M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mes chers collègues, je regrette d’avoir dû quitter la séance vendredi soir avant son terme. J’avais demandé à M. le président de la commission des lois de me suppléer, ce qu’il est parfaitement en mesure de faire. Cela étant, j’ai été touché par vos réactions à mon absence : je ne pensais pas susciter une telle attente parmi vous ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Dominique de Legge. Qu’un seul être vous manque…
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ces cinq amendements en discussion commune sont peut-être les plus importants. En effet, quatre d’entre eux visent à substituer au texte dont nous discutons une autre formule, l’amendement n° 6 de M. Cointat relevant d’un autre esprit ; j’y reviendrai.
L’amendement n° 4 rectifié bis de M. Gélard, qui tend à créer une union civile réservée aux couples de personnes de même sexe, est le fruit d’un travail très important, précédé de nombreuses auditions. Cette union civile va moins loin que le mariage, puisqu’elle ne recouvre pas la parentalité, mais beaucoup plus loin que le PACS, en ce que sont prévus la célébration devant l’officier d’état civil et les devoirs de respect, de fidélité, de secours et d’assistance.
Je me réjouis que ceux qui, hier, s’opposaient au PACS proposent aujourd'hui d’aller au-delà ! Nous sommes tous d’accord sur un point : il est nécessaire d’accorder aux couples de personnes de même sexe un régime juridique plus protecteur que celui du PACS. En revanche, nous ne pouvons être d’accord avec la formule présentée ici, qui tend à substituer totalement, pour ces couples, une union civile au mariage. À cet égard, mais c’est un détail, je tiens à signaler aux signataires de l’amendement que la présomption de paternité n’est pas remise en cause par le projet de loi, qui ne modifie pas le titre VII du livre Ier du code civil, relatif à la filiation.
L’amendement ne prévoit pas la possibilité de l’adoption plénière ni celle de l’adoption simple. Pour des raisons que tout le monde connaît, la fiction de l’adoption plénière ne tient plus aujourd'hui : les enfants adoptés à l’étranger par des couples hétérosexuels voient qu’ils ne ressemblent pas à leurs parents ; dans le cas de couples homosexuels, les enfants comprendront très vite qu’ils ne sont pas issus biologiquement des personnes qui les élèvent. Je me félicite donc que Mme la ministre chargée de la famille ait annoncé que le texte sur la famille à venir porterait notamment sur ce sujet. Cela me semble indispensable.
L’expression « union civile » est empruntée au professeur Hauser, qui l’avait utilisée dans le rapport à lui commandé par Jacques Toubon avant les élections législatives provoquées par la dissolution de 1997 et remis en 1998 à Mme Guigou. Selon plusieurs professeurs de droit, la création d’une union civile, réservée aux seuls couples homosexuels,…
MM. Vincent Delahaye et Christian Cambon. Pas forcément !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … encombrerait le code civil, ce nouveau régime venant s’ajouter au concubinage, désormais légalisé – grâce au Sénat et, en particulier, à votre action, monsieur Gélard –, au PACS et au mariage. Cela fait beaucoup !
En outre, comment réserver l’union civile aux seuls couples homosexuels ? Dans notre droit civil, il n’est pas de coutume qu’un statut ne s’applique qu’à une certaine catégorie de personnes. Je ne suis même pas sûr que ce soit constitutionnel. Ainsi, le PACS avait été ouvert à tous, même s’il était avant tout destiné aux couples homosexuels et réclamé par eux. Aujourd’hui, d’ailleurs, les couples hétérosexuels sont plus nombreux à conclure un PACS que les couples homosexuels.
La commission des lois a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié bis, tout en saluant le travail important réalisé par M. Gélard et le groupe UMP.
L’amendement n° 169 rectifie ter est semblable au précédent, à la différence près qu’il prévoit d’ouvrir l’union civile à tous les couples. Dans l’esprit de ses rédacteurs, et même s’ils n’ont pas fait le travail de coordination que son adoption imposerait, son dispositif a vocation à se substituer à celui du projet de loi. Par conséquent, nous y sommes également défavorables.
