Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi est la preuve, s’il en était besoin, que les reculs, les retards et les écarts sont encore importants en matière d’égalité entre les femmes et les hommes dans notre pays.
Le retard accumulé ces dernières années nous place aujourd’hui devant l’urgence de prendre des mesures pour rendre effective cette égalité. De même, les polémiques nées au cours des dernières semaines, avec les questions autour de l’enseignement d’une « théorie du genre » à l’école ou, plus récemment encore, de la contestation du droit à l’IVG, ou de son évolution vers un droit adapté à notre époque, montrent que nous ne sommes pas à l’abri de reculs et qu’il nous faut rester vigilants pour que les droits les plus durement acquis, lesquels garantissent l’émancipation de la femme, ne soient pas remis en cause.
Ce projet de loi est donc le bienvenu. Il permet de réaffirmer des droits auxquels les Françaises et les Français sont attachés, je pense notamment au droit à l’IVG et, même s’il ne s’agissait pas de l’objet initial de ce texte, il est clair que ce sujet va occuper nos débats à venir. Enfin, il nous paraît prendre en compte la réalité d’inégalités injustifiables entre les femmes et les hommes.
Pour autant, après l’avoir étudié et après avoir rencontré de nombreux spécialistes de la question, dans le cadre de mon mandat sénatorial comme de mes fonctions au conseil régional, je regrette que ce texte n’aille pas encore assez loin dans l’affirmation d’engagements pour le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Une véritable loi-cadre englobant tous les champs dans lesquels une intervention est nécessaire, reprenant notamment les recommandations formulées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, aurait en effet permis de couvrir plus largement tous les domaines, de manière à agir partout où cela est possible en vue d’atteindre cet objectif d’égalité.
Comme beaucoup d’élus dans cet hémicycle, nous avons déposé un certain nombre d’amendements en première lecture pour étendre ce domaine. Parmi les avancées proposées, nombreuses sont celles qui ont été rejetées, ou supprimées à l’Assemblée nationale. Nous le regrettons, car tout droit nouveau acquis pour les femmes contribue à un recul des dominations et à l’émancipation de toutes et de tous.
Cependant, même s’il n’est pas aussi complet que nous l’aurions souhaité, nous nous réjouissons de disposer d’un nouveau texte destiné à faire avancer l’égalité et les droits des femmes. Petit à petit, celles-ci se libèrent du carcan où les enserrent les dominations patriarcales ancestrales.
Cette loi s’attache à rendre effective l’égalité entre les hommes et les femmes dans plusieurs domaines, dont deux me paraissent singulièrement importants.
Je souhaite d’abord aborder le travail. Les femmes constituent aujourd’hui 82 % des salariés à temps partiel. Nombre d’employeurs ne leur proposent d’ailleurs que ce type de contrats. Il faut donc pénaliser les entreprises qui y recourent systématiquement et, afin d’obtenir l’égalité salariale, faire preuve de plus de coercition envers les grands patrons qui ne la respectent pas.
Il nous faut également agir à la source, sur ce qui produit cette inégalité. L’accès aux moyens de garde pour les enfants est ainsi une condition essentielle. De même, ne négligeons pas l’importance de ce que l’on appelle les rôles sociaux de sexe : les femmes, du fait de leur place dans la reproduction, seraient assignées par nature à la sphère familiale, tandis que les hommes seraient assignés à la sphère publique, laissée, de fait, vacante. Il est crucial de lutter contre ces stéréotypes.
Nous regrettons toutefois que sur ces questions, ce texte se retrouve prisonnier du carcan de l’ANI, de la réforme des retraites et d’une politique d’austérité qui frappe, nous le savons, plus encore les personnes vulnérables, dont de nombreuses femmes, victimes de la précarité, du chômage, du plafond de verre. Les quelques dérogations envisagées à ces lois antérieures, qui construisent le système en vigueur, ne suffisent pas.
