M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative à la création de la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement, déposée par notre collègue Marie-Christine Blandin. Ce texte a le mérite de rouvrir le débat sur ce sujet. En effet, depuis dix ans, et depuis cinq ans encore plus intensément, la même préoccupation est régulièrement évoquée.
Le RDSE, que je représente aujourd’hui, n’a pas été franchement convaincu par ce texte. Plus que sur le fond, notre groupe s’interroge sur sa forme. Cette remarque ayant été formulée par les orateurs qui m’ont précédé, je m’efforcerai d’être bref.
Pourquoi créer une Haute Autorité supplémentaire d’experts, alors qu’il en existe déjà un certain nombre ? Ne serait-il pas préférable de mieux gérer, dans la transparence et l’indépendance, ce qui existe déjà ?
D’ailleurs, comme l’a fait remarquer tout à l’heure mon collègue Raymond Vall, pourquoi certains experts seraient-ils « plus experts » que d’autres ? À les écouter, il apparaît qu’ils sont souvent sûrs de la qualité de leurs travaux ; mais force est d’admettre qu’ils ne sont pas indemnes de tout conformisme.
Notre groupe n’est pas favorable à la création de cette haute autorité supplémentaire telle qu’elle nous est présentée aujourd’hui. Pour autant, le statut du lanceur d’alerte a, bien sûr, retenu toute notre attention. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut poursuivre la réflexion et retravailler le texte qui nous est soumis.
Je ne reviendrai pas sur la trop longue histoire des silences meurtriers des industriels, des institutions et de l’État. Madame Blandin, vous avez rappelé que c’est en 1906 que fut identifiée la dangerosité de l’amiante. J’ajoute que, dès 1918, aux États-Unis, les assurances ne couvraient plus les travailleurs de l’amiante. Chez nous, il a fallu attendre 1997 pour qu’une décision soit prise !
Je ne reviendrai pas sur le cas du Mediator. S’agissant de l’oxyde d’éthylène, vingt ans auront passé avant que celui-ci soit interdit, et je pense en ce moment à Mme de Bégon, ancienne salariée de Blédina, qui est aujourd'hui ruinée.
Il faut aussi envisager plus précisément que ne le fait la loi de décembre 2011 la question de la responsabilité de l’État lorsque celui-ci reste sourd, ainsi que le problème des conflits d’intérêts. Sur ce dernier point, comme vous l’avez dit, madame Blandin, on ne peut se contenter d’une simple déclaration.
Il faut également rendre systématique le couplage des expertises et des contre-expertises, imposer aux industriels de communiquer l’intégralité de leurs données de recherches et d’études, obligation à laquelle ils ne sont pas soumis à ce jour. Comme cela a été dit, les secrets industriels tiennent trop souvent lieu d’excuse pour ne pas rendre plus transparent ce qui devrait l’être, surtout en matière de santé publique.
Chère collègue Marie-Christine Blandin, permettez-moi de vous dire que la cause que vous défendez avec cette proposition de loi est noble et mérite qu’on l’examine de près. Cependant, le dispositif que vous préconisez ne nous paraît pas satisfaisant. Nous pensons qu’il faut continuer à y travailler, élargir le champ de cette Haute Autorité. Lorsque ce sera chose faite, mon groupe étudiera de nouveau ce dossier afin d’arrêter une nouvelle position.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons reconnaître que ce texte pose une question fondamentale : celle de notre capacité à détecter et à traiter des signaux faibles d’alertes sanitaires ou environnementales.
Le sujet est redoutable, mais il est urgent de le traiter. Les exemples de nos propres doutes abondent. Nous avons récemment débattu de la question du bisphénol A, qui nous renvoie à notre incapacité d’identifier les effets à long terme de faibles doses de pollution.
Nous avons également débattu à maintes occasions des nanomatériaux, des champs électromagnétiques, des ondes radiofréquences et de la téléphonie mobile, des OGM ou encore de l’impact des pesticides, et je pense que nous serrons amenés à en débattre encore très souvent. Ce furent des points majeurs du Grenelle de l’environnement, et le doute l’emportait généralement sur les certitudes.
