M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais à approuver la première partie !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. À titre personnel, je voterai évidemment ce projet de loi de finances pour 2013 et appelle notre assemblée à faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Madame la ministre, je salue avec plaisir votre présence dans cet hémicycle, un lieu qui vous est familier.
Mes chers collègues, que dire de nouveau à propos de ce projet de budget qui est certes volontariste, mais qui témoigne d’un grand sens des responsabilités ?
Il vise à donner au Gouvernement les moyens de combattre la crise et à l’aider à œuvrer en faveur du redressement de notre pays en traduisant dans les faits, dans le concret, la préoccupation de l’emploi et de la préservation du pouvoir d’achat et des PME.
Ce texte est combattu par ceux qui ont distribué les cadeaux fiscaux à des catégories qui n’en n’avaient pas besoin, par ceux qui, partant, ont creusé le déficit de l’État et le déficit public, par ceux qui ont gonflé la dette publique, par ceux qui demandent aux Français de « payer les pots cassés » et qui ont l’impudence de venir donner des leçons de bonne gestion aux nouveaux responsables du pays.
La situation de nos finances publiques exige le nouvel esprit de responsabilité qui domine la gestion des finances publiques. Le déficit structurel a été en moyenne de 4 % de 2001 à 2012. Au cours de ces dix années, les gouvernements de droite ont laissé dériver la dette, qui – je le rappelle – a doublé, passant de 912 milliards d’euros à près de 1 800 milliards d’euros, ou, pour être précis, 1 789 milliards, tout un symbole ! Dans le même temps, la part de la dette dans la richesse nationale est passée de 50 % à 60 %, puis à 90 % !
Tout le monde le sait désormais : le premier budget de l’État est non pas celui de l’éducation nationale, mais celui du paiement des intérêts de la dette !
Le redressement des finances publiques est une nécessité, car la situation dégradée de nos finances publiques obère nos marges de manœuvre. Il est également indispensable si nous voulons conserver notre crédibilité en Europe et continuer à emprunter à des taux historiquement faibles, parce que l’on sait désormais que le gouvernement français est un gouvernement sérieux !
Revenir à un niveau de déficit de 3 % de la richesse nationale en 2013 nécessitait un effort de 30 milliards d’euros, en plus des mesures prises dans le cadre du collectif budgétaire de l’été.
Vous le savez très bien, cet effort sera réparti entre 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires et 10 milliards d’euros d’économies sur les dépenses (M. le président de la commission des finances s’exclame.), les recettes supplémentaires étant essentiellement mobilisées dans le budget en projet de loi de finances pour 2013, à hauteur de 15 milliards d’euros en comptant la lutte contre la fraude, et dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, pour 5 milliards d’euros.
Les économies de 10 milliards d’euros sont équitablement réparties et, si les effectifs totaux de l’État doivent rester stables sur la période 2013-2015, le Gouvernement a judicieusement rompu, comme cela a été rappelé encore aujourd’hui et comme nous le souhaitions sur les travées de la gauche depuis longtemps, avec la logique comptable et aveugle de la RGPP.
Mais ce budget pour 2013 n’est pas seulement un budget de redressement financier : c’est un budget pour l’emploi, qui poursuit la réforme fiscale dans la justice, engagée en juillet dernier, qui préserve le pouvoir d’achat des classes populaires et des classes moyennes, qui protège les PME et qui traduit en actes les priorités de l’action engagée par le Gouvernement, à savoir l’éducation, la sécurité et la justice, ainsi que le logement – nous l’avons prouvé cet après-midi en votant le projet de loi sur la mobilisation du foncier public en faveur du logement.
