M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je n’avais pas prévu de prendre la parole à ce stade de la discussion. Néanmoins, madame la ministre, je veux saisir au vol vos propos sur l’explication de vote de Jean-Pierre Leleux, hier, car je ne pense pas que notre collègue se soit écarté de l’exposé des conséquences concrètes de votre texte.
M. Philippe Bas. Il a bien expliqué – vous l’aurez noté si vous l’avez écouté, mais je ne suis pas sûr que tel ait été le cas (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) –…
M. François Rebsamen. C’est insupportable !
M. Jean-Louis Carrère. Quelle suffisance !
M. Philippe Bas. … que, quand les deux « parents » auront chacun un nom composé, il faudra retenir, pour le nom de l’enfant, l’un des deux éléments du patronyme de chacun. S’ils ne s’entendent pas sur ce choix, il appartiendra à l’officier d’état civil de retenir deux patronymes sur les quatre. Il choisira le premier nom du patronyme de chaque membre du couple et ordonnera chacun des deux noms en suivant l’ordre alphabétique.
Si, à la deuxième génération, les deux parents ont de nouveau un nom composé, il faudra recommencer l’opération. Et là, ce sera une véritable loterie des patronymes. C’est ce qui nous inquiète.
Puisque vous ne comprenez pas nos propos lorsqu’ils restent abstraits, il était intéressant que notre collègue s’appuie sur des exemples concrets, déroulant implacablement tous les effets de la réforme que vous proposez en matière de nom de famille.
Le nom de famille, c’est l’identité. Or l’identité est essentielle dans la construction de la personnalité. Personne parmi nous ne peut nier l’importance qu’il y a à développer des liens de qualité entre l’adulte et l’enfant. C’est vrai dans tous les cas. La notion de parenté, de filiation ne peut pas se limiter à l’intention, même profonde, même judicieuse, qui se trouve dans la tête et le cœur des parents. Une construction du cœur et de l’esprit, c’est noble, c’est beau, c’est admirable, mais c’est une utopie !
En allant au-delà de l’utopie et en donnant à cette dernière des répercussions pratiques, on ne saura plus finalement qui est qui et d’où chacun d’entre nous vient. Il est absurde de bouleverser de la sorte des traditions qui ne sont pas toutes mauvaises.
Madame la ministre, l’amendement présenté par notre collègue Jean-Jacques Hyest a tout son intérêt. De mon point de vue, il faut absolument l’adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 95 rectifié bis, présenté par MM. Gélard, Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
à la demande des adoptants
par les mots :
à la demande conjointe des adoptants
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également les amendements nos 38 rectifié bis et 37 rectifié ter.
M. le président. J’appelle donc également en discussion les deux amendements suivants.
L'amendement n° 38 rectifié bis, présenté par M. Gélard et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, est ainsi libellé :
Alinéa 5, dernière phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, sauf à ce que cet ordre soit inversé par le juge dans l’intérêt de l’enfant
L'amendement n° 37 rectifié ter, présenté par MM. Gélard, P. André, G. Bailly, Bas, Beaumont, Béchu, Bécot, Belot, Billard, Bizet et Bordier, Mme Bouchart, M. Bourdin, Mme Bruguière, MM. Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit, Cardoux et Carle, Mme Cayeux, MM. César, Charon, Chatillon, Chauveau, Cléach, Cointat, Cornu, Couderc, Courtois, Dallier et Dassault, Mme Debré, MM. del Picchia, Delattre et Dériot, Mmes Deroche et Des Esgaulx, MM. Doligé, P. Dominati et Doublet, Mme Duchêne, MM. Dufaut, Dulait, A. Dupont, Duvernois, Emorine et Falco, Mme Farreyrol, MM. Ferrand, Fleming, Fontaine, Fouché, B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa, Frogier, Gaillard et Garrec, Mme Garriaud-Maylam, MM. J.C. Gaudin, J. Gautier et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grosdidier, Guené, Hérisson, Houel, Houpert et Humbert, Mme Hummel, MM. Huré et Hyest, Mlle Joissains, Mme Kammermann, M. Karoutchi, Mme Keller, M. Laménie, Mme Lamure, MM. G. Larcher, Laufoaulu, D. Laurent, Lecerf, Lefèvre, Legendre, de Legge, Leleux, Lenoir, P. Leroy, Longuet, Lorrain, du Luart, Magras, Marini et Martin, Mme Masson-Maret, M. Mayet, Mme Mélot, MM. Milon, de Montgolfier, Nachbar, Nègre, Paul, Pierre, Pillet, Pintat, Pinton, Pointereau, Poncelet, Poniatowski et Portelli, Mmes Primas et Procaccia, MM. Raffarin, de Raincourt, Reichardt, Retailleau, Revet, Saugey, Savary, Savin et Sido, Mme Sittler, MM. Soilihi et Trillard, Mme Troendle et MM. Trucy, Vendegou, Vial, Darniche et Husson, est ainsi libellé :
Alinéa 6
1° Première phrase
Après le mot :
conjoint
insérer les mots :
marié ou ayant contracté une union civile
2° Deuxième phrase
Remplacer le mot :
époux
par les mots :
conjoints mariés ou ayant contracté une union civile
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Patrice Gélard. Les auteurs de l’amendement no 95 rectifié bis souhaitent que les démarches soient faites conjointement par les deux adoptants. En effet, les démarches réalisées par un seul adoptant risquent d'aboutir, par la suite, à des contentieux extrêmement complexes et difficiles.
L’amendement no 38 rectifié bis vise à compléter la dernière phrase de l'alinéa 5 par les mots : « sauf à ce que cet ordre soit inversé par le juge dans l’intérêt de l’enfant ».
Certains noms peuvent provoquer moqueries et insultes, et donner lieu à un véritable harcèlement. C’est le cas, notamment, des noms qui prennent la forme d’adjectifs peu avantageux ou évoquent une personnalité célèbre à laquelle on ne veut pas être assimilé.
Or l’article 3 du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe prévoit dans les dispositions relatives à l’adoption simple et au nom de famille que, en l’absence de déclaration conjointe mentionnant le choix du nom de l’enfant, celui-ci se verra accoler à son premier nom d’origine le nom de son premier adoptant selon l’ordre alphabétique.
Même si le texte de l’article 3 du projet de loi prévoit que « sur la demande des adoptants, le tribunal peut modifier les prénoms de l’enfant », il conviendrait de permettre l’intervention du juge pour le cas où l’ordre des noms dévolus à l’enfant à défaut de choix s’avérerait inapproprié, et partant contraire à l’intérêt de l’enfant. Cette intervention est d’autant plus précieuse qu’en matière d’adoption simple le ridicule peut aussi advenir à raison de la juxtaposition du prénom et du nom. Nous avons tous connu des Jean Bonnot ! Et un de mes amis, qui vient de décéder, s’appelait Otto Bus !
Cette situation ne se rencontre qu’en cas d’adoption de l’enfant du conjoint ou d’adoption d’un enfant par les deux époux. Encore faut-il ouvrir la faculté pour le juge de décider de l’ordre des patronymes afin d’éviter que l’enfant ne porte un nom ridicule. Cela éviterait à l’avenir une multitude de procédures longues et coûteuses.
Avec l'amendement n° 37 rectifié ter, nous restons fidèles aux propositions que nous avons défendues jusqu'à présent. Je rectifie néanmoins le texte de cet amendement afin d’en supprimer les mots : « ou ayant contracté une union civile », qui n’ont plus de raison d'être. En revanche, je maintiens les mots :« conjoints mariés ».
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 37 rectifié quater ainsi libellé :
Alinéa 6
1° Première phrase
Après le mot :
conjoint
insérer les mots :
marié
2° Deuxième phrase
Remplacer le mot :
époux
par les mots :
conjoints mariés
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 95 rectifié bis, 38 rectifié bis et 37 rectifié quater ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je remercie Patrice Gélard de ses explications.
