Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
MM. Jean Boyer, Alain Dufaut.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
difficultés d'accès au crédit pour les collectivités locales
Question de M. Michel Teston. – MM. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur ; Michel Teston.
avenir de la filière aluminium en france et négociation sur le coût de l'énergie
Question de M. Thierry Repentin. – MM. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur ; Thierry Repentin.
Question de Mme Nathalie Goulet. – M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur ; Mme Nathalie Goulet.
mauvaise santé financière des hôpitaux et projet de service de réanimation à l'hôpital de manosque
Question de M. Claude Domeizel. – MM. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur ; Claude Domeizel.
dégradation de l'accès au service public de la santé dans les hauts-de-seine
Question de Mme Brigitte Gonthier-Maurin. – M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur ; Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
concurrence déloyale des auto-entrepreneurs avec les artisans
Question de M. Jacques Mézard. – MM. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur ; Jacques Mézard.
création d'un échangeur sur l'autoroute a26
Question de M. Antoine Lefèvre. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Antoine Lefèvre.
remise en service de matériel ferroviaire
Question de M. Thierry Foucaud. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Thierry Foucaud.
projet de « métro transmanche »
Question de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Question de M. Michel Doublet. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Michel Doublet.
politique d'urgence sociale à paris et en île-de-france
Question de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
suppressions d'emplois dans le secteur de la vente à distance
Question de M. Éric Bocquet. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Éric Bocquet.
avenir du centre hospitalier sud-francilien d'évry
Question de M. Michel Berson. – Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale ; M. Michel Berson.
statut des membres d'un syndicat mixte compétent en matière d'aménagement du territoire
Question de M. Rachel Mazuir. – Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale ; M. Rachel Mazuir.
achats en ligne par les collectivités territoriales
Question de M. Hervé Maurey. – Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale ; M. Hervé Maurey.
les fouilles au corps abusives
Question de Mme Maryvonne Blondin. – Mmes Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale ; Maryvonne Blondin.
point sur les violences conjugales
Question de M. Roland Courteau. – Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale ; M. Roland Courteau.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
5. Dépôt d’une question orale avec débat
6. Service citoyen pour les mineurs délinquants. – Rejet d’une proposition de loi en nouvelle lecture
Discussion générale : M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ; Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois.
M. François Pillet, Mme Éliane Assassi, MM. Jean-Marie Bockel, Jean-Pierre Michel, Mme Catherine Tasca, M. Louis Nègre, Mme Esther Benbassa.
Clôture de la discussion générale.
M. le garde des sceaux.
Motion no 1 de la commission. – Mme la rapporteure, MM. le garde des sceaux, André Reichardt, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jacques Mézard, Mme Catherine Tasca. – Adoption de la motion entraînant le rejet de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
7. Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. – Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture
Discussion générale : MM. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé ; Bernard Cazeau, rapporteur de la commission des affaires sociales.
9. Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République
10. Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. – Suite de la discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture
Discussion générale (suite) : Mme Isabelle Pasquet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
11. Questions cribles thématiques
M. le président.
Suspension et reprise de la séance
Mme Isabelle Pasquet, M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.
MM. Alain Bertrand, le secrétaire d'État.
MM. Jean Bizet, le secrétaire d'État.
MM. Vincent Delahaye, le secrétaire d'État.
MM. Martial Bourquin, le secrétaire d'État.
MM. François-Noël Buffet, le secrétaire d'État.
Mme Christiane Demontès, M. le secrétaire d'État.
MM. Ronan Kerdraon, le secrétaire d'État.
Suspension et reprise de la séance
12. Candidature à un organisme extraparlementaire
13. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
14. Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. – Suite de la discussion et rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
Discussion générale (suite) : Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Aline Archimbaud, M. Ronan Kerdraon.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 1 de la commission. – MM. Bernard Cazeau, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé ; Dominique Watrin, Jean-Jacques Mirassou, Jean-Louis Lorrain. – Adoption de la motion entraînant le rejet du projet de loi.
15. Conventions internationales. – Adoption en procédure accélérée de deux projets de loi dans le texte de la commission (procédure d’examen simplifié)
16. Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
17. Quatrième loi de finances rectificative pour 2011. – Discussion d'un projet de loi
Discussion générale : Mmes Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement ; Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances ; MM. Vincent Eblé, rapporteur pour avis de la commission de la culture ; Philippe Marini, président de la commission des finances.
MM. Thierry Foucaud, Yvon Collin, Aymeri de Montesquiou, Francis Delattre, François Marc, François Fortassin, François Patriat, Jean-Vincent Placé.
Clôture de la discussion générale.
