M. André Reichardt. Le sous-amendement est irrecevable !
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole, pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, vous aviez annoncé la mise aux voix par scrutin public de l’amendement n° 28 tendant à supprimer l’article 1er. Comment peut-on sous-amender un amendement de suppression ? Tout cela est très nouveau !
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Anziani, rapporteur. Pour lever tout risque de contradiction, je vais déposer un amendement, monsieur le président.
M. le président. Monsieur le rapporteur, de toute manière, je suis tenu de procéder aux mises aux voix dans l’ordre de discussion des amendements.
Mme Nathalie Goulet. C’est déjà bien, compte tenu du contexte !
M. le président. Voilà pourquoi je mettrai d’abord aux voix l’amendement n° 28, qui vise à supprimer l’article.
M. François Zocchetto. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. J’avais la même interrogation que M. Hyest : comment sous-amender un amendement de suppression ?
M. André Reichardt. Absolument !
M. Gérard Longuet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Même observation, mais nourrie d’une jurisprudence récente.
Lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique,…
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. Gérard Longuet. … un sous-amendement « adoptable »,…
M. François Zocchetto. Il aurait été adopté !
M. Gérard Longuet. … en ce qu’il avait recueilli un large consensus, a été retiré par M. le président de la commission des lois, rapporteur du texte, au motif qu’un sous-amendement ne peut pas aller contre les dispositions de l’amendement qu’il affecte.
Or le sous-amendement proposé par M. le rapporteur vise précisément à rétablir ce que l’amendement de M. Hyest tend à supprimer ! Très franchement, c’est une manœuvre de sous-préfecture ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, je précise qu’il s’agit non plus d’un sous-amendement, mais d’un amendement.
En effet, je suis saisi d’un amendement n° 156, présenté par M. Anziani, au nom de la commission des finances, et ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
à la partie civile
Insérer les mots :
, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou par la partie lésée,
Je mets aux voix l’amendement n° 28.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 317 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 159 |
Le Sénat a adopté.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Michel Mercier. Comme quoi…
M. le président. En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements nos 156 et 82 n’ont plus d’objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de l’amendement n° 82, présenté par Mme N. Goulet :
I. - Après l’alinéa 7
Insérer douze alinéas ainsi rédigés :
« ... - Une association se proposant, par ses statuts, de lutter contre la corruption est tenue de déclarer annuellement :
« 1° Le montant total des subventions publiques reçues ;
« 2° Le montant et l’origine des dons de personnes physiques ou morales d’un montant supérieur à 50 € ;
« 3° Le nombre de ses adhérents ;
« 4° Les immeubles bâtis et non bâtis détenus ;
« 5° Les valeurs mobilières détenues ;
« 6° Les comptes bancaires courants, les livrets et les autres produits d’épargne détenus ;
« 7° Les biens mobiliers divers détenus ;
« 8° Les véhicules terrestres à moteur, bateaux et avions détenus ;
« 9° Les biens mobiliers, immobiliers et les comptes détenus à l’étranger détenus ;
« 10° Les autres biens détenus ;
« 11° Le passif. »
II. - En conséquence, alinéa 2
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« Art. 2 - 22. - I. - Toute association ...
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 77, présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 131–27 du code pénal, les mots : « dix ans » sont remplacés par les mots : « quinze ans ».
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Ainsi que nous avons eu l’occasion de le souligner dans la discussion générale, la délinquance fiscale et financière ne remplit pas forcément les colonnes de l’actualité juridique, compte tenu, notamment, du rôle joué par la Commission des infractions fiscales, « sas » pour les uns, « verrou », pour les autres.
Le fait est que la délinquance en « col blanc », telle qu’on la qualifie parfois, ne surcharge pas vraiment les tribunaux !
Comme on le rappelle à juste titre dans le tome I de l’annexe Évaluation des voies et moyens, relatif aux recettes, au chapitre consacré au contrôle fiscal, les procédures correctionnelles engagées en la matière concernent, bon an mal an, environ un millier de dossiers.
La plupart des procédures engagées, conclues par des condamnations, amènent cependant à constater la relative clémence des juridictions concernées. La situation la plus fréquente est, en effet, la publication d’une décision portant amende et peine d’emprisonnement avec sursis.
Les peines de prison avec sursis sont prononcées dans 80 % à 88 % des condamnations, tandis que les peines d’amende avec titre exécutoire sont prononcées dans 30 % à 40 % des situations.
