltenbach. Je souhaite appeler votre attention, madame la secrétaire d’État, sur les conséquences pour la commune de Châtenay-Malabry, située dans mon département des Hauts-de-Seine, de la mise en œuvre du « campus Paris-Saclay » et du transfert de la faculté de pharmacie.
Voilà maintenant un demi-siècle, les pouvoirs publics ont décidé de faire de Châtenay-Malabry une ville universitaire en y transférant l’École Centrale de Paris ainsi que la faculté de pharmacie, laquelle était jusqu’alors implantée avenue de l’Observatoire, dans le XIVe arrondissement. Par conséquent, il a été procédé au « gel » de plusieurs emprises sur cette commune, dans la zone dite des « Friches et Houssières » ainsi qu’au lieu-dit « La Croix Blanche ».
À l’époque, ces immobilisations foncières n’ont pas manqué de semer le trouble au sein de la population et de freiner sensiblement le développement économique et urbain de cette commune.
La faculté de pharmacie, créée au sein de l’université Paris XI, a ouvert ses portes à Châtenay-Malabry en 1972. Elle représente aujourd’hui un ensemble bâti de 56 000 mètres carrés également répartis entre recherche et formation, et comprend aussi un complexe sportif, le tout implanté sur un site de treize hectares en bordure du bois de Verrières. La faculté accueille 3 500 étudiants ainsi que 210 enseignants-chercheurs, soit environ 10 % de l’activité de l’université Paris-Sud.
Cette université, déjà implantée sur le campus Paris-Saclay, a pris la décision d’y transférer la plus grande partie de la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry à l’horizon 2018-2019.
Le protocole signé en mars 2012 par Mme Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur, autorise notamment la ville de Châtenay-Malabry à lancer officiellement des études d’aménagement. Aujourd’hui, les élus du secteur sont quelque peu inquiets s’agissant de l’évolution de ce projet.
Je souhaiterais donc savoir, madame la secrétaire d’État, si la position de l’État sur les principales orientations de ce projet de transfert a connu des évolutions et si le Gouvernement entend y apporter des modifications. Le cas échéant, pouvez-vous me confirmer la date prévisionnelle du départ de la faculté de pharmacie ainsi que le calendrier de réalisation de l’opération « campus Paris-Saclay » ?
Les conditions actuelles n’étant pas optimales sur le site, ce départ est attendu par tous les acteurs de la faculté de pharmacie mais également par la ville de Châtenay-Malabry, qui souhaite faire du développement économique sur ces terrains. En effet, cette commune, largement résidentielle, dispose aujourd’hui de ressources fiscales inférieures à celles de la plupart des communes environnantes, et plusieurs opérations de construction de logements sont en outre déjà conduites ou projetées à Châtenay-Malabry, notamment sur le périmètre de l’École Centrale dont le départ pour Saclay doit intervenir l’an prochain.
Enfin, pouvez-vous m’indiquer si l’État envisage, sur une partie des terrains lui appartenant, soit les treize hectares auxquels je faisais référence, de futurs projets relatifs à l’enseignement supérieur ou à la recherche afin de garder une activité d’enseignement et de recherche sur le site, et de compenser le départ de Châtenay-Malabry de la faculté de pharmacie ainsi que de l’École Centrale ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, la création du « campus Paris-Saclay » est un projet déterminant pour préparer l’avenir de notre pays. Grâce au regroupement géographique d’universités, de grandes écoles, d’organismes de recherche et de laboratoires de réputation internationale sur le plateau de Saclay, une université de rang mondial verra le jour, contribuant à construire un grand territoire de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Ce pôle universitaire, scientifique et technologique de Paris-Saclay constituera, sur les plans national et international, un facteur d’attractivité, de création d’emplois, de développement et de mise en valeur du territoire. Ce projet permettra de valoriser nos formidables atouts dans le domaine de la recherche, et je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rendre hommage à Jean Tirole, qui a obtenu hier le prix Nobel d’économie. Cette récompense s’ajoute au prix Nobel de physique reçu par Serge Haroche en 2012, à la médaille Fields obtenue cet été par le mathématicien Artur Avila, au prix Albert-Lasker pour la recherche médicale clinique attribué voilà quelques semaines au professeur Alim-Louis Benabid pour la mise au point de la technique dite de « stimulation cérébrale profonde », et au prix Nobel de littérature qui vient d’être décerné à Patrick Modiano, soit cinq prix de réputation internationale attribués à la France en deux ans. Aucun autre pays d’Europe ou du monde, de la taille de la France, ne peut se prévaloir d’un tel succès !
Aussi, lorsque j’entends parler de déclin de notre pays, notamment dans la presse, ma réponse, qui s’inscrit tout à fait dans le cadre de votre question, monsieur le sénateur, est que la France est bien un pays de connaissances.
Pour ce projet exceptionnel, qui était jusqu’alors bloqué, le Gouvernement a réengagé un dialogue, notamment avec les collectivités territoriales et les acteurs de terrain, scientifiques, universitaires ou élus, et au premier chef avec l’université Paris-Sud, mondialement reconnue, qui est le partenaire essentiel – j’allais dire « le chef de file » – de cette concertation.
Le transfert de la faculté de pharmacie s’inscrit dans le cadre de la construction d’un grand pôle biologie-pharmacie-chimie, conçu pour permettre le rapprochement et la mutualisation de grandes entités de l’université Paris-Sud tant en recherche qu’en formation. Sa future localisation, au cœur d’un véritable quartier universitaire doté d’équipements mutualisés et prochainement desservi par le Grand Paris Express, offrira aux étudiants et enseignants-chercheurs un cadre de travail et de vie adapté. Cela constituera aussi un moteur de l’aménagement de ce quartier où seront notamment localisés Centrale-Supélec et l’École normale supérieure de Cachan.
Les transferts des établissements sur le « campus Paris-Saclay » devraient s’échelonner de 2016 à 2019 ou 2020. Alors que le déménagement de l’École Centrale de Paris, qui a fusionné avec Supélec, est prévu pour 2017, celui de la faculté de pharmacie interviendra en 2019 ou en 2020.
Comme vous le savez, une réflexion sur l’avenir de ce site comme sur d’autres sites – je pense notamment à celui de Cachan, que va quitter l’ENS – est menée au sein d’un groupe de travail qui rassemble tous les acteurs, contrairement à ce qui s’était passé lors du précédent quinquennat, et est coordonnée par le préfet de la région d’Île-de-France.
Les terrains libérés par l’École Centrale de Paris et la faculté de pharmacie, qui ont fait l’objet d’un protocole entre l’État et la ville de Châtenay-Malabry, constituent des emprises foncières importantes et représentent une formidable opportunité pour la commune. Cette situation lui ouvre en effet la possibilité d’engager une réflexion sur sa propre stratégie urbaine et de développement économique, mais également sur celle relative à l’exceptionnel développement de la Vallée scientifique de la Bièvre ; je pense ainsi au remarquable Institut de cancérologie Gustave Roussy. La recherche, notamment médicale, y restera donc bien présente, et il reviendra à la commune de Châtenay-Malabry de s’y rattacher.
Sur les terrains de la faculté de pharmacie, un programme mixte de locaux d’activités et de logements devrait permettre de répondre au besoin de développement économique, urbain et social de la commune.
Le site de Châtenay-Malabry n’est pas directement concerné, mais je tiens à préciser – je sais en effet que ce sujet vous préoccupe, monsieur le sénateur – que la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, que j’ai portée, laisse à l’État une marge d’appréciation en matière de transfert aux collectivités locales des biens appartenant à l’État et affectés au logement étudiant, lequel est très en tension dans ce secteur comme dans toute l’Île-de-France.
Le futur aménagement de ce site représente un apport essentiel à la mise en œuvre du Grand Paris dans le sud du département afin de lutter contre la crise du logement, notamment étudiant, et d’améliorer le développement économique, la création d’emplois dont nous avons besoin, l’attractivité et le rayonnement de notre métropole, en premier lieu celui de Châtenay-Malabry.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de ces éléments d’information sur l’opération prévue sur le site de Saclay, qui aura des conséquences dans le sud des Hauts-de-Seine, notamment à Châtenay-Malabry, mais également dans la vallée scientifique de la Bièvre – vous avez fait référence à Cachan.
Vous maintenez l’idée d’associer les collectivités locales aux réflexions engagées, ce qui est une très bonne nouvelle. Vous avez également annoncé un calendrier et une échéance –2019-2020 –, ce qui répond à une demande forte des acteurs et leur permettra de prendre position, d’engager les études nécessaires et d’amorcer la réflexion sur l’avenir des terrains concernés.
Le projet de Saclay représente de belles opportunités, mais il ne faut pas se limiter à ce lieu : il importe que tous les territoires du sud francilien puissent profiter de cette stratégie axée sur la recherche, qui, vous l’avez très bien souligné, madame la secrétaire d'État, porte ses fruits, puisque la France est à l’honneur en la matière. Si le mérite en revient évidemment à nos chercheurs, cette réussite contribuant au rayonnement de la France et à notre présence internationale doit également être portée au crédit du Gouvernement, qui soutient la recherche. Madame la secrétaire d'État, il faut saluer votre travail, qui a permis ces beaux résultats !
création d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sur la commune de montataire
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, auteur de la question n° 851, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
M. Jean-Pierre Bosino. Madame la secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur le manque de places dans les structures d’accueil pour personnes âgées dépendantes dans l’Oise et le coût de cette forme d’hébergement, ainsi que sur le projet de création d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – dans le bassin creillois, plus particulièrement sur le territoire de la commune de Montataire.
La situation des personnes âgées dépendantes est préoccupante dans notre pays et ce constat n’épargne pas le département de l’Oise. Ces personnes font face à deux obstacles majeurs en matière d’accès à des structures adaptées : le nombre limité de places disponibles et leur coût. En cinq ans, la population des plus de 85 ans a augmenté de près de 40 % dans l’Oise, alors que, dans le même temps, le contexte de crise a fragilisé les Françaises et les Français les plus exposés, au premier rang desquels se trouvent les personnes âgées.
La situation dans l’Oise montre bien que, malgré les efforts du conseil général, les réponses apportées ne sont pas à la hauteur. Ainsi, dans le bassin creillois, il n’existe que 312 places en maison de retraite pour 71 000 habitants, avec un coût mensuel moyen par lit de plus de 2 500 euros.
Soucieuse de s’inscrire dans une démarche constructive de recherche de solutions, la municipalité de Montataire a, en 2007, élaboré un projet d’EHPAD, pour lequel elle met gracieusement un terrain à disposition. Ce projet a alors obtenu l’agrément de l’ex-comité régional de l’organisation sociale et médicosociale. Élaboré en lien avec les acteurs du secteur médicosocial et la population, il traduit depuis l’origine la volonté de créer une structure de quatre-vingt-quatre places accessibles à un coût réduit pour les usagers, celui-ci étant tout de même de l’ordre de 60 euros par jour. Comportant des places réservées aux malades d’Alzheimer, il s’inscrit dans un plan plus global d’accompagnement individualisé et de maintien du lien social, et sa réalisation aurait permis la création d’une cinquantaine d’emplois directs.
Répondant à l’urgence sociale, prévoyant des tarifs accessibles et des créations d’emplois, ce projet s’est pourtant heurté, à l’époque, à un refus du conseil général et de l’État, signifié par l’intermédiaire de l’agence régionale de santé, au motif qu’il existerait une surcapacité d’accueil en Picardie. Aujourd’hui, le conseil général, que préside mon collègue sénateur Yves Rome, le soutient, et nous nous sommes adressés ensemble à l’agence régionale de santé.
Je vous demande donc, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir réexaminer cette situation et réfléchir aux meilleures modalités de mise en œuvre du projet d’EHPAD que je viens d’évoquer. Cela permettrait d’apporter une réponse globale, à la hauteur des enjeux majeurs auxquels nous avons à faire face.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question, qui témoigne de votre souci, que je partage pleinement, de l’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie, particulièrement dans le département de l’Oise.
Votre question porte sur deux aspects.
Vous évoquez d’abord l’équipement en EHPAD du territoire de Montataire et le taux de places habilitées à l’aide sociale.
Sur ce premier point, si l’on appréhende le territoire de Montataire de façon légèrement élargie, les chiffres montrent que douze EHPAD sont implantés dans un rayon de quinze kilomètres. Cela représente un volume de 1 112 places, dont 492 sont habilitées à l’aide sociale.
Le diagnostic réalisé en 2011 a révélé que l’Oise bénéficiait d’un taux d’équipement supérieur à la moyenne picarde et à la moyenne nationale. Je vous remercie d’ailleurs, monsieur Bosino, d’avoir rendu hommage à l’action conduite par le conseil général et son président, Yves Rome.
Certes, le nombre de personnes âgées a augmenté depuis 2011, mais, parallèlement, des places ont été ouvertes, en particulier à Pont-Sainte-Maxence et à Mouy. Le diagnostic des besoins et de l’offre de prise en charge médicosociale réalisé en 2012 dans le cadre du schéma régional confirme que l’arrondissement de Senlis présente un taux d’équipement plus satisfaisant que celui d’autres arrondissements. Par conséquent, aucun appel à projets n’est programmé sur ce secteur par le conseil général et l’ARS. J’ai toutefois bien entendu votre demande d’un réexamen de la situation du territoire de Montataire et du projet d’EHPAD que vous avez évoqué.
Par ailleurs, vous indiquez que des places sont vacantes dans des EHPAD privés à but lucratif, car elles ne sont pas habilitées à l’aide sociale.
La question de l’accessibilité économique est majeure et je verrais tout intérêt à ce qu’une étude soit conduite afin d’étudier la possibilité d’augmenter et de répartir différemment le nombre de places habilitées à l’aide sociale.
Permettez-moi, monsieur le sénateur, de conclure en évoquant le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, qui sera examiné au début de l’année 2015 par la Haute Assemblée. Ce texte vise à développer massivement les dispositifs de maintien à domicile, par le renforcement de la prévention et de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA. De même, il tend à repositionner l’habitat intermédiaire comme un dispositif majeur en matière de prévention et d’hébergement des personnes âgées.
Ainsi, les logements-foyers, notamment, devront développer des actions de préservation de l’autonomie et pourront accueillir des personnes en légère perte d’autonomie – relevant du GIR 4 – si des conventions sont passées avec des structures de soins.
Nous espérons que, dans ces conditions, le recours à l’accueil en EHPAD pourra être évité ou retardé. En effet, ne perdons pas de vue que le souhait du plus grand nombre de nos concitoyens est de vieillir sans devoir quitter leur domicile. Il nous revient donc de mettre en place les aménagements nécessaires pour que le vieillissement au domicile se déroule dans les meilleures conditions de confort, de sécurité et de plaisir de vivre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse. À vous qui connaissez bien le département de l’Oise, je ferai toutefois remarquer que le cas de l’arrondissement de Senlis est tout à fait particulier : en effet, le bassin creillois présente la spécificité de compter une forte population d’ouvriers et d’employés à revenus modestes, qui n’a pas les moyens d’accéder aux places en EHPAD ouvertes au cours de la dernière période, le coût de l’hébergement y étant supérieur à 3 000 euros par mois. Cette situation donne toute sa légitimité à la demande de construction d’un EHPAD sur le territoire de Montataire.
Je prends bonne note de la volonté exprimée de maintenir le plus longtemps possible à leur domicile les personnes âgées et je sais les efforts consentis en ce sens par le conseil général. Cela étant, les deux démarches ne s’opposent pas, parce qu’il arrive malheureusement un moment où le maintien à domicile n’est plus possible, pour la personne âgée comme pour sa famille, et où il faut envisager un placement.
J’espère par conséquent que ce projet pourra aboutir, avec le soutien du conseil général de l’Oise.
santé et nucléaire
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la question n° 847, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Aline Archimbaud. Madame la secrétaire d’État, l’accord signé le 28 mai 1959 entre l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, et l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, stipule notamment que ces deux agences reconnaissent qu’elles peuvent être appelées à prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de renseignements qui leur auront été fournis.
En 1986, la mainmise de l’AIEA a, de surcroît, été renforcée par un certain nombre de conventions. Cette situation n’est pas rassurante en termes de transparence concernant les conséquences de la radioactivité sur la santé.
Très concrètement, l’OMS n’est, par exemple, intervenue que cinq ans après le début de la catastrophe de Tchernobyl. Elle a été sollicitée pour établir un rapport qui a finalement été rédigé par l’AIEA, et elle continue d’affirmer que cette catastrophe a provoqué moins d’une cinquantaine de morts.
De plus, l’OMS a omis de publier les rapports des conférences de 1995 et de 2001 sur les conséquences de Tchernobyl, au cours desquelles des informations très gênantes pour le lobby nucléaire ont été présentées.
Concernant Fukushima, l’OMS n’a pas protesté lorsque le Gouvernement japonais a remonté la norme admissible pour les populations de 1 à 20 millisieverts par an, niveau réservé aux travailleurs du nucléaire. De surcroît, elle a publié en 2013 un rapport évoquant des chiffres inférieurs même à ceux que Tepco et le lobby nucléaire ont admis.
Dernière alerte en date, l’OMS a supprimé son département « radiations » voilà quelques années.
Madame la secrétaire d’État, la ministre des affaires sociales et de la santé compte-t-elle défendre, en tant que représentante de la France à l’OMS, la révision de l’accord de 1959, pour permettre à cette organisation d’accomplir son mandat dans le domaine des rayonnements ionisants et, plus généralement, de la santé ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, l’accord du 28 mai 1959 entre l’AIEA et l’OMS précise l’articulation des compétences et les modalités de consultation et de coopération entre les deux agences. La clause de confidentialité est une disposition transversale aux accords onusiens, et c’est bien l’OMS qui est responsable de l’évaluation du risque sanitaire, y compris en cas d’accident nucléaire.
Afin de favoriser une meilleure connaissance des effets du rayonnement émis par tout type de source nucléaire, l’Assemblée générale des Nations unies a créé, en 1955, le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants, l’UNSCEAR. Il réunit vingt-sept États membres, dont la France, qui participe activement à ses travaux techniques. Le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants a publié des rapports de référence sur les accidents de Tchernobyl, ainsi qu’une étude sur les effets de l’accident de Fukushima, qui a été diffusée au mois d’avril dernier.
À la suite de la catastrophe de Tchernobyl, l’OMS a, dès le mois de mai 1986, soit quelques mois après la catastrophe, réuni des experts de onze pays pour une évaluation des conséquences de l’accident. S’agissant du nombre de décès, les données sur les conséquences de Tchernobyl ont été régulièrement mises à jour, tant par le rapport de l’OMS de 2013 que par celui de l’UNSCEAR de 2011. De plus, l’OMS est la première organisation internationale à avoir publié un rapport sur les conséquences radiologiques de l’accident nucléaire de Fukushima, au mois de février 2013, soit deux ans après l’accident.
L’évaluation des conséquences de l’accident de Fukushima a été menée par un groupe multidisciplinaire d’experts sélectionnés par l’OMS selon des procédures strictes visant à identifier et, le cas échéant, à écarter tout conflit d’intérêts potentiel.
En outre, l’OMS n’a pas la compétence pour commenter les valeurs de référence établies par le Gouvernement japonais. Ces valeurs ne peuvent pas, par nature, être plus élevées que le seuil d’exposition et la valeur retenue par les autorités japonaises se situe dans la fourchette basse des valeurs établies en situation accidentelle, ce qui souligne sa vocation protectrice.
Après l’accident de Fukushima-Daiichi, les États membres de l’AIEA ont adopté un plan d’action et ont confié un rôle de transparence renforcée à l’OMS, lui demandant, en situation d’urgence nucléaire, de communiquer en temps voulu des informations claires, objectives, rapportant des faits exacts et facilement compréhensibles. L’AIEA élabore de manière indépendante un rapport complet sur l’analyse et les conséquences de l’accident de Fukushima, qui comprendra un chapitre sur les conséquences radiologiques.
La France soutient activement ces travaux, comme elle soutient les missions réalisées par l’agence japonaise, relatives par exemple au démantèlement et à l’assainissement du site ou aux nouvelles normes de sûreté mises en œuvre au Japon.
Enfin, il convient de rappeler que l’organisation des services de l’OMS relève de la direction générale, et non des organes directeurs de l’OMS. Le domaine du rayonnement, un temps traité par une unité de l’OMS, a été intégré en 2005 en tant que programme spécifique au département « santé publique et environnement », chargé d’étudier l’impact des déterminants environnementaux sur la santé, dans une logique d’optimisation de la gestion générale à l’organisation et non spécifique à ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Je maintiens tout de même ma demande. Il ne s’agit pas de dénier tout rôle à l’AIEA, mais il me semble que l’Organisation mondiale de la santé, en tant que telle, au regard de la responsabilité qui est la sienne en matière de préservation de la santé publique, devrait jouer un rôle plus important sur ces questions.
obligation alimentaire dans le calcul des ressources des majeurs sous tutelle
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la question n° 844, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Claire-Lise Campion. J’appelle l’attention du Gouvernement sur la prise en compte de l’obligation alimentaire dans le calcul des ressources des majeurs sous tutelle.
Dans un souci de solidarité intergénérationnelle, afin qu’aucune personne âgée ne se trouve privée d’une solution d’hébergement adaptée et de conditions de vie décentes, la loi oblige les descendants à apporter, si besoin, une aide financière, sous la forme d’une obligation alimentaire.
Actuellement, lorsque l’obligation alimentaire est versée par les descendants directement à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un EHPAD, elle n’est pas considérée comme une ressource de l’ascendant si celui-ci dispose de faibles ressources, par exemple s’il est bénéficiaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA. Cette disposition permet à ces personnes âgées dépendantes de ne pas être imposables et de rester éligibles aux aides sociales auxquelles leurs ressources personnelles leur donnent droit.
Lorsqu’une personne âgée est placée sous la tutelle d’une association habilitée, celle-ci est chargée de réunir les sommes dues par les descendants au titre de l’obligation alimentaire, puis de régler directement les frais d’hébergement à l’EHPAD. Dans ce cas de figure, le montant versé au titre de l’obligation alimentaire est alors considéré comme une ressource de la personne dépendante et entre dans le calcul de son impôt. Par le biais de ce mécanisme, cette dernière devient bien souvent imposable et perd le bénéfice des aides sociales auxquelles elle avait précédemment droit, telles l’ASPA ou l’allocation de logement sociale, l’ALS.
C’est un double poids pour la personne dépendante et pour ses proches, qui doivent, d’une part, compenser, en vertu de l’obligation alimentaire, l’imposition de leur ascendant et la perte de ses aides sociales, et, d’autre part, s’acquitter de frais de gestion plus importants auprès de l’association tutélaire, ceux-ci étant calculés en fonction des ressources de la personne dépendante.
Aussi, dans l’intérêt des majeurs dépendants placés sous tutelle et de leurs proches, pouvez-vous m’indiquer, madame la secrétaire d’État, si le Gouvernement entend uniformiser le mode de calcul actuel, qui, en l’état, constitue une entrave à l’expression de la nécessaire solidarité intergénérationnelle au sein d’une même famille ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la sénatrice, en application de l’article 79 du code général des impôts, dans le cas de l’entretien de l’ascendant dans une maison de retraite, lorsque les frais de pension sont directement acquittés par le contribuable et déduits de son revenu imposable à titre de pension alimentaire, l’ascendant devrait, en principe, être personnellement soumis à l’impôt à raison des sommes ainsi versées à titre de pension alimentaire.
L’administration admet toutefois, par mesure de tempérament, que l’ascendant qui se trouve placé, temporairement ou non, dans une maison de retraite et ne dispose que de très faibles ressources, ne soit pas imposé du chef des sommes correspondant aux frais de pension, lorsque ces frais sont réglés directement par ses enfants ou ses petits-enfants et présentent le caractère d’une pension alimentaire au sens des articles 205 et suivants du code civil.
Une telle mesure doctrinale de tempérament doit toutefois conserver un caractère strictement limité, en vertu du principe de lecture littérale de la doctrine. Elle ne peut donc s’appliquer aux gages versés à une tierce personne pour la garde d’un ascendant invalide disposant de faibles ressources. Elle ne peut davantage s’appliquer lorsque le versement transite par le compte de l’ascendant.
Je ne peux donc, madame la sénatrice, vous répondre favorablement. Pour autant, le Gouvernement est ouvert à une réflexion sur le sujet. Il serait en effet souhaitable que ce dispositif fiscal complexe soit plus lisible pour les contribuables.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Je vous remercie de ces précisions, madame la secrétaire d’État, et surtout de votre proposition d’ouvrir une réflexion de fond sur le sujet : cela me paraît indispensable.
Au cours des dix dernières années, un certain nombre de parlementaires ont posé des questions sur ce thème ; il faut aller plus loin aujourd'hui. Madame la secrétaire d’État, je suis à votre disposition pour participer à ce travail de réflexion !
rétablissement de l'allocation équivalent retraite
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la question n° 854, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Dominique Watrin. Monsieur le ministre, alors qu’elle s’était engagée clairement en faveur du rétablissement de l’allocation équivalent retraite, l’AER, supprimée en 2011 par Xavier Bertrand, la majorité a finalement prolongé l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, au travers du décret du 4 mars 2013, tout en l’assortissant de conditions trop restrictives.
Le prolongement de cette allocation était un premier pas, parce qu’il rompait avec la logique précédemment suivie et permettait à plusieurs milliers de salariés ayant débuté tôt leur activité professionnelle de bénéficier d’un départ anticipé à la retraite. Or ce décret paraît aujourd’hui insuffisant.
Dans nos villes et dans nos départements, nous faisons tous les jours le constat des effets dramatiques, pour les populations, de l’extinction de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, qui contraint les salariés privés d’emploi non éligibles à l’ATS à survivre avec à peine 500 euros par mois.
En effet, cette allocation est réservée aux chômeurs nés entre 1951 et 1953, indemnisés par l’assurance chômage en 2010 et justifiant du nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein, ce qui exclut une grande partie des chômeurs âgés.
Le Gouvernement s’est rétracté, mettant notamment en avant le coût de la mesure – environ 800 millions d’euros –, et a opté pour le scénario le moins coûteux, mais le plus arbitraire, ce qui a suscité l’incompréhension et la colère de ceux qui ne bénéficieront pas du dispositif après avoir pourtant travaillé plus de quarante ans sans discontinuer.
En 2014, le Gouvernement a accordé 20 milliards d’euros aux entreprises au titre du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Or l’emploi a reculé de 22 000 postes au début de l’année et le CICE ne jouerait, selon l’INSEE, qu’un rôle d’amortisseur.
Le rétablissement de l’AER aurait, lui, un effet certain : il permettrait à des milliers de séniors français de ne pas vivre dans la misère en attendant la retraite, de redevenir des citoyens à part entière et des consommateurs.
Nul n’ignore d’ailleurs que, trop souvent, au lieu de considérer les séniors comme des atouts, c’est-à-dire comme des salariés performants et formés, capables d’être des relais de compétences et de savoir-faire auprès des nouvelles recrues, les entreprises les voient surtout comme des charges, voire des freins à la croissance. Les contrats de génération n’ont d’ailleurs pas changé la donne : un an après leur création, seuls 20 000 contrats de génération, qui ont pour l’essentiel validé des projets d’embauche en cours, avaient été signés.
Il est inadmissible que des personnes ayant travaillé et cotisé toute leur vie se retrouvent ainsi en situation de grande précarité, contraintes de vivre avec l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, ou le revenu de solidarité active, le RSA, dont le montant est largement inférieur au seuil de pauvreté.
Devant l’urgence de la situation, je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir nous indiquer quelles mesures vous comptez prendre pour mettre un terme à cette injustice sociale majeure.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, votre question me donne l’occasion de réaffirmer les engagements sans faille du Gouvernement en faveur de la justice sociale, de la reconnaissance des efforts individuels, de l’amélioration de l’accompagnement vers et dans l’emploi de tous nos concitoyens qui en ont besoin ou qui en font la demande.
Ces engagements, le Gouvernement a tenu à les mettre en acte, d’abord en adoptant lors d’un comité interministériel de lutte contre les exclusions, réuni en janvier 2013 pour la première fois depuis 2006, un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, qui organise la revalorisation de 10 % du RSA socle en cinq ans. Même si l’on peut toujours considérer que c’est insuffisant, cet engagement financier important, tenu depuis, porte aujourd’hui le montant du RSA socle à près de 510 euros par mois pour une personne seule et sans autres ressources.
Ensuite, le Gouvernement a élargi les conditions d’éligibilité à l’allocation transitoire de solidarité, que vous avez jugées trop restrictives à l’origine. Cet élargissement a été mis en œuvre par un décret du 4 mars 2013 et a permis de corriger un certain nombre d’injustices provoquées par la réforme des retraites décidée en 2010 par la précédente majorité.
Vous évoquez à cet égard, monsieur le sénateur, l’exclusion d’une grande majorité des chômeurs âgés du bénéfice de l’ATS et, en creux, un reniement par la majorité actuelle des combats qu’elle menait dans l’opposition. Or, attentive à la correction réelle des injustices de la réforme de 2010, cette majorité a fait inscrire dans la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites qu’un rapport sur la situation des générations de 1952 et de 1953 sera remis au Parlement.
Ce rapport sera rendu cette semaine. Il montre, en toute transparence, que l’élargissement du champ du décret du 4 mars 2013 a effectivement permis à la quasi-totalité des chômeurs nés en 1952 ou en 1953 et pouvant prétendre à l’ATS de bénéficier de celle-ci. On dénombre 907 personnes qui, à la suite de la perception de l’allocation de solidarité spécifique, et donc de la validation des trimestres qu’elle permet, auraient pu obtenir l’ATS si les trimestres validés au titre de l’ASS avaient été pris en compte. À la fin de l’année 2014, toutes ces personnes pourront faire valoir leurs droits à la retraite, car elles auront atteint l’âge légal de départ.
Chaque situation individuelle compte, je n’en disconviens pas. Quand des difficultés particulières ont été repérées ou signalées, les services de l’État, en lien avec tous les acteurs locaux pertinents, ont chaque fois cherché des solutions et proposé des conseils.
Enfin, le Président de la République a confirmé, lors de la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet derniers, la priorité donnée à l’emploi des plus de 50 ans et à la lutte contre le chômage de longue durée, qui touche en premier lieu les séniors.
Cela passe par des mesures favorisant le retour à l’emploi des chômeurs de longue durée, notamment en ciblant prioritairement sur ce public les contrats aidés dans le secteur marchand – les contrats de professionnalisation, par exemple –, ainsi que les 100 000 formations prioritaires de Pôle emploi.
Cela passe également par le maintien dans l’emploi des salariés au-delà de 45 ans. Nous devons en effet lutter contre une certaine forme de discrimination, consciente ou non, et inciter davantage à embaucher et à conserver des salariés expérimentés. En 2015, la prime du contrat de génération sera doublée en cas d’embauche simultanée d’un jeune et d’un sénior.
Monsieur le sénateur, les engagements, la volonté et l’action du Gouvernement en faveur de la justice sociale sont intacts. L’emploi reste le meilleur rempart contre les difficultés financières et la précarité. Mon combat, celui du Gouvernement, celui des partenaires sociaux gestionnaires de l’assurance chômage, est de créer les conditions de l’emploi, de restaurer l’employabilité des personnes à travers leur formation et l’accompagnement de leurs projets et de sécuriser des parcours parfois heurtés. La comparaison entre le taux de pauvreté des chômeurs français et celui des chômeurs allemands est défavorable à l’Allemagne.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Votre réponse, monsieur le ministre, n’apporte malheureusement aucun élément nouveau véritablement susceptible d’apporter une solution humaine à des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui ont travaillé toute leur vie et se sentent aujourd'hui oubliés, relégués.
Vous avez évoqué l’augmentation du RSA socle, mais celui-ci ne s’élève aujourd’hui qu’à environ 500 euros par mois. Je le répète, il s’agit ici de gens qui ont longtemps travaillé et vécu dignement. Ils ont droit, me semble-t-il, à une retraite ou à un traitement équitable qui leur permette de sortir de la pauvreté.
Il est vrai que le Gouvernement avait renvoyé l’examen de cette question au rapport au Parlement sur le nouveau dispositif de retraites. Je pense que nous aurons l’occasion, lors du débat qui suivra la remise de ce rapport, d’y revenir.
Je pense aussi à ces anciens salariés nés entre 1954 et 1957, qui se retrouvent dans la même situation que ceux nés entre 1951 et 1953, mais qui ne peuvent, eux, bénéficier de l’ATS.
Ces salariés qui ont travaillé dur, qui ont cotisé toute leur vie, parfois plus de quarante années, sont en colère, car ils sont victimes d’une double peine : la suppression de l’AER, qui les a frappés directement et que ne compense pas ce que vous annoncez, et le recul de l’âge de la retraite.
Un pays aussi riche que la France, qui sait dégager des dizaines de milliards d’euros pour exonérer de cotisations sociales les entreprises, en premier lieu celles du CAC 40, devrait être capable de supporter une dépense de 800 millions d’euros afin d’assurer un revenu décent à ceux qui ont fait cette richesse.
centre de l'établissement public d'insertion de la défense de montry en seine-et-marne
M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 843, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Michel Houel. Si vous le permettez, monsieur le président, je céderai la parole à mon collègue Alain Gournac, ma voix étant aujourd’hui quelque peu défaillante, comme vous pouvez le constater.
M. le président. Je l’accepte bien volontiers, mon cher collègue.
La parole est donc à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. La question de mon collègue Michel Houel porte sur le devenir des centres de l’Établissement public d’insertion de la défense – plus connu sous le nom d’« EPIDE » –, et plus particulièrement de celui de Montry, en Seine-et-Marne.
Selon un rapport du directeur général de l’EPIDE daté de mai 2014, dont la presse s’est largement fait l’écho, est prévue la fermeture des centres de Velet, de Montry, de Langres et de Lanrodec, avec redéploiement des places et des moyens correspondants dans les autres centres existants.
Le centre de Montry a ouvert ses portes en 2005 et reçoit chaque année 150 jeunes volontaires âgés de 16 à 25 ans, tous en grande difficulté, souvent en rupture totale avec la société.
L’objectif de ces établissements n’est autre que de favoriser l’insertion professionnelle de tels jeunes et leur intégration dans la société. Il est ambitieux, certes, mais les résultats sont remarquables. Ainsi, en 2013, l’établissement seine-et-marnais a enregistré 107 « sorties positives » : concrètement, monsieur le ministre, 107 jeunes ont trouvé un emploi ou une formation durable. Cette réussite repose en partie sur la taille de la structure, son taux d’encadrement et la qualité professionnelle des soixante agents qui s’investissent au quotidien.
Alors que le chômage des jeunes est au plus haut, est-il raisonnable de sacrifier sur l’autel budgétaire des jeunes sans formation prêts à s’en sortir ?
Est-il raisonnable de vouloir fermer un établissement qui, depuis trois ans, a bénéficié d’importants travaux financés par l’État, ou encore de mettre en péril les emplois des agents travaillant sur le site ?
En Seine-et-Marne, les élus comme les personnels sont mobilisés pour sauver le centre de Montry et lui permettre de poursuivre ses activités dans de bonnes conditions. Cet établissement aux résultats incontestables devrait servir d’exemple dans la lutte que nous menons tous, quelle que soit notre sensibilité politique, pour améliorer la formation et l’emploi des jeunes. Ne nous privons pas des expériences qui donnent des résultats !
Je vous demande donc, monsieur le ministre, d’engager un véritable dialogue constructif avec les professionnels et les élus locaux, en vue de trouver une solution financière acceptable pour tous et ainsi de sauver le centre de Montry.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Mis en place en 2005, l’EPIDE est chargé de l’organisation et de la gestion du dispositif d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de 18 à 25 ans sans diplôme, sans titre professionnel ou en voie de marginalisation, pour une durée de six à douze mois. Pour accomplir sa mission, l’EPIDE dispose à l’échelon national de dix-huit centres pouvant accueillir au total 2 085 jeunes, répartis sur quinze régions du territoire métropolitain.
Dans le cadre du contexte budgétaire qui s’impose à l’ensemble de l’administration et de ses établissements publics, l’EPIDE, comme les autres opérateurs, est amené à réfléchir à la rationalisation de son dispositif.
Depuis l’adoption du contrat d’objectifs et de moyens, le 2 février 2009, le budget de l’EPIDE – hors recettes non budgétaires de l’établissement – était plafonné à 85 millions d’euros par an jusqu’en 2011. Mais la participation de la mission « Travail et emploi », qui était originellement fixée à 50 millions d’euros par an, a été revue à la baisse, dans le cadre de l’effort général de réduction des dépenses publiques, par le gouvernement de M. Fillon, en janvier 2010. Pour 2014, j’ai pu maintenir le niveau de participation du ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à 45 millions d’euros, pour un budget global de 75,7 millions d’euros, 22,155 millions d’euros provenant du ministère de la ville.
L’établissement est, de fait, entré dans une dynamique visant à mettre son format en adéquation avec ses moyens. En 2012, l’EPIDE a entrepris une restructuration qui a conduit à la fermeture de trois centres et à l’ouverture d’un nouveau centre à Lyon-Meyzieu.
Pour 2014, le budget prévoit une économie de 8 % sur le fonctionnement, qui conduit encore à repenser ce dernier. Il s’agit aujourd’hui de penser et de conduire un projet de refondation de l’EPIDE qui, d’une part, vise à instaurer davantage de solidité financière et de pérennité – cela pourra impliquer des regroupements de centres –, et, d’autre part, intègre une réflexion sur l’évolution du projet pédagogique.
C’est dans ce cadre que le directeur général de l’EPIDE a proposé différents schémas impliquant des fermetures de centres. Nombre de parlementaires m’ont écrit à ce sujet, mais, je tiens à le souligner, ces schémas ne sont, à ce stade, que des pistes de travail.
En effet, la réflexion sur l’évolution de l’EPIDE sera entreprise dans le cadre d’une conduite du changement qui associera tous les acteurs concernés : les personnels administratifs et pédagogiques, les élus des collectivités territoriales, les partenaires sur les territoires – opérateurs du service public de l’emploi, entreprises, etc. –, mais aussi les volontaires eux-mêmes.
La fermeture du centre de Montry, en Seine-et-Marne, a été envisagée au titre des pistes de travail parce que le site, propriété de l’EPIDE, possède un potentiel de valorisation élevé du fait de sa position géographique, malgré la faiblesse de l’entretien dont il a été l’objet. De surcroît, d’autres centres existent en région parisienne ou à proximité de celle-ci, et des travaux importants devraient être engagés pour la mise aux normes du site de Montry.
En tout état de cause, nous n’en sommes qu’au stade des pistes de travail, monsieur le sénateur, et je profite de cette occasion pour réaffirmer l’attachement du Gouvernement aux spécificités de l’EPIDE, notamment l’internat, parmi la palette des outils d’insertion mobilisables au bénéfice des jeunes les plus fragiles.
Quoi qu’il en soit, je ne manquerai pas de vous tenir personnellement informé des options qui seront retenues par le Gouvernement, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre. Je vous invite à venir visiter le centre de Montry, qui est proche de Paris. Mon problème de voix n’est pas contagieux !
M. Antoine Lefèvre. C’est le projet de loi de finances qui nous laisse sans voix !
dématérialisation des actes comptables pour les petites communes
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 842, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Antoine Lefèvre. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur la dématérialisation des actes comptables pour les petites communes, en particulier sur son aspect financier.
En effet, l’article 8 de l’arrêté du 3 août 2011 impose au secteur public local la dématérialisation de l’intégralité des pièces et des actes comptables, pour lesquels était auparavant utilisé le support papier : c’est ce que l’on appelle le nouveau protocole d’échange standard version 2, le PESV2.
Or, cette nouvelle réglementation fait peser l’intégralité des charges sur l’ordonnateur des dépenses, spécifiquement des collectivités locales.
Ainsi, outre l’achat de ces nouveaux logiciels, les communes sont souvent dans l’obligation, compte tenu de la puissance de ceux-ci, d’acquérir de nouveaux serveurs informatiques.
La mise en place du PESV2 va donc avoir un impact financier important pour les plus petites d’entre elles, qui devront investir dans du matériel informatique performant, dans un scanner – une mauvaise saisie peut d’ailleurs bloquer le dossier –, et installer sur ce nouveau matériel les nouveaux logiciels financiers, notamment de gestion du personnel, dont le coût de maintenance annuel est plus élevé. Ces tâches imposeront un travail supplémentaire important aux secrétaires de mairie, qui devront être formés, d’où un coût à la charge de la commune. Enfin, l’accès au service, comme à la plateforme d’assistance, devra être possible du lundi au vendredi dans la journée.
Sur ce dernier point, monsieur le ministre, que se passera-t-il pour les communes assurant des permanences le samedi et en soirée ? Quid de l’accès à une plateforme d’assistance dans ces tranches horaires en cas de difficultés ? Quid des contacts avec la trésorerie s’il manque un bordereau, par exemple ?
Pour illustrer mon propos, j’indique que près de la moitié des 816 communes de mon département comptent moins de 250 habitants et que beaucoup tiennent leur permanence en toute fin de journée ou le samedi matin.
En outre, les pièces ainsi produites doivent, au même titre que les « documents papier », être conservées. Or l’archivage électronique sécurisé est encore à ce jour une source d’incertitudes pour les collectivités.
En effet, le stockage appelle un certain nombre de précautions, concernant la localisation du prestataire, les conditions de stockage, la protection des données, les délais de récupération, etc.
Les petites collectivités locales, qui ne disposent pas des moyens d’expertise nécessaires pour analyser les multiples solutions disponibles sur le marché, se trouvent désarmées et à la merci du service marchand.
Une telle perspective induit beaucoup de questions, de dépenses à venir, de dysfonctionnements à anticiper, sans qu’un accompagnement financier susceptible de compenser toutes ces charges nouvelles soit prévu. Ainsi, monsieur le ministre, nous avons calculé que les communes en seront « de leur poche » d’environ 3 000 euros. C’est une somme qui peut être absorbée par les communes importantes, mais, pour les plus petites, la dépense devient insupportable !
J’ajoute, monsieur le ministre, que les services de certaines sous-préfectures ne suivent pas le mouvement, et il n’est pas sûr qu’elles arrivent à effectuer correctement les contrôles. Les baisses d’effectifs y sont aussi sans doute pour quelque chose…
Enfin, monsieur le ministre, ces dépenses que les communes vont devoir assumer permettront aux services de trésorerie de faire de sensibles économies, aux frais donc de celles-ci ! On aurait pu espérer, pour le moins, que la dépense soit partagée, voire – pourquoi pas ? – compensée !
La circulaire de M. Valls en date du 9 octobre dernier, donc toute fraîche, adressée à l’ensemble des ministres précise que, « à compter du 1er janvier 2015, toute charge financière liée à l’impact d’une loi ou d’une réglementation nouvelle devra être compensée par une simplification ou un allègement d’un montant équivalent » ; c’est la règle dite du « un pour un » en matière de normes applicables aux collectivités locales. Son application ferait bien l’affaire de nos petites communes concernant le présent dossier !
Dans le contexte de la mise en œuvre des rythmes scolaires, extrêmement coûteuse pour les budgets communaux, et de la baisse des dotations aux communes, dont le projet de loi de finances maintenant soumis au Parlement contient la sinistre confirmation, je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir faire un point sur l’évolution de ce dossier, et de nous préciser quelles mesures vous pourriez proposer pour alléger la facture des communes !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Michel Sapin, retenu au Luxembourg par un conseil Ecofin. J’aurais aimé qu’il puisse vous répondre en personne, mais je puis néanmoins vous apporter quelques éléments.
Je connais bien la situation des départements comptant de nombreuses petites communes de moins de 250 habitants, la Côte-d’Or étant dans ce cas.
Vous conviendrez que l’amélioration de la qualité comptable et l’enrichissement des échanges de données entre les collectivités locales et leur comptable public constituent une attente forte exprimée par les ordonnateurs locaux.
C’est justement pour répondre à cette attente que l’article 8 de l’arrêté du 3 août 2011 prévoit, d’ici au 1er janvier 2015, la généralisation à l’ensemble des ordonnateurs du protocole d’échange standard version 2, ou PESV2, en remplacement des protocoles historiques moins performants.
À cet égard, j’observe que la circulaire de M. Valls en date du 9 octobre, à laquelle vous avez fait référence, ne peut s’appliquer que pour l’avenir, et ne peut valoir rétroactivement pour cet arrêté du 3 août 2011 pris par le ministre des finances de l’époque.
Ni la généralisation du protocole ni le calendrier de cette dernière n’ont été décidés de façon unilatérale par l’État : l’arrêté prévoyant la généralisation du protocole a été pris en concertation avec les associations nationales représentatives des élus locaux, dans le cadre de la structure nationale partenariale.
Le protocole d’échanges permet aux ordonnateurs de transmettre à leur comptable dans des conditions de plus grandes sécurité et fiabilité les informations qui leur incombent réglementairement. Je souligne par ailleurs que ce protocole peut servir de support à la dématérialisation des échanges des pièces comptables et justificatives produites par les ordonnateurs, mais qu’il ne crée pas d’obligation de mise en œuvre de la dématérialisation.
Pour les collectivités locales, le nouveau protocole constitue certes une dépense, qui peut être lourde pour les petites communes, mais également un moyen de moderniser la gestion publique locale et d’améliorer la performance des acteurs de l’ensemble de la chaîne budgétaire et comptable. En effet, la mise en œuvre de la dématérialisation ne nécessite pas d’investissements très importants, du fait du faible nombre de pièces à transmettre ; c’est particulièrement vrai pour les collectivités de taille modeste, vous en conviendrez avec moi. En outre, le retour sur investissement est relativement rapide, puisque les coûts de fonctionnement des transmissions dématérialisées sont largement plus faibles que ceux des transmissions traditionnelles.
Enfin, les services de la Direction générale des finances publiques, qui sont déjà en contact permanent avec les associations nationales représentatives des élus locaux, apporteront aux ordonnateurs tous les conseils et les aides nécessaires à la mise en œuvre du protocole, dont la généralisation, je le rappelle, interviendra au 1er janvier 2015.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je veux bien convenir avec vous que la dématérialisation peut constituer une avancée, notamment pour les ordonnateurs, mais je n’en regrette pas moins que son coût soit à la charge exclusive des collectivités, qui subissent déjà une baisse sans précédent de leurs dotations. Un effort aurait pu être fait ; je déplore que la circulaire du 9 octobre 2014 n’ait pas d’effet rétroactif, car cela aurait permis d’améliorer les choses.
liaisons maritimes en direction des îles du Morbihan
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, auteur de la question n° 863, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Michel Le Scouarnec. Je commencerai par citer un quatrain :
Ô cœur des îles
Sur fond de peine,
La joie est une soie
Sur fond de laine.
Quant aux îliens du Morbihan et à leurs élus, leur peine est grande et se mue en une colère qu’ils ont exprimée avec force ces derniers jours !
S’il est habituel que le vent souffle sur ces îles, la nouvelle délégation de service public pour la desserte de Groix, de Belle-Île-en-Mer, de Houat et de Hoëdic intensifie les rafales. Afin de répondre à un rapport de la cour régionale des comptes, le conseil général et la compagnie Océane, filiale de Veolia Transport, actuelle titulaire de la délégation de service public, envisagent, entre autres mesures, de supprimer le « tarif morbihannais », d’augmenter les tarifs des résidents secondaires, de doubler le tarif camion pour le transport des marchandises et de diminuer de 7 % le nombre de rotations annuelles. Autrement dit, il s’agira de payer beaucoup plus pour moins de services !
Le conseil général ne se cache-t-il pas derrière les recommandations du rapport en question ? En effet, si la cour régionale des comptes informe les élus et émet un avis, son rapport n’oblige pas mécaniquement ces derniers à prendre des décisions. Certes, il pointe l’existence de tarifs illégaux, comme ceux dont bénéficient les parents d’insulaires ou ceux du fret pour les entreprises implantées sur les îles, mais il ne demande pas, par exemple, d’instaurer deux tarifs différenciés en hausse – un pour la semaine et un pour le week-end – pour les insulaires. Et que dire de l’augmentation du prix de l’aller-retour pour les enfants d’insulaires, qui passerait de 12,30 euros à 16 euros, soit une hausse de 30 % ? Je rappelle que la création de ces tarifs reposait sur le fait que, par leurs impôts, les Morbihannais – entreprises comme particuliers – participent au financement des investissements en matière de liaisons maritimes.
Les mesures envisagées inquiètent légitimement les insulaires et leurs élus. Elles semblent être le résultat d’une analyse purement technocratique et mathématique des liaisons vers les îles. Lors de la signature de la délégation de service public, en 2008, des doutes avaient d'ailleurs été émis sur la capacité de Veolia Transport à assurer la gestion commerciale et maritime des liaisons et leur marketing.
Devant ce constat, plusieurs choix peuvent être opérés, dont celui du développement des liaisons maritimes ou, à l’inverse, celui de leur réduction. Il semblerait que cette dernière option soit privilégiée, au détriment de l’insularité morbihannaise. Je le regrette vivement, tant ce projet est loin de répondre aux besoins des habitants et des commerçants des îles. Tous craignent la répercussion sur la vie économique et quotidienne des nouvelles dispositions, avec des horaires totalement inadaptés au commerce et au maintien de l’attractivité des îles. Les produits du quotidien, déjà chers, vont devenir inaccessibles, car la hausse du coût des traversées pour le fret se répercutera inévitablement sur le prix des marchandises. Continuer dans ce sens, c’est appauvrir encore plus ces îles, dont la fréquentation a baissé de 20 % en six ans.