D’ailleurs, les exemples qui sont pris dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi ne sont peut-être pas les bons : pour l’amiante comme pour le Mediator, les pouvoirs publics ne pouvaient pas ignorer. Vous le rappelez en introduction, vingt et un ans se sont écoulés entre la reconnaissance de la cancérogénicité de l’amiante et son interdiction. Autrement dit, ce n’est pas l’expertise qui était défaillante, ce sont les pouvoirs publics qui l’ont été.
Lors du Grenelle de l’environnement, la proposition de créer une haute autorité visait justement à appréhender ces autres risques que sont les risques émergents caractérisés par les effets à long terme des faibles doses, les effets cocktails ou encore les « effets fenêtres », autant de phénomènes qui nous plongent très souvent dans l’incertitude car nous ne disposons que très rarement des expertises concluant clairement à l’innocuité ou la nocivité des produits en cause. Et nous devons décider avec cette marge d’incertitude !
L’enjeu de la Haute Autorité est bien de réduire autant que possible cette marge d’incertitude.
Quelles que soient nos convictions politiques, nous nous efforçons toujours, au sein de cet hémicycle, d’éviter deux écueils : d’une part, la renonciation frileuse au progrès – vous connaissez les arguments, souvent avancés de manière très véhémente, contre l’obscurantisme ou le principe de précaution – et, d’autre part, l’émergence de maladies ou de risques que je qualifierai de planétaires et sur lesquels nous fermerions les yeux ; ce dernier écueil est, à mon avis, particulièrement redoutable.
Je conserve un préjugé positif face aux progrès. Pour autant, celui-ci n’est pas linéaire. Des innovations ont pu engendrer le meilleur comme le pire. Au xxie siècle est apparue une réalité inédite : jamais l’humanité n’aura autant partagé les mêmes biens et les mêmes aspirations. Par exemple, le téléphone portable, notamment celui d’une marque bien connue, est devenu planétaire. Dès lors, ne pas identifier aujourd’hui des signaux faibles de pathologies naissantes reviendrait à prendre le risque d’une épidémie planétaire.
Nous avons donc l’obligation morale de détecter ces signaux faibles.
Notre deuxième défi, et il en a été amplement question cet après-midi, est de fiabiliser l’expertise.
Nous aimerions tous pouvoir nous abriter derrière les certitudes de l’expertise, mais elles n’existent pas. Au demeurant, cette dictature de l’expert serait contraire aux principes démocratiques.
La science est d’autant plus mise en doute aujourd’hui que ces risques émergents remettent en question tous les protocoles traditionnels de l’expertise.
Comme l’un des orateurs qui m’ont précédée, je prendrai l’exemple, risqué, du débat ultramédiatisé autour des travaux du professeur Séralini sur l’OGM NK 603.
Je ne me prononcerai pas sur le fond, mais ce débat pose clairement la question des protocoles d’expertise. Est-il pertinent d’évaluer l’impact d’un produit sur 90 jours et non sur une durée de vie ? À l’évidence, la réponse est négative.
Je me permets d’observer au passage, madame la ministre, qu’on s’inscrit toujours dans la continuité de ses prédécesseurs. Avec Jean-Louis Borloo, dès 2009, nous avions demandé à l’ensemble de nos partenaires européens la révision des conditions de l’expertise de l’EFSA. La Commission européenne devait d’ailleurs nous faire des propositions. Probablement attend-elle le bon moment pour formuler celles-ci… C’est regrettable !
Je ne comprends d’ailleurs pas, madame la ministre, que la France se soit abstenue lors du dernier Conseil européen sur le vote portant autorisation du maïs NK 603. Nous aurions beaucoup gagné à voter contre cette autorisation.
La deuxième question posée par l’étude du professeur Séralini est celle de l’indépendance des expertises.
Il n’existe pas d’expertise indépendante en soi. Certes, les lobbies exercent sans doute des pressions, mais certains experts ont aussi parfois des convictions très affirmées. La meilleure garantie d’indépendance, c’est le caractère pluraliste, contradictoire et transparent des expertises ; du reste, le professeur Séralini le souligne lui-même.
La troisième question posée par cette étude est la prise en compte des enjeux sociétaux. Elle est fondamentale. L’expertise ne peut pas être uniquement scientifique.