Un amendement similaire à l’amendement no 95 rectifié bis a déjà été repoussé à l'article 2. Quoi qu'il en soit, la disposition proposée est satisfaite par le droit en vigueur : l’adoption simple conjointe suppose l’accord des deux adoptants, qui sont parties à la demande. J’invite donc au retrait de cet amendement. À défaut, la commission s'en remettra à l'avis du Gouvernement
En ce qui concerne l'amendement n° 38 rectifié bis, l’application de la règle par défaut suppose un désaccord entre les adoptés et l’adoptant sur l’ordre des noms. On peut raisonnablement considérer qu’aucun des deux adoptants n’aura voulu imposer un double nom ridicule à l’adopté, souvent majeur dans la mesure où il s’agit là des adoptions simples et pas des adoptions plénières, comme à l'article 2 où un amendement semblable, qui me semblait avoir plus de pertinence, a été présenté.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, malgré l'avis du rapporteur en commission.
L'amendement no 37 rectifié ter vient d’être rectifié, ce dont je me félicite. M. Gélard a retiré les mots « ou ayant contracté une union civile » puisque l'amendement n° 36 rectifié ter a été rejeté et que l'union civile n’existe plus.
Qu'il me soit permis de faire un point pour que cette précision figure au procès-verbal. Je ferai la comparaison avec l'amendement n° 172 rectifié ter, qui a été présenté tout à l'heure par M. Détraigne.
L'article 1er a été adopté. Vous êtes contre, mais vous pouvez toujours, à mon avis, même si c’est en contradiction avec ce que sera le texte de loi, déposer des amendements montrant votre opposition constante à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, et donc à l’adoption par ces derniers. Ces amendements peuvent à mon avis subsister.
En revanche – je le dis au service de la séance, même si je ne serai pas entendu… –, lorsque l'opposition quelle qu’elle soit souhaite introduire dans un texte une nouveauté telle l'union civile, et que celle-ci n'est pas adoptée, tous les amendements subséquents se référant à l'union civile doivent à mon avis être déclarés sans objet par le service de la séance, sans même être appelés en discussion.
M. Gélard, en grand juriste que vous êtes, vous avez bien compris. Vous rejoignez ma position en supprimant de votre amendement les mots : « ou ayant contracté une union civile » Cet amendement peut bien évidemment être appelé, mais, par coordination avec l'amendement n° 36 rectifié ter, la commission émet un avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est très clair, très cohérent !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces différents amendements.
Vous avez évoqué le cas des patronymes ridicules. Mais le ministère de la justice – et l’ancien garde des sceaux Michel Mercier, qui est présent ce matin,…
M. Bruno Sido. Il est toujours là !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Absolument !
… peut en témoigner – est souvent saisi de telles situations et autorise assez largement les changements de nom, sauf dans les cas, assez rares, où la demande n’est pas justifiée.
Certains patronymes sont à l’évidence ridicules et de nature à porter préjudice. Il arrive également que des personnes dont le nom d’usage s’est imposé au fil du temps souhaitent revenir à leur ancien nom de famille.
Par conséquent, je ne vois pas la nécessité d’une telle mention dans le code civil ; la procédure fonctionne déjà admirablement.
M. le président. Je réponds à M. le rapporteur : ni la direction de la séance ni la présidence ne peuvent déclarer que des amendements de conséquence n’ont plus d’objet.
Toutefois, par cohérence, dans la mesure où l’article 1er a été adopté, M. le rapporteur peut effectivement demander le retrait des amendements concernés ou présenter, au nom de la commission, une liste d’irrecevabilité.
Un sénateur du groupe socialiste. Et voilà !
M. François Rebsamen. Très bien ! Il faut le faire !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 37 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote sur l'article.
M. Jean-Claude Lenoir. Avant d’expliquer mon vote contre l’article 3, je souhaite répondre à M. Rebsamen.
M. le président. Mon cher collègue, je me permets de vous rappeler un point de procédure.
Depuis l’ouverture de la séance, nous travaillons dans la sérénité et le respect absolu du règlement. Le temps de parole consacré aux explications de vote ne doit pas servir à débattre des propos tenus par d’autres membres du Sénat.