Afin de garantir un égal accès au service public du transport que représentent les liaisons avec le continent, il est impératif de venir en aide aux collectivités locales confrontées au déficit de fonctionnement des navettes et d’assurer une offre de rotations qui soit acceptable pour tous. Monsieur le ministre, qu’allez-vous faire en ce sens ? Agir est d’autant plus urgent que, malheureusement, la crise frappe durement nos îles.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Alain Vidalies, actuellement retenu par une réunion avec le Premier ministre. Je suis bien sûr l’actualité et j’ai entendu parler du problème que vous soulevez.
Le conseil général du Morbihan a effectivement décidé de réduire le nombre de rotations lors du renouvellement de la délégation de service public pour la desserte passagers des îles de Groix, de Belle-Île-en-Mer, de Houat et de Hoëdic à la fin de l’année 2014.
Le Gouvernement comprend la préoccupation des élus, des habitants et des commerçants de ces îles. Néanmoins, comme vous le savez, la desserte des îles est encadrée par les articles L. 5431-1 et suivants du code des transports, aux termes desquels les transports maritimes réguliers publics de personnes et de biens sont organisés par le département. Ainsi, l’organisation du transport maritime pour la desserte des îles de Groix, de Belle-Île-en-Mer, de Houat et de Hoëdic relève de la compétence exclusive du conseil général du Morbihan. Eu égard au principe de libre administration des collectivités territoriales, le Gouvernement ne me permettrait pas de répondre en lieu et place du conseil général, auquel je fais pleinement confiance pour répondre aux besoins du territoire.
Pour autant, sensibilisé sur ce sujet par le député Gwendal Rouillard la semaine dernière et par vous-même ce matin, le secrétaire d’État chargé des transports, Alain Vidalies, a fait en sorte que son cabinet reçoive cet après-midi, à leur demande, une délégation d’élus du Morbihan, afin d’échanger sur le dossier et, plus largement, sur l’avenir des délégations de service public maritime.
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le ministre, je me doutais un peu que le conseil général était compétent en la matière…
Pour Belle-Île-en-Mer, le nombre de rotations quotidiennes assurées par la compagnie Océane devrait passer de sept à six, voire à cinq le week-end. Deux retours seulement seraient prévus assez tôt dans la journée. Cette configuration augure d’une nouvelle organisation des transports marquée par une baisse du nombre de rotations et complètement inadaptée.
Depuis des années, les élus des territoires concernés travaillent à un modèle économique viable, qui passe évidemment par le transport maritime. Si les annonces qui ont été faites se confirment, des îles seront en grande difficulté.
Il semble incroyable qu’une délégation de service public d’une durée de six ans soit votée sans la moindre concertation avec les premiers concernés, à savoir les habitants et leurs élus. Tous ont été mis devant le fait accompli et sont abasourdis. Je pense qu’il y a des progrès à faire sur le plan de la démocratie participative ou de la citoyenneté !
Devant l’augmentation du coût du transport maritime, il serait opportun d’envisager la mise en place d’un fonds exceptionnel de solidarité pour venir en aide aux collectivités locales confrontées au déficit de fonctionnement des liaisons entre les îles et le continent. Aujourd'hui, dans les îles, le coût de construction des logements, y compris les logements sociaux, est déjà supérieur de 30 % à la moyenne nationale, à cause du coût du transport. Nous sommes donc loin de l’égalité de tous les citoyens devant le service public. J’espère que l’on réussira à faire bouger les choses.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, auteur de la question n° 864, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Maurice Antiste. Ma question porte sur le désastre environnemental, économique et sanitaire que subit la Martinique du fait de l’invasion durable d’algues jaunes en provenance de la mer des Sargasses.
La présence d’un tapis dense d’algues sur les côtes et dans toutes les baies du pays constitue en premier lieu une atteinte grave à l’environnement maritime et naturel, ainsi qu’aux ressources halieutiques et à la sauvegarde de la biodiversité.
De plus, elle engendre un important préjudice économique pour les professionnels du tourisme et de la mer –pêcheurs, aquaculteurs, etc. –, qui voient leurs outils de travail détériorés : difficultés à démarrer les moteurs, les algues obstruant les systèmes de refroidissement, ou encore dérèglement des sondeurs et des GPS. Quant aux aquaculteurs, ils sont nombreux à avoir perdu la totalité de leur production.
J’appelle également votre attention sur un effet inattendu du dégagement d’hydrogène sulfuré lors de la putréfaction des algues. Ce gaz attaque les circuits électroniques d’appareils domestiques tels que les télévisions, les fours à micro-ondes, les climatiseurs et les micro-ordinateurs. De nombreuses familles habitant le littoral ont ainsi perdu la plupart de leurs équipements.
Quant aux effets éventuels sur la santé, ils suscitent beaucoup d’interrogations, voire d’inquiétudes. C’est un point sur lequel Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a déjà été interpellée.
Les importantes dépenses induites, pour les communes concernées, par l’enlèvement des algues sont en partie couvertes par des aides exceptionnelles décidées en urgence par le conseil général – 340 000 euros – et le conseil régional –350 000 euros –, en l’absence de soutien de l’État.
À ce jour, aucun mécanisme ne permet de compenser les préjudices subis. Je demande donc à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie quelles mesures elle envisage de prendre pour préserver nos côtes, ainsi que pour permettre et favoriser d’éventuelles démarches d’indemnisation. La prise d’un arrêté de catastrophe naturelle, par exemple, serait bienvenue.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, Ségolène Royal vous prie de l’excuser de ne pouvoir être présente ce matin ; elle m’a chargée de vous transmettre des éléments de réponse, sans doute parce que j’ai été confrontée, en tant qu’élue de Bretagne, à des phénomènes de cet ordre, même si les causes n’étaient pas du tout les mêmes.
Vous l’avez souligné, l’île de la Martinique est confrontée depuis plusieurs semaines à un phénomène d’échouage massif d’algues « sargasses ». Dès les premiers échouages, les services de l’État à la Martinique se sont mobilisés pour apporter une aide opérationnelle aux communes, afin que celles-ci puissent procéder à l’indispensable ramassage des algues, mission qui est de leur responsabilité.
Une instance spéciale a été mise en place à l’échelon local pour suivre l’évolution de la situation en temps réel.
Plusieurs réunions d’information ont été organisées dès le mois d’août en présence des maires concernés. Les hélicoptères de la sécurité civile effectuent régulièrement des missions de reconnaissance aérienne afin d’anticiper l’arrivée des sargasses et de permettre au dispositif d’être le plus efficace possible.
Ce soutien a été renforcé au fur et à mesure que le phénomène prenait de l’ampleur. Des mesures exceptionnelles ont ainsi été mises en œuvre : plusieurs dizaines de militaires du service militaire adapté et du détachement Terre Antilles sont mobilisés depuis une semaine pour aider les personnels communaux à nettoyer les secteurs les plus touchés ; la ministre de l’écologie a mobilisé l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, pour mettre à disposition des crédits exceptionnels d’investissement pour les équipements permettant une meilleure valorisation de ces algues ; de plus, l’agence régionale de santé procède, à la suite de vos interpellations, à des mesures régulières pour assurer le suivi sanitaire de la situation.
L’État a donc pleinement pris la mesure des problèmes causés par la présence des algues sargasses dans les eaux marines et sur le littoral martiniquais. Tous les services de l’État sont mobilisés aux côtés des collectivités pour faire face à ce qui est une véritable crise.
Par ailleurs, le préfet a mis en place des groupes de travail pour étudier des solutions de valorisation des algues pour l’agriculture ou la production d’énergie.
Le ministère chargé de l’écologie s’engage à suivre de très près l’évolution de la situation et à missionner les expertises nationales dont vous avez besoin pour mieux connaître le phénomène des sargasses et mieux anticiper les nouvelles arrivées d’algues.
Enfin, concernant la qualification de catastrophe naturelle, une expertise de l’article L. 125-1 du code des assurances est à conduire pour éclairer la notion d’agent naturel ayant une intensité naturelle, en lien avec les ministères de l’intérieur et des finances. Cette étude est en cours.
Sachez, monsieur le sénateur, que nous restons pleinement mobilisés pour suivre avec attention l’évolution de cette situation et que, quoi qu’il arrive dans les heures et les jours qui viennent, nous nous tiendrons à votre disposition pour entendre les témoignages et faire face à la situation. Vous pouvez en faire part aux maires et aux habitants des communes concernées.
Mme la ministre chargée de l’environnement a insisté sur la valorisation des algues, parce que nous pensons qu’il faut essayer de tirer pour demain un bénéfice d’une situation aujourd’hui catastrophique.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Madame la ministre, je me réjouis de la mobilisation croissante des services de l’État, mais je voudrais que mes collègues prennent bien conscience de l’ampleur d’un phénomène qui concerne non pas seulement la Martinique, mais l’ensemble de la Caraïbe.
C’est la raison pour laquelle j’ose proposer que le ministère de l’environnement prenne l’initiative d’organiser une conférence internationale sur le sujet. Cuba et la République dominicaine, en particulier, ont l’habitude d’affronter ce problème, qui n’est apparu chez nous que depuis deux ans. Il importe donc que nous ne restions pas refermés sur nous-mêmes.
Pour finir, je voudrais attirer de nouveau l’attention sur les éventuels problèmes de santé liés à ce phénomène : de fines particules se déposent sur les murs des édifices, des habitations, et il existe un doute quant aux conséquences sanitaires de leur inhalation.
inadaptation du plan de prévention des risques de submersion pour la baie du Mont-Saint-Michel
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, auteur de la question n° 853, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Dominique de Legge. Madame le ministre, la tempête Xynthia a été une tragédie. Les enseignements de ce drame, tout à la fois sur ses causes, l’alerte et le fonctionnement des secours, doivent sans conteste servir à l’élaboration des plans de prévention des risques de submersion marine. J’ai pu le constater moi-même en participant à la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.
Pour autant, une application uniforme de ces enseignements qui ferait fi des particularismes locaux conduirait à deux écueils, tant le littoral méditerranéen est différent de ceux de l’Atlantique ou de la Manche : d’une part, imposer des contraintes et prescriptions injustifiées et inutiles ; d’autre part, s’exposer à ne pas couvrir des risques liés à des situations particulières.
Le plan de prévention des risques de submersion marine de la baie du Mont-Saint-Michel est l’illustration de cette situation : toutes les études font apparaître que les vents dominants sont d’Ouest, mais, à la différence de ce que nous avons connu avec Xynthia, le site est protégé par les pointes du Grouin et de Cancale ; de plus, la hauteur de l’eau dans la baie ne dépasse pas le mètre et le désensablement du Mont-Saint-Michel conduit mécaniquement à l’ensablement de la baie, mettant d’ailleurs en péril l’activité conchylicole ; enfin, le fonctionnement de la digue et le réseau des canaux en aval ne peuvent être assimilés à ce que l’on observe sur la côte atlantique.
Une application stricte du plan de prévention des risques de submersion marine en l’état conduit à quelques aberrations, une prescription allant jusqu’à demander la suppression des chambres à coucher en rez-de-chaussée, ce qui est assez difficile pour des maisons sans étage ! Et si par hasard un propriétaire envisage de surélever sa maison, il tombe alors sous le coup de la loi Littoral ou se heurte aux architectes des Bâtiments de France, ce qui laisse peu de solutions.
C’est pourquoi, me faisant le porte-parole des nombreux élus qui m’ont alerté sur le risque que ferait courir à leur territoire, tant sur le plan économique que sur le plan social, une application uniforme et sans discernement de plans de prévention, je vous prie de bien vouloir m’indiquer quelles dispositions le Gouvernement entend prendre pour adapter les prescriptions nationales aux spécificités géographiques de la baie du Mont-Saint-Michel, afin de protéger les populations tout en garantissant le maintien d’une activité sociale et économique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur de Legge, je vous remercie de votre question, qui met en exergue les difficultés que rencontrent certaines communes de la baie du Mont-Saint-Michel dans l’application des plans de prévention des risques de submersion marine. L’université de Rennes a travaillé sur ce sujet et il pourrait être intéressant de se référer à ces travaux.
La baie du Mont-Saint-Michel est un site remarquable, auquel l’État et les collectivités territoriales ont consacré des efforts extrêmement importants. Pour autant, comme d’autres sites littoraux, il est exposé au risque de submersion marine, et les caractéristiques mêmes de la géographie de la baie ne garantissent pas l’atténuation de ce risque en toutes circonstances.
De surcroît, aucun ouvrage de protection ne peut être considéré comme totalement infaillible, quelles que soient ses caractéristiques et sa résistance présumée. C’est ainsi que les territoires les plus bas, situés au sud de la baie, ont été inclus dans une zone à risque important d’inondation, faisant partie de la liste arrêtée le 26 novembre 2012 par le préfet coordonnateur de bassin Loire-Bretagne.
Par ailleurs, Mme Royal tient à souligner que la tempête Xynthia ne représente pas – nous partageons votre analyse sur ce point – un élément de référence uniforme présidant à l’établissement de ces plans. C’est bien l’adaptation au contexte local qui est recherchée lors de leur élaboration, notamment par le choix de l’événement de référence – avec une période de retour de 100 ans – ou de l’événement historique, si sa période de retour est plus importante.
En matière de mise aux normes de l’habitat ancien, la survenue de phénomènes rapides, tels que les submersions, peut nécessiter de mettre en place une zone refuge dans l’habitation, susceptible de protéger ses occupants en cas de montée des eaux.
Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs permet d’accompagner les particuliers dans ce type de démarches d’aménagement à hauteur de 40 %, les collectivités pouvant bien entendu apporter également leur concours. Suite à votre intervention, monsieur le sénateur, nous reverrons de plus près le cas de ceux qui sont concernés par la loi Littoral ou d’autres types de prescriptions.
Mme Royal a conscience que l’effort demandé est ambitieux. Il convient néanmoins de garder à l’esprit que ces plans n’ont qu’un seul objectif fondamental, celui d’accroître la protection des populations littorales.
En ce sens, le territoire en question vient d’être retenu au titre de l’atelier national des « territoires en mutation exposés aux risques » pour 2015, conduit en lien avec le ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité afin d’assurer la nécessaire conjugaison entre projets de développement et prise en compte des risques. Vous pourriez d’ailleurs fort opportunément être associé à ce travail, qui va permettre de délimiter les zones où se rencontrent les impossibilités que vous avez relevées.
La coopération de l’ensemble des collectivités territoriales concernées à des échelles cohérentes est donc indispensable pour assurer à terme la sécurité de nos concitoyens sur ces territoires exposés à des risques importants. C’est à cette fin qu’a été créée la compétence obligatoire de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, confiée aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, compétents par ailleurs en matière d’aménagement. En outre, l’organisation mise en place par les collectivités locales pour entretenir et surveiller les digues constitue également un élément clé. Il est donc possible, à l’échelle de l’intercommunalité, de mieux se protéger.
J’ajouterai que le procès qui se déroule en ce moment montre dans quelles difficultés peuvent se trouver placés les maires. Il nous incite à faire preuve de beaucoup de prudence en matière de dérogations. Lorsqu’une catastrophe survient, les maires sont en première ligne. Nous devons les accompagner non seulement pour protéger leur population, mais aussi pour les protéger eux-mêmes contre des recours judiciaires dont les conséquences, en sus du préjudice personnel subi, peuvent être très lourdes pour la collectivité.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre.
Je crois que la liste des communes concernées ne pose pas de problème et qu’il n’y a pas lieu d’y revenir.
Toutefois, la réponse que vous avez faite soulève une difficulté : tant le préfet que les élus demandent non pas une dérogation, mais une adaptation. Je suis quelque peu inquiet de vous entendre nous renvoyer à des ateliers dont je n’ai pas bien compris quel était leur objectif et qui pourraient se tenir en 2015 : le traitement du problème risque d’être encore durablement ajourné, alors que la situation est figée depuis maintenant deux ou trois ans.
Le préfet avait demandé une adaptation. La réponse du ministère, qui est arrivée il y a quelques jours, est une fin de non-recevoir. J’entends, dans votre réponse, qu’il y a peut-être une ouverture. Je voudrais me faire auprès de vous, madame le ministre, l’interprète des maires et relayer la demande de mes collègues Gilles Lurton et Thierry Benoit que Mme Royal se rende en personne sur place ; je sais qu’elle n’y était pas hostile et que le principe d’une telle visite avait été entériné.
Je vous prie de bien vouloir lui transmettre notre demande renouvelée, de telle sorte qu’elle puisse, dans l’esprit de dialogue que vous venez d’évoquer, se rendre compte par elle-même de la réalité des situations et entendre les arguments des acteurs économiques et des élus. Il importe de débloquer rapidement la situation. (Mme la ministre acquiesce.)
avenir des départements
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 857, transmise à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
M. Jean Boyer. Madame la ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur l’avenir des départements. Il semblerait que les dernières réflexions gouvernementales s’orientent vers le maintien d’un certain nombre d’entre eux, qualifiés de « ruraux ».
En tant qu’élu d’un tel département, je me réjouis, et avec moi nombre de mes collègues, que le Premier ministre ait décidé le maintien de certains départements ruraux : cette décision était indispensable au regard de l’aménagement du territoire.
En effet, nous le savons tous, il y a plusieurs catégories de départements. Dans le mien, par exemple, l’habitat moyen est parmi les plus élevés de France et les zones de revitalisation rurale, les ZRR, couvrent vingt-deux cantons sur trente-cinq. Dans de tels départements, la faible densité de population et l’étendue de l’espace à gérer nécessitent le recours à une solidarité nationale.
Cette décision du Premier ministre devrait permettre de garder une proximité indispensable à la vie de nos communes. Un département rural doit avoir une identité, une complémentarité, une spécificité.
Cette décision positive me donne l’occasion de dire que si les communes n’existaient pas, il faudrait aujourd’hui les créer, les mettre en place. La population d’une commune rurale, comme je le dis régulièrement ici depuis treize ans, pourrait être accueillie dans un seul immeuble, dans une seule copropriété, dont il suffirait alors d’entretenir les équipements, l’environnement. Mais une commune de 200 habitants a des dizaines de kilomètres de chemins à entretenir, ainsi que les différents réseaux nécessaires à la vie quotidienne.
Dans le prolongement de cette analyse communale, je ferai remarquer que la population d’un département comme la Haute-Loire – beaucoup d’autres sont dans le même cas – pourrait tenir dans une banlieue ou dans une ville, où elle pourrait jouir de certaines richesses naturelles et économiques, sans avoir à gérer tous les espaces.
Oui, le département doit demeurer. Or, madame la ministre, je vous le dis très franchement et sans aucune démagogie : les départements ruraux s’interrogent sur leur avenir. On le souligne souvent, un département rural a un espace à gérer, sa population est en moyenne beaucoup plus âgée que celle d’autres départements. Mes chers collègues, n’opposons pas la France urbaine et la France rurale : elles sont complémentaires ; elles ont toutes les deux leur vocation.
Dès lors, madame la ministre, quels seront les critères retenus pour définir l’identité des départements ruraux ? Surtout, quelles compétences et quels moyens seront affectés à ces derniers ?
Depuis 1789 et la naissance de notre République, notre pays a connu bien des vicissitudes. Aujourd’hui, c’est la loi de la jungle économique mondiale qui alimente les inquiétudes, particulièrement dans les départements ruraux. La réforme projetée des structures communales, intercommunales ou départementales nous dissimule l’essentiel. Cela étant, je sais que les choses ne sont pas faciles : je n’ai jamais été un partisan du « y a qu’à, faut qu’on ».
Répondez-nous simplement, sans langue de bois, sur l’avenir des départements ruraux, madame la ministre : je suis Auvergnat, et je sais que vous n’êtes pas Normande !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, j’ai la chance d’habiter depuis longtemps dans un département rural. Je crois qu’Auvergnats et Bretons ont beaucoup en commun, notamment la pugnacité.
Aujourd’hui, nous sommes face à une situation complexe. Nous voulons améliorer l’action publique et le service public rendu à nos populations. Depuis un peu plus de deux ans que je parcours la France et que je rencontre l’ensemble des associations d’élus, je constate qu’il nous incombe de remédier à la forte inégalité qui existe entre les territoires.
Les structures territoriales fonctionnent bien, mais elles souffrent de l’inégalité de leurs bases fiscales. Ainsi, au sein d’un même département, la grande richesse peut côtoyer l’extrême pauvreté.
Vous avez eu raison, monsieur le sénateur, de rappeler le rôle des communes, que nous avons fait le choix de garder. Nous avons voulu qu’elles aient des moyens. C’est pourquoi, nous inscrivant dans une continuité républicaine qui perdure depuis 2010, nous avons décidé ensemble de renforcer les établissements publics intercommunaux, afin qu’ils puissent répondre aux besoins des citoyens.
Quelle est, dans ce contexte, la place des départements ? Le débat que nous avons eu ici le 7 janvier 2014 sur la base du rapport de MM. Raffarin et Krattinger a été fort riche ; des propositions nombreuses et variées ont été émises sur toutes les travées, sans esprit partisan. Ensemble, nous avons affirmé qu’il fallait renforcer les compétences des régions en matière de stratégie économique.
Mais, nous le voyons bien, il reste encore un échelon à définir entre les communautés de communes rurales, notamment, et la région, qui sera plus éloignée qu’auparavant. S’agira-t-il des départements dans leur forme actuelle ? À cet instant, je vous le dis franchement, je l’ignore.
Comment définir ce qu’est un département rural ? Ce matin, mon collègue André Vallini me confiait avoir traversé des zones rurales très étendues dans le département du Nord, pourtant considéré comme urbain. De la même façon, le nord du Val-d’Oise est une zone rurale, tout comme une partie de l’Essonne. Nous aurons donc beaucoup de difficultés à établir une définition de ce qu’est un département rural.
Nous devons nous demander ensemble quel échelon de proximité nous voulons garder. L’aire géographique des départements va demeurer. La solidarité territoriale peut-elle s’exercer sur cet espace ? Je le crois. Faudra-t-il, à l’avenir, conserver les conseillers départementaux ? Je ne sais pas, mais je pense que l’on peut demander à ceux qui seront élus en mars 2015 de travailler avec nous pendant deux ans afin d’élaborer ensemble une solution.
Avec les sénateurs, les députés et les futurs élus départementaux, je suis persuadée que nous réussirons à définir la qualité de l’échelon de proximité et le contenu de la compétence de solidarité entre les territoires. Nos communautés de communes rurales, même les plus grandes, manquent souvent d’ingénierie pour répondre aux appels à projets de la région ou de l’État ou pour soutenir l’activité économique.
Monsieur le sénateur, le milieu rural a un rôle essentiel à jouer pour l’avenir de la France. Si nous ne prenons pas garde à préserver la terre agricole, nous courrons le risque de perdre notre souveraineté à compter de 2030. En effet, nous passerons à cet horizon de 0,5 hectare à 0,8 hectare de terre agricole par habitant dans le monde. En outre, notre modèle d’importation de protéines végétales pour produire des protéines animales est en grande difficulté, alors même que nous avons besoin de sauvegarder notre indépendance alimentaire.
Monsieur le sénateur, vous ouvrez un débat que je ne peux clore aujourd’hui en vous apportant une définition précise de ce qu’est un département rural. Il nous faut du temps pour discuter avec les futurs conseillers départementaux, avec le Sénat, avec l’Assemblée nationale. Je pense que nous trouverons ensemble des solutions pour que l’action publique porte le redressement de la France partout, en milieu urbain comme en milieu rural.
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Madame la ministre, je le dis très sincèrement, j’ai apprécié votre conviction et votre détermination. J’ai également apprécié que vous nous fassiez part de la volonté du Gouvernement qu’une commune reste une commune. Un clocher, une école, un monument aux morts, un cimetière, un coq chantant sur un tas de fumier : c’est cela, la France rurale !
Madame la ministre, vous le savez, vous qui connaissez bien la France : les départements ruraux ne demandent pas la tour Eiffel ou une plage méditerranéenne ! Ils aspirent en revanche, à défaut de parité économique ou géographique, à une forme de parité sociale. (Mme la ministre marque son approbation.) Les évolutions dont nous venons de parler inquiètent : tel est le message que je souhaitais, madame la ministre, vous faire passer.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Très bien !
conséquences du retrait du dispositif des politiques de la ville pour certaines villes du Douaisis
M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly, auteur de la question n° 829, adressée à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
M. Dominique Bailly. Monsieur le ministre, j’ai souhaité attirer votre attention sur les conséquences de la réforme de la politique de la ville qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2015 et introduira une certaine simplification de la géographie des quartiers prioritaires.
Si cette réforme a des fondements légitimes – je pense notamment à l’objectif de recentrer les critères sur le niveau de revenu des habitants –, elle peut créer un certain nombre de difficultés pour les communes concernées par le retrait du dispositif.
En effet, les aides attribuées permettent de mettre en place, par exemple, des politiques locales d’insertion, de soutien à la réussite éducative ou de rénovation urbaine, en finançant un certain nombre d’emplois. La baisse des dotations aux collectivités, et l’arrêt de certaines subventions en résultant, rendra plus difficile la poursuite de ces politiques.
Dans l’arrondissement de Douai, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, ce sont treize communes qui cesseront de relever du dispositif. S’il faut voir un signe positif dans la progression des revenus de certains habitants, des difficultés persistent néanmoins.
Aussi souhaiterais-je savoir, monsieur le ministre, quelles mesures complémentaires permettraient d’accompagner les communes concernées, au moins pour une période transitoire, afin de garantir la pérennité des politiques de redynamisation des quartiers en difficulté.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité attirer mon attention sur la situation particulière des communes de l’arrondissement de Douai, au vu de la réforme de la géographie prioritaire de la politique de la ville découlant de la mise en œuvre de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy ».
Cette loi pose le principe d’une redéfinition de la géographie prioritaire de la politique de la ville en considération d’un critère unique, simple et objectif : la concentration urbaine de bas revenus. Concrètement, il s’agit d’identifier, partout sur le territoire, des quartiers d’au moins 1 000 habitants dont le revenu de la moitié au moins de la population est inférieur à 60 % du revenu médian.
Cette méthodologie, qui a été adoptée à une large majorité par les deux assemblées et dont les modalités ont été précisées par un décret en Conseil d’État paru le 5 juillet dernier, a permis de définir à l’échelon national 1 300 quartiers au sein de 700 communes, dans quelque 350 intercommunalités. Les quartiers retenus remplaceront au 1er janvier prochain les 700 zones urbaines sensibles et les 2 400 contrats urbains de cohésion sociale qui avaient été mis en place au cours des dernières années. Vous l’aurez compris, simplification, lisibilité et efficacité sont les mots d’ordre.
Ainsi que vous l’avez indiqué, treize communes de l’arrondissement de Douai jusqu’à présent concernées par la politique de la ville ne le seront plus à partir du 1er janvier 2015. Cette évolution s’explique par deux types de facteurs : certains quartiers connaissent aujourd’hui une situation économique et sociale moins fragile qu’auparavant et présentent des niveaux de revenus supérieurs au seuil légal ; d’autres sont de taille beaucoup trop modeste au regard des critères de concentration de pauvreté qui ont été définis dans la loi.
Si le premier enjeu de la mise en œuvre de la réforme de la politique de la ville, dont les bases ont été posées par la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, est la concentration des moyens sur les territoires prioritaires, il nous revient également de veiller avec beaucoup de soin à ce que la sortie de la géographie prioritaire ne soit pas le signe d’un abandon des quartiers concernés par les pouvoirs publics et ne vienne pas remettre en cause les dynamiques locales positives qui ont été engagées. Il ne faudrait évidemment pas que nous soyons amenés à devoir réintégrer ces quartiers dans la géographie prioritaire de la politique de la ville d’ici cinq à dix ans, parce qu’ils auraient été ainsi « abandonnés »…
Dans ces territoires, ainsi que dans les 300 communes appelées, à l’échelon national, à sortir de la géographie prioritaire, il nous appartient de mettre en place les conditions de la pérennisation des investissements et des efforts consentis par l’État et les collectivités territoriales. Nous devons collectivement considérer les efforts engagés dans les territoires sortants, notamment les opérations de renouvellement urbain, non pas comme des dépenses qui auraient été inutiles, mais comme des investissements que nous devrons demain faire fructifier et pérenniser.
C’est pourquoi je suis très attaché à la mise en œuvre des dispositions de la loi qui permettront d’intégrer, à la demande des élus concernés, les territoires de « veille active » au sein des contrats de ville, dans le cadre d’une discussion qui s’est engagée localement dès la rentrée entre les maires, les présidents d’établissement public de coopération intercommunale et les préfets.
Loin d’être abandonnés par les pouvoirs publics, les territoires concernés feront au contraire l’objet d’un accompagnement spécifique, articulé selon deux priorités.
La première priorité, c’est la mise en place d’un cadre d’action pour la mobilisation des pouvoirs publics. Les territoires sortants ne disparaîtront pas du champ du « radar » de la politique de la ville. Les acteurs locaux se retrouveront autour de la même table, et le ministre compétent mobilisera l’ensemble des services de l’État, notamment les préfets, les recteurs et les procureurs, en ce sens.
La seconde priorité, c’est la mobilisation, selon des modalités financières à discuter localement, des moyens spécifiques de la politique de la ville. S’il faudra revoir le financement des programmes de réussite éducative, cette « invention » de la politique de la ville, qui est plébiscitée à la fois par les élus, les parents d’élèves et l’éducation nationale, devra être préservée, au service de la réussite de tous les élèves. Je m’engage également sur le maintien jusqu’à leur terme des conventions d’adultes-relais en cours aujourd’hui, afin de maintenir une attention particulière pour le tissu associatif de proximité.
Vous le voyez, plutôt qu’un cadre unique défini depuis Paris, nous proposons à ces territoires des réponses qui seront définies localement par le dialogue entre les acteurs locaux et les préfets, afin de pérenniser et de consolider les dynamiques en place, tout en assumant résolument la nécessité de concentrer les crédits sur les territoires et les populations de notre pays les plus en difficulté. L’ensemble de ces engagements, à l’instar de ceux qui ont été pris en direction des quartiers prioritaires, ont vocation à figurer au sein des futurs contrats de ville, qui seront conclus d’ici au mois de juin 2015.
M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.
M. Dominique Bailly. Monsieur le ministre, je me félicite de la volonté politique affichée par le Gouvernement : l’essentiel est de pérenniser l’engagement public et local, même si le dispositif évolue.
Au-delà de l’accompagnement transitoire auquel je faisais référence, il faudra veiller à préserver la proximité, le lien social fondamental qui est l’un des éléments du socle républicain. Le principe d’un remodelage de la géographie des zones prioritaires ne me choque pas, mais il faut garder la volonté politique de répondre au plus près du terrain, avec les acteurs locaux, aux difficultés, notamment financières, que certaines communes risquent de connaître au cours de la période transitoire.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
11
Désignation des conseillers prud'hommes
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes (projet n° 423 rectifié [2013-2014], texte de la commission n° 770 [2013-2014], rapport n° 769 [2013-2014]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous soyez nouvellement ou anciennement élus, je vous salue chaleureusement.
« Affaiblir les prud’hommes, c’est affaiblir les plus faibles », écrivait Pierre Joxe. Je suis convaincu de la justesse de cette maxime.
Affaiblir les prud’hommes, ce serait aussi aller contre notre modèle social, qui permet un règlement des litiges par les pairs – salariés et employeurs – s’inscrivant dans le droit fil de la confiance que nous faisons aux partenaires sociaux.
Vous le savez, les prud’hommes sont une institution singulière, reflétant la spécificité du monde du travail. Ils sont frappés du sceau du paritarisme, mais aussi d’une forme de reconnaissance de l’égalité dans l’effort puisque, je tiens à le rappeler ici, les femmes sont devenues électrices aux élections prud’homales en 1907 et éligibles en 1908, soit presque quarante ans avant que ces droits ne leur soient reconnus au niveau politique.
Mais une institution doit rester vivante, et il importe que la juridiction prud’homale évolue avec son temps. L’ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, M. Lacabarats, a rendu cet été à la garde des sceaux un rapport proposant des réformes pour remédier à certains dysfonctionnements qui ont été observés au sein de cette juridiction si particulière.
Une réforme d’ampleur est possible pour améliorer la procédure devant les conseils de prud’hommes, qui doivent gagner en efficacité, dans le respect de leur spécificité. Il faudra y travailler, et je le ferai, en concertation, bien sûr, avec les partenaires sociaux.
Cela étant, ce sujet n’est pas celui qui nous occupe aujourd’hui. Avec ce projet de loi, nous nous intéressons à quelque chose de plus limité, mais de fondamental, à savoir le changement du mode de désignation des conseillers prud’homaux.
Deux raisons justifient le changement proposé par le Gouvernement, changement qui vise à passer d’une élection directe à une désignation inscrite dans la mesure de l’audience.
La première raison tient au constat suivant : 75 % des inscrits n’ont pas participé à l’élection des conseils de prud’hommes en 2008. Si une telle situation n’est pas propre aux élections prud’homales, force est de noter qu’elle se dégrade d’élection en élection. Ainsi, alors que la participation atteignait 63 % en 1979, elle n’était plus que de 25 % en 2008. Le taux d’abstention ne cessant d’augmenter,…
M. Jean Desessard. Comme pour les autres élections !
M. François Rebsamen, ministre. … c’est la légitimité même des juges et de l’institution qui est rongée.
Un tel raisonnement ne peut valoir uniquement pour un seul type d’élections : il vaut pour toutes les élections !
La deuxième raison réside dans l’évolution qui s’est produite au cours des années passées. Une réforme fondamentale de la démocratie sociale a en effet été menée en deux temps, d’abord par la droite, ensuite par la gauche, de manière à mesurer finement, en 2008, la représentativité syndicale, puis, en 2014, la représentativité patronale. Nous pouvons en être fiers.
Aujourd’hui, il faut inscrire les élections prud’homales dans ce cadre nouveau et prometteur. Le changement de mode de désignation des conseillers est la suite logique, la conséquence cohérente et légitime des réformes de la représentativité.
Ni le caractère paritaire de la juridiction prud’homale, ni le nombre de conseils et de conseillers, ni la carte des conseils de prud’hommes ne sont concernés ou affectés. Ce projet de loi vise avant tout à renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes, aujourd'hui légèrement pâlissante.
C’est pourquoi une réponse très forte est apportée par ce projet de loi : il s’agit d’adosser cette légitimité aux 5,4 millions de votants dans le cadre de la mesure de l’audience, soit un nombre supérieur à celui des participants à la dernière élection prud'homale de 2008, qui n’a mobilisé que 4,9 millions d’électeurs.
Quoi de mieux, de plus fort, solide, représentatif, incontestable et démocratique ?
Car, je tiens à le souligner, il y a bel et bien élection à un moment donné du processus.
En tant qu’ancien sénateur, je me sens autorisé à rappeler que la Haute Assemblée est bien placée pour savoir que le suffrage universel direct n’est pas le seul gage de la légitimité démocratique.
Qu’est-ce que la mesure de l’audience ? C’est l’expression consolidée du suffrage, puisqu’elle prend en compte les suffrages exprimés aux élections professionnelles, ceux recueillis lors des élections professionnelles des salariés des TPE et des élections aux chambres d’agriculture. Le suffrage est partout !
La justice prud’homale, pour être l’émanation du monde du travail, se doit d’être le reflet de cette mesure de l’audience. Tel est le sens de la réforme.
Toutefois, si nous connaissons déjà la représentativité des syndicats de salariés, celle des organisations patronales ne sera connue qu’en 2017, le processus ayant débuté avec la loi du 5 mars 2014.
Procéder à l’élection aujourd’hui, ce serait élire pour deux ans les deux collèges selon des mécanismes différents : cela n’aurait guère beaucoup de pertinence.
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de proposer une dernière prorogation de deux ans des mandats des conseillers actuels. Ainsi, l’ordonnance pourra fixer le régime définitif des nouvelles modalités de désignation des conseillers, qui s’appliquera en 2017. Ce régime sera fondé sur la représentativité des organisations syndicales et patronales, les deux étant connues en 2017.
Ce dispositif, je le souligne, a franchi l’épreuve de la constitutionnalité : le Conseil d’État a été consulté, ainsi que le Conseil constitutionnel. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité au sujet d’une autre juridiction dont les membres étaient naguère élus, mais ne le sont plus aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a estimé que la conformité à la Constitution était respectée. À mon sens, il n’y a donc pas de doute sur ce point.
Je voudrais à présent évoquer rapidement le recours aux ordonnances.
Je sais que le Parlement ne les aime guère, et il a raison. Toutefois, en l’occurrence, ce recours se justifie pleinement, et d’abord au regard de la grande complexité technique du sujet : nous n’allions pas, ici, déterminer précisément le nombre de sièges non seulement par conseil prud’homal, mais aussi par collège et par section. La loi instaurera le principe et le cadre, c’est-à-dire ce qui est primordial.
Surtout, il est essentiel de pouvoir construire la réforme en lien direct avec les partenaires sociaux, puisque c’est avec eux qu’ont été adoptées les précédentes évolutions. L’ordonnance est donc le véhicule le mieux adapté.
Si le texte qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, est adopté, nous mènerons, dès publication de la loi, une large consultation associant toutes les parties prenantes, afin d’établir le régime définitif fondé sur l’audience des organisations des salariés comme des employeurs et qui sera mis en œuvre lors du renouvellement de 2017.
Cette réforme contribuera au renforcement des moyens de la démocratie sociale. Les élections prud’homales, il n’est pas déplacé de le rappeler, ce sont 100 millions d’euros, sans compter les coûts supportés par chaque organisation syndicale.
Il ne s’agit pas ici de réformer la justice prud’homale pour faire des économies.
M. Jean Desessard. Ah bon ?
M. François Rebsamen, ministre. On ne supprime pas une élection parce qu’elle coûte. La démocratie n’a pas de prix, nous en sommes tous ici convaincus. (M. Jean Desessard fait mine de s’étonner.)
Il s’agit d’utiliser efficacement cet argent. Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées à financer, notamment, la démocratie sociale ou la formation des conseillers prud’hommes, dans la mesure où nous disposerons désormais d’une vraie mesure de la représentativité de chacun ?
Les nouvelles modalités de financement des organisations patronales et syndicales ont d’ailleurs été récemment définies et le fonds paritaire chargé de financer les organisations, prévu par la loi du 5 mars 2014, sera très prochainement mis en place.
Quand la mesure de l’audience n’existait pas et que les élections étaient éparpillées, l’élection prud’homale jouait, par substitution, un rôle de mesure. Ce temps est désormais révolu et l’élection prud’homale n’a plus à remplir cette fonction.
Je crois aussi qu’une telle évolution des conseils de prud’hommes dit quelque chose de notre démocratie sociale : comme si un cap avait été franchi, celui de la maturité. Car une mesure pertinente de la représentativité est un gage de la maturité de notre démocratie sociale, de la même manière qu’un financement rationalisé et transparent, ou la capacité de se donner le temps de la concertation pour une réforme d’ampleur des prud’hommes.
Des évolutions ultérieures sont sans doute souhaitables. Si la loi ne va pas au-delà du mode de désignation des juges, c’est que d’autres difficultés existent, personne ne l’ignore. Sur ce point, je vous renvoie à la lecture du livre de Pierre Joxe Soif de justice.
On ne peut se satisfaire de ce que la durée moyenne de traitement des affaires au fond et en référé soit de douze mois, ni que les condamnations de l’État pour lenteur de la justice soient de plus en plus nombreuses. Avec 71 condamnations en 2012 relatives aux délais des conseils de prud’hommes, nous manquons à notre « devoir de protection juridique de l’individu et notamment du justiciable en droit de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable », selon les termes d’une décision du juge se référant à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Je prends l’engagement devant vous, comme devant les partenaires sociaux, que ce débat vivra.
Il faut avoir à l’esprit que 99 % des demandes introduites devant les prud’hommes sont le fait de salariés – licenciement contesté, relations de travail dégradées, CDD à répétition, etc. Nous ne sommes pas là pour les affaiblir. Or le temps est l’argument des forts et, pour reprendre la formule de Pierre Joxe que j’ai citée au début de mon propos, il affaiblit les faibles.
Les salariés comme les employeurs ont besoin de prud’hommes qui fonctionnent mieux.
Cependant, vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, tel n’est pas du tout l’objet de la réforme que je vous soumets aujourd’hui. Tout processus d’ampleur se construit pierre après pierre. Et, à la base de tout, il y a les conditions de la démocratie. Là est l’objet du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en procédure accélérée vise à moderniser le mode de désignation des conseillers prud’homaux à travers une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.
Son objet est parfaitement circonscrit, car il s’agit non pas de réformer les règles de fonctionnement des conseils prud’homaux, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, mais seulement de remplacer l’élection actuelle par une désignation fondée sur l’audience des partenaires sociaux, qui est désormais mesurée selon des règles rénovées.
Je rappelle, notamment pour nos nouveaux collègues sénatrices et sénateurs, que la commission des affaires sociales a, le 23 juillet dernier, adopté sans modification ce texte, alors rapporté par notre ancien collègue Jacky Le Menn, auquel je souhaite rendre hommage pour la qualité de son travail.
Je ne reviendrai pas sur les enjeux et la généalogie de ce texte, dont les principes sont connus du Sénat depuis pratiquement un an et qui ont été exposés en détail dans le rapport de notre commission rendu public à la fin de juillet et auquel je vous invite à vous reporter si besoin.
Je voudrais en revanche rappeler très brièvement les raisons qui, à l’issue d’une réflexion entamée il y a plus de quatre ans, ont conduit le Gouvernement à proposer ce texte, avant de vous en présenter le contenu.
Vous le savez, cette élection souffre de trois faiblesses récurrentes, comme l’ont très bien montré M. Jacky Richard, conseiller d’État, et M. Alexandre Pascal, inspecteur général des affaires sociales, dans un rapport réalisé à la demande du gouvernement de François Fillon et publié en 2010.
L’élection prud’homale pâtit tout d’abord d’un fort taux d’abstention, qui s’est élevé en 2008 à 74,3 %, contre 67,6 % en 2002 et 37,4 % en 1979. Seulement 4,7 millions de salariés ont voté en 2008, ce qui affaiblit la légitimité même de l’institution prud’homale, à laquelle nous sommes tous attachés.
Deuxième faiblesse : cette élection est complexe à organiser. Je rappelle, mes chers collègues, que ce sont les communes qui sont chargées de l’organisation du scrutin prud’homal. En 2008, 9 439 d’entre elles ont été concernées. Elles sont notamment chargées d’établir et de vérifier les listes électorales, en collaboration avec les services déconcentrés du ministère du travail.
Compte tenu de la lourdeur de cette mission, l’Association des maires de France a régulièrement saisi les ministres concernés successifs pour proposer notamment que les communes soient déchargées de l’organisation de cette élection, considérant qu’elle ne leur incombe pas.
D’autres acteurs sont également mobilisés, comme les partenaires sociaux, les entreprises et divers prestataires privés.
Enfin, le coût de cette élection n’est pas négligeable. Si la démocratie « n’a pas de prix », elle a en revanche un coût que l’on peut analyser en toute objectivité. À titre d’exemple, l’enveloppe dégagée pour les élections prud’homales en 2008 s’élevait à 91,6 millions d’euros, soit un peu moins de la moitié du coût de l’élection présidentielle de 2007, mais trois fois le coût du référendum organisé en 2000 sur le quinquennat présidentiel.
Je voudrais couper court à toute polémique inutile. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait été très clair sur ce point devant notre assemblée : le coût de l’élection prud’homale ne justifie pas à lui seul la réforme proposée par le Gouvernement. Vous l’avez rappelé dans votre intervention.
En vérité, ce coût serait acceptable si aucune élection concurrente n’existait pour désigner les conseillers prud’homaux. Or tel n’est pas le cas compte tenu des dispositifs de mesure de la représentativité des partenaires sociaux que différentes lois ont progressivement mis en place depuis 2008.
Du côté des syndicats, les résultats de l’audience des organisations syndicales auprès des salariés ont été présentés pour la première fois en mars dernier au niveau national et interprofessionnel. Au total, 5,4 millions de salariés se sont exprimés en faveur des organisations syndicales de leur choix, soit 700 000 salariés de plus qu’aux élections professionnelles.
Du côté patronal, la loi du 5 mars dernier a fixé les critères de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs, dont les résultats sont attendus en 2017.
C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de remplacer l’élection des conseillers prud’homaux par une désignation fondée sur l’audience des partenaires sociaux, qu’ils représentent les salariés ou les employeurs. Celle-ci sera effective dès 2017.
Ce faisant, le Gouvernement entend éviter la coexistence de deux tests de légitimité éventuellement discordants et gagner en simplicité.
D’autres scénarios étaient possibles en théorie, comme l’aménagement du système actuel d’élection au suffrage universel direct ou la création d’un système d’élection ad hoc au suffrage universel indirect fondé sur une recomposition substantielle du corps électoral. Mais le Gouvernement a estimé que ces pistes de réflexion comportaient au final plus d’inconvénients que d’avantages.
Venons-en plus précisément au contenu du projet de loi tel que modifié par la lettre rectificative du 16 juillet dernier.
L’article 1er habilite le Gouvernement à prendre une ordonnance dans les dix-huit mois qui suivent la promulgation de la loi pour remplacer l’élection des conseillers prud’homaux par un dispositif de désignation fondé sur l’audience des organisations syndicales et patronales.
Des protections sont prévues : l’ordonnance devra respecter l’indépendance, l’impartialité et le caractère paritaire de la juridiction prud’homale.
En outre, son périmètre est défini avec précision, à travers neuf items, dont les modalités de répartition des sièges par organisation dans les sections, collèges et conseils, les conditions des candidatures et leurs modalités de recueil et de contrôle, ou encore la procédure de nomination des conseillers prud’hommes.
Le projet de loi de ratification de cette ordonnance devra être déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant sa publication.
La lettre rectificative au projet de loi du 16 juillet dernier a notamment supprimé le dixième item de l’ordonnance, relatif au dispositif transitoire pour la période allant de 2015 à 2017. Celui-ci aurait consisté, d’une part, en une désignation des conseillers du collège salariés en fonction des résultats des élections professionnelles de 2008 à 2012, d’autre part, en une désignation des conseillers du collège employeurs selon des règles transitoires ad hoc, puisque la représentativité de ce collège ne pourra être établie qu’en 2017.
Après concertation avec les partenaires sociaux et par souci de simplicité, le Gouvernement a finalement proposé de proroger une nouvelle fois le mandat actuel des conseillers prud’hommes de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2017 au plus tard. Le nouveau système de désignation des conseillers prud’hommes sera alors entièrement fondé sur la représentativité des organisations, y compris du côté patronal.
C’est pourquoi la lettre rectificative a introduit dans le projet de loi un deuxième article tendant à proroger les mandats actuels des conseillers prud’homaux, à fixer le plafond d’autorisations d’absence pour permettre aux conseillers représentant les salariés de suivre des formations liées à leur mandat et à aménager les règles en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d’une section d’un conseil de prud’hommes.
En définitive, ce texte pragmatique prévoit simplement que la désignation des conseillers prud’homaux se fondera sur le mécanisme de mesure de l’audience des partenaires sociaux que le législateur a mis en place, étape par étape, depuis 2008 et qui fonde la légitimité même du dialogue social dans notre pays.
À l’instar de notre ancien collègue Jacky Le Menn, je pense que la réforme proposée par le Gouvernement présente de solides garanties de constitutionnalité. L’assemblée générale du Conseil d’État, lors de l’examen de la lettre rectificative, a en effet estimé que, compte tenu de la nouvelle circonstance de droit que constitue le volet relatif à la représentativité patronale apparue dans la loi du 5 mars dernier, cette deuxième et ultime prolongation du mandat des conseillers prud’homaux était justifiée.
En outre, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2010-76 QPC du 3 décembre 2010 « M Roger L. », a déclaré constitutionnel un dispositif de désignation des assesseurs des tribunaux des affaires de sécurité sociale très proche de celui que propose le Gouvernement dans le présent projet de loi.
Cependant, certaines difficultés techniques restent à résoudre. Je pense notamment à la nécessité de prendre en compte les rapports de forces spécifiques dans certains ressorts de conseils des prud’hommes, ou encore à l’audience des employeurs du secteur dit « hors champ ». Mais je fais confiance à vos services, monsieur le ministre, pour dégager des solutions dans les mois qui viennent, en concertation avec les partenaires sociaux, ainsi que vous vous y êtes engagé devant la commission.
Il faudra également sensibiliser rapidement les salariés pour qu’ils participent massivement, à l’avenir, dans leurs entreprises, aux élections professionnelles, qui fondent non seulement la légitimité des syndicats dans le dialogue social, mais qui permettront également, grâce à ce projet de loi, de désigner les conseillers représentants les salariés dans les conseils des prud’hommes.
Enfin, je voudrais vous faire part, monsieur le ministre, d’un souhait qui va au-delà du présent projet de loi : il est indispensable à mes yeux que le Gouvernement réserve une suite au rapport remis le 16 juillet par Alain Lacabarats, président de la chambre sociale à la Cour de cassation, à Mme le garde des sceaux sur l’avenir de la juridiction du travail. Dans la mesure où vous-même y avez fait allusion, j’en conclus que vous vous attacherez à ce qu’il en soit ainsi.
En effet, parent pauvre du système juridictionnel français, les conseils des prud’hommes souffrent de nombreux dysfonctionnements qui nécessitent des mesures budgétaires, réglementaires et législatives afin de répondre aux attentes de nos concitoyens, notamment les plus fragiles.
En conclusion, mes chers collègues, dans la continuité de la position adoptée par la commission des affaires sociales le 23 juillet dernier, je vous invite à voter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, monsieur le ministre – avec qui j’ai la Bourgogne en commun –, madame la rapporteur, mes chers collègues, le premier texte que nous examinons est donc un texte qui a trait à la question sociale. On peut le voir de façon positive comme une priorité de l’agenda législatif, mais on peut également le voir comme la volonté de faire passer en catimini un texte important au regard de l’histoire des conseils de prud’hommes dans notre pays.