Ainsi, 40 000 postes seront créés dans l’enseignement, la sécurité et la justice en trois ans et 65 000 postes sur la durée du quinquennat ; la réforme fiscale va se poursuivre dans un esprit de justice, après les mesures déjà prises dans le collectif de l’été dernier ; les contribuables les plus aisés sont mis à contribution ; les classes populaires et moyennes sont préservées ; les revenus du patrimoine sont imposés comme ceux du travail ; des niches fiscales sont plafonnées ; les ménages modestes bénéficient, à l’inverse, d’un mécanisme de décote permettant de maintenir non imposables les ménages qui le deviendraient du seul fait de la non-indexation du barème de l’impôt sur le revenu ; des hausses de prélèvements visent à limiter les avantages fiscaux dont bénéficient les plus grands groupes ; les TPE et les PME sont préservées et incitées dans leurs efforts d’innovation par un élargissement du crédit d’impôt recherche ; le taux effectif de l’impôt sur les sociétés entre les grands groupes et les PME est rééquilibré ; la déductibilité au titre de l’impôt sur les sociétés des charges financières est plafonnée, l’avantage tiré de l’exonération de l’impôt des plus-values sur titres de participation, dite « niche Copé », est réduit ; les reports en avant de déficits sont plafonnés à 50 % ; 150 000 logements sociaux seront construits, contre 100 000 attendus en 2012 ; un nouveau dispositif en faveur de l’investissement locatif permettant de développer l’offre de logements intermédiaires est mis en place ; enfin, le budget de l’emploi est en forte hausse, permettant le financement de 100 000 emplois d’avenir et de 340 000 contrats aidés en 2013.
Après cette énumération, comment voudriez-vous que nous ne souscrivions pas avec fierté à ce projet de loi de finances pour 2013 ?
Il faut l’admettre, mes chers collègues, le groupe socialiste a pris acte avec tristesse de la page blanche présentée par le Sénat à la commission mixte paritaire...
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
Mme Michèle André. … et regrette que le débat pourtant attendu par nombre de nos collègues sur toutes les travées – cela a encore été dit ce matin en commission des finances et pas uniquement par des sénatrices et sénateurs de gauche – n’ait pas eu lieu, ce qui n’a pas permis d’enrichir ce projet de loi de finances,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eh bien, faisons-le ! Il est encore temps !
Mme Michèle André. … en particulier en direction des collectivités locales. Dès lors, faudra-t-il poursuivre la discussion ? Le Sénat tranchera ! En tout cas, les socialistes assumeront leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Jean-Claude Frécon. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.
M. Albéric de Montgolfier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2013 revêt un caractère particulièrement cocasse, et ce sera encore plus le cas tout à l’heure quand nous débattrons de la motion, déposée par le groupe socialiste, tendant à opposer la question préalable.
En effet, au moment même où nous débattons, l’Assemblée nationale examine en nouvelle lecture le projet de loi de finances rectificative pour 2012. Or ces deux textes sont en totale contradiction sur un grand nombre de points ! C’est du jamais vu...
Que s’est-il donc passé entre le dépôt de ces deux textes ? Un rapport ! Le rapport du commissaire général à l’investissement Louis Gallois, sur la compétitivité, qui a engendré une prise de conscience bien tardive, laquelle a elle-même généré un virage économique et fiscal, un virage encore timide, mais suffisant pour expliquer nombre de contradictions.
Le rapport Gallois constitue donc un tournant, dont nous pouvons nous féliciter, même s’il demeure inachevé, tournant qui permet d’appréhender la fiscalité davantage sous le prisme de la compétitivité des entreprises. Ce virage n’est pas sans rappeler celui de 1983, quand le gouvernement socialiste de l’époque était revenu sur les engagements de 1981.
Ce tournant pose néanmoins le problème de la caducité du projet de loi de finances pour 2013, une caducité résultant à la fois du changement de cap, mais également de l’insincérité du texte, dans la mesure où il repose sur des hypothèses macroéconomiques surévaluées.
Sur l’aspect contradictoire des deux textes, le projet de budget pour 2013 prévoit 10 milliards d’euros de taxation des entreprises, qui font suite aux 4 milliards d’euros du collectif de juillet et aux 2 milliards d’euros du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Dans le collectif de fin d’année examiné concomitamment, c’est au contraire un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros pour les entreprises qui est proposé : le fameux crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ou CICE.
Très concrètement, avec une montée en charge progressive, le CICE permettra de réduire la charge fiscale des entreprises de 10 milliards d’euros au titre de 2013, une baisse qui sera complètement annihilée par la hausse de la taxation, à hauteur de 10 milliards également !
Quelle est donc la logique de tout ça ? Comment s’y retrouver quand on est chef d’entreprise ? Quelle décision d’investissement prendre quand on souffle à la fois le chaud et le froid ?