Par l’amendement n° 192 rectifié, M. Revet propose, quant à lui, une formule singulière. En effet, si le dispositif présenté se rapproche des deux précédents, il tend plutôt à créer une sorte de concubinage solidifié, « bétonné », qui viendrait après le concubinage notoire tel que nous l’avions légalisé lorsque le PACS fut créé. Il se substituerait également au mariage pour les couples homosexuels et ne comporte pas de dispositions sur la parentalité. Pour des raisons qu’elle a déjà données, la commission des lois émet un avis défavorable sur cet amendement.
La commission des lois a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 22 rectifié ter. Il s’agit, en effet, d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 4 rectifié bis : si, comme le souhaite la commission, ce dernier n’est pas adopté, il n’aura plus d’objet.
J’en viens à l’amendement n° 6 de MM. Cointat et Frassa. Sa discussion aurait à mon avis dû être disjointe de celle des quatre autres amendements, car il répond à une logique différente. En effet, s’il tend lui aussi à instaurer une union civile, il ne vise pas pour autant à se substituer à l’ensemble du projet de loi, dont il conserve le texte tout en prévoyant la mise en place d’un PACS très amélioré, ouvert à tous les couples. Si j’ai bien compris leur pensée quelque peu complexe, ses auteurs se proposent, dans la suite de la discussion, d’apporter des correctifs aux dispositions du projet de loi relatives à l’adoption.
J’ai dit, en commission des lois, tout le bien que je pensais de cet amendement, qui tend à améliorer le régime du PACS, ce que nous n’avions pu faire à l’époque de la création de celui-ci, faute de soutien du gouvernement d’alors. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion à deux reprises, au Sénat, de débattre de ce sujet. Ainsi, j’avais déposé une proposition de loi sur l’adoption par les couples pacsés, dont Mme Des Esgaulx fut la rapporteur et qui fut rejetée ; nous examinerons ultérieurement un amendement portant spécifiquement sur ce point. Par ailleurs, nous avons également eu à débattre d’une proposition de loi de Mme Borvo Cohen-Seat qui visait à améliorer le PACS, sans aller toutefois aussi loin que votre dispositif, monsieur Cointat.
La commission des lois demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable. Quoi qu’il en soit, si l’amendement de M. Cointat était adopté, l’examen du texte se poursuivrait, puisqu’il ne tend pas à se substituer au projet de loi.
Pour que les choses soient claires, la commission des lois a décidé, sur ma proposition, d’inviter les auteurs de l’amendement à déposer une proposition de loi spécifique pour modifier profondément et renforcer le PACS. Nous souhaitons qu’elle puisse être inscrite très rapidement à l’ordre du jour du Sénat, et espérons que le Gouvernement voudra également y mettre du sien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Avant de laisser la parole à Mme la garde des sceaux, je voudrais faire deux remarques.
La première porte sur la création d’une union civile. Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer, la semaine dernière, que cette union civile ressemblait fort à un sous-mariage et que, de la même façon, la négation de l’adoption plénière s’apparentait à la préconisation d’une forme de sous-adoption. Aller dans ce sens reviendrait à rompre avec nos principes universalistes et à s’engager sur la voie du communautarisme.
À ce titre, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, à relire le texte de l’entretien que Nicolas Sarkozy avait accordé au journal Têtu en avril 2012. À cette occasion, il avait tenu les propos suivants :
« En 2007, j’ai pensé qu’on pouvait faire un contrat d’union civile en mairie. Après analyse, les juristes ont indiqué qu’il était anticonstitutionnel de réserver ce contrat d’union civile aux seuls homosexuels, qu’il devait aussi être ouvert aux hétérosexuels. Du coup, ce n’était plus le mariage des homosexuels entre guillemets, mais un substitut au mariage. Dans ces conditions, j’ai estimé, à tort ou à raison, qu’une telle disposition aurait vidé le mariage de tout son sens. »
Vous le voyez, la majorité actuelle et le Gouvernement ne sont pas seuls à contester la pertinence de la création d’une union civile !
M. Jean-Pierre Raffarin. Vous citez Nicolas Sarkozy ; si vraiment vous en êtes arrivés là pour nous convaincre…
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Cela montre que nous ne sommes pas sectaires ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo à Sarkozy, alors !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ma seconde remarque fait suite à l’intervention de M. Assouline.