Par conséquent, je vous donne bien volontiers la parole pour explication de vote, mon cher collègue. En revanche, si votre intention est de répondre aux propos de M. Rebsamen, je serai contraint, à mon grand regret, de devoir vous interrompre.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. Vous avez la parole, monsieur Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, j’ai demandé la parole pour pouvoir expliquer mon vote. Mais si vous tenez à décider vous-même de ce que je dois dire, je vous en prie.
M. le président. Ce n’est pas ce que j’ai indiqué, mon cher collègue. Veuillez poursuivre.
M. Jean-Claude Lenoir. Si nous sommes ici, c’est parce que nous avons fait des choix. Ce matin, j’aurais pu participer à la réunion de la commission des affaires économiques…
M. Jean-Pierre Caffet. Qui ne se réunit pas ce matin ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. … ou à celle de la mission commune d’information sur la filière viande en France et en Europe.
Mais il y a une hiérarchie des valeurs. J’ai donc préféré participer à la séance publique pour combattre votre projet de loi, madame la ministre.
L’article 3 porte sur le nom. Comme l’a souligné à juste titre notre collègue Philippe Bas, le nom, c’est l’identité de la personne. Le nom doit être porté ; il doit aussi être simple.
Je souligne l’importance qu’un nom soit rattaché à une personne. Souvenez-vous de L’Odyssée : pour échapper à la vindicte du Cyclope, Ulysse lui a dit : « Je m’appelle Personne ! »
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. « Personne », c’est quelqu’un !
M. Jean-Claude Lenoir. Le nom marque l’identité, l’originalité de la personne. C’est, par exemple, ce qui me distingue de mes collègues du genre masculin.
Le Canada a des liens historiques avec la région où je suis né. Au XVIIe siècle, un certain nombre de familles ont traversé l’Atlantique et ont fondé les premières colonies françaises sur le bord du Saint-Laurent. Ces cousins d’Amérique sont très attachés au nom de la famille, au point de se retrouver par milliers, voire par dizaines de milliers dans des associations qui entretiennent ces liens. Jamais il ne viendrait à l’esprit de ces personnes de rompre le lien non seulement familial, mais même quasi social avec des générations qui les ont précédées ; c’est ce qui a forgé, finalement, l’identité de la famille.
Je suis également frappé de constater que l’on se réunit souvent par familles entières pour célébrer la communauté d’ascendance et préserver le patronyme.
Or, demain, le nom sera dissous. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Certaines personnes ont un nom si compliqué qu’un diminutif finira par s’imposer, comme nous avons déjà pu le voir dans les établissements scolaires que nous avons fréquentés. De même, dans des familles aristocratiques, quand le patronyme a plusieurs particules, les différents membres n’en gardent qu’une partie, pas toujours la même, si bien que plusieurs noms différents finissent pas coexister au sein d’une même famille !
Comme le soulignait hier le doyen Patrice Gélard, cette loi est mauvaise pour des raisons qui tiennent à son article 1er, à son article 1er bis, mais également à la question du nom. C'est la raison pour laquelle nous sommes résolus à combattre l’idée que l’on puisse dissoudre l’identité des personnes en adoptant une telle disposition. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Le discours de M. Jean-Claude Lenoir est très intéressant. C’est l’expression des adeptes du fixisme,…
M. Bruno Sido. Ça y est ! C’est reparti !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … pour qui rien ne change et rien ne doit changer en matière lexicale.
M. Lenoir a évoqué le mot « personne ». Mais, comme vous le savez, à l’origine, « personne », cela signifiait « quelqu’un » ; aujourd'hui, cela signifie « le contraire de quelqu’un ». C’est exactement comme « rien », qui signifiait étymologiquement « quelque chose » – cela vient du latin rem – et qui, aujourd'hui, signifie « le contraire de la chose ».
Tout cela est dû à l’usage de la forme négative. La phrase : « Je ne vois personne » signifie : « Je ne vois pas quelqu’un ». Nous constatons comment « quelqu’un » devient « personne ». On pourrait d’ailleurs en jouer : Raymond Devos était expert en matière.
Tous ceux qui invoquent la société et l’Histoire, tous ceux pour qui rien ne doit changer sur les noms, propres ou communs, tiennent des discours qui sont à l’évidence contraires à la réalité historique et à la situation immédiate.
