M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion que nous abordons est, en vérité, assez surréaliste.
D’abord, parce qu’elle porte, fait assez exceptionnel dans cet hémicycle, sur un texte qui a été rejeté par la commission saisie au fond.
M. Éric Doligé. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ensuite et surtout, parce que l’actualité la plus récente rend ledit texte obsolète. Peut-être allons-nous découvrir tout à l'heure un amendement substantiel, et sans doute faudra-t-il, monsieur le rapporteur général, que la commission se réunisse pour l’examiner.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Bien entendu !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela étant, il faut faire preuve de modération en toute chose (Sourires.) et je me dois d’ajouter que, dans le projet du Gouvernement, tout n’est pas à condamner.
Si l’opposition sénatoriale l’a rejeté en commission, c’est parce qu’elle n’approuve pas le chemin choisi pour atteindre les objectifs fixés.
M. Jean-Jacques Filleul. Vous n’avez pas de leçons à donner !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Car il va de soi que nous adhérons à l’objectif des 3 % et à celui d’une réduction du déficit structurel de 0,5 point de PIB par an ! Sinon, nous n’aurions voté ni le TSCG ni la loi organique.
Quant à la trajectoire, nous l’assumons : ce n’est là que la continuité des responsabilités prises par l’ancienne majorité.
Au demeurant, monsieur le ministre, cette ancienne majorité ne mérite pas l’indignité dont vous la couvrez aujourd’hui quant au respect de ses engagements.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Attendez les chiffres, mon cher collègue !
En 2010, nous avions prévu 8 points de PIB au titre du programme de stabilité, et l’année s’est achevée à 7,1 points. En 2011, nous avions prévu 6 points, et nous avons fini l’année à 5,2 points.
M. Jean-Pierre Caffet. Certes, mais c’était un peu tard !
M. Henri de Raincourt. C’était déjà ça !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pour 2012, nous avions prévu 4,5 points. Si nous aboutissons finalement à ce chiffre, les efforts accomplis en début d’année n’y seront certainement pas pour rien.
Vous pourriez donc témoigner un peu de considération et de solidarité envers ceux qui vous ont précédés !
La marche d’escalier exceptionnellement haute qu’il convient de gravir en 2013 appelle, me semble-t-il, votre indulgence. Or, à ce titre, les condamnations rétrospectives que j’ai entendues me paraissent un peu excessives.
Parmi les points qui pourraient nous convenir dans ce texte, figurent trois mesures que je tiens à mentionner, par souci d’objectivité.
Premièrement, la stabilisation en valeur du montant des niches fiscales figurait dans la précédente loi de programmation. Néanmoins, j’aurais tendance à regretter que certaines catégories de niches, notamment les dispositifs relatifs à l’outre-mer, échappent à cette mesure, bénéficiant d’une sorte de passe-droit,…
M. Jacques Mézard. C’est vrai.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … et constituent ainsi un point de fuite. De fait, si les niches relatives à l’outre-mer sont traitées plus favorablement que les autres, le respect de la norme « zéro valeur » pour ces dernières sera, arithmétiquement, d’autant plus difficile ; le principe annoncé, qui n’est pas juridiquement contraignant, risque fort d’être très éloigné de la réalité.
Deuxièmement, vous vous placez dans la continuité du précédent gouvernement lorsque vous prévoyez le plafonnement des taxes affectées aux opérateurs. J’approuve les propos que vous avez tenus il y a quelques instants quant à la nécessité de soumettre ces organismes à la même discipline que les services de l’État stricto sensu.
Cela dit, à mes yeux, votre engagement serait plus abouti s’il ne tolérait aucune exception, notamment si notre cher Centre national de la cinématographie, le CNC, n’était pas maintenu à l’écart de la règle commune.
M. Jean Arthuis. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. Décidément, c’est obsessionnel !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Troisièmement, enfin, s’agissant des collectivités territoriales, si vous nous dites qu’il s’agit de les traiter proportionnellement aux efforts que l’État s’administre à lui-même, nous ne pourrons que saluer la continuité des principes. Toutefois, la réduction des concours de l’État, à hauteur de 750 millions d’euros pour 2014, et de 750 autres millions d’euros pour 2015, semble bien éloignée d’un tel objectif : de surcroît, ces sommes excèdent de beaucoup les malheureux 200 millions d’euros qui, voilà un an, avaient suscité un apitoiement généralisé dans cet hémicycle – mais tout particulièrement à sa gauche –,…
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … en tout cas un exposé complaisant de toutes les misères subies par nos collectivités.