En tant qu’ancien maire du IVe arrondissement de Paris, je tiens à souligner que c’est la première année, depuis plus de dix ans que cet événement a lieu, que le « printemps des assoces » est perturbé.
MM. Henri de Raincourt et Christian Cambon. La faute à qui ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’avez pas voulu de débat national !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’accepte tout à fait que l’on puisse avoir une vision de la famille différente de la nôtre. Je respecte tout à fait votre opposition à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe. On peut affirmer de telles positions en prenant la parole dans des débats, dans les journaux, mais certainement pas par la violence, le saccage, en ne respectant pas les opinions d’autrui ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’avez pas voulu de débat national, c’est votre faute !
Mme Cécile Cukierman. Laissez Mme la ministre parler !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je m’étonne que vous n’ayez pas protesté contre le fait que l’on puisse aller manifester devant le domicile d’une ancienne ministre ou qu’il soit impossible que la tenue d’un forum ou d’un débat sur le mariage pour tous ne suscite pas des violences.
M. Christian Cambon. Et les manifestants attaqués par les CRS ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les cinq amendements.
À l’exception de l’amendement de M. Cointat, qui vise davantage à améliorer le régime actuel du PACS, ils relèvent, à quelques nuances près, de la même démarche : il s’agit de mettre en place un quatrième régime juridique dans notre code civil ; le Gouvernement s’y oppose.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien dommage !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces amendements présentent des défauts d’ordre tant pratique que juridique. Par exemple, les conséquences de la dissolution de l’union civile par le juge ne sont pas précisées de façon explicite. En outre, les conséquences de la conclusion d’une union civile sur la nationalité du conjoint ne sont pas non plus spécifiées. Enfin, concernant les régimes sociaux et fiscaux, il est simplement indiqué que les dispositions prévues pour le PACS sont étendues à l’union civile.
Cela étant, ce n’est pas en raison de ces insuffisances juridiques et techniques que le Gouvernement s’oppose à ces amendements : son avis défavorable tient au fait qu’ils tendent à instaurer un régime spécifique, alors qu’il a fait le choix, au travers de ce projet de loi, d’ouvrir l’institution du mariage, telle qu’elle existe actuellement dans notre code civil, aux couples de personnes de même sexe.
C’est donc essentiellement pour une raison de principe que le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements.
M. Jean-Claude Gaudin. Dommage !
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote sur l'amendement n° 4 rectifié bis.
M. Patrice Gélard. Madame le garde des sceaux, je ne suis pas d’accord avec vos conclusions.
Si nous proposons de créer une union civile, c’est parce que le mariage ne peut être modifié par la seule loi : il faut que la Constitution prévoie la possibilité, pour le législateur, d’intervenir sur ce sujet.
En effet, l'un des éléments essentiels qui fondent le mariage est l'altérité ; depuis deux millénaires, aucun mariage n'existe sans elle. Or le texte que vous nous proposez ne fait plus référence à l’altérité. Nous admettons parfaitement que les couples de personnes de même sexe puissent s’unir avec solennité. Ils ont droit à cette reconnaissance, mais, en réalité, il s’agit, avec ce projet de loi, de mettre en place un substitut qui aura la forme du mariage, la solennité du mariage, les effets du mariage, mais qui ne sera pas le mariage, faute d’altérité, cet élément nécessaire reconnu par les principes fondamentaux de la République. En somme, ce sera un mariage Canada Dry…
Ce sera d’autant moins un véritable mariage que le couple ainsi formé ne pourra accéder à la parentalité de façon simple, « normale », si l’on peut dire. Il lui faudra recourir à l'adoption ou à des techniques médicales qui, pour l'instant, sont prohibées dans notre droit.
Le risque, je l’ai souligné, est qu’émergent trois statuts différents pour les enfants : certains pourront être adoptés de façon plénière, d’autres seront susceptibles de faire l’objet d’une adoption simple, du moins par l'un des époux, d’autres encore ne pourront pas du tout être adoptés, parce qu’ils auront déjà des parents.
Les juges et les avocats que nous avons entendus n’ont pas manqué de le souligner, le texte que vous nous proposez conduira à toute une série d'aventures.