Ainsi, un OGM peut présenter un risque environnemental et, en même temps, répondre à une urgence humaine. Certes, nous attendons toujours cet OGM miracle, mais peut-être apparaîtra-t-il un jour…
Aussi, je veux affirmer – sans doute plus à titre personnel qu’au nom de mon groupe – que cette proposition de loi part d’un constat que je fais mien et pose des principes que je partage. Pour autant, elle n’est pas acceptable en l’état.
Je vous renvoie aux débats du Grenelle de l’environnement, qui n’ont pas abouti à un consensus sur ce sujet. Le groupe 5 du Grenelle a bien conclu à la nécessité de créer une haute autorité indépendante de médiation des conflits sur l’expertise et l’alerte, mais il n’y a eu consensus ni sur le rôle de cette autorité ni sur l’encadrement de l’alerte, deux points qui sont au cœur de notre débat d’aujourd'hui.
S’agissant du rôle de cette autorité, nous avons tous souligné la nécessité que cette instance ne soit pas une agence d’expertise supplémentaire qui se superposerait aux autres. Même si je sais que telle n’est pas l’intention des auteurs de la proposition de loi, une certaine confusion subsiste.
L’autre point d’interrogation porte sur l’alerte.
Fort heureusement, l’idée d’une structure nouvelle au sein des entreprises a été écartée, mais les débats en commission ont souligné la difficulté de prévenir les alertes abusives et la capacité même de cette future Haute Autorité à traiter toutes les alertes. Ce point reste obscur dans la mesure où, faute d’étude d’impact, on ignore le volume potentiel de dossiers à traiter, le nombre de personnes qui pourraient y être affectées et le montant précis de son budget.
Un autre point mérite d’être encore clarifié : la confidentialité de l’alerte. Nous en avons longuement débattu, mais le droit doit poser clairement le principe que l’alerte est donnée dans la plus stricte confidentialité et que rendre publique une alerte n’est pas le meilleur moyen d’en garantir la bonne fin.
Ces deux réserves ont interdit le consensus sur la haute autorité lors du Grenelle. Elles l’interdisent encore.
Vous comprenez donc que le choix du législateur fut à l’époque de demander un rapport au Gouvernement – le fameux article 52, déjà mentionné – afin de mieux tracer les contours de cette haute autorité. Il est effectivement regrettable que ce rapport n’ait jamais été produit parce que les questions demeurent.
Le Gouvernement a fait part de son intention de reprendre l’initiative d’un tel rapport. À cet égard, il me semblerait opportun que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques puisse, lui aussi, expertiser cette haute autorité, les conditions de la prise en compte de l’alerte. Son président, Bruno Sido, y est d’ailleurs très favorable.
Pour toutes ces raisons, et compte tenu des exigences budgétaires, mon groupe votera contre cette proposition de loi. Il a exprimé sa grande préoccupation face aux risques de dérives du droit d’alerte et du recours abusif au principe de précaution.
Pour ma part, monsieur Dantec, je ne renierai ni ce que j’ai dit, ni ce que j’ai fait voter, ni ce en quoi je crois. Néanmoins, je suis réservée sur la forme. Cette proposition de loi laisse trop de questions en suspens, même si je partage l’objectif de ses auteurs.
Nous avons besoin d’une instance qui définisse clairement les protocoles d’expertise face aux risques émergents. Les protocoles existants ne sont plus adaptés et nous ne disposons toujours pas de solutions de remplacement. Nous avons besoin d’une instance qui harmonise les exigences des comités déontologiques des différentes agences et il ne serait pas aberrant – je sais que les présidents de ces agences n’y sont pas opposés – de regrouper ces comités afin qu’ils se prononcent sur l’indépendance des expertises et, surtout, qu’ils finalisent la charte de l’expertise.
Nous avons besoin d’un encadrement du droit d’alerte. Un premier pas a été franchi avec la loi sur le médicament de décembre dernier. Nous devons encore clarifier la loi afin d’interdire les alertes médiatiques abusives. Je reprendrai la formule de Mme Blandin : « À l’émotion, nous devons préférer la raison. »
C’est un bon débat de fond qui est posé, un débat qui ne doit pas tomber sur une opposition inutile entre l’accusation de pression des lobbies, d’une part, et l’accusation d’obscurantisme, d’autre part. Nous devons approfondir cette initiative pour en clarifier les contours. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier Marie Blandin du travail qu’elle a conduit, de son opiniâtreté à faire inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour et de sa détermination à susciter dans notre assemblée un débat sur l’expertise scientifique.
Débattre de l’expertise scientifique pourrait presque passer pour un oxymore tant les mots « expert » et « scientifique » sont souvent mis en avant justement pour clore le débat. Le rappel des nombreux cas, évoqués par les orateurs précédents, où l’expertise a été aussi défaillante qu’arrogante est fort instructif.
Par présomption, l’expertise est toujours scientifique, donc objective, et sa critique, toujours par présomption, serait idéologique, donc subjective.
Le débat en commission et les oppositions qui s’y sont manifestées se sont concentrés sur la question de la création d’une nouvelle autorité indépendante. Cet aspect formel a été l’abcès de fixation, et je regrette que le rapport ait été rejeté par la majorité UMP. Du reste, madame Jouanno, en vous écoutant à l’instant, je me disais combien il serait heureux que vous rejoigniez un jour la commission du développement durable : vous vous y trouveriez tout à fait à votre place, et nous pourrions échanger de manière fructueuse et améliorer ensemble les textes que nous examinons.
Le Conseil d’État a compté 103 autorités indépendantes. C’est effectivement beaucoup ! Il a aussi indiqué que, depuis 2007, soit durant le quinquennat précédent, leur budget avait augmenté de 15 % et leurs effectifs, de 6 %. Donc, le problème des agences ne date pas de la proposition de loi de Marie Blandin et provient plutôt d’une inflation de ces structures, particulièrement au cours des cinq dernières années.
Mais la vraie question n’est pas tant celle-là que celle de la place de l’expertise scientifique dans notre prise de décision.
Les attendus de la proposition de loi sont-ils fondés ? Le but visé est-il légitime ? À ces deux questions, nous considérons que la réponse est oui. Nous sommes, législateur comme Gouvernement, de plus en plus souvent sommés d’arbitrer des débats d’une grande technicité, débats d’ailleurs moins scientifiques que technologiques, autrement dit portant plutôt sur l’utilisation faite par l’homme et pour l’homme de la science.
Pour arbitrer conformément à l’intérêt général, nous nous tournons souvent vers des experts et nous nous demandons souvent, durant les processus de réflexion, si leur expertise est aussi indépendante qu’il est confortable de le croire.
Mme Blandin, M. le rapporteur et Mme la rapporteur pour avis ont évoqué plusieurs exemples et nous avons eu maintes fois l’occasion de découvrir que tel ou tel scientifique ou expert n’était pas sans liens tantôt avec l’industrie agroalimentaire, tantôt avec celle du pétrole, voire avec celle du tabac. La qualité d’expert scientifique n’est donc pas incompatible avec les conflits d’intérêts économiques.
Et puis les experts scientifiques ont, eux aussi, des convictions et des partis pris idéologiques ; après tout, c’est bien leur droit ! Nous connaissons ce courant de pensée selon lequel toute innovation est toujours bénéfique pour les populations et tout artifice éternellement supportable pour la planète.
Quant aux médias, qui popularisent ou dénigrent telle ou telle expertise, ils ne sont pas non plus exempts de connivences économiques et de présupposés idéologiques.
Nous voilà, législateur, Gouvernement, fort perplexes et sommés de choisir entre l’aveuglement et l’obscurantisme.
D’autres experts seraient-ils plus indépendants ? La question a été posée. Si l’on parle d’indépendance intellectuelle ou économique, nous ne pouvons en être certains. La seule façon de résoudre ce problème est d’organiser une expertise contradictoire et pluraliste, comme le prévoit la proposition de loi, et de veiller à la protection des lanceurs d’alerte.
Les lanceurs d’alerte ne sont pas des gêneurs ; ce sont des vigies que la complexité et la technicité de notre monde rendent indispensables. Ils peuvent se tromper, nous objectera-t-on ; sans doute, mais pas plus que des experts : parmi ces derniers, certains se sont trompés, rétractés et parfois disqualifiés.
Aucune procédure ou institution ne nous mettra totalement et durablement à l’abri des expertises erronées ou biaisées, mais nous pouvons organiser l’expertise pour éviter qu’une décision soit prise dans l’ignorance ou la dissimulation d’autres points de vue.
À l’issue de ce débat, nous souhaitons, à l’instar de Mme la ministre, qu’il soit pris acte de plusieurs points.
Premièrement, l’expertise scientifique souffre d’un déficit d’indépendance et de pluralisme qui peut être réduit grâce à davantage de transparence, de pluralité et de déontologie.
Deuxièmement, les lanceurs d’alerte sont utiles, et leur expertise, qui n’est pas toujours sanctionnée par des diplômes universitaires et provient de leur observation, doit pouvoir être recueillie.
Troisièmement, nous avons besoin d’un peu de temps pour ajuster et évaluer le meilleur dispositif pour atteindre les objectifs que je viens d’évoquer, et recueillir l’avis de quelques experts indépendants.
En concluant ainsi notre séance, nous n’aurons pas achevé notre travail, mais nous aurons posé les jalons d’une belle évolution au service de la démocratie et du progrès scientifique, en garantissant qu’il se forge aussi hors de la sphère des producteurs et des acteurs économiques du progrès.
J’espère que ceux de nos collègues qui n’ont trouvé dans ce texte aucun problème de fond et ont décelé seulement des inconvénients de forme seront satisfaits par les propositions qui naîtront de la concertation entre tous ceux qui y travailleront à partir de maintenant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure de la controverse qui a suivi la publication de l’étude de Gilles-Éric Séralini sur la toxicité d’un maïs OGM, la nécessité d’encadrer la déontologie de l’expertise et de protéger les lanceurs d’alerte devient indispensable.
Je me réjouis très vivement que cette proposition de loi du groupe écologiste soit la première à être discutée dans un Sénat où la gauche est majoritaire. C’est tout à la fois un symbole fort pour l’écologie politique et un élément important de la vitalité démocratique de notre institution.
En effet, cette proposition de loi écologiste constitue une belle opportunité pour valoriser le rôle du Parlement. Force est de le reconnaître, sous l’ancienne mandature, nous n’en avions pas l’habitude, mais je ne tiens pas à entamer une polémique sur ce point.
Mme Chantal Jouanno et M. Jean-Claude Gaudin. Sous l’ancienne mandature, vous n’étiez pas ici !
M. Jean-Vincent Placé. Mes chers collègues, je constate que vous m’écoutez et je vous en sais gré ! (Sourires.)
Ce texte présenté par Marie-Christine Blandin est le fruit d’un travail de réflexion et de dialogue de longue haleine. On y reconnaît la marque de fabrique des écologistes, d’abord par le souci constant d’impliquer les acteurs de la société civile concernés, mais aussi par la volonté d’associer l’ensemble des parlementaires à la coproduction de la loi afin d’aboutir au meilleur résultat possible. Cette phase de discussion au sein de nos deux commissions a été très importante et je rends hommage à M. le rapporteur, à Mme la rapporteur pour avis, ainsi qu’à M. le président de la commission pour le travail qu’ils ont effectué.
Cette confrontation, sans attaques idéologiques stériles, a permis d’engager une discussion très approfondie avec le Gouvernement, en particulier avec Delphine Batho, qui a longuement travaillé avec ses collaborateurs sur cette proposition de loi dans un grand esprit d’ouverture, tranchant avec la réticence devant les textes d’origine parlementaire qui prévalait jusque récemment sous la Ve République. Cela augure bien de la suite de notre travail.
Je tiens à remercier les parlementaires de toutes tendances politiques, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, notamment Chantal Jouanno, dont l’intervention fut, comme toujours, très argumentée, sérieuse et solide, en un mot : « écologiste » ! (Murmures amusés sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Il est important, pour l’image des parlementaires, de nouer un échange réellement constructif et de trouver des points d’accords sur un tel thème.
Nous touchons là à un vrai sujet de fond. La proposition de loi que nous espérons avoir la possibilité de voter lors d’une future séance est, en fait, la transposition des préconisations contenues dans de nombreux rapports parlementaires, mais aussi la traduction de la volonté du Gouvernement pour que l’indépendance des experts soit plus sûrement garantie.
En effet, face aux pressions, menaces de licenciements et écoutes téléphoniques, les experts, hauts fonctionnaires ou salariés qui osent alerter quand tout le monde se tait sont trop souvent victimes de leur courage.
Les écologistes souhaitent créer la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte en matière de santé et d’environnement afin qu’elle élabore des règles déontologiques propres à l’expertise scientifique, établisse des procédures d’évaluation des pratiques d’expertise, donne suite aux alertes qui lui sont soumises, assure le respect des dispositions protégeant les lanceurs d’alerte, tienne un registre des alertes consignant toutes les procédures en cours.
D’ailleurs, je le dis à celles et ceux qui, comme nous, sont attentifs à la maîtrise des finances publiques, une telle proposition, loin d’engendrer des coûts supplémentaires, permettra au contraire de faire des économies. En effet, lorsqu’il est question de santé environnementale, de sécurité de nos enfants, de respect des personnes qui nous alertent sur les risques sanitaires, il n’y a pas de coûts inutiles. C’est d’abord de la prévention : prévention des dangers, bien sûr, mais aussi prévention de dépenses futures. On oublie trop souvent que les alertes non entendues en leur temps nous coûtent aujourd’hui extrêmement cher en remboursements et indemnisations des dommages causés aux victimes.
C’est pourquoi la création d’une instance indépendante est, avant tout, une proposition de bon sens et extrêmement économe de nos deniers.
Cette proposition de loi illustre bien ce qu’est véritablement l’écologie : la responsabilité, la protection et l’écoute. Cette écologie se fait avec et pour les citoyens, dans un but commun : mieux vivre au sein d’une société durable.
Pour conclure, chers collègues de tous horizons politiques, je vous invite à prendre la mesure de l’importance de ce sujet : nous sommes face à un enjeu démocratique majeur. Samedi, j’étais à Laval avec des manifestants qui s’inquiètent des dangers possibles des lignes à très haute tension. Leurs effets supposés doivent-ils être mis à l’étude sérieusement, avec des protocoles débattus ? Tel est l’enjeu de ce débat : après des discussions, des expertises, des études partagées, on peut convaincre les populations ; avant, notre vision est parfois très technocratique et autoritaire.
Les opinions sont très partagées, mais nos concitoyens ne veulent plus entendre parler de scandales comme ceux du Mediator, du bisphénol A, des dangers des pesticides ou des risques induits par les OGM. Nous avons besoin, en France, d’une expertise indépendante, hors de tout soupçon de conflit d’intérêts.
Nous faisons confiance au Président de la République et au Gouvernement, particulièrement à vous, madame la ministre, chère Delphine Batho, pour promouvoir au sein de la majorité présidentielle les progrès nécessaires. Nous pensons apporter notre pierre à l’édifice avec cette proposition de loi, qui dépasse les clivages politiques pour servir l’intérêt commun auquel nous sommes tous très attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Vincent Placé. Mes chers collègues, étant à la fois jeune parlementaire et nouveau président de groupe, j’ai cru comprendre que le temps imparti pour les espaces réservés aux groupes était de quatre heures. Nous ne voulons pas contrevenir au règlement du Sénat, mais, dans le même temps, vous l’aurez compris, nous souhaitons que, sur cette proposition de loi, le dialogue avec nos collègues et avec le Gouvernement puisse se poursuivre. Nous proposons donc de reprendre cette discussion, qui a d’ailleurs été aujourd'hui d’une grande qualité, lors d’un espace réservé à notre groupe et que cela soit précisé lors d’une prochaine conférence des présidents.
M. le président. Monsieur Placé, acte vous est donné de votre rappel au règlement.
Renvoi de la suite de la discussion
M. le président. Mes chers collègues, ainsi que vient de vous l’indiquer M. Placé, la conférence des présidents avait prévu, conformément aux règles que nous nous sommes fixées, un espace réservé de quatre heures pour le groupe écologiste. En tenant compte des petites suspensions de séance qui ont eu lieu, je constate que nous sommes arrivés au terme de cet espace réservé.
À ce stade, et avec l’accord du groupe écologiste, je vous propose d’en prendre acte et de suspendre l’examen de ce texte, qui sera repris à une date ultérieure, étant entendu que, par la voix de son président, ce groupe nous a fait à l’instant savoir que tel était son souhait. La conférence des présidents pourra examiner cette question lors de sa prochaine réunion, c’est-à-dire après-demain, mercredi 17 octobre. (Assentiment.)
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.