Mais venons-en à l’essentiel.
Si nous pouvons souscrire à l’objectif et à la trajectoire, les moyens nous apparaissent inacceptables, car non cohérents.
À nos yeux, le problème est triple.
En premier lieu, l’effort à accomplir en 2013 est excessivement concentré sur les recettes et sur les taxes, avec 20 milliards d’euros de charges fiscales nouvelles, en cumulant, bien sûr, les effets de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. En tenant compte des mesures adoptées précédemment, on aboutit à un total de 30 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires pour l’année 2013. En regard, il n’y a que 10 milliards d’euros de freinage des dépenses par rapport à leur tendance acquise : autrement dit, le compte n’y est pas !
Un euro d’économies pour trois euros de fiscalité supplémentaire, c’est un rapport que nous ne pouvons approuver. (M. Joël Billard applaudit.)
En deuxième lieu, une vaste opération de communication – domaine dans lequel le Gouvernement excelle souvent, j’en conviens,…
M. Aymeri de Montesquiou. C’est un vrai talent !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … en dépit de phases successives un peu contradictoires – avait fait impression, il y a quelques semaines. Je veux parler des annonces que le Premier ministre avait multipliées pour tenter de prouver à l’opinion que seuls les plus riches seraient touchés par ces 30 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires. (M. Henri de Raincourt s’exclame.)
Or c’était négliger l’impact de la mesure mettant fin à la défiscalisation des heures supplémentaires sur une partie beaucoup plus nombreuse et moins bien nantie de la population ; c’était négliger les 20 % de forfait social qui pénalisent l’intéressement et la participation ;…
M. Joël Billard. Tout à fait !
M. François Pillet. Exact !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … c’était négliger le relèvement de 1 milliard d’euros des cotisations de l’ensemble des travailleurs indépendants ; c’était négliger la contribution additionnelle de solidarité sur les pensions de retraite et d’invalidité ; c’était négliger l’aggravation des droits sur les donations et successions ; je mentionnerai aussi une mesure du PLFSS qui a suscité beaucoup de courriers, à savoir la fin du régime forfaitaire des cotisations en matière d’emplois à domicile. (M. François Pillet acquiesce.)
Il est clair que ces 30 milliards d’euros pèseront très fortement sur les couches populaires et sur les classes moyennes.
Quant aux hausses d’impôts concernant les entreprises, il est évident qu’elles nuiront à l’investissement et aggraveront la dépression de l’activité.
En troisième lieu, nous ne pouvons nous satisfaire du taux de croissance prévisionnel de 0,8 % qui est annoncé pour 2013, sans même parler des 2 % affichés pour les années à venir.
Nous ne pouvons pas non plus prendre pour argent comptant, si j’ose dire, les estimations de recettes fiscales, particulièrement en matière d’impôt sur les sociétés. De fait, ces projections me semblent calculées selon les méthodes traditionnelles de votre direction de la législation fiscale, qui n’intègrent pas les schémas compréhensibles d’évolution des comportements des agents économiques.
Mais tout cela, qui a motivé notre vote défavorable, mes chers collègues, est surpassé par l’actualité immédiate. En effet, nous avons appris hier que les entreprises allaient subir chaque année une taxation supplémentaire de 10 milliards d’euros à compter de 2013, mais qu’on leur rendrait, au titre des années suivantes, à partir de 2014, 20 milliards d’euros de charges patronales, qu’elles devront préfinancer en puisant dans leur trésorerie. Selon un système complexe…
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Non !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … de crédit d’impôt, une restitution interviendrait à partir de 2014.
Monsieur le ministre, à l’instant même, vous nous avez annoncé le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative dès le premier trimestre de 2013, ce dont je me réjouis pour le plan de charge de la commission des finances. (Sourires.)
Notre commission, lorsqu’elle est saisie d’un projet de loi de finances rectificative, est toujours heureuse d’approfondir la réflexion, de mener des auditions, de confronter les points de vue, bref, de faire vivre le débat. Néanmoins, vous reconnaîtrez qu’il est très étrange d’aborder une programmation budgétaire qui sera modifiée en séance au Sénat par l’intégration d’éléments supplémentaires dont l’Assemblée nationale n’a pas eu connaissance.