Je tenais à le rappeler, car il faut quelquefois parler du fond et ne pas accepter que certains profèrent tout le temps des affirmations que le minimum de sciences historiques du langage contredit à l’évidence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote sur l'article.
M. Dominique de Legge. Le commentaire de M. le président de la commission des lois sur le nom est intéressant… Mais, en l’occurrence, il s’agit de « personne ».
Moi, c’est sur le nom que je voudrais m’exprimer à l’occasion de cette explication de vote.
Le nom, c’est un identifiant. C’est ce qui nous permet de nous parler et de nous interpeller dans cet hémicycle.
À cet égard, le projet de loi suscite mon inquiétude. En effet, dans nos territoires, nous constatons tous – et il ne nous appartient pas d’en juger – que beaucoup d’enfants sont en quête d’identité et de repères. Or je crains que l’introduction de telles dispositions dans le code civil n’aille pas en ce sens et n’aide pas à la construction de la personnalité des enfants.
La violence exprimée par les enfants est souvent une interpellation envers les adultes : « Donnez-nous des repères ! Dites-nous qui nous sommes ! »
Ce texte ne va dans le sens ni de la quête des repères ni de la construction de l’identité des jeunes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. De mon point de vue, une loi n’est bonne que si elle est comprise par l’ensemble de nos concitoyens ! (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est bien ! Bonne idée ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Christian Cambon. C’est le bon sens !
M. Charles Revet. Pour ma part, j’ai eu la chance de participer à nos travaux. Mais je me mets à la place de nos concitoyens : si je n’avais pas assisté à l’ensemble des auditions, je serais sans doute nettement moins en mesure de comprendre la loi en préparation…
L’un des intervenants avait souligné la nécessité que soit remis aux futurs époux, lors du mariage, un document expliquant l’ensemble du texte et de ses conséquences.
Je viens d’écouter M. le président de la commission des lois. Je bénéficie donc des explications qu’il a fournies. Mais je doute qu’elles aillent bien au-delà des murs de la Haute Assemblée.
Aussi, je reprends l’interpellation des personnes que nous avons auditionnées, dont les analyses étaient de grande qualité : madame le garde des sceaux, est-il envisagé que, dans le cadre du mariage pour tous, le maire ou l’officier d’état civil fournisse aux contractants un document leur exposant toutes les conséquences de leur décision pour l’avenir de leurs enfants, notamment en matière de nom ? Je pense que c’est important.
On est en train de tout araser, de tout remettre à plat. Vous nous avez dit qu’il s’agissait d’un « changement de civilisation ».
Je partage les propos de M. Lenoir. Je me suis moi-même rendu récemment au Canada, où j’ai rencontré nombre de personnes. Lorsque je donnais mon nom, mes interlocuteurs montraient un grand intérêt – je vous rappelle qu’il y a eu beaucoup d’émigration vers le Canada, en particulier le Québec, depuis chez moi, le pays de Caux, en Normandie, ou depuis la Bretagne – et m’interrogeaient par exemple sur l’origine géographique de mon patronyme, se demandant s’ils pourraient retrouver des racines. Il y a en effet un véritable désir de connaître ses racines.
Si vous changez tout, comment voulez-vous que les gens s’y retrouvent ? Aujourd'hui, les personnes émigrées recherchent leurs racines. Demain, nous serons tous dans ce cas-là !
Madame le garde des sceaux, si toutes les dispositions sont votées, est-il envisagé que les contractants reçoivent un document leur permettant de mieux comprendre ce à quoi ils s’engagent ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pourquoi pas ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je voterai moi aussi contre cet article.
Sans revenir sur les arguments que j’ai déjà développés, je tiens à souligner, car c’est à mon sens l’argument le plus fort, et il mérite, mes chers collègues de la majorité, d’être pris en considération, que cet article s’appliquera à des enfants adoptés.
L’adoption, c’est le fait d’accueillir dans un foyer un enfant abandonné, dont l’histoire qui le précède a été effacée du fait de cet abandon. À cet enfant va être offert un nouveau foyer, qui, dans mon esprit, devrait être constitué soit d’un père, soit d’une mère, soit, mieux encore, d’un père et d’une mère. Avec le vote des premiers articles de ce projet de loi, il pourra s’agir aussi de parents de même sexe.