De la même manière, il n’a été proposé aucune hausse de TVA dans le projet de loi de finances, élaboré à Bercy à un moment où, au mois de septembre, le Premier ministre affirmait encore qu’il n’y aurait aucune hausse de TVA durant le quinquennat. Souvenez-vous, madame la ministre – vous étiez alors rapporteur général de la commission des finances du Sénat –, le groupe socialiste s’était écrié lorsqu’une hausse de TVA avait été proposée par le précédent gouvernement.
Pourtant, la hausse des taux de TVA est mise en œuvre dans le collectif budgétaire pour 2012, a contrario des promesses de François Hollande et de son Premier ministre.
Que dire également, pour citer un autre exemple, de la volonté affichée dans le projet de loi de finances que nous examinons en nouvelle lecture aujourd’hui de provoquer un choc de l’offre immobilière – ce sont les termes qui ont été employés –, via un abattement exceptionnel de 20 % sur la taxation des plus-values de cession d’immeubles bâtis, quand, dans le même temps, en ce moment même à l’Assemblée nationale, les députés examinent en nouvelle lecture une surtaxe des plus-values immobilières, qui va, là encore, annihiler l’effet de la mesure ?
Du point de vue des hypothèses macroéconomiques, l’insincérité est également patente.
D’une part, les prévisions de recettes pourraient être moindres qu’escomptées, en raison de la réduction de l’assiette fiscale consécutive au matraquage fiscal du patrimoine et des entreprises.
Selon les conjoncturistes, nous sommes en effet à la limite de dépasser la fameuse courbe de Laffer, selon laquelle, passé un maximum, taxer encore davantage conduit à un effondrement des recettes fiscales.
M. Jean-Pierre Caffet. Cela n’a rien à voir avec la conjoncture !
M. Albéric de Montgolfier. D’autre part, l’ensemble du projet de budget pour 2013 – Parlons de la conjoncture – repose sur une hypothèse de croissance de 0,8 %, qui est largement surestimée.
En vertu du principe de prudence, il eût été préférable de retenir l’hypothèse du consensus des économistes, recueilli par le comité technique de la commission économique de la nation auprès de la direction du trésor, qui, comme la Commission, table pour sa part sur une croissance deux fois moindre, soit 0,4% en 2013. La différence entre 0,4 et 0,8 % de croissance, ce seront 5 milliards d’euros à trouver en plus !
De surcroît, le matraquage fiscal sans précédent des ménages et des entreprises impactera également la croissance, via le ralentissement de la consommation et des investissements.
Ce matraquage est dû au trop faible effort de réduction de dépenses dans le projet de budget pour 2013 : un tiers seulement de réduction, contre un tiers d’impôts en plus sur les particuliers et un tiers de fiscalité supplémentaire sur les entreprises.
Comme je vous l’ai rappelé lors de la discussion générale en première lecture, la Cour des comptes et la Commission européenne préconisent de faire porter l’effort prioritairement sur les dépenses.
Or, qu’en est-il ? Le Gouvernement annonce 10 milliards d’euros d’économies, ce qui non seulement est insuffisant, mais, en outre, ne correspond pas à la réalité.
L’effort sur la dépense représentera en fait 5,77 milliards d’euros, selon le chiffrage de la Fondation pour la recherche sur les administrations et politiques publiques. En effet, les 10 milliards d’euros annoncés par le Gouvernement sont chiffrés non pas en valeur, mais en volume.
Concrètement, le Gouvernement ne diminuera donc pas le budget de 10 milliards d’euros, puisque les dépenses s’élèverons à 371 milliards d’euros, soit 1,1 milliard d’euros de plus qu’en 2012, pensions de retraite des fonctionnaires et charge de la dette comprises.
En réalité, madame la ministre, vous calculez ce que vous auriez dépensé en 2013 en tenant compte de l’inflation et prévoyez simplement de dépenser moins que cette anticipation.
M. François Rebsamen. N’avez-vous pas augmenté les dépenses pendant cinq ans ?
M. Albéric de Montgolfier. En effet, en anticipant une inflation de 1,75 %, on constate que le budget diminue de 1,47 %, soit une « économie » de l’ordre de 5,4 milliards d’euros.
Cependant, même avec cette astuce, le compte n’y est toujours pas puisque, au lieu des 10 milliards d’euros attendus, le budget « inflationné » présente un effort moitié moindre.