Je souhaite ensuite aborder la parité. Dans ce domaine, le mode de scrutin a fait la preuve de son efficacité. Dans le cadre des scrutins municipal, régional et européen, le respect de la parité est nécessaire pour déposer une liste : ainsi, les conseils régionaux comportent plus de 48 % de femmes, le Parlement européen 43 %, et notre pays compte depuis quelques jours plus de 48 % de conseillères municipales. (Mme la ministre opine.)
En revanche, l’Assemblée nationale ne comprend que 156 femmes, soit un peu plus de 20 % de ses membres ; il en est de même ici. Il est donc clair que seul le scrutin proportionnel, à toutes les élections, peut garantir la démocratie et la parité.
À côté de la lutte contre les inégalités, le projet de loi s’attache à un autre sujet fondamental : les violences faites aux femmes. Les deux questions sont intimement liées. Parmi les conditions favorisant l’émancipation des femmes et leur pleine participation à la vie économique et sociale dans les sphères publique et privée, il en est une majeure : l’absence de violence à leur encontre, quelle qu’elle soit. (Mme la ministre opine de nouveau.)
Quelque 75 000 femmes sont victimes de viols chaque année. Tous les deux jours et demi, une femme meurt des coups de son conjoint. Et 38 % des femmes assassinées dans le monde l’ont été par leur partenaire.
Une lutte implacable doit être menée contre ce fléau. Elle passe par l’ordonnance de protection envisagée dans le projet de loi, mais aussi par l’amélioration du relogement des femmes victimes de violences, car certaines femmes souhaitent se reconstruire dans un autre contexte que celui où elles ont subi des violences.
Toutefois, ces dispositions ne suffiront pas à enrayer la violence qui frappe les femmes : la combattre est une entreprise vaste et complexe, mais ô combien urgente !
Notre groupe, sous l’impulsion de Laurence Cohen, a déposé une proposition de loi regroupant une centaine d’articles visant à enrayer cette violence. Malheureusement, le temps très réduit qui est imparti aux initiatives parlementaires ne permet pas de traiter la question de manière globale ; nous espérons néanmoins que cette proposition de loi sera examinée et que le travail que nous avons mené de concert avec les associations ne restera pas lettre morte.
Enfin, la loi doit protéger toutes les femmes présentes sur le territoire. À cet égard, il y est urgent, madame la ministre, de légiférer en faveur des femmes étrangères. En effet, ces femmes sont trop nombreuses à se trouver en situation de détresse, sans papiers, répudiées par leur mari, souvent après avoir subi des violences de sa part, voire une situation de polygamie.
L’Assemblée nationale a supprimé les dispositions du projet de loi visant à prendre en compte ces situations particulières. Nous avons déposé des amendements tendant à les rétablir et même à aller plus loin, car on ne peut pas aggraver les souffrances de ces femmes en les privant d’une existence légale dans notre pays.
Nous regrettons que l’Assemblée nationale ait supprimé des modifications apportées au projet de loi par le Sénat, s’agissant par exemple de la place des femmes dans la culture. Cette question fait l’objet d’un travail dans un certain nombre de régions depuis de nombreuses années et la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin, lui a consacré un excellent rapport.
Nous resterons vigilants jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire, pour que les acquis adoptés par le Sénat ne tombent pas aux oubliettes. Dans l’immédiat, nous voterons le projet de loi, en étant attentifs au sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Maryvonne Blondin, Esther Benbassa et Muguette Dini applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture s’inscrit dans la continuité des politiques de réduction des inégalités entre les hommes et les femmes initiées par l’UMP ces dernières années, de la loi Ameline de 2006 à la loi Sauvadet de 2012, en passant par la loi de 2010 sur la violence faite aux femmes ou la loi de 2011 tendant à une meilleure représentation des femmes dans les conseils d’administration, dont j’ai été rapporteur pour avis au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Le présent projet de loi couvre des domaines hétéroclites. Contrairement à ce que son intitulé annonce, il n’instaure pas de cadre vraiment cohérent pour une approche intégrée de l’égalité. C’est un peu dommage.