De même, vous admettrez qu’il est très étrange d’aborder un projet de loi de finances et un projet de loi de financement de la sécurité sociale dans des conditions qui sont destinées à évoluer radicalement.
En effet, de deux choses l’une : soit le choc de confiance que vous appelez de vos vœux est réellement important et significatif ; soit il ne s’agit que d’une rectification mineure apportée à ce projet de loi au cours de la navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans ce dernier cas, on pourrait comprendre qu’il y ait lieu d’amender ce texte. En revanche, si la modification est à ce point importante que la confiance en dépend, de même que le succès de la politique économique, est-il bien légitime de procéder ainsi, par la voie d’un simple amendement déposé au Sénat, alors que l’Assemblée nationale – vous étiez naguère le gardien vigilant de ses prérogatives, monsieur le ministre – n’a pas eu à débattre d’une telle inflexion de notre politique économique et fiscale ?
Je n’aurai pas l’audace de rappeler toutes les déclarations faites, en juillet dernier, mais aussi plus récemment, sur le transfert de charges sociales vers la TVA. Que n’a-t-on entendu ! Je choisis volontairement l’une des plus modérées, des plus pondérées de ces déclarations, celle de Pierre Moscovici lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2013 : « L’évidence, c’est que la TVA sociale, c’est nous qui l’avons supprimée, car nous la trouvions injuste et inefficace dans un moment où il fallait soutenir le pouvoir d’achat et la consommation. »
Je vous ai écouté attentivement, monsieur le ministre. Peut-on vraiment imaginer qu’en 2014, lorsque les relèvements de taux interviendront, la consommation se portera beaucoup mieux ? Peut-on vraiment imaginer que le taux de croissance de notre pays aura alors retrouvé son niveau potentiel ou s’en approchera, de telle sorte que les supposés dommages sur la consommation que vous avez jusqu’à présent allégués ne soient plus à redouter ?
Et que dire des arguments que vous utilisiez voilà quelques mois encore quand vous avanciez que la mesure prise au début de l’année 2012 – à la fois tardive et insuffisante, je le reconnais – devait être condamnée parce qu’elle ne concernait que très minoritairement l’industrie ? J’ai même le souvenir d’une démonstration très cohérente faite, en commission des finances, par notre collègue Jean-Pierre Caffet, et que j’avais écoutée avec beaucoup d’attention !
M. Jean-Pierre Caffet. Je la rééditerai ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Comment peut-on ainsi changer son fusil d’épaule à si peu de mois d’intervalle ?
Certains ici s’en réjouiront ; d’autres se poseront naturellement beaucoup de questions…
M. Jean Arthuis. Chacun s’en réjouira !
Mme Annie David. Non, monsieur Arthuis !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En vérité, ces 10 milliards d’euros supplémentaires d’économies que nous voyons apparaître ainsi avec une certaine surprise, des économies qui ne sont pas « documentées » et qui ne s’appliqueront qu’en 2014, sonnent un peu comme un aveu de la justesse de nos thèses, lorsque nous disions que, sur le chemin de convergence, les efforts engagés pour réduire la dépense publique étaient insuffisants.
Et puis, que n’a-t-on entendu sur cette misérable révision générale des politiques publiques ! Pourtant, M. l’ancien ministre de la défense, ici présent, se souvient comme moi des efforts réalisés. (M. Gérard Longuet acquiesce.) Il peut témoigner que le comité de suivi se réunissait très régulièrement pour examiner les missions de l’État, les conditions d’ajustement de ses moyens, les économies à faire, et qu’il s’attelait à cette tâche de façon rationnelle, non pas en échenillant partout, mais en s’efforçant de concevoir une nouvelle maquette de l’État.
Or c’est exactement ce que nous découvrons dans le document du Gouvernement ! Il s’agit bien de la même démarche systématique, de la même ambition. Les nécessités de la communication vous obligeront sans doute à utiliser un autre sigle, un autre intitulé, mais, au final, vous ferez peu ou prou la même chose.