En réalité, madame la ministre, vous ajoutez un élément de plus à l’inflation : l’économie est réalisée non seulement par rapport à la hausse anticipée des prix, mais aussi en tenant compte du dérapage « spontané » du budget de l’État, à savoir + 1,3 % d’après le rapport de la Cour des comptes.
L’effort du Gouvernement doit donc être entendu non comme une baisse réelle de la dépense, mais comme une économie par rapport à sa hausse tendancielle spontanée.
Nous le voyons, nous sommes loin du compte et nous attendons toujours les réelles diminutions de dépenses.
Quand je constate que la principale mesure de compensation financière du CICE – la réalisation de 10 milliards d’euros d’économies de dépenses –, dont les députés débattent en ce moment même, est reportée à plus tard,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Comme la fiscalité écologique !
M. Albéric de Montgolfier. … je suis pris d’un doute sérieux quant à votre volontarisme dans ce domaine. D'ailleurs, le Sénat a été extrêmement prudent sur cette mesure puisque, à une large majorité, il a rejeté ce CICE.
Le seul volontarisme clairement identifié, c’est celui de la massue fiscale, qui risque d’assommer notre économie via son financement.
À cet égard, l’exemple très médiatique de l’exil fiscal d’un grand acteur du cinéma français est symptomatique. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Un bien triste épisode !
M. Albéric de Montgolfier. Il illustre à lui seul le malaise actuel et ne constitue que le sommet de l’iceberg.
En effet, selon certains cabinets d’avocats fiscalistes, au-delà de cette personnalité, ce sont 5 000 personnes qui, en ce moment, quitteraient la France chaque mois, emmenant avec elles fortune, patrimoine, entreprise ou siège social, soit plus du double que sous le précédent gouvernement.
M. François Rebsamen. Il y en a qui reviennent !
M. Albéric de Montgolfier. Nous verrons bien !
M. François Rebsamen. Comme Michel Houellebecq est revenu, l’acteur auquel vous faites allusion reviendra !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous êtes dans le déni !
M. Albéric de Montgolfier. Monsieur le président du groupe socialiste, le plus inquiétant n’est pas que ce phénomène concerne tel ou tel acteur : c’est qu’il concerne aujourd'hui surtout des jeunes, jeunes créateurs d’entreprises, jeunes talents, qui préfèrent s’exiler là où la réussite et le mérite sont encouragés et valorisés. (M. le président de la commission des finances s’exclame.)
En France, la plus-value – vous le savez, puisque c’était un des axes majeurs du budget – est maintenant assimilée à un revenu, ce qui nie sa nature et le risque qui lui est attaché. Pourtant, a contrario du revenu, la plus-value est irrégulière, elle est aléatoire et est simplement le résultat positif d’une prise de risque.
En outre, dans le projet de loi de finances pour 2013, le capital se trouve désormais plus taxé que le travail, malgré la volonté affichée par le Gouvernement d’un alignement du premier sur le second. En effet, le capital est taxé à la fois sur le stock – via l’ISF – et sur le flux – ses plus-values.
Toutes ces mesures confirment ce que nous savions déjà : les Français sont plus que jamais les champions des prélèvements obligatoires.
Au regard de tous ces exemples, la nécessité de la convergence fiscale franco-allemande et, au-delà, de l’harmonisation fiscale européenne nous apparaît aujourd’hui on ne peut plus prégnante. À défaut, nous aboutirons à une situation qui sera inextricable pour notre pays.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que le groupe UMP s’opposera fermement au projet de loi de finances pour 2013, du moins dans la version qui a été adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Mais, avant de nous prononcer sur l’ensemble du projet de loi de finances, il faudra bien que nous émettions un vote sur la première partie. Et, M. le président Marini l’a rappelé, ce matin, en commission, notre groupe s’est abstenu afin de permettre l’examen de la seconde partie. (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Caffet. Ben voyons !
M. Albéric de Montgolfier. Ne riez pas, chers collègues ! D'ailleurs, certains amendements extrêmement intéressants ont été déposés sur le texte. Je pense notamment aux amendements relatifs au dispositif de péréquation des droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO, déposés par M. Patriat.
M. François Rebsamen. Bien sûr…
M. Albéric de Montgolfier. Nous souhaiterions que ces amendements, comme ceux qui ont été déposés par notre groupe, fassent l’objet d’un examen attentif par la commission des finances comme par le Sénat.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Quel Pinocchio !
M. Albéric de Montgolfier. Malheureusement, j’ai l’impression que nous nous arrêterons avant cela, eu égard à la motion tendant à opposer la question préalable déposée par le groupe socialiste (L’orateur brandit un exemplaire de ladite motion.), dont la motivation ne manquera pas de surprendre Mme la ministre, qui a longtemps été notre rapporteur général de la commission des finances…
M. Roland du Luart. Fonction qu’elle a exercée avec talent !
M. Albéric de Montgolfier. … et est très attachée au travail de la Haute Assemblée. À l’heure où certains affirment que le Sénat ne sert tout simplement à rien,… (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Caffet. C’est vous qui le dénaturez !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur Caffet, il faut supporter qu’il y ait une opposition ! La France n’est pas un régime de parti unique !
M. Albéric de Montgolfier. … vous comprendrez que nous nous opposerons à cette motion tendant à opposer la question préalable. Pour notre part, nous sommes prêts à travailler.
M. Claude Haut. Il fallait y penser avant !
M. Albéric de Montgolfier. En tout cas, nous souhaitons améliorer le texte,…
M. Jean-Pierre Caffet. Quelle hypocrisie !
M. Albéric de Montgolfier. … et c'est la raison pour laquelle, si nous réservons notre vote sur l’ensemble du projet de loi, nous souhaitons que sa première partie puisse être examinée.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la discussion du texte en première lecture, le choc de compétitivité, présenté, par voie d’amendements, dans le cadre du collectif budgétaire, n’était pas encore inscrit au cœur du débat fiscal. Or son coût pour le moins élevé et ses conséquences incertaines mettent évidemment en question le contenu du présent projet de loi de finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout à fait !
M. Éric Bocquet. Revenons quelques instants sur ledit contenu.
Nous avons eu maintes fois l’occasion d’indiquer ici à quel point le texte qui nous a été présenté en première lecture souffrait à nos yeux de sérieuses limites.
En effet, il allait bien moins loin que les propositions que la majorité sénatoriale avait pu formuler l’an dernier dans le cadre de l’adoption de son « contre-budget » de combat, de son contre-budget « manifeste », ses auteurs ayant renoncé à un volume de recettes fiscales particulièrement important et s’étant laissés glisser sur la pente de la réduction des dépenses publiques. Or, faut-il encore le répéter, cette réduction est le plus sûr moyen d’accroître un peu plus les déficits. D'ailleurs, de plus en plus d’économistes le disent aujourd'hui.
Parmi les recettes perdues figurent ainsi les 750 millions d’euros de « correction » apportés, à l’article 6 du projet de loi, à la taxation des plus-values des particuliers.
Soyons clairs, cette démarche, réponse selon nous maladroite à l’opération médiatique adroite menée par les « patrons pigeons » – c’est ainsi qu’ils s’étaient dénommés –, vidait quasiment de son contenu une mesure censée conduire à un traitement de ces revenus au titre du barème progressif. Plus précisément, l’abandon, sur un produit attendu de 1 milliard d’euros lié à cet accrochage des plus-values, de 750 millions d’euros – autrement dit, l’abandon des trois quarts de la somme – réduit à néant ou presque l’esprit originel de la mesure.
Madame la ministre, si vous aviez relevé de cinq points le taux d’imposition des plus-values des particuliers, vous auriez obtenu le même résultat. En effet, en plus-values nettes, la somme globalement déclarée par les contribuables de notre pays s’est élevée à environ 6 milliards d’euros en 2009. Un relèvement de quatre points du taux – voire inférieur – était donc suffisant puisque les moins-values ont été moins pesantes après l’année 2008.
S’agissant de l’impôt de solidarité sur la fortune – l’ISF –, vous avez fait une croix sur plusieurs centaines de millions d’euros. Nos collègues de l’opposition sénatoriale souhaitaient quant à eux d’autres allégements de l’ISF – bien évidemment, nous ne nous plaçons pas sur le même terrain.
En maintenant le seuil d’application du tarif de cet impôt à 1,3 million d’euros, vous perdez au bas mot 300 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les 600 millions d’euros résultant de la limitation à 1,5 % du taux maximal d’imposition et de l’aménagement du tarif.
Pour un contribuable disposant d’un patrimoine composé d’un hôtel particulier d’une valeur de 18 millions d’euros, situé dans une rue proche du Palais du Luxembourg, d’un peu plus de 1 million d’euros de valeurs monétaires diverses et qui fait valoir pour 900 000 euros de forfait mobilier – même si ce mobilier est, en partie, constitué d’objets d’art et de collection et agrémenté de tableaux d’art moderne, le tout pour une valeur de 30 millions d’euros –, le gain n’est pas forcément inappréciable.
Avec le tarif antérieur à la réforme Sarkozy de la fiscalité du patrimoine, ce contribuable aurait acquitté 283 850 euros d’ISF, hors abattement pour personne à charge ou je ne sais quel versement dans un fonds ISF-PME. Demain, avec le tarif applicable en 2013, le même contribuable, doté du même patrimoine, paiera 248 190 euros, ce qui correspond à une baisse de 35 660 euros de son ISF, soit plus de 12,5 %.
C’est ainsi que nous avons renoncé à 600 millions d’euros de recettes fiscales.
De la même manière, alors que l’on vient de créer la Banque publique d’investissement, nous avons renoncé à remettre en cause le coûteux dispositif ISF-PME, dont l’impact est estimé, en 2013, à 482 millions d’euros, ou encore le dispositif Dutreil, dont le coût prévu s’élève à 304 millions d’euros. Et je ne tiens pas compte du fait que vous continuez à ne pas taxer les actifs professionnels ou certains objets d’art et de collection…
Toujours est-il, madame la ministre, que, rien que sur ce que nous connaissons, ce sont près de 1,7 milliard d’euros de recettes fiscales qui ne seront pas engrangés au titre de l’ISF.
Pour notre part, nous ne pensons pas que l’instauration d’une tranche provisoire d’imposition à 75 % portant sur les seuls revenus d’activité constitue une solution adaptée à la situation.
En effet, un comédien ayant diversifié ses sources de revenus en plaçant judicieusement ses cachets précédents peut fort bien échapper à cette imposition, au seul motif que son « activité » principale, celle de jouer la comédie, ne lui aurait pas rapporté cette année 1 million d’euros. Il conviendrait plutôt de se rendre compte qu’un renforcement de la progressivité du barème actuel, notamment avec l’instauration d’une tranche à 50 %, est la seule voie digne de ce nom. Madame la ministre, c’est d’autant plus vrai si le Gouvernement poursuit le rêve de fusionner, demain, CSG et impôt sur le revenu dans un seul barème général qui souffrirait ensuite une sorte de « surtaxe progressive », comme au bon vieux temps de l’impôt cédulaire...
Cependant, le Gouvernement n’a pas fait le choix d’aller aussi loin que possible en matière d’imposition des sociétés.
D’ailleurs, j’observe que, à part une remise en cause partielle de la niche Copé, aucune mesure de fond n’a de fait été prise sur l’imposition des sociétés. Nous attendons encore de voir ce que donneraient, notamment, l’imposition des bénéfices distribués, l’application d’une forme de progressivité de l’impôt sur les sociétés à raison de la taille des entreprises assujetties, ou de leur chiffre d’affaires, et une taxation plus équilibrée des plus-values.
Par exemple, cette année – en pleine crise, nous dit-on –, pas moins de 38 milliards d’euros de dividendes seront distribués aux actionnaires des groupes du CAC 40.
Alors que l’on affirme aligner le taux d’imposition des plus-values des particuliers sur le barème progressif, pourquoi ne le fait-on pas pour le taux applicable aux plus-values des entreprises ? Il y a de quoi s’interroger !
Bref, à notre grand regret, le présent projet de loi de finances reste, une fois encore, quelque peu au milieu du gué, même après la nouvelle lecture de l’Assemblée nationale. Nous pensons que ce débat budgétaire aurait pu, aurait dû être l’occasion de réorienter plus avant encore notre fiscalité vers une réelle progressivité de l’impôt. Nous ne pourrons donc que confirmer notre position de première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Claude Jeannerot applaudit également.)