De surcroît, certaines mesures risquent d’être contre-productives. Je pense en particulier au raccourcissement de la période de versement du complément de libre choix d’activité si le père ne prend pas au moins six mois de congé parental. Cette disposition est certes inspirée par une bonne intention, mais elle mettra dans la difficulté de nombreuses familles, étant donné la pénurie de places dans les modes de garde collectifs. Les foyers modestes seront les plus pénalisés.
Madame la ministre, vous avez parlé d’ambition. Or, de manière générale, je suis surtout frappée par une certaine insuffisance d’ambition dans les mesures que vous proposez.
Prenons un exemple concret : celui du recouvrement des pensions alimentaires.
L’article 6 est censé mieux protéger les familles monoparentales contre les impayés qui plongent des milliers de foyers dans la pauvreté, sans compter qu’aux difficultés matérielles s’ajoute la violence morale de voir le droit bafoué et d’en être réduit à percevoir l’allocation de soutien familial, l’ASF.
Face à ce défi, aucun dispositif novateur n’est proposé et les modifications apportées à l’ASF sont cosmétiques. Ne serait-ce que parce que, dans 86 % des cas, l’ASF est inférieure à la pension due. Insatisfaisante pour les bénéficiaires, elle est en outre très coûteuse pour l’État, qui peine à obtenir le recouvrement auprès du parent défaillant.
M. Charles Revet. C’est exact !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’urgence serait plutôt d’améliorer et d’accélérer le recouvrement, qui est un véritable parcours du combattant pour les mères seules.
Ce parcours est d’abord coûteux, car les frais d’huissier ou d’avocat sont à avancer, sans garantie d’en obtenir un jour le remboursement par la partie adverse.
Il est ensuite terriblement long, du fait du cloisonnement des informations entre les différentes administrations, qui laisse toute latitude au parent défaillant pour organiser son insolvabilité.
Enfin, c’est un vrai rocher de Sisyphe car, dès lors que le parent défaillant s’acquitte de sa dette, toutes les procédures doivent être reprises de zéro en cas de nouvel impayé.
Le projet de loi met en place une expérimentation pour renforcer le rôle des caisses d’allocations familiales, les CAF, dans le recouvrement. Soit ! Mais avec quels moyens ? Les CAF sont déjà si débordées qu’elles sont parfois contraintes de fermer leurs bureaux au public pour traiter les dossiers en souffrance. Quels moyens budgétaires pour financer leurs nouvelles missions ?
Surtout, les CAF disposent-elles des leviers administratifs et juridiques nécessaires pour accélérer le recouvrement ? Cette mission nécessite un important travail de coordination entre divers organismes, notamment une interconnexion des fichiers sociaux et fiscaux. Or cette tâche ne correspond pas au cœur de métier de la CAF.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs supprimé la disposition permettant aux CAF de transmettre directement aux juges aux affaires familiales des informations relatives à l’adresse et à la solvabilité des débiteurs, au motif que ce dispositif heurtait les droits de la défense.
C’est la raison pour laquelle je continue de plaider pour la création d’une véritable agence dédiée au recouvrement des pensions alimentaires, qui serait, elle, dotée de moyens spécifiques. Cette agence serait notamment utile pour le recouvrement d’une pension alimentaire à l’étranger.
À cet égard, madame la ministre, vous avez annoncé à l’Assemblée nationale, à la suite d’une demande de Frédéric Lefebvre, la création d’une CAF spécialisée dans le recouvrement des pensions alimentaires pour les Français de l’étranger. Quel sera le périmètre de cette caisse ? S’agit-il de centraliser les demandes de Français vivant à l’étranger, ou bien cette CAF serait-elle aussi compétente pour le recouvrement des pensions dues par des résidents à l’étranger ?
Aujourd’hui, c’est le bureau de recouvrement des créances alimentaires du ministère des affaires étrangères qui assure l’interface avec les autorités étrangères. Seulement, il semble fort démuni en cas de mauvaise volonté de la partie adverse, ce qui conduit à des délais de recouvrement extrêmement longs. Je doute qu’un nouveau département de la CAF permette d’améliorer la situation.
Ce qu’attendent des centaines de milliers de mères, c’est que l’État se donne les moyens de faire appliquer le droit, tel qu’il est énoncé par les juges aux affaires familiales. L’égalité, c’est parfois aussi simple que cela !
Par ailleurs, ayant fait adopter, en 2010, un amendement garantissant l’octroi systématique d’un visa aux victimes de violences à l’étranger, je regrette qu’aucune avancée réelle n’ait été proposée en matière de délivrance d’une carte de séjour aux victimes de la traite des êtres humains. L’amendement adopté par le Sénat en première lecture présentait, certes, des failles juridiques ; mais le problème de fond est bien réel.
Je trouverais bien dommage de repousser ce débat à une hypothétique prise en compte de la question dans le cadre de l’examen à venir de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. D’ailleurs, la traite des êtres humains recouvre des réalités bien plus diverses que la seule prostitution.
Pour conclure, je profite de ma présence à la tribune pour exprimer mon regret que le débat sur la ratification de la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, prévu lundi dernier puis repoussé à cet après-midi, ait une nouvelle fois été reporté à une date inconnue. De fait, l’ordre du jour adopté hier, qui porte sur les séances jusqu’au 17 mai, n’en fait pas mention. Madame la ministre, la ratification française est pourtant urgente !
En tant que rapporteur, j’avais demandé une procédure simplifiée, afin de raccourcir les délais de ratification de cette convention signée par la France en 2011. Les reports multiples de ce débat révèlent tristement le faible degré de priorité accordé à ces questions ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence, sont irrecevables les amendements remettant en cause les articles adoptés conformes ou les articles additionnels sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.
projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes
Article 1er
L’État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en œuvre une politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée. Ils veillent à l’évaluation de l’ensemble de leurs actions.
La politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment :
1° Des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité ;
2° Des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes ;
3° Des actions visant à assurer aux femmes la maîtrise de leur sexualité, notamment par l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse ;
4° Des actions de lutte contre la précarité des femmes ;
5° Des actions visant à garantir l’égalité professionnelle et salariale et la mixité dans les métiers ;
6° Des actions tendant à favoriser une meilleure articulation des temps de vie et un partage équilibré des responsabilités parentales ;
7° Des actions visant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ;
8° Des actions visant à garantir l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes et leur égal accès à la création et à la production culturelle et artistique ainsi qu’à leur diffusion ;
9° (Suppression maintenue)
10° (Supprimé)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, sur l'article.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je tiens seulement à présenter quelques observations, dont la tonalité sera beaucoup moins enthousiaste que celle qui a marqué l’intervention de ma collègue Muguette Dini ; il n’en reste pas moins que je suis d’accord avec nombre des positions qu’elle a défendues et que je la remercie pour les propos qu’elle a tenus au nom de notre groupe.
Madame la ministre, mes observations ne vous seront peut-être pas très agréables à entendre. Toujours est-il que j’ai du respect pour votre démarche et de l’estime pour votre parcours personnel. C’est même parce que j’adhère pleinement à votre démarche que je m’interroge.
La question de l’égalité entre les hommes et les femmes est fondamentale…
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Yves Pozzo di Borgo. … et le travail accompli dans ce domaine par nombre de nos collègues est important. Précisément pour cela, peut-on encore traiter cette question d’une façon qui me semble un peu incantatoire et cosmétique ?
Tel est bien le reproche qu’appelle l’article 1er, qui énonce de grands principes sur la manière dont les administrations publiques, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics, doivent mettre en œuvre une politique intégrée. Il s’ensuit un petit inventaire à la Prévert d’actions à conduire : par exemple, l’action visant à garantir l’égalité professionnelle et salariale et la mixité dans les métiers.
Madame la ministre, qu’est-il prévu pour garantir la mixité dans les métiers de la fonction publique, en particulier dans le recrutement des fonctionnaires ? La question est d’autant plus importante que l’emploi public représente 22 % de l’emploi total dans notre pays !
Je vais mettre les pieds dans le plat en abordant un sujet qui est rarement évoqué, ou alors seulement avec un sourire : la mixité, cela marche dans les deux sens. En d’autres termes, elle doit bénéficier aux femmes, bien sûr, mais aussi, le cas échéant, aux hommes. Or, ce n’est un secret pour personne, certains métiers de la fonction publique sont féminisés à l’excès ; c’est le cas, typiquement, de l’enseignement et de la magistrature.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans l’éducation nationale, les femmes ne représentaient pas moins de 81,9 % des enseignants du premier degré public en 2013 ; les chiffres des dernières promotions de l’École nationale de la magistrature ne sont pas moins éloquents, puisque celles-ci sont composées de femmes à près de 80 %.
Non seulement ces déséquilibres peuvent être problématiques au regard du principe d’équité entre les hommes et les femmes, mais ils peuvent être préjudiciables à l’équilibre du service public. Ainsi, de même qu’un enfant a besoin d’un père et d’une mère, les élèves ont besoin pour se construire de référents masculins et féminins dans le cadre scolaire.
Lorsque j’étais inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, j’ai participé à la rédaction d’un rapport sur la sécurité dans les lycées ; mes collègues et moi-même nous sommes rendu compte que, en l’absence d’effet maître, l’insécurité augmentait.
Comment remédier à ces déséquilibres ? La réponse est compliquée et simple à la fois ; en réalité, on ne peut y parvenir qu’en modifiant la Constitution.
Là paraît toute l’insuffisance de votre réforme, madame la ministre, que vous présentez pourtant comme majeure. D’un côté, on va chercher des hommes pour imposer la parité dans la fédération sportive de la gymnastique rythmique. De l’autre, on ne peut rien faire pour rééquilibrer l’emploi dans des fonctions aussi décisives pour la société que l’enseignement et la magistrature.
Je ne veux pas juger négativement le travail accompli par de nombreux sénateurs et députés. L’impression domine toutefois d’une réforme insuffisamment préparée, qui survole un peu les problèmes. Ainsi, l’article 1er a plus l’air d’une déclaration presque militante que d’un ensemble de mesures concrètes ; tel est mon sentiment, même s’il est un peu sévère.
Sans doute, madame la ministre, vous me répondrez qu’il y a toutes les autres professions. Ainsi, alors que la parité est garantie dans toutes les autres représentations professionnelles, elle ne l’est pas au sein de la chambre nationale et des chambres régionales et départementales des huissiers.
Madame la ministre, telles sont les remarques que je voulais vous présenter et les questions que je souhaitais vous poser. Ne voyez pas dans mon intervention la marque d’une attitude négative à propos du débat fondamental sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Je crois seulement que ce débat mérite une réflexion plus profonde, ainsi qu’une réforme de la Constitution.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES DANS LA VIE PROFESSIONNELLE
Articles 2 A et 2 B
(Suppressions maintenues)
Article 2 C
Le code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 2241-7 est ainsi modifié :
a) Le second alinéa est complété par les mots : « et de mixité des emplois » ;
b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu’un écart moyen de rémunération entre les femmes et les hommes est constaté, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels font de sa réduction une priorité.
« À l’occasion de l’examen mentionné au premier alinéa, les critères d’évaluation retenus dans la définition des différents postes de travail sont analysés afin d’identifier et de corriger ceux d’entre eux susceptibles d’induire des discriminations entre les femmes et les hommes et afin de garantir la prise en compte de l’ensemble des compétences des salariés. » ;
2° À la fin du second alinéa de l’article L. 3221–6, les mots : « doivent être communs aux salariés des deux sexes » sont remplacés par les mots : « sont établis selon des règles qui assurent l’application du principe fixé à l’article L. 3221–2 ». – (Adopté.)