Effectivement, nous ne devrions légiférer que la main tremblante sur ce sujet si l’on se réfère à son histoire. Cette institution a été créée en tant que telle par Napoléon en 1806 pour l’industrieuse ville de Lyon. À l’époque, les métiers demandaient le rétablissement d’institutions de même nature, telle la Grande Fabrique, dont la Révolution française avait fait table rase un peu vite.
Monsieur le ministre, vous nous proposez donc rien de moins que la suppression d’une élection très ancienne et qui, vous l’avez rappelé, avait de surcroît donné le droit de vote aux femmes dès 1907.
Ce dispositif avait été perfectionné par des législations ultérieures, en 1848, autre date symbolique, puis en 1907, au cœur de cette IIIe République où la question sociale était au cœur des débats et réunissait à la fois le radical Léon Bourgeois, penseur du solidarisme, et les chrétiens-sociaux comme Albert de Mun.
Toutefois, vous l’avez rappelé, nous devons aussi tenir compte de la législation plus récente de 2008 et de 2010 relative à la représentativité des organisations syndicales et patronales.
Pour éviter la concurrence des mesures d’audience, puisque les élections prud’homales faisaient figure de test à cet égard depuis la loi Boulin de 1979, le mode de désignation des conseillers prud'hommaux devait évoluer. Ce chantier avait été ouvert dès 2010 avec le dépôt du rapport de Jacky Richard.
La suppression d’élections fait débat, mais je vous concède, monsieur le ministre, que la représentativité qui fondera le nouveau système est bel et bien également le fruit d’élections. Si le groupe UMP partage le constat de la nécessité d’agir, il ne peut que relever quelques errements dans la méthode.
Dans un premier temps, les mesures prévues avaient été disjointes de l’avant-projet de loi sur la formation professionnelle. Le compte rendu de la séance du 16 janvier dernier – à l’époque, je ne siégeais pas dans cet hémicycle et c’est donc à ce document que je me réfère – témoigne d’ailleurs de la réticence d’un certain nombre de groupes face à cette méthode, manifestée à l’occasion d’une question crible posée par un membre du groupe CRC.
Un projet de loi a ensuite été déposé le 22 janvier sur le bureau de l’Assemblée nationale, puis il a été retiré et enregistré sur le bureau du Sénat en mars, avant de faire l’objet d’une demande de procédure accélérée, suivie le 16 juillet d’une lettre rectificative. Le Sénat, dans sa précédente composition, a procédé à des auditions, et c’est maintenant le nouveau Sénat qui débat en séance publique. C’est à se demander s’il n’y avait pas, au ministère des relations avec le Parlement, un stagiaire un peu facétieux et désireux d’explorer tous les méandres de la Constitution et du règlement des assemblées ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) Si tel est le cas, c’est réussi, car nombre de dispositions existantes ont été utilisées.
À cela s’ajoute le recours aux ordonnances et à la procédure accélérée. Personnellement, je ne fais pas partie de ceux que le recours aux ordonnances effraie systématiquement. Il est possible, probable même, qu’en cas d’alternance, en 2017, nous ayons nous-mêmes recours à ce procédé qui permet d’agir vite et fort.
Mme Annie David. Futur ministre des relations avec le Parlement !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Cela étant, il faut ménager des garanties pour le Parlement et pour les parlementaires.
Si l’on veut aller vite, c’est que l’on sait où l’on veut aller. De la même façon que le Gouvernement fournit pour chaque projet de loi une étude d’impact, il ne serait pas absurde qu’il puisse fournir, dans le cas d’un projet de loi d’habilitation, les grandes lignes de son ordonnance, voire certains éléments plus détaillés. En effet, j’imagine que les choses sont d’ores et déjà assez claires dans votre esprit, monsieur le ministre, même si le débat va encore avoir lieu avec les organisations syndicales, comme vous l’avez signalé.
J’en viens au fond du texte.
J’ai pris soin de consulter ce week-end un certain nombre d’organisations au niveau national comme de praticiens sur le terrain – dans l’Yonne, mon département –, des conseillers prud’homaux, élus par les salariés comme élus par les employeurs, tant il est vrai que le terrain, le réel, doit inspirer nos travaux. Je peux dire qu’ils sont nombreux à partager la conviction selon laquelle il faut protéger la légitimité des conseillers prud’hommes en adaptant leur mode de désignation. Pour certains, nous en sommes presque à un système de cooptation. Nous constatons donc une évolution en la matière.
Les limites du système existant ont été rappelées.
C’est d’abord un taux d’abstention croissant, qui a atteint 75 % en 2008. Mais ce n’est pas une nouveauté : dès après le vote de la loi de 1806, le taux de participation s’élevait à 22 %. Ce fut donc une grande déception de constater une participation aussi faible. Il semble que l’histoire bégaie ou se répète !
Autre limite du système : la complexité de l’organisation du scrutin: Ce sont 9 500 mairies qui ont été réquisitionnées en 2008, et l’Association des maires de France a d’ailleurs souhaité que les mairies soient déchargées de cette tâche.
Le coût financier a été évoqué, et même si là n’est pas le véritable sujet, il faut savoir que ce coût est identique à celui des élections municipales de 2008. Cela mérite donc qu’on se penche aussi sur cet aspect.
D’autres points ont été soulevés, comme la lenteur de certaines décisions et un taux de conciliation trop faible. On m’a rapporté une récente évolution vers des prises de position qui s’apparentent plutôt à des postures, ce que regrettent certains conseillers prud’homaux, qu’ils soient élus par les salariés ou par les employeurs, car ils ont en tête l’enjeu important que représente, pour la crédibilité et le maintien de cette institution, un travail apaisé, mené dans un cadre serein.
Les différentes versions du texte n’ont d’ailleurs pas aidé à la pédagogie, car nombre de conseillers prud’homaux m’ont confié ce week-end être dans le flou, ne sachant pas vraiment de quoi l’avenir allait être fait, et craignant même l’arrivée de juges de carrière et d’un système totalement nouveau. Ce n’est pas l’objet du texte, mais je vous fais part de ce que j’entends et de la crainte qui est exprimée.
D’autres dispositifs auraient été possibles. Madame le rapporteur, vous avez évoqué les différentes pistes. Le suffrage indirect qui était envisagé aurait pu convenir ; ce n’est pas nous qui dirons l’inverse, car nous sommes bien placés, ici, pour constater que ce mode de scrutin peut faire émerger des élus engagés et compétents.
Les partenaires sociaux ont globalement approuvé le dispositif présenté. Encore faudrait-il examiner certains détails, car le diable se situe souvent dans les détails...
Sur la représentativité, l’encadrement s’interroge, craignant peut-être une répétition de ce qui s’était produit pour les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.
La période transitoire soulève aussi un certain nombre de questions, puisque le mandat se trouve quasiment doublé : des personnes qui ont été élues en 2008 pour cinq ans vont être amenées à siéger pendant neuf ans ! Or elles peuvent avoir pris des engagements, publics ou privés, dont le respect peut s’avérer difficilement compatible avec un tel délai.
Certains suggèrent de compléter éventuellement certaines sections compte tenu des départs et des changements de vie des uns ou des autres.
En tout cas, il y a là un grand sujet de préoccupation sur le terrain.
Par ailleurs, il faut naturellement prendre en compte les spécificités locales. En effet, l’audience prise en considération sera-t-elle mesurée au niveau national ou au plus près de chaque circonscription prud’homale ? Même si cette option est techniquement plus compliquée à réaliser, elle me semble préférable.
Vous aviez évoqué lors de votre audition, monsieur le ministre, une concertation à venir. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Sur l’aspect territorial, je veux aussi évoquer la crainte, parfois émise, du regroupement de sections ayant moins d’affaires – je pense notamment à celles de l’agriculture. Si tel devait être le cas, cela pourrait conduire à éloigner les salariés ou les employeurs de la juridiction.
Quelles sont les perspectives d’avenir ?
D’importantes économies vont être trouvées avec le nouveau mode de désignation. Bien sûr, il faudra en recycler une partie en économies nettes, mais il conviendrait également d’en consacrer une partie pour améliorer la visibilité de la démocratie sociale et la vivifier.
Au-delà de ces mesures, on doit s’interroger sur les mesures à prendre pour réduire les délais de traitement des recours et, à partir du bilan de la prud’homie qui avait été promis – peut-être nous direz-vous où l’on en est à cet égard, monsieur le ministre –, repenser le système pour le rendre encore plus efficient.
Le Gouvernement ne s’attaque pas à l’ensemble des problèmes que je viens d’évoquer. C’est, outre notre protestation contre la méthode un peu à la hussarde qui a été employée, ce qui conduira le groupe UMP à s’abstenir lors du vote de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes a pour objet d’autoriser le Gouvernement à supprimer par ordonnance – j’insiste bien sur ce point – les élections prud’homales. Celles-ci seront remplacées par une désignation des conseillers sur la base de la représentativité syndicale et patronale telle qu’elle ressortira des élections professionnelles.
Les arguments invoqués en faveur de cette suppression sont les suivants : ces élections coûtent cher, le taux d’abstention est élevé et le scrutin est complexe à organiser.
Concernant l’aspect financier, le coût est important pour la collectivité. Les dernières élections prud’homales de 2008 ont ainsi coûté 91,6 millions d’euros.
À titre de comparaison, les élections européennes de 2009 ont coûté 120 millions d’euros, les élections régionales de 2010, 136 millions d’euros et l’élection présidentielle de 2007, 207 millions d’euros, si l’on ne prend en compte que l’argent qui a été déclaré. (Sourires.)
Nous en convenons, 91,6 millions d’euros, c’est une somme importante. Toutefois, lorsqu’il y a une dépense, la question est de savoir à quoi elle est destinée : ce n’est pas un grand trou où l’argent tombe ! Derrière une dépense comme celle-ci, monsieur le ministre, combien y a-t-il de personnes embauchées pour l’occasion ? Quelle est l’amélioration du pouvoir d’achat des employés municipaux ? Tout cela doit quand même compter !
Concernant l’abstention, chacun le reconnaît, celle-ci est réelle et importante – 74,37 % en 2008 –, mais elle ne justifie en rien la suppression de ces élections ! À ce compte, pourquoi ne pas supprimer les élections européennes, qui ne mobilisent pas les foules non plus puisqu’on a enregistré 56,5 % d’abstention aux élections de 2014 ? Pourquoi ne pas désigner nos représentants européens en fonction du score des partis à l’élection présidentielle ? Je vais reprendre vos termes, monsieur le ministre, qui sont plus élégants, plus technocrates, dirai-je même, que les miens : pourquoi ne pas adosser la représentativité des élections européennes aux scores obtenus à l’élection présidentielle ? (M. Claude Dilain s’exclame.)
Il serait plus judicieux de s’interroger aujourd’hui sur les causes de cette abstention : l’éloignement des bureaux de vote, les pressions subies par certains employés pour rester à leur poste au moment du vote ou encore la crise du syndicalisme français. (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC.)
Il convient de trouver de nouvelles voies pour susciter l’intérêt des électeurs au lieu d’opter simplement pour la suppression du scrutin.
Enfin, la complexité de l’organisation du scrutin constitue un réel problème, mais il aurait mérité un débat au sein de nos assemblées au lieu du dépôt d’un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnance. Ce sont aujourd’hui les communes qui sont chargées d’organiser le scrutin, d’établir et valider les listes électorales. Plus de 9 400 d’entre elles ont été concernées en 2008. Sans doute la lourdeur de ces procédures ne devrait-elle plus leur incomber. Doit-on transférer l’organisation à d’autres acteurs ? Le Sénat aurait pu en discuter.
La piste de la généralisation du vote électronique aurait pu être abordée, afin de simplifier l’organisation et de permettre à chacun de voter plus facilement, le tout sans surcharger la tâche des communes.
Telles sont les réflexions que m’inspirent les trois arguments invoqués par le Gouvernement pour justifier la suppression de cette élection. Le coût financier n’est pas une bonne raison, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre. L’argument de l’abstention ? Si on l’étend aux élections politiques, on ne va pas être déçu ! Pour ce qui est de la complexité, nous aurions pu en discuter et réformer le mode d’élection des conseillers prud’hommes.
Il est proposé que les élections professionnelles servent de base pour mesurer la représentativité des employés et des employeurs aux prud’hommes. Cette proposition pose de sérieux problèmes de légitimité et de représentativité.
S’agissant de la légitimité, le projet du Gouvernement est en rupture complète avec la tradition de la justice prud’homale qui veut que les juges soient directement élus par leurs pairs. En se fondant sur les élections professionnelles, les magistrats aux prud’hommes seront désignés indirectement, ce qui peut fragiliser la légitimité de leurs décisions.
Avec cette proposition, le Gouvernement mélange les enjeux de deux élections bien distinctes. Les élections prud’homales sont des élections nationales, bénéficiant d’une certaine couverture médiatique, dans lesquelles les candidats mènent une vraie campagne électorale sur leur circonscription, avec des thématiques communes à tous les travailleurs.
Les élections professionnelles, quant à elles, se tiennent dans chaque entreprise, à des dates différentes et mettent en jeu des thématiques principalement internes. Il n’est pas possible de se fonder sur les résultats d’une multitude d’élections très locales pour désigner des conseillers ayant vocation à assurer la représentation et la défense de tous les salariés et de tous les employeurs.
Enfin, de sérieux problèmes de représentativité se posent, aussi bien du côté des salariés, avec les chômeurs et les précaires, que du côté des employeurs, avec les structures de l’économie sociale et solidaire.
Actuellement, les chômeurs involontairement privés d’emploi – il y en a qui cherchent du travail, monsieur le ministre ! – ont la possibilité de voter aux élections prud’homales, s’ils en font la demande. En revanche, ils sont totalement exclus des élections professionnelles, qui ne concernent que les salariés ayant un emploi, et cette mise à l’écart les éloigne encore davantage du monde du travail.
La légitimité des organisations syndicales pourrait également se trouver affaiblie du fait de l’exclusion des chômeurs et des précaires.
Car le même problème se pose pour les précaires : pour voter aux élections prud’homales, il suffit de relever du droit du travail ou, si l’on est chômeur, d’en avoir relevé, tandis que pour les élections professionnelles, il faut avoir travaillé au minimum trois mois dans l’entreprise.
Quant aux employeurs de l’économie sociale et solidaire, comment mesurer efficacement leur représentativité ? Il n’est pas possible de se fonder sur les branches professionnelles, car ces structures sont disséminées dans tous les secteurs. Le présent projet de loi ne répond pas à cette interrogation. Il laisse ainsi planer une incertitude quant à la place de l’économie sociale et solidaire dans la justice professionnelle.
En conclusion, cette réforme, aussi bien par sa justification que par la solution qui est proposée, ne correspond pas à la vision de la démocratie sociale défendue par les écologistes. Nous souhaitons au contraire renforcer la participation et l’implication de tous les travailleurs dans le dialogue social. La suppression d’une élection pour des raisons financières et organisationnelles est clairement incompatible avec cette ambition.
Monsieur le ministre, nous entendons de plus en plus souvent des membres du Gouvernement affirmer qu’il n’y a plus de tabous,…
M. Alain Néri. Mais il y a des totems !
M. Jean Desessard. … principalement, d’ailleurs, en matière sociale.
On peut ne pas avoir de tabous, mais encore faut-il avoir un projet ! Où est-il ? Aujourd’hui, on ne jure que par les suppressions, les modernisations, les réformes, en vertu d’un activisme que l’on a connu en d’autres temps, mais sans la moindre amorce d’un nouveau contrat social. C’est la raison pour laquelle les écologistes ne voteront pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. Alain Néri. C’est dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué en commission des affaires sociales, à propos des conseils prud’homaux, que le présent projet de loi avait pour objectif d’« améliorer le fonctionnement de cette juridiction importante, la plus ancienne mais aussi l’une des plus modernes, protectrice des salariés et des plus faibles. »
Eh bien, les membres du groupe CRC adhèrent à cette vision et soulignent la place particulière des conseils de prud’hommes parmi les juridictions françaises. Depuis la loi révolutionnaire des 16 et 24 août 1790, les conseils de prud’hommes sont une juridiction paritaire et élective. Là est leur originalité : cette double caractéristique de parité et de démocratie pour les salariés et les employeurs assure les fondements de cette juridiction.
Faut-il rappeler que les conseils de prud’hommes tranchent plus de 200 000 affaires par an ? Ce sont là 200 000 litiges nés dans le cadre du travail et au titre desquels la juridiction prud’homale tend à établir ou à rétablir un équilibre dans les rapports entre les salariés et les employeurs.
Si le conseil de prud’hommes est l’une des plus anciennes juridictions, il est également l’une des plus modernes. En effet, les prud’hommes ont introduit la représentation de juges élus par leurs pairs, et les conseils prud’homaux ont accordé le droit de vote et d’éligibilité aux femmes dès 1907 !
Je souligne également – cela n’a pas encore été dit – que l’élection des conseillers prud’homaux est la seule élection nationale au suffrage universel direct sans distinction de nationalité.
Vous avez identifié trois principaux dysfonctionnements dans l’organisation actuelle du scrutin des conseillers prud’homaux pour ce qui concerne le collège salariés : un taux d’abstention majeur et croissant, une organisation du scrutin complexe et un coût financier non négligeable.
Concernant le coût, j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler en commission des affaires sociales et même dans cet hémicycle, à l’occasion de questions cribles organisées sur l’initiative du groupe CRC : il est de l’ordre de 1 euro par électeur potentiel et par an. Voilà la réalité des faits.
Pour résoudre ces dysfonctionnements, le Gouvernement ne propose rien de moins que de supprimer l’élection des conseillers prud’homaux.
J’en conviens, des solutions doivent être trouvées et apportées pour améliorer le fonctionnement des conseils de prud’hommes. Mais force m’est de le constater, plutôt que de rechercher des solutions, vous préférez faire fi du problème en optant pour la suppression pure et simple d’une élection démocratique !
Si toutes les élections pour lesquelles le taux d’abstention dépasse un certain seuil, et qui se révèlent complexes et coûteuses, étaient supprimées, nous devrions peut-être tout bonnement tirer un trait sur la démocratie.
M. Dominique Watrin. Si le statu quo n’est pas une solution, j’en conviens, il existe selon nous des leviers d’action à enclencher pour améliorer le taux de participation aux élections tout en réduisant la complexité d’organisation et le coût du scrutin. C’est possible ! Ce matin même, nous avons organisé une conférence de presse et nous avons entendu de nombreuses propositions émanant des organisations syndicales. Ces dernières se plaignent d’ailleurs de n’avoir jamais été auditionnées par une commission ad hoc, afin de faire valoir leurs suggestions.
Ces propositions d’amélioration, que je n’aurai pas le temps de développer à leur place, comprennent notamment l’organisation du scrutin directement sur le lieu de travail des salariés, en lien avec les élections professionnelles. Elles vont même jusqu’au décloisonnement du vote par section, qui engendre effectivement des complications. Cette mesure serait également une source d’économies.
Les membres du groupe CRC estiment que ce projet de loi est, en l’état, un recul démocratique pour les salariés et qu’il emporte, de surcroît, des conséquences injustes sans pour autant être garant d’efficacité.
Tout d’abord, il s’agit d’un recul pour la démocratie. En effet, le but de l’élection des conseillers prud’homaux n’est pas d’établir une mesure d’audience mais bien d’assurer un mode de désignation démocratique des représentants des travailleurs. C’est l’élection démocratique qui confère à ces conseillers la légitimité à agir au nom des salariés ! On ne peut réduire cette dernière à leur appartenance syndicale. Retirer ce fondement démocratique conduit donc à affaiblir la légitimité des conseillers et, au-delà, celle des conseils de prud’hommes tout entiers.
Mes chers collègues, nous sommes d’autant plus inquiets sur ce point que nous entendons bien les défenseurs du présent texte faire volontiers référence aux tribunaux de la sécurité sociale, lesquels pratiquent l’échevinage, c’est-à-dire la présidence par un juge professionnel. C’est ce que nous craignons en définitive : que le présent projet de loi ne soit qu’une étape vers un nouvel affaiblissement programmé des conseils de prud’hommes ! En la matière, je n’invente rien : je vous renvoie tout simplement au rapport Marshall.
Pour notre part, nous portons un attachement particulier à la démocratie sociale au travail. Voilà pourquoi la remise en question de l’élection au suffrage universel affaiblirait, à nos yeux, la capacité de ces conseils à faire entendre la voix des salariés.
Le fort taux d’abstention lors des élections prud’homales ne peut justifier le remplacement de ces dernières par la désignation de conseillers issus des syndicats, élus lors des élections professionnelles. En effet, loin de résoudre le problème de l’abstention en s’attaquant à ses causes, ce texte semble en prendre acte et l’accompagner. On casse en quelque sorte le thermomètre au lieu de guérir la fièvre.
De plus, le Gouvernement semble oublier que ce mode de scrutin confère aux conseillers une indépendance au sein de l’entreprise où ils travaillent. Or cette indépendance doit être préservée, a fortiori quand, on le sait, 36 % des travailleurs craignent de se syndiquer par peur de représailles de leur direction.
Il s’agit donc d’un projet de loi injuste, pour les salariés qui se trouvent privés de leur droit de participation comme pour les travailleurs précaires, les retraités et les chômeurs, qui ne participent pas aux élections professionnelles et seront donc exclus du scrutin prud’homal. Le taux de participation de ces salariés était pourtant – je songe notamment aux petites entreprises – plus élevé lors des élections prud’homales que lors des élections professionnelles.
Il s’agit d’un projet de loi inefficace pour résoudre les problèmes de fonctionnement des conseils de prud’hommes, et j’y reviendrai en explication de vote. Par exemple, les représentants syndicaux ont rappelé que la forte abstention des salariés lors des élections prud’homales est due à la « mal-connaissance » des prud’hommes. Or la substitution de l’élection par la désignation ne fera que renforcer cet éloignement.
Pour l’ensemble de ces raisons, et faute de l’adoption des amendements de fond déposés par les membres du groupe CRC tendant à assurer le maintien de l’élection, nous voterons contre ce projet de loi qui, en l’état, représente un recul considérable des droits des travailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui a pour but de faire évoluer le mode de désignation des conseillers prud’homaux. Enfin ! serais-je tenté de dire. L’examen de ce dossier, en instance depuis près d’un an, a en effet été maintes fois repoussé.
Si les salariés et les employeurs sont particulièrement attachés à cette institution chargée de faire respecter les dispositions du droit du travail, force est d’observer qu’ils sont de moins en moins nombreux à participer aux scrutins. Ce constat a été rappelé : le taux de participation a chuté de 63 % en 1979 à 23 % lors des dernières élections, en 2008.
À l’évidence, le mode actuel de renouvellement des conseillers prud’homaux connaît aujourd’hui ses limites.
Déjà en 2010, la question était posée par le rapport de Jacky Richard et Alexandre Pascal, intitulé « Le renforcement de la légitimité de l’institution prud’homale : quelle forme de désignation des conseillers prud’hommes ? » Y étaient mises en exergue les trois difficultés dont souffre cette institution, l’une des plus anciennes de notre pays.
Ce rapport dénonçait notamment la grande complexité de l’organisation de l’élection, qui implique de nombreux acteurs, notamment les communes. L’Association des maires de France, cela a été dit, avait d’ailleurs demandé en 2010 que ces élections soient faites par correspondance et que les communes soient déchargées de leur organisation.
Ce rapport pointait également – les précédents orateurs en ont beaucoup parlé – le coût élevé que représentent ces scrutins : près de 100 millions d’euros. Comme l’a rappelé Michel Sapin en janvier dernier dans cet hémicycle, si ce coût ne justifie pas à lui seul une réforme, il n’est toutefois pas anodin.
L’institution souffre surtout d’un fort taux d’abstention aux élections prud’homales. Pourtant, d’importants moyens ont été engagés en 2008 pour assurer un taux de participation plus élevé. Des campagnes publicitaires ont été organisées en vue de sensibiliser les électeurs. Les modalités de vote ont en outre été diversifiées afin de faciliter le suffrage : vote par correspondance ou par internet, bureaux de vote au sein des entreprises, etc.
En dépit des efforts déployés, le scrutin de 2008 a confirmé la baisse constante du taux de participation, l’abstention ayant alors atteint un niveau inédit.
Plusieurs raisons ont été identifiées par la mission dirigée par Jacky Richard et Alexandre Pascal.
Tout d’abord, les électeurs, qui connaissent rarement les candidats, se sentent assez peu concernés par ces élections. Pour beaucoup d’entre eux, toutes les candidatures se valent.
M. Gilbert Barbier. Par ailleurs, certains salariés craignent encore de s’absenter pour aller voter.
Enfin, l’élection prud’homale ne semble pas faire exception parmi les scrutins organisés en France qui, M. Desessard l’a souligné, sont pour la plupart marqués par une abstention croissante. Aussi une réforme du mode de désignation s’imposait-elle naturellement.
J’entends bien les inquiétudes de certains de nos collègues, qui craignent un affaiblissement de l’institution et un recul de la démocratie sociale. Pour ma part, je crois bien au contraire que l’abstention croissante à ces élections peut, à terme, menacer l’institution des conseils de prud’hommes. Le recours à la désignation fondée sur la mesure de l’audience des organisations syndicales des salariés et des organisations professionnelles d’employeurs devrait permettre, en revanche, de renforcer la légitimité de l’institution.
Au reste, monsieur le ministre, vous l’avez rappelé en avril dernier devant la commission des affaires sociales : « Le principe électif demeure car le système sera fondé sur l’audience des organisations syndicales appréciée par le suffrage de 5,4 millions de salariés, soit davantage de votants que lors de la dernière élection prud’homale ».
Vous l’aurez compris, je souscris au but visé. Je note toutefois que ce projet de loi suscite quelques réserves.
Par souci de simplicité, vous avez souhaité proroger une nouvelle fois le mandat des conseillers actuels.
Les mandats de neuf ans ont certes été en vigueur dans d’autres institutions… (Sourires et exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Claude Dilain. Ah ça !
M. Jean Desessard. Dans une assemblée parlementaire tout entière ! (Nouveaux sourires.)
M. Gilbert Barbier. Mais cette durée me semble bien trop longue, et son application risque d’engendrer nombre de démissions, ce qui serait préjudiciable au bon fonctionnement de la justice prud’homale.
Par ailleurs, compte tenu de la prorogation du mandat des conseillers actuels, est-il vraiment nécessaire de leur octroyer six jours de formation en plus pour chacune de leurs quatre années supplémentaires de mandat ? S’agissant, par définition, d’anciens conseillers, on peut considérer qu’ils sont à peu près formés au moment de la prolongation de leur mandat. Ces six jours me paraissent donc un peu superflus…
Sur la forme, le RDSE est toujours réticent à ce qu’un projet de loi habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance, dépossédant ainsi le Parlement de son rôle de législateur. En outre, était-il réellement nécessaire d’engager la procédure accélérée sur un texte dont l’échéance est repoussée à 2017 ?
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je soutiendrai personnellement votre texte, mais une grande majorité des membres du RDSE aura une approche… diversifiée. (Rires. – Mme Françoise Laborde applaudit.)
Mme Annie David. Comme cela est joliment dit !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je n’ai entendu personne ici remettre en cause le conseil des prud’hommes, et ce n’est certainement pas au sein de notre groupe qu’une telle idée pourrait être exprimée.
Mme Annie David. Vous souhaitez seulement la suppression des élections ! C’est incroyable !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ce point étant rappelé, que nous propose-t-on ici ? D’autoriser le Gouvernement à supprimer par ordonnance l’élection prud’homale, pour la remplacer par un système de désignation.
Autant le dire tout de suite : nous ne nous opposerons pas à ce projet, qui répond à des considérations purement pragmatiques dont la pertinence nous semble devoir l’emporter sur les objections que l’on a pu entendre s’élever ici ou là.
En revanche, les trois principales raisons invoquées à l’appui de cette mesure ne nous semblent pas les plus convaincantes.
La première, que M. le ministre a lui-même évoquée, se trouve dans le taux d’abstention, qui a avoisiné 75 % aux élections de 2008. C’est considérable, et c’est préjudiciable à l’exercice de la démocratie.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais l’abstention ne peut, à elle seule, justifier la suppression d’un scrutin.
La deuxième raison avancée est que l’organisation de cette élection serait trop complexe. L’argument semble également léger : on ne supprime pas un scrutin pour cela ; le cas échéant, on le simplifie ! L’un des scénarios proposés dans le rapport de MM. Richard et Pascal, rendu en avril 2010, tendait d’ailleurs à faire de l’élection prud’homale une consultation entièrement électronique.
Troisième raison : l’élection serait coûteuse. Bien sûr, les chiffres mentionnés par notre rapporteur interpellent : le coût de cette procédure atteint presque la moitié de celui de l’élection présidentielle. Toutefois, il peut paraître choquant de mesurer la démocratie à l’aune de son coût.
Pris isolément, ces motifs n’emportent pas d’emblée la conviction. Cumulés, peut-être un peu plus.
Il nous semble cependant que la justification de la suppression de l’élection prud’homale est à chercher ailleurs : les réformes intervenues en matière de représentativité syndicale depuis 2008 pourraient tout simplement avoir rendu cette élection obsolète.
La représentativité syndicale a été en effet substantiellement démocratisée par trois lois. Pour l’audience syndicale, il s’agit des lois du 20 août 2008 et du 15 octobre 2010. Cette dernière, en particulier, a institué une mesure de l’audience syndicale dans les entreprises de moins de onze salariés, qui n’élisent donc pas de délégués du personnel. En application de ces réformes, l’audience des organisations syndicales auprès des salariés a été mesurée pour la première fois au niveau interprofessionnel en mars 2013.
Les scores des centrales syndicales aux élections professionnelles pour les entreprises de plus de onze salariés, ceux des salariés des TPE et des employés à domicile ainsi que ceux des salariés agricoles, notamment aux élections aux chambres d’agriculture, ont été agrégés. Tous les éléments sont ainsi réunis pour disposer d’une bonne mesure de la représentativité syndicale.
Concernant l’audience patronale, c’est la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale qui l’a modernisée. Ce texte a, en particulier, ouvert la voie à une meilleure représentation patronale du secteur dit « hors champ », dont font partie des organisations telles que l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, l’UNAPL, l’Union nationale des professions libérales, ou la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.
Il est donc faux de prétendre que la suppression de l’élection prud’homale porterait aujourd’hui une atteinte fatale à la démocratie sociale. Avant ces réformes, cet argument était sérieux, puisque cette consultation était alors la seule élection professionnelle véritablement universelle, c’est-à-dire ouverte à tous les actifs. Aujourd’hui, il ne vaut plus que pour les demandeurs d’emploi. Cependant, là encore, les faits parlent d’eux-mêmes : en 2008, seuls 5 % d’entre eux ont voté.
Dans ces conditions rénovées, la désignation des délégués prud’homaux par les syndicats peut apparaître comme une sorte d’élection indirecte. Cela est d’autant plus vrai que, ainsi qu’il a été précisé, et ce n’est pas anodin, les candidatures elles-mêmes seront ouvertes à tous les actifs, mêmes les non-syndiqués ; les centrales pourront présenter sur leurs listes des travailleurs qui n’en seront pas adhérents.
Si la réforme semble donc se justifier sur le plan démocratique, restait à en organiser concrètement les modalités. La première mouture du présent projet de loi prévoyait un système transitoire pour la période allant de 2015 à 2017, le temps que la réforme de l’audience patronale entre pleinement en vigueur. Nous ne pouvons que soutenir la lettre rectificative qui a supprimé ce système en proposant de proroger de deux ans le mandat des actuels conseillers. On gagne ainsi en simplicité.
Je ne m’étendrai pas sur l’argument de l’éventuelle inconstitutionnalité de cette disposition, qui semble avoir été écartée tant par le Conseil d’État que par le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Demeure l’éternelle question des ordonnances. Vous savez à quel point nous sommes prompts à dénoncer leur utilisation systématique et le dessaisissement du Parlement qu’elles impliquent. Mais rien de tel en l’occurrence : le sujet est à la fois technique et, pour une part au moins, réglementaire. Dans ce cas de figure, le recours aux ordonnances nous semble pouvoir se justifier, ne serait-ce que pour ne pas encombrer inutilement l’agenda du législateur.
En effet, si ce sujet est important sur le plan des principes, il ne figure pas au nombre des réformes prioritaires et vitales pour la France qui mériteront, j’en suis certain, des débats au sein de cette assemblée. Le groupe UDI-UC soutiendra donc le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – MM. Claude Dilain et Roland Courteau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mes chers collègues, je tiens avant tout à rendre hommage à la tâche accomplie sur ce projet de loi par son rapporteur initial, Jacky Le Menn.
Je souhaite également remercier notre collègue Anne Emery-Dumas, qui poursuit ce travail depuis la rentrée parlementaire au nom de la commission des affaires sociales.
Enfin, je veux saluer d’emblée Alain Milon, nouveau président de cette commission.
Le projet de loi qui nous est présenté répond à un double objectif : apporter une solution satisfaisante au problème récurrent de la montée de l’abstention aux élections prud’homales tout en poursuivant, et j’insiste sur ce point, le développement d’un dialogue social de qualité.
L’abstention des salariés lors de ces élections est en augmentation constante : elle est passée de 37 % en 1979 à presque 75 % en 2008. Pour le collège employeurs, malgré une légère remontée de la participation en 2008, elle reste proche de 70 %.
Afin d’enrayer cette spirale, des mesures de simplification ont été mises en œuvre, notamment le vote par correspondance ou par internet, et des campagnes de communication ont été menées, avec un budget en augmentation de 25 %. L’abstention a néanmoins continué de progresser. Des problèmes d’organisation y ont peut-être contribué, mais l’essentiel des causes s’inscrit plutôt dans le cadre du déclin global de la participation électorale.
Dans le cas précis des élections prud’homales, l’enjeu ne semble pas toujours très clair pour les électeurs, particulièrement pour les salariés qui n’ont pas encore eu recours à la juridiction, et qui espèrent peut-être une solution individuelle en cas de conflit.
S’y ajoute également, sans doute, le sentiment que toutes les candidatures sont équivalentes, le juge étant perçu comme un arbitre impartial et neutre, dont les décisions sont rendues en droit, plutôt qu’en fonction de l’appartenance syndicale. Dès lors, l’élection peut paraître dénuée d’enjeu particulier.
Ces élections mobilisent aussi de nombreux acteurs : les services de l’État, centraux et déconcentrés, pour l’organisation générale, les communes, pour établir les listes électorales et organiser les bureaux de vote ainsi que le dépouillement, les partenaires sociaux, enfin, pour constituer les listes et faire campagne.
Par ailleurs, nous ne devons pas négliger, dans un contexte budgétaire contraint, le coût de cette consultation si peu mobilisatrice : il s’élève à environ 100 millions d’euros, qu’il faut programmer tous les cinq ans.
L’ensemble de ces éléments a conduit les partenaires sociaux et les services de l’État à rechercher une solution à la fois opérationnelle et respectueuse du dialogue social. Des rapports ont été préparés par d’éminents magistrats, qui ont permis d’envisager plusieurs dispositifs. Celui qui a été retenu, et qui nous est proposé aujourd’hui, a été initié grâce à l’adoption de la loi du 20 août 2008, laquelle a permis l’organisation d’élections établissant la représentativité des organisations de salariés.
J’ouvre ici une courte parenthèse pour rappeler que les élections prud’homales ont longtemps été, pour les organisations syndicales, un moyen quelque peu détourné de mesurer leurs audiences respectives.
M. Jean Desessard. Et alors ?
M. Jean-Pierre Caffet. Cette pratique est désormais caduque.
La question de la représentativité patronale n’a pas été réglée par la loi de 2008. Elle l’est aujourd’hui avec l’adoption de la loi du 5 mars 2014, qui prévoit une représentativité patronale mesurée par le nombre d’adhérents aux organisations représentatives.
M. Jean Desessard. Ce ne sont pas des élections !
M. Jean-Pierre Caffet. Ce projet de loi comporte donc deux articles.
L’article 1er tend à autoriser le Gouvernement à prendre dans un délai de dix-huit mois, par ordonnance, les dispositions prévoyant la désignation des conseillers prud’homaux en fonction de l’audience des organisations syndicales telle qu’elle aura été mesurée lors des élections de représentativité.
Il concerne, pour l’essentiel, la désignation des conseillers, la répartition des sièges entre les collèges, les modalités d’établissement des listes de candidatures, les procédures de nomination, la durée de mandat et le régime des autorisations d’absence. Comme l’orateur précédent, je nourris quelques interrogations sur la capacité du Parlement à régler par la loi toutes ces questions éminemment complexes.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Jean-Pierre Caffet. L’article 2 est issu de la lettre rectificative du 16 juillet 2014 visant à proroger le mandat des actuels conseillers prud’homaux jusqu’au 31 décembre 2017 au plus tard.
Il fixe en outre le plafond d’autorisations d’absence pour les conseillers salariés, afin qu’ils puissent suivre une formation liée à leur mandat.
II est vrai que plusieurs inquiétudes ont été exprimées devant la nouveauté de ce dispositif.
Tout d’abord, se pose la question de la participation des demandeurs d’emploi à la désignation des conseillers salariés.
Comme l’avait souligné le Gouvernement le 16 janvier dernier, « les organisations syndicales sont légitimes pour représenter aussi bien les salariés que les chômeurs »,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Caffet. … une appréciation que nous faisons nôtre. De plus, le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social est, à mon avis, le plus à même de rappeler que les demandeurs d’emploi ont vocation à trouver le plus rapidement possible un emploi.
M. Jean-Pierre Caffet. L’autre question concerne les salariés non syndiqués, qui pouvaient jusqu’à présent constituer des listes.
Le dispositif proposé n’est pas si nouveau puisqu’il existe dans le cadre des tribunaux des affaires de sécurité sociale. En effet, les assesseurs sont désignés par ordonnance du président de la cour d’appel sur une liste établie par la sécurité sociale et la MSA – mutualité sociale agricole –, sur proposition, notamment, des organisations représentatives d’employeurs et de salariés. Nous ne sommes donc pas en terre inconnue !
Saisi en 2010, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs estimé que « le pouvoir de présentation des candidats reconnu aux organisations professionnelles ne méconnaît pas le principe d’égal accès aux emplois publics ». Il a aussi considéré qu’il n’y a pas de risque objectif qu’un justiciable syndiqué soit jugé différemment d’un justiciable non syndiqué dans la mesure où le droit français proscrit tout mandat impératif.
Voilà qui répond clairement, à notre avis, aux inquiétudes exprimées ici ou là, ainsi qu’à cette tribune il y a quelques minutes.
En définitive, ce projet de loi apporte des réponses aux questions urgentes posées par l’abstention massive aux élections prud’homales, aux difficultés et au coût de leur organisation, et ce dans le respect du dialogue social, en prenant appui sur le caractère incontestable des élections de représentativité.
Au-delà de ce texte, c’est vers l’avenir des juridictions prud’homales que nous devons maintenant nous tourner. Les difficultés ne doivent pas être niées. Elles sont d’ailleurs clairement décrites dans le rapport que Mme la garde des sceaux a demandé à M. Lacabarats, président de chambre de la Cour de cassation. Dans sa lettre de mission, Mme Taubira citait notamment « la nécessité d’entreprendre les réformes nécessaires dans leur intérêt pour préserver les particularismes des conseils de prud’hommes ». Dieu sait si le sujet est d’actualité !
Un certain nombre de constats montrent qu’il convient de porter un regard attentif sur cette juridiction.
Le taux de conciliation n’est plus que de 5 %, en lien direct et évident avec la dureté des rapports sociaux dans un contexte de chômage aigu.
Plus problématique, le taux d’appel est de 60 %, ce qui constitue un taux de contestation beaucoup plus élevé que celui qui est enregistré pour les autres juridictions de première instance.
Enfin – et c’est sans doute le point le plus ennuyeux –, les dysfonctionnements de la justice prud’homale, qui sont d’abord préjudiciables aux justiciables, le sont aussi pour l’État, régulièrement condamné à ce titre. En tête des motifs de condamnation, et donc de pénalisation financière, figurent les délais de procédure, qui peuvent atteindre cinq ans dans les conseils les plus sollicités. Il est bien évident que le manque de moyens en est une cause majeure.
Même si cette question n’est pas l’objet direct de notre débat, qui est circonscrit au mode de désignation des conseillers, il semble évident que les greffes doivent être renforcés, que les conseillers doivent disposer d’un temps suffisant pour instruire les dossiers et rédiger les conclusions et que ce temps doit être indemnisé à hauteur du travail accompli.
De plus, la formation des conseillers prud’hommes doit être étoffée, avec la création d’une formation initiale et d’une formation continue sans doute supérieure aux trente-six jours aujourd’hui octroyés sur cinq ans. Ce sujet est central, comme l’ont d’ailleurs souligné les partenaires sociaux lors des auditions menées par notre commission.
C'est la raison pour laquelle je tiens à reprendre ici une proposition du premier rapporteur, Jacky Le Menn, qui avait souhaité explicitement que « les sommes économisées par le remplacement des élections prud’homales par une désignation fondée sur l’audience des partenaires sociaux servent essentiellement à financer la démocratie sociale » – je préciserai : son fonctionnement plus que sa visibilité – « ou la formation des conseillers prud’hommes ».
Monsieur le ministre, en écoutant votre intervention liminaire, j’ai compris que vous étiez particulièrement réceptif à cette proposition. Nous serons donc attentifs aux suites qui pourraient y être données.
Les moyens et la formation sont des points absolument fondamentaux : ils sont la traduction concrète de notre attachement très profond au paritarisme et à une justice du travail qui conserve toute sa spécificité.
Il n’y a pas lieu aujourd’hui de diminuer le rôle des conseils de prud’hommes. Le contexte social que nous affrontons nous fait, bien au contraire, obligation de veiller à ce que ceux-ci soient en mesure de remplir pleinement leur mission, dans l’intérêt majeur du monde du travail.
Pour conclure, il ne nous semble pas que l’évolution vers la désignation des conseillers prud’hommes porte atteinte à la démocratie. C’est même probablement l’inverse. (M. Jean Desessard s’exclame.) La réforme qui nous est proposée constitue un progrès démocratique puisque la loi du 20 août 2008 permet de tenir compte du vote des salariés à des élections qui les concernent au premier chef et qui ont vocation à mesurer la représentativité.
Dès lors, quoi de plus démocratique que d’attribuer les sièges de conseillers prud’hommes, en fonction des résultats, à telle ou telle organisation ?
Selon nous, la démocratie sociale se mesure non pas au nombre d’élections proposées aux salariés, mais à la cohérence d’ensemble de celles-ci. C’est bien parce que cette réforme est cohérente et qu’elle constitue, à nos yeux, un progrès démocratique que le groupe socialiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens, à mon tour, à saluer M. Milon, nouveau président de la commission des affaires sociales. Je salue également, après plusieurs orateurs, le travail remarquable qu’avait réalisé Jacky Le Menn, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, d’ailleurs.
Monsieur Desessard, vous avez évoqué le coût des élections prud’homales de 2008 et les emplois ou les suppléments de revenu qu’elles induisent. Sachez que, parmi les principaux postes de dépenses, figure l’acheminement, qui coûte plus de 30 millions d’euros. Or l’acheminement ne donne pas beaucoup de travail…
Mme Annie David. Si, à La Poste !
Mme Laurence Cohen. Un service public !
Mmes Annie David et Laurence Cohen. Eh oui !
M. François Rebsamen, ministre. On s’en occupe !
Les dépenses liées à la constitution des listes électorales se sont élevées à 28 millions d’euros. Plus de 11 millions d’euros ont été consacrés à la communication, qui a été renforcée en vue d’obtenir une meilleure participation, avec le succès que l’on sait…
Pour le reste, le remboursement de la propagande aux partenaires sociaux a représenté plus de 10 millions d’euros, et les opérations de vote proprement dites ont coûté 6 millions d’euros.
J’ajoute que la généralisation du vote électronique coûterait environ 20 millions d’euros.
Je tenais à vous livrer ces éléments d’information, que je tiens à la disposition de tous, car ils intéressent, me semble-t-il, tout le monde.
Les conseillers prud’homaux bénéficient aujourd'hui de la même protection que les délégués syndicaux – depuis la candidature jusque dans les douze mois suivant l’exercice du mandat –, et il en sera de même après la réforme que nous proposons. De plus, nous ne remettons pas en cause leur indépendance.
Mme Laurence Cohen. Nous sommes rassurés…
M. François Rebsamen, ministre. Cette protection vaut pour les salariés comme pour les employeurs.
Ainsi que l’a indiqué M. Caffet, il est clair que les organisations syndicales sont légitimes pour représenter les demandeurs d’emploi, contrairement à ce qui a été dit par certains. Rien ne s’oppose à ce que des demandeurs d’emploi figurent sur leurs listes, bien au contraire !
Mme Laurence Cohen. C’est le minimum !
M. François Rebsamen, ministre. Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés. Je sais que le Parlement n’est pas favorable aux ordonnances, et je le comprends aisément. Mais, en l’occurrence, il est vraiment nécessaire d’engager une concertation rapide avec les partenaires sociaux. En la matière, le recours à l’ordonnance se justifie par le degré de détail requis : il faut définir, pour chaque section, chaque territoire, le nombre de conseillers prud’hommes, ce qui ne me semble pas relever du domaine de la loi. Cela étant, bien entendu, chacun est libre de porter sa propre appréciation !
De plus, l’échéance de 2017 n’est pas si lointaine. Le « rétroplanning » est donc assez resserré. Une concertation sera organisée au cours du premier semestre de 2015 avec les partenaires sociaux sur les règles de gestion, le dispositif de désignation, les règles de conversion et d’affectation sectorielle et territoriale, et les chiffres de l’audience. La publication des ordonnances devrait avoir lieu durant le second semestre. L’année 2016 sera mise à profit pour engager la préparation technique du dispositif.
Je remercie M. Jean-Baptiste Lemoyne de son intervention intéressante, notamment dans son volet historique. Il reste que, à l’abstention de son groupe j’aurais bien sûr préféré un vote positif.
Je le répète, la concertation a eu lieu ; aucune atteinte n’est susceptible d’être portée au caractère paritaire de la juridiction. Tel n’est pas l’objet du texte qui vous est proposé. Si, demain, des réformes doivent être engagées, elles seront faites sur la base du rapport Lacabarats.
Monsieur Desessard, vous avez argué du fait que les chômeurs ne peuvent pas voter. Certes, mais on n’est pas chômeur toute sa vie ! Ils peuvent figurer sur les listes. D’ailleurs, l’objectif est justement qu’ils restent chômeurs le moins longtemps possible. (M. Jean Desessard s’esclaffe.)
Enfin, concernant le hors-champ – cette question a également été évoquée par d’autres orateurs, notamment Mme la rapporteur –, l’économie sociale et solidaire sera prise en compte par l’ordonnance, avec la FNSEA, l’UDES, etc.
Monsieur Watrin, j’ai apprécié votre défense de l’institution. Personne n’entend y porter atteinte. Nous essaierons, demain, peut-être ensemble, d’en améliorer le fonctionnement, car celui-ci, aujourd'hui, pénalise assurément, par sa complexité et sa lourdeur dans le processus de prise de décision, les plus fragiles et les plus faibles des salariés.
Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un recul pour la démocratie, et je vous sais gré de ne pas m’avoir fait de procès d’intention en la matière.
L’indépendance des salariés sera, bien sûr, respectée. Les conseillers prud’hommes bénéficieront de la même protection qu’auparavant.
Monsieur Barbier, je vous remercie de votre soutien personnel, car j’ai cru comprendre que le vote de votre groupe serait divers. Chacun le sait, nul système n’est parfait, mais la réforme s’imposait et le système que nous proposons est sans doute celui qui présente le moins de faiblesses et le plus de cohérence.
Je remercie également M. Jean-Marie Vanlerenberghe de son intervention, marquée par le pragmatisme, et de sa démonstration. Pris isolément, chaque argument n’est certes pas suffisant en soi, mais les trois réunis permettent d’adhérer à la solution qu’offre une meilleure représentativité syndicale, telle qu’elle a été définie par la mesure de l’audience dans les lois de 2008 et 2010, pour ce qui concerne les organisations syndicales de salariés, et dans la loi du 5 mars 2014, pour ce qui est des organisations patronales.
Je terminerai en remerciant M. Jean-Pierre Caffet. Les précisions que vous avez apportées, monsieur le sénateur, concernant la représentativité sont très importantes. Vous avez ouvert le débat plus largement sur l’avenir de cette juridiction sociale, qui est fondamentale pour l’application du droit social. Et c’est bien pourquoi il n’est pas question pour nous de porter atteinte à cette institution.
Enfin, je rappellerai simplement que la démocratie ne se mesure pas au nombre des élections, mais plutôt à leur cohérence.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes
Article 1er
(Non modifié)
Le Gouvernement est autorisé, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, à prendre par ordonnance les dispositions relevant du domaine de la loi prévoyant la désignation des conseillers prud’hommes en fonction de l’audience des organisations syndicales de salariés définie au 5° de l’article L. 2121-1 du code du travail et de celle des organisations professionnelles d’employeurs définie au 6° de l’article L. 2151-1 du même code. Ces dispositions déterminent, dans le respect de l’indépendance, de l’impartialité et du caractère paritaire de la juridiction :
1° Le mode de désignation des conseillers prud’hommes ;
2° Les modalités de répartition des sièges par organisation dans les sections, collèges et conseils ;
3° Les conditions des candidatures et leurs modalités de recueil et de contrôle ;
4° Les modalités d’établissement de la liste de candidats ;
5° La procédure de nomination des conseillers prud’hommes ;
6° Les modalités de remplacement en cas de vacance ;
7° La durée du mandat des conseillers prud’hommes ;
8° Le régime des autorisations d’absence des salariés pour leur formation à l’exercice de la fonction prud’homale ;
9° Le cas échéant, les adaptations nécessaires en matière de définition des collèges et sections.
