M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions consacrer du temps à l’examen de la question noble et sérieuse qui nous réunit aujourd’hui.
L’occasion nous en est offerte par la proposition de loi de notre collègue Marie-Christine Blandin, dont l’engagement sur ce sujet est ancien et constant.
M. Jean Desessard. On peut le dire !
M. Guy Fischer. Il est légendaire !
M. Raymond Vall. Aux bonnes questions que pose Mme Blandin nous devons, ensemble, tenter de répondre avec une sincérité et une détermination égales à la sienne, mais aussi, comme elle l’a souligné, sans arrière-pensées politiques.
Qui, en effet, n’a pas été interpellé, touché, choqué, voire scandalisé, au cours des dernières années, par les affaires de l’amiante, du sang contaminé ou du Mediator ? Et, bien sûr, qui ne serait pas prêt à tout faire pour que de tels drames ne se reproduisent pas ?
Le cas de l’amiante est à mes yeux le plus désastreux, puisque les premières traces de l’alerte datent de 1906 !
Qui ne souhaiterait réduire autant que possible le délai entre l’apparition d’un problème sanitaire ou environnemental et son traitement par des mesures appropriées ?
Nous-mêmes, parlementaires, sommes parfois alertés ; mais nous nous trouvons bien souvent démunis devant les situations qui nous sont signalées car il nous est difficile d’en mesurer l’ampleur et d’apprécier la réalité de leur gravité.
C’est pourquoi toute mesure propre à réduire les risques et à améliorer le traitement des alertes en matière de santé et d’environnement est la bienvenue et mérite tout notre intérêt.
Loin de moi l’idée de nier la justesse des propos qui ont été tenus. Pour autant, il me semble qu’il ne convient pas d’adopter trop vite des décisions dont, sur le moment, nous ne mesurerions pas toutes les conséquences.
Je veux dire qu’on ne peut pas remettre en cause le sérieux et l’éthique des experts de grande qualité qui travaillent dans les très nombreuses structures que compte déjà notre pays. Dans leur immense majorité, ces chercheurs et ces experts font leur métier loyalement ; ils y consacrent, avec beaucoup de dévouement, un temps considérable. Ils travaillent en lien avec d’autres chercheurs dans le monde entier, avec toutes sortes d’instituts de recherche, avec des laboratoires universitaires. Leurs travaux sont publiés, critiqués, évalués, décortiqués par d’autres spécialistes.
En outre, il ne me semble pas qu’on ait pu les prendre en défaut, à de très rares exceptions près.
On ne peut donc pas leur reprocher un manque de sérieux ou de méthode dans leurs recherches.
J’ajoute que la mobilisation des réseaux sociaux est une autre forme de garantie dont ces experts doivent tenir compte.
J’en conclus qu’il nous faut réfléchir avant de remettre en cause leurs méthodes ou leurs choix. Il n’est donc sans doute pas opportun de mettre en place une expertise de l’expertise dans la précipitation.
Le rapporteur de notre commission a bien résumé la situation : ce dispositif sera partagé ou il ne sera pas. Nous ne pouvons pas imposer une Haute Autorité du jour au lendemain, sans qu’il y ait eu une concertation, un bilan de ce qui existe et une analyse des failles, s’il y en a.
Pourquoi les experts de la Haute Autorité qu’il est proposé de créer seraient-ils plus exemplaires que les autres ?
N’oublions pas, enfin, que les scandales sanitaires dont nous parlons ici n’ont pas seulement une dimension nationale. Je doute que nous puissions, à nous seuls, trouver le moyen d’en prévenir d’autres à l’avenir ; nous devons donc, là aussi, prendre en compte la dimension européenne.
Un sujet mérite aussi une vraie réflexion : celui du lanceur d’alerte et de son statut. Je souhaite d’ailleurs que la commission du développement durable profite des semaines à venir pour approfondir son analyse sur ce point, pour se mettre en état de reprendre à son compte et de compléter les dispositions de la proposition de loi touchant à cette question.
Oui, il faut créer un statut du lanceur d’alerte. Il faut soutenir et protéger les démarches d’alerte et même, s’il est nécessaire, dédommager ceux qui ont le courage de faire état de leurs doutes, de leurs interrogations ou de leurs constats.
Je pense en particulier aux docteurs Irène Frachon et Georges Chiche, pour le Mediator, ou à Suzanne de Bégon, qui a dénoncé l’utilisation de l’oxyde d’éthylène pour stériliser les biberons : tous ont subi des préjudices inacceptables.
M. Jean-Pierre Plancade. Il faut aussi responsabiliser l’État, qui est coupable par ses silences !
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. Si un statut de lanceur d’alerte avait existé lorsque ces personnes ont entamé leurs démarches et envoyé leurs premiers signaux d’alarme, elles auraient probablement été mieux entendues et leurs alertes, mieux traitées.
Définir un statut pour le lanceur d’alerte doit donc, à mon sens, être la priorité.
Le dossier n’est pas clos puisque nous n’aurons pas le temps d’achever cette après-midi l’examen de la proposition de loi. Je souhaite que nous mettions à profit le temps qui nous sépare de la reprise de la discussion pour mieux garantir la protection des lanceurs d’alerte et pour faire de cette proposition un projet partagé ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Plancade. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement accueille avec bienveillance cette proposition de loi, qui montre l’utilité de l’initiative parlementaire pour faire avancer les sujets les plus difficiles.
L’indépendance de l’expertise et la prise en compte des alertes faisant état des conséquences sur la santé publique de telle ou telle substance ont été au centre de plusieurs scandales sanitaires et environnementaux ces dernières années. Plusieurs avancées législatives notables en ont résulté.
Mais on observe des risques émergents et un doute subsiste encore : tout a-t-il été fait pour garantir la déontologie et l’indépendance de l’expertise ? Toute l’attention nécessaire a-t-elle été accordée aux alertes ? Peut-on affirmer avec certitude que la protection de la santé publique et de l’environnement passe avant tout, lorsqu’elle contrarie de puissants intérêts financiers ? Et lorsque les incidences sanitaires ont été connues, les pouvoirs publics en ont-ils tiré toutes les conséquences ?
La décision publique doit pouvoir s’appuyer sur la science. La confiance des citoyens dans les autorités et les procédures scientifiques d’évaluation des risques est indispensable.
Convaincue de l’importance majeure de ces enjeux, j’ai souhaité que, pour la première fois, la question de la prévention des risques sanitaires environnementaux soit appréhendée globalement et inscrite à l’ordre du jour du dialogue environnemental lancé par le Gouvernement, lors de la Conférence environnementale des 14 et 15 septembre dernier ; je salue d’ailleurs les sénatrices et sénateurs qui y ont participé.
L’impact sur la santé des pollutions, des ondes et des produits chimiques est désormais la première préoccupation déclarée par les Français lorsqu’on les interroge sur l’environnement ; la qualité de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons et des aliments que nous mangeons est devenue une préoccupation quotidienne.
En particulier, la santé des enfants, dont l’organisme est plus exposé aux polluants et les absorbe davantage, doit être la priorité absolue.
C’est le devoir du Gouvernement de répondre à ces préoccupations en veillant à la meilleure prévention, à l’information et à la protection.
En ouvrant la Conférence environnementale, le Président de la République a affirmé avec force la nécessité d’agir face aux « conséquences de la dégradation de notre environnement sur l’augmentation d’un certain nombre de pathologies chroniques ».
Dans cette perspective, le Gouvernement a d’ores et déjà pris plusieurs initiatives.
D’abord, j’ai annoncé récemment devant le Sénat la poursuite des expérimentations d’abaissement de fréquence pour les antennes relais de téléphonie mobile et la mise à jour des travaux de l’ANSES, dont le Gouvernement tirera les conclusions d’ici au mois de juin 2013.
Nous nous mobilisons également, en collaboration avec les grandes villes, pour traiter les points noirs de la qualité de l’air extérieur, en particulier les concentrations de particules fines qui, selon l’OMS, sont responsables de 40 000 décès prématurés chaque année en France.
En outre, à la suite de la position exprimée par le Premier ministre lors de la Conférence environnementale, le Sénat a voté la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.
À ce propos, je vous rappelle que le Gouvernement s’est engagé, à l’issue de la Conférence environnementale, à présenter d’ici à juin 2013 une stratégie nationale concernant les perturbateurs endocriniens.
Avant la fin de l’année, nous prendrons aussi un arrêté renforçant les interdictions d’utilisation du perchloréthylène dans les pressings, jusqu’à une interdiction totale de ce produit sur plusieurs années.
Enfin, la Conférence environnementale a entériné la fin des dérogations à l’interdiction de l’épandage aérien de produits phytosanitaires ; un bilan de ces dérogations, autorisées par le précédent gouvernement, sera dressé d’ici à la fin de l’année et nous allons organiser leur extinction.
Il est urgent de mobiliser et d’orienter l’action publique vers la santé environnementale. C’est une question de sécurité sanitaire, mais aussi de justice sociale car l’exposition aux pollutions n’est pas la même selon les catégories sociales.
Nous ne pouvons pas nous contenter de lutter contre les risques connus et expliqués. En effet, de nouvelles pollutions apparaissent, liées aux évolutions des modes de vie et des techniques.
M. Jean Desessard. Tout à fait !
Mme Delphine Batho, ministre. Comme je l’ai dit mercredi dernier devant l’Assemblée nationale, des études épidémiologiques font apparaître, depuis le début des années 2000, des corrélations entre l’exposition aux champs magnétiques de très basses fréquences et certaines pathologies comme la leucémie chez l’enfant. Bien qu’aucune étude n’ait permis de mettre en évidence un mécanisme scientifique de causalité, le principe de précaution doit s’appliquer.
Un protocole conclu entre l’État et Réseau de transport d’électricité, RTE, prévoit déjà des actions pour les bâtiments installés dans une bande de 100 mètres autour des lignes à haute tension. Mais nous avons demandé à l’ANSES d’actualiser son expertise au sujet des conséquences de ces expositions sur la santé humaine et animale, afin de proposer de nouvelles règles.
De la même façon, les débats sur la proposition de loi relative au bisphénol A ont été l’occasion de rappeler, en s’appuyant notamment sur les résultats des travaux de l’ANSES et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, que plusieurs études remettent en cause la pertinence de l’approche toxicologique classique : on ne peut raisonner seulement par rapport à des doses quand on sait que les perturbateurs endocriniens, par exemple, peuvent avoir des effets à faibles, voire à très faibles doses.
Nous devons aussi être très attentifs au fait que des molécules différentes peuvent, lorsqu’elles sont associées, exercer sur l’organisme un « effet cocktail » ; des recherches ont d’ailleurs été lancées sur ce phénomène pour ce qui est des pesticides.
Les risques émergents ne se manifestent souvent que par des signaux diffus, isolés ou faibles, ce qui les rend difficiles à identifier.
Les controverses qu’ils soulèvent peuvent aussi être liées à des difficultés réelles et objectives rencontrées pour mesurer des effets sur la santé ou à l’insuffisance des dispositifs susceptibles de repérer d’éventuels risques.
L’étude du professeur Séralini publiée il y a quelques semaines sur les OGM illustre le poids de l’expertise dans les décisions publiques.
Les polémiques sur la durée des tests toxicologiques pratiqués sur les rats, le poids de l’évaluation des risques dans les décisions d’autorisation de mise sur le marché et, plus récemment, les suspicions de conflits d’intérêts au sein de l’Autorité européenne de sécurité des aliments – suspicions suffisamment sérieuses pour que le Médiateur européen juge une plainte recevable – démontrent l’importance de pouvoir disposer d’une capacité d’expertise fiable, indépendante, transparente et contradictoire. (M. Jean-Pierre Plancade acquiesce.)
M. Ronan Dantec, rapporteur. Très bien !
Mme Delphine Batho, ministre. C’est pourquoi la France envisage de proposer à ses partenaires européens un changement radical de la politique d’expertise pour ce qui concerne les OGM.
Nous considérons qu’il faut rendre contraignantes des lignes directrices renforcées d’évaluation des risques et tenir compte des conséquences socio-économiques.
Selon nous, il faut aussi que les agences d’évaluation disposent de moyens suffisants pour réaliser leurs propres études, alors que ce sont actuellement les industriels qui fournissent les études et les données qui déterminent les autorisations de mise sur le marché.
À l’instar de ce qui a été prévu par le législateur pour garantir l’indépendance en matière de mesure des ondes électromagnétiques, nous devons réfléchir à la création d’un fonds qui aurait vocation à financer directement des études toxicologiques publiques d’évaluation des risques. Ces études pourraient notamment porter sur des périodes longues d’exposition et s’intéresser plus spécialement aux effets sur les personnes vulnérables, en particulier les femmes enceintes et les enfants.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui est donc utile. Elle porte sur deux questions majeures : les conditions de l’indépendance de l’expertise et la prise en compte des alertes. Elle s’inscrit ainsi directement dans la perspective ouverte par les travaux de la table ronde santé-environnement de la Conférence environnementale, dont la feuille de route contient les engagements selon lesquels « le statut de l’expert fera l’objet d’une réflexion plus poussée » et « les conditions permettant de repérer et de confirmer une alerte seront également étudiées ».
Le Gouvernement soutient donc la démarche du Sénat. Les dispositions précises du texte font débat et ont été discutées, je le sais, de façon approfondie en commission du développement durable, en s’appuyant sur le travail de qualité mené par M. le rapporteur Ronan Dantec, ainsi qu’en commission des affaires sociales, grâce à l’implication de Mme Aline Archimbaud.
Concernant les conditions de l’indépendance et de la déontologie de l’expertise, les défis posés par les risques émergents demandent une structuration adaptée, fiable et transparente de la recherche et de l’expertise, afin de les traiter selon une procédure traçable et de leur apporter une réponse satisfaisante.
Des progrès incontestables ont été accomplis ces dernières années.
L’ANSES s’est ainsi dotée, en avril 2011, d’un comité de déontologie et de prévention des conflits, d’un code de déontologie de l’expertise et d’une cellule d’audit interne.
L’INERIS, l’institut national de l’environnement industriel et des risques, dispose depuis 2004 d’une charte de déontologie et d’un comité de déontologie.
Une charte nationale de l’expertise scientifique, élaborée en mars 2010 par le ministère de la recherche, assure un premier niveau de traitement de l’alerte au sein des organismes de recherche. En mai 2012, elle avait été adoptée par treize établissements d’enseignement supérieur et de recherche et quarante universités.
Par ailleurs, la loi du 29 décembre 2011 a renforcé les dispositions en matière de déontologie de l’expertise sanitaire pour l’ANSES, l’InVS, l’IRSN – institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – et l’ASN – autorité de sûreté nucléaire –, et prévoit une protection des lanceurs d’alerte dans le domaine de la pharmacovigilance.
Ces avancées récentes, qui pourront être complétées par une nouvelle étape, doivent être soulignées. Pour autant, la création d’une nouvelle structure fait débat. En tant que ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, je suis favorable à ce qu’une instance soit spécifiquement chargée d’une mission transversale de suivi des garanties déontologiques que je viens de citer. Celle-ci aurait vocation, j’y insiste, non pas à se substituer aux instituts et agences existants, mais à s’assurer de la prise en compte des enjeux déontologiques et des bonnes pratiques de l’expertise.
Elle pourrait veiller à la mise en place des comités et chartes de déontologie ainsi que des cellules d’audit interne au sein de l’ensemble des agences et organismes qui produisent nos expertises, sans les décharger pour autant de leurs responsabilités. Sur ce dernier point, très important à nos yeux, il convient d’améliorer le texte.
Il ne peut s’agir d’instituer un échelon supplémentaire et unique d’instruction d’expertise technique, comme le débat a d’ailleurs permis de le préciser. L’expertise scientifique ne peut être concentrée en un lieu unique, ce qui serait contre-productif par rapport aux buts recherchés, à savoir le pluralisme, l’évaluation contradictoire par les pairs, la transparence et la fiabilité de l’expertise.
De plus, l’ouverture à la société civile, telle qu’elle est pratiquée notamment à l’ANSES, l’INERIS et l’IRSN, dont mon ministère partage les tutelles, me semble devoir être généralisée.
Il s’agit de procédures de consultation et d’audition ouvertes aux parties prenantes, notamment aux ONG, de mise en place de comités de dialogues thématiques et de comités d’orientation. Ouvrir l’expertise à la société est à la fois un facteur d’indépendance et de prise en compte des signaux faibles.
L’alerte environnementale et sanitaire et la bonne manière de l’entendre et d’y donner suite ont été beaucoup discutées ces dernières années. Toutefois, ces sujets demeurent en chantier, car nous devons encore travailler sur les difficultés liées à leur mise en œuvre opérationnelle et juridique.
Nul ne doit pouvoir être inquiété parce qu’il aurait révélé un danger sanitaire ou environnemental. Vous avez eu raison, madame Blandin, de rappeler le nom de ceux qui ont eu le courage de dénoncer de véritables scandales.
Concernant la protection du lanceur d’alerte, il me paraît cependant important de préciser que la structuration actuelle des institutions représentatives du personnel, au sein desquelles figure le CHSCT, fait l’objet d’une négociation au niveau national interprofessionnel entre les partenaires sociaux dans le cadre de la Conférence sociale. La question de la place du CHSCT et de ses missions, notamment environnementales, est au cœur de ces négociations. Nous devons respecter le dialogue social, qui doit apporter une solution négociée, conformément à ce qu’ont demandé les organisations de salariés et d’employeurs.
À cet égard, je rappelle que le droit d’alerte existant à l’heure actuelle ne vaut qu’en cas de danger grave et imminent et n’est donc pas applicable au sujet qui nous préoccupe, à savoir les risques pour la santé ou environnementaux.
Pour ce qui concerne la prise en compte des signaux faibles, la création d’un « registre national des alertes » doit être envisagée. Nous devons effectivement nous assurer qu’à chaque alerte plausible correspond bien une expertise scientifique indépendante menée par une ou plusieurs des agences compétentes. Des structures existantes pourraient tenir ce registre : elles s’assureraient que chaque question peut être traitée par un organisme d’expertise à même de l’analyser.
Je pense notamment au Comité de la prévention et de la précaution ou au Haut Conseil de la science et de la technologie. Ces instances pourraient également identifier, sans instruction technique directe, je le répète, d’éventuels « sujets orphelins » et s’en autosaisir. Ces sujets seraient ensuite répartis entre les agences compétentes. Une mission de réflexion sur la captation de l’alerte et des signaux faibles est actuellement menée par le Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, et le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGEIET, dont le Gouvernement attend le rapport d’ici à la fin de l’année.
Il est également souhaitable, parallèlement au suivi des conditions déontologiques d’exercice, de veiller à la méthodologie de prise en compte de ces signaux faibles à l’intérieur même des agences, là encore en généralisant les bonnes pratiques déjà mises en œuvre dans certaines d’entre elles.
Afin d’améliorer les dispositions de cette proposition de loi, je me tiens, mesdames, messieurs les sénateurs, à votre entière disposition. Conformément au cap fixé par le Président de la République et le Premier ministre lors de la Conférence environnementale, le Gouvernement entend améliorer la prise en compte des enjeux de santé environnementale dans l’ensemble des politiques publiques. Pour cela, il a besoin de la force d’initiative du Parlement.
Nous nous engageons donc à travailler sérieusement et rapidement, sur la base de vos propositions, en renforçant les cadres existants, pour faire progresser les garanties de l’indépendance de l’expertise. Les débats en témoignent, votre initiative est la bienvenue. Elle mérite d’être précisée et améliorée, pour pouvoir rassembler. Le Gouvernement reste à votre disposition pour qu’elle puisse aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sachant que nous reprendrons la discussion de ce texte ultérieurement, je vais écourter au maximum mon intervention. Cela me permettra, de surcroît, d’épargner à mes cordes vocales un effort que leur état actuel rendrait périlleux. (Sourires.)
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi déposée par notre collègue Marie-Christine Blandin, qui vise à inscrire dans la loi la protection des « lanceurs d’alerte », l’assurance d’un suivi de cette alerte et le traitement honnête du message.
Nous avions été un certain nombre, lors des débats de la loi Grenelle 1, à soulever la question spécifique des lanceurs d’alerte, convaincus que nous sommes de son importance. Le ministère de l’époque avait simplement consenti à prévoir, à l’article 52 du texte, la remise d’un rapport au Parlement sur ce sujet. Aujourd’hui, le scandale du Mediator nous éclaire assez sur la capacité de firmes sans scrupules à nuire à ceux qui tentent d’alerter l’opinion publique !
Nous partageons donc les objectifs de cette proposition de loi, qui offre un cadre légal sécurisé à une pratique citoyenne et organise parallèlement la procédure d’instruction des alertes.
Cependant, sa rédaction initiale suscitait un certain nombre d’interrogations, auxquelles M. le rapporteur a tenté d’apporter des réponses en commission. Il a proposé notamment de redéfinir l’architecture globale de la procédure d’alerte, en précisant les rôles de chacun des acteurs, pour la rendre plus efficace et plus respectueuse de l’existant.
C’est pourquoi nous regrettons vivement que cette proposition de loi, ainsi amendée, n’ait finalement pas été adoptée par la commission. Les amendements déposés ont pour objet de repenser le rôle de la Haute Autorité ici envisagée, en la considérant comme un trait d’union entre les agences existantes, le ministère, les entreprises et les lanceurs d’alerte, afin qu’elle soit garante, tout au long de la procédure de l’alerte, que celle-ci sera bien menée à son terme. Un tel dispositif nous semble bien plus pertinent et nous voterons les amendements allant dans ce sens.
Pourtant, nous avons encore des remarques à formuler.
Si le rapporteur a proposé à juste raison de donner un pouvoir de saisine aux organisations syndicales, nous estimons que cette saisine devrait être élargie aux CHSCT, au regard des nouvelles missions qui leur sont confiées.
Plus globalement, considérant ses faibles moyens d’investigation et une absence de pouvoirs de contrainte, nous craignons que cette Haute Autorité ne puisse remplir ses missions de manière efficace.
De plus, au regard des financements prévus, son action dépendra très concrètement de la volonté de l’État d’accorder, ou non, les subsides nécessaires à son fonctionnement.
Plus largement, sur le fond, nous pensons que le vrai problème réside dans une conjonction d’intérêts des acteurs politiques, industriels et de la recherche, intérêts qui ne correspondent pas toujours à l’intérêt général. Le législateur devra s’atteler à ce problème et fixer, à l’instar de ce qui a été fait pour le médicament, des règles strictes.
Parallèlement, l’ouverture de plus en plus importante de la recherche au financement privé et la force des lobbies conduisent à faire prévaloir, y compris au niveau de l’expertise, les considérations commerciales sur les conséquences en matière de santé ou d’environnement. Nous maintenons donc notre exigence d’un renforcement des moyens de la recherche publique et d’une redéfinition du champ et du périmètre du secret industriel, véritable frein à la réalisation d’expertises fiables et transparentes.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
Mme Évelyne Didier. Sur la déclinaison à l’échelle de l’entreprise, nous estimons donc qu’il est plus pertinent de confier cette mission au CHSCT. D’une part, les CHSCT disposent de véritables moyens – en termes de connaissances sur la santé au travail – et, d’autre part, l’unité d’action résultant d’une seule et même structure permet d’éviter la distinction entre le champ social et le champ environnemental dans l’action des salariés.
Pour ce qui concerne la garantie d’un statut protecteur des lanceurs d’alerte, nous considérons que les propositions formulées vont dans le bon sens, même si nous gardons à l’esprit que les salariés dits « protégés » continuent d’être malmenés par leurs directions et sont encore souvent les premiers à être licenciés ou mis au placard, malgré les protections légales. Nous devrons donc être particulièrement vigilants sur ce point.
Pour finir, mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, par la place que nous attribuerions ainsi au CHSCT, nous redonnerions très symboliquement une dimension collective à cet exercice. C’est le gage de véritables constructions partagées, qui, précisément parce qu’elles sont partagées, permettent d’enregistrer des avancées sociales dans notre pays.
Parce qu’il est urgent de permettre une meilleure prise en compte des risques sanitaires et environnementaux au sein des entreprises et qu’il est nécessaire de promouvoir un véritable statut pour les lanceurs d’alerte, nous apporterons notre soutien aux amendements déposés et, s’ils sont adoptés, à l’ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)