Monsieur le ministre, ces quelques considérations vous permettront de comprendre que notre commission, au-delà des différences qui existent en son sein, se sent vraisemblablement confortée dans le vote qu’elle a déjà émis sur le projet de texte que vous nous soumettez. En tout cas, les membres de mon groupe et moi-même confirmerons leur vote négatif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Monsieur le président, je répondrai évidemment tout à l'heure aux orateurs que nous venons d’entendre, en même temps qu’à ceux qui s’exprimeront dans la suite de la discussion générale.
Pour l’heure, je souhaiterais qu’une suspension de séance d’au moins une demi-heure soit accordée, l’amendement évoqué dans mon intervention étant à présent déposé.
Il me semble que les sénateurs, notamment les membres de la commission des finances, auront à cœur de l’examiner pour pouvoir se prononcer en toute connaissance de cause.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, voilà une heureuse conjonction : nous avons effectivement besoin de réunir la commission pour examiner votre amendement.
En conséquence, nous allons travailler « en temps masqué ». M. le rapporteur général a déjà dû réfléchir à cet amendement et, si vous le voulez bien, mes chers collègues, il nous soumettra d’ici quelques instants son analyse en salle de la commission.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite du débat et de la discussion générale, la parole est à M. Éric Bocquet. (Mme Marie-France Beaufils applaudit.)
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, maintenant que le corps électoral a parlé et manifesté sa volonté de changement, la France doit-elle tout faire pour être le meilleur élève de la classe européenne ?
Devons-nous penser l’action publique, nos impôts, nos taxes, notre système de prélèvements obligatoires en général, notre manière de gérer les affaires publiques et nos réponses aux besoins de la société au travers de ce seul objectif : l’équilibre des comptes publics en 2017 ? Cela passe par la réduction des déficits de tous ordres, réduction portée par la croissance des recettes et la maîtrise, sinon la diminution, des dépenses ?
Devons-nous nous satisfaire, mes chers collègues, après les 30 milliards d’euros d’impôts supplémentaires décidés pour 2013, d’une longue phase de latence de 2014 à 2017, aucune mesure ne venant accroître significativement le poids des impôts, taxes, prélèvements et cotisations, comme le prévoit l’article 2 bis du présent projet de loi de programmation ?
Devons-nous penser que la maîtrise des dépenses publiques, marquée par la réduction des crédits de l’essentiel des missions budgétaires, hors les priorités accordées à l’enseignement, la recherche, la justice et la sécurité, est la seule voie qui s’ouvre à nous ?
Devons-nous espérer que la croissance « spontanée » née du comportement vertueux des agents économiques sera suffisante pour engendrer, une année ou une autre, cinq ou dix milliards d’euros de recettes supplémentaires qui viendront alléger la dette publique d’autant, comme le prévoit l’article 14 du projet de loi ?
Devons-nous prendre pour argent comptant les prévisions linéaires de croissance à 2 % l’an à compter de 2014 et de croissance de la masse salariale privée de 4 % par an, comme si, d’un seul coup ou presque, tout allait s’arranger pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Devons-nous, enfin, croire aux vertus de la progression des dépenses d'assurance maladie, fixée de manière linéaire à 2,5 % par an, c'est-à-dire environ 4,5 milliards d'euros de plus, par l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l’ONDAM ?
Évidemment, des circonstances exceptionnelles – canicule, virus de la grippe particulièrement résistant aux vaccins, vague de froid polaire,… – pourraient faire dévier quelque peu de la « trajectoire » ainsi fixée. D’aucuns espèrent pourtant tenir ce cap, qui, pourtant, prive déjà la plupart des hôpitaux publics des moyens de leur développement, ampute leur capacité à investir et à embaucher des personnels qualifiés, et met parfois en cause la qualité même du service.
Les questions que je viens de rappeler – tout comme d’ailleurs le début de cette discussion – montrent à quel point la manière de poser les problèmes est biaisée dans notre pays, dès lors que l'on parle de dépenses publiques, d’impôts ou de taxes, c'est-à-dire dès que l'on tente de répondre à la question générique « qui paie et pour quoi faire ? ».
Depuis longtemps, le débat public est comme pollué par l’idée qu’un niveau élevé de prélèvements obligatoires, au regard de la production marchande, constituerait un handicap pour le développement de notre économie et de notre société.