Le projet de loi de ratification de cette ordonnance est déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant sa publication.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, sur l’article.
M. Jean Desessard. Je remercie M. le ministre d’avoir détaillé l’ensemble des frais entraînés par une élection prud’homale, mais, comme je le disais, les coûts s’évaluent aussi en fonction de leur intérêt pour la société, y compris de leur intérêt économique. Si vous importez 60 milliards d’euros de pétrole, cet argent part directement dans un autre pays et vient accroître le déficit de notre pays ; si, pour la même somme, nous produisons nous-mêmes de l’énergie, c’est l’ensemble de la vie économique en France qui en profite.
La question est donc de savoir s’il y a, ou non, déperdition de ces millions dépensés. Pour ma part, je réponds non parce qu’ils créent de l’activité économique dans le pays et, par là même, des revenus.
On ne peut donc pas avoir une vision aussi négative des coûts occasionnés par une élection. On pourrait même dire qu’ils sont vertueux par rapport à d’autres dépenses que l’on encourage. Je pense, par exemple, à la distribution de tracts pour Intermarché, Auchan et autres grandes surfaces qui déversent dans nos boîtes aux lettres des tonnes de papier. Là, c’est un pur gaspillage, car ces documents ne servent vraiment à rien ! On peut considérer que l’argent dépensé pour la démocratie sociale est tout de même plus noble, outre le fait qu’il présente un intérêt économique.
Mais, monsieur le ministre, vous m’avez véritablement soufflé lorsque quand vous avez dit qu’il n’était pas grave que le chômeur ne vote pas, qu’il voterait plus tard ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
D’abord, c’est une manière de dire que vous allez résorber le chômage et qu’il n’y aura bientôt plus de chômeurs. Mais cela fait déjà un moment que vous nous le dites ! De la même façon, M. Sapin nous dira : « Pourquoi s’occuper de la précarité puisqu’il n’y en aura bientôt plus ? » Bien sûr, quand tout ira mieux, il n’y aura plus à se demander quoi faire pour les précaires ! Le problème, c’est que notre société est, pour longtemps, une société frappée par le chômage et la précarité. Dès lors, si vous n’apportez pas des réponses maintenant pour les chômeurs et les précaires, si vous attendez que tout aille bien, cela signifie que nos citoyens vont aller moins bien !
En d’autres termes, votre vision manifeste un manque de réalisme sur ce qu’est la société d’aujourd’hui.
Vous nous expliquez – c’est vraiment extraordinaire ! – que les chômeurs voteraient forcément plus tard. Voulez-vous dire que, en tant que chômeurs, il ne faut pas qu’ils votent, qu’ils ne doivent pas exprimer qu’un syndicat les défend mieux en tant que chômeurs ? Voulez-vous dire qu’ils doivent attendre d’avoir un boulot pour voter, car, en tant que chômeurs, leurs voix ne nous intéressent pas ?
« Vous n’êtes pas content parce que vous êtes chômeur ? Ce n’est pas grave, vous voterez quand vous serez contents ! » Voilà exactement ce que vous dites !
« Vous ne votez pas parce que vous êtes précaire. Votre vie est difficile, mais ce n’est pas grave : vous voterez quand vous ne serez plus en situation de précarité, quand votre vie sera meilleure. »
Or le vote d’un chômeur ou d’un précaire n’est pas forcément le même que celui d’un cadre ou d’un ouvrier qui a un travail.
Faut-il donc considérer que la démocratie sociale concerne les salariés, mais pas ceux qui n’ont plus de travail ni ceux qui se trouvent en situation de précarité. Je trouve votre réponse vraiment formidable !
Mme Annie David. Formidable, dans le mauvais sens !
M. Jean Desessard. Bien sûr !
Mon collègue de Paris considère que la suppression d’une élection est un progrès démocratique. (Sourires sur les travées du groupe CRC.) Pourquoi ne le faites-vous pas pour toutes les élections politiques ?
M. Jean-Pierre Caffet. Ce ne sont pas des élections politiques ! Lisez le rapport !
M. Jean Desessard. Comment peut-on considérer que la suppression d’une élection est un progrès démocratique ?
Faisons le parallèle entre élections européennes et élection présidentielle. Lors des élections européennes, la formation à laquelle j’appartiens – je ne parle pas des autres – réalise un score de 16 % et, deux ans plus tard, lors de l’élection présidentielle, elle atteint un modeste 1,7 %. On voit bien qu’il existe des différences de faveur suivant l’élection et suivant le message que veulent délivrer les électeurs. Cela tient aussi, bien sûr, à notre propre message électoral et à nos propositions, mais on ne peut pas faire l’impasse sur la réponse qu’apportent les électeurs à tel ou tel moment.
Cela signifie que, au travers des différentes élections, selon leur nature – régionales, cantonales, européennes –, les électeurs ne disent pas la même chose. Or il en va de même dans l’exercice de la démocratie sociale : on peut très bien avoir envie de soutenir tel syndicat au niveau local et vouloir au niveau national une représentation plus « idéologique », si je puis dire, plus représentative de la défense des droits des salariés.
Mme Annie David. Exactement !
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu sur l’économie sociale et solidaire.
M. Jean Desessard. Vous avez précisé qu’il y aurait une représentation pour les employeurs, sans préciser ce que serait la représentation du secteur de l’économie solidaire, secteur important pour nous puisqu’il s’inscrit dans une approche plus sociale, plus environnementale et dans une forme d’économie que nous défendons.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur l'article.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Sur cet article 1er, qui prévoit dans son premier alinéa la désignation en fonction de l’audience des organisations syndicales, je voudrais relancer M. le ministre quant à l’audience qui serait prise en considération pour cette désignation. J’avais évoqué ce point dans mon intervention, mais, sauf erreur de ma part, je ne pense pas avoir reçu de réponse.
S’agit-il vraiment de l’audience mesurée au niveau national ou pourra-t-on aller vers un système de mesure plus fin de chaque circonscription prud’homale afin de prendre en compte de la meilleure façon possible les implantations syndicales et patronales dans les territoires ? Comme vous le savez, on note de grandes disparités des forces en présence selon les territoires. Une telle mesure est certainement plus compliquée à réaliser, mais sûrement plus respectueuse des engagements que l’on peut trouver sur les différents territoires. De manière générale, cela permettrait de mieux prendre en compte la réalité locale.
Lors de votre audition, vous aviez évoqué, monsieur le ministre, une concertation à venir sur ce point. Quels éléments pouvez-vous nous livrer aujourd'hui à ce sujet ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 3 est présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Jean Desessard. J’ai déjà commencé la défense de mon amendement, madame la présidente.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est ce qu’il nous avait semblé !
M. Jean Desessard. Je reviendrai cependant sur l’idée défendue par mon collègue de Paris, représentant du groupe socialiste, qui disait que, puisqu’il s’agissait de l’élection d’un juge, les gens ne voyaient pas de différence entre les centrales syndicales et que, en conséquence, ce n’était plus la peine de procéder à une élection.
Mes chers amis, si la légitimité d’une élection tient à la différence que les électeurs sont susceptibles de faire entre les uns et les autres, supprimons aussi les élections politiques ! Car, dans de nombreux endroits, les citoyens ne savent plus faire la différence entre la droite et la gauche. Et beaucoup de citoyens se posent la question : « À quoi “ils” servent, “là-bas” ? », et particulièrement lorsqu’il est question de notre assemblée…
Vous ne vous êtes pas demandé – en tout cas, pas devant nous – si l’on allait faire suivre la démarche de suppression de cette élection par d’autres suppressions d’élections. Car, finalement, certains se demandent aussi à quoi on sert !
Mme Nicole Bricq. Nous aussi, nous nous demandons à quoi vous servez !
M. Jean Desessard. Ne faut-il pas aller au bout de la logique ? En écoutant mon propos, vous allez dire qu’il est un peu stupide. Car la question qui se pose n’est pas celle de la suppression, mais celle de la réorientation. Comment faire pour que notre assemblée soit respectée ? Comment faire pour redonner du pouvoir au politique ? Et comment faire pour avoir, dans l’opinion, une image réellement différenciée des différentes réponses politiques ?
La question qui se pose au niveau syndical se pose de la même façon au niveau politique. Donc, si elle justifie la suppression de ces élections, restons prudents, car c’est aller au-devant de bien des dangers. Il ne suffira pas de dire qu’il faut lutter contre la droite extrême : il faudra se poser la question de la perception qu’a la population de la représentation nationale, tout comme vous avez posé le problème de la différenciation entre les propositions syndicales faites à l’occasion des élections prud’homales.
L’élection prud’homale est une élection nationale qui permet de mesurer la représentativité par rapport à des réponses différentes. Il en va de même au niveau politique. Alors, faites très attention aux arguments que vous employez pour justifier la suppression des élections prud’homales !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. J’irai dans le même sens que mon collègue Desessard. Effectivement, on nous présente là un projet de loi extrêmement dangereux pour la démocratie sociale, prenant comme point d’appui le faible taux de participation. Cela a été dit et redit, mais je pense qu’il faut le répéter puisque, visiblement, les arguments ne sont pas entendus : est-ce réellement un argument audible que celui qui consiste, devant la faiblesse de la participation, à supprimer l’élection et à procéder par désignation ?
On note aujourd’hui, en France, un déficit de participation à tous les types d’élections. La proposition qui nous est faite consiste à dire qu’il ne faut pas nous inquiéter, qu’on va améliorer les choses. On se demande, monsieur le ministre, pourquoi vous faites une telle proposition sans avoir anticipé et sans nous proposer de mesures alternatives.
Nous avons rencontré un certain nombre de syndicats, et encore ce matin, lors d’une conférence de presse. Comme l’a dit mon collègue Dominique Watrin, tous avaient des propositions alternatives intéressantes dont il aurait été utile de débattre dans l’hémicycle. Mais, en l’occurrence, vous nous demandez de vous accorder notre confiance sur une réforme qui va certainement voir le jour pour améliorer la situation.
Sachez que ce n’est pas ainsi que l’on procède quand on veut sérieusement s’attaquer à un problème, car il s’agit en effet de réformer un système qui présente effectivement des défauts. En tout cas, cela ne peut pas se faire en supprimant les élections !
Que dire, par exemple, du taux de participation de 20 % aux élections des chambres de commerce ? C’est aussi un taux extrêmement faible. J’espère que vous n’allez pas non plus envisager de supprimer ces élections ! Ou alors, dites-nous franchement quelles autres élections, y compris politiques, vous envisagez de supprimer !
En fait, vous nous proposez tout simplement de casser le thermomètre. Or, vous le savez bien, ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on guérit le mal. Ces arguments ne tiennent vraiment pas la route et sont dangereux en termes de démocratie sociale.
Je tiens à le redire ici, les élections prud’homales sont le résultat d’une bataille, de luttes sociales ; elles ont été obtenues pour donner aux salariés des droits supplémentaires au sein des entreprises.
Et voilà que ces élections, on nous propose de les supprimer d’un simple trait de plume, de surcroît par ordonnance !
Nous n’acceptons pas ce retour en arrière et, puisque nous n’avons pas la possibilité de réécrire totalement le dispositif par voie d’amendement, nous proposons la suppression de l’article 1er.
Comme mon camarade Desessard (Sourires.), j’ai été très frappée par les arguments que M. le ministre a avancés. En somme, il nous a dit : ne vous inquiétez pas, ce sera beaucoup plus démocratique après qu’on aura supprimé les élections ! De même, monsieur le ministre, vous nous avez assurés que ce n’était pas une affaire d’argent, mais vous avez expliqué, chiffres à l’appui, que ces élections coûtaient trop cher : au groupe communiste, républicain et citoyen, nous avons une autre conception de la démocratie !
À nos yeux, l’article 1er du projet de loi est un énorme pavé lancé dans l’édifice de la démocratie sociale. Nous ne pouvons pas l’accepter ! (M. Jean Desessard applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Ces deux amendements visant à supprimer l’article 1er du projet de loi, présentés l’un par le groupe écologiste, l’autre par le groupe CRC, sont inspirés par des motivations similaires.
La commission des affaires sociales, le 23 juillet dernier, pour les raisons qui ont déjà été largement exposées dans la discussion générale, a adopté conforme le présent projet de loi, dont l’article 1er constitue la colonne vertébrale. En son nom, j’émets donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Rebsamen, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements identiques.
Permettez-moi, madame la présidente, de continuer quelques instants, par pur plaisir, mon débat avec M. Desessard.
Mme Laurence Cohen. On peut sortir, si vous voulez !
M. François Rebsamen, ministre. Monsieur le sénateur, je dois dire que je suis parfois surpris par certains de vos arguments. Ainsi, j’avais cru comprendre que, dans certaines formations politiques, on voulait la suppression de l’élection présidentielle, voyant dans cette suppression une grande avancée démocratique. Ce rappel mérite réflexion. Qu’en pensez-vous, monsieur Desessard ? (Sourires.)
En ce qui concerne la communication, il est évident qu’on a fait aussi bien que possible lors de la dernière élection.
Et puis, le fait est que ces élections ne sont pas faciles à organiser pour les communes ; ceux d’entre vous qui sont maires savent bien qu’elles entraînent beaucoup de travail. (Mme Françoise Cartron et M. Claude Bérit-Débat acquiescent.) D’ailleurs, on a eu raison de rappeler tout à l’heure que l’Association des maires de France avait pris position contre le maintien de leur organisation actuelle.
Monsieur Desessard, on peut parler, comme vous, avec fougue, peut-être même avec un peu de vigueur. Reste que, malgré tous les efforts de communication qui ont été réalisés, il n’y avait que 5 % de demandeurs d’emploi inscrits sur les listes. Bien entendu, sur ces 5 % d’inscrits, certains se sont sans doute abstenus. Autant dire que la proportion de demandeurs d’emploi ayant effectivement voté a été très faible, vous en conviendrez que, au bout du compte, cela ne fait pas beaucoup de votants en chiffres absolus. Même si l’on peut considérer que cela ne justifie rien, il me paraît utile de rappeler cette réalité.
Notre proposition de réforme n’est pas fondée sur la suppression des principes démocratiques, comme certains l’ont prétendu. En effet, des mesures d’audience ont été légitimées par trois lois : celles de 2008 et de 2010 pour les salariés, celle de 2014 pour les patrons. Ces deux mesures d’audience nous permettront, en 2017, d’assurer la représentation la meilleure possible.
Cette réforme a pour but de renforcer la légitimité de l’institution prud’homale. On ne peut pas dire, quand il y a 35 % de participation à une élection, que ce résultat signe la fin du système politique en vigueur et, quand il s’agit des élections prud’homales, se gargariser d’un taux de participation de 25 % !
Quant à l’impartialité et à l’indépendance de la justice prud’homale, je répète qu’elles sont garanties par le caractère paritaire de la juridiction, qui heureusement n’est plus attaqué, ainsi que par l’interdiction des mandats impératifs.
Enfin, tous les justiciables potentiels sont susceptibles de participer aux juridictions, y compris ceux qui, à un moment ou à un autre – que cela ne soit pas mal pris –, ont pu se trouver sans emploi, puisque l’audience doit être mesurée par périodes de quatre ans. L’ensemble des employeurs seront pris en compte, comme l’ensemble des salariés. Quant à l’audience de l’économie sociale et solidaire, elle sera bien mesurée dans le cadre de la représentativité patronale.
Le recours à une ordonnance est nécessaire pour organiser la concertation avec les partenaires sociaux. Madame Cohen, il est fort bon que vous les ayez rencontrés. Je les ai rencontrés moi aussi, et je les rencontrerai encore, puisque nous allons les consulter pendant tout le premier semestre de l’année 2015. Nous voulons avancer avec eux !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Les auteurs de ces amendements font valoir que l’abstention ne justifiait pas la suppression. Eh bien, la suppression proposée justifiera notre abstention… Cet après-midi, en effet, nous serons un peu normands en nous abstenant sur ces deux amendements comme sur les suivants.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Le 16 janvier dernier, j’ai posé toute une série de questions à M. Sapin. Je suis obligé de constater qu’on ne m’a pas répondu.
Je n’ai pas obtenu de réponse sur le bien-fondé de la suppression des élections prud’homales ni de véritable réponse sur la représentation des chômeurs. Je n’ai pas non plus de certitudes en ce qui concerne l’économie sociale et solidaire.
S’agissant du coût et de la participation, je rappelle à nos collègues que, si l’on a compté 4,8 millions d’électeurs aux élections prud’homales de 2008, il y en a eu 5,4 millions lors des élections mesurant la représentativité, soit seulement 600 000 de plus. Or quel a été le coût comparé de ces deux élections ? On sait très bien que, pour la publicité qui a précédé l’élection de représentativité, on a mis en œuvre des moyens d’une tout autre ampleur que ceux qui avaient été mobilisés en vue des élections prud’homales.
Les réponses qui nous sont apportées ne me donnent pas satisfaction. Je le regrette, car je crois que la représentation au sein des conseils de prud’hommes est une question très importante.
En particulier, je ne suis pas convaincu qu’une représentation définie au niveau national apporte une bonne réponse pour les juridictions. En effet, la représentativité des différentes tendances dans un secteur géographique peut être très différente des moyennes nationales, de sorte qu’une organisation syndicale dont l’audience est très forte dans un ressort prud’homal pourrait ne pas y être représentée parce qu’elle a réalisé un score faible au niveau national. (M. Claude Dilain acquiesce.)
Pour ces raisons, monsieur le ministre, je voterai, avec regret, les amendements présentés par nos collègues écologistes et communistes.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. J’ai été interpellé par M. le ministre au sujet de la VIe République. (M. Marc Daunis s’exclame.) J’avais cru comprendre que le parti socialiste, à une époque, n’était pas pour le régime présidentiel actuel… Visiblement, une évolution s’est produite. Décidément, il n’y a plus de tabous ! Nous verrons bien dans les prochains mois…
En tout cas, les écologistes considèrent que le régime présidentiel pose un véritable problème parce que le Parlement a trop peu de pouvoirs. Je le répéterai autant qu’on voudra !
M. Jean-Pierre Caffet. Merci, ça ira comme ça !
M. Jean Desessard. L’élection au suffrage universel direct favorise-t-elle la présidentialisation du système ? Probablement. C’est pourquoi nous nous interrogeons sur le meilleur mode d’élection possible pour respecter les pouvoirs du Parlement. Je suppose que nous discuterons de tout cela quand nous débattrons de la VIe République !
Je veux revenir quelques instants sur les chômeurs. On nous explique qu’ils sont seulement 5 % à être inscrits. Mais c’est bien là le problème ! Cela a été clairement dit par moi comme par mes camarades communistes ! (Rires et exclamations sur les travées de l’UDI-UC.)
On a bien le droit d’avoir des camarades !
M. Éric Bocquet. C’est un joli mot, « camarade » !
M. Jean Desessard. Sur le plan financier, la question est entendue puisque M. le ministre lui-même a expliqué que la vraie raison n’était pas là. Nous allons donc vous croire, monsieur le ministre !
Quant à l’argument fondé sur l’abstention, je vous ai mis en garde : si l’on appliquait le même raisonnement dans le domaine politique, il n’y aurait plus d’élections que tous les cinq ans : la présidentielle et les législatives.
Reste la question des modalités des élections prud’homales. Nous aurions aimé en débattre, mais, malheureusement, le Gouvernement a préféré recourir à une ordonnance.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean Desessard. Pourquoi n’y a-t-il que 5 % d’inscrits ?
Mme Laurence Cohen. C’est la question que j’ai posée !
M. Jean Desessard. On aurait pu citer la proportion de votants et conclure que les chômeurs ne se déplacent pas, mais, monsieur le ministre, vous avez bien distingué les deux chiffres. La question est donc : pourquoi les chômeurs ne sont-ils que 5 % à s’inscrire ?
On peut dire : sont-ils crétins, ces chômeurs ! Faut-il être bête pour ne pas s’inscrire ? C’est bien de leur faute s’ils ne votent pas ! (Murmure sur les travées du groupe socialiste.) Excusez-moi, mais c’est bien cela qui est dit : s’ils ne sont que 5 % d’inscrits, c’est de leur faute !
M. Claude Bérit-Débat. Pas du tout !
M. Jean Desessard. On peut aussi poser le problème autrement : comment aider des personnes en situation de détresse à participer à la démocratie sociale ? Voilà la vraie question ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
Poussons plus loin : il y a des disparités aussi aux élections politiques. Ainsi, aux élections européennes – je le dis quand bien même elles nous sont favorables –, les ouvriers et les chômeurs ne votent pas autant que les cadres. On ne supprime pas ces élections pour autant ! Le vrai défi est de conduire un plus grand nombre de citoyens à voter.
Comment des personnes qui ne sont pas dans la démocratie sociale, principalement les chômeurs, les précaires et les salariés des petites boîtes, peuvent-elles y être intégrées ? Telle est la véritable question dont le Parlement aurait dû débattre !
C’est ce que j’ai voulu signifier dans la discussion générale lorsque j’ai regretté qu’il manque un projet pour la mise en place d’une cogestion et d’une démocratie sociale réelle. Aujourd’hui, on nous dit : ce sera une fois tous les cinq ans, et tant pis pour les chômeurs. Et pour les précaires, M. le ministre ne l’a pas dit, mais c’est un peu pareil. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 3.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l'article.
Mme Laurence Cohen. Je tiens à réaffirmer un certain nombre de nos convictions. Je veux le faire brièvement, mais avec une certaine solennité parce que la réforme qui se prépare me paraît très grave.
Je considère, avec mes collègues du groupe CRC, que les élections prud’homales sont en quelque sorte une « université des droits ». Dans ces conditions, nous sommes très inquiets que les conseillers prud’homaux puissent être non plus élus, mais désignés.
Monsieur le ministre, tandis que vous preniez plaisir à débattre avec M. Desessard, vous n’avez pas répondu à ma question : pourquoi ne pas avoir présenté au Sénat des propositions d’amélioration des élections prud’homales ? En nous promettant des propositions à venir, vous nous demandez de vous faire confiance a priori, alors que vous êtes en train de détricoter un élément important de la démocratie sociale.
Je crois extrêmement important d’aller au fond des problèmes, et notamment de se demander pourquoi les inscrits ne sont pas plus nombreux sur les listes électorales, en particulier parmi les plus fragiles. C’est là le nœud de la question ; faute de le défaire, les réformes aggraveront encore la situation et feront reculer la démocratie dans l’entreprise.
Telles sont les raisons pour lesquelles, notre amendement de suppression ayant été rejeté, nous voterons contre l’article 1er du projet de loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – La date du prochain renouvellement général des conseils de prud’hommes est fixée par décret et, au plus tard, au 31 décembre 2017. Le mandat des conseillers prud’hommes est prorogé jusqu’à cette date.
II. – Dans les conditions fixées aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 1442-2 du code du travail, les employeurs accordent aux salariés de leur entreprise, membres d’un conseil de prud’hommes, sur leur demande et pour les besoins de leur formation, des autorisations d’absence :
1° Dans la limite de six jours par an au titre de la prolongation du mandat, prévue à l’article 7 de la loi n° 2010-1215 du 15 octobre 2010, qu’ils exercent entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2015 ;
2° Dans la limite de six jours par an au titre de la prolongation du mandat qu’ils exercent entre le 1er janvier 2016 et la date fixée par le décret pris en application du I du présent article et au plus tard lors du prochain renouvellement général.
III. – Par dérogation aux dispositions de l’article L. 1423-10 du code du travail, s’il n’est pas possible de pourvoir aux vacances dans les conditions fixées par l’article L. 1442-4 du code du travail, et jusqu’à la date du prochain renouvellement général, il peut être recouru aux affectations prévues en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d’une section, qui peuvent être renouvelées au-delà de deux fois, dans les conditions et selon les modalités prévues au premier alinéa de l’article L. 1423-10.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. L’article 2 est important et ne doit pas être supprimé.
Mes chers collègues, je vous rappelle que cet article, introduit par la lettre rectificative au projet de loi du 16 juillet dernier, proroge les mandats actuels des conseillers prud’hommes jusqu’au 31 décembre 2017 au plus tard. En outre, il fixe le plafond d’autorisations d’absence pour que les conseillers représentant les salariés puissent suivre des formations liées à leur mandat. Enfin, il aménage les règles en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d’une section.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur le présent amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer l’année :
2017
par l’année :
2016
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Bien que ce débat ait déjà eu lieu en commission et que vous connaissiez le sort que je réserverai à cet amendement, j’interviens ici pour réaffirmer, avec les autres membres de mon groupe, que ce texte constitue réellement une atteinte à la démocratie sociale.
Monsieur le ministre, la question qui se pose – Laurence Cohen vient d'ailleurs de la répéter – est la suivante : quelles mesures allez-vous proposer pour nous convaincre que la suppression de ces élections constituerait réellement une avancée ?
Cet amendement tend à raccourcir d’un an, de 2017 à 2016, la prorogation des mandats des conseillers prud’homaux telle que vous la proposez. Je vous rappelle en effet que les conseillers prud’homaux actuellement en place ont été élus en 2008 pour un mandat de cinq ans, que ce mandat a déjà été prorogé et que, en le prorogeant encore de deux ans, vous parviendrez à un mandat d’une durée de neuf ans.
Or chacune des organisations syndicales, salariales ou patronales, que nous avons rencontrées, tout comme vous avez pu le faire, monsieur le ministre, nous ont rapporté les difficultés qu’elles rencontraient pour maintenir en place ces conseillers prud’homaux au-delà de leur mandat. Les raisons en sont multiples, et je me contenterai de citer le cas des salariés qui, parvenus à l’âge de la retraite, décident de ne plus travailler.
Dans certains conseils de prud’hommes, il y a donc carence et, déjà, certains présidents de ces conseils sont obligés d’organiser des élections partielles pour remplacer les conseillers prud’homaux arrivés « à épuisement », car être conseiller prud’homal, ce n’est pas tous les jours facile !
Mes chers collègues, vous aurez donc compris que cet amendement a du sens dans le cadre des élections prud’homales, dont nous aurions donc souhaité qu’elles soient avancées à 2016.
Toutefois, avec le rejet de notre amendement de suppression de l’article 1er, les dispositions du présent amendement perdent de son sens. Dès lors, madame la présidente, mes chers collègues, je ferai gagner du temps à tout le monde en le retirant.
M. Charles Revet. Voilà la sagesse !
Mme la présidente. L'amendement n° 4 est retiré.
L'amendement n° 5, présenté par Mme Emery-Dumas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
1° Remplacer les mots :
aux dispositions
par les mots :
à la dernière phrase du premier alinéa
2° Après le mot :
général,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les affectations prévues à l’article L. 1423-10 du code du travail en cas de difficulté provisoire de fonctionnement d'une section peuvent être renouvelées au-delà de deux fois.
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Il s'agit d’un amendement de clarification juridique.
Le premier alinéa de l’actuel article L. 1423-10 du code du travail dispose que « lorsque le président du conseil de prud'hommes constate une difficulté provisoire de fonctionnement d'une section, il peut, après avis conforme du vice-président, sous réserve de l'accord des intéressés, affecter temporairement les conseillers prud'hommes d'une section à une autre section pour connaître des litiges relevant de cette dernière. Ces affectations sont prononcées pour une durée de six mois renouvelable deux fois dans les mêmes conditions. »
L’article 2 du présent projet de loi vise les dispositions de cet alinéa, mais il assouplit une de ses modalités d’application en prévoyant que les affectations temporaires peuvent être renouvelées au-delà de deux fois jusqu’à la date du prochain renouvellement général des conseils de prud’hommes.
Or la rédaction actuelle de l’alinéa 5 de l'article 2 peut être source de confusion, car il est indiqué que le projet de loi déroge aux dispositions de l’article L. 1423-10 du code du travail, tout en prévoyant explicitement d’appliquer son premier alinéa.
C’est pourquoi, au travers du présent amendement, nous proposons une rédaction qui ne modifiera pas l’intention initiale du Gouvernement, mais qui clarifiera juridiquement le dispositif et permettra d’appliquer l’ensemble des autres dispositions de droit commun de l’article L. 1423-10 du code du travail.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous nous rallierons à l'amendement de Mme la rapporteur, dans la mesure où la possibilité d’un renouvellement au-delà des deux fois six mois apporte une réponse concrète à un problème qui nous est remonté du terrain et que, ici, chacun a identifié. En effet, certaines situations se révéleront complexes, et de nombreux présidents de conseils de prud’hommes sont d’ores et déjà inquiets.
Le groupe UMP votera donc cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Le groupe CRC prend acte du rejet de ses amendements. Et comme nous l’avions annoncé, nous voterons contre ce projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur les arguments déjà développés par les membres de notre groupe – par moi-même, dans la discussion générale, ou par mes collègues Annie David et Laurence Cohen.
Ce texte, finalement, est un rendez-vous manqué. Les organisations syndicales qui siègent au Conseil supérieur de la prud’homie, de la CGC à la CGT, en passant par Force ouvrière et par l’UNSA, n’ont pas manqué de formuler des propositions pour rendre ce scrutin des prud’hommes plus efficace et moins complexe.
Force est de constater qu’elles n’ont pas été entendues. La CGT, notamment, réclame depuis 2008 la création d’une commission ad hoc pour faire étudier objectivement ces propositions. Si elles sont mauvaises, des arguments le démontreraient, et si elles sont bonnes, d’autres arguments les appuieraient… Or il n’a pas été possible, pour les organisations syndicales, de faire étudier des propositions se posant en alternative à une proposition qui est tout de même grave, puisqu’il s'agit de la suppression d’un droit démocratique, l’élection !
Par ailleurs, nous, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, nous entendons souvent dire que nous sommes passéistes, que nous ne voulons rien changer. Mais nous ne sommes pas pour le statu quo !
Les organisations syndicales ont énoncé des propositions fort intéressantes. Je me contenterai de citer la proposition de la CGT d’organiser l'élection sur le lieu de travail, en lien avec les institutions représentatives du personnel, d’organiser dans les mairies le scrutin pour les chômeurs et les retraités – il est effectivement important que les chômeurs puissent s'exprimer –, et de mettre en place un scrutin beaucoup plus simple que le scrutin par section – il est possible, nous dit-on, d’organiser un scrutin unique, quitte à ce que le syndicat ventile ensuite les élus entre chacune des cinq sections.
Je crois donc que nous avons fait œuvre de démocratie en organisant, ce matin, une conférence de presse pour donner la parole aux syndicats et pour écouter leurs arguments, et cela sans se cantonner au sujet des élections, d'ailleurs.
En effet, M. le ministre l’a rappelé, la France a été condamnée soixante et onze fois pour ses délais de justice excessifs. Or les représentants syndicaux que nous avons écoutés ce matin nous ont, eux, rappelé que la réduction continuelle des moyens résulte des gouvernements successifs, qu’il s'agisse du nombre de greffiers ou du contingentement du temps consacré à chaque dossier, obligeant aujourd'hui les conseillers prud’homaux à prendre sur leur temps personnel pour se faire une opinion et étudier convenablement les litiges.
Alors que les conseils prud’homaux ont beaucoup de mal à réunir le quorum de leurs membres, la prorogation de leurs mandats jusqu'en 2017 va encore accroître les difficultés que rencontrent les conseillers salariés à respecter leurs engagements.
En effet, les listes des conseillers élus depuis 2008 arrivent à un point de rupture, et l’on nous dit que les présidents de tribunaux sont – ou vont être – dans l'obligation de réfléchir à l'organisation d'élections complémentaires après épuisement des possibilités de transfert d’une section à l’autre…
C'est un comble que des élections complémentaires doivent être organisées alors que l’on nous propose un texte qui supprime ces élections !
La vérité, il faut la dire : ce texte s'inscrit dans un ensemble de projets que l’on ne peut ignorer et qui, tous – ce n’est pas un hasard ! –, visent à affaiblir les mécanismes de protection des salariés. Sans les énumérer tous, je pense au décret sur l’inspection du travail, au projet de relever sensiblement les seuils sociaux, ce qui privera nombre de salariés de délégués du personnel ou de comité d’entreprise, ou bien encore le texte sur la modernisation de la vie des entreprises, que nous étudierons bientôt.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que le délai moyen de traitement des dossiers prud’homaux était, en moyenne, de 12 mois. Comme vous, nous pensons que ce délai est trop long. Toutefois, à qui la faute ? Nous pensons d'abord aux politiques d’austérité, dont j'ai parlé à l’instant, qui ont considérablement réduit les moyens budgétaires. Je rappellerai aussi, pour être juste, la suppression de 25 % du nombre des conseils prud’homaux décidée par Mme Dati, sous la présidence de M. Sarkozy.
En conséquence, nous nous opposons à ce projet de loi, qui affaiblit la légitimité des conseillers prud’homaux. Pour autant, je le répète, nous ne sommes pas pour le statu quo et nous renouvelons notre demande que soit ouvert un véritable débat associant toutes les organisations syndicales, pour trouver les meilleures réponses possible afin d’améliorer le fonctionnement quotidien des conseils de prud’hommes.
Des solutions existent, qui doivent absolument préserver l’originalité de cette juridiction dans le cadre de la parité et de l’électivité. C'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, nous ne voterons pas ce projet de loi – notre position ne vous surprendra pas.
On pourrait longtemps discuter de l’aspect financier. Quand on fait des économies et que l’on redistribue l’argent ainsi économisé, il faut choisir les dépenses que l’on vise, et tout dépend alors de leur nature !
Si ces économies sur les dépenses servent à augmenter les dividendes des actionnaires, ce n’est pas un bon choix, et l’on peut parfois penser que le CICE – le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi –, c'est cela ! En revanche, s'il s'agit de développer l’activité locale, par exemple en donnant des dotations aux départements ou aux régions afin de favoriser un ensemble d’investissements pour des entreprises de proximité, c'est plutôt une bonne chose…
Il ne s'agit donc pas de dire qu’il ne faut pas de dépenses, mais plutôt de s'interroger sur leur nature et sur la façon dont elles améliorent le tissu économique. Néanmoins, je ne m'attarderai pas davantage sur ce point, car nous aurons l’occasion d’en discuter de nouveau.
À mes yeux, l’aspect le plus important de ce projet de loi, dont je ne sais s’il est une initiative du gouvernement actuel ou s’il était déjà dans les cartons du gouvernement précédent, porte sur la démocratie sociale.
Aujourd’hui, on nous dit que la démocratie sociale implique moins d’élections. Or je ne suis pas d’accord, mes chers collègues ! J’ignore si je serai traité de passéiste, mais je dirai que les gens ont envie de donner leur avis de plus en plus souvent. Ils ne veulent plus accorder de délégation pour 5, 8 ou 9 ans. Ils souhaitent donner leur point de vue et participer régulièrement.
La démocratie sociale se construit. Or limiter la consultation à une seule élection pendant cinq ans ne participe pas d’une telle construction !
Au niveau local, on construit grâce à une élection ; au niveau national, l’élection est l’occasion de présenter des projets différents. Voilà ce qu’est la construction de la démocratie sociale.
À cet égard, nous étions prêts, à l’instar de nos collègues du groupe communiste,…
M. Jean-Louis Carrère. De nos camarades !
M. Jean Desessard. … à discuter des modalités. Comment devons-nous associer les gens ?
Par ailleurs, et c’est le second point, il y a une différence entre la démocratie sociale et la démocratie politique. En effet, les syndicats représentent les intérêts des salariés, lesquels choisissent celui qui les représente le mieux.
Seulement, mes chers collègues, force est de constater que ce projet de loi tend à exclure les précaires et les chômeurs ! Les plus défavorisés ne peuvent pas participer à cette démocratie sociale en donnant leur point de vue sur les orientations sociales du Gouvernement ou de la nation. C’est tout de même aberrant ! Consciemment, on dit que les plus pauvres, ceux qui souffrent le plus, même s’ils sont moins nombreux, ne peuvent pas donner leur avis. C’était un droit constitutif de la démocratie sociale, et on le leur refuse !
Il aurait fallu prévoir des modalités pour qu’ils soient associés. Certes, la vie n’est plus rectiligne et on n’occupe pas le même emploi pendant 40 ans ; on vit des périodes de chômage, de précarité, définitives pour certains, ce qui n’empêche pas d’avoir envie d’être représenté et défendu par des syndicats ayant différents points de vue.
En l’espèce, on oppose une fin de non-recevoir aux chômeurs ; quant aux précaires, on a l’air de leur dire qu’il faut laisser ces choses trop sérieuses aux salariés des grandes entreprises. Certes, il est normal que ces derniers aient leur mot à dire dans le cadre de la démocratie sociale, mais exclure de ce champ les chômeurs et les précaires est une décision très grave !
Ne serait-ce que pour cette raison, l’ensemble des sénatrices et sénateurs écologistes votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Je tiens tout d’abord à réitérer notre attachement aux conseils de prud’hommes. Je le fais avec un peu de solennité, car j’ai eu le sentiment, à certains moments, que l’on nous faisait un mauvais procès en nous accusant pratiquement d’être sur le point de supprimer ces juridictions.
Soyons clairs : l’institution des conseils de prud’hommes est pour nous un acquis social, une conquête sociale qui, comme cela a été rappelé, plonge ses racines dans la Révolution française. À nos yeux, elle est à placer sur le même plan que la médecine du travail ou l’inspection du travail.
Pour preuve de cet attachement, je voudrais rappeler, après avoir écouté tous les orateurs, que j’ai été le seul à m’inquiéter des conditions de fonctionnement et de formation des conseillers prud’homaux, puisque j’ai demandé à M. le ministre s’il était possible de faire un effort financier dans ce domaine, par exemple en recyclant dans l’aide à la formation les économies réalisées grâce à ce texte.
De grâce, que l’on ne nous fasse pas de mauvais procès en nous accusant de vouloir attenter à la démocratie sociale !
Par ailleurs, quels sont les débats qui nous ont opposés, ou en tout cas occupés, à l’occasion de la discussion de ce projet de loi ? À mon sens, ils sont au nombre de trois : la question de la légitimité ; le problème de l’exclusion d’un certain nombre de catégories sociales ; la question tout aussi fondamentale du fonctionnement de la démocratie, tout particulièrement de la démocratie sociale.
Je ne reviendrai pas sur la question de la légitimité, car tout a été dit à cet égard.
S’agissant de l’exclusion d’un certain nombre de catégories, notamment les chômeurs et les précaires, qui ont été mis en avant au cours du débat, je veux rappeler à M. Desessard, qui ne sera peut-être pas d’accord avec moi, que les organisations syndicales ont vocation à représenter les chômeurs et les précaires !
Si vous pensez, mon cher collègue, que les organisations syndicales ne se préoccupent que de ceux qui ont un emploi en laissant tomber les chômeurs et les précaires, je vous laisse libre de votre appréciation, mais sachez que telle n’est pas ma conception. Je tenais à vous le faire savoir.
Enfin, le dernier débat a trait à la démocratie. Nous nous préoccupons aujourd’hui concrètement des modalités selon lesquelles les conseillers prud’hommes vont recevoir leur mandat. Telle est la question qui nous est posée.
Certains disent qu’il faut une élection. Or aux termes de ce texte, il y a déjà une élection, à savoir celle qui assure la représentativité des organisations syndicales.
Mme Laurence Cohen. Mais non !
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur Desessard, il n’a donc jamais été envisagé de remettre en cause la légitimité des conseillers prud’hommes, qu’ils tirent – j’y insiste – d’un processus électoral.
M. Jean-Louis Carrère. Les sénateurs aussi sont élus au deuxième degré !
M. Jean-Pierre Caffet. Pour ma part, étant quelque peu pragmatique et soucieux de la manière dont les conseils de prud’hommes fonctionnent et des moyens qui leur sont accordés, je préfère franchement recycler le coût de cette élection, soit 100 millions d’euros tous les cinq ans, ce qui n’est pas une bagatelle, dans la formation et l’amélioration du fonctionnement de ces juridictions.
Enfin, monsieur Desessard, puisque vous m’avez interpellé vivement à deux reprises, en tant que collègue au Conseil de Paris, en sous-entendant que je tenais des propos scélérats, permettez que je vous lise la page 45 du rapport de Jacky Le Menn, où figure la retranscription de l’audition des organisations syndicales : « Il ne nous paraît pas que l’évolution vers la désignation porte atteinte à la démocratie. La réforme envisagée constitue au contraire un progrès démocratique. » (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas l’avis de toutes les organisations syndicales !
M. Jean-Pierre Caffet. Madame Cohen, permettez-moi de terminer mon explication de vote ! Je poursuis ma lecture du rapport : « La démocratie ne se mesure pas au nombre d’élections proposées aux salariés, mais à leur cohérence d’ensemble. »
Ces propos, que j’ai tenus à la tribune, en m’inspirant du rapport, ont semblé vous scandaliser, mais ils ont bel et bien été tenus par la secrétaire nationale d’une grande confédération syndicale qui, elle, monsieur Desessard, est représentative. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Annie David. Nommez-la !
Mme Laurence Cohen. N’ayez pas honte, citez vos sources : c’est la CFDT !
M. Jean-Pierre Caffet. Et alors ? Elle n’est pas représentative ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. J’ai quelque peu l’impression que nous avons eu un débat théologique autour du principe de l’élection. À mon avis, il faut regarder ce qui se passe dans la vie réelle. Si nous comparions le nombre de candidats et le nombre de postes de conseillers prud’homaux à pourvoir, nous verrions que nous nous rapprochons plus d’une cooptation que d’une véritable élection telle que nous en connaissons dans la vie politique.
À cet égard – permettez-moi d’ouvrir une parenthèse à l’intention de nos collègues de la majorité gouvernementale, qui ont apporté leur soutien à la suppression d’élections politiques –, j’estime que revenir sur le panachage dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants est bien davantage de nature à priver de choix les citoyens, qui l’ont d’ailleurs très mal vécu !
J’en reviens au texte qui nous occupe. Le système proposé n’est pas parfait, mais il n’est pas aberrant non plus.
Nos collègues du groupe CRC ont avant tout fait référence à la position de l’une des organisations syndicales, mais, si l’on examine le point de vue des autres, force est de constater tout de même qu’un consensus s’est dégagé. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Annie David. Trois organisations sur cinq sont contre !
Mme Laurence Cohen. Votre présentation est malhonnête !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il faut tout de même raison garder.
Monsieur le ministre, je regrette qu’un certain nombre de questions soient néanmoins restées pendantes, notamment s’agissant des rumeurs de regroupement des sections ayant « le moins de travail » ou de la mesure de l’audience à prendre en compte au niveau soit territorial, soit national.
Toutefois, je ne voudrais pas terminer cette explication de vote sans saluer les femmes et les hommes qui s’engagent dans cette fonction de conseiller prud’homal, laquelle est exigeante et prend du temps, pour les représentants des salariés comme pour ceux des employeurs.
Mme Laurence Cohen. Et cela pour quelques euros de l’heure !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous sommes conscients que certains d’entre eux sont à bout, le mandat ayant tendance à s’allonger, avec des conditions de travail qui semblent « se durcir » entre collègues. Il nous faut éviter de laisser cette situation s’aggraver, car les conseils de prud’hommes doivent avant tout s’attacher à l’examen de chaque dossier individuel au fond. Chacun doit sortir de ses postures, ce qui est aussi l’objectif de ce texte.
Comme je l’avais annoncé lors de la discussion générale, le groupe UMP s’abstiendra sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mon explication de vote sera simple. Tout à l’heure, au cours de la discussion générale, j’ai indiqué que le groupe UDI-UC voterait pour ce texte.
Je tiens aussi à dire solennellement, dans le droit fil des discussions que nous venons d’avoir, que nous ne remettons évidemment pas en cause l’institution du conseil des prud’hommes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il s’agit ici du mode d’élection des conseillers prud’hommes. Or, malheureusement, la démonstration vient d’être faite que celui-ci était imparfait. Nous avons tous pu constater dans nos mairies le peu de participation que ces élections suscitent et les difficultés d’organisation qu’elles représentent.
Peut-être y avait-il d’autres organisations possibles ? Je veux bien l’entendre, et c’est la raison pour laquelle nous serons très attentifs, monsieur le ministre, au contenu de ces ordonnances, lesquelles ne seront pas simples à rédiger, d’un point de vue tant technique que réglementaire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
À l’expérience, nous verrons si la démocratie sociale n’y gagne pas réellement, car s’il y a bien des élections qui sont représentatives de toutes les forces sociales dans le pays, ce sont bien les élections professionnelles, telles qu’elles sont organisées aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Pour reprendre la discussion sur les organisations syndicales et répondre au reproche qui nous est fait de ne prendre en considération qu’un seul syndicat parmi ceux qui ont été auditionnés, je vous invite à mon tour, comme l’a fait notre collègue Jean-Pierre Caffet, à lire le rapport de Jacky Le Menn, qui est très complet et qui reprend l’ensemble des auditions que nous avons organisées.
J’ai participé à ces séances et je puis vous dire que, sur les cinq organisations syndicales salariales, deux ont manifesté leur accord pour aller vers une désignation ; une a fait connaître ses réticences en déclarant, tout en prenant acte du choix du Gouvernement d’aller vers une désignation de la représentation prud’homale, qu’elle s’interrogeait sur le respect de la démocratie sociale ; enfin, les deux dernières nous ont fait savoir leur opposition à ce texte.
Par ailleurs, si les organisations syndicales patronales ont exprimé leur accord, d’autres syndicats, notamment de magistrats et d’avocats, ont montré leur désaccord avec ce mode de désignation. Je tenais donc à rétablir les faits et à rappeler qu’il y a plus d’une organisation qui est opposée à ce projet.
Quant au mode actuel d’élection, il est évidemment imparfait, et notre collègue Dominique Watrin a proposé des améliorations. En effet, cette élection attire moins de 30 % des électeurs inscrits, ce qui ne saurait être une source de satisfaction, et 5 % des demandeurs d’emploi seulement sont inscrits sur les listes électorales. Un important travail législatif restait donc à faire pour améliorer l’organisation des élections prud’homales.
Cependant, les législateurs que nous sommes ne doivent en aucun cas accepter que cette modification du mode de désignation des conseillers prud’hommes se fasse par voie d’ordonnance. Jean-Marie Vanlerenberghe a dit qu’il accorderait une attention extrême à la rédaction de cette ordonnance, mais nous en ferons autant, rassurez-vous, monsieur le ministre ! Toutefois, le texte du projet de loi indique bien que ces nouveaux conseillers prud’hommes seront désignés et non plus élus.
Quelles que soient les modalités d’organisation de cette désignation, nous ne pouvons en accepter le principe. Les collègues de mon groupe s’étant déjà exprimés, je ne reprendrai pas leurs arguments sur la nécessité de conserver une réelle représentativité à ces conseils de prud’hommes, dont le rôle reste essentiel à l’échelon national.
De notre point de vue, leur représentativité est différente de celle des organisations syndicales, mesurée en application des deux textes que nous avons adoptés en 2010 et en 2014 et qui sont relatifs respectivement aux organisations syndicales de salariés et aux organisations syndicales patronales. Monsieur le ministre, il nous semble qu’il s’agit de deux niveaux de représentativité différents : en recourant à une désignation sur la base de l’audience des organisations syndicales mesurée lors des élections professionnelles, vous niez la spécificité des conseillers prud’homaux.
J’ai retiré en séance le deuxième amendement de notre groupe relatif à la prorogation du mandat des conseillers prud’homaux en place, parce que nous espérions – peut-être sommes-nous de doux utopistes ! – un sursaut du Sénat, dans l’hypothèse où une majorité de nos collègues aurait adopté notre amendement de suppression de l’article 1er. Tel n’a pas été le cas, et nous le regrettons.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous sommes donc opposés à l’adoption de ce projet de loi, madame la présidente.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à la désignation des conseillers prud’hommes dans le texte de la commission, modifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 1 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 187 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 32 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
12
Respect des principes du code mondial antidopage dans le droit interne
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage (projet n° 677 [2013-2014], texte de la commission n° 738 [2013-2014], rapport n° 737 [2013-2014]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour aborder un sujet qui ne souffre aucune polémique partisane – l’adoption à l’unanimité de ce projet de loi d’habilitation par la commission en atteste, et j’en suis heureux.
Oui, le premier projet de loi que j’ai l’honneur de présenter devant vous est un projet de loi d’habilitation. J’aurais préféré qu’il en soit autrement, mais chacun comprend, je le crois, la nature spécifique de ce texte, qui consiste à adapter notre législation nationale au nouveau code mondial antidopage. La voie de l’ordonnance se justifie, parce que nous devons agir vite, avant le 1er janvier 2015, et parce que ce texte technique fait l’objet, me semble-t-il, d’un large consensus.
Il nous faut agir vite, car la France veut se montrer exemplaire dans la lutte contre le dopage, et je sais à quel point le Sénat s’est investi sur ces questions.
Notre pays s’est engagé à respecter les principes du code mondial antidopage en signant la convention internationale contre le dopage dans le sport de l’UNESCO du 19 octobre 2005, dont la ratification a été autorisée à l’unanimité par le Parlement.
Nous voulons évidemment respecter nos engagements internationaux, d’autant plus que Valérie Fourneyron, mon prédécesseur, a été investie, le 1er janvier 2013, par les États parties du Conseil de l’Europe pour les représenter au sein du comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage, l’AMA. Je saisis cette occasion pour saluer l’investissement de Valérie Fourneyron sur ces questions, ainsi que sa récente élection à la présidence du comité santé, médecine et recherche de l’agence.
Outre cette exigence de rapidité, le recours à l’ordonnance se justifie par la nature particulièrement technique de ce texte.