Or, par rapport à l’expérience que connaîtra l’enfant dans son milieu de vie, notamment scolaire, plus ce foyer sera « atypique » (Mme la ministre déléguée s’exclame.), plus l’identification à la famille qui élève l’enfant sera difficile pour celui-ci. L’un des besoins de l’enfant adopté, outre celui d’être pris en charge par des parents aimants, est de s’approprier l’histoire d’une famille qui, biologiquement, n’est peut-être pas la sienne mais qui va le devenir parce que la greffe va prendre.
Si on souhaite que l’enfant puisse s’approprier cette histoire, il faut commencer par l’assumer soi-même et ne pas la nier. Laisser aux deux personnes qui vont accueillir l’enfant en tant qu’adoptants le choix du nom de famille, c’est signifier à l’enfant que son histoire n’a finalement pas beaucoup d’importance. Or, elle en a beaucoup, et même énormément, plus encore que pour tout autre enfant.
Voilà un enfant privé de parents, qui va en recevoir. Plus que tout autre enfant, il a besoin de s’inscrire dans une famille qui ne se limite pas au foyer de ses parents ; peu importe d’ailleurs que les liens de ses parents avec les grands-parents soient étroits ou distendus, l’essentiel est qu’il puisse s’inscrire dans cette histoire.
De ce point de vue, le choix du nom de famille – je n’ose plus employer le terme de « patronyme » puisque cette notion semble désormais devoir être effacée de nos pratiques – n’est absolument pas neutre. Il ne devrait même pas en être un, plus encore pour l’enfant adopté que pour un autre enfant. Pour un enfant non adopté, la question ne se posera pas dans les mêmes termes ; elle sera moins difficile à résoudre et les enjeux, s’ils sont forts, ne le seront pas autant que pour l’enfant adopté.
C'est la raison pour laquelle j’en appelle à votre raison en vous demandant de mesurer la responsabilité que nous prendrions en mettant en œuvre un dispositif qui comporte autant d’aléas dans le choix du nom que portera l’enfant. En lui permettant de porter un nom qui ne sera pas celui des parents que la loi lui aura désignés et qui ne sont déjà pas ses parents biologiques, on aggrave encore la difficulté pour cet enfant (Mme Renée Nicoux s’exclame.) qui vit déjà avec le traumatisme initial de l’abandon.
Je vous demande donc, mes chers collègues de la majorité, de bien vouloir entendre ces arguments et de mesurer la responsabilité que vous prendriez en adoptant cet article. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Monsieur Bas, je tiens à souligner que vos propos s’appliquent à l’article 2 – d’ailleurs, vous l’avez vous-même dit hier soir – que nous avons voté ce matin. L’article 3 concernant l’adoption simple, vos arguments, mon cher collègue, ne peuvent valoir pour cet article. Je le dis pour la clarté de nos débats.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
J'ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste. (Encore ? sur plusieurs travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendle. Ils sont encore minoritaires ! Ils ne savent pas mobiliser leurs troupes !
M. le président. Je rappelle que l'avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 155 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 172 |
Pour l’adoption | 178 |
Contre | 164 |
Le Sénat a adopté.
Chapitre III
DISPOSITIONS DE COORDINATION
Article 4
Le code civil est ainsi modifié :
1° Le titre préliminaire est complété par un article 6–1 ainsi rédigé :
« Art. 6–1. – Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion du titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de même sexe ou de sexe différent. » ;
1° bis (nouveau) Au troisième alinéa de l’article 34, les mots : « père et mère » sont remplacés par le mot : « parents » ;
2° Au dernier alinéa de l’article 75, les mots : « mari et femme » sont remplacés par le mot : « époux » ;
3° (Supprimé)
4° (Supprimé)
4° bis (nouveau) Au deuxième alinéa de l’article 371–1, les mots : « père et mère » sont remplacés par le mot : « parents ».
5° (Supprimé)
6° (Supprimé)
7° (Supprimé)