À l’aune des premiers commentaires sur le rapport Gallois qui, en bien des domaines, vient apporter de l’eau au moulin de ceux qui font l’opinion depuis trop longtemps, je fais observer d’emblée que ledit rapport ne fait pas de l’importance de nos prélèvements un problème majeur de compétitivité.
L’auteur de ce rapport en est d'ailleurs tellement convaincu que, faute de mieux et comme toujours, il préconise de substituer à une partie de ces prélèvements – en l’espèce des cotisations sociales collectées auprès des entreprises – de nouveaux prélèvements sous forme de hausse de la TVA, de la CSG ou encore de la fiscalité écologique.
Taxe carbone pour tous, profits en hausse pour quelques-uns !
Car c’est bien vers cela que nous nous dirigeons ! La modification relative de notre système de prélèvements vise un double objectif : conduire, d’une part, vers l’équilibre des comptes publics et assurer, d’autre part, la rentabilité du capital. Que représentent 30 milliards de cotisations sociales ? C’est 1,5 point de PIB « seulement » et surtout encore moins de justice sociale. L’exercice est fort délicat et va sans doute nécessiter quelques explications au-delà de notre hémicycle.
Notre discussion n’est pas guidée par l’analyse des conséquences de la fiscalisation renforcée de notre système de sécurité sociale ― va-t-elle favoriser l'investissement, l'innovation, l'embauche et la progression des salaires ou conduire, une fois encore, à l’étouffement progressif du système ? ―, mais par le souci des marges « historiquement basses » des entreprises françaises, selon l’expression des dirigeants de l'Association française des entreprises privées, l’AFEP. Ces marges vont-elles ou non se redresser ?
Comme Mme Parisot, je vais en effet m'inquiéter de ces marges historiquement basses.
Songez, mes chers collègues, que, malgré trois millions de chômeurs complets, deux millions de chômeurs à temps partiel, sept millions de travailleurs mal payés grâce aux exonérations de cotisations sociales, le taux de marge de nos entreprises est historiquement tombé aux alentours de 28 % à 28,5 % du produit intérieur brut marchand !
Comme il faut bien remettre les choses en place, on rappellera que ce pourcentage correspond à la somme de 550 à 600 milliards d'euros, ce qui, chacun en conviendra ici, est un montant très important.
Seuls 50 à 55 milliards de ces euros finissent ensuite dans le produit de l'impôt sur les sociétés. Vous constatez comme moi que le taux de prélèvement apparent frappant les profits bruts des entreprises se situe, bon an mal an, à 10 % environ, soit assez loin de l'impôt confiscatoire tant décrié parfois et assez proche du taux de prélèvement annuel ordinaire subi par n'importe lequel de nos salariés percevant un salaire médian ou légèrement supérieur à la moyenne.
Par conséquent, le transfert de 30 milliards d'euros de cotisations sociales souhaité par certains apparaît comme une fausse bonne solution.
Notre débat est également biaisé par les déclarations de ceux qui, par habitude, ont tendance à travestir la réalité, négligeant les vrais sujets.
Car si nous sommes d'accord avec M. Gallois sur quelques points de son rapport, c'est bien quand il constate que nous souffrons en France de quelques déficits. Et il ne s’agit pas seulement de ceux des finances publiques ou de la sécurité sociale, mais aussi des déficits en matière d'innovation sociale et technologique, et parfois en matière d'imagination politique !
Proposer, en 2012, d'enfoncer un coin de plus dans le financement solidaire de la sécurité sociale, par sollicitation de la création de richesses sur le lieu de production en basculant un volume donné de cotisations sur la fiscalité et, pour une part, sur la réduction de la dépense publique ― on se demande bien comment cela va se passer dans les faits ―, revient à faire fi d'une expérience déjà ancienne.
La proposition n'est donc pas originale et la recette est déjà largement éprouvée. Elle a été lancée dès les années soixante-dix dans le domaine de l'insertion professionnelle des jeunes, transformés en « cobayes » d'une expérience aux attendus douteux. La politique d'allégement de cotisations sociales a pris son élan en 1993, avec la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi, et à la formation professionnelle, dite loi Giraud, et fait aujourd'hui office d’étalon de mesure pour toute loi portant sur l'emploi ou la formation.