Les modifications apportées au code mondial antidopage ne corrigent pas l’économie générale de la lutte contre le dopage, mais visent à renforcer l’efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions : un équilibre entre prévention et répression. L’absence d’amendement sur ce texte tend d’ailleurs à montrer qu’il n’est pas l’occasion de revoir en profondeur notre législation.
Les dernières modifications du code mondial n’impliquent pas systématiquement de rectification législative, mais elles en entraînent tout de même un certain nombre de corrections – sept principalement – à effectuer en priorité, que je souhaite vous présenter dans les meilleurs délais.
La première priorité est l’aide substantielle à la découverte d’infractions.
La commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, dont le rapporteur était Jean-Jacques Lozach, que je salue, a bien montré que l’avenir de la politique de la lutte contre le dopage résidait dans l’utilisation de modes de preuves non analytiques.
Demain, les témoignages et les échanges d’informations seront au moins aussi importants que les contrôles urinaires ou sanguins. L’affaire Lance Armstrong, que chacun a en mémoire, a montré que ce sportif avait été sanctionné avant tout sur la base de témoignages confondants d’anciens coéquipiers et soigneurs.
Pour faciliter les enquêtes, le nouveau code mondial élargit ainsi les possibilités d’aménager les sanctions des sportifs.
Il s’agit d’encourager les sportifs, mais aussi tous les autres acteurs, à fournir ce que l’on appelle « une aide substantielle » permettant de découvrir une violation des règles antidopage ou une infraction pénale. À cette fin, des sursis seront autorisés en fonction de la nature et de la qualité de la coopération des sportifs. Aujourd’hui, le code du sport ne prévoit pas de disposition mettant en œuvre ces stipulations du code mondial antidopage. Il devra donc être modifié dans ce sens.
La deuxième priorité est la délivrance des autorisations à usage thérapeutique.
Aujourd’hui, seules les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage, les ONAD, sont habilitées à délivrer des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques pour les sportifs relevant de leur champ. Avec le nouveau code mondial, les organisations responsables de grandes manifestations auront également cette compétence.
La troisième priorité est l’allongement du délai de prescription. C’est une évolution importante, qui aura des conséquences sur notre code du sport : le délai de prescription des actions disciplinaires, qui était de huit ans, est désormais porté à dix ans. Cela permettra d’utiliser au mieux les nouvelles techniques d’analyse sur les échantillons prélevés dans des compétitions antérieures.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la peur du gendarme, en l’occurrence celui du futur, est l’un des outils pour sécuriser les manifestations au présent. Le CIO s’attache ainsi à conserver de très nombreux prélèvements pour des analyses postérieures régulières.
La quatrième priorité est l’interdiction intimée aux sportifs de solliciter des personnes ayant fait l’objet de sanctions. Le code mondial et notre code du sport identifient les infractions qui peuvent être commises par les sportifs : détenir ou tenter de détenir, sans raison médicale dûment justifiée, une ou plusieurs substances ou méthodes interdites ; utiliser ou tenter d’utiliser une ou des substances ou méthodes interdites ; participer ou tenter de participer à un trafic.
Une autre infraction est prévue par le nouveau code mondial : s’associer à une personne qui a fait l’objet d’une sanction prononcée par une fédération ou une organisation nationale de lutte antidopage, ou encore à titre pénal. Là encore, c’est essentiel dans la prévention du dopage.
Trop de sportifs ont encore, dans leur encadrement, des personnes qui font ou ont fait l’objet d’une sanction antidopage. Cela ne peut pas durer et les fédérations doivent pouvoir prévenir ce type d’associations dangereuses entre sportifs et dopeurs. Le code du sport devra être modifié pour intégrer, à l’article L. 232-9, cette évolution.
La cinquième priorité est la création d’une nouvelle infraction : la complicité en matière de trafics de substances ou méthodes dopantes. Le nouveau code mondial antidopage 2015 crée une nouvelle infraction destinée aux personnes qui se seront rendues complices, soit d’un sportif qui a détenu ou tenté de détenir, a fait usage ou tenté de le faire, d’une méthode ou substance interdite, ou s’est soustrait ou a tenté de se soustraire à un contrôle, soit d’une personne qui a participé ou tenté de participer à un trafic.
La complicité est entendue dans le code mondial comme l’assistance, l’incitation, la contribution, la conspiration, la dissimulation ou toute autre forme de relation qui revêt un caractère intentionnel, conduisant à une violation ou une tentative de violation des règles antidopage. La sanction possible est comprise entre deux ans et quatre ans de suspension en fonction de la gravité de l’infraction.
La sixième et avant-dernière mesure à transposer concerne l’implication des fédérations sportives nationales et du personnel d’encadrement du sportif dans les enquêtes menées par l’Agence française de lutte contre le dopage.
Avec le nouveau code mondial, les fédérations internationales sont tenues d’exiger des fédérations nationales qu’elles communiquent à leur organisation nationale de lutte antidopage, ainsi que, naturellement, à la Fédération internationale, toute information sur une violation d’une règle antidopage et qu’elles coopèrent aux enquêtes menées par l’ONAD ou la Fédération internationale.
Le code du sport intégrera, par conséquent, une nouvelle disposition législative imposant aux fédérations sportives de signaler à l’Agence française de lutte contre le dopage et à la Fédération internationale dont elles relèvent tout manquement aux dispositions relatives à la lutte contre le dopage.
Là encore, il s’agit à la fois d’améliorer l’échange d’informations et de protéger le sportif d’un entourage potentiellement dangereux, potentiellement néfaste. La coopération de tous est la clef de la réussite de la lutte contre le dopage.
La septième et dernière mesure concerne les contrôles antidopage effectués au domicile du sportif entre 21 heures et 6 heures du matin. Contrairement à la réglementation en vigueur, le code mondial prévoit désormais que « tout sportif peut être tenu de fournir un échantillon à tout moment et en tout lieu ».
Cette disposition implique la possibilité pour les personnes habilitées à procéder aux contrôles d’accéder au domicile du sportif, notamment de 21 heures à 6 heures du matin. L’évolution de l’article L. 232-14 du code du sport qui s’ensuivra devra donc s’opérer dans le respect du principe constitutionnel de l’inviolabilité du domicile.
Ce sujet est délicat juridiquement et nous impose des consultations complémentaires. Dès que celles-ci seront abouties, je m’engage à ce que le projet d’ordonnance soit transmis pour information aux parlementaires.
Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales évolutions qu’entraînera l’ordonnance. Elles ne devraient pas susciter de controverse. En effet, quelle que soit la travée sur laquelle nous siégeons, nous nous accordons pour considérer que le dopage est un danger sanitaire et un fléau moral. Ces dispositions, qui visent à lutter plus efficacement contre cette dérive, vont dans le bon sens. Les sportifs doivent être protégés, du haut niveau jusqu’aux amateurs, des amateurs jusqu’au haut niveau.
D’autres mesures sont prises parallèlement, dans le même objectif.
À la suite des préconisations du rapport d’enquête du Sénat sur l’efficacité de la lutte contre le dopage publié en juillet 2013, les anciens correspondants régionaux sont désormais des correspondants interrégionaux antidopage, ou CIRAD, au nombre de treize.
Ils sont spécialisés et uniquement affectés à la lutte contre le dopage. Ils sont au cœur de l’échange d’informations entre les acteurs de l’antidopage : autorités sportives, de lutte contre le dopage, de police ou de gendarmerie, aux échelons national et international.
En matière de dopage, le sentiment de défiance est un ogre qui se nourrit de chaque affaire, de chaque manquement, de chaque suspicion. Il est insatiable et, plus il mange, plus il forcit ! L’objectif de cette transposition est de le mettre à la diète.
Dans tous les domaines, nous devons mettre en place les règles et les procédures qui rassurent nos concitoyens quant au respect des valeurs de justice et de probité, a fortiori par ceux dont la fonction ou la popularité confie une responsabilité supplémentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que vous adopterez ce texte à l’unanimité et que je pourrai rapidement revenir devant la représentation nationale avec un projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE. – M. Claude Kern applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a déposé au début du mois de juillet dernier un projet de loi l’habilitant à prendre les mesures relevant du domaine de la loi, mesures nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du nouveau code mondial antidopage.
Ce nouveau code a été adopté lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport qui s’est tenue en novembre 2013 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il s’agit de la troisième version de ce code, qui a été adopté pour la première fois en 2003. Il est prévu qu’elle entre en vigueur le 1er janvier 2015.
Ce projet de loi, que votre commission de la culture, de l’éducation et de la communication a examiné le 16 juillet dernier, pose un certain nombre de questions. En premier lieu, quelle est la portée juridique de cette nouvelle version du code mondial antidopage ? Faut-il la transcrire dans notre droit interne et, dans l’affirmative, dans quel délai ? En deuxième lieu, quels sont les apports de ce nouveau code mondial antidopage ? En troisième lieu, quels sont les éventuels risques que pourrait présenter ce texte ? Enfin, quelles sont les principales dispositions qui devraient figurer dans l’ordonnance et quelle a été la position de votre commission à l’issue de l’examen de ce projet de loi ?
En ce qui concerne, tout d’abord, la portée du nouveau code mondial antidopage et la nécessité de le transcrire dans notre ordre juridique interne, il convient de rappeler que le statut du code mondial antidopage est particulier, puisque, selon les termes mêmes de la convention internationale de lutte contre le dopage dans le sport signée à Paris le 19 octobre 2005 et ratifiée par la loi n° 2007-129 du 31 janvier 2007, « les États parties s’engagent à adopter des mesures appropriées [...] conformes aux principes énoncés dans le code mondial antidopage » et « à respecter les principes énoncés dans le code ». Cela signifie que le texte du code ne fait pas partie intégrante de la convention et ne crée aucune obligation contraignante en droit international pour les États parties.
Concernant les délais de transcription, cela signifie également qu’il n’y a pas d’obligation pour la France de transcrire dans son droit interne les dispositions nouvelles du code mondial antidopage au 1er janvier 2015, date de son entrée en vigueur.
On peut rappeler à cet égard que, dans le passé, le législateur n’a pas hésité à surseoir à la transcription des précédentes versions du code. Ainsi, la version du code entrée en vigueur le 1er janvier 2009 n’est devenue pleinement effective que deux ans plus tard, à la suite de l’adoption de l’ordonnance du 14 avril 2010 et à la publication du décret du 13 janvier 2011.
Si la transcription du nouveau code n’est donc pas une obligation juridique, elle n’en demeure pas moins, à nos yeux, une nécessité politique, et j’oserai même dire éthique, morale, déontologique.
La lutte contre le dopage est devenue une nécessité universelle, ne serait-ce que pour protéger nos propres sportifs à la fois d’une concurrence déloyale et de la tentation de se délocaliser sous des cieux moins regardants. L’exemplarité de la France et de l’Europe dans l’application des règles internationales constitue la meilleure garantie pour inciter l’ensemble des autres pays signataires de la convention de 2005 à être eux-mêmes irréprochables.
La transcription des principes du nouveau code antidopage en droit français apparaît d’autant plus nécessaire que la France accueillera le mois prochain sur son sol le comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage, comité auquel appartient, comme représentante de l’Europe, Valérie Fourneyron, ancienne ministre en charge des sports.
Après avoir évoqué la question de la portée du nouveau code et de son délai de transcription, j’en arrive à l’interrogation concernant son intérêt et ses apports. À ce sujet, on peut observer que les modifications apportées au nouveau code mondial ne changent pas l’économie générale du dispositif, mais visent, selon l’exposé des motifs du projet de loi, à « renforcer l’efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité ».
Les modifications apportées sont trop nombreuses pour être toutes citées. La plupart sont d’ailleurs très techniques et ne nécessitent pas de transcription législative.
Mes chers collègues, permettez-moi néanmoins d’évoquer devant vous quelques-unes de ces dispositions, qui illustrent bien, à mon sens, les progrès qui ont été accomplis et l’intérêt de transcrire ce nouveau dispositif.
Concernant tout d’abord les périodes de suspension, un consensus s’est dégagé pour considérer que les tricheurs intentionnels devaient être suspendus pour une période de quatre ans. Ce principe prévu par l’article 10.2 devient donc la norme, sauf si le sportif peut établir que la violation des règles n’était pas intentionnelle.
Le nouveau code mondial antidopage met ensuite l’accent sur l’importance croissante des enquêtes et sur le recours aux renseignements pour lutter contre le dopage.
Plusieurs articles du nouveau code sont ainsi modifiés pour favoriser la coopération et les échanges d’informations entre les différentes institutions qui concourent à cette lutte. On met en particulier l’accent sur les preuves non objectives, non scientifiques, comme les témoignages, les enquêtes de police et de gendarmerie, le rôle des sportifs repentis, l’action de divers organismes, en particulier celle de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, l’OCLAESP. En bref, il s’agit d’aller bien au-delà des seuls contrôles. Je crois que, en la matière, nous avons su tirer les enseignements de l’affaire Armstrong.
N’oublions pas, en effet, que jamais Lance Armstrong n’a été contrôlé positif, tout au moins officiellement, et que ce sont surtout des témoignages qui ont conduit au dénouement de cette affaire en janvier 2013.
Enfin, le délai de prescription a été porté à dix ans, contre huit ans dans le code actuel, afin de tenir compte du fait qu’il faut aujourd’hui beaucoup de temps pour découvrir des programmes de dopage sophistiqués.
Une autre priorité du nouveau code concerne la mise en cause du personnel d’encadrement du sportif impliqué dans le dopage. Le nouveau code sanctionne ainsi les « associations interdites », termes qui désignent le fait pour un sportif de s’associer à des encadrants suspendus ou condamnés pour des faits en lien avec le dopage.
Un point essentiel concerne également la recherche d’un meilleur équilibre des rôles entre les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage, les ONAD.
Ce point aurait sans doute mérité des développements plus importants en vue de reprendre, par exemple, les propositions formulées par la commission d’enquête sénatoriale sur le dopage, laquelle a rendu son rapport en juillet 2013. Je remercie d’ailleurs M. le ministre d’avoir mentionné ce rapport à plusieurs reprises.
Dans les faits, les prérogatives des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage ne sont pas significativement modifiées.
On peut toutefois mentionner que le nouveau code ouvre la possibilité pour une ONAD d’effectuer des contrôles en dehors des lieux des manifestations organisées par une fédération internationale ou par une organisation responsable de grandes manifestations. Sur ce point, il existe une réelle marge de progression. Mon sentiment personnel est d’ailleurs le même pour ce qui concerne le secteur de la prévention en général, ainsi que le rôle des organisations nationales antidopage.
Au final, comme je vous le disais, les avancées sont réelles, même si elles ne sont pas révolutionnaires.
Il en est autrement des risques juridiques attachés à ce nouveau code, qui ont été soulignés tant par l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD, que par le Conseil d’État. Ces risques constitutionnels, qui justifiaient toute l’attention de notre commission, sont de trois ordres et d’importance différente.
Le premier problème tient à la compétence reconnue par le nouveau code au tribunal arbitral du sport, le TAS. Comme l’indique de manière constante le Conseil d’État, il n’est pas possible de soumettre au contrôle d’une autorité internationale les décisions d’autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique, qu’il s’agisse d’instances disciplinaires des fédérations sportives ou de l’Agence française de lutte contre le dopage.
Cette difficulté était déjà présente dans les précédentes versions du code et une solution « équivalente » en termes de garanties a été trouvée, consistant à ouvrir à l’Agence mondiale antidopage, l’AMA, et aux fédérations internationales la possibilité de contester, devant la juridiction administrative, les décisions prises en matière de sanction du dopage par les instances fédérales ou par l’AFLD. L’ordonnance ne devrait donc pas transcrire dans notre droit cette disposition concernant la compétence du tribunal arbitral du sport.
La deuxième difficulté est peut-être plus sérieuse, puisqu’elle a trait à l’automaticité des sanctions prévue par l’article 10 du nouveau code mondial antidopage, automaticité qui vient heurter le principe d’individualisation des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pour contourner cet obstacle, le Conseil d’État a estimé dans son avis que les dispositions du nouveau code devaient « être lues comme permettant d’instaurer un régime de sanction maximale », ce qui conduit à éviter tout risque d’inconstitutionnalité.
Le dernier problème est le plus considérable, puisqu’il concerne l’obligation faite par le nouveau code à tous les sportifs de se rendre disponibles pour des contrôles « à tout moment et en tout lieu ».
Si l’on comprend bien l’intérêt de ce principe de totale disponibilité pour éviter des pratiques dopantes en dehors des temps de la compétition effective, force est de reconnaître qu’il heurte de front deux principes essentiels de notre droit : l’inviolabilité du domicile, qui est constitutionnellement garantie entre vingt et une heures et six heures, et le droit au respect de la vie privée, lequel est reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme.
L’exposé des motifs, comme le texte même du projet de loi, se contente de mentionner que la transcription devrait se faire dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels, une précaution qui a été ajoutée par le Conseil d’État, mais qui reste à notre sens un peu vague. J’ai donc demandé au Gouvernement de plus amples informations sur le dispositif envisagé pour transcrire cette mesure, en laissant entendre que nous ne pouvions nous satisfaire d’un engagement trop flou sur le respect des principes constitutionnels.
Je dois saluer, à cet égard, la qualité des échanges que nous avons eus avec le cabinet du ministre et l’administration du ministère des sports. Ils ont permis que me soit transmis l’avis du Conseil d’État, lequel fixe le cadre précis de la transcription que le Gouvernement s’est engagé à respecter.
Le dispositif qui figurera dans l’ordonnance devrait ainsi prévoir que le contrôle après vingt et une heures ne pourra avoir lieu qu’avec le consentement du sportif. Je rappelle que nous sommes en l’occurrence en dehors de toute procédure judiciaire concernant, par exemple, le trafic de produits illicites ; il s’agit simplement d’un contrôle relatif à la lutte antidopage.
Ce dispositif prévoit également que le contrôle devra se limiter au prélèvement d’échantillons et qu’il devra garantir une proportionnalité entre les atteintes portées aux droits des sportifs, par exemple le droit à l’intimité, et les enjeux liés à la lutte contre le dopage.
Cette triple garantie permet, à mon sens, de lever toute inquiétude sur la constitutionnalité du dispositif et, ce faisant, sur l’ensemble de l’ordonnance à venir, les autres dispositions législatives ne posant pas de difficulté particulière.
Par ailleurs, la future ordonnance modifiera également le code du sport afin de prévoir l’extension du champ des institutions susceptibles d’accorder des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques, les AUT, la création d’une nouvelle infraction relative à la complicité en matière de trafics de substances ou de méthodes dopantes, l’implication des fédérations sportives nationales et du personnel encadrant dans les enquêtes menées par les organisations nationales antidopage.
Comme vous pouvez le voir, le nouveau code antidopage comporte un certain nombre d’avancées et les quelques risques, réels, qu’il pouvait comporter sur le plan juridique ont été dûment circonscrits. Votre commission a donc adopté cet article unique et ce projet de loi.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette question du dopage, nous sommes au cœur de la dimension déontologique du sport, donc au cœur d'un ensemble d’enjeux d’équité sportive, d’égalité des chances devant la performance sportive, de santé publique, mais aussi au cœur d’enjeux éducatifs, en particulier dans le domaine de la prévention, et économiques considérables ; je vous rappelle en effet que le sport représente un chiffre d’affaires mondial de l’ordre de 500 milliards d’euros, soit l’équivalent du PIB de la Suisse ou de la Suède, avec une croissance moyenne de 4 % par an. Enfin, ces enjeux sont également diplomatiques : on voit que le sport est très souvent utilisé, pour ne pas dire instrumentalisé, à des fins géopolitiques.
Face à ces enjeux, il nous faut construire une régulation éthique et financière forte. Il convient de rendre au sport toute sa place dans le débat public et politique, y compris en l’appréhendant à travers ses avatars et ses déviances, comme le dopage. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, puisque l’occasion m’en est donnée, de rendre un hommage appuyé à notre collègue Marie-Christine Blandin, à laquelle je succède et qui a présidé pendant trois ans notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Je tiens à saluer son implication, sa disponibilité et son souci permanent de faire vivre le débat au sein de notre commission ; la préparation de ce projet de loi en est un bon exemple. Je veux également souligner sa volonté d’associer tous les membres de cette commission au travail législatif. Tout cela constituera pour moi un modèle à suivre.
Monsieur le ministre, le projet de loi qui est examiné aujourd’hui par le Sénat issu des élections du 28 septembre dernier a d’abord été étudié par notre commission de la culture, en juillet dernier, dans une autre configuration. Il s’agit, comme cela vient d’être rappelé, d’un texte important, puisqu’il vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi, afin d’assurer le respect dans le droit interne des principes du nouveau code mondial antidopage.
Comme vient de nous le rappeler notre rapporteur, il y avait une certaine urgence à légiférer, pour des raisons non pas tant juridiques que sportives, puisque la France devrait accueillir prochainement le Comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage. Il était bien sûr important que nous montrions l’exemple ; c’est tout le sens de cette première lecture au Sénat, et nous partageons cet objectif.
Si nous devons légiférer dans l’urgence, c’est aussi parce que le Gouvernement a renoncé, jusqu’à présent, à déposer au Parlement un véritable projet de loi d’orientation sur le sport. Maintes fois annoncé depuis 2012, ce texte aurait permis de traiter de nombreux aspects de notre politique de lutte contre le dopage au-delà du périmètre, par nature limité, de la transposition en droit français du nouveau code mondial antidopage. Permettez-moi, monsieur le ministre, de regretter cette occasion manquée.
Je ne reviendrai pas sur la présentation que vient de faire le rapporteur, notre collègue Jean-Jacques Lozach, des conclusions auxquelles nous sommes arrivés. Je souhaite plutôt évoquer les conditions dans lesquelles nous avons travaillé, ainsi que l’état d’esprit qui est le nôtre en ce début de session et auquel nous resterons fidèles à l’avenir.
Le rôle du Sénat est d’abord d’être un bon législateur, et nous serons attentifs à examiner les projets de loi en ayant comme seule boussole l’intérêt général et la constance dans la défense de nos principes.
En l’espèce, vous savez que le Sénat a toujours été très engagé dans la lutte contre le dopage, qui doit constituer pour nous une priorité. Nous ne changerons pas d’avis à l’avenir et vous pouvez compter sur les sénateurs afin de vous apporter tout le soutien nécessaire pour continuer à renforcer, à la fois, les outils juridiques et les moyens à la disposition des services compétents pour défendre l’honneur et la vérité du sport.
En contrepartie – si j’ose dire, monsieur le ministre ! –, nous espérons également que vous serez attentif à accorder toute l’attention qu’ils méritent aux travaux du Sénat. Je pense en particulier à ceux de la commission d’enquête sur le dopage dont Jean-Jacques Lozach était le rapporteur et Jean-François Humbert le président. Celle-ci a rendu en juillet 2013 un rapport très remarqué, assorti de nombreuses propositions qui, pour l’essentiel, restent encore à mettre en application.
Nous formons le vœu que les travaux du Sénat, qui illustrent la diversité politique de notre assemblée, mais également des convictions partagées, puissent être mieux pris en compte par le Gouvernement. En effet, c’est essentiel pour que le bicamérisme demeure une force pour nos institutions.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Concernant le sport, le Sénat est convaincu qu’il s’agit à la fois d’un secteur d’excellence, dans lequel notre pays doit investir davantage en se dotant d’un modèle économique adapté, et d’une activité porteuse de valeurs et d’exemplarité qu’il convient de défendre.
Vous le savez, mes chers collègues, il n’est jamais facile pour le Parlement de se dessaisir de son pouvoir législatif pour le confier, même temporairement, au Gouvernement, et ce d’autant plus que cette ordonnance devrait comporter des dispositions qui ne seront pas sans conséquence sur l’exercice de certaines libertés publiques, un domaine dans lequel le Sénat considère avoir une responsabilité particulière.
Toutefois, il nous a semblé que la qualité de nos échanges sur ce texte dans le cadre de la préparation de son examen en commission, comme le souci qui est le nôtre de travailler avec vous de manière intelligente, justifiait que le Sénat adopte ce projet de loi.
À cet égard, je souhaite remercier notre rapporteur d’avoir veillé à ce que le Gouvernement s’engage sur les garanties que nous souhaitions que l’ordonnance comporte pour être pleinement conforme aux principes de notre droit. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer les nouveaux venus dans cet hémicycle, notamment ceux que nous voyons pour la première fois.
Par ailleurs, qu’il me soit permis de souligner ce que d’autres rappelleront sans doute après moi et qui a été anticipé par M. le ministre : les parlementaires n’aiment pas se dessaisir d’une de leurs deux prérogatives... C’est humain ! Néanmoins, si la forme de ce texte laisse à désirer, le fond nous convient, et il y a urgence à agir.
Le dopage est une pratique qui n’est plus admissible. Le sport professionnel doit être clean, sans dopage ni dopés. Les progrès de la chimie et des techniques modernes permettent de mettre en place des systèmes de plus en plus inventifs et nocifs pour la santé, et ce dans tous les pays.
La France se félicite souvent – à tort ou à raison – d’être précurseur dans la lutte contre le dopage. Il nous semble important ici de souligner à quel point les pratiques de dopage sont également liées à des pratiques et des économies mafieuses, via un usage détourné des médicaments et de la prescription médicale.
Aujourd’hui, la France ne relâche pas ses efforts et met tout en œuvre pour harmoniser les pratiques de lutte et les sanctions et mieux riposter face au dopage. C’est bien, mais, monsieur le ministre, il faut que les actes suivent, tout comme les moyens, notamment budgétaires. Il ne faut pas non plus oublier la prévention, ce qui est beaucoup plus compliqué.
Les règles de droit doivent pouvoir constamment s’adapter aux nouvelles pratiques du dopage, tout en respectant notre État de droit, comme l’a fort bien rappelé Mme la présidente de la commission.
Un point essentiel a retenu notre attention aujourd'hui : la question de l’harmonisation.
Si nous nous félicitons de la volonté d’harmonisation dont témoigne ce texte, quelles que soient les entités de lutte contre le dopage – les moyens de lutte, l’harmonisation des sanctions, la meilleure circulation des informations, la question des preuves, celle des échantillons, etc. –, nous notons également que la coopération entre les pays est extrêmement importante pour agir. En effet, le dopage ne connaît pas de frontières et utilise des réseaux qui couvrent différents pays.
Comme l’a souligné M. le rapporteur à l’instant, l’action en amont, c'est-à-dire la prévention, constitue un véritable enjeu. Elle commence selon nous dès le plus jeune âge, à l’école, dans les pratiques des clubs ou dans celles de l’Union nationale du sport scolaire, l’UNSS.
La pratique du dopage, si elle doit sans aucun doute être combattue, doit également remettre en question le modèle économique et social dans lequel évoluent nos sportifs, qu’ils soient professionnels ou amateurs. C’est peut-être la zone grise de ce texte.
En effet, s’il est clair que le dopage est essentiellement pratiqué en milieu professionnel, hélas ! on ne peut nier son existence – moindre, mais réelle – dans le sport amateur. Là aussi, nous sommes tous soumis à des injonctions contradictoires, puisque nous sommes prompts à nous précipiter dans les stades pour assister à des événements sportifs. On peut donc se demander si notre attitude en tant que spectateurs n’est pas un encouragement à des pratiques de dopage.
Pour le dire autrement, l’industrialisation depuis quelques années de l’économie du sport, qui attend toujours plus, toujours plus loin, qui enchaîne à un rythme effréné les compétitions, est une cause non excusable, mais très importante du dopage : on attend toujours plus de chaque sportif, essentiellement pour des raisons financières. Se posent donc en creux la question des droits de télévision et celle des paris sportifs, entre autres.
Très paradoxalement, le sport, élément de santé publique, devient destructeur pour la santé des sportifs dopés, pour les proches et les encadrants qui, hélas ! sont parfois complices de ce dopage. S’ensuivent des addictions, des conséquences médicales désastreuses, des dépendances médicamenteuses, dans certains cas même des suicides, ainsi que le suggère l’excellent rapport qui a déjà été cité.
Le dopage n’est pas simplement le jeu de quelques personnes qui veulent augmenter leurs performances. Il est le résultat d’un système économique dans lequel nous sommes tous collectivement un peu responsables.
C’est d’ailleurs peut-être le maillon faible de ce texte. S’il reconnaît que le dopage est une pratique qui ruine les fondements effectifs et symboliques du sport, ce projet de loi ne parviendra peut-être pas à enrayer les pratiques mafieuses, dont l’économie souterraine est extrêmement développée et protégée et qu’il n’est peut-être pas si simple de dénoncer.
Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il faut sortir du dopage que connaissent les sportifs de haut niveau. C’est pourtant peut-être un aboutissement de notre économie de la concurrence et de la compétitivité où, pour tenir, certains se dopent. Cela concerne, bien au-delà du sport, la vie économique, parfois la vie des spectacles, quelquefois même la vie tout court. C’est pourquoi nous espérons que ce texte permettra la mise en place d’armes plus efficaces pour lutter contre le dopage.
Par conséquent, même s’il partage les inquiétudes formulées par Mme la présidente de la commission et par M. le rapporteur, le groupe écologiste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre », disait Pierre de Coubertin. Cette vision émancipatrice du sport et des valeurs humanistes qu’il véhicule, nous la partageons. Pourtant, nous en sommes loin aujourd’hui.
L’argent a envahi le sport, le transformant en un spectacle et en une marchandise. La pression médiatique, les enjeux financiers, les calendriers sportifs toujours plus chargés, font des sportifs les victimes d’une surcompétition inhumaine, qui prend le pas sur le sport lui-même. Le sport financiarisé a ainsi perdu sa dimension éthique et généralisé le recours à la tricherie et au dopage.
Véritable problème de santé publique, le dopage est un fléau, contre lequel il faut lutter bien sûr, mais qu’il faut également prévenir. Pour ce faire, c’est en faveur d’une inflexion du fonctionnement et de la conception du sport lui-même qu’il faudrait œuvrer, sans se limiter à la sanction de la pratique répréhensible que constitue le dopage.
Nous avons toujours considéré ce problème avec la plus grande attention, puisque c’est bien la loi Buffet de 1998 qui a alors engagé la lutte contre le dopage...
M. Jean-Louis Carrère. C’est exact !
Mme Christine Prunaud. ... et ouvert la voie à une réflexion internationale débouchant sur la création de l’Agence mondiale antidopage et la création d’un code mondial antidopage.
Quinze ans plus tard, nous constatons que le dopage reste une pratique répandue et que la lutte engagée contre lui n’a pas pleinement porté ses fruits, malgré les progrès que nous avons pu noter. Il est donc important de renforcer les moyens engagés dans cette bataille, pour que, enfin, cette pratique recule significativement.
Nous ne sommes pas opposés au fond à ce projet de loi présenté aujourd’hui par le Gouvernement, puisqu’il transpose en droit français les actualisations du code mondial antidopage opérées depuis 2007.
Je n’entrerai pas dans le détail des dispositions prévues par ce « nouveau » code mondial : elles renforcent les moyens de la lutte contre cette pratique, entre autres en augmentant le délai de prescription, par exemple, ce qui permettra aux enquêtes souvent longues d’aboutir, en augmentant les périodes de suspension pour les tricheurs, mais aussi en prenant mieux en compte les principes de proportionnalité et des droits de l’homme dans la publicité des violations des règles antidopage.
Cependant, nous émettons plusieurs réserves concernant ce projet de loi.
La première d’entre elles concerne le caractère inconstitutionnel de certaines mesures prévues dans le code mondial antidopage : violations du principe d’individualisation des peines ou du droit au respect de la vie privée et du domicile, par exemple.
Certes, le Gouvernement affirme qu’il suivra les recommandations du Conseil d’État, qui préconise des adaptations pour rendre la transposition en droit français du code mondial antidopage conforme à la Constitution. Cependant, nous sommes contraints d’en rester aux déclarations de M. le ministre et ne pouvons en avoir la certitude.
En effet, la forme que prend ce projet de loi ne nous permet pas d’en avoir la garantie. Il s’agit d’une habilitation autorisant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour transposer le code mondial antidopage en droit français.
Alors qu’aucune urgence particulière ne le justifie,...
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. Si !
Mme Christine Prunaud. ... le Parlement est dessaisi de son pouvoir de légiférer et de son pouvoir de contrôle sur l’action du Gouvernement.
Nous avons toujours dénoncé le recours aux ordonnances, qui donnent une carte blanche au Gouvernement et constituent un déni de démocratie en bafouant les droits du Parlement, représentant du peuple et des collectivités territoriales.
C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur ce texte, estimant que les principes démocratiques doivent aujourd’hui plus que jamais être réaffirmés et que le Parlement ne peut être contourné, à plus forte raison quand entrent en jeu des principes constitutionnels. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rappelle la devise des jeux Olympiques qui guide le monde sportif, le spectacle doit aller toujours « plus vite, plus haut, plus fort ». Cette maxime devient d’autant plus impérieuse que les exigences s’accroissent sous l’effet de contraintes liées à des calendriers qui laissent peu de place à la récupération physique – pourtant vitale pour le corps –, à la forte médiatisation du sport et aux enjeux financiers considérables.
C’est ainsi que certains sportifs, ignorant les principes qui gouvernent l’éthique sportive, rompent sans hésiter l’égalité des armes lors des compétitions en ayant recours au dopage.
Or les scandales révélés après coup viennent ternir l’image du sport et font se briser en éclats l’émotion ressentie par les spectateurs. Ils offrent enfin un mauvais exemple aux sportifs professionnels en devenir et, surtout, aux sportifs amateurs, en particulier les plus jeunes, qui seront tentés, au cours de leur pratique, de mettre en péril leur santé.
Le nombre important de lois adoptées ces cinquante dernières années démontre l’ambition de la France en matière de lutte contre le dopage qui intègre non seulement les préoccupations d’éthique, mais aussi les enjeux de santé publique.
Toutefois, un cadre juridique, aussi complet soit-il, ne peut nous dispenser de recourir à la coopération internationale, qui, elle seule, est à même de sanctionner de manière efficace les infractions à l’éthique sportive et, surtout, de faire face à des systèmes organisés de dopage.
La création de l’Agence mondiale antidopage, l’AMA, en 2000, a répondu pertinemment à ce problème par l’établissement de règles communes à tous les États signataires, aujourd’hui réunies au sein du code mondial antidopage, dont la nouvelle version entrera en vigueur le 1er janvier prochain.
Si le sportif est responsable des substances ou méthodes qu’il utilise en vue d’améliorer ses performances, il n’en demeure pas moins soumis à des pressions externes insoutenables qu’il convient de contenir. À ce titre, la réforme du code mondial antidopage protège davantage le sportif.
Afin de le prémunir des pressions externes, la réforme du code inscrit l’association interdite à la liste des infractions. Ainsi, les sportifs ne pourront plus faire appel à des encadrants qui ont auparavant fait l’objet de sanctions pour non-respect des règles antidopage.
Dans le même sens, la réforme incitera les sportifs à dévoiler les pratiques dopantes dont ils ont connaissance avec la mise en place de nouvelles réductions de sanctions s’ils apportent une aide substantielle aux autorités antidopage dans la découverte d’autres infractions.
Afin d’améliorer la connaissance de ces pratiques, la coopération est favorisée avec l’obligation pour les fédérations nationales d’informer les organisations nationales antidopage et la fédération internationale d’éventuelles infractions.
Enfin, il convient de souligner la possibilité désormais offerte aux organisations nationales antidopage d’effectuer des contrôles en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales.
Dans un autre registre, la réforme renforce le caractère dissuasif des sanctions, avec une suspension pouvant désormais atteindre quatre ans en cas de violation intentionnelle des règles antidopage, au lieu de deux ans. Il s’agit de l’une des préconisations essentielles, à mon sens, de la commission d’enquête sénatoriale, au cours de laquelle notre rapporteur a entendu un grand nombre d’acteurs du monde sportif.
C’est sans aucun doute par une responsabilisation des sportifs et toujours plus de pédagogie que l’on doit répondre au recours au dopage.
Certes, notre rapporteur nous a mis en garde sur les difficultés liées à la non-conformité à la Constitution de certaines mesures très dissuasives, à savoir l’exigence de disponibilité du sportif à tout moment et en tout lieu en vue de réaliser des prélèvements – ces contraintes méconnaissant le principe de l’inviolabilité du domicile et du respect de la vie privée et du domicile –, l’automaticité de certaines sanctions et la compétence exclusive d’appel du tribunal arbitral du sport dans le cadre des manifestations internationales ou lorsque des sportifs de niveau international sont impliqués.
Nous le savons, le code mondial antidopage ne produisant pas d’effet contraignant, nos marges de traduction en droit interne restent entières, ce qui ne constitue pas une raison valable pour ne rien faire ou pour ne pas se soumettre, avec vigilance, au respect de ces principes.
Pour autant, il me semble que les atténuations proposées par le Conseil d’État ne sont pas de nature à nuire à l’efficacité de la lutte contre le dopage et qu’elles n’entraveront pas les apports consacrés par la réforme.
En dépit de ces avancées, du chemin reste encore à parcourir pour mieux garantir l’indépendance dans le contrôle, l’instruction des dossiers ou le prononcé des sanctions. Les contrôles sont insuffisants et rarement inopinés. En outre, ils se font souvent avec retard face aux progrès constants des méthodes de dopage. Il est donc nécessaire d’accélérer le déploiement, dans toutes les disciplines, du passeport biologique, qui permet de détecter des variations anormales des marqueurs biologiques, tels que le profil hématologique ou le profil stéroïdien.
Bien évidemment, le groupe RDSE ne peut que soutenir le respect des principes du code mondial antidopage et leur inscription dans notre législation. Il approuve donc à l’unanimité ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très heureux et très honoré d’intervenir pour la première fois dans cet hémicycle, sur un sujet qui, même s’il suscite un consensus entre les différents groupes, n’en est pas moins très important.
La lutte contre le dopage est en effet une question de protection de la santé et de la vie des sportifs. C’est aussi une question d’image à destination des plus jeunes, qui s’inspirent de plus en plus souvent de la « réussite » et de la vie de leurs idoles. C’est enfin et surtout une question d’éthique, car le dopage s’apparente à de la tricherie et à du mensonge. Nous devons lutter contre cela dans tous les domaines de la société. C’est notre rôle d’élu, c’est notre rôle de parlementaire.
Nouvellement arrivé, je n’ai naturellement pas pu participer aux travaux de notre commission sur ce projet de loi au début de l’été dernier. Je tiens néanmoins à saluer le travail de notre rapporteur, Jean-Jacques Lozach, dont le rapport s’inscrit dans le droit fil de celui qu’il avait rendu au nom de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, présidée à l’époque par notre ancien collègue Jean-François Humbert.
La richesse de ces deux rapports montre l’expertise que le Sénat a acquise dans le domaine de la lutte contre le dopage. C’est une véritable chance quand il s’agit de légiférer sur ces questions, parfois très techniques.
Permettez-moi donc, monsieur le ministre, de regretter la forme de ce projet de loi. Habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances constitue toujours pour nous un abandon de notre pouvoir de législateur. Nous ne le faisons donc jamais avec bonne volonté, surtout au sein du groupe centriste, car, pour nous, le rôle essentiel des parlementaires n’est pas de valider purement et simplement les propositions du Gouvernement ; il est au contraire de poser sur elles un autre regard, empreint d’une connaissance et d’une expérience différente.
Monsieur le ministre, nous souhaitons vivement que cette procédure juridique parlementaire soit le plus souvent évitée.
Comme je l’ai déjà dit, le Sénat s’est fait l’expert des questions de lutte contre le dopage. Jean-Jacques Lozach en est un très bon connaisseur. Dès lors, pourquoi ne pas nous avoir soumis directement toutes les mesures législatives d’adaptation du code mondial antidopage ? La venue du futur comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage en France le mois prochain ne justifie pas cette procédure à mon sens. Ce n’est qu’un affichage.
À titre de compensation, je vous propose, monsieur le ministre, de venir devant notre commission présenter votre prochaine ordonnance, et ce, naturellement, avant sa publication.
M. Jean-Louis Carrère. Voilà une bonne idée !
M. Claude Kern. Cela nous permettrait d’en débattre plus précisément et d’en connaître le fond juridique.
J’en viens désormais au fond du texte qui nous préoccupe aujourd’hui.
La lutte contre le dopage mérite de notre part une très grande attention. Fort heureusement, le débat sur le dopage est devenu public à mesure que la traque contre les tricheurs s’est accentuée. En conséquence, les comportements dans le milieu sportif ont commencé à évoluer et une prise de conscience a eu lieu. Les pouvoirs publics ont donc pu renforcer encore et toujours leur détermination dans ce domaine.
Malheureusement, les tricheurs ont presque toujours une longueur d’avance sur les pouvoirs publics et sur les organismes chargés de traquer les substances dopantes. Une coordination intense est donc nécessaire entre les États et entre les fédérations sportives. C’est une lutte de chaque instant, dans laquelle chacun doit se lancer et coopérer.
Telle est la mission que s’est fixée l’Agence mondiale antidopage depuis 1999. Notre rapporteur l’a rappelé, cette agence a depuis lors rédigé le code mondial antidopage, permettant d’harmoniser les règles applicables dans les différents États.
Malheureusement, nous ne sommes pas sur une matière stable. Il faut sans cesse faire évoluer ce code pour le faire correspondre au mieux à la réalité de la lutte contre le dopage. Nous en sommes donc aujourd'hui à la troisième version de ce code depuis sa première rédaction en 2003.
Il me semble légitime et positif que la France intègre très vite les nouvelles mesures dans sa législation, afin de montrer l’exemple dans cette lutte.
Je ne reviendrai pas sur les différentes évolutions du code mondial, que notre rapporteur a très bien décrites : des contrôles plus efficaces, des sanctions accrues et une meilleure coopération. Ces évolutions me semblent essentielles, comme la prise en compte des preuves indirectes, le meilleur partage des informations et l’amélioration des coopérations pour mieux repérer et sanctionner les tricheurs.
En matière de sanctions disciplinaires, l’augmentation du délai de prescription de huit à dix ans paraît également appropriée.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous interroger sur des propositions qu’avait avancées la commission d’enquête du Sénat, en particulier en matière de prévention et de recherche.
Au-delà du code mondial, les sénateurs avaient formulé dix-sept propositions en matière de prévention et d’éducation. Ils avaient notamment suggéré de transformer l’Agence française de lutte contre le dopage en Agence de prévention et de lutte contre le dopage. La visée concrète était de s’inscrire beaucoup plus en amont du processus de lutte contre le dopage.
Monsieur le ministre, qu’en est-il de ces propositions et quel budget pouvez-vous consacrer à la prévention ?
Par ailleurs, le rapport de la commission mettait aussi l’accent sur la recherche et l’accumulation de connaissances en matière de dopage. La preuve en est le premier pilier du rapport, intitulé « Connaître ». Nous constatons tous que, à l’inverse, la recherche n’est qu’assez peu traitée dans le code mondial antidopage. Monsieur le ministre, quelle est l’ambition du Gouvernement dans ce domaine ?
Le projet de loi que vous nous présentez sous forme d’une simple ordonnance n’est sans doute pas suffisant. Un autre texte sera sûrement nécessaire pour reprendre toutes les propositions des sénateurs.
Avant de conclure, j’aimerais évoquer un sujet que nous passons trop souvent sous silence : le dopage intellectuel. Nous parlons bien sûr très facilement du dopage dans le monde sportif. En revanche, nous oublions à mon avis d’aborder le dopage qui touche les étudiants, les cadres, les dirigeants d’entreprise, et même les politiques.
Ce phénomène s’amplifie avec, comme objectif, le culte de la performance intellectuelle et la réussite, que ce soit à des examens, à des concours ou dans la vie professionnelle.
Pour y parvenir, on n’hésite plus à recourir à toutes sortes de substances, produits, vitamines, médicaments, parfois en les détournant de leurs indications pour un usage de confort. Il s’agit d’être plus fort à tout prix, et surtout d’éviter l’échec.
Ainsi, à l’approche des examens, les devantures des officines se parent de boîtes magiques. Selon une enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante réalisée en 2006 sur la consommation de remontants ou de stimulants, un étudiant sur cinq déclare prendre des substances qui permettraient d’agir sur ses capacités intellectuelles.
Selon l’Observatoire encore, les étudiants des filières médicales sont les plus friands de ces pratiques dopantes – elles concernent 25 % d’entre eux –, devant les classes préparatoires aux grandes écoles – 22 % – et les élèves en sciences politiques et en droit – 20 %. Ils consomment des cocktails de vitamines, des stimulants, des tranquillisants ou encore des bêtabloquants.
La plupart des médicaments utilisés sont légaux et sont surtout vendus librement en pharmacie. Toutefois, le plus grave, c’est le développement de la vente sur internet de substances totalement illégales en France. C’est dans ce domaine qu’il faudrait intervenir en tant que législateur.
La plus grande difficulté, comme dans le sport, est naturellement de définir les substances dopantes, ainsi que les quantités qui seraient dangereuses pour ceux qui les absorbent. Certes, c’est un autre travail, mais je tenais à évoquer cette question dans ce débat, afin qu’il ne se limite pas au sport.
En conclusion, malgré ses réserves sur le recours à une ordonnance, et compte tenu de l’importance de la lutte contre le dopage, le groupe UDI-UC votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe écologiste. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai mon propos en rappelant que ce projet de loi, qui contribue à assurer la cohérence de notre dispositif de lutte contre le dopage avec le droit international, va dans le bon sens.
Il appartient en effet à notre pays, qui depuis plusieurs années joue un rôle de leader dans la lutte contre le dopage sur la scène internationale, de montrer l’exemple en respectant les délais prescrits.
Je rappelle que, peu avant l’adoption de cette troisième version du code mondial en novembre 2013, la Haute Assemblée avait publié un rapport d’information visant à prendre une longueur d’avance dans la lutte contre le dopage.
Une commission d’enquête s’était en effet emparée du sujet, présidée par le sénateur Jean-François Humbert et dont le rapporteur était notre collègue Jean-Jacques Lozach.
Ayant participé à cette commission d’enquête, je tiens à témoigner du travail considérable effectué en cinq mois : organisation de tables rondes, de plusieurs déplacements et d’un grand nombre d’auditions, dont les retransmissions ont été particulièrement suivies.
Ce rapport, reconnu pour sa qualité par le Gouvernement et les professionnels du sport, visait à dresser un état des lieux du dopage, à faire le bilan de la lutte antidopage et à formuler des propositions à l’échelon tant national qu’international.
Soixante propositions ont ainsi été adoptées, à l’unanimité. Elles portent sur la connaissance des risques encourus, mais aussi sur la réalité du trafic de produits dopants, sur le développement de la prévention et de la sensibilisation des sportifs amateurs, sur l’organisation des contrôles à l’échelle interrégionale, sur les sanctions et sur la politique pénale concernant la détention de produits dopants.
Je ne détaillerai pas l’ensemble des nouvelles dispositions du code mondial antidopage, qui vont toutes dans le bon sens, puisque notre rapporteur vient de nous les présenter en précisant les difficultés juridiques que quelques-unes d’entre elles viennent résoudre.
Je souhaite cependant m’attarder sur certaines d’entre elles, à la lumière des pistes que nous avions émises dans notre rapport d’enquête.
Ainsi, je dirai quelques mots concernant la question des sanctions. Le code mondial antidopage prévoit une suspension de quatre ans, au lieu de deux actuellement, en cas de dopage intentionnel. Nous avions retenu cette durée dans notre rapport, mais pour la prise de produits dopants lourds. Le code va donc plus loin, et je m’en réjouis, car ce délai aura un effet dissuasif.
Le code mondial porte également le délai de prescription des actions disciplinaires à dix ans, au lieu de huit actuellement. Il réprime la complicité en matière de trafic de substances ou de méthodes dopantes. Cette nouvelle infraction est passible d’une peine de deux à quatre ans de suspension.
Une autre infraction est également créée : l’association avec un membre du personnel encadrant qui aurait déjà fait l’objet d’une sanction.
Ce renforcement des sanctions va donc dans la bonne direction et contribuera à la prévention du dopage.
En ce qui concerne les propositions de notre commission d’enquête, je rappelle que nous recommandions, monsieur le ministre, une réforme législative globale en matière de sanctions disciplinaires.
Notre principale recommandation était d’opérer un transfert du pouvoir de sanction des sportifs des fédérations nationales à l’Agence française de lutte contre le dopage, qui statuerait en première instance, avec possibilité d’appel auprès du Conseil d’État.
Ce transfert permettrait de mettre fin aux risques de conflits d’intérêts pesant sur les fédérations, qui sont actuellement placées dans la position de juge et partie à l’égard de leurs sportifs. Leur pouvoir de sanction les place en effet dans la situation délicate de prononcer des peines dont pourrait durablement pâtir le sport qu’elles doivent aussi promouvoir !
Dans ce transfert, nous proposions que les fédérations restent néanmoins responsabilisées sur leur cœur de mission, à savoir la prévention. Il me semble que cette proposition marquerait une grande avancée dans la lutte contre le dopage. Ce raisonnement vaut également pour le contrôle antidopage.
Lors de grands événements sportifs organisés au niveau international, les exemples ne manquent pas de fédérations internationales ayant omis de révéler des scandales du dopage.
Comme vous le savez, la répartition des compétences des différentes autorités antidopage pouvant effectuer des contrôles lors des compétitions n’a pas évolué depuis l’adoption du premier code mondial antidopage en 2003.
Ainsi, lors des manifestations internationales, la collecte d’échantillons est engagée et réalisée par les organisations internationales.
Des contrôles additionnels peuvent être réalisés par l’organisation nationale antidopage, ou ONAD, mais à la condition que l’organisation internationale compétente donne son accord, ou, à défaut, l’Agence mondiale antidopage.