Il est donc assez rare que la fraude fiscale vous conduise derrière les barreaux – environ 10 % des affaires définitivement jugées –, même si la tendance est un peu à la hausse ces derniers temps.
Notons, cependant, et c’est là l’objet de notre amendement, que les peines complémentaires d’interdiction d’exercer certaines fonctions de direction d’entreprise ou professions libérales sont presque aussi souvent prononcées que les peines d’emprisonnement.
Sur la période 2003-2011, couverte par le document budgétaire annexé, on compte en effet 541 peines d’emprisonnement ferme et 430 peines complémentaires d’interdiction d’exercer.
Notre amendement vise à augmenter le quantum de la peine complémentaire, d’autant que celle-ci prend souvent, dans les procédures dont nous venons de parler, le caractère de peine principale.
À la vérité, il nous semble pédagogique et intéressant à la fois qu’une plus forte pénalisation des agissements de certains fraudeurs par interdiction de gérer une entreprise, d’exploiter un cabinet d’expertise comptable ou de professer en matière d’avocat-conseil en fiscalité puisse constituer un outil dissuasif dans la mise en œuvre des schémas de fraude fiscale.
Au demeurant, le travail d’ores et déjà accompli par la commission d’enquête sur l’évasion fiscale, qui s’est réunie ces dernières semaines, montre, s’il en était encore besoin, qu’au-delà de tel particulier ou de telle entreprise usant de fraude, c’est un réseau plus complexe d’acteurs et d’intervenants qui est à chaque fois mobilisé pour la mener à bien.
Il convient donc que ce réseau puisse connaître aussi les rigueurs de la justice.
C’est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement avait prévu de s’en remettre à la sagesse du Sénat. Néanmoins, compte tenu de nos échanges, je m’aligne sur l’avis favorable de la commission.
M. le président. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Le relèvement de la peine ne nous pose pas en lui-même un problème philosophique insurmontable.
Toutefois, en l’espèce, il pose difficulté dans la mesure où, depuis quelque temps, nous modifions systématiquement les peines, en les revoyant d’ailleurs à la hausse, sans nous assurer que ces peines sont encore cohérentes avec celles qui sont prévues plus généralement dans le code pénal pour d’autres infractions.
Nous traitons ici d’une infraction contre les biens, même s’il s’agit du bien public. Or certaines atteintes aux personnes, c’est-à-dire des infractions graves, ne sont-elles pas réprimées moins sévèrement ? Il faudrait à tout le moins le vérifier, au nom de la cohérence du code pénal et de notre échelle des peines.
M. André Reichardt. Absolument !
M. François Pillet. Autre bémol à la démonstration de mon excellent collègue, on nous dit depuis des années – on aurait d’ailleurs presque fini par me convaincre ! – que les peines ne sont pas dissuasives. N’est-ce pas ce qui a été affirmé au moment de l’abolition de la peine capitale ?
Croyez-vous vraiment que la peine prévue ici sera plus dissuasive ? Certainement pas ! Sera-t-elle-même appliquée ? On peut en douter quand on voit les peines habituellement prononcées en matière de fraude fiscale par les tribunaux !
Il est vrai, je veux bien l’admettre, que les tribunaux correctionnels n’ont pas à connaître des infractions les plus graves. Pour reprendre les exemples cités à l’instant, on poursuit, certes, le maçon portugais ou l’épicier du coin, mais les fraudeurs les plus gros, non !
Mme Nathalie Goulet. On va finir par avoir des problèmes avec le Portugal ! (Sourires.)
M. François Pillet. Donc, j’émets une réserve sur ce point. Je pense qu’avant d’augmenter systématiquement des peines, nous devrions vérifier que le code pénal est encore cohérent, ce dont je ne suis plus du tout certain.
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Une nouvelle fois, nous ne prenons pas le bon chemin.
Chers collègues de la majorité, si pour vous la solution consiste simplement à augmenter toutes les peines, je vous rappellerai qu’il n’y a pas si longtemps encore – c’est-à-dire jusqu’à il y a environ un an et demi –, chaque fois que le gouvernement précédent choisissait cette réponse pénale, vous hurliez, et moi avec vous, considérant à juste titre que ce n’était pas la solution.