Alors qu’avant la loi Giraud les exonérations s’élevaient à un milliard d'euros, nous sommes aujourd'hui passés à quelque chose comme 40 milliards d'euros dans les bonnes années, sans même que cela soit imputable aux 35 heures !
Certains ici ont peut-être oublié que M. François Fillon a fait voter, dès 2003, l’application à tous les salaires de la ristourne dégressive sur les bas salaires, trente-cinq heures ou pas, et qu’avec cette décision la facture n'a fait que croître et embellir. Elle apparaît aujourd'hui d'autant plus élevée elle n'a pas permis, au vu du diagnostic établi par M. Gallois, de maintenir l'emploi industriel, d’améliorer la situation de notre commerce extérieur, de renforcer la position de la France à l'international ni d’éviter l'installation dans notre pays d'un volant sans cesse plus important de main-d’œuvre privée d'emploi.
Mes chers collègues, en distribuant aveuglément des exonérations de cotisations sociales, qu'a-t-on fait en réalité ? On a encouragé le développement des emplois de service sous-payés, on a favorisé la stagnation de la masse salariale, on a assuré la rentabilité de la restauration rapide et de grands groupes de la distribution, entreprises dont l'exposition à la concurrence internationale est particulièrement faible puisque leur raison d'être est de vendre, ici et maintenant, en pressurant leurs pauvres fournisseurs, n'importe quel produit ou n'importe quelle denrée, nonobstant sa provenance !
Je ne peux qu'inviter les spécialistes de la macro-économie, nourris des travaux de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, ou du Centre d’observation économique et de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises, ou Coe-Rexecode, à mesurer les incidences sur l'économie en général et les comptes publics en particulier que peut entraîner le fait de compter cinq millions de personnes privées d'emplois et sept millions de salariés mal payés.
Notre système de prélèvements obligatoires et, par conséquent, la trajectoire de nos finances publiques appellent de sérieuses études et modifications. La justice fiscale doit, dès aujourd'hui, être au rendez-vous des changements choisis par les Français au printemps dernier. Le chantier doit s’ouvrir dès le projet de loi de finances pour 2013, et la modulation de l’impôt sur les sociétés doit figurer en très bonne place dans cette réforme fiscale.
Pour le moment, il a suffi du battement d'ailes de quelques pigeons rapaces pour que le Gouvernement revoie sa copie. Les arguments avancés furent et demeurent fallacieux mais soutenus par une publicité sonore et péremptoire. Comme les explications furent embrouillées, nous sommes arrivés au résultat que nous connaissons.
Rendre ainsi 600 millions d'euros à quelques « entrepreneurs » se dépêchant de revendre leur entreprise avant qu'elle ne connaisse l'inexorable baisse tendancielle du taux de profit est cependant apparu incompréhensible pour tous ceux qui, d'ArcelorMittal à Florange à la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, sont aujourd'hui confrontés à une quasi-absence de perspective, faute de décision judiciaire comme de volonté politique.
Nous devons aller plus avant dans la réforme fiscale parce que, comme le disait si justement M. Louis Schweitzer, ancien P-DG de Renault et président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, « dans le cas des pigeons, il s'agit de gens dont l'objectif est avant tout de s'enrichir en revendant leur start-up. Ils ne sont pas attachés à un territoire. Il y a là un vrai problème : plus vous êtes riche, plus vous êtes mobile et capable de vous installer à l'étranger. Avec ce genre de raisonnement, il n'y aura plus que les ouvriers à la chaîne qui paieront des impôts ».
Je crois que ces pigeons ne sont attachés qu’à leur intérêt personnel immédiat et, sans vouloir de nouveau citer Adam Smith, il me semble que cet intérêt personnel n'a pas grand-chose à voir avec l'intérêt général.
Or, mes chers collègues, notre système de prélèvements comme notre gestion des finances publiques ne doivent tendre qu'à un seul but : la mise en pratique de l'intérêt général !
Dès lors, il est évident que nous ne pouvons nous satisfaire du fragile équilibre qui se dessine : un choc fiscal en 2013 puis quatre ans de latence ; la mise en place de la banque publique d’investissement, la BPI, comme une sorte de roue de secours d'un système bancaire qui ne remplit plus son rôle de financement de l'économie depuis trop longtemps, de nouvelles ponctions sur les collectivités locales, les hôpitaux publics, les établissements publics pour les faire participer, bon gré mal gré, à la réduction des déficits dont ils sont rarement responsables et une croyance immodérée dans la soudaine conversion de nos entreprises à l'investissement dans l'innovation, la recherche, la création d'emplois, et j’en passe.