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Motion no 195 de M. Thierry Foucaud. – M. Éric Bocquet, Mme la rapporteure générale, M. le ministre. – Rejet par scrutin public.
Renvoi de la suite de la discussion.
18. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
M. Alain Dufaut.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2012 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
difficultés d'accès au crédit pour les collectivités locales
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, auteur de la question n° 1465, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Michel Teston. Monsieur le président, je souhaite attirer l’attention de M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur les difficultés croissantes que de nombreux maires et présidents de communauté de communes de l’Ardèche m’ont dit rencontrer pour obtenir des prêts bancaires.
Un rapport de l’Association des maires de France sur l’accès au crédit des collectivités locales, dont les conclusions ont été publiées le 7 octobre dernier, confirme le caractère général de ce constat. Il souligne notamment que les collectivités locales doivent faire face aussi bien à l’attribution de prêts d’un montant inférieur au montant demandé qu’à la hausse des taux d’intérêt pratiqués, à la réduction des durées d’amortissement proposées et au refus croissant d’ouvrir ou de renouveler des lignes de trésorerie.
Ces difficultés, plus ou moins importantes selon la taille des collectivités, sont à l’origine d’une situation très préoccupante. Pour un certain nombre de collectivités, le renchérissement du coût du crédit ou les restrictions d’accès au crédit se traduisent principalement par l’impossibilité d’investir.
En outre, comme la Cour des comptes l’a souligné dans son rapport de juillet 2011 sur la gestion de la dette publique locale, le fait que s’imposent aux banques de nouvelles normes prudentielles issues des recommandations formulées par le comité de Bâle en décembre 2010 – les normes dites de Bâle III – suscite une importante incertitude pour le secteur bancaire. En l’absence de prise en compte des spécificités de financement du secteur public local, il pourrait en résulter un retrait des banques de ce marché devenu moins profitable pour elles.
Certes, le Premier ministre a annoncé l’ouverture par la Caisse des dépôts et consignations d’une enveloppe sur fonds d’épargne de 3 milliards d’euros, pouvant être portée à 5 milliards d’euros si cela se révélait nécessaire, enveloppe destinée au financement de prêts aux collectivités dont la moitié seulement de ces derniers seront des prêts directs. Cependant, malgré cette annonce, de nouveaux prêts ont été refusés par la Caisse des dépôts et consignations à des collectivités.
En outre, la nouvelle banque des collectivités locales, filiale de La Banque postale et de la Caisse des dépôts et consignations, ne devrait pas être opérationnelle avant la fin du premier trimestre de l’année 2012, selon les informations qui nous ont été données par MM. Bailly et Wahl lors de leur audition, le 28 novembre dernier, par la commission de l’économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Enfin, l’initiative de plusieurs associations d’élus visant à créer une agence de financement des collectivités locales semble au point mort, faute d’avoir reçu un soutien clair du Gouvernement, et ce alors que la garantie de l’État ne sera même pas demandée.
Je souhaite donc savoir quelles dispositions le Gouvernement entend prendre très rapidement afin que le secteur bancaire, qui a bénéficié du soutien des pouvoirs publics, prenne toutes ses responsabilités dans l’accompagnement des collectivités locales et ne privilégie pas la seule recherche d’une meilleure profitabilité.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie vous prie de bien vouloir excuser son absence. Il m’a chargé, monsieur le sénateur Michel Teston, de répondre à votre question.
Les effets potentiels de la nouvelle réglementation prudentielle dite de Bâle III sur le financement des collectivités locales sont, pour l’instant, difficiles à quantifier. En effet, les nouvelles normes auront des effets différents selon les types de ratio, les nouveaux ratios de liquidité ayant des conséquences potentiellement plus importantes que le ratio de levier.
De plus, les modalités d’application de ces ratios n’ont pas encore été précisément déterminées ; elles devront faire l’objet de discussions complémentaires au niveau international, s’agissant notamment des ratios de liquidité.
Si donc l’éventualité d’un effet structurel sur la capacité du marché bancaire à financer les collectivités territoriales ne peut être écartée, il est difficile, à ce jour, de le caractériser et de le quantifier.
En outre, le resserrement actuel de l’offre de crédit s’explique par des raisons conjoncturelles : il tient notamment à une reconfiguration de l’offre sur le marché, consécutive en particulier à la réduction de l’activité de Dexia Crédit local.
Pour répondre à cette tension conjoncturelle, le Gouvernement a décidé l’ouverture d’une enveloppe sur fonds d’épargne dédiée au financement des collectivités locales et des établissements publics de santé. Elle s’élève à 3 milliards d’euros, M. le Premier ministre ayant d’ailleurs annoncé qu’elle allait faire l’objet d’une extension de 2 milliards d’euros. Elle devrait permettre aux collectivités locales de trouver les financements nécessaires à leurs besoins.