M. André Reichardt. Vous êtes pardonné !
M. Jacques Mézard. Passer de dix à quinze ans ne résout absolument rien au problème. Dans ces matières, il faut déjà que les textes applicables donnent lieu au prononcé de sanctions significatives. Or aller dans ce sens, c’est risquer de mettre en cause l’indépendance de la justice. En effet, si, pour la plupart des infractions, nos peines sont très largement supérieures à celles qui sont pratiquées dans les autres pays, les magistrats ont cependant souvent le pouvoir de prononcer des sanctions inférieures au maximum qui figure dans les textes. C’est la réalité !
Par conséquent, prétendre que l’on donnera un signal à l’opinion en passant de dix à quinze ans peut être plaisant en termes de communication, mais cela ne résout strictement rien !
Pour ma part, j’essaie d’être cohérent avec les positions que je n’ai cessé de défendre, ici même, depuis des mois et des années.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Permettez-moi tout d’abord de préciser, mes chers collègues, qu’il m’est arrivé de lutter, avec la commission des lois du Sénat, contre l’augmentation systématique des peines sous la précédente législature.
Par ailleurs, j’ai vérifié la durée de la peine maximale pour un certain nombre de délits : elle est fixée à dix ans. Pourquoi la porterait-on à quinze ans pour ce délit spécifique ?
Je l’ai expliqué ce matin, madame le garde des sceaux, et il me semble que la commission des lois partageait mes vues, nous sommes en train de détruire progressivement, au gré des événements, tout ce qui fait notre échelle des peines, et dans le sens d’une aggravation. Avant de procéder à des modifications, il faudrait peut-être se demander si les peines que nous envisageons ici sont cohérentes avec l’ensemble de celles qui sont prévues dans le reste du code pénal. Ici, je le dis, ce n’est pas le cas !
Ce qu’indiquait M. Mézard est également vrai, chers collègues de la majorité : sous la précédente législature, vous hurliez à chaque fois que nous augmentions les peines. Aujourd’hui, vous en voulez toujours plus…Je trouve effectivement que vous n’êtes pas très cohérents avec vous-mêmes ! (M. André Reichardt applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Chacun peut dire ce qu’il veut, chers collègues de l’opposition, mais je pense que, pour ce qui est de la cohérence, il faut éviter de se donner des leçons !
Que vous n’acceptiez pas ce que nous proposons par cet amendement est une chose, mais au moins admettez que nous ne revenons ni sur nos positions…
M. André Reichardt. Si !
Mme Cécile Cukierman. … ni sur ce que nous avons toujours dénoncé, à savoir la volonté affichée pendant des années, par les gouvernements de droite, d’augmenter les peines destinées à frapper les plus petits (Exclamations sur les travées de l'UMP.) et celles et ceux qui sont aussi souvent des victimes de la société et des conditions dans lesquelles vous les avez placés.
Donc, pas d’amalgame, et sachons distinguer entre tous les délits ! Il est question ici d’un délit spécifique,…
M. André Reichardt. Mais bien sûr…
Mme Cécile Cukierman. … l’évasion et la fraude fiscales, qui, dans la plupart des cas, est commis de façon tout à fait consciente, voire avec l’appui de conseillers pour mieux aider au contournement de la règle et mettre en œuvre une évasion optimisée en vue d’un plus grand enrichissement.
Ce délit est donc spécifique, et les délinquants sont pleinement conscients de leurs actes. On ne peut donc invoquer la perversion, la folie, des nécessités sociales ou des particularités culturelles pour justifier les actes de ces délinquants-là.
Certes, il faut certainement revoir l’échelle des peines, mais, s’agissant d’un délit spécifique qui a une très forte incidence sur l’intérêt général, sur les ressources de la Nation et, par conséquent, sur le bien-être de toutes et de tous, nous pensons qu’il est important d’augmenter la peine pour lui conférer, oui, chers collègues, un caractère dissuasif. Nous le pensons, nous l’affirmons et nous l’assumons, sans aucune remise en cause de nos positions précédentes.
En outre, sur la question de l’indépendance de la justice, ne mélangeons pas tout ! Comme vous en conviendrez, monsieur Mézard, l’indépendance de la justice, ce n’est pas laisser aux juges toute latitude pour faire ce qu’ils veulent quand ils le veulent. C’est le résultat de la mise en cohérence des différents pouvoirs, chacun étant ensuite libre d’agir dans sa sphère de compétence.