L’intervention de l’ONAD présente l’avantage de faire intervenir un acteur national, qui aura moins de scrupules qu’une fédération internationale à divulguer des contrôles positifs.
Certes, la compétence des fédérations internationales se justifie par la nécessité d’assurer des conditions égales à l’échelle internationale, au sein d’une même discipline, mais nous retrouvons le problème de conflits d’intérêts dont je viens de parler, ces fédérations pouvant hésiter à porter atteinte à leur image et leur réputation.
En l’espèce, le nouveau code mondial ne modifie pas la répartition des compétences. Il donne en revanche la possibilité à l’ONAD de réaliser des contrôles en dehors du site où aura lieu une manifestation internationale. Il sera dorénavant possible d’agir aussi sur le lieu de résidence du sportif, ce qui permettra de varier les moments d’intervention, qui sont souvent trop prévisibles.
Il s’agit bien d’une avancée, dont je me réjouis, mais je regrette personnellement que l’occasion n’ait pas été saisie de remettre à plat la répartition des rôles entre les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage, pour obtenir un meilleur équilibre.
Notre rapport étant paru en juillet 2013, sans doute les délais étaient-ils trop courts et les priorités trop multiples pour que certaines de ces propositions soient prises en compte dans l’élaboration du nouveau code mondial antidopage.
Je vous encourage donc, monsieur le ministre, à vous faire notre porte-parole lors des prochaines discussions au niveau international.
Je souhaiterais aussi connaître vos intentions au plan national, monsieur le ministre. Plus précisément, votre prédécesseur avait évoqué l’élaboration d’un projet de loi global sur le sport, qui aborderait notamment la question du statut des sportifs, et dont une partie pourrait concerner aussi la question du dopage. Pouvez-vous nous dire où en est ce projet ?
En conclusion, il est important de souligner que le défi majeur que représente la lutte contre le dopage dans le sport nous rassemble, une fois de plus, au-delà de nos clivages politiques. Il faut s’en réjouir, car le sport doit reposer sur un socle de valeurs communes, à commencer par l’éthique.
Alors que le sport se mondialise toujours davantage, le combat doit être mené à l’échelle globale, car le changement ne peut venir que d’une harmonisation entre les instances antidopage et les fédérations internationales. Ce n’est pas encore le cas dans certaines disciplines sportives.
En attendant que nous allions plus loin, le groupe UMP soutiendra donc l’adoption du présent texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Bailly.
M. Dominique Bailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de féliciter notre collègue Jean-Jacques Lozach de son rapport, adopté à l’unanimité en commission le 16 juillet dernier, sans modification du texte du projet de loi.
Ce vote montre, encore une fois, l’implication de notre assemblée en matière de lutte contre le dopage.
En effet, des premiers contrôles dans les années soixante à aujourd’hui, la lutte contre le dopage n’a cessé d’évoluer. C’est d’ailleurs la condition de son efficacité. Depuis sa première entrée en vigueur en 2004, le code mondial antidopage ou CMA est d’ailleurs voué à être régulièrement adapté à l’évolution des pratiques. Après une première révision en 2007, une troisième version de ce code a été adoptée en 2013, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2015. C’est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui, qui vise à habiliter le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnances aux modifications de notre législation pour l’adapter à la nouvelle version du CMA.
Le Parlement n’aime pas le recours aux ordonnances – vous l’avez évoqué, mes chers collègues –, mais rappelons ici que c’est un usage classique en matière de transposition en droit national de normes internationales. Le code du sport avait déjà été mis en conformité avec la deuxième version du CMA par ordonnances.
Par ailleurs, comme l’a précisé notre collègue rapporteur, ce sont la technicité du texte et la nécessité d’agir rapidement qui expliquent un tel recours.
Le Gouvernement, par la voix de M. Braillard, a en effet expliqué à notre commission qu’il avait été dans un premier temps prévu d’intégrer les dispositions du présent projet de loi au projet de loi-cadre sur le sport, qui était attendu à la fin de 2013. Or ce texte ne pourra finalement pas être présenté devant le Parlement avant 2015, ce qui explique le dépôt d’un projet de loi spécifique relatif à la transposition du code mondial antidopage.
La France doit accueillir en novembre prochain le comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage, l’AMA : il convenait donc d’engager le plus rapidement possible le processus législatif d’adaptation de notre code du sport.
Je tiens, monsieur le ministre, à souligner l’implication de la France en matière de lutte contre le dopage, tous gouvernements confondus. Alors qu’il n’existe en droit international aucune obligation contraignante, le Gouvernement a toujours fait une priorité de la transposition en droit interne du CMA.
La France, en la personne de Valérie Fourneyron, est d’ailleurs chargée de représenter l’Europe au comité exécutif de l’AMA. Notre pays a contribué notamment à permettre à l’Agence mondiale antidopage de conserver son rôle de producteur de normes. De plus, il est fortement impliqué dans le suivi de l’application du code.
La coopération internationale est un facteur déterminant de la lutte contre le dopage, comme l’ont montré, l’année dernière, les travaux de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage. Cette lutte nécessite une réponse mondiale pour être efficace, et le code mondial antidopage constitue un outil inestimable en la matière, même si l’on constate encore aujourd’hui des degrés d’investissement très divers selon les États, malheureusement.
Le présent projet de loi apporte de réelles avancées qui ne sont pas sans rappeler les soixante propositions de la commission d’enquête dont nos collègues Jean-François Humbert et Jean-Jacques Lozach étaient respectivement président et rapporteur.
L’exposé des motifs précise d’ailleurs que « les modifications apportées au code mondial ne modifient pas l’économie générale du dispositif, mais visent à renforcer l’efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité ».
Afin de renforcer l’efficacité des contrôles, le texte prévoit d’améliorer la prise en compte des preuves indirectes, de développer le partage d’informations – c’est important –, de renforcer la coopération entre les fédérations sportives et les institutions intervenant dans la lutte antidopage et de conférer un pouvoir d’enquête à l’AMA.
Par ailleurs, en vue d’élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité, le texte prévoit de passer le délai de prescription des sanctions disciplinaires de huit à dix ans – c’est un outil important –, de permettre aux organisations nationales antidopage, telles que l’Agence française de lutte contre le dopage, l’AFLD, d’effectuer des contrôles en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales, d’appréhender les complicités ou les systèmes organisés de dopage et d’élargir l’échelle des sanctions, avec une exclusion pouvant aller à quatre ans, contre deux ans actuellement. Le texte prévoit enfin des garanties supplémentaires quant au respect des droits des sportifs.
En conclusion, ces modifications s’articulent autour de trois thématiques : premièrement, une meilleure prise en compte du principe de proportionnalité entre les moyens mis en œuvre pour lutter efficacement contre le dopage et le respect des droits des sportifs ; deuxièmement, un dispositif disciplinaire plus sévère, mais aussi plus flexible et mieux ciblé ; troisièmement, et enfin, une meilleure collaboration entre les acteurs de la lutte contre le dopage.
Le Sénat, via le rapport de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, avait pointé la nécessité de cibler les contrôles, d’étoffer le panel des sanctions ou encore d’améliorer la coordination entre les différents acteurs de la lutte contre le dopage.
Ce texte est donc porteur de progrès et va dans le bon sens.
Sur le plan juridique, le présent projet de loi comporte aussi quelques risques d’ordre constitutionnel, comme l’ont soulevé l’Agence française de lutte contre le dopage et le Conseil d’État. Je tiens à remercier encore une fois notre rapporteur pour son travail, qui a permis d’éclaircir ces différents points et d’adopter ce texte sans réserve.
Sans m’attarder trop longtemps, je souhaite relever ici les trois problèmes essentiels qui ont été soulevés et les réponses qui ont été apportées.
S’agissant, premièrement, de la compétence reconnue par le CMA au tribunal arbitral du sport, l’ordonnance ne devra pas la retranscrire.
Deuxièmement, l’automaticité des sanctions devra être entendue comme la possibilité d’instaurer un régime de sanction maximale, pour ne pas s’opposer au principe d’individualisation des peines.
Troisièmement, et enfin, le principe du contrôle « à tout moment et en tout lieu » s’oppose certes au principe du respect de la vie privée, mais le Conseil d’État a précisément encadré la future ordonnance sur ce point ; il conviendra, monsieur le ministre, de s’assurer du respect de ces prescriptions.
Cette troisième version du code mondial antidopage apporte sans conteste des progrès. Toutefois, il convient de ne pas relâcher nos efforts. Lors des nombreuses auditions de la commission d’enquête, nous avons pu constater que les pratiques dopantes sont toujours plus innovantes, hélas, et que les acteurs de la lutte contre le dopage ont malheureusement souvent un temps de retard. Il convient donc d’améliorer en permanence la coopération internationale, la coordination des acteurs et le partage d’informations, afin d’appréhender toujours mieux et plus rapidement la réalité des pratiques dopantes et ainsi lutter plus efficacement contre le dopage.
Monsieur le ministre, c’est un enjeu de santé publique, un enjeu éthique. Le groupe socialiste votera bien entendu ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord de cette unanimité qui semble se profiler.
J’espère naturellement revenir rapidement devant vous pour la ratification de l’ordonnance. Je m’engage en outre à présenter à votre commission, en personne ou par l’intermédiaire de Thierry Braillard, le texte de l’ordonnance dès qu’il sera connu. C’est un engagement que je prends devant la représentation nationale.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Patrick Kanner, ministre. Par votre vote, vous allez nous aider à accueillir dans d’excellentes conditions l’Agence mondiale antidopage ; cela a été souligné tout à l'heure. Le comité exécutif et le conseil de fondation doivent en effet se réunir à Paris les 15 et 16 novembre prochains. Cependant, qu’il n’y ait pas de malentendu : nous ne précipitons pas le mouvement parce que cette rencontre est prévue.
En réponse à l’ensemble des propositions que vous avez formulées, je tiens à préciser que, si nous avons opté pour l’ordonnance, c’est parce qu’il faut aller vite et que le sujet est très technique. Nous pourrons naturellement aller plus loin dans le cadre d’un futur débat parlementaire. J’ai bien pris note de vos propositions complémentaires pour renforcer la vigilance de notre pays, qui est déjà à la pointe de la lutte antidopage.
Nous pourrons montrer aux représentants de l’Agence mondiale antidopage que la transposition par la France des dispositions du nouveau code est en bonne voie. Ce sera aussi l’occasion d’expliquer tout ce que la France fait, sait faire et fera pour lutter contre le dopage. Vous serez naturellement conviés à cette manifestation, qui sera un moment important pour le sport français.
Je mettrai tout en œuvre pour que le travail parlementaire inspire l’action de l’exécutif, qui pourrait se traduire par une loi-cadre. J’ai bien senti, tant à l’Assemblée nationale qu’ici, au Sénat, qu’il y avait une attente forte en la matière. Encore faut-il que le contenu de cette loi-cadre éventuelle soit particulièrement « promoteur » et intéressant pour les sportifs français.
En conclusion, à qui nous adressons-nous ? Nous nous adressons aux dix-sept millions de Français licenciés. Dix-sept autres millions pratiquent une activité sportive sans être licenciés. Ce sont donc au total trente-quatre millions de Français qui font du sport. Ce n’est pas encore suffisant. Nous devons aller plus loin, car le sport est un élément de cohésion sociale et d’union nationale.
La France peut aujourd'hui s’enorgueillir de résultats sportifs exceptionnels. Nous allons bientôt accueillir des événements planétaires : la finale de la Coupe Davis en novembre prochain, l’Euro de basketball en 2015 ou encore l’Euro de football en 2016, sans oublier toute une série de championnats du monde et d’Europe.
Le sport est un enjeu majeur, y compris sur le plan économique. Le sport français doit naturellement être propre. Il le sera grâce à l’action du Parlement. Je vous remercie de vos propositions, et plus encore de la manière dont vous allez nous encourager par votre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux ainsi que MM. Jean-Claude Requier, Michel Vaspart et Michel Savin applaudissent également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi habilitant le gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage
Article unique
(Non modifié)
I. – Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer, en conformité avec les principes constitutionnels et conventionnels, le respect dans le droit interne des principes du code mondial antidopage applicable à compter du 1er janvier 2015.
II. – L’ordonnance prévue au I est prise dans un délai de neuf mois suivant la publication de la présente loi.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.
Mme la présidente. Je ne suis saisie d’aucun amendement.
Je vais donc mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Je vous rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Je constate que ce projet de loi a été adopté à l’unanimité des suffrages exprimés.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
13
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’organisation de ce débat préalable au Conseil européen des 23 et 24 octobre prochains, qui se tiendra à un moment où l’Europe doit faire face à une série de crises.
Des crises internationales, d’abord, en Irak, en Syrie, en Afrique, en Ukraine, qui comportent, pour certaines d’entre elles, des risques pour la sécurité de l’Europe.
Des crises économiques, ensuite : la croissance est à l’arrêt dans la zone euro ; le niveau de l’inflation est exceptionnellement faible ; le chômage est élevé, en particulier parmi les jeunes ; la production manufacturière et la demande interne sont très au-dessous de leur niveau antérieur à la crise de 2008, tout comme l’investissement, qui est de 15 % inférieur. Aucun pays n’est épargné par les difficultés économiques, pas même l’Allemagne dont les indicateurs récents sont mal orientés.
Une crise de confiance, aussi, des citoyens à l’égard de l’Union européenne, de son fonctionnement et de ses résultats, qui peut parfois se transformer en un rejet du projet européen lui-même, ce qui est évidemment le plus grave.
Une crise climatique, enfin, face à la croissance incontrôlée des gaz à effet de serre, qui menace notre planète. Ce sera l’un des sujets majeurs de ce Conseil européen.
Ce Conseil est donc important, car l’Europe est à un moment charnière, un moment de définition. Les nouveaux commissaires ont été auditionnés par le Parlement européen. Le collège sera soumis à son investiture dans les prochaines semaines. Les équipes se mettent donc en place, mais surtout de nouvelles priorités ont été fixées et la France a pris toute sa part dans leur définition, ce qui se reflète aussi bien dans le programme stratégique arrêté par le Conseil européen que dans les orientations proposées par Jean-Claude Juncker pour les cinq prochaines années.
Ce Conseil portera sur l’une de ces grandes priorités stratégiques, l’une de celles dont dépend l’avenir de l’Europe et qui doit devenir un grand projet européen : il s’agit de la politique énergétique et climatique de l’Union.
L’Union européenne est confrontée au double défi d’assurer sa sécurité et son indépendance énergétiques et d’engager une nécessaire transition énergétique à l’échelle du continent, pour répondre, en particulier, aux enjeux du changement climatique.
Les décisions doivent être prises dès ce Conseil européen du mois d’octobre 2014, afin que l’Europe soit elle-même en mesure de contribuer au succès de la conférence sur le climat qui se déroulera à la fin de l’année 2015 à Paris et devra permettre de prendre le relais, vous le savez, du protocole de Kyoto. L’ensemble de la communauté internationale doit en effet apporter une réponse au réchauffement climatique, lequel, s’il dépassait les deux degrés, mettrait en danger l’avenir de la planète.
L’objectif de ce Conseil européen est donc d’aboutir à un accord ambitieux sur la politique en matière d’énergie et de climat reposant sur trois principes : l’efficacité, les efforts devant porter sur les secteurs engendrant les principales émissions de gaz à effet de serre ; la responsabilité, puisque chaque pays devra contribuer à l’effort collectif ; et la solidarité, dans la mesure où la répartition de l’effort devra tenir compte des différences de richesse entre les États.
Tout l’enjeu sera d’obtenir un accord entre États membres sur de grands objectifs que nous défendons pour l’horizon 2030, au-delà, donc, de ce qui est déjà fixé pour 2020, à savoir 40 % de réduction des gaz à effet de serre, 27 % d’énergies renouvelables dans notre consommation finale d’énergie et 30 % d’économies d’énergie, c'est-à-dire d’efficacité énergétique supplémentaire. Tout cela est en cohérence avec notre projet de loi relatif à la transition énergétique, que l’Assemblée nationale a voté aujourd’hui.
Pour parvenir à un tel accord, nous devons trouver des compromis sur différentes dimensions de ce paquet énergie-climat.
Tout d’abord, les efforts des acteurs européens doivent s’appuyer sur un marché du carbone réformé. C’est le sens des propositions actuelles qui visent à réduire progressivement et de façon substantielle le nombre de quotas mis aux enchères. Il convient aussi de créer des dispositifs visant à nous assurer que le prix de la tonne de carbone reste incitatif. Ce marché du carbone devra dans le même temps continuer à prendre en compte les risques de délocalisations liés à ce système – on parle de « fuite de carbone » –, grâce en particulier à l’allocation de quotas gratuits pour les secteurs industriels les plus exposés à la concurrence internationale, et ce de façon plus dynamique, pour tenir compte des évolutions technologiques.
Ensuite, nous devons accompagner la transition énergétique des pays qui ont le plus de retard. C’est pourquoi nous soutenons le recours à une partie des revenus du marché du carbone pour aider à la modernisation des secteurs énergétiques les plus polluants, mais également pour soutenir l’innovation en faveur d’une énergie propre et durable.
Les discussions sur ce paquet comportent par ailleurs des enjeux de solidarité envers les pays dont les mix énergétiques et les trajectoires historiques les éloignent d’une transition rapide. À cet égard, il s’agit de permettre à certains États membres de bénéficier d’une partie réservée des revenus du marché du carbone au titre de la solidarité européenne.
Enfin, si l’ensemble des efforts européens représentera, au niveau de l’Europe, une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, les cibles de réduction seront définies au niveau national. Nous devons donc nous accorder sur les grands principes d’une méthodologie de répartition de l’effort. Dans ces discussions, les autorités françaises ont proposé et soutenu une répartition qui tienne compte des différences de richesse relative entre les États, grâce à un calcul équitable fondé sur le PIB par habitant. Les spécificités des différents secteurs économiques devront également être prises en compte. Il faudra par exemple que l’accord final reconnaisse les particularités du secteur agricole.
Il ne faut pas le cacher, les négociations restent néanmoins difficiles, notamment avec les pays du groupe de Visegrád, qui réunit la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Je me suis moi-même rendu récemment à Bratislava pour échanger et convaincre les membres de ce groupe. Hier encore, j’ai eu des échanges très denses avec mon homologue tchèque, à l’occasion d’une rencontre à Prague, afin d’encourager ces pays à faire mouvement.
Les chefs d’État ou de gouvernement reviendront également sur le sujet crucial de la sécurité énergétique européenne.
Le Conseil européen devrait en effet réaffirmer la nécessité de réaliser des investissements supplémentaires dans le réseau énergétique européen, et singulièrement dans les « projets d’intérêt commun ». L’enjeu sera également de s’assurer des bonnes conditions de négociation avec les pays tiers pour la fourniture d’énergie.
Nous serons particulièrement attentifs à la question des interconnexions énergétiques européennes, et surtout à leurs modalités de réalisation. Il est nécessaire, par exemple, de répondre au problème de la péninsule ibérique ou de l’approvisionnement des pays baltes. La France sera attentive à ce que les objectifs fixés soient réalistes, réalisables et répondent réellement aux besoins.
En effet, le besoin d’investissement au niveau européen est important et incontestable, et la France agit d’ailleurs en ce sens grâce à de nouvelles infrastructures et à des discussions régulières avec ses voisins. Néanmoins, il est nécessaire de prendre en compte les situations nationales et les réalités économiques qui y sont adossées.
En conclusion, il reste encore de nombreux éléments sur lesquels des différences d’appréciation entre États membres persistent. C’est une négociation compliquée, dans laquelle nous devons trouver le point d’équilibre entre notre ambition et le calibrage des paramètres techniques. Il n’en demeure pas moins que l’Europe doit définir très rapidement une position commune. C’est tout l’enjeu des discussions que nous aurons au cours des prochains jours. C’est également tout l’enjeu de nos échanges que de convaincre l’ensemble de nos partenaires que l’intérêt de l’Europe, de ses acteurs économiques, de ses entreprises et, bien évidemment, de ses citoyens est de faire du continent un continent pionnier en matière de transition énergétique.
Le second sujet majeur de ce Conseil européen, c’est la situation de la croissance et de l’emploi. Ce Conseil précédera d’ailleurs un sommet de la zone euro, que la France a souhaité.
Avant même l’entrée en fonction de la nouvelle Commission, un débat est nécessaire sur la situation économique de l’Europe, marquée, je l’évoquais au début de mon intervention, par un ralentissement de la croissance, ainsi qu’un risque de stagnation prolongée, voire de déflation. C’est ce qui a d’ailleurs conduit le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, à annoncer des mesures particulièrement audacieuses de réduction des taux et d’injection de nouvelles liquidités. Toutefois, comme il l’a dit lui-même, si la politique monétaire peut apporter une contribution à la sortie d’un risque de récession, il faut que d’autres politiques, en particulier les décisions prises par les États membres en matière de coordination de leurs politiques budgétaires, d’investissement et de réformes structurelles, apportent elles aussi leur contribution.
Notre action doit donc être de deux ordres. Il faut bien évidemment continuer à mobiliser toutes les politiques communes de l’Union au service de la croissance. Cela concerne bien sûr le marché intérieur, le commerce et l’innovation. Cependant, nous devons faire plus, notamment en mettant en place de véritables politiques industrielles, pour renforcer l’attractivité et la compétitivité de l’Europe, pour qu’elle redevienne un lieu de production doté d’une base industrielle solide répartie sur l’ensemble du continent.
Notre priorité doit aussi être le soutien à l’investissement, qui a chuté de 15 % dans l’Union depuis 2008. C’est d’autant plus problématique que les besoins en la matière sont colossaux. Ils sont d’ailleurs reconnus dans tous les pays, en particulier dans des secteurs dont dépendra le potentiel de croissance future de l’Europe, comme l’énergie, qui est au cœur de la problématique que j’ai évoquée précédemment, les transports, le numérique et les télécommunications. Comment redresser la situation ? Nous soutenons fermement la proposition de Jean-Claude Juncker d’un plan de 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés sur les trois prochaines années. Nous appuierons évidemment les propositions visant à sa mise en œuvre rapide.
Dans cette optique, nous devons, d’une part, mobiliser pleinement les acteurs et les ressources existantes. Je pense aux moyens du cadre financier pluriannuel, notamment ceux du mécanisme d’interconnexion, qui permettront de financer de grands projets comme le canal Seine-Nord, le projet ferroviaire Lyon-Turin ou d’autres projets de même ampleur dans l’ensemble de l’Union européenne. Je pense aussi au rôle particulier de la Banque européenne d’investissement, dont la doctrine en termes de prise de risque pourrait évoluer, afin de mieux soutenir les petites et moyennes entreprises. Cette dernière pourrait aussi encourager la coordination entre banques publiques nationales, comme elle le fait, en France, avec la BPI, la Banque publique d’investissement, ou la Caisse des dépôts et consignations.
De même, nous devons pleinement mobiliser les fonds européens pour pérenniser les project bonds. Actuellement, quatre de ces « obligations de projet » – pour le dire en français – ont été mises en œuvre à l’échelle européenne, dont l’une en France visant à permettre l’équipement en réseau à haut débit de plusieurs de nos régions. Au-delà de cette phase pilote, ces mécanismes de financement qui permettent de mobiliser davantage l’investissement privé grâce à la garantie publique offerte par la Banque européenne d’investissement devraient être développés.
Au-delà de ce qui existe, nous devons réfléchir à de nouveaux outils. Je pense à la mise en place d’une capacité additionnelle de financement, qui pourrait par exemple prendre la forme d’un fonds de garantie au niveau du budget européen, fonds géré par la Banque européenne d’investissement.
En outre, la mobilisation de l’épargne privée, très importante en Europe, par la création de nouveaux véhicules d’investissement de long terme, pourrait être encouragée.
Enfin, le cadre réglementaire entourant le financement de marché pourrait être assoupli pour développer les alternatives au financement bancaire, en particulier en direction des petites et moyennes entreprises.
C’est dans cet esprit que la France abordera toutes les échéances prochaines qui seront appelées à traiter de ces questions majeures, en particulier après l’investiture de la commission Juncker.
Je ne veux pas éluder, avant de conclure, la question de la trajectoire budgétaire française. Même si elle n’est pas à l’ordre du jour de ce Conseil européen, elle est d’actualité et je ne doute pas que certains d’entre vous l’évoqueront.
Le projet de budget pour 2015 de la France repose sur un équilibre entre le maintien de nos engagements, en termes de maîtrise des dépenses et de poursuite des réformes, et l’adaptation à la situation économique exceptionnelle que nous traversons.
Il ne faut pas spéculer à vide. La Commission européenne n’a pas encore forgé son opinion sur un plan budgétaire qui ne lui pas encore été transmis et qui lui sera communiqué demain 15 octobre, comme c’est le cas pour les autres pays de l’Union.
Nous poursuivons donc le dialogue avec elle comme avec nos partenaires pour expliquer le bien-fondé de notre stratégie et les sensibiliser aux contraintes qui la sous-tendent, mais nous ne demandons ni exception ni changement des règles.
La question des trajectoires budgétaires des États membres doit s’intégrer dans un débat plus large, celui du choix des politiques économiques que nous voulons mener en Europe. On ne peut pas en même temps faire le choix des réformes, du soutien à la croissance, à la compétitivité et à l’emploi et s’engager dans un surcroît d’austérité. Chacun en a tiré les leçons, y compris de grandes institutions internationales comme le FMI ou l’OCDE, qui mettent en garde contre le risque, alors que la croissance commence à repartir ailleurs dans le monde – aux États-Unis, dans les pays émergents –, d’une stagnation qui durerait en Europe et qui finalement handicaperait les possibilités de sortie de crise et de réduction du chômage.
C’est ce débat qui est aujourd’hui posé en Europe. Nous ne voulons donc pas remettre en cause nos engagements, ceux que nous avions transmis à la Commission européenne dans le cadre du plan triennal et qui portent en particulier sur une réduction de 50 milliards d’euros des dépenses publiques d’ici à 2017 et de 21 milliards d’euros dès le budget pour 2015, engagements qui portent également – c’est l’objet du pacte de responsabilité et de solidarité – sur une baisse de 40 milliards d’euros des prélèvements fiscaux et sociaux sur nos entreprises pour leur permettre de retrouver de la compétitivité. Ce sera une contribution décisive également à la croissance et à l’emploi, qui est un objectif commun à celui de l’Union européenne. Mais nous ne pensons pas qu’il faille aujourd’hui s’engager dans des politiques de consolidation budgétaire plus forte, dans des politiques d’austérité qui remettraient en cause les conditions de la reprise et de la croissance.
J’observe que le consensus des économistes et les grandes organisations internationales ont plutôt tendance à poser le débat dans les mêmes termes que nous.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire dans ce propos introductif, à la veille d’un Conseil européen particulièrement important. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Gattolin et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le secrétaire d'État, vous venez à l’instant de nous détailler les différents éléments qui figurent à l’ordre du jour du prochain Conseil européen : paquet climat-énergie – je vous remercie d’avoir commencé votre propos en évoquant longuement cette question –, situation économique de l’Union européenne et vraisemblablement situation internationale seront les trois chapitres les plus importants qui occuperont les échanges.
Je note par ailleurs que nous avons ce débat au moment où l’Assemblée nationale entame l’examen du projet de loi de finances pour l’année 2015 et alors que les discussions se font vives avec la Commission et nos partenaires européens sur les questions budgétaires.
Je ne doute pas que mes collègues seront ici nombreux à revenir sur ce sujet.
Pour ma part, vous vous en doutez, c’est à la question climatique et énergétique que je consacrerai l’essentiel de mon intervention, en insistant sur ses fortes implications géostratégiques, une dimension que nous avons trop tardivement commencé à prendre en compte, alors même qu’elle surdétermine toute une partie de nos politiques.
En effet, il est clair désormais que la question des choix énergétiques ainsi que celle des effets engendrés par le dérèglement climatique constituent non plus seulement un problème environnemental, mais représentent aujourd’hui des enjeux géostratégiques d’un type nouveau qui influent sur la stabilité politique de la planète, au même titre que les enjeux militaires classiques.
Depuis plusieurs mois, d’ailleurs, les États-Unis ont commencé à revoir leurs doctrines des risques internationaux en intégrant ces nouveaux éléments.
Hier encore, leur département de la défense a rendu public un rapport soulignant les dangers accrus du fait du réchauffement, depuis la montée des océans jusqu’aux probables pénuries en eau et en nourriture en divers endroits de la planète.
La France s’est également engagée, depuis peu, dans cette réflexion, notamment grâce au travail de notre collègue Leïla Aïchi sur ces sujets.
Mais l’Union européenne, comme c’est trop souvent le cas dans les dossiers qui renvoient à la souveraineté de ses membres et aux questions stratégiques les plus sensibles, peine à définir une philosophie qui permette de prendre tout cela à bras-le-corps.
C’est particulièrement perceptible s’agissant de nos rapports avec la Russie.
À l’échelle globale de l’Union européenne, ce pays constitue un fournisseur énergétique de première importance. En 2013, 39 % des importations européennes de gaz en étaient originaires.
La Russie est même le seul fournisseur extérieur de gaz naturel pour six de nos États membres, le gaz représentant par ailleurs une part importante de leur consommation énergétique finale.
En temps de paix, une telle dépendance n’est déjà pas sans risque. Mais lorsqu’une tension internationale se fait jour, comme c’est le cas depuis plusieurs mois autour de l’Ukraine, cette dépendance devient même franchement problématique.
Dans ces conditions, comment gérer à court terme nos relations avec la Russie ? Pour les uns, il faudrait se montrer plutôt conciliant avec Moscou. Pour les autres, au contraire, il convient de demeurer le plus ferme possible.
Au-delà, comment faire pour diminuer à plus long terme notre dépendance énergétique, alors même que l’Union européenne importe aujourd’hui 53 % de l’énergie qu’elle consomme ?
Là encore, les avis divergent : pour les uns, la nécessité de prendre en compte les tensions énergétiques nouvelles rend légitime l’exploitation de toutes les ressources hydrocarbures, y compris non conventionnelles, que l’on pourrait trouver sur le continent ; pour les autres, ces évolutions sont la preuve de ce que la transition énergétique est plus que jamais d’actualité.
Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur ces questions, il est au moins une chose sur laquelle, je crois, nous pouvons nous mettre d’accord : la souveraineté de l’Europe, et donc sa capacité à peser sur la scène internationale, passe aussi par la mise en place d’une véritable politique énergétique.
Nos politiques tant climatique qu’énergétique et stratégique doivent donc être repensées conjointement. Tant que nous n’accepterons pas de le faire concrètement, tant que nous continuerons à imaginer ces politiques comme si elles n’entretenaient pas de rapports les unes avec les autres ou pis, comme si elles devaient s’opposer les unes aux autres, chacune d’entre elles échouera à atteindre ses objectifs.
Mettre tous ces éléments en cohérence n’est évidemment pas chose facile ; c’est au contraire éminemment complexe. Mais je crois que, quand le choix réside entre la complexité, d’une part, et la fatalité, d’autre part, c’est bien la première qu’il vaut mieux privilégier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous le savez sans doute, le mois de septembre qui vient de s’écouler a été le plus chaud dans le monde depuis 1880, date à partir de laquelle des relevés constants ont été effectués. Il s’inscrit dans une tendance lourde et qui va en s’accélérant. Quel que soit l’indicateur considéré, tout laisse penser que les politiques déjà mises en place ont échoué à ralentir cette dangereuse évolution.
J’étais il y a quelques semaines en mission au Groenland pour la commission des affaires européennes du Sénat. Je me suis rendu à cette occasion au Jakobshaven, le plus grand glacier de l’hémisphère nord et l’un de ceux qui fondent le plus vite : il a autant reculé ces dix dernières que durant la totalité du siècle précédent !
Nous faisons face là à une transformation accélérée, qui, par rapport au réchauffement climatique lui-même, tient lieu à la fois de conséquence et de facteur aggravant, car plus les grands ensembles glaciaires de la planète fondent, plus les équilibres qui régulent encore notre climat se dérèglent et plus le réchauffement s’accélère.
Il s’agit là d’une spirale infernale qu’il sera de plus en plus difficile de briser, si nous n’y prenons garde ; d’autant que les ambitions des uns et des autres pour tirer le meilleur parti de ces transformations, notamment via l’exploitation accrue, en Arctique, des ressources naturelles, se font de plus en plus vives et risquent bien d’aggraver encore cette tendance.
Alors, si nous voulons enfin remettre en cause ces évolutions terribles, l’Europe doit se montrer plus ambitieuse et plus cohérente que jamais.
Cela nous amène naturellement aux discussions portant sur le futur paquet climat-énergie lui-même. Or les propositions qui se trouvent sur la table s’agissant de ce dernier sont hélas bien inégales.
Celles de la Commission européenne sont clairement insuffisantes. Celles du Parlement européen sont déjà bien plus ambitieuses.
La question est donc de savoir dans quelle mesure nos gouvernements – et singulièrement le gouvernement français – sauront se montrer à la hauteur de ces ambitions.
En l’occurrence, le Parlement européen propose l’instauration d’un objectif de 30 % d’énergies renouvelables dans la production totale européenne pour 2030, de 40 % de réduction de la consommation énergétique et de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les écologistes proposent quant à eux un objectif plus élevé de 45 % d’énergies renouvelables, de 40 % de réduction de la consommation énergétique et de 60 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Mais, au-delà de ces chiffres, il est absolument primordial que ces objectifs soient contraignants, pays par pays, sans quoi nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’ils ne seront pas tenus.
Au vu des dernières discussions, notamment celles qui ont eu lieu la semaine dernière à Bruxelles, le gouvernement français semble aujourd’hui assez hésitant. Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur ce dernier point et sur la volonté de la France de soutenir cette résolution ?
Au-delà des seules politiques européennes, ce Conseil européen constitue à notre sens une étape essentielle dans la préparation de la COP21, que notre pays accueillera à la fin de l’année prochaine à Paris.
Pour que ce rendez-vous soit réussi, nous devons faire preuve d’une double exemplarité : l’Europe doit être exemplaire face au monde, sinon son influence restera limitée, et la France doit être exemplaire face à ses partenaires européens, pour ne pas risquer de perdre sa crédibilité dans ce dossier. (M. le président de la commission des affaires européennes ainsi que Mmes Michèle André et Delphine Bataille applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen sera l’occasion, notamment, de revenir sur la question du climat et de l’énergie, conformément aux conclusions des précédents conseils.
Certes, il est important de définir le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie, voire de prendre quelques mesures supplémentaires afin de renforcer la sécurité énergétique.
Mais permettez-moi de revenir tout d’abord sur un point qui nous paraît essentiel si nous voulons réellement avancer dans tous les domaines, y compris celui de l’énergie : je veux parler de la situation économique de l’Union européenne.
Depuis des mois, et pour cause, ce sujet est au cœur des préoccupations des dirigeants européens. Le futur commissaire européen chargé de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité a même déclaré dernièrement que l’Allemagne, la France et l’Italie doivent privilégier l’investissement pour stimuler la croissance économique.
Pourtant, il nous paraît compliqué d’investir plus alors que, au niveau budgétaire, la Commission européenne demande, en particulier à la France, de réduire encore davantage les dépenses publiques...
C’était sans compter sur la proposition du commissaire européen qui explique que les partenariats public-privé, les PPP, sont la solution pour permettre aux pays d’investir ; il soulignait même : « Notre but est d’attirer de l’argent privé pour de grands projets d’infrastructures dans les secteurs de l’énergie, du transport et du haut débit. Le secteur privé ne peut pas prendre la totalité des risques. »
En théorie, les PPP permettent d’entretenir, de construire et d’améliorer des équipements à moindres frais. Toutefois, la Cour fédérale des comptes en Allemagne doute que ce système revienne moins cher. Elle a pris pour exemple sept grands projets routiers financés par le privé ; cinq d’entre eux auraient été moins coûteux s’ils avaient été financés de manière classique, et 1,9 milliard d’euros auraient ainsi été économisés.
Pour rester en Allemagne, l’exemple de l’autoroute A1 est tout à fait révélateur. Le ministère des transports pensait que le PPP se traduirait par une économie de 40 %, mais au final cela a coûté un tiers de plus que s’il avait été financé par le contribuable allemand.
Les responsables politiques se déchargent ainsi des missions de service public avec l’argument de la rigueur budgétaire. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres, comme le dit le vieil adage… Nous savons tous que certains consortiums sauront tirer avantage de cette situation.
Depuis des mois, voire quelques années maintenant, on nous serine que la rigueur est le remède miracle à tous nos maux. Souvent d’ailleurs, le modèle allemand est cité en exemple, mais depuis quelques semaines, des voix discordantes commencent à se faire entendre. Le directeur du très réputé Institut allemand de recherche économique – le DIW –, Marcel Fratzscher, vient de publier Die Deutschland-Illusion – Allemagne, l’illusion. Cet ouvrage expose les conclusions auxquelles sont parvenus les chercheurs du DIW. Or, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, l’Allemagne n’est pas un si bon modèle... Ce serait même plutôt un modèle qui présente quelques fragilités.
L’investissement public en Allemagne représente 1,6 % du PIB, quand la moyenne de la zone euro se situe à 2,1 %. L’évolution du PIB en volume au deuxième trimestre 2014 par rapport au trimestre précédent est de - 0,2 %, alors que pour la France il est de 0 et pour l’Union européenne à vingt-huit il est de 0,2 %. Outre une croissance faible, la progression des salaires est moins grande que dans le reste de la zone euro, un enfant sur cinq vivant sous le seuil de pauvreté.
Au début des années quatre-vingt-dix, l’État et les entreprises investissaient 25 % du PIB dans les infrastructures routières, les câbles téléphoniques, les écoles et les usines. Aujourd’hui cette proportion est tombée à 19,7 %. L’Allemagne n’investit pas dans son avenir, les investissements d’aujourd’hui sont pourtant la prospérité de demain – petit clin d’œil à Helmut Schmidt. Le DIW estime que le déficit d’investissement a représenté 3 % du PIB entre 1999 et 2012, et même 3,7 % entre 2010 et 2012... L’État et les entreprises devraient dépenser 103 milliards d’euros de plus rien que pour générer une croissance raisonnable et rester au statu quo...
Voilà aujourd’hui où la sacro-sainte rigueur nous conduit : ne plus investir dans l’avenir que ce soit pour les infrastructures, les usines et, encore plus important, l’éducation. Pourtant, si nous voulons être « compétitifs », il faut investir de façon intelligente et cesser de penser que la dette publique est un fardeau, car la dette qui investit a aussi des vertus.
Si l’on prend l’exemple de la France, ce qui cause réellement cette dette n’est pas tant un excès de dépenses, puisque ces dernières n’ont augmenté que de 2 % en trente ans, qu’un déficit persistant de recettes. Les exonérations fiscales et sociales accordées, aux grandes entreprises pour l’essentiel, sur cette période représentent un manque à gagner de 488 milliards d’euros. De plus, depuis quarante ans, les États ne peuvent plus se financer directement auprès des banques centrales et sont donc obligés de passer par les marchés financiers. Ainsi, les intérêts versés représentent 589 milliards d’euros ! Enfin, l’évasion fiscale a coûté à notre pays 424 milliards d’euros depuis 1980...
D’ailleurs, la question de l’énergie, du climat, et plus généralement de la transition énergétique, est certainement un des défis majeurs que nous avons à relever, et il peut nous permettre de relancer l’économie de façon raisonnée en tenant compte de l’ensemble des variables.
Le 23 septembre dernier s’est tenu à New York le sommet sur le climat de l’ONU. Malheureusement, on ne peut pas dire que ce dernier ait été une véritable réussite. Ainsi, le fonds vert de l’ONU n’a récolté pour l’instant que 2,3 milliards de dollars ; c’est très loin de l’objectif du fonds, qui est de réunir 10 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année, et 100 milliards par an à partir de 2020.
La seule avancée qui a pu être constatée est un accord sur la déforestation signé par vingt-sept États, plusieurs entreprises majeures et diverses ONG, organisations non gouvernementales. La Conférence des Parties se réunira au Pérou, à Lima, en décembre prochain.
En 2015, Paris accueille la prochaine Conférence sur le climat, d’où la nécessité pour l’Europe d’aboutir à une décision formelle visant à construire un accord ambitieux, équitable et juridiquement contraignant. En effet, en mars dernier, si la Commission a retenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle n’a pas posé d’objectifs contraignants en termes d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables. Rappelons simplement que les émissions de CO2 ont atteint 35,1 milliards de tonnes en 2013, soit presque un tiers de plus qu’il y a dix ans...
C’est pourquoi il importe de parvenir à créer une véritable politique de l’énergie européenne à travers une planification écologique. Les États doivent se réengager dans l’avenir de leur filière industrielle énergétique. C’est dans ce sens que nous portons l’exigence de filières relocalisées, notamment en ce qui concerne le photovoltaïque, qui est une filière d’avenir. C’est également dans ce sens que nous nous opposons résolument à la mise en concurrence et à la privatisation des concessions hydroélectriques, qui constituent en France la première source d’énergie renouvelable non intermittente. Celles-ci figurent parmi nos avantages compétitifs.
C’est, je pense, monsieur le secrétaire d’État, tout l’enjeu que la France devra défendre lors de ce prochain Conseil européen. Toutefois, peut-être pourriez-vous nous expliquer plus particulièrement la position qui sera soutenue à ce propos ?
Enfin, pour terminer, je voudrais juste vous faire part de mon « étonnement » sur la façon dont se sont déroulées les nominations des commissaires européens. Chaque commissaire désigné a été invité à une audition publique devant les commissions parlementaires compétentes pour le portefeuille qui lui a été attribué. Cette nouvelle composition de la Commission est soumise à approbation du Parlement européen. Sur le papier, il est vrai que cela a fière allure et que l’on a l’impression d’un véritable choix démocratique. Néanmoins, la réalité est un peu différente : en fait, cela s’est également soldé par des tractations politiciennes de couloir... Quelle image est renvoyée à nos concitoyens ! Si nous voulons que l’Europe soit une avancée démocratique et humaine, que tous les citoyens s’y intéressent, on ne peut continuer d’agir ainsi.
Souvenez-vous, mes chers collègues : voilà quelques mois, nous débattions avec votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d’État, des déficits démocratiques de la construction européenne. À l’évidence, le débat reste totalement ouvert.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le secrétaire d’État, au menu du prochain Conseil européen, vous aurez deux plats de résistance : d’une part, l’énergie et le climat ; d’autre part, l’économie. Néanmoins, vous pourriez ajouter au dessert, entre la poire et le fromage bruxellois, quelques considérations sur diverses questions de politique étrangère.
Aussi, je saisis cette occasion pour revenir sur les difficultés chroniques que connaît l’Europe pour montrer un visage uni dans ce domaine. En effet, malgré les encouragements institutionnels opérés par les différents traités, l’Europe peine à exister sur la scène internationale. Certes, on constate quelques progrès. Je pense en particulier à la crise ukrainienne, pour laquelle, à force de négociations, les États membres de l’Union européenne ont réussi à se mettre d’accord pour établir un régime de sanctions économiques contre la Russie.
S’agissant en revanche de la guerre contre Daech en Irak, même si la coalition internationale s’est progressivement agrandie avec l’inclusion de plusieurs pays européens, la France est venue seule appuyer rapidement les États-Unis par ses frappes aériennes. Pourtant, les pays de l’Union européenne sont tous très concernés par le conflit en Irak ainsi que par celui qui se déroule en Syrie, en raison notamment du recrutement de jeunes européens dans les rangs des djihadistes.
Dans le cas des crises au Mali et en République centrafricaine, l’Union européenne n’avait pas réussi non plus à s’affirmer en tant que puissance politique et militaire. En effet, l’opération Serval a été interprétée par un grand nombre d’observateurs comme un échec de l’Europe de la défense.
À ce jour, une véritable politique étrangère commune n’est donc pas réellement effective, alors que les menaces se précisent à l’est et au sud du continent européen. Il faut bien reconnaître, hélas ! que ce sont avant tout les relations intergouvernementales, et non l’Europe, qui prédominent dans la gestion des conflits.
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir enrichi les institutions d’outils destinés à mobiliser une diplomatie et une défense européenne. Comme vous le savez, mes chers collègues, le processus d’intégration européenne s’est accompagné d’une volonté d’harmonisation de la politique étrangère et de défense. Européens convaincus, les radicaux de gauche ont d’ailleurs toujours soutenu les initiatives allant dans ce sens.
L’acte fondateur, c’est bien sûr la création d’un second pilier par le traité de Maastricht, qui jette ainsi les bases de la politique étrangère et de sécurité commune, la fameuse PESC. Il s’agissait d’affirmer l’identité de l’Union sur la scène internationale par l’affirmation de grands principes tels que la sauvegarde de valeurs communes, le renforcement de la sécurité de l’Union, le maintien de la paix, ou encore le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il y a bien sûr aussi le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, qui va bientôt être remplacée par Federica Mogherini. J’espère qu’avec ce changement la rigueur britannique laissera la place au charme latin. (Sourires sur plusieurs travées.) Il convient également de citer le comité de politique et de sécurité. Toutefois, en dépit de tout cela, c’est le Conseil européen qui garde la main en matière de décision. Et avec la règle de l’unanimité, autant dire que c’est bien souvent l’immobilisme qui prévaut.
Je m’inquiète également de l’affaiblissement des capacités militaires des États membres alors que, là aussi, tout reste à faire pour créer une capacité d’action autonome pour l’Europe. L’objectif fixé en 2003 de créer une force de réaction rapide d’environ 60 000 hommes pour une durée d’au moins un an tarde à se réaliser. Pourtant, les traités ont élaboré un cadre de plus en plus volontaire avec la création de l’Agence européenne de défense ou encore l’encouragement aux « coopérations structurées permanentes ».
Néanmoins, tous ces instruments ne suffisent pas à affirmer le potentiel de puissance de l’Europe en matière de politique étrangère. Au moins peut-on se féliciter que le dernier Conseil européen de l’année 2013 ait pris en compte cette problématique, s’agissant en particulier de la défense. Ses conclusions rappellent en effet qu’une « politique de sécurité et de défense commune efficace » contribue « à renforcer la sécurité des citoyens européens » et concourt « à la paix et à la stabilité dans notre voisinage et dans le monde en général ».
Au-delà de ce grand principe déclamatoire, il a été précisé que l’Union européenne devait assumer davantage de responsabilités militaires en améliorant ses capacités de réaction rapide par un accroissement de la flexibilité et des moyens de déployer des groupements tactiques. Un appel à la mutualisation des capacités militaires a été par ailleurs réaffirmé. C’est essentiel dans un contexte de réduction des budgets nationaux de la défense.
Je rappellerai à cet égard que l’effort de défense est consenti à hauteur de 40 % par la France et la Grande-Bretagne, ce qui revient à faire peser sur ces deux pays le poids des interventions militaires, puisque celles-ci ne sont pas supportées par le budget de l’Union, à moins que le Conseil européen n’en décide autrement à l’unanimité.
S’agissant d’ailleurs de cette fameuse règle de l’unanimité, un débat doit être ouvert, car elle est un obstacle majeur à l’émergence d’une politique étrangère commune. Notre pays, monsieur le secrétaire d’État, et l’Allemagne sont favorables à plus de souplesse – nous sommes parfois d’accord avec les Allemands.
Je sais bien que le principe de la majorité qualifiée est un sujet délicat, car en toile de fond il y a la question du lien transatlantique entre la Grande-Bretagne et les États-Unis qui est plus ou moins bien accepté selon les pays.
Mes chers collègues, lors du Conseil européen du 6 décembre 1983 à la veille de la présidence française, le Président François Mitterrand s’exprimait ainsi : « Que l’Europe reste elle-même, c’est vrai dans tous les domaines ; qu’elle soit aussi fidèle à son ambition qui consiste, d’étape en étape, à définir des responsabilités communautaires nouvelles. »
La sécurité dans le monde est encore bien fragile. La France prend toujours ses responsabilités en cas de crise, mais se retrouve souvent à agir de façon isolée, alors que la multiplication des fronts nécessite un engagement collectif puissant. Par son histoire, par son poids démographique et économique, l’Europe est capable d’être un acteur de premier plan sur la scène internationale si elle en affirme la volonté. Il a fallu la crise des dettes souveraines pour avancer davantage en matière d’intégration économique. Faudra-t-il attendre une crise majeure touchant directement à la sécurité des citoyens européens pour mesurer les potentialités stratégiques d’une solidarité forte entre les États membres ?
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je veux compter sur vous et sur le Gouvernement auquel vous appartenez pour contribuer à l’approfondissement de la politique étrangère et de sécurité commune. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Michèle André et M. Didier Marie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen étant aussi riche qu’hétéroclite, je centrerai mon propos sur trois points particuliers : la politique énergétique, le fédéralisme budgétaire et la situation en Ukraine.
Premièrement, la prochaine réunion du Conseil européen sera – une fois n’est pas coutume – consacrée à la question du climat, et notamment à la décision finale sur le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie.
Ces deux questions sont évidemment liées. Toutefois, je m’interroge sur la portée effective d’un tel accord, quand on sait que, dans les faits, la politique énergétique de l’Europe procède avant tout des décisions d’investissement qui sont prises par les États membres. Or, sur ce point, un véritable marché de dupes se joue entre la France et l’Allemagne sur la question du nucléaire.
La France a réalisé des investissements courageux dans ce domaine dès les années cinquante. Ce demi-siècle de politique énergétique a contribué au redressement de notre pays et au bien-être de nos concitoyens.