J’estime que l’union civile était la seule formule pouvant permettre d’aboutir à un compromis. Malheureusement, en rejetant notre proposition, vous vous engagez dans une logique d’opposition évidemment néfaste. Cette opposition crée des tensions que nous ne souhaitons pas, mais que faire ? Vous nous entraînez dans une voie dans laquelle nous ne voulons pas vous suivre. Dès lors, l’affrontement est inévitable. Nous estimons que ce que vous proposez n'est pas un véritable mariage et, pour votre part, vous tenez l’union civile pour impraticable : nous ne pourrons pas nous entendre sur de telles bases. Il est déplorable qu’une concertation préalable beaucoup plus large n’ait pas été conduite. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur la plupart des travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, pour explication de vote.
M. Bernard Fournier. Notre collègue Bruno Gilles souhaitait intervenir à ce moment du débat. Empêché par le décès de sa mère, il m’a demandé de le remplacer, ce que je fais bien volontiers.
L’être humain est issu de l’altérité des sexes. Cette affirmation est incontournable : nous sommes tous nés d’un père et d’une mère. C’est pourquoi le mariage est réservé aux couples constitués d’un homme et d’une femme, avec pour perspective une descendance. Il ne s’agit pas d’un contrat qui consacre l’amour. Il n’est pas réservé aux hétérosexuels, comme on voudrait le faire croire. Tout individu majeur, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel, peut parfaitement se marier, mais avec une personne de sexe opposé, puisque c’est le principe fondamental du mariage.
D’ailleurs, la plupart des unions homosexuelles avec enfants sont le résultat de la désunion de parents de sexe différent et dont l’un ou l’autre vit, désormais, avec une personne du même sexe.
La puissance publique ne prend en compte ni les sentiments ni les pratiques sexuelles des individus, qui appartiennent à la sphère privée.
L’institution du mariage en tant qu’union légitime d’un homme et d’une femme est un principe fondamental reconnu par les lois de la République depuis 1804. Avec le mariage, l’État entend protéger la dualité du couple, seul capable de procréer, et l’enfant qui peut en être issu afin de donner au renouvellement des générations un cadre juridique stable. Le mariage n’est pas un droit, c’est un choix qu’un homme et une femme accomplissent.
Malgré l’érosion du nombre de mariages contractés chaque année depuis quelques décennies, ce statut reste très dominant. Quelque 23 millions de personnes, c’est-à-dire 72 % des hommes et des femmes en couple, sont mariées, nous indique l’INSEE dans une étude récente. Les homosexuels vivant en unions stables y sont, eux, estimés à 200 000.
Une minorité gay surmédiatisée, estimée à 1 500 personnes, s’est arrogée une légitimité pour parler au nom des homosexuels dont la majorité ne réclame rien et souhaite vivre en paix.
Le projet de loi nous conduit donc à légiférer pour la minorité d’une minorité, puisque la plupart des homosexuels sont contre ce texte. Le militantisme revendicatif de la LGBT, lesbiennes, gays, bisexuels et trans, et de l’APGL, Association des parents gays et lesbiens, relève donc d’un communautarisme que notre loi fondamentale récuse.
Est-il légitime que le Parlement bouleverse les fondements mêmes de notre société, l’institution du mariage, fondée sur l’altérité des sexes, la famille, pour une proportion si faible de nos compatriotes ? Le Parlement n’a pas à modifier, par un simple projet de loi, une norme consacrée au nom du bien commun par notre République, afin de satisfaire les revendications d’une infime minorité.
En faisant accéder officiellement des unions homosexuelles au mariage et, ce faisant, à l’adoption, le législateur détruira une composante fondamentale de la structure sociale, et par là même de l’ordre constitutionnel.
La règle de droit est faite pour aider la société à vivre. Elle peut y parvenir sans pour autant porter atteinte à des institutions – le mariage, la famille – qui assurent précisément la pérennité de l’ordre social. Les unions homosexuelles sont une réalité, même si elles sont minoritaires. Elles demandent à être respectées. Des conséquences peuvent en être tirées, dès lors qu’elles obéissent aux principes généraux de notre droit. Mais prendre acte des particularismes n’est pas les institutionnaliser. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Ce texte de loi vise deux objectifs : premièrement, ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe ; deuxièmement, donner à ces couples l’accès à la paternité et à la maternité, en leur accordant la possibilité d’adopter.
J’observe que si le premier objectif est affiché dans le titre du projet de loi, le second ne l’est pas. Je m’interroge : pourquoi cette dissimulation, pourquoi cette ambiguïté dès le départ ? Parce qu’il s’agit d’un droit lié ; nous parlons d’égalité des droits.
Le sujet dont nous avons à débattre est fondamental. Nous touchons ici au cœur de toute société humaine. Quelle définition de la famille voulons-nous retenir ? Quelle place accordons-nous à l’enfant dans cette famille ? À l’évidence, un débat d’une telle envergure, qui touche au plus profond de l’intime conviction de chacun, méritait mieux et ne peut se trancher en deux semaines de discussion parlementaire.
Vous escamotez le débat et vous refusez de faire confiance au peuple. Je n’entrerai pas dans une bataille de chiffres, mais il est certain que les manifestations qui ont eu lieu étaient quatre fois plus amples qu’indiqué par la préfecture de police.
Quoi qu’il en soit, ces manifestations témoignent des interrogations profondes du peuple français face aux évolutions que vous proposez. En recourant au référendum, vous auriez choisi la clarté ; en vous obstinant dans la voie parlementaire, vous choisissez l’évitement.
On peut être pour ou contre cette réforme, c’est la liberté de chacun. Ce qui n’est en revanche pas acceptable, c’est votre façon d’avancer masqués : dans ce projet de loi, le plus fondamental est non pas ce que vous dites, mais ce que vous ne dites pas.
En ce qui nous concerne, notre position est claire.
Nous sommes soucieux de renforcer la sécurité et d’améliorer le quotidien des couples homosexuels, c’est pourquoi nous proposons une union civile, qui permettrait d’accorder aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux dont bénéficient les couples hétérosexuels, d’un point de vue patrimonial. Sur ce point, notre proposition rend d’ailleurs applicable à l’union civile le régime prévu au titre V du livre III du code civil. Ce régime comprend les dispositions applicables pour les couples mariés en ce qui concerne les héritages, les pensions civiles et militaires et la communauté de biens.
Par ailleurs, le texte prévoit plus de solennité, puisque c’était là l’une des revendications des couples homosexuels, avec la publication par voie d’affiche, la célébration publique de l’union devant un officier de l’état civil, des règles de publication.
Toutefois, nous ne souhaitons pas tout mélanger au nom d’un principe d’égalité vide de sens. Nous entendons régler différemment des situations différentes, comme le prévoit la Constitution. D’ailleurs, aucune politique responsable ne peut se tenir en dehors des réalités. Or, en l’espèce, comment pouvons-nous penser un instant pouvoir nous substituer à la nature en reconnaissant aux couples homosexuels un droit à la parenté ?
L’objectif du législateur n’est pas de se substituer à la nature, pas plus que celui de la médecine n’est de pallier une offre défaillante en matière d’adoption. Or, Mme Bertinotti en conviendra, l’adoption se tarit, et c’est une chance. S’il existe un droit à l’enfant, il faudra alors élargir les droits à la procréation médicalement assistée et ouvrir un droit à la gestation pour autrui pour les couples homosexuels et, de fait, pour les couples hétérosexuels qui voudront – pourquoi pas ? – sélectionner leur descendance. Tout cela au nom d’un principe d’égalité appliqué de manière irresponsable !
Alors, me direz-vous, pourquoi n’avez-vous pas mis en place plus tôt une union civile ?
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Eh oui !
Mme Colette Mélot. D’une part, je crois que les lobbies avaient conscience que, avec nous, les revendications les plus saugrenues ne pourraient pas aboutir. D’autre part, il faut bien admettre que, en temps de crise, nous avions fait le choix de nous concentrer sur les véritables problèmes qui touchent les Français : le chômage, les délocalisations, l’insécurité, la désindustrialisation, etc.
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme Colette Mélot. En attendant, puisque vous lancez un débat qui s’éloigne progressivement des Français, nous proposons, avec l’union civile, une alternative au mariage pour les couples de personnes de même sexe, car un tel mariage ruinerait la famille.
La famille constitue pourtant le socle de notre société. Personne ne peut dire qu’il se passe sans regret d’une famille. Que direz-vous à ces centaines de milliers d’enfants qui seront privés d’un père ou d’une mère ?
Mme Laurence Rossignol. Vous exagérez un peu les chiffres !
Mme Cécile Cukierman. Et que leur dit-on aujourd’hui ?
Mme Colette Mélot. Comment pourrons-nous répondre aux demandes de ces enfants qui, se fondant sur le principe du droit à la dignité, demanderont à connaître leurs origines ? C’est un drame humain que vous mettez en place. Cela est grave pour l’avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt, pour explication de vote.
M. Henri de Raincourt. Au travers de ce projet de loi, le Gouvernement préconise ce qu’il appelle improprement le mariage pour tous. Celui-ci répondrait selon vous, madame le garde des sceaux, à la nécessité d’adapter la législation à l’évolution de notre société. Vous avez dit et redit que l’instauration d’un tel mariage serait un progrès en termes de liberté et d’égalité.
Croyez-vous réellement que ce but sera atteint ? Je pense que, une fois encore, la déception sera au rendez-vous. Le mariage, tel qu’on le connaît depuis des siècles, n’en sortira pas renforcé ; il se trouvera au contraire probablement amoindri. Nombreux d’ailleurs sont aujourd’hui nos compatriotes qui préfèrent vivre en dehors de toute institution. C’est évidemment leur droit.
Le PACS, créé avant tout pour donner plus de droits aux couples homosexuels, est aujourd’hui devenu essentiellement l’apanage des couples hétérosexuels !
Selon l’INSEE, en 2010, seulement 4,45 % des PACS étaient conclus entre deux personnes de même sexe ! Parallèlement, alors que le nombre de PACS a été multiplié par onze entre 2000 et 2010, le nombre de mariages a, de son côté, baissé de 18 % sur la même période. Ainsi, en 2010, 203 000 PACS ont été conclus, tandis que 243 000 mariages ont été célébrés. En outre, nous le savons tous, un mariage sur trois en province et un mariage sur deux à Paris finissent par un divorce. Ainsi, il y a aujourd’hui de plus en plus de familles recomposées, et plus d’un enfant sur deux naît hors mariage. Tout cela est connu et a été rappelé à de nombreuses reprises.
Je ne crois d’ailleurs pas que tous les couples homosexuels tiennent vaille que vaille à se marier !
Voilà pourquoi, avec M. Gélard, nous avons proposé la création d’une union civile républicaine. Cette formule nous paraît tout à fait adaptée aux nécessités du temps. Elle aurait le mérite de renforcer les droits auxquels aspirent légitimement les couples de personnes de même sexe, sans dévoyer pour autant une institution qui a une dimension séculaire, revêt parfois un caractère sacré, puisqu’elle peut s’accompagner d’une célébration religieuse, et, surtout, est profondément liée à la filiation.
L’autorité religieuse a la possibilité de refuser un mariage, mais il n’en sera pas de même pour les maires, malgré les hésitations et les contradictions de M. Hollande sur ce point. Il est tout de même désolant de voir le Président de la République invoquer, d’ailleurs à juste titre, le respect de la « liberté de conscience » des élus devant le congrès de l’Association des maires de France, puis revenir sur ses propres paroles quelques jours après devant les associations de défense des homosexuels… Il s’agit sans doute d’une nouvelle illustration de cette particularité de M. Hollande d’être toujours à la recherche d’un consensus, de ne jamais froisser ses interlocuteurs, d’essayer de contenter tout le monde, quitte parfois, on le voit, à se contredire et à apparaître incohérent.
Au groupe UMP, notre position dans ce débat est claire et ne varie pas. Nous sommes très majoritairement opposés au mariage pour les couples de personnes de même sexe, mais favorables à l’institution d’une union civile et républicaine qui leur permette d’organiser leur vie comme ils l’entendent. L’amendement n° 4 rectifié bis va dans ce sens ; il reçoit notre entière approbation.
J’ajouterai que nous condamnons nous aussi les éventuelles exactions ; nous n’acceptons pas que l’on essaie de nous assimiler à leurs auteurs. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Par ailleurs, s’il est flatteur pour lui et pour nous que Mme la ministre chargée de la famille cite le président Nicolas Sarkozy, il est dommage que vous ne vous référiez pas davantage à lui dans d’autres domaines ; la France n’en serait sans doute pas là aujourd'hui ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)