Nous pensons donc qu’il est nécessaire d’augmenter la durée maximale de la peine et de la porter de dix à quinze ans pour ce délit qui, je le répète, est spécifique. Ce faisant, nous restons cohérents avec toutes les positions que nous avons défendues sur les précédents textes. Nous n’avons pas de leçons à recevoir en la matière ! (Nouvelles exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote.
M. François Rebsamen. J’ai attentivement écouté les arguments de Jacques Mézard. Effectivement, l’augmentation du quantum des peines complémentaires en la matière n’est peut-être pas d’une efficacité prouvée. Mais, car il y a un mais, chers collègues, comment pouvez-vous nous donner des leçons, quand vous n’avez cessé pendant cinq ans d’augmenter toutes les peines,…
M. Jean-Jacques Hyest. C’est faux !
M. François Rebsamen. … alors que précisément nous visons la fraude fiscale ? Il ne faudrait tout de même pas exagérer ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Même si j’émets des doutes sur le fait que cette disposition soit d’une grande efficacité, c’est tout de même un signal que nous adressons aux fraudeurs fiscaux et je prends cette mesure comme telle. Sur le principe, on ne peut que soutenir cet amendement et, pour une fois, vous qui avez augmenté toutes les peines,…
Mme Cécile Cukierman. Le seul délit pour lequel ils ne veulent pas augmenter les peines, c’est la fraude fiscale !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas cela !
M. François Rebsamen. … vous qui avez même prévu des peines planchers, obligeant les magistrats à remplir les prisons, alors qu’il vaudrait mieux favoriser la réinsertion, vous devriez nous rejoindre et soutenir cet amendement.
Jacques Mézard a été cohérent avec lui-même, car il s’est effectivement opposé à toutes les augmentations de peine que vous avez votées. Vous nous en proposiez une chaque semaine !
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. François Rebsamen. Alors, pour une fois, joignez-vous à nous sur cette question de la fraude fiscale ! Sans cela, nous allons finir par croire que vous ne voulez pas d’une aggravation des peines pour les fraudeurs…
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De quoi débattons-nous, mesdames, messieurs les sénateurs ? L’article 131-27 du code pénal dispose que l’interdiction d’exercer est soit définitive, soit temporaire. Dans ce dernier cas, elle ne peut excéder dix ans.
J’entends parfaitement vos observations, monsieur Hyest. Effectivement, pour les délits, la peine maximale est en général de dix ans. Quoi qu’il en soit, une pagaille monumentale s’est installée dans notre échelle des peines depuis un certain nombre d’années. L’incohérence est totale !
M. François Pillet. Voilà
M. Jean-Jacques Hyest. En effet !
M. André Reichardt. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’amendement tend à faire passer la durée maximale de la sanction temporaire de dix à quinze ans. Il s’agit d’un maximum, charge au juge d’apprécier !
M. Jean-Jacques Hyest. On le sait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En outre, dans ce cas particulier, l’interdiction peut être définitive. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, permettez-moi de m’étonner : que la sanction puisse être définitive ne vous heurte pas, mais vous prophétisez la fin du monde si elle est portée à quinze ans lorsqu’elle est temporaire ?
Je ne crois pas que nous soyons à la veille de l’Apocalypse, tout de même ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Le signal ainsi adressé aux fraudeurs, comme l’a évoqué M. Rebsamen, doit être pris en considération.
Je confirme donc l’avis favorable du Gouvernement sur cet amendement n° 77.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 1er.
Article 1er bis
L’article 131-38 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou, s’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, au dixième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale prévenue, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits » ;
2° Le second alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque le crime a procuré un profit direct ou indirect, ce montant peut être porté au cinquième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale accusée, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. ».
M. le président. L'amendement n° 135, présenté par MM. P. Dominati et de Montgolfier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. L’Assemblée nationale a souhaité durcir le texte initial en adoptant un article additionnel instaurant une amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires de la personne morale en cas d’infraction pénale. Cette amende peut être portée à 20 % du chiffre d’affaires en cas de récidive.
En proposant cet amendement de suppression, nous entendons, non pas contester un éventuel durcissement du projet de loi ou la volonté du législateur de mieux graduer l’échelle des peines, mais simplement trouver un système qui soit en cohérence avec la réalité de la situation des personnes morales.
Mes chers collègues, les personnes morales, ce sont les sociétés ! Généralement, les amendes pouvant leur être appliquées sont multipliées par cinq par rapport à celles que l’on peut prononcer à l’encontre des personnes physiques.
Ici, l’amende est assise sur le chiffre d’affaires, ce qui pose problème.