Outre-Rhin, nos voisins allemands se sont fixé des objectifs ambitieux : produire 80 % d’énergie propre, renouvelable, et cela à l’horizon 2050. Cette inflexion honorable de leur politique énergétique a cependant déstabilisé leur production d’électricité, après la fermeture de plusieurs de leurs centrales nucléaires, de sorte que l’Allemagne importe désormais une partie de son électricité nucléaire de France. Or, parallèlement, plus de 45 % de la production énergétique allemande repose sur l’exploitation du charbon. Si nous étions de mauvais esprits, nous pourrions croire qu’un marché de dupes se joue autour de cette transition alimentée en partie par des pays qui ne sont manifestement pas inscrits dans la même dynamique que l’Allemagne.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous nous fassiez savoir comment cet accord-cadre européen peut permettre de faire évoluer cette situation.
Deuxièmement, au regard de l’actualité récente, et dans l’éventualité d’une nomination prochaine des membres de la Commission européenne, je ne peux m’empêcher de réagir à la fragilisation de la crédibilité de notre pays sur la scène européenne, notamment en matière économique et budgétaire.
Nous sommes tous au fait de la situation. Après un premier délai accordé en février 2013, la France s’était engagée à revenir dans le giron des 3 % de déficit public à l’horizon de la fin de l’année 2015, en contrepartie de l’accomplissement de réformes structurelles importantes. Malheureusement, il est devenu patent à la lecture du projet de loi de finances pour 2015 que nous ne tiendrons pas nos engagements et que ce projet de budget pour 2015 en son état actuel est d’ores et déjà susceptible de se voir corrigé par la Commission européenne.
Le pacte de responsabilité est un projet intéressant, mais il ne prévoit de fait qu’un effort de 20 milliards d’euros sur le déficit public en trois ans. Les 30 milliards d’euros restants sur les 50 milliards d’euros annoncés seront alloués à la baisse du coût du travail. C’est un grand pas en avant, mais il ne sera pas suffisant pour nous mener au bout de la route de la réforme et de l’adaptation à une économie globalisée dans laquelle nous faisons face, sur les marchés, à de grands blocs continentaux intégrés : il s’agit des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou encore du Brésil.
Cette situation est un signal réellement inquiétant. Elle signe l’affaiblissement de notre pays dans le concert européen et par conséquent de l’ensemble de l’Europe. En effet, l’Union européenne n’est pas concevable sans la France et la France ne peut espérer grand-chose de l’avenir sans l’Union. Le national et le fédéral sont devenus interdépendants. Certains peuvent le regretter. Pour notre part, nous, les sénateurs centristes, nous nous en réjouissons en tant que fer de lance de la construction européenne.
Toutefois, il est bien triste de voir que notre pays ne sait pas se montrer à la hauteur de l’exigence européenne. Les relations entre la France et la Commission se résument depuis deux ans à une course pour gagner le maximum de temps : quelques mois, quelques années de facilités budgétaires supplémentaires.
Pourtant, monsieur le secrétaire d’État, tous vos prédécesseurs, qu’il s’agisse de M. Cazeneuve ou de M. Repentin, nous ont toujours fait partager leur souci du renforcement du fédéralisme budgétaire européen. Avons-nous ratifié le pacte budgétaire il y a deux ans pour la forme, ou sommes-nous réellement prêts à nous soumettre à la discipline budgétaire que nous avons tant appelée de nos vœux pour nous extraire de la crise ?
Troisièmement et enfin, j’évoquerai un sujet de politique internationale : les sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie dans l’affaire de l’Ukraine.
La sécession de la Crimée au profit de la Russie et la révolte des régions du Donbass et de Donestk ne sont pas que les symptômes d’une simple crise nationale ukrainienne ou russo-ukrainienne. Nous assistons à une véritable crise européenne. C’est une sorte de cancer qui mine les relations entre la Russie et l’Europe.
Pourtant, face à un Vladimir Poutine sourd aux injonctions occidentales de retrait de ses troupes du sol ukrainien, des sanctions ont été mises à exécution dès le 29 juillet dernier, puis renforcées dès les premiers jours de septembre.
Outre les sanctions individuelles et le gel des capitaux privés, des sanctions économiques ont été prises. Ce sont les restrictions à l’accès aux marchés financiers russes. S’y ajoutent des sanctions militaires et industrielles, comme l’interdiction de transferts de matériels de défense, typiquement l’affaire des vaisseaux Mistral. La liste complète serait longue.
La logique des sanctions confine désormais à l’absurde. De son côté, Vladimir Poutine a lui aussi pris des mesures à l’encontre de l’Europe et des États-Unis. Cette escalade de sanctions et de contre-sanctions ne fait que fragiliser notre économie depuis plus de deux mois.
Les exportations agricoles vers la Russie représentent en effet 10 % des exportations agricoles totales de l’Union européenne. Les pays baltes, la Pologne, l’Allemagne et le Danemark sont les États les plus touchés au regard du poids de la Russie dans leurs exportations. D’après des déclarations récentes de Wolfgang Schäuble, ministre des finances allemand, le récent ralentissement économique de l’Allemagne ne serait pas étranger aux conséquences concrètes des sanctions européennes à l’égard de la Russie. Ce phénomène se ressent également en France : nos collègues des régions concernées le savent, nos agriculteurs souffrent largement des restrictions à l’exportation.
Surtout, nous incitons de facto la Russie à réorienter ses partenariats stratégiques, notamment sur le plan industriel, vers l’Asie et principalement la Chine et l’Inde. Le projet de production d’un avion long-courrier russo-chinois a déjà conduit à des investissements de plus de 10 milliards de dollars. Il pourrait ouvrir la voie à des partenariats industriels plus stratégiques.
Enfin, on peut s’interroger sur l’impact de ces sanctions sur le processus de dialogue engagé entre Vladimir Poutine et Petro Porochenko. Le renouvellement des sanctions européennes a eu lieu en même temps que les négociations de l’accord de Minsk du 5 septembre – comme le disait M. Chevènement, il s’agissait bel et bien d’une « logique imbécile ! » –, lequel a jeté les bases d’un mémorandum pour la paix entre l’Ukraine et les séparatistes. Nous n’avons pas compris, vu de Paris ou de Bruxelles, qu’une telle politique ne pouvait qu’envenimer une crise déjà dramatique sur le sol ukrainien.
Or le processus de paix est bien plus avancé que nous ne pouvons le croire à Paris. Je rappelle ainsi qu’une rencontre entre Porochenko et Poutine aura lieu en marge du Conseil européen ce week-end à Milan, entrevue à laquelle notamment Angela Merkel et David Cameron doivent assister.
Les élections législatives du 26 octobre prochain, auxquelles j’assisterai comme observateur électoral, permettront de consolider la légitimité des pouvoirs publics ukrainiens et de clarifier les positions des forces politiques en présence. Elles semblent être une opportunité de parvenir à ramener le calme si le dialogue russo-ukrainien se poursuit sereinement, ce qui n’est pas évident.
M. Jean-Yves Leconte. Et ce qui n’est pas le cas aujourd’hui !
M. Yves Pozzo di Borgo. Effectivement, cher collègue : aujourd’hui, au sein des réseaux ukrainiens, l’extrême droite tout entière s’en prend à M. Porochenko, et vous le savez très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Et s’il n’y avait pas de troupes russes en Ukraine…
M. Yves Pozzo di Borgo. Vous savez pertinemment qu’aujourd’hui à Kiev l’extrême droite tente de déstabiliser M. Porochenko, qui, de ce fait, a été contraint de renvoyer son ministre de la défense et le gouverneur de Donetsk.
M. Jean-Yves Leconte. Peut-être, mais il y a aussi les Russes !
M. André Reichardt. Laissez M. Pozzo di Borgo s’exprimer !
M. Jean-Claude Lenoir. Tout à fait !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Certes, il y a des Russes, monsieur Leconte, et en nombre !
Dès lors, quel bilan pouvons-nous tirer de ces sanctions après un peu plus de deux mois ? Quel rôle celles-ci ont-elles effectivement joué ? Maintenant qu’un dialogue semble de nouveau possible entre l’Ukraine et la Russie, malgré les difficultés que notre collègue vient de souligner, le temps n’est-il pas venu de les lever ? À nous et à l’Europe d’apporter des gages de sérénité dans cette crise.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle position pourrait être définie au sujet des sanctions et, plus largement, de l’issue de la crise ukrainienne lors de la prochaine réunion du Conseil européen ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe UMP.
M. André Reichardt. L’excellente Mme Keller !
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen comptera trois sujets. Ils ont déjà été rappelés : il s’agit du paquet énergie-climat, de la situation économique et de la situation internationale.
Sur ce dernier chapitre, je tiens d’emblée à formuler un vœu : que le Conseil européen évoque l’épidémie de fièvre Ébola, qu’il mette en œuvre une coordination efficace et marque ainsi la volonté de traduire l’idéal européen. Cet idéal porte sur la protection des personnes et doit trouver, en ce moment de crise sanitaire, une traduction concrète.
Plus précisément, cette coordination pourrait passer, me semble-t-il, par une veille sanitaire aux frontières de l’Union européenne et par des protocoles de détection coordonnés, notamment dans les aéroports. On voit bien que des mesures sont prises, ici ou là, mais que la politique menée n’est pas définie à l’échelle européenne. Or il s’agit là du bon niveau d’intervention, permettant la protection du maillon le plus faible en de telles situations.
J’en viens au premier sujet, à savoir le paquet énergie-climat, que les précédents orateurs ont déjà largement commenté, et alors que le Sénat se penchera, d’ici à la fin de l’année, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.
Dans ce domaine de l’énergie et du climat et, plus globalement, de l’écologie, je tiens à rappeler l’importance de nos engagements européens. On peut considérer que ces derniers représentent environ 80 % du corpus législatif qui s’impose en France. Ces engagements s’inscrivent dans la durée. Bien sûr, notre objectif doit être l’élaboration d’une politique européenne commune de l’énergie, assurant un rôle de coordination, jouant la complémentarité des mix énergétiques nationaux.
Mes chers collègues, reconnaissons qu’en matière environnementale l’Europe a très souvent été un fer de lance et un aiguillon !
À titre d’exemple, on peut rappeler que l’objectif dit « de facteur 4 », c’est-à-dire la réduction par quatre d’ici à 2050 de nos émissions de gaz à effet de serre, trouve son origine dans une décision internationale, d’ailleurs reprise en 2007 dans le Grenelle de l’environnement.
De même, c’est en 2008 que l’Union européenne s’est dotée d’un ensemble de directives et de règlements permettant l’application du fameux paquet « 3 x 20 » à l’horizon 2020, soit 20 % d’énergies renouvelables, 20 % d’efficacité énergétique en plus et 20 % de gaz à effet de serre en moins.
Permettez-moi de remarquer qu’ainsi remis en perspective le projet de loi relatif à la transition énergétique paraît beaucoup moins novateur, notamment quant à ses objectifs pour 2020 : en fait, voilà six ans que ceux-ci s’appliquent à notre pays. Ainsi, ce texte se contente de traduire des objectifs qui nous étaient déjà imposés. Tout cela est bien redondant.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, il n’y a pas assez d’Europe dans nos débats législatifs ! (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.)
En revanche, ce que nous attendons, c’est une mise en œuvre concrète de ces objectifs. Nous en reparlerons lors de l’examen à venir du projet de loi relatif à la politique énergétique française. Dans quelques instants, mon collègue Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques, abordera de manière plus détaillée le paquet énergie-climat et les objectifs qu’il fixe pour notre pays.
J’en viens à la situation économique de la France par rapport au reste de la zone euro.
Monsieur le secrétaire d’État, dès juillet dernier, lors du débat d’orientation budgétaire, les membres du groupe UMP, que je représente ce soir, s’inquiétaient vivement de l’équation budgétaire pour 2015. Ils dénonçaient des projections de croissance trop optimistes et une baisse hypothétique de la dépense publique. Ils craignaient une réduction des rentrées fiscales et redoutaient de voir notre économie décrocher par rapport à nos partenaires européens.
Je salue votre tentative, en ouvrant nos débats, de répondre par anticipation à ces inquiétudes, qui, vous le savez, sont fortes. Malheureusement, vous le savez également, nos analyses ont été entièrement vérifiées.
Le Gouvernement est au pied du mur. Le pays est entré dans un cercle vicieux et même infernal, par lequel l’accumulation des déficits, la faible compétitivité et un chômage élevé ralentissent le redémarrage de notre économie et le retour à la confiance de ses divers acteurs.
Le Gouvernement tente de se disculper, en se disant victime d’un contexte global ou de l’attitude de nos partenaires. Or, permettez-moi de vous le dire, cela revient tout simplement à refuser de regarder la vérité en face.
Avec 4 % de déficit, il est impossible de prétendre que vous menez une véritable politique d’austérité. Vous demandez à l’Allemagne de lancer une politique d’investissements publics, mais vous ne respectez ni ses choix ni son équation économique nationale. Vous tentez de vous rallier l’Italie, mais celle-ci a d’ores et déjà fait savoir qu’elle prendrait toutes les mesures complémentaires nécessaires pour respecter le ratio de 3% de déficit en 2017. Enfin, vous prenez la mauvaise raison d’une inflation faible pour ne pas réduire la dépense publique à hauteur des engagements et tentez de raisonner en valeur et non plus en volume.
Voilà autant de prétextes qui isolent dangereusement notre pays.
Or, on le constate aujourd’hui, les pays de la zone euro qui redémarrent sont ceux qui, courageusement, parfois douloureusement, ont choisi la voie de la réforme. Ils commencent à en récolter les fruits.
À la veille du Conseil européen, alors que vous allez présenter aux autorités européennes votre projet de budget pour 2015, se pose la question du respect de nos engagements européens. Une fois encore, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la stratégie du Gouvernement à ce sujet ?
Il serait dangereux pour la France comme pour l’Europe que vous renonciez à nos engagements, car, contrairement à ce que vous laissez supposer, l’Europe n’est pas une contrainte. D’abord, vous avez accepté ces règles : votre majorité, avec notre accord, a ratifié le traité de stabilité. Ensuite, ces règles offrent une certaine souplesse : la preuve en est que nous avons déjà bénéficié d’un sursis de deux ans, à l’instar d’autres pays qui ont utilisé ce répit pour se réformer et qui, aujourd’hui, ne demandent pas plus de « souplesse ». Surtout, les décisions collectives prises au niveau européen sont le résultat – naturel, oserais-je dire – de décennies d’interpénétration de nos marchés et de l’organisation nécessaire de la convergence entre stratégies nationales.
Aujourd’hui, à la veille du Conseil et du débat budgétaire, qu’attendons-nous du Gouvernement ? Nous attendons un discours de vérité, notamment sur le contenu de la baisse des dépenses. Nous attendons également un positionnement de prudence, car certaines économies apparentes pourraient ne pas porter leurs fruits. La réduction des dotations des collectivités locales, par exemple, entraînera mécaniquement une baisse de l’investissement public, donc une baisse des recettes de l’État à travers l’impôt sur les sociétés et les cotisations sociales.
M. Jean-Claude Lenoir. Absolument !
Mme Fabienne Keller. Nous attendons en outre des actes et une ligne économique claire, au-delà des déclarations contradictoires.
Dans cette perspective, monsieur le secrétaire d’État, accepteriez-vous d’informer précisément la représentation nationale de la position que va défendre le Gouvernement dans les prochaines semaines à Bruxelles ?
La question n’est pas, si je puis me permettre, que l’Europe respecte la France, pour citer le Premier ministre, mais bien que la France respecte sa parole à l’égard de ses partenaires européens ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat intervient à un nouveau moment clé du processus européen, celui de la définition de son agenda, qui dessinera les contours, les ambitions, les compétences et les capacités de l’Europe pour les cinq années à venir.
Après six années consacrées à juguler la crise financière, l’Europe doit trouver un nouveau souffle.
Le futur président de la Commission a voulu traduire les cinq priorités fixées par le Conseil européen de juin dernier dans une architecture rénovée de la Commission avec autant de vice-présidents chargés de les mettre en œuvre. Cette nouvelle organisation, à la fois transversale et agrégée, était nécessaire. En privilégiant le travail d’équipe, le travail en fonction des projets, la Commission pourrait enfin se redonner les capacités d’une impulsion plus politique et plus efficace.
Cet effort, fruit d’habiles compromis, est louable, mais sa complexité suscite encore des inquiétudes. J’en retiens deux.
La première, c’est le risque que cette structure ne relève que d’un habillage qui ferait l’économie d’une rénovation en profondeur des méthodes de fonctionnement de la Commission européenne et de la manière d’élaborer les politiques européennes. Ce ne serait alors qu’une sorte de coquille vide, paralysée par la multiplication des conflits de compétences, de prérogatives, de périmètre d’action et de pouvoir. Écarter très rapidement ce risque est une condition sine qua non de la crédibilité de cette nouvelle Commission, nécessaire, au vu de la situation économique et sociale qui sévit en Europe.
La seconde inquiétude est liée à la première : si la culture de l’Union européenne est déjà celle du consensus fondé sur l’intérêt commun, en faire la clé de voûte du nouveau fonctionnement de la Commission, comme l’a annoncé Jean-Claude Juncker, pourrait se révéler néfaste à certains projets ambitieux. Le consensus pourrait en effet conduire bien vite soit à des compromis sans relief, privilégiant encore des décisions appuyées sur le plus petit dénominateur commun, en décalage avec la situation et les besoins, soit à une conception trop juridique et technique des projets.
Quoi qu’il en soit, la Commission européenne doit agir vite et fort. Nous attendons donc avec un intérêt tout particulier son programme d’action.
Il me paraît important de rappeler ici les priorités que nous devons défendre.
Nous croyons vraiment qu’une véritable réorientation de l’Europe est nécessaire. Nous devons, en priorité, prendre nos responsabilités et renforcer la solidarité pour la croissance et l’emploi en Europe, j’y insiste.
Notre première responsabilité, c’est celle de l’emploi, en particulier celle de l’emploi des jeunes. Or l’action européenne en leur faveur, la garantie pour la jeunesse, dotée de 6 milliards d’euros pour la période 2014-2020, peine à être consommée, alors qu’un quart des jeunes sont au chômage en Europe. Retard et faiblesse des avances de paiement, ventilation du cofinancement imprécise, responsabilité de la Commission ou des États : ces points doivent être rapidement clarifiés, et nous devons au plus vite résoudre cette difficulté.
Ainsi que la France et l’Italie l’ont évoqué au sommet européen qui vient de se dérouler à Milan, nous soutenons le principe de pérennisation de la garantie pour la jeunesse, ainsi que sa montée en puissance jusqu’en 2020 afin qu’elle représente in fine 20 milliards d’euros d’investissements consacrés à la lutte contre le chômage des jeunes Européens. Nous espérons que la Commission européenne intégrera cette ambition dans son plan d’investissement, conformément aux propositions émises par le Président de la République.
Alors que la croissance marque le pas dans tous les pays européens, il apparaît évident que son redémarrage est aujourd’hui impossible sans relance à l’échelle européenne. Notre responsabilité est aussi de recréer un cadre économique et financier propice à une croissance rapide et durable. L’achèvement de l’union bancaire, la poursuite de la régulation financière et le soutien aux actions non conventionnelles de la Banque centrale européenne en sont des éléments importants, qui conditionnent le financement de l’économie réelle.
Nous devons également poursuivre le rééquilibrage des objectifs de la zone euro : rééquilibrage du rythme des politiques de réduction des déficits en faveur de politiques de croissance ne se résumant pas aux seules réformes structurelles ; rééquilibrage social, car les politiques de relance ne doivent pas nécessairement remettre en cause les droits sociaux ; rééquilibrage des politiques économiques en faveur des investissements, alors que des institutions comme le FMI et l’OCDE enjoignent désormais les États membres à augmenter les investissements publics. C’est seulement à ces conditions que le plan d’investissement annoncé pourra tenir ses promesses en provoquant un choc de croissance salutaire.
Un consensus semble se dégager sur les secteurs prioritaires de ce plan d’investissement, tels que l’emploi et la formation ou le développement des infrastructures. La plus grande difficulté pour la nouvelle Commission réside toutefois dans l’élaboration d’un plan d’investissement précis relatif aux sources des 300 milliards d’euros annoncés.
Selon les informations dont nous disposons, ce plan sera en partie fondé sur des ressources déjà existantes avec le déploiement, ou le redéploiement, de fonds en provenance de la Banque européenne d’investissement, des fonds structurels ou du budget européen après la révision des perspectives financières à mi-parcours. La Commission a également d’ores et déjà annoncé qu’elle fera appel à des fonds privés, ce qui en dit long sur les capacités actuelles de l’Union et de ses États membres à répondre aux besoins nés d’une crise protéiforme et profonde qui nous conduit à repenser le fonctionnement de nos sociétés, non pas en termes de réformes structurelles mais sur le plan de l’organisation des modes de vie.
Nous devons être plus novateurs et défendre de nouvelles sources de financement. Les études existent, des projets concrets sont sur la table, que nous n’avons pas manqué de promouvoir au Sénat, comme l’attribution d’une capacité budgétaire à la zone euro ou la mise en place d’une taxe sur les transactions financières.
L’efficacité du plan annoncé dépendra également de son ajustement aux besoins. Il faudrait alors trouver une combinaison équilibrée des financements de court et moyen terme, alors que l’on connaît la tendance naturelle de l’Europe à prévoir en priorité des projets à long terme. Dans la situation où se trouve l’Europe, la rapidité est pourtant essentielle, particulièrement si l’objectif est de déclencher un choc.
Il est également important de favoriser un déblocage des fonds qui, à l’inverse du fonctionnement de la garantie pour la jeunesse, ne relève plus du rythme de l’administration mais se calque sur les besoins. Il sera sans doute nécessaire de réfléchir à des procédures moins nombreuses et moins complexes pour la mise en œuvre de fonds moins centralisés et plus proches des projets, comme ceux que j’ai mentionnés plus haut.
Notre responsabilité, c’est aussi imaginer une Union plus forte et œuvrer à sa réalisation. L’Union européenne ne peut se contenter d’une politique gestionnaire. Elle doit être visionnaire comme elle l’a été avec l’union bancaire, dont on ne mesure pas encore assez l’importance dans les étapes de la construction européenne ; elle doit tracer des perspectives. La construction de cette Union forte passe par un fonctionnement institutionnel rénové, une Union de l’énergie, une politique industrielle utilisant toutes les ressources d’une Europe à la pointe de l’innovation.
La réussite du projet européen dépend également d’une solidarité plus grande, qui doit être placée au cœur de l’action européenne. Nos économies sont interdépendantes et les politiques économiques des uns ont des conséquences non négligeables sur celles des autres, comme nous le montrent des exemples récents. Nous devons poursuivre la mutualisation de nos moyens et de nos efforts.
Il nous faut enfin renforcer notre vision collective de l’action commune, qui passe nécessairement par un renforcement des structures décisionnelles pour la zone euro.
En revanche, cette nécessaire solidarité ne doit pas être conçue comme un partage du fardeau, qui conditionne un accord sur des objectifs communs ou l’organisation d’une politique commune sur les questions relatives à l’asile ou sur la définition du cadre climat-énergie pour 2030, qui occupera le prochain Conseil européen. Si ces sujets doivent faire l’objet d’une démarche de solidarité, cela ne doit pas être toute la solidarité.
Mes chers collègues, relever le défi de la relance du projet européen nous permettra de répondre à une autre nécessité : remédier au déficit démocratique européen en redonnant confiance dans l’action européenne commune pour résoudre les difficultés d’aujourd’hui et construire les projets de demain. Cette question du déficit démocratique relève tout particulièrement de notre responsabilité de parlementaires, c’est-à-dire de notre contrôle de l’action européenne. Le traité de Lisbonne nous a conféré de nouveaux droits que nous avons fait vivre, notamment à travers le contrôle du principe de subsidiarité.
Pourtant, dans une Union européenne toujours plus complexe, il faut faire plus : obtenir un règlement ambitieux de la Conférence interparlementaire prévue à l’article 13 ; être associés à la simplification et à la clarification des législations européennes ; développer le contrôle démocratique de la zone euro, de l’union bancaire, des accords commerciaux, des politiques « justice et affaires intérieures » ; mieux travailler avec le Parlement européen ; soutenir, lorsque cela est légitime, une démocratie participative naissante, notamment à travers la motion citoyenne. Un meilleur contrôle démocratique est indispensable à tout projet d’intégration européenne plus poussée.
Une Europe qui soutient, une Europe qui investit, une Europe qui fédère, voilà trois directions, trois ambitions qui sont à notre portée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous connaissez tous l’ordre du jour du prochain Conseil européen : prendre une décision finale sur le nouveau cadre d’action en matière de climat et d’énergie, y compris sur des mesures supplémentaires visant à renforcer la sécurité énergétique de l’Europe et sur des objectifs spécifiques en matière d’interconnexion à l’horizon 2030.
Franchement, ce langage est tellement technocratique que l’on se demande où est la volonté d’Europe. Est-ce derrière ces mots que l’on ressent un souffle, en particulier dans un domaine aussi essentiel que celui de l’énergie ? D’ailleurs, je doute fort, malheureusement, qu’il y ait une volonté d’élaborer une véritable politique européenne de l’énergie. Cela tient à une raison simple : le chacun pour soi. Chaque pays édifie une politique dans le domaine de l’énergie en fonction d’abord de ses ressources, de ses capacités industrielles et de ses besoins. Foin du voisin ! Sauf à lui vendre l’énergie à des conditions intéressantes.
Par ailleurs, les directions générales de l’action pour le climat et de l’énergie de la Commission européenne ne se parlent pas vraiment ; c’est un fait connu. Ceux qui s’occupent de l’énergie s’intéressent beaucoup plus au marché de l’énergie, notamment à celui de l’électricité, tandis que les autres tiennent compte de considérations particulièrement importantes : le réchauffement climatique.
Quelles observations puis-je vous adresser, monsieur le secrétaire d'État, vous qui allez participer à ce Conseil européen, cette grande réunion biannuelle ? Ce sont non pas des conseils – je ne me permettrai pas de vous en donner –, mais plutôt des recommandations.
Dans le domaine du climat, il faut le dire très clairement, la France prend des initiatives fortes afin de lutter contre le réchauffement climatique. De ce point de vue, je le démontrerai dans un instant, la France n’a pas de leçons à recevoir ; elle pourrait même en donner.
En outre, à défaut d’avoir une politique, nous devons créer un véritable élan pour donner à l’Europe des moyens particulièrement puissants pour peser face à ses grands rivaux que sont les États-Unis d’Amérique et les pays d’Asie.
Par ailleurs, n’allez pas, monsieur le secrétaire d'État, devant nos partenaires européens avec le sentiment que nous sommes le mauvais élève, car c’est exactement le contraire. À cet égard, je citerai quelques chiffres.
La France émet 7 000 tonnes de gaz à effet de serre par habitant et par an, contre 12 000 tonnes en Allemagne. L’énergie électrique produite en France est carbonée à hauteur de 10 %, contre 58 % en Allemagne. Le rapport est de un à six !
M. Jean-Claude Requier. C’est le nucléaire !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Parlons maintenant d’énergie.
Je formulerai une première recommandation, monsieur le secrétaire d'État : chaque pays doit pouvoir définir son propre bouquet énergétique. Le nôtre – il est connu – comprend une part importante de nucléaire. Protégeons cet acquis, qui a été consolidé par tous les gouvernements qui se sont succédé, même si nous avons un certain nombre de perspectives – certaines raisonnables, d’autres plus audacieuses – pour ce qui concerne les énergies renouvelables. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
À cet égard, je me permets de rappeler un point important : si le nucléaire constitue une composante importante de notre bouquet énergétique, nos voisins allemands consacrent une part considérable aux énergies fossiles. La part d’électricité produite par le charbon – ce combustible étant moins nécessaire aux États-Unis et à l’Amérique du Nord, il traverse aujourd’hui l’Atlantique vers l’Allemagne et les pays du nord de l’Europe, notamment – est telle qu’elle est passée en Allemagne de 30 % à 42 %, à laquelle il faut ajouter la production d’électricité à partir du gaz, qui représente 16 %, soit pratiquement 60 %. J’entends parfois que la France est le pays du tout-nucléaire. Mais parle-t-on du pays du tout-charbon ou du tout-fossile qu’est l’Allemagne ? Pourtant, l’Allemagne deviendrait un modèle…
On nous dit que les Allemands vont diminuer leur consommation d’électricité de 40 % d’ici à 2030 et que nous devrions en faire de même. Or je ne crois pas que la consommation va diminuer. Au contraire, celle-ci va gentiment augmenter, en raison de nouveaux usages, tel le véhicule électrique. Toutes les réflexions qui sont aujourd'hui menées sur les moyens à déployer pour produire de l’énergie doivent donc tenir compte d’un paramètre essentiel : la consommation.
Un autre point important concerne le prix payé. Au sein de votre majorité – non plus ici, monsieur le secrétaire d'État, mais dans une autre assemblée –, un courant de pensée, qui a d’ailleurs pris la forme d’un groupe parlementaire, veut à tout prix que l’énergie soit chère. Les écologistes prétendent avec une grande constance que le prix de l’électricité n’est pas assez élevé et que le coût du pétrole doit augmenter. Sur ce dernier point, ils auront largement satisfaction, car un certain nombre de mesures contenues dans le projet de loi de finances vont conduire, au grand dam des consommateurs français, à l’augmentation du prix du gazole ou du fioul, pour les raisons que vous savez et sur lesquelles je n’insisterai pas.
Pour ce qui concerne l’électricité, rappelons que le déploiement de tout le potentiel d’énergies renouvelables est supporté par le consommateur au travers de ce qu’on appelle la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui représente aujourd'hui environ 16 euros par mégawatt. En Allemagne, connaissez-vous, mes chers collègues, le montant de l’équivalent de la CSPE ? Le chiffre est certainement déjà dépassé, alors qu’il ne remonte qu’à quelques mois : 53 euros. Avant même d’utiliser un mégawatt, un Allemand paye 53 euros. Cela est notamment dû au fait que l’Allemagne utilise beaucoup d’énergies renouvelables ; le prix est donc très élevé en raison du coût des infrastructures. Savez-vous, par exemple, que, pour ce qui concerne l’éolien, 20 milliards d’euros ont été dépensés pour produire 40 térawatts-heure ? Concernant le photovoltaïque, ce sont 112 milliards d’euros – je dis bien 112 milliards d’euros ! – qui ont été dépensés pour produire 12 térawatts-heure.
En France, le parc électronucléaire de 58 réacteurs aura coûté moins de 100 milliards d’euros pour produire 400 térawatts-heure. Il faut avoir ces chiffres à l’esprit pour arguer du fait que la politique menée en France n’est pas honteuse. Au contraire ! Ce sont des atouts et des acquis que nous devons défendre.
Le temps qui m’est imparti étant déjà écoulé, je conclurai mon propos en évoquant une nouvelle qui nous a beaucoup réjouis ; je veux parler de Jean Tirole, qui s’est vu décerner le prix Nobel d’économie. Ce professeur a réalisé des travaux importants sur la puissance du marché et de la régulation. Or, monsieur le secrétaire d'État, en matière d’énergie, il faut à la fois du marché, de la régulation et de l’ambition ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission du développement durable.
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis très heureux de m’exprimer ce soir pour la première fois à cette tribune en tant que président de la commission du développement durable pour évoquer la question essentielle du climat, qui sera l’objet d’une très importante conférence internationale à Paris en 2015 et qui sera à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
La politique énergétique et climatique fait partie des cinq priorités stratégiques définies par les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne pour les cinq prochaines années. Ainsi que le relevait le Conseil européen du 27 juin dernier, « les événements géopolitiques, la compétition mondiale pour l’énergie et les impacts des changements climatiques nous incitent à repenser notre stratégie énergétique et climatique. Nous devons éviter une Europe reposant sur les importations massives de gaz et de combustibles. Pour s’assurer que l’énergie du futur soit pleinement sous contrôle, nous devons construire une Union européenne qui tend vers une énergie abordable, à l’approvisionnement sûr et durable ».
C’est dans ce contexte que, les 23 et 24 octobre prochain, les chefs d’État ou de gouvernement des vingt-huit États membres de l’Union européenne se réuniront pour statuer sur les trois objectifs du paquet énergie-climat pour 2030. Ces trois objectifs, tels que proposés actuellement par la Commission européenne, sont les suivants : 40 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins ; 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique et 30 % d’efficacité énergétique par rapport aux projections futures de consommation d’énergie, c’est-à-dire un effort substantiel d’économies d’énergie.
Il est intéressant de noter que l’objectif en matière d’efficacité énergétique ne faisait pas partie de la proposition initiale de la Commission européenne et n’a été ajouté au paquet énergie-climat qu’en juillet dernier. On sait en effet que l’efficacité énergétique a un impact significatif sur l’indépendance énergétique, notamment sur la sécurité des approvisionnements et les importations de gaz. Selon les calculs réalisés par la Commission, un objectif de 30 % d’économies d’énergie d’ici à 2030 permettrait de réduire dans la même proportion les importations de gaz par rapport aux chiffres de 2010.
À ce stade des discussions, sur les trois objectifs évoqués, seul celui de 27 % d’énergies renouvelables serait contraignant et, en outre, à la seule échelle de l’Union européenne, sans ventilation par pays. Or chacun sait qu’il existe une grande disparité entre les pays membres, avec plus de 50 % d’énergies renouvelables dans certains pays comme la Suède et moins de 5 % au Royaume-Uni, par exemple.
Les lignes directrices préparées en prévision du Conseil européen évoquent également la nécessité de réformer le marché européen du carbone, en durcissant le plafond annuel de quotas, tout en maintenant des quotas gratuits pour les industries les plus exposées à la concurrence internationale.
La commission du développement durable a déjà eu l’occasion de souligner l’année dernière, assez unanimement d’ailleurs, la nécessité d’engager une réforme structurelle de ce marché d’échange, qui ne permet pas d’atteindre les objectifs de diminution des émissions de gaz à effet de serre et qui, de surcroît, pénalise certains secteurs économiques.
Je ne rentrerai pas dans le débat sur les chiffres proposés, qui sont cohérents avec les objectifs retenus jusqu’à présent dans notre pays. Nous aurons largement l’occasion de nous exprimer au cours de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte sur le niveau d’ambition pour la France. La commission du développement durable prendra d’ailleurs toute sa part dans cette discussion déterminante pour l’avenir de notre économie.
Dans le contexte européen actuel, certains pays s’interrogent sur les objectifs proposés. Ils ont même manifesté, pour certains d’entre eux, une claire opposition lors du dernier Conseil européen consacré à ce sujet. C’est la raison pour laquelle des mesures de flexibilité et des mécanismes de soutien ont été prévus. Il s’agit en particulier des pays de l’Est, qui, derrière la Pologne et le groupe de Visegrád, refusent l’adoption d’objectifs contraignants pour 2030, préférant attendre les résultats de la conférence internationale de 2015 sur le climat.
Cette conférence internationale est une priorité de la diplomatie française, et nous nous en réjouissons. Concernant ces questions climatiques, le prochain Conseil européen sera le premier véritable test pour notre pays. À cet égard, pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le secrétaire d'État, dans l’optique de la présidence française des négociations de 2015 ? L’enjeu est en effet, vous en conviendrez, tout à fait considérable.
Trois mécanismes de solidarité sont aujourd’hui en discussion dans le cadre du paquet énergie-climat : la création d’une réserve de 400 millions de quotas pour financer des projets industriels pilotes à bas carbone ; la création d’un nouveau fonds, afin d’aider à moderniser les systèmes énergétiques et l’efficacité énergétique des pays dont le PIB est inférieur à 60 % de la moyenne européenne ; enfin, un transfert de 10 % des quotas destinés à être vendus aux enchères à destination des pays dont le PIB n’excède pas 90 % de la moyenne européenne, à savoir les pays de l’est et du sud de l’Europe.
Ces contreparties permettront-elles d’emporter un accord sur les objectifs européens ? Quelle sera la position de la France sur ces points précis ? Nous aimerions vous entendre sur ces questions, monsieur le secrétaire d'État.
Il s’agit bien à présent pour notre pays de tracer les grands axes de sa politique extérieure en matière de dérèglement climatique, dans la perspective de la conférence de Paris sur le climat. La feuille de route fixée en décembre 2011 lors de la conférence de Durban est claire : tous les pays doivent parvenir en 2015 à un accord applicable à tous, juridiquement contraignant et ambitieux, afin de respecter l’objectif de contenir le réchauffement climatique à deux degrés que s’est fixé la communauté internationale. Si l’on souhaite voir aboutir la conférence de Paris, il est impératif de pouvoir s’appuyer sur une position commune et forte, portée par tous les pays de l’Union, avant cette échéance.
La commission du développement durable contribuera à la réflexion commune en participant en fin d’année à la conférence préparatoire de Lima ainsi qu’aux différentes rencontres interparlementaires internationales et en reprenant les travaux de son groupe de travail sur les questions climatiques, qui se mobilisera tout au long de l’année 2015. Nous en sommes convaincus, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer dans la définition d’un nouvel accord mondial.
Il nous faut donc donner lors de ce Conseil européen un signal politique fort et clair. Il n’en faut pas moins rester réalistes afin que le signal envoyé soit positif.
Au-delà de l’impérieuse nécessité d’obtenir un accord international en décembre 2015, il est aussi indispensable de fixer une fois pour toutes un horizon clair pour les investisseurs qui ont besoin, en ce domaine comme dans bien d’autres, d’un cadre juridique stable et prévisible. Dans un contexte de crise économique grave, les négociations autour du paquet énergie-climat doivent aussi être l’occasion d’enclencher une politique économique résolument ambitieuse et génératrice d’emplois. De nombreux industriels européens l’ont parfaitement compris. C’est pourquoi ils se mobilisent fortement autour du prochain Conseil européen.
En France, le Conseil national de l’industrie prône un objectif contraignant prioritaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cinquante-sept entreprises et fédérations des secteurs de l’énergie et de la distribution ont appelé, dans une lettre adressée au Conseil européen, à un paquet énergie-climat ambitieux afin de permettre un accord mondial à Paris et de sécuriser les investissements à long terme.
Réussir la transition énergétique, c’est aussi adopter un cadre réglementaire national et européen cohérent et stable afin d’apporter la visibilité essentielle aux acteurs économiques tout en préservant à court terme la compétitivité des entreprises intensives en énergie et des entreprises fortement exposées à la concurrence internationale.
L’objectif à atteindre est clair. La position de la France dans le cadre de ce Conseil européen va largement conditionner sa crédibilité pour les négociations internationales à venir. En mars dernier, le Conseil européen n’était pas parvenu à adopter d’objectifs chiffrés pour 2030. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons désormais plus le droit à l’erreur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les 23 et 24 octobre prochain, les questions de climat et d’énergie seront en tête de l’ordre du jour du Conseil européen – plusieurs de nos collègues ont développé cet aspect –, mais il y sera aussi examiné la situation économique de l’Union européenne et de ses États membres. C’est pourquoi j’ai souhaité intervenir sur différents aspects de cette situation en la mettant en perspective à la lumière de questions budgétaires.
Pour commencer, je m’interroge sur l’examen annuel de croissance, qui marque le début du semestre européen. En 2014, la première priorité retenue est « d’assurer un assainissement budgétaire différencié propice à la croissance ». Il doit donc s’agir de concilier consolidation budgétaire et croissance. Le gouvernement français est pleinement engagé dans cette voie, mais les autorités européennes et certains de nos partenaires ne semblent pas prêts à dépasser le stade des discours.
À ce sujet, je souhaite précisément évoquer l’évaluation par la Commission européenne des projets de plans budgétaires des États membres de la zone euro, suite au two-pack entré en vigueur le 30 mai 2013. Nous saurons d’ici au 30 octobre si la Commission européenne a décelé dans le budget français un manquement particulièrement grave aux obligations découlant du pacte de stabilité et de croissance et si elle demande qu’un projet révisé lui soit soumis.
Ce Conseil est l’occasion de rappeler qu’un assainissement propice à la croissance n’est pas un assainissement qui étouffe la croissance. Le cas allemand constitue une bonne illustration de ce phénomène : les prévisions de croissance ont été abaissées, et il se pourrait que le dynamisme économique de l’Allemagne marque un ralentissement sur la durée. La crise économique a eu une incidence sur le potentiel de croissance de nos économies, et il ne faut pas l’empêcher de se reconstituer si nous voulons qu’un jour l’Europe contribue à nouveau à la croissance mondiale. L’Eurogroupe envoie des signaux encourageants en débattant des modalités selon lesquelles pourrait être mis sur pied un fonds d’investissement afin, notamment, de mettre en œuvre le plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur les trois prochaines années.
On assiste à de nombreux débats sur les modalités de financement de ces investissements, sur le rôle que pourraient jouer la Banque européenne d’investissement et les banques nationales telles que la KfW allemande ou la Caisse des dépôts française et sur le rôle que pourrait jouer ou ne pas jouer le mécanisme européen de stabilité. Mais on peine à y voir clair sur le type d’investissements visés. On évoque beaucoup les infrastructures. Ce plan portera-t-il essentiellement sur elles ? Je pense, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous donnerez peut-être des indications sur ce débat qui ne fait que commencer.
Enfin, je voudrais revenir sur l’agenda de la zone euro en matière bancaire et financière, point sur lequel la commission des finances est traditionnellement très vigilante. Dans ce domaine, le principal chantier en cours est celui de l’union bancaire. Dans quelques semaines, le premier pilier de l’union bancaire, le mécanisme de surveillance unique, va entrer en vigueur.
Le deuxième pilier est la résolution unique, c’est-à-dire la mise en place d’une architecture et d’un financement commun pour gérer les crises bancaires, afin d’éviter au maximum l’appel au contribuable pour renflouer les banques. Le règlement européen a été adopté et le projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne – dont le sigle « DDADUE » peut prêter à sourire –, que nous examinerons cette semaine, prévoit l’adaptation de notre droit à cette nouvelle architecture.
Cependant, la commission des finances est soucieuse du financement de notre économie. Elle n’oublie pas non plus que le contribuable français sera tout de même indirectement sollicité puisque toutes les sommes versées par les banques au fonds européen viendront réduire le montant de l’impôt sur les sociétés qu’elles acquittent et qu’il faudra donc trouver de l’argent ailleurs pour poursuivre la réduction des déficits. C’est la raison pour laquelle nous nous inquiétons de la contribution des banques françaises au Fonds de résolution unique européen de 55 milliards d’euros. Nous avons donc adopté un amendement sur la proposition de notre collègue Richard Yung, rapporteur, qui permet, en quelque sorte, de « surseoir à statuer » sur la participation de la France au mécanisme de résolution unique tant que nous ne connaissons pas le résultat de la négociation sur le financement du Fonds de résolution unique.
Sur le fond, nous voudrions savoir pourquoi les banques françaises devraient payer une part supérieure aux banques allemandes alors que notre économie est de plus petite taille et notre système bancaire réputé moins risqué. Sur le calendrier, nous voudrions comprendre pourquoi la Commission européenne tarde à prendre les « actes délégués » dans lesquels doit figurer la répartition des contributions entre les différents systèmes bancaires de la zone euro.
Par ailleurs, si le fonds de résolution ne suffisait pas à éponger les pertes d’un établissement, quel serait le filet de sécurité ? Lors du lancement de l’union bancaire, l’objectif était de permettre in fine un financement par le mécanisme européen de stabilité, le MES. Cette idée a du mal à aboutir, alors même qu’elle représenterait la véritable intégration et la véritable solidarité à l’échelle de la zone euro. Un accord politique a été obtenu au sein de l’Eurogroupe le 13 juin dernier sur ce sujet, mais il pose de multiples conditions à l’utilisation du MES et nécessite de passer par la procédure lourde de l’accord intergouvernemental. Nous aimerions savoir si cette idée a des chances de prospérer.
Je conclurai en souhaitant que la France ne baisse pas la garde en matière de régulation financière. Le commissaire Jonathan Hill a présenté la régulation du shadow banking – la finance de l’ombre – comme l’un de ses chantiers prioritaires. Encore une fois, à nous de l’aider à passer de la parole aux actes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce premier débat préalable au Conseil européen depuis le dernier renouvellement du Sénat. C’est un moment important auquel nous sommes très attachés. Il est en effet essentiel que le Sénat puisse avoir ce dialogue avec le Gouvernement, et je remercie M. le secrétaire d’État de sa disponibilité. Je remercie également mon prédécesseur, Simon Sutour, qui a veillé lors de la précédente mandature à ce que ce débat soit régulièrement organisé afin de partager auprès d’une majorité de nos collègues les problématiques européennes, problématiques que notre collègue Fabienne Keller a souligné comme étant très clairement imbriquées dans les problématiques nationales.
Notre débat d’aujourd’hui s’inscrit dans le contexte du renouvellement des institutions européennes. Si le Parlement européen confirme le 22 octobre, dans quelques jours à peine, la nouvelle Commission présidée par Jean-Claude Juncker, le Conseil européen pourra procéder à la nomination du collège.
Les défis sont nombreux. Jean-Claude Juncker les a identifiés. Il propose une feuille de route qui nous paraît pertinente. Il s’agit en effet de se concentrer sur les priorités de l’heure : la croissance et l’emploi, en tout premier lieu ; le climat et l’énergie ; le traité transatlantique ; le numérique ; les questions migratoires. Tels sont les grands sujets sur lesquels l’opinion publique attend l’Europe. Celle-ci ne doit plus se disperser dans des questions de détail. Cela lui a fait beaucoup de mal par le passé. La subsidiarité doit jouer pleinement son rôle. Nous, parlements nationaux, devons être les gardiens vigilants du respect de ce principe !
Le climat et l’énergie, chacun l’a dit, seront les deux sujets majeurs inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen. Celui-ci devra en effet prendre une décision finale sur le nouveau cadre d’action dans ces domaines. Sa décision devra inclure la sécurité énergétique de l’Europe et les objectifs en matière d’interconnexion à l’horizon de 2030.
Le défi climatique est immense, nous le savons : 2013 a établi un nouveau record pour les émissions mondiales de CO2. Le GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, estime qu’en prolongeant la trajectoire actuelle, le réchauffement atteindrait six degrés d’ici à la fin du siècle. Or les conséquences du réchauffement risquent de devenir incontrôlables au-delà de deux degrés. Sans doute la communication sur ces enjeux essentiels a-t-elle été maladroite, voire déficiente. À mes yeux, elle n’a pas suffisamment fait place aux scientifiques. On a trop privilégié une écologie punitive au détriment d’une écologie éducative.
L’Union européenne s’est positionnée comme pionnier de la lutte contre le changement climatique. Le président Juncker a repris les objectifs ambitieux de la Commission sortante. Cependant, il faut veiller à ce que l’Union européenne ne se fragilise pas unilatéralement en cherchant à être la « première de la classe ». Un principe de réciprocité doit s’appliquer. Je rappelle que l’Europe représente aujourd’hui environ 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. De 1990 à 2011, ces émissions ont augmenté de 214 % en Chine, contre 130 % en Inde et 8 % aux États-Unis, alors que, dans le même temps, l’Europe abaissait les siennes de 18 %. Or, à ce jour, aucun engagement international contraignant n’implique l’Inde ni la Chine. C’est la raison pour laquelle la conférence de Paris sur le climat en 2015 revêtira un enjeu crucial.
Soyons aussi conscients des très grandes disparités nationales existant au sein de l’Union. La directive sur l’efficacité énergétique de décembre 2012 n’a été correctement mise en œuvre que par la moitié de ses États membres. En mars 2014, plusieurs États membres d’Europe centrale et orientale ont demandé un « partage équitable du fardeau » pour atteindre les objectifs climatiques à l’horizon de 2030.
Certains secteurs industriels tirent aussi la sonnette d’alarme sur les risques de « désavantages compétitifs ». Des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu. Les secteurs de l’agriculture et des transports sont également exposés. On voit bien que ces questions doivent recevoir, je le répète, des réponses au niveau mondial.
L’Union européenne subit une désindustrialisation aux causes certes multiples, mais où le prix de l’énergie joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis – le président Lenoir le sait mieux que quiconque. À la recherche de nouveaux moteurs pour sa croissance, l’Europe doit donc réfléchir à une politique véritablement énergétique. Elle doit aussi veiller à sa sécurité énergétique.
On a beaucoup investi dans les énergies renouvelables. Dans un récent rapport sur la coopération énergétique franco-allemande, j’avais fait valoir que l’Union européenne devait financer la transition énergétique tout en soutenant sa réindustrialisation. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer cette évolution. Au-delà, la progression des énergies renouvelables sera inévitablement ralentie dans un avenir proche. En effet, les investissements indispensables n’ont pas été réalisés pour pallier l’intermittence caractérisant la plupart des énergies renouvelables.
Voilà ce que je souhaitais dire concernant le paquet climat-énergie.
La situation économique au sein de l’Union européenne sera aussi un enjeu important de ce Conseil européen.
Chacun peut faire le constat préoccupant de l’atonie de l’économie européenne. Jean-Claude Juncker a annoncé un plan d’investissement de 300 milliards d’euros. Nous pouvons soutenir la démarche. Encore faut-il examiner de près d’où viendront les financements de ce plan. Vous avez commencé à l’évoquer, monsieur le secrétaire d’État. Je veux ici mettre en garde sur une éventuelle utilisation unilatérale des crédits des fonds structurels européens. Ceux-ci sont très attendus dans nos collectivités locales, notamment pour compenser, au moins en partie, la baisse drastique des dotations de l’État. Tout détournement de ces fonds ferait l’effet d’une douche froide dans nos territoires. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons vos explications à ce sujet.
En toute hypothèse, les débats autour d’une relance européenne ne peuvent dispenser la France de rétablir ses finances publiques et de réaliser les réformes structurelles indispensables.