Il me vient, à ce stade de la discussion, une réflexion de fond. Notre économie est de plus en plus une économie de services, en général à faible valeur ajoutée, dont les salariés sont largement précarisés, souvent bien moins payés que dans le secteur industriel, et souffrant d’un manque abyssal de perspectives de promotion sociale.
Nous ne croyons pas au devenir d'une économie fondée sur le développement de centres d'appel téléphoniques, de plateformes d'échange cybernétique d'objets d'occasion, de vente à distance de produits importés de Chine par conteneurs débarqués sur le port de Hambourg ou de Rotterdam, sur la généralisation des services marchands d'aide aux personnes âgées dépendantes ou de protection du paysage et de l'environnement par simple balayage de feuilles mortes et ramassage de papiers gras.
Par ailleurs, il est grand temps que nous fassions l’effort de regarder l’histoire économique récente.
Ainsi, ne trouvez-vous pas étonnant, mes chers collègues, que la privatisation de nos principales entreprises industrielles, de nos banques, de nos compagnies d’assurance, organisée à partir de la loi Balladur de 1986, présente, sur la durée, un bilan pour le moins douteux ?
Qu’est devenu Pechiney, qui fut leader mondial dans le travail des métaux non ferreux ?
Qu’est devenu le Crédit Lyonnais, dont on ne dira jamais assez à quel point son plan de redressement, conduit à partir d’une structure dédiée, entraîna de coûteuses moins-values pour les deniers publics?
Qu’est devenue Renault, alliée à Volvo, puis à Nissan, et qui, aujourd’hui, contribue plus au déficit commercial de notre pays qu’elle ne participait jadis à notre excédent industriel, étant donné qu’elle réimporte une bonne partie de ses gammes de véhicules pour les vendre en France ?
Nous sommes arrivés à un point de non-retour, qui soulève directement la question de notre politique économique et de la gestion, par l’État, de son propre patrimoine, y compris les actions dont le cours est suivi par l’Agence des participations de l’État...
Prenons un exemple simple : la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, qui emploie directement 600 salariés environ, est aujourd’hui dans l’attente d’un repreneur. Avons-nous seulement mesuré les incidences qu’une telle situation peut avoir sur l’ensemble des activités économiques tant en amont – je pense notamment aux activités du terminal pétrolier du Havre – qu’en aval, sur les secteurs de la chimie, des colorants ou encore, par exemple, des plastiques ?
Le débat sur les prélèvements obligatoires, comme sur la programmation des finances publiques, ne saurait être qu’un débat de comptables et une bataille de chiffres. Il a vocation à être considéré, en première et dernière instance, en phase avec une politique économique nouvelle, volontaire et déterminée, qui en souligne à la fois les urgences et les priorités.
Aider la recherche, ce n’est pas simplement prendre en compte les conclusions d’un rapport parlementaire sur le crédit d’impôt recherche. Cela passe, d’abord et avant tout, que nous le voulions ou non, par un renforcement de la recherche publique et par la mobilisation des moyens adéquats à la formation de nombreux chercheurs dans nos universités et établissements d’enseignement supérieur.
Je ne vous renvoie pas à l’exemple des États-Unis en la matière, mais, sans recherches menées sur commande des agences d’État, nul doute que ce pays ne serait pas là où il en est ! Ils ont su nationaliser Delphi General Motors quand l’entreprise a été à deux doigts de faire faillite !
En conclusion, comme nous l’avons fait en commission des finances, nous ne voterons aucun des articles ni l’ensemble de ce projet de loi, celui-ci s’inscrivant dans la droite ligne de la philosophie du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, et de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, deux textes auxquels nous nous étions, en toute cohérence, opposés. Chacun peut donc se rendre compte ici que les raisons qui motivent le vote de nos collègues de l’opposition sénatoriale divergent fondamentalement des nôtres. Le groupe CRC combat aujourd'hui, comme il le faisait hier, à la fois les moyens et les objectifs du TSCG, de la loi organique et de ce projet de loi de programmation. C’est une tout autre logique que nous portons, une logique antilibérale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)