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Article 2 E
La sous-section 1 de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre II de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° L’article L. 2242–5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2242–5. – L’employeur engage chaque année une négociation sur les objectifs d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre. Cette négociation s’appuie sur les éléments figurant dans les rapports prévus aux articles L. 2323–47 et L. 2323–57, complétés par les indicateurs contenus dans la base de données économiques et sociales mentionnées à l’article L. 2323–7–2 et par toute information qui paraît utile aux négociateurs. Cette négociation porte notamment sur les conditions d’accès à l’emploi, à la formation professionnelle et à la promotion professionnelle, sur le déroulement des carrières, les conditions de travail et d’emploi et en particulier celles des salariés à temps partiel, sur l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et sur la mixité des emplois. Cette négociation porte également sur l’application de l’article L. 241–3–1 du code de la sécurité sociale et sur les conditions dans lesquelles l’employeur peut prendre en charge tout ou partie du supplément de cotisations. Elle porte enfin sur la définition et la programmation de mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.
« Lorsqu’un accord comportant de tels objectifs et mesures est signé dans l’entreprise, l’obligation de négocier devient triennale. La mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes est suivie dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs prévue à l’article L. 2242–8 du présent code.
« En l’absence d’accord, la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs prévue au même article L. 2242–8 porte également sur la définition et la programmation de mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes. » ;
2° L’article L. 2242–7 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2242–7. – À défaut d’initiative de l’employeur, la négociation s’engage dans les quinze jours suivant la demande d’une des organisations syndicales de salariés représentatives dans l’entreprise, au sens de l’article L. 2231–1. »
Mme la présidente. L'amendement n° 41 rectifié, présenté par Mmes Bordas, Meunier et Tasca, M. Courteau et Mme Blondin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« À compter du 1er janvier 2015, les entreprises qui ne sont pas couvertes par un accord relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes ne peuvent bénéficier de la réduction de cotisations sociales prévue à l'article L. 241–13 du code de la sécurité sociale ni des réductions d'impôt prévues par le code général des impôts. »
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Cet amendement, dont notre regretté collègue René Teulade est à l’origine, reprend la principale disposition de la proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, votée en février 2012 par le Sénat mais qui n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Il a pour objectif de compléter l’arsenal dissuasif afin de faire respecter le principe d’égalité salariale au sein des entreprises. Ainsi, il conditionne l’octroi de réduction de cotisations sociales et de réductions d’impôt, prévues respectivement par l’article L. 241–13 du code de la sécurité sociale et par le code général des impôts, à la conclusion d’un accord portant sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Pour permettre aux entreprises de se mettre en conformité avec le présent amendement, il est proposé de garantir l’application de cette disposition à partir du 1er janvier 2015.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. Cet amendement concerne un article délégué au fond à la commission des affaires sociales. Celle-ci ayant émis un avis favorable, nous l’avons suivie.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Monsieur Courteau, vous le savez, je partage l’objectif qui est le vôtre de mettre les entreprises face à leurs responsabilités.
Cependant, je le redis ici, nous avons enfin commencé depuis un an à faire appliquer un dispositif – le fameux 1 % de pénalités pour les entreprises ne respectant pas leurs obligations – en mettant en place les contrôles et les sanctions nécessaires. La mesure que vous proposez constituerait, à cet égard, une sorte de double peine puisque, en plus du dispositif de 1 %, serait prévue une conditionnalité des allégements de charges. Cette double peine apparaîtrait comme disproportionnée et remettrait en réalité en question l’ensemble du mécanisme.
Il me semble que nous avons aujourd'hui atteint un équilibre, que nous renforçons. Je l’évoquais tout à l’heure dans mon propos liminaire, il n’y a pas simplement le contrôle et les sanctions, il y a aussi le fait que, dans ce projet de loi, on interdit aux entreprises qui ne respectent pas l’égalité professionnelle de soumissionner à des marchés publics. Il y a aussi tout ce que nous faisons pour donner plus d’efficacité à la négociation.
Bref, grâce à ces différentes dispositions, nous avons de quoi faire progresser les entreprises. Il me semble préférable de continuer à avancer ainsi. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. J’entends les explications qui viennent d’être fournies par Mme la ministre.
Effectivement, au travers de ce projet de loi, des efforts sont faits. Cependant, les femmes, notamment en matière d’égalité professionnelle, ont fait preuve de beaucoup de patience ; les lois ont jusqu’à présent été très mal appliquées, quand elles n’ont pas été mises en œuvre.
L’amendement n° 41 rectifié me paraît extrêmement intéressant dans la mesure où il est incitatif. Après des décennies de demandes réitérées, il est normal de solliciter les entreprises pour qu’elles mettent en place l’égalité salariale. Ça n’est que justice. C’est un élément supplémentaire pour aller dans le bon sens. Aussi, nous soutenons cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la sénatrice, j’entends vos arguments. Pour autant, j’insiste sur le caractère non constitutionnel d’une telle disposition. C’est bien pourquoi je vous suggère de laisser fonctionner le dispositif du 1 % tel qu’il existe aujourd'hui.
En réalité, l’idée d’obliger une entreprise à adopter un accord est incompatible avec le principe de liberté conventionnel, qui, lui, a valeur constitutionnelle.
Je vous propose d’avancer plutôt comme nous le faisons aujourd'hui, et je demande à M. Courteau de bien vouloir retirer cet amendement.
Mme la présidente. Monsieur Courteau, l'amendement n° 41 rectifié est-il maintenu ?
M. Roland Courteau. Je prends note du dernier argument formulé par Mme la ministre, à savoir le caractère inconstitutionnel de cet amendement. Aussi, la mort dans l’âme, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 41 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 2 E.
(L'article 2 E est adopté.)
Article 2 F
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article L. 3121-2 du code du travail, après le mot : « pauses », sont insérés les mots : « et aux déplacements entre deux lieux de travail pour le même employeur sur une même journée, ».
Mme la présidente. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par MM. Hyest, Reichardt, Grosdidier, Portelli, Bas et Retailleau, Mme Troendlé et M. Lefèvre, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. L’article 2 F est un cavalier législatif. Il vise à modifier la législation applicable aux temps de déplacements effectués dans le cadre de la journée de travail entre deux lieux de travail. Une telle disposition n’a rien à voir avec l’égalité entre les femmes et les hommes. Aussi, nous en proposons la suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Virginie Klès, rapporteur. Cet article a également été délégué au fond à la commission des affaires sociales, qui a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Néanmoins, pour des raisons très juridiques, la commission des lois n’a pas suivi cet avis, car elle estime qu’il existe un risque à assimiler les temps de repos et les temps de trajet. Pour cette raison, elle a émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission des lois et souscrit à cet amendement, monsieur le sénateur Bas, pour une raison toute simple, qui vient d’être rappelée par Mme la rapporteur : la rédaction de cet article laisse croire que les temps de trajet entre deux lieux de travail peuvent ne pas être considérés comme du temps de travail effectif. En réalité, il insécurise les salariés plus qu’autre chose. (M. Philippe Bas opine.) Le Gouvernement est donc favorable à votre amendement de suppression.
MM. Philippe Bas et Charles Revet. Très bien !
Mme la présidente. En conséquence, l'article 2 F est supprimé.
Article 2 G
(Non modifié)
L’article L. 3221-6 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les branches professionnelles fournissent un rapport à la Commission nationale de la négociation collective et au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sur la révision des catégories professionnelles et des classifications, portant sur l’analyse des négociations réalisées et sur les bonnes pratiques. »
Mme la présidente. L'amendement n° 15 rectifié, présenté par MM. Hyest, Reichardt, Portelli, Retailleau et Bas, Mme Troendlé et M. Lefèvre, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. L’article 2 G impose aux branches professionnelles d’établir et de remettre à la Commission nationale de la négociation collective et au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle un rapport sur l’analyse des négociations réalisées en matière de classification et sur les bonnes pratiques.
On comprend le souhait que le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle dispose d’une information suffisante pour vérifier la correcte application des dispositions contenues dans le présent projet de loi.
Cependant, un rapport de plus nous paraît tout à fait inutile, alors que la Commission nationale de la négociation collective bénéficie déjà d’une analyse très fouillée des négociations collectives en France et peut fort bien la transmettre au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. D’où cet amendement de suppression.