À cet égard, je rappelle que nous évoluons dans un cadre juridique européen, établi à la suite de la crise économique et financière. C’est en vertu de nos engagements européens que le gouvernement français, comme celui de chaque État membre de la zone euro, doit soumettre à la Commission européenne avant le 15 octobre, c’est-à-dire avant demain, son projet de plan budgétaire. La Commission européenne rendra un avis public sur ce projet avant la fin de novembre ; elle peut, en particulier, requérir d’un État membre qu’il révise son projet sous trois semaines. Si, par hypothèse, ce cas de figure se présentait pour la France, je souhaite que nous demandions à la Commission européenne de venir expliquer sa position devant le Sénat ; la possibilité en est expressément prévue par le TSCG adopté en mars 2012. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l'UDI-UC.)
Au vu de la situation de récession constatée au début de 2013, notre pays a déjà bénéficié d’un délai supplémentaire de deux ans pour ramener son déficit en dessous des 3 % du PIB. La Commission européenne avait toutefois souligné que la France avait une marge de manœuvre nulle en matière budgétaire. Elle avait aussi pointé un « progrès limité » en ce qui concerne les efforts structurels. En conséquence, elle invitait les autorités françaises à exécuter le budget de manière rigoureuse.
À vrai dire, l’avis plus que réservé rendu le 2 octobre dernier par le Haut Conseil des finances publiques, dont je vous rappelle qu’il est un organisme indépendant, sur le projet de budget augure mal de la position à venir de la Commission européenne. De fait, je doute que la situation de « circonstances exceptionnelles » prévue par les textes européens puisse être utilement invoquée : la France l’a déjà invoquée en mai 2013, pour obtenir un délai au cours duquel sa situation budgétaire s’est encore plus dégradée.
Quant à invoquer des « circonstances exceptionnelles » à l’échelle collective, en arguant de l’atonie de la croissance européenne et du risque de déflation, la France, si elle s’y risquait, pourrait se trouver très isolée en Europe. En effet, ces « circonstances exceptionnelles » n’ont pas été reconnues au plus fort de la crise, en sorte que des États, comme l’Espagne, ont dû consentir de très grands efforts de rigueur budgétaire, qui, du reste, commencent à porter leurs fruits, si j’en crois les propos tenus récemment par le président du comité monétaire et financier international du FMI.
Je le dis clairement : au-delà des clivages politiques, l’heure est au courage politique. Dans ce contexte, la majorité et l’opposition, même si elles ont des divergences d’analyse sur la situation actuelle, doivent rechercher un accord sur des mesures rationnelles propres à remédier aux difficultés présentes, avec le souci, tout simplement, de l’intérêt de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Je tiens avant tout à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés pour la richesse de leurs interventions ; elles ont éclairé dans leurs différentes facettes les enjeux du Conseil européen des 23 et 24 octobre et ont fait valoir l’importance de ce rendez-vous.
Je remercie M. Gattolin pour le travail qu’il mène actuellement afin de sensibiliser la communauté internationale et les dirigeants européens à la situation alarmante de l’Arctique et aux conséquences des bouleversements climatiques dans cette région sur l’élévation du niveau des mers et sur les équilibres climatiques dans le monde, y compris en Europe. Je sais, monsieur le sénateur, que vous vous êtes rendu très récemment sur le terrain.
Dans votre intervention, vous avez souligné le lien très étroit qui unit la politique énergétique et climatique qui sera en discussion au cours du prochain Conseil européen aux enjeux d’indépendance géostratégique pour l’Union européenne. D’autres orateurs ont également insisté sur cette relation. De fait, certains États membres dépendent à 100 % de la Russie pour leurs fournitures de gaz, et plusieurs en dépendent à plus de 50 %, ce qui n’est pas une situation saine.
En réfléchissant aujourd’hui à une nouvelle politique énergétique, nous nous efforçons, tout en respectant les choix des États membres en matière de mix énergétique, de renforcer la solidarité et les interconnections et de réduire notre dépendance aux fournitures extérieures, notamment en développant nos sources propres de production d’énergie, en particulier les sources d’énergie renouvelable, mais aussi en encourageant l’efficacité énergétique, qui est actuellement la principale source d’économies d’énergie.
Telle est la politique que nous menons en France et dont la future loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte est l’instrument. En particulier, nous mettons en place des aides fiscales et des mesures de soutien au secteur économique de l’isolation pour que les ménages, comme les équipements publics, bénéficient d’une meilleure efficacité énergétique.
Cette politique, nous voulons qu’elle soit appliquée à l’échelle de l’ensemble de l’Union européenne. Ainsi, nous lutterons contre le réchauffement climatique en même temps que nous travaillerons à assurer notre indépendance énergétique.
Nous pensons aussi qu’il y a là un nouveau secteur d’innovation technologique, de création d’activités et de leadership industriel qui peut être développé au service de l’emploi en Europe. Car si l’Europe est leader dans les domaines de l’énergie, elle pourra proposer ses technologies à l’échelle internationale et verra ses entreprises prospérer dans la mondialisation. Remarquez que je parle de tous les domaines de l’énergie. De notre point de vue, en effet, il ne faut pas opposer l’excellence de notre savoir-faire dans le domaine du nucléaire, qui réalise une grande part de notre production électrique et assure notre indépendance énergétique, au développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique par l’isolation.
Nous voulons que le Conseil européen aboutisse à des objectifs contraignants en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de montée en puissance des énergies renouvelables. Une fois ces objectifs contraignants fixés à l’échelle de l’Union européenne, il faudra déterminer la part de l’effort qui revient à chaque pays, car nous ne partons pas tous du même point. Ainsi, la Pologne produit 90 % de son électricité à partir du charbon : il est évident que sa situation n’est pas la même que celle de la France, où 75 % de l’électricité produite vient du nucléaire.
Dans notre pays, nous voulons que les énergies renouvelables se développent et que la part du nucléaire soit rééquilibrée, sans qu’il s’agisse d’y renoncer. En effet, selon la future loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le nucléaire continuera de représenter 50 % de notre production d’électricité à l’horizon de 2025. Nous allons donc poursuivre l’entretien de notre technologie et de nos savoir-faire dans ce domaine. En particulier, nous remplacerons progressivement les plus anciennes centrales par de nouveaux EPR comparables à celui qui est en construction à Flamanville.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est très intéressant !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Dans d’autres pays, il est évident que l’évolution du mix énergétique devra être beaucoup plus importante, et même considérable. En Pologne, l’objectif est, à terme, de ne plus produire d’électricité à partir d’une énergie fossile qui émet autant de gaz à effet de serre que le charbon. Sans doute, cela ne se fera pas du jour au lendemain : il faut prendre en compte les réalités de chaque pays, de même qu’il faut respecter la souveraineté des États membres en matière de mix énergétique. Reste que tout le monde doit contribuer à l’effort global : c’est pourquoi, en Pologne aussi, il faut promouvoir d’autres sources d’énergie.
Je répète que, dans ces deux domaines, des objectifs contraignants seront fixés, ainsi qu’une cible en matière d’efficacité énergétique. Nous aurions pu concevoir que, dans ce domaine aussi, un objectif contraignant soit défini, puisque nous allons nous en donner un, en ce qui nous concerne, dans la future loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte ; mais il faut pour cela qu’un accord soit trouvé.
Pour aider chacun des pays à atteindre la cible d’une amélioration de 30 % de l’efficacité énergétique, nous devrons utiliser les fonds européens : le budget européen, mais aussi le prochain plan de soutien aux investissements proposé par Jean-Claude Juncker.
À ce propos, M. Bocquet a insisté, entre autres questions, sur celle du soutien aux investissements, qui se pose aujourd’hui partout en Europe, y compris en Allemagne. Vous avez mentionné, monsieur le sénateur, les travaux récents d’un institut d’économie important, le DIW. Je puis vous dire que, au cours des échanges qui ont eu lieu avec les autorités allemandes à l’occasion du déplacement que le Premier ministre a accompli dernièrement dans ce pays, le ministère allemand de l’économie nous a fait part d’une évaluation, réalisée par différents instituts et par ses propres services, dont il résulte qu’il existe un besoin d’investissement de 80 milliards d’euros par an dans les infrastructures.
Vous avez raison de souligner que, aujourd’hui, pour faire face aux problèmes économiques du continent, il ne faut pas s’attacher seulement à la réduction des déficits et de l’endettement, même si cette tâche est absolument indispensable, parce que l’endettement entraîne des impôts et une dépendance aux marchés financiers qui peut être source de menaces pour la souveraineté des États. Il faut que cette consolidation budgétaire s’accompagne d’investissements dans les infrastructures et dans les projets qui conforteront la croissance immédiate ainsi que le potentiel de croissance future. C’est pourquoi nous avons obtenu que figure dans les conclusions du Conseil européen des 26 et 27 juin denier le principe d’une application du pacte de stabilité et de croissance qui en exploite toutes les flexibilités. Ce principe fait évidemment référence à la situation économique dans laquelle se trouve la zone euro.
En matière de réduction des niveaux de déficit et d’endettement, il y a donc un objectif général et des étapes fixées pour chacun des États membres ; mais il y a aussi une situation dont il faut tenir compte, car il n’est pas équivalent de réaliser ces objectifs lorsqu’il y a 2 % ou 3 % de croissance et lorsqu’il y a une croissance nulle, voire négative, ce qui est le cas dans plusieurs des grandes économies de la zone euro depuis le début de l’année.
M. Bocquet a également voulu souligner que le mécanisme d’audition des commissaires avait pu être contrebalancé par des négociations de couloir. Pour ma part, je ne veux pas porter de jugement sur la manière dont se déroulent les négociations dans un autre Parlement que le Parlement français. Je pense que ces auditions ont tout de même joué leur rôle et que ce mécanisme démocratique permet au Parlement européen, auquel les traités européens reconnaissent le pouvoir d’investir le collège des commissaires, d’entendre les candidats pendant trois heures et d’obtenir d’eux, en leur posant des questions extrêmement précises, des réponses et des engagements sur les questions qu’ils auront à traiter. Grâce à ces auditions, le Parlement européen a pu s’assurer que le futur collège des commissaires s’engageait à mettre en œuvre les priorités stratégiques sur lesquelles le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait été préalablement investi.
Comme le président Bizet l’a signalé il y a quelques instants, nous sommes tout à fait soucieux que l’Europe se concentre sur quelques grandes priorités et qu’elle respecte le principe de subsidiarité ; d’ailleurs, les Parlements nationaux auront un rôle à jouer pour veiller au respect de ce principe. Ainsi, l’Europe pourra être au rendez-vous de l’attente des citoyens sur les grands objectifs essentiels que sont la croissance et l’emploi, la politique énergétique, le numérique, qui est un projet d’avenir crucial, la politique d’immigration et la politique étrangère et de sécurité commune.
Je pense que les auditions ont permis de vérifier que les futurs commissaires étaient bien en phase avec ces priorités, qui viennent d’être mentionnées par les orateurs. Pour certains commissaires, des questions sont apparues qui ont justifié une nouvelle audition, dans un cas, ou une discussion avec le président de la Commission européenne. Une candidate a même été contrainte de renoncer. Autant de preuves qu’il s’agit d’un processus non pas artificiel, mais solide.
Je me réjouis que le commissaire français, Pierre Moscovici, qui a été désigné par le président de la Commission européenne pour occuper la fonction la plus importante en matière de politique économique, celle de commissaire aux affaires économiques et financières et à la fiscalité – cette dernière attribution ayant été ajoutée au portefeuille –, ait réussi son audition et que les commissions compétentes qui l’ont auditionné aient émis un avis positif sur sa nomination.
Jean-Claude Requier a insisté particulièrement sur les enjeux de la politique étrangère et de défense commune. Monsieur le sénateur, vous avez souligné à quel point il était aujourd’hui nécessaire que l’Europe se dote d’outils plus nombreux et d’une cohésion plus grande dans ces domaines.
Pour le Mali comme pour l’Irak, nous nous sommes beaucoup mobilisés pour que les Européens engagent une action commune. Si nous avons agi sans attendre, c’est parce qu’il y avait urgence. Notre engagement aérien aux côtés des États-Unis d’Amérique pour soutenir le gouvernement irakien et les Peshmergas kurdes a permis de porter un coup d’arrêt à l’offensive de Daech. Ce combat doit continuer, en particulier pour sauver la ville martyre de Kobané.
Ces actions ont permis d’entraîner les Européens. Au Mali, la brigade franco-allemande ainsi que plusieurs pays de l'Union européenne mènent aujourd'hui une opération de formation de l’armée malienne. En République centrafricaine, une mobilisation a également lieu pour l’opération qui s’y déroule. De même, plusieurs pays de l'Union européenne sont engagés à nos côtés et aux côtés des États-Unis dans le cadre de la coalition internationale afin de combattre, de réduire et de faire disparaître ce groupe Daech, qui terrorise la population et tous ceux qui ne partagent pas ses vues.
Vous le savez, cette priorité figurait à l'ordre du jour du Conseil européen de décembre dernier. Nous avons fixé un certain nombre d’objectifs extrêmement précis pour renforcer l’efficacité de la politique de sécurité et de défense commune : coordination en matière d’industrie de défense, mise en place de groupes tactiques,… Dans ce domaine, nous avançons. Il est essentiel pour la France que l’Europe mesure l’importance de se doter d’une véritable politique étrangère et de défense commune. En la matière, nous renforçons en permanence notre coopération avec notre principal partenaire en Europe, l’Allemagne. Même si nous savons que les conditions de sa participation à des opérations extérieures sont parfois plus contraignantes et plus difficiles que pour nous, elle aussi fournit des armes aux Kurdes en Irak. Au reste, l'Allemagne est également présente dans le cadre de plusieurs opérations extérieures auxquelles la France participe – je l’ai rappelé à propos du Mali.
Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez insisté sur la nécessité de respecter la souveraineté de chacun des États en matière de politique énergétique et climatique. Nous partageons ce point de vue. Pour autant, n’opposons pas nos choix, favorables à la réduction des gaz à effet de serre – la montée en puissance des énergies renouvelables combinée à la fourniture de l’énergie nécessaire à notre économie et à notre industrie –, à la coopération européenne. Nous ne parviendrons pas à être efficaces en matière de lutte contre le changement climatique ni à assurer l’indépendance énergétique de l’Union européenne si nous n’approfondissons pas davantage nos objectifs communs.
Je suis d’accord avec vous pour dire que la politique énergétique et climatique est un grand projet pour l'Union européenne. Derrière les mots, les chiffres et les cibles qui seront l’objet de la discussion et de l’accord au Conseil européen, il s'agit d’un grand projet industriel et économique. Sa mise en œuvre suppose une modification de nos modes de transport et d’habitat, qui touchera l’ensemble des citoyens et de notre tissu économique. Notre capacité à mener ce projet à bien sera évidemment plus forte si nous le faisons ensemble, plutôt que sans coordination.
Si nous voulons développer des technologies du futur – le stockage de l’énergie, par exemple –, nous avons besoin d’investir ensemble. Si nous voulons disposer de réseaux permettant l’interconnexion de nos différents systèmes et marché nationaux, il nous faut également investir ensemble. Enfin, si nous voulons demain être leader et faire en sorte que la conférence de Paris sur le climat en 2015 aboutisse à des résultats – comme cela a été dit, c'est une priorité diplomatique pour la France que de parvenir à un accord mondial –, il faut que l'Europe annonce très vite quels sont les objectifs qu’elle s'est fixés et que le Conseil européen d’octobre débouche sur un accord sur l’énergie et le climat.
Monsieur le sénateur, vous avez également abordé la situation en Ukraine, comme d’autres intervenants. Les sanctions ne sont pas une fin en soi, mais un outil qui s'est avéré indispensable pour que l'Europe et la communauté internationale fassent pression sur la Russie et expriment leur refus de la violation du droit international. La Russie, en annexant la Crimée, en soutenant l’action armée des séparatistes de l’est de l’Ukraine, en fournissant des armes, en installant des soldats à la frontière, s'est placée en contradiction avec les grands principes du droit international. Nous ne pouvions l’accepter. Les sanctions ont été l’un des éléments de notre action commune, qui a permis de rouvrir un dialogue.
Nous en sommes absolument convaincus, il n’y aura de solution que politique à cette crise entre l’Ukraine et la Russie. C'est pourquoi la France a fait en sorte que le dialogue puisse s'instaurer entre le Président Poutine et le Président Porochenko à l’occasion des cérémonies du soixante-dixième anniversaire du débarquement. Ce « format Normandie », avec la Chancelière Merkel, le Président François Hollande et les présidents russes et ukrainiens, a permis au dialogue de se poursuivre à travers plusieurs conférences téléphoniques et des rencontres des ministres des affaires étrangères.
Nous faisons en sorte que soit mis en œuvre et respecté point par point l’accord signé à Minsk le 5 septembre dernier suivi d’un mémorandum d’application le 19 septembre, qui a permis un cessez-le-feu. Malheureusement, celui-ci a été rompu, mais le niveau de violence est quand même retombé par rapport à cet été, lorsque nous avons frôlé la catastrophe, celle d’une confrontation directe entre les armées ukrainiennes et russes.
Aujourd'hui, tous les éléments permettant un apaisement doivent être mis en œuvre. Je pense aux réformes institutionnelles en Ukraine, afin de prendre en considération les populations de l’est du pays ou au respect scrupuleux de la souveraineté et des frontières de ce pays par la Russie. En attendant un Conseil européen ultérieur, les organes de consultation entre les États membres examineront au fur et à mesure l’application du plan de paix signé à Minsk, contrôlée notamment par l’OSCE, et la possibilité d’aller vers une levée ou non des sanctions. Je le répète, les sanctions ne sont pas une fin en soi, elles sont un élément qui a permis de rouvrir le canal du dialogue politique et de la diplomatie.
Mme Keller a évoqué au début de son intervention la crise sanitaire liée à l’épidémie de fièvre Ébola qui frappe l’Afrique de l’Ouest. Or, d’ores et déjà, l'Europe et les États-Unis sont concernés. Sur ce sujet, comme vous le savez, nous souhaitons que la mobilisation et la coordination européennes soient très importantes. La France a déjà contribué à hauteur de près de 40 millions d’euros d’aides bilatérales – 75 millions d’euros avec nos contributions multilatérales – à cette mobilisation internationale, dont une grande partie passe par l'Europe.
Nous sommes en train de mettre en place un centre de traitement à Macenta, en Guinée-Équatoriale, et nous avons accepté – le Président de la République l’a confirmé aujourd'hui au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon – de construire de nouveaux centres de traitement dans ce pays. Nous sommes évidemment convaincus de la nécessité d’une action totalement coordonnée de l'Union européenne pour lutter contre cette pandémie. Nous devons également nous montrer solidaires des pays d’Afrique qui sont aujourd'hui terriblement touchés.
Mme Keller est également revenue sur le projet de budget pour 2015. Je tiens à l’assurer que nous respectons et respecterons nos engagements et nos partenaires européens. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a été conduit à insister sur le fait que les partenaires européens devaient, eux aussi, se respecter. À cet égard, les déclarations du président de l’Eurogroupe, M. Dijsselbloem, étaient particulièrement déplacées compte tenu de ce que sont aujourd'hui les efforts accomplis par les pays de la zone euro et les autres États membres de l’Union européenne pour sortir de la crise économique dans laquelle ils sont plongés. D'ailleurs, la présidente Michèle André a insisté sur le fait que, en ce moment même, nous adoptons des mesures qui permettront la mise en œuvre de l’union bancaire, avec en particulier le Fonds de résolution unique et le mécanisme de résolution unique. Ces deux éléments devront permettre d’éviter que ne se reproduise, à l’avenir, la contamination d’une crise bancaire à l’ensemble de l’économie de la zone euro.
Chacun de nos pays, en particulier la France en tant que deuxième économie de la zone euro, est amené à contribuer financièrement à la mise en œuvre de ces instruments de la future union bancaire. La France apporte également sa contribution à l’ensemble des politiques que nous avons évoquées, y compris au travers de son engagement militaire pour la sécurité de l'Europe. Par conséquent, le débat qui aura lieu entre chacun des État membre et la Commission européenne sur la consolidation budgétaire doit aussi prendre en compte cette situation et le fait que chacun s’est engagé à respecter les traités et les objectifs des politiques européennes.
Je crois que personne ne met en doute la crédibilité de la France, et je voudrais d'ailleurs inviter le Sénat – et d’une façon générale le Parlement – à participer au débat qui se poursuivra au cours des prochaines semaines : il s’agit en effet de valoriser la contribution de la France à la résolution de la crise européenne. Cette contribution passe par le respect de nos engagements – le président Bizet y a insisté. Nous sommes tout à fait résolus à respecter les traités et le pacte de stabilité et de croissance. Mais cette contribution passe aussi par le fait que nous soutenons un rythme de consolidation budgétaire et une stratégie de soutien aux investissements qui contribuent à une réorientation de l'Europe vers la croissance et l’emploi. C’est le point sur lequel a particulièrement insisté Simon Sutour. Oui, nous avons besoin d’un rééquilibrage des politiques européennes qui permette véritablement à l'Europe de sortir de cette longue crise, de cette longue période de stagnation, qui s'est notamment traduite par une hausse très grave du chômage !
À cet égard, la garantie pour la jeunesse est un instrument très important. Elle a fait l’objet d’un sommet des chefs d’État ou de gouvernement à Milan la semaine dernière. Il y a été convenu d’accélérer et de faciliter le déblocage de ce fonds doté de 6 milliards d’euros, qui doit servir à aider au retour à l’emploi et à la formation des jeunes dans les pays ou les régions où le chômage des jeunes dépasse 25 %. Il faut aussi que, pour mettre en œuvre nos objectifs essentiels, les procédures concernant nos politiques européennes soient facilitées.
Je voudrais assurer Jean-Claude Lenoir que l'organisation future de la commission en matière d’énergie et de climat permettra de résoudre la contradiction qu’il a soulignée. Il est vrai qu’il y avait auparavant deux commissaires différents. Dorénavant, c’est un même commissaire qui se trouvera en charge de l’énergie et du climat.
J’ai déjà eu l’occasion de lui faire part de notre attachement aux spécificités de notre mix énergétique, même s'il va évoluer, et à cette idée qu’en Europe, tout en respectant les politiques de chacun, nous avons besoin de davantage de solidarité. N’opposons pas la spécificité de chaque pays à la nécessaire cohésion de nos politiques communes.
Le président Maurey a insisté sur le lien entre cette politique énergétique et la préparation de la conférence sur le climat de décembre prochain. Je voudrais lui dire – répondant ainsi à une question soulevée par un autre orateur – que, à la suite du sommet organisé par Ban Ki-moon, la France a pris l’engagement de mettre 1 milliard d’euros à la disposition du futur fonds vert, de même que l'Allemagne. Seule la Norvège, à ce stade, me semble-t-il, a également annoncé une contribution à ce fonds. Nous sommes donc encore très loin du compte, mais, à mon sens, le fait que nous ayons amorcé ce processus va permettre la montée en puissance des engagements internationaux.
Il y a eu malgré tout à New York, lors de la conférence organisée par le secrétaire général de l’ONU en prévision de la conférence de Paris, un certain nombre de signes encourageants de la part de grands émetteurs de gaz à effet de serre, qui, jusqu’à présent, s’étaient tenus à l’écart du protocole de Kyoto et des discussions internationales. Je pense notamment à la Chine, qui, confrontée à un problème de pollution de ses villes, a changé d’approche à l’égard des questions climatiques, mais aussi aux États-Unis : la manifestation massive de 400 000 personnes dans les rues de New York, les engagements d’un certain nombre d’entreprises, de collectivités territoriales de ce pays, mais également le discours du Président Obama sur le sujet ont montré que chacun se préparait à venir à la conférence de Paris de 2015 avec des propositions sérieuses.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure, je voudrais remercier à mon tour le président Jean Bizet et la Haute Assemblée d’avoir permis ce débat très important en amont du Conseil européen, au début de cette session de ce nouveau Sénat.
Parmi les priorités européennes, nous avons évoqué la mise en œuvre d’une nouvelle politique énergétique, mais l’une de nos plus grandes préoccupations dans le cadre du dialogue avec Jean-Claude Juncker, qui se déroulera dans les semaines qui viennent, sera de mettre en place un véritable plan de soutien aux investissements qui ne soit pas simplement une « relabellisation » des fonds structurels existants, dont nous avons certes besoin pour mettre en œuvre les politiques communes déjà décidées, mais un élément supplémentaire de soutien au projet européen et à la croissance sur le continent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.
La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. La France ne joue plus actuellement un rôle économique moteur au sein de l’Union européenne. Notre pays n’est plus attractif. Des coûts de production trop élevés, combinés à l’instabilité fiscale et à l’absence de véritable flexibilité inquiètent les entreprises et les investisseurs étrangers, qui n’ont pas de perspectives d’avenir, ce qui pénalise bien évidemment l’emploi. En outre, l’état de nos finances ne nous permet plus une politique de couverture du chômage aussi généreuse qu’avant.
Le Conseil européen des 23 et 24 octobre prochain, ainsi que le sommet sur l’emploi, qui s’est déroulé à Milan le 8 octobre, sont des rendez-vous majeurs pour l’emploi, en particulier pour l’emploi des jeunes. La proposition du Président de la République de relever de 6 milliards à 20 milliards d’euros les aides européennes consacrées à l’emploi des jeunes traduit l’incorrigible tentation de résoudre les difficultés économiques par toujours plus de dépense publique. Cette initiative n’a d’ailleurs pas été suivie par nos partenaires européens, la France étant de plus en plus isolée dans cette logique de la subvention et de la dépense. L’objectif est pourtant tout à fait louable : offrir à chaque jeune Européen de moins de vingt-cinq ans un emploi, un apprentissage, un stage ou une formation continue. En revanche, la méthode est complètement inefficace : il n’y a qu’à voir l’échec des emplois d’avenir dans notre pays.
Monsieur le secrétaire d’État, quand le Gouvernement va-t-il se rendre compte que sa position l’isole de ses partenaires européens ? Quand mettra-t-il en place une véritable réforme du marché du travail et quand prendra-t-il la question de l’emploi des jeunes par le bon côté ? Il s’agit non pas de leur trouver une occupation et de les sortir des chiffres du chômage, mais de les insérer dans le monde de l’entreprise par une formation adéquate. Reste que, même si les jeunes sont bien formés, les entreprises ne recruteront que si leurs résultats s’améliorent, c’est-à-dire quand la France aura enfin retrouvé une croissance suffisante.
À l’heure où nos voisins européens, notamment l’Italie, mettent en place des réformes structurelles pour contrer le chômage des jeunes, je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous comptez faire en la matière. Je vous remercie par avance de votre réponse, qui est très attendue par notre jeunesse.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question qui porte sur la mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse.
Le sommet des chefs d’État ou de gouvernement portant sur la politique européenne en matière d’emploi des jeunes, qui s’est tenu la semaine dernière à Milan, a confirmé la mobilisation de l’ensemble des États membres, considérant qu’il s’agit non seulement d’un défi social, car il n’est pas acceptable que, dans certaines régions de nos pays, plus de 25 % des jeunes soient sans emploi, mais également d’un enjeu politique, parce que nous ne pouvons pas imaginer l’avenir de l’Europe avec une génération sacrifiée. On ne peut pas accepter de passer de la jeunesse Erasmus à une cohorte de jeunes qui seraient mis à l’écart de la vie économique et sociale.
Il s’agit aussi d’un enjeu purement économique. En effet, qu’une si forte proportion de jeunes sortent du système de formation sans emploi représente un gâchis en termes de capacité de travail et de production pour les pays concernés.
Les dirigeants européens n’ont pas renoncé à ce projet. Ils ont au contraire décidé de le conforter en demandant à la Commission européenne que les fonds soient débloqués plus rapidement.
Je voudrais aussi clarifier un point : l’objectif n’est pas de trouver une occupation aux jeunes. Je suis allé moi-même sur le terrain à plusieurs reprises, notamment la semaine dernière, à Marseille, dans une mission locale qui met en œuvre cette garantie pour la jeunesse, car il faut savoir que la France est le premier pays à avoir signé son programme opérationnel avec la Commission européenne. Je puis vous confirmer qu’il s’agit de prendre en charge des jeunes avec l’objectif de les insérer très rapidement dans une entreprise, de leur permettre de reprendre pied dans la vie active.
Certains de ces jeunes ont un peu travaillé avant de se retrouver au chômage ; d’autres sont sortis du système de formation sans diplôme et n’ont jamais eu de pratique professionnelle ; d’autres encore ont une formation mais ils se voient réclamer une première expérience professionnelle pour être acceptés dans une entreprise. Avec ce dispositif de la garantie pour la jeunesse, ils sont pris en charge et ils réapprennent à être ponctuels et réguliers pour présenter leur projet professionnel à l’occasion d’entretiens d’embauche. Très rapidement, grâce à un partenariat avec les entreprises du bassin d’emploi, ils sont mis en situation de travailler, et c’est ainsi que plusieurs d’entre eux peuvent signer un contrat de travail.
Madame la sénatrice, vous avez raison : nous devons agir efficacement sur le marché du travail pour permettre à ces jeunes, grâce à une formation et à un accompagnement adéquat, de prendre pied dans l’entreprise et d’entrer dans la vie active, en dehors de toute forme d’assistanat. C’est là un objectif sur lequel nous devrions nous rejoindre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. La Commission européenne a récemment publié un rapport indiquant le montant des aides publiques des États en 2012 en faveur des différentes énergies : 120 milliards d’euros au total pour l’Union, avec, notamment, 14 milliards pour l’énergie solaire, 10 milliards pour le charbon, 10 milliards pour l’éolien et 7 milliards pour le nucléaire. Quelle est la position de la France sur la réforme des aides publiques à l’énergie que la Commission envisage pour que ces aides d’État n’aillent plus vers les énergies carbonées ?
Par ailleurs, j’ai relevé que le prix du gaz consenti par les Russes à la Grande-Bretagne pour 1 000 mètres cubes était de 313 dollars, contre 526 dollars à la Pologne, 394 dollars à la France et 379 dollars à l’Allemagne. Comment, avec de telles différences, qui sont souvent plus importantes que celles du coût du travail, peut-on concevoir un marché unique sans écarts de compétitivité ? Comment faire pour que ces écarts de compétitivité ne nous soient plus imposés de l’extérieur ?
Monsieur le secrétaire d’État, l’insécurité énergétique, due à des prix faibles pour l’instant, mais aussi à certains choix énergétiques pour l’avenir, commence à être un problème pour les entreprises en Allemagne. Ayons présent à l’esprit que cette situation pourrait aussi se rencontrer dans le reste de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, la question que vous soulevez est la suivante : comment pouvons-nous avoir une énergie abordable, peu chère, qui soit en même temps conforme à nos objectifs environnementaux, dans des conditions qui ne nous rendent pas trop dépendants de l’extérieur ?
Les pratiques des différents États membres ont montré que la promotion des énergies renouvelables pouvait aussi poser des problèmes de prix. Je le répète, nous respectons le choix fait par chacun de nos partenaires : certains, comme l’Allemagne ou l’Italie, par exemple, ont décidé de renoncer au nucléaire ; d’autres, comme le Royaume-Uni ou la Finlande ont, comme nous, fait le choix de le maintenir dans leur mix énergétique.
Seulement, lorsqu’une économie nationale renonce totalement au nucléaire, l’alternative est la suivante : elle utilise le charbon, pour ne pas être dépendante du gaz, mais elle devient plus polluante, ou alors elle subventionne les énergies renouvelables, qui ont besoin de cet apport pour se développer, mais, dans ce cas, le prix de l’énergie peut devenir un problème soit pour les ménages, soit pour les entreprises.
Si l’on veut que le prix de l’énergie ne soit pas un problème pour la compétitivité des entreprises, c’est pour les ménages qu’il le devient.
Nous sommes soucieux du développement des énergies renouvelables, mais, en ce qui nous concerne, nous souhaitons maintenir une part de production d’électricité par le nucléaire pour précisément pouvoir faire face à ce besoin d’avoir une énergie abondante sans être dépendants de l’extérieur, et compenser le coût inévitablement plus élevé, dans un premier temps, de certaines énergies renouvelables. En effet, le développement de l’éolien ou du solaire, qui nécessite l’importation de matériaux, de panneaux ou de technologies plus innovantes encore comme la biomasse ou les hydroliennes, entraîne un surcoût.
Ce débat existe et nous sommes très satisfaits de la décision qui a été prise par la Commission européenne concernant le projet de construction de deux réacteurs EPR au Royaume-Uni, à Hinkley Point, lesquels viendront en complément des énergies renouvelables. D’autres pays, comme la Pologne, ont pris une position de principe sur le nucléaire, mais n’ont pas forcément encore fait leur choix industriel.
À notre sens, la contribution du nucléaire au futur mix énergétique européen contribuera à ce que les prix de l’énergie restent abordables et à ce que nous restions indépendants en la matière, tout en nous permettant de respecter nos objectifs climatiques et environnementaux.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Les questions relatives à l’énergie et au climat nous plongent dans le monde de l’environnement. Dans ce cadre, notre agriculture est confrontée à la directive dite « Nitrates », qui pose des problèmes considérables, en particulier à nos éleveurs.
M. le Premier ministre a déclaré, le 6 septembre, que la France souhaitait mettre la révision de cette directive, « dont l’approche normative a clairement montré ses limites », à l’agenda européen. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez nous dire où en est notre pays dans la mise en œuvre de l’engagement pris par M. le Premier ministre. Quel est son calendrier ? À quel moment et sous quelle forme souhaite-t-il poser cette question pour infléchir la position de nos partenaires ? Pouvez-vous nous donner quelques explications et quelques garanties à cet égard ?
Pouvez-vous également nous préciser si la position française visera plutôt les questions de cartographie des zones dites vulnérables ou le niveau de contrainte qui serait imposé à nos éleveurs, avec le risque d’assister à la disparition complète d’un élevage dit extensif au profit d’un élevage intensif ? Il s’agit d’un enjeu qui concerne à la fois les domaines de l’environnement et de l’économie.
Enfin, où en est la mise en œuvre des engagements pris par M. le Premier ministre à l’égard du monde agricole ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur Bonnecarrère, le 4 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France pour manquement à ses obligations dans la lutte contre la pollution par les nitrates, en soulevant trois griefs principaux quant à l’application correcte de la directive Nitrates, à savoir les périodes et les zones d’épandage – vous l’avez souligné –, les autorisations de capacité de stockage et le fait que la réglementation actuelle ne permet pas de calculer les quantités d’azote qui peuvent être épandues sur les cultures tout en garantissant une fertilisation équilibrée des sols.
Nous pensons, d’une part, que nous devons respecter nos engagements en matière environnementale et, d’autre part, que la Commission européenne doit, quant à elle, prendre en compte les réalités de l’agriculture. Les programmes établis entre 2009 et 2012 ont été insuffisants pour répondre aux exigences environnementales. Les efforts entrepris depuis pour établir, en concertation avec la profession agricole, les nouveaux programmes d’action ont heureusement d’ores et déjà permis de corriger la plupart des manquements relevés dans l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour autant, il est important d’éteindre le contentieux sur la délimitation des zones vulnérables. Nous y travaillons donc : le critère de l’eutrophisation des eaux continentales fait l’objet d’un débat. C’est pourquoi le ministre chargé de l’agriculture a demandé qu’une expertise scientifique soit rapidement diligentée afin de déterminer de manière objective les seuils de classement en zone vulnérable.
Les agriculteurs bénéficieront des aides maximales permises par les règles européennes pour effectuer les mises aux normes. Le Gouvernement demandera à la Commission européenne un délai de mise aux normes suffisant pour permettre aux milliers d’agriculteurs de réaliser les travaux nécessaires. Il nous faut combiner les objectifs environnementaux avec le maintien d’une agriculture de qualité, mais qui soit aussi à la portée de toutes les exploitations, y compris les plus petites.
Enfin, l’approche normative de la directive Nitrates a montré ses limites. Par exemple, le plafond de 170 kilogrammes d’azote d’origine animale par hectare et par an ne tient pas compte de la diversité des climats et des sols de nos territoires. Des propositions d’évolution de cette directive seront présentées, en lien avec d’autres États membres concernés par cette problématique, afin de revoir les critères utilisés et de permettre une approche différenciée selon les territoires et les contextes agronomiques, tout en renforçant l’efficacité en termes de résultats.
Nous pensons donc qu’il faut, dans toute la mesure du possible, montrer que nous respectons d’ores et déjà les principaux objectifs fixés par cette directive, mais aussi examiner, avec la Commission européenne, d’éventuelles évolutions qui ne remettront pas en cause les objectifs de protection des eaux et des sols, mais les rendront atteignables par nos agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. L’énergie constitue un élément clé d’une croissance durable. Si nous voulons sortir l’industrie européenne de l’ornière, nous devons veiller à la compétitivité des prix de l’énergie.
Alors que le Portugal et l’Espagne procèdent à une remise en cause de leurs programmes dans les énergies renouvelables, alors que l’Allemagne a renoncé unilatéralement à l’énergie nucléaire et se débat dans ses problèmes de réseau et de régulation de la production de ses éoliennes – qui affectent d’ailleurs toute l’Europe –, la France doit aussi faire des choix.
Le chemin de la convergence ou de la complémentarité européenne dans le domaine de l’énergie est difficile. Raison de plus, monsieur le secrétaire d’État, pour défendre une politique de l’énergie qui respecte et coordonne les choix nationaux. Nous devons respecter les choix de nos partenaires, mais nous sommes en droit de leur demander de respecter les nôtres. La France, déjà bonne élève au regard des émissions de gaz à effet de serre, doit poursuivre une stratégie claire de transition énergétique : réduire les émissions de CO2 tout en conservant son avantage compétitif, un tarif de l’électricité parmi les plus bas de l’OCDE.
Le programme nucléaire français est le fruit d’une politique publique de long terme. Il est le garant de notre indépendance et nous met à l’abri des tensions énergétiques à venir. Nous ne pouvons pas dilapider cet acquis en substituant à marche forcée les énergies renouvelables au nucléaire.
La politique énergétique française doit donc reposer sur un mix énergétique complet dont le socle doit demeurer le nucléaire. Dans cette perspective, nous devons faire confiance aux conclusions de l’organisme indépendant qu’est l’Autorité de sûreté nucléaire quand il juge « sûre » la prolongation de la durée de vie de nos centrales nucléaires.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est double. Comment entendez-vous préserver l’indépendance énergétique de la France dans le cadre du paquet énergie-climat du prochain Conseil européen ? Ma seconde question est évidemment liée à la précédente : comment comptez-vous éviter que les Français, en particulier les entreprises françaises qui croulent déjà sous les impôts, les taxes et les charges, ne voient demain leur facture d’électricité exploser ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, j’ai déjà répondu en partie à votre question. Nous sommes très attachés au fait que le paquet énergie-climat respecte le choix de mix énergétique de chaque État membre, puisque les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique peuvent être atteints de plusieurs manières.
La loi de transition énergétique, que l’Assemblée nationale vient d’adopter et que le Sénat examinera bientôt, a bien pour objet d’assurer que, tout en apportant sa contribution à la montée en puissance des énergies renouvelables et en s’engageant dans la transition énergétique pour être plus économe et efficace, la France maintient le nucléaire dans son bouquet de production énergétique, pour les raisons que vous avez indiquées : l’indépendance, la compétitivité et une forme de souveraineté énergétique.
Nous serons très attentifs au respect de ces principes, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour ceux qui voudraient s’inspirer de nos choix énergétiques. C’est pourquoi la décision de la Commission européenne que j’ai déjà évoquée concernant le projet de construction de deux EPR au Royaume-Uni est particulièrement importante : elle donne une indication intéressante et le cadre juridique proposé pour financer la construction de ces réacteurs pourra servir à d’autres pays qui se posent ce type de question.
Je participais hier à une rencontre bilatérale en République tchèque pour préparer ce Conseil européen. Une part importante de l’électricité de ce pays est produite à partir de l’énergie nucléaire et des projets de renouvellement ou de construction de nouveaux équipements sont à l’étude. La décision concernant le Royaume-Uni y est donc examinée avec une extrême attention. Il y va de même en Pologne, comme je l’ai indiqué tout à l’heure.
Nous veillerons donc à ce que, dans le paquet énergie-climat, qui ne mentionnera pas le choix ou non du nucléaire puisqu’il relève de chaque État membre, ce choix reste ouvert à ceux qui veulent utiliser cette technologie à l’instar de la France, qui développe en même temps de nouvelles sources d’énergie, parce qu’elle veut être au premier rang dans tous les domaines de l’énergie.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. La transition énergétique, la croissance et l’emploi sont les principaux sujets à l’ordre du jour de ce Conseil européen, auxquels s’ajoute une situation internationale tendue. La France et ses partenaires européens sont entrés dans une nouvelle ère en matière de guerre contre le terrorisme – le Sénat examinera d’ailleurs dès demain le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
Alors qu’ils sont engagés dans une coalition internationale qui intervient en Irak et en Syrie, les pays de l’Union européenne représentent des cibles potentielles majeures et, chaque jour, des projets d’attentat y sont déjoués. Les spécialistes évoquent le chiffre de plusieurs milliers d’Européens engagés dans le djihad au Levant, en Afghanistan et dans la bande sahélo-saharienne. Il s’agit donc pour nous de lutter contre certains de nos ressortissants qui disposent d’une liberté d’aller et venir, compliquant ainsi la tâche des services de renseignement.
Monsieur le secrétaire d’État, en premier lieu, quel sera le champ d’action de la France et quelles mesures proposera-t-elle afin de mieux articuler la lutte contre le terrorisme entre les différents services européens et nationaux ?
En second lieu, je voudrais appeler votre attention sur la politique de l’Union européenne en matière de frontières. L’espace Schengen a été créé en période de paix pour faciliter le développement économique : les pays européens doivent aujourd’hui faire face à de nouveaux flux qui mêlent immigrants, réfugiés et djihadistes en partance ou de retour des zones de conflit.
Enfin, quelles seront les positions de l’Union européenne vis-à-vis de la Turquie dont la situation est délicate ? Ce pays est en première ligne, tant en termes de flux de réfugiés que de flux pétroliers clandestins finançant le terrorisme. Les candidats au djihad y circulent facilement pour rejoindre la Syrie. Quant aux combattants kurdes anti-islamistes, ils demeurent peu appréciés d’Ankara pour des raisons de politique intérieure. En quelque sorte, monsieur le secrétaire d’État, Kobané sera-t-elle le Dantzig turc ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, nous avons fait de la coordination européenne en matière de lutte contre le terrorisme une de nos priorités. Vous le savez, le ministre de l’intérieur s’est rendu dans plusieurs des pays de l’Union européenne pour proposer, notamment, de prendre des mesures communes concernant les « combattants étrangers », ces citoyens de pays de l’Union européenne qui se sont rendus, ou ont pour projet de se rendre, en Irak ou en Syrie pour participer aux actions terroristes du groupe Daech. Certains d’entre eux pourraient revenir en Europe pour y commettre éventuellement des crimes, comme ce fut le cas de Mehdi Nemmouche, l’auteur de la tuerie du musée juif de Bruxelles, qui revenait de Syrie.
Aujourd’hui, un plan qui a reçu un soutien assez large des autres États membres est proposé ; il va dans le même sens que le projet de loi présenté devant le Parlement. Il vise à rendre plus rapides et automatiques les échanges d’informations entre les États membres, chaque fois que l’un de ces combattants est signalé : son nom devra figurer dans le système d’information de Schengen afin qu’il puisse être arrêté dès le premier signalement.
Nous avons soutenu l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pendant la réunion de l’Assemblée générale, tendant à encourager tous les pays concernés à adapter leur législation pour permettre de poursuivre les personnes qui participent aux activités de ces groupes et d’interdire la sortie du territoire de celles qui, après avoir été contactées par ces groupes grâce à internet, décideraient de se rendre dans les zones de combat. De même, la lutte contre la propagande sur internet est encouragée, car c’est l’un des moyens de recrutement de ces groupes terroristes. Cette coordination européenne est absolument indispensable. Aucun de nos pays ne peut lutter seul contre ce fléau.
Cette lutte doit être menée sur place, en participant, comme nous le faisons, à la coalition internationale, en menant des frappes aériennes quand cela s’avère nécessaire, en soutenant le gouvernement légitime irakien, l’opposition syrienne et les Peshmergas kurdes.
Cette lutte doit aussi être menée sur le territoire des États membres, en renforçant la protection de leurs frontières. De ce point de vue, l’espace Schengen, s’il est un espace de libre circulation pour les citoyens, est aussi un espace de coordination de la surveillance des frontières extérieures de l’Union. Nous devons intensifier cette coordination, mais Schengen est l’outil qui permet aux États membres d’échanger en permanence des informations sur ceux qui franchissent ces frontières extérieures et d’agir plus efficacement dans la lutte contre la criminalité et, en particulier, contre le terrorisme.
Soyez persuadés que tous nos efforts sont aujourd’hui déployés pour que l’Europe renforce son action dans ce domaine. Nous sommes aussi extrêmement attentifs au rôle que peut jouer la Turquie. Il s’agit d’ailleurs de tirer les leçons de ce qui s’est produit lorsque trois de nos ressortissants qui revenaient des zones de combat ont été embarqués dans un avion en Turquie sans que l’information du changement de leur vol ne nous ait été transmise. Le ministre de l’intérieur s’est immédiatement rendu à Ankara pour rencontrer son homologue et les autorités turques en vue d’établir des procédures destinées à éviter que ce genre d’incident ne se reproduise. Par ailleurs, une coopération se fait évidemment aussi en termes de renseignements.
De plus, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons insisté au cours des derniers jours sur la façon dont il importe que l’ensemble de la communauté internationale, y compris la Turquie, se mobilise pour venir en aide à la ville martyre de Kobané, qui ne doit pas tomber aux mains de ce groupe barbare.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Je n’ai pas été totalement rassuré par les réponses de M. le secrétaire d’État aux interpellations des présidents de commission. Je pense à la question de l’Union économique et monétaire, à celle du fonds de solvabilité, à la volonté réelle de la France de réexaminer, comme l’a évoqué la présidente de la commission des finances, les participations à apporter au Fonds de résolution unique. Le président de la commission des affaires européennes, M. Bizet, a, quant à lui, soulevé la question des fonds structurels : alors que ceux-ci sont destinés aux territoires, ils pourraient être utilisés à d’autres fins...
Concernant le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, la France n’a pas encore transmis à Bruxelles le programme opérationnel, ce qui témoigne d’un certain attentisme, alors même que les projets économiques sont nombreux dans les territoires et qu’ils ont besoin d’un cofinancement européen.
Je sais bien que la Commission européenne n’est pas encore en place, mais il serait important que la France présente d’ores et déjà des projets dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, d’autant qu’il en existe, je le sais, notamment en matière numérique et en termes de désenclavement. Tel est le cas en Bretagne, la région que je représente, ici, au Sénat. Il serait donc important que la France puisse, d’ores et déjà, notamment dans le cadre de ce Conseil européen, signifier à la Commission européenne qu’il y a des projets en attente de financement. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la France a adopté son accord de partenariat pour la mise en œuvre des fonds structurels le 8 août dernier. Elle a en outre été le premier pays à adopter son programme opérationnel pour la mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse. La semaine dernière, nous avons signé le programme opérationnel pour le FSE – 2,9 milliards d’euros. Pour le reste, comme pour tous les États membres, les discussions avancent : le programme opérationnel pour le FEAMP sera adopté dans des délais normaux.
Nous sommes mobilisés pour bien utiliser, en complément des aides directes, les fonds européens dans tous les domaines, en particulier dans le domaine de l’agriculture et de la pêche. C’est une priorité pour le Gouvernement. Très grande utilisatrice de la politique agricole commune, la France a un niveau de consommation des fonds européens globalement très élevé. Nous sommes bien sûr absolument déterminés à faire en sorte que nos agriculteurs et pêcheurs bénéficient pleinement des fonds que nous avons fait inscrire dans le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020.
C’est pour nous un acquis très important de la construction européenne que cette politique commune en matière d’agriculture et de pêche. Je sais que vous êtes vous-même très mobilisé sur ce plan. Vous pouvez également compter sur la mobilisation du Gouvernement pour soutenir les pêcheurs et les agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je remercie notre collègue Michel Canevet, qui semble particulièrement attentif à la question des fonds structurels, d’avoir remis ce sujet sur le tapis. Le Sénat, représentant des collectivités locales, est en effet particulièrement attentif à ce sujet.
Les fonds structurels s’élèvent, de mémoire, à 320 milliards ou 330 milliards d’euros. C’est le deuxième poste budgétaire de l’Union, juste après la politique agricole commune. Nous avons bataillé très fort pendant des années pour faire en sorte qu’un certain nombre de régions soient classées comme régions intermédiaires.
Compte tenu des baisses des dotations de l’État, sur lesquelles nous ne reviendrons pas, il appartiendra aux élus des territoires, avec les régions, qui sont des autorités de gestion de ces fonds, et au Sénat d’être très inventifs pour optimiser la consommation des fonds structurels. Leur dévolution permet aux collectivités locales qui les consomment rapidement d’être ensuite mieux dotées encore, mais, dans le même temps, c’est une arme à double tranchant.
C’est aussi le rôle du Sénat que d’aider les élus locaux à optimiser l’utilisation de ces fonds. Nous sommes en train d’y réfléchir. Je suis persuadé que nous trouverons une solution au sein de la commission des affaires européennes. Je suis également persuadé que M. le secrétaire d’État nous y aidera. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 15 octobre 2014, à quatorze heures trente et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (n° 807, 2013-2014)
Rapport de MM. Jean Jacques Hyest et Alain Richard, fait au nom de la commission des lois (n° 9, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 10, 2014-2015).
En outre, à quatorze heures trente :
Désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 15 octobre 2014, à zéro heure vingt.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART