M. Roland Courteau. Que c’est beau ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Esther Sittler. … « Les langues nous traversent, nous en faisons partie. Avec cette loi, on casse le sens d’un mot, ce qui rejaillit sur les autres mots. N’est-ce pas trop cher payé pour réparer les injustices passées envers les homosexuels que de casser ou distordre certains mots ? »
On nous propose en outre une « disposition balai » à l’alinéa 3, car on s’est aperçu, grâce au travail des parlementaires, que l’on est très loin d’avoir mesuré les conséquences précises des dispositions prévues par le projet de loi. On nous a pourtant remis une étude d’impact. Comment pouvez-vous demander aux parlementaires que nous sommes de voter un texte qui va bouleverser le mariage et la famille, alors que vous n’en avez pas mesuré les effets ? Non, madame la garde des sceaux, nous ne pouvons l’accepter ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cet article 4, que l’on présente comme un « article balai », m’inspire trois réflexions. Tout d'abord, madame la garde des sceaux, je souhaite revenir sur ce que vous avez répondu lorsque j’ai dit qu’il serait bon de remettre un document aux futurs contractants – j’avais employé ce terme car, après tout, le mariage est un contrat, me semble-t-il, mais je suis prêt à parler des « futurs époux » si vous préférez cette expression. Je pense que ce n’est pas au moment du mariage qu’il faudrait remettre ce document aux conjoints, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, mais lorsqu’ils déclarent qu’ils veulent contracter mariage.
M. Charles Revet. Les auditions auxquelles nous avons procédé étaient extrêmement intéressantes et enrichissantes. J’ai été très marqué par ce que nous ont dit les magistrats, les avocats et les notaires au sujet des incidences qu’auront certaines dispositions du projet de loi. C'est pourquoi je pense qu’il serait bon qu’un document fasse la synthèse des répercussions entraînées par le mariage. Bien entendu, ce document ne serait pas remis le jour du mariage, car c’est un moment de fête, pendant lequel on n’est guère réceptif à ce type d’informations.
M. Gérard Longuet. Le mariage est une fête éternelle ! (Rires.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce sera répété ! (Même mouvement.)
M. Charles Revet. C’est bien dit, monsieur Longuet !
En tout cas, il me paraît important qu’un tel document soit remis aux futurs époux.
Ensuite, je souhaiterais évoquer l’évolution des mots. Monsieur le président de la commission des lois, vous avez dit que le sens des mots changeait. C’est vrai que le sens des mots a toujours changé. Quand ce changement est le fruit d’une évolution du langage commun, je le comprends, et chacun l’assimile. Mais lorsque c’est le législateur qui opère ce changement par les dispositions qu’il introduit dans la loi, c’est tout à fait différent.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Le législateur est un acteur de la société !
M. Charles Revet. Monsieur le président de la commission des lois, j’ai évoqué les relations particulières que nous entretenons avec nos cousins canadiens ou québécois, ainsi que leur attachement extraordinaire – presque plus fort que le nôtre, aussi paradoxal que cela puisse paraître (Mme Catherine Tasca s’exclame.) – à notre langue et leur recherche de racines dans notre pays. L’évolution des noms telle qu’elle est envisagée, ou du moins le fait qu’il soit notamment possible de changer de nom et d’interchanger des noms, compliquera les recherches généalogiques pour nous comme pour eux.
Enfin, vous le savez, madame la garde des sceaux, la langue française est parlée dans de nombreux pays. On s’en réjouit beaucoup, même si on perd un peu pied. Or ce que nous faisons peut avoir des conséquences dans tous ces pays où l’on parle français. Par conséquent, j’aimerais savoir si nous avons eu des contacts avec l’Organisation internationale de la francophonie, OIF, qui permet des échanges entre tous les pays dont la langue principale est le français, afin de mesurer les conséquences qu’auront certaines dispositions de ce projet de loi.
La France est bien entendu le pays d’origine de la langue française, mais cette langue est aujourd'hui parlée dans je ne sais combien de pays – peut-être que certains dans cet hémicycle pourraient nous indiquer le nombre exact. Est-ce que nous avons noué des contacts afin de mesurer les répercussions que pourrait avoir l’adoption de ce projet de loi dans certains pays francophones ? Il me semble qu’il s’agit d’une vraie question. La France a une responsabilité particulière, puisque nous avons la chance d’avoir une langue internationale. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Tout ce qui se fait ici a donc des conséquences à l’échelon international.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 4 découle bien entendu de l’article 1er, qui a malheureusement été voté. Comme je l’ai déjà souligné, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, personnes homosexuelles, aura des conséquences terribles sur le contenu du code civil. La pagaille s’introduit : il va falloir revoir toute la partie relative à l’adoption, on ne sait plus quel nom vont porter les enfants adoptés, cela sera compliqué – Jean-Pierre Leleux l’a bien montré hier soir. Parce que vous êtes des spécialistes, vous ne vous rendez pas compte de la complexité que vous introduisez dans le code civil.
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Bruno Sido. Il va devenir complètement incompréhensible pour le commun des mortels,…
M. Charles Revet. Voilà !
Mme Cécile Cukierman. Parce que le code civil est très compréhensible aujourd'hui ?
M. Bruno Sido. … pour tous ceux qui n’ont pas été ministres, etc., en clair les gens normaux, si je puis dire.
Mme Esther Benbassa. Vous distinguez encore les normaux des anormaux ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est scandaleux !
M. Bruno Sido. Vous ne vous rendez pas compte que le nom est un patrimoine qui indique les racines des uns et des autres. Par les temps qui courent, nous y tenons…
M. Gérard Cornu. Effectivement !
M. Bruno Sido. … et nos concitoyens y tiennent de plus en plus.
Vous avez refusé, contre toute évidence, d’accepter les amendements déposés et remarquablement défendus par nos collègues. Je trouve que c’est fort dommage, car l’adoption de ces amendements aurait permis de corriger au moins quelques aspects de l’article 4.
Pour tous ces motifs, je ne voterai pas cet article.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous aurions tort de penser que cet article est un article mineur, car il s’agit bien d’un article majeur, qui porte la trace de deux ressorts importants qui sont dans la dynamique de ce projet de loi et l’ont même précédé. Il y a quelques jours, l’un de nos collègues a cité cette formule d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Quand on demandait à Aristote quelle était la source de la sagesse… (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Oui, madame la sénatrice, Aristote, l’un des fondateurs de notre civilisation.
Mme Esther Benbassa. Merci !
Mme Hélène Lipietz. Bravo !
M. Bruno Retailleau. Rome, Athènes, Jérusalem, ce sont des sources de notre civilisation.
Mme Esther Benbassa. Merci !
M. Bruno Retailleau. Aristote disait que la source de la sagesse est dans la réalité des choses, car les choses ne savent mentir.
Je pense que les mots ne sont pas seulement les instruments du vocabulaire. Les mots d’une langue expriment une appréhension du monde. Nous pensons avec les mots, nous rêvons avec les mots,…
Mme Esther Benbassa. Ah !
M. Bruno Retailleau. … nous chantons avec les mots. Les mots sont des traces qui nous emmènent beaucoup plus loin que la syntaxe, la grammaire et le vocabulaire.
Mme Esther Benbassa. Oh, c’est lyrique !
M. Bruno Retailleau. La gauche l’a compris bien avant la droite.
Mme Esther Benbassa. Ah ! Grâce soit rendue !
M. Bruno Retailleau. Gramsci l’avait déjà souligné : les batailles politiques doivent d'abord être gagnées sur le terrain culturel (Mme Esther Benbassa s’exclame.), et notamment sur le terrain sémantique.
Mme Esther Benbassa. C’est déjà gagné !
M. Bruno Retailleau. Ce que vous faites, avec cet article, c’est aligner le droit… Madame Benbassa, nous n’avons pas la même couleur politique, ni d’autres couleurs non plus, d'ailleurs (Rires sur plusieurs travées.), mais nous pouvons au moins nous écouter, nous entendre, au-delà de ces couleurs, variées. Moi je n’ai aucun problème !
M. Jean-Vincent Placé. Qu’est-ce que cela veut dire, sur la question des couleurs ? C’est lamentable ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Cela veut dire que, quelles que soient nos couleurs politiques,…
M. Jean-Vincent Placé. Vous vous déshonorez ! C’est scandaleux !
M. Bruno Retailleau. Monsieur Placé, quelles que soient nos couleurs politiques, le respect doit s’imposer et nous devons pouvoir nous écouter, tout simplement.
Mme Esther Benbassa. Ça suffit !
M. Jean-Vincent Placé. Scandaleux !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, je vous demande de faire la police de l’assemblée.
M. Jean-Vincent Placé. Absolument scandaleux !
M. le président. Poursuivez, monsieur Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Je vous remercie.
M. Jean-Vincent Placé. C’est scandaleux ! (Exclamations sur les travées du groupe écologiste auxquelles répondent des exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. La bataille des mots… (Brouhaha.)
Mme Esther Benbassa. Ça suffit, le Lagarde et Michard !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, la parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Quelles que soient nos différences, nous devons pouvoir nous écouter, c’est tout ! (M. Bertrand Auban s’exclame.)
Ce que je dis, c’est que cela ne revient pas au même d’employer le mot « parents » ou les mots « père » et « mère », parce que ces derniers mots renvoient à une ascendance, et cela fait une grande différence. Le mot « parentalité », qui a souvent résonné ici, ne désigne pas la même chose que le mot « parent » : il désigne une fonction éducative. La « parentalité » n’est pas non plus équivalente à l’ « homoparentalité ».
Mme Hélène Lipietz. Oh !
Mme Esther Benbassa. Eh oui, ce n’est pas la même chose !
M. Bruno Retailleau. On voit bien que les mots sont signifiants. Vous allez aligner le droit sur la falsification des termes. L’étymologie du mot « mariage » renvoie à la mère. Oui, pour engendrer un enfant, il faut un père et une mère.
Un sénateur du groupe socialiste. Et la Vierge Marie, alors ?
M. Bruno Retailleau. C’est ce que je voulais rappeler. Vous allez toucher aux premiers mots de notre vocabulaire, aux premiers mots que nous apprenons : « père » et « mère », « papa » et « maman ». (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.) C’est quelque chose d’extrêmement symbolique !
Enfin, votre projet de loi bouleverse si profondément…
Mme Esther Benbassa. Heureusement !
M. Bruno Retailleau. … les bases du droit de la famille et de la civilisation qu’il impose ce changement à tous les couples, à tous les Français,...
Mme Esther Benbassa. La civilisation évolue, monsieur !
M. Bruno Retailleau. … et pas seulement aux couples de personnes de même sexe. Je tenais à le rappeler sereinement, et je regrette qu’il soit difficile de se faire entendre dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Oh ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. À Charles Revet, qui parle toujours avec beaucoup de chaleur humaine et dont on sent qu’il est très intéressé par ces questions – je l’en remercie –,…
M. Jean-Pierre Raffarin. Il pourrait être ministre !
M. Gérard Longuet. Il mérite mieux que ça ! Il pourrait être président de commission !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … je tiens à dire que, dans cette France où le langage est bien entendu le fruit du parler commun, la langue a toujours été un enjeu politique. Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts, les lois et les règles régaliennes ont toujours pesé sur la réalité de la langue. La langue est vivante, elle vit de tous les acteurs qui jouent dans la société. Parmi ces acteurs, il y a le Parlement, qui précise constamment le sens des mots. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
Si je réponds ainsi à Charles Revet, avec lequel nous avons plaisir à dialoguer, je m’élève en revanche avec beaucoup de force, monsieur le président, contre les propos tenus par M. Retailleau. (Oh ! sur les travées de l’UMP.) En effet, vous avez déclaré, monsieur Retailleau, qu’il y avait entre vous et l’une de nos collègues des différences de couleur politique mais aussi d’autres différences de couleur.
M. Gérard Longuet. Elle est Verte ! Et d'ailleurs elle revendique sa « vertitude » !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Retailleau, je veux vous rappeler les termes de l’article 1er de la Constitution. Je veux aussi vous dire que je réprouve totalement la manière dont vous vous référez à Gramsci et dont vous faites parler une fois encore dans cet hémicycle Albert Camus (Mme Esther Benbassa s’exclame.), qui ne pensait certainement pas comme vous sur ces questions fondamentales qui tiennent au respect des uns et des autres. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Vous n’allez tout de même pas l’interpréter !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je tiens à dire la vérité,…
M. Bruno Sido. Oh !
M. Henri de Raincourt. Votre vérité !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … parce que cette vérité existe et que l’on n’a pas le droit de bafouer l’article 1er de la Constitution.
M. Alain Gournac. Vous n’avez pas le droit d’insulter ainsi un sénateur !
M. le président. Monsieur le président de la commission, je vous en prie.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il y a entre nous des différences politiques, mais aussi des différences qui tiennent au fond des choses.
Rappels au règlement
M. Bruno Retailleau. Je demande la parole, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour un rappel au règlement. Pour un fait personnel, je n’aurais pu en effet vous donner la parole qu’à la fin de la séance.
M. Bruno Retailleau. Ce qui se passe est insupportable ! Dans un premier temps, dès lors qu’on s’inscrivait en faux sur le texte, on était traité d’homophobes.
Tout à l’heure, malgré les interruptions, j’ai cité un philosophe grec, en m’adressant à une collègue qui est Verte – je suis désolé, c’est sa couleur politique (Mme Esther Benbassa s’exclame.)…
M. Jean-Pierre Raffarin. Elle le revendique ! C’est son nom !
M. Bruno Retailleau. Les couleurs vestimentaires, peu importe ! Elle a une couleur éclatante, peu importe ! Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Vous voudriez nous faire croire que nous avons d’autres pensées !
M. François Rebsamen. Il a dérapé, ça arrive !
M. Bruno Retailleau. Franchement, il est possible d’échanger tous les arguments, mais faire penser que, parce que quelqu’un est d’une autre couleur, d’une autre religion,…
Mme Esther Benbassa. La religion maintenant !
M. Bruno Retailleau. … ou quoi que ce soit d’autre, je serais capable de lui manquer de respect, je ne peux le tolérer !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils ne sont pas dignes !
M. Bruno Retailleau. Toutes celles et ceux qui me connaissent – je suis élu depuis vingt-cinq ans – savent…
Mme Catherine Troendle. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. … ce que je pense. Mes écrits, mes discours peuvent en témoigner, et je défie quiconque de montrer le moindre écart, le moindre manque de respect à la dignité de qui que ce soit, au cours de ces vingt-cinq années de carrière politique !
M. François Rebsamen. Vous parlez trop ! C’est la fatigue !
M. Bruno Retailleau. J’ai toujours fait preuve de respect, quelles que soient la couleur de peau, la religion, la culture, et je défie quiconque de montrer l’inverse !
Lorsque nous nous exprimons, nous devrions pouvoir le faire avec la force de nos convictions, sans risquer d’être maltraités. Monsieur le président, je vous remercie de faire respecter la police de l’assemblée, pour assurer la sérénité de nos débats. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Michel Mercier applaudit également.)
M. le président. Monsieur Retailleau, je veille à la sérénité de l’assemblée.
Je vous donne acte de votre rappel au règlement.
La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, mes chers collègues, je trouve les propos de notre collègue Retailleau extrêmement graves. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Pour des raisons évidemment liées à vos interventions redondantes et répétitives, ce qui, au passage, n’honore pas du tout la Haute Assemblée,…
M. Alain Gournac. Laissez-nous faire !
M. Gérard Longuet. Qu’en savez-vous, mon cher collègue ?
M. Jean-Vincent Placé. … et à votre stratégie d’obstruction, d’occupation du temps, que l’on ne comprend pas trop, d’ailleurs, car jamais un argument nouveau n’est avancé (Protestations sur les travées de l'UMP.) dans nos discussions depuis quelques heures, voire quelques jours,…
M. Gérard Cornu. Vous n’êtes pas là !
M. Jean-Vincent Placé. … nous avons la sagesse, dans la majorité présidentielle, gouvernementale et parlementaire, de nous taire (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.), alors que nous sommes l’objet de provocations idéologiques, culturelles et philosophiques que vous portez.
C’est une chose d’entendre ce type de propos, c’en est une autre d’entendre notre collègue Retailleau dire – je cite ses propos qui ont motivé mon rappel au règlement – : « Nous ne sommes pas de la même couleur politique et, d’ailleurs, nous ne sommes pas de la même couleur ».
Monsieur Retailleau, tels sont, in extenso, vos propos.
M. Bruno Retailleau. C’est faux !
M. Jean-Vincent Placé. Il est scandaleux de tenir de tels propos ! Aussi, je vous demande non pas des explications – vous venez d’ailleurs de tenter maladroitement de vous justifier dans une diatribe –, mais des excuses ! (Oh ! sur les travées de l’UMP.) C’est le sens du rappel au règlement que je fais au nom du groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme Sophie Primas. Vous souhaitiez être vu à la télévision : c’est fait !
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de faire en sorte que la sérénité revienne dans l’hémicycle.
Un sénateur du groupe UMP. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 159 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 176 |
Contre | 162 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à douze heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Bruno Retailleau, pour quelques instants.
M. Bruno Retailleau. Je suis attaché à la sérénité de nos débats. Je tiens donc à réaffirmer solennellement que, tout à l’heure, lorsque je me suis adressé à ma collègue, qui, d’ailleurs, ne cessait pas de m’interrompre,…
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. Bruno Retailleau. … j’ai simplement visé la différence de couleurs politique et vestimentaire. Si vraiment il y avait une ambiguïté, je la lève tout de suite !
Nous nous côtoyons tous les jours, nous sommes presque voisins de bureau. Aucun de mes actes ni de mes propos ne vise la dignité d’un être humain, quel qu’il soit ou quelle qu’elle soit. Tous ceux qui me connaissent, tous ceux qui travaillent avec moi le savent parfaitement ! Au sein de la commission, des relations de courtoisie existent…
M. Jean-Louis Carrère. Qu’elles continuent !
M. Bruno Retailleau. Il ne doit donc pas y avoir d’ambiguïté. De grâce, n’instrumentalisons pas ce genre d’incident,…
Un sénateur du groupe UMP. Voilà ! Très bien !
M. Bruno Retailleau. … ce n’est pas bon pour la sérénité des débats, ni pour la cause que, de chaque côté de cet hémicycle, nous souhaitons défendre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Dont acte, monsieur Retailleau.
Nous en revenons au débat.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avec l’article 4 bis, nous allons changer de sujet et passer à l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Je voulais donc intervenir auparavant, pour répondre à deux questions posées au sujet de l’article 4, l’une, par M. le ministre Longuet – il a été ministre, je n’y suis pour rien, ce n’est pas moi qui l’ai nommé ! (Sourires.) –, et l’autre, par Mme la sénatrice Des Esgaulx. J’ai manqué de réactivité en ne demandant pas la parole avant l’ouverture du scrutin sur l’article 4 et je vous prie de m’en excuser.
Monsieur le ministre Longuet, vous m’avez demandé de vous confirmer que « parents » signifie « père et mère ». Vous savez bien que le mot « parent » figure déjà dans le code civil et qu’il ne désigne pas uniquement le père et la mère.
J’ai fait vérifier par mes services le nombre d’occurrences de ce mot. À l’Assemblée nationale, j’avais déjà rappelé que nous n’avions pas touché au titre VII du code civil, sur la filiation. Toutes les occurrences de « père et mère » dans ce titre demeurent telles quelles, non pas parce que nous aurions reculé devant la difficulté, mais parce que nous n’avions aucune raison de les modifier.
Au titre VIII figurent déjà des occurrences du mot « parent » et je les ai fait dénombrer pour que vous constatiez que je tiens à répondre très sérieusement à votre question, que je ne me contente pas d’affirmer une chose sans la vérifier. Dans la version actuelle du code civil, puisque le texte dont nous discutons n’est pas encore adopté ni promulgué, le mot « parent » apparaît deux fois à l’article 345–1, deux fois à l’article 348–3, une fois aux articles 348–6, 349, trois fois à l’article 350 et une fois à l’article 351. Au titre IX, ce mot apparaît à l’article 371–1, alinéa 3, aux articles 371–2, 372–2, 373–2 et dans quelques autres.
Nous ne nous livrons donc pas à une innovation sans précédent : le code civil contient déjà de nombreuses occurrences du mot « parent ».
Il ressort des propos qu’un certain nombre d’entre vous ont tenus que vous nous reprochez de ne pas suffisamment tenir compte de la convention internationale relative aux droits de l’enfant. Je vous rappelle que la France a ratifié cette convention et qu’elle l’applique sérieusement – ne laissons pas croire, à l’occasion de ce débat, que notre législation ne serait pas protectrice de l’enfant ! Ce n’est pas parce que, dorénavant, les couples de personnes de même sexe peuvent se marier que les enfants sont tout d’un coup en danger ! Notre droit est solide et des magistrats, en chaque circonstance où ils sont appelés à le faire, veille à faire respecter l’intérêt des enfants et à protéger leurs droits.
Les enfants qui sont actuellement élevés par des familles homoparentales – il y en a déjà – sont dans une situation d’insécurité juridique et ce projet de loi va leur apporter une sécurité juridique. Quand les couples seront mariés, le fait que leur rupture soit arbitrée par un juge apportera une protection au membre du couple le plus vulnérable, le plus fragile, ainsi qu’aux enfants qui existent déjà dans ces familles. Ne laissez pas entendre que notre droit serait léger, fragile et ne protégerait pas les enfants ! Notre droit de l’enfant est solide et une institution de protection des enfants existe, puisque l’adjointe du Défenseur des droits est Défenseure des enfants.
Notre droit est solide, notre code civil dit très clairement que les décisions doivent être prises dans l’intérêt des enfants : ne faisons pas comme si nous étions au commencement de tout et comme si rien n’existait !
La question posée par Mme la sénatrice Des Esgaulx portait sur les documents d’état civil. M. le président Hyest a eu raison de rappeler que ces matières étaient réglementaires. Lorsque j’ai répondu à M. le sénateur Retailleau sur l’incompétence négative, j’ai rappelé jusqu’où allait la compétence du législateur en matière d’élaboration des règles, le relais étant pris par le pouvoir réglementaire ; j’ai notamment évoqué l’instruction générale relative à l’état civil. Bien que cette question relève du pouvoir réglementaire, il est tout à fait normal que les parlementaires souhaitent être éclairés.
Depuis que la loi de 2005 a établi que les règles relatives au livret de famille étaient déterminées par arrêté, nous disposons, en France, d’un livret de famille unique pour toutes les familles, délivré à l’occasion du mariage ou de la naissance du premier enfant.
Nous nous sommes très tôt posé la question de savoir comment serait présenté le futur livret de famille. Deux options étaient possibles : soit créer trois livrets de famille distincts, un pour les couples hétérosexuels, un pour les couples de femmes et un pour les couples d’hommes ; soit maintenir un livret unique, avec les trois options possibles.
Nous avons procédé à de nombreuses consultations et étudié ce qui se faisait à l’étranger. Notamment avec l’Association des maires de France, nous sommes tombés d’accord pour retenir la seconde solution, c’est-à-dire le maintien d’un livret unique pour toutes les familles, en prévoyant des rubriques distinctes. En effet, depuis la loi de 2005 et la mise en œuvre du nouveau livret de famille, et c’était d’ailleurs assez largement le cas avant pour les actes d’état civil, nous ne sommes plus dans une écriture littérale, mais dans une écriture par rubriques.
La Chancellerie travaille déjà avec les éditeurs de logiciels et les imprimeurs des livrets de famille pour définir un nouveau modèle. Nous aurons par conséquent un livret unique, comportant différentes rubriques qui seront renseignées par les services de l’état civil, en fonction des caractéristiques de la famille. Rien ne changera donc pour les livrets de famille des couples hétérosexuels.
Si ces explications ne vous paraissaient pas suffisamment précises, je suis prête à en rediscuter avec la commission des lois, à l’occasion d’une séance de travail spécifique, même si ces règles relèvent du domaine réglementaire.
Je tiens à rappeler que notre administration est très contrôlée, puisque tous nos formulaires sont soumis au Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs, le CERFA. Je le répète, notre société est solide, toute une série de procédures d’élaboration et de contrôle font que les citoyens ne sont pas amenés à remplir une foule de formulaires extravagants, même si un certain nombre d’entre eux doivent être repensés, pour répondre à l’engagement de simplification administrative pris par le Premier ministre : il nous faut en effet remédier à une accumulation de formulaires portant sur les mêmes questions.
J’ajoute un dernier mot. Madame Des Esgaulx, il me semble que vous n’avez pas apprécié le fait que j’exprime une déférence particulière à l’égard des anciens ministres. Je ne cherche aucunement à vous être désagréable ni à distinguer une hiérarchie ou une aristocratie au sein du Parlement. Reconnaissez cependant que les ministres ont une vie publique, nous avons donc davantage l’occasion, sans les fréquenter, de connaître leurs prises de position et l’action qu’ils ont menée. Je ne me livre donc pas à une appréciation de la valeur intrinsèque des uns et des autres : s’il vous était arrivé d’être ainsi exposée publiquement, j’aurais probablement eu l’occasion de saluer ce que vous auriez eu l’occasion de faire en qualité de ministre. Il me paraît tout simplement important de reconnaître que certaines actions ou prises de position, dans certaines circonstances, sont extrêmement courageuses et méritent d’être saluées.
Encore une fois, égalité ne signifie pas identité. J’ai le même respect pour tous les sénateurs, mais je perçois bien chacune et chacun d’entre vous dans sa singularité. Cette appréciation vaut également pour mes anciens amis politiques, qui restent cependant des amis dans mon cœur et mon esprit. Je tenais donc à apporter cette précision, afin de ne pas créer de malentendu.
Je me permets enfin de vous adresser un clin d’œil, madame Des Esgaulx, puisque je commence à vous connaître un peu, depuis le début de cette discussion. Je ne vous cacherai pas que, les premières fois que je vous ai entendue, j’ai été assez surprise…