Tout d’abord, le chiffre d’affaires est difficile à cerner.
M. Daniel Raoul. Ah bon ?
M. Philippe Dominati. Des différences peuvent être constatées selon que l’entreprise réalise des bénéfices ou se trouve en grandes difficultés financières, selon qu’il s’agit d’une filiale ou d’un groupe de sociétés.
Il aurait donc été préférable d’opter pour une base de calcul qui tienne compte du montant de l’infraction, plutôt que du chiffre d’affaires.
Il n’est pas réaliste qu’une société puisse vivre avec une épée de Damoclès de cette nature et de cette importance. À partir du moment où un litige apparaît avec l’administration, la société est obligée d’inscrire des provisions dans ses comptes. Or provisionner 10 %, voire 20 % du chiffre d’affaires peut directement causer de graves difficultés de trésorerie à la société, voire des difficultés financières, notamment à l’égard des banquiers qui lui prêtent de l’argent.
Par conséquent, l’amende visée ici pourrait véritablement mettre en péril les personnes morales, puisque ce sont elles qui sont visées ici, et donc affecter la vie économique des entreprises.
C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article, libre à vous ensuite de trouver un autre critère, cette fois fondé sur le montant de l’infraction, et non sur un élément aussi difficilement quantifiable que le chiffre d’affaires des sociétés concernées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission a un avis radicalement différent de celui qui vient d’être exprimé sur cette mesure qui, je le crois, est une disposition de fond.
La réflexion menée à l’Assemblée nationale a été la suivante : la sanction aujourd'hui prononcée à l’encontre des personnes morales est parfois très faible, ce qui peut pousser certains à une sorte de spéculation très cynique. En définitive, l’infraction va si peu leur coûter qu’ils peuvent avoir intérêt à la commettre !
M. François Rebsamen. Évidemment !
M. Alain Anziani, rapporteur. Le rempart que nous construisons ici me semble donc tout à fait justifié et, en matière économique, ce rempart ne peut être que le chiffre d’affaires.
En précisant que le taux est appliqué au chiffre d’affaires moyen, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires connus « à la date des faits », nous permettons une prévisibilité. Un taux de 20 % est prévu, certes, mais en cas de récidive. Enfin, nous avons cadré un peu plus les dispositions de l’Assemblée nationale, d’ailleurs pour des considérations de constitutionnalité, en indiquant que l’infraction devait avoir procuré un profit direct ou indirect.
Il y a donc un lien entre la nature de l’infraction, le fait que celle-ci entraîne, ou pas, des profits, les taux appliqués et l’utilisation du chiffre d’affaires comme assiette de l’amende. C’est vraiment, me semble-t-il, un amendement cohérent, qui marque une forte évolution de notre droit en la matière.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement n° 135.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour les mêmes raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable. La rédaction proposée par la commission des lois est très bonne.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je suis très sensible aux arguments de Philippe Dominati. Il faudrait effectivement que l’on nous explique : sachant que les entreprises sont obligées de provisionner pour risques, comment passer en compte d’exploitation une provision représentant 10 % du chiffre d’affaires sans remettre en cause la vie économique de l’entreprise ?
M. Gérard Longuet. Il y a là quelque chose qui m’échappe.
Lorsqu’une décision définitive est prise, on peut admettre qu’une sanction soit appliquée à la personne morale se traduisant par une amende égale à 10 % du chiffre d’affaires et à 20 % en cas de récidive. Mais avant que la décision ne soit prise, il faut provisionner la somme, obligation qui, sous le contrôle du commissaire aux comptes, pèse sur l’entreprise. Cette provision est évidemment une charge qui expose l’entreprise à une fragilité bilancielle et qui peut la priver de tout accès au crédit, crédit bancaire ou crédit fournisseur, alors que la décision n’est pas définitive.
Je souhaite donc savoir comment vous traitez ce sujet.
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Longuet, j’ai beaucoup de mal à comprendre comment vous pouvez défendre l’idée qu’une entreprise provisionne le risque qu’elle prend à frauder. (M. Gérard Longuet proteste.) Ce n’est pas une assurance. Il ne s’agit pas de prendre des assurances, la fraude est un acte volontaire.
M. Gérard Longuet. Cette dame ne comprend vraiment pas la comptabilité ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Virginie Klès, rapporteur. Pardonnez-moi de n’être qu’une femme, monsieur le sénateur !