À plus long terme, l’apparition d’un nouvel acteur à capitaux publics autour de La Banque postale et de la Caisse des dépôts et consignations est de nature à assurer un bon équilibre entre l’offre et la demande sur ce marché.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. La réponse de M. le secrétaire d’État me conduit à faire trois remarques.
D’abord, le fait que, sur la demande du Premier ministre, la Caisse des dépôts et consignations ait réservé une enveloppe de 3 milliards d’euros pour apporter des prêts sur fonds d’épargne aux collectivités locales est une bonne nouvelle. Toutefois, on constate que les conditions d’attribution des prêts, extrêmement strictes, sont à l’origine d’un nombre assez important de refus. Il n’est donc pas certain que l’enveloppe sera totalement consommée.
Ensuite, lors de leur audition par la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, le président du groupe La Poste et celui de La Banque postale ont indiqué que les prêts attribués par le futur pôle public de financement des collectivités locales, formé par La Banque postale et la Caisse des dépôts et consignations, seraient modulés en fonction de la solvabilité des communes. J’attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de faire preuve, à ce propos, de la plus grande vigilance : il ne faudrait pas que les collectivités les plus pauvres rencontrent les plus grandes difficultés pour l’accès au crédit !
Enfin, un certain nombre d’associations d’élus ont manifesté le souhait de mettre en place une agence de financement des collectivités locales. J’ai cru comprendre que le Gouvernement avait accueilli cette idée, qui me semble bonne, avec une grande timidité, alors même que cette agence ne devrait pas solliciter la garantie de l’État.
Il me paraîtrait pourtant excellent, dans le contexte difficile que nous connaissons, que les collectivités locales puissent avoir accès à une troisième source de financement, en plus des banques commerciales et du pôle public de financement. J’invite donc le Gouvernement à préciser sa position sur cette question et à s’engager au côté des associations d’élus pour que cette agence de financement des collectivités locales voie le jour.
avenir de la filière aluminium en france et négociation sur le coût de l'énergie
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin, auteur de la question n° 1442, adressée à M. le ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
M. Thierry Repentin. Je souhaite attirer l’attention de M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique sur les négociations en cours entre la société Rio Tinto Alcan, propriétaire de plusieurs sites industriels en France, et Électricité de France, EDF, au sujet de l’approvisionnement de ces sites en énergie.
L’aluminium est un métal hautement stratégique pour les industries automobile et aéronautique ; vous savez, monsieur le secrétaire d’État, de quel poids pèsent ces secteurs dans notre balance des paiements extérieurs…
Or les deux dernières usines françaises d’aluminium – il en restait sept en 1990 –, celles de Dunkerque et de Saint-Jean-de-Maurienne, sont menacées par le renchérissement du coût de l’énergie et la fin programmée de leurs contrats d’approvisionnement à long terme.
L’usine de Dunkerque bénéficie, en plus d’atouts indéniables du point de vue de la proximité des moyens d’approvisionnement en énergie et en matière première, d’un contrat d’approvisionnement qui court jusqu’en 2016.
L’usine de Saint-Jean-de-Maurienne, dont le contrat d’approvisionnement arrivera à échéance en 2013, peut compter sur la présence du laboratoire de recherche des fabrications, le LRF, dans lequel a été élaborée la technologie leader des cuves à électrolyse, actuellement employée dans le monde entier.
Le LRF travaille aujourd’hui à la mise au point de cuves de nouvelle génération, très économes en énergie, dans le contexte d’une croissance de la demande d’aluminium estimée à l’échelle de la planète à 5 % par an au cours des dix prochaines années.
Concernant plus particulièrement l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne, la société Rio Tinto Alcan, après s’être d’abord engagée dans la voie judiciaire pour faire valoir sa demande de prolongation du contrat d’approvisionnement en énergie, renonce aujourd’hui à poursuivre le contentieux pour privilégier la voie de la négociation avec EDF.
Mais ces négociations avancent peu. Or nulle part au monde il n’existe d’exemple d’une aluminerie qui achèterait son énergie au prix du marché : ce n’est pas économiquement possible. Les usines d’aluminium, quand elles ne produisent pas elles-mêmes leur électricité, bénéficient de conditions avantageuses négociées pour leur approvisionnement.
Il est évident que, faute d’accord entre Rio Tinto Alcan et EDF avant la fin de l’année 2011, l’année 2013 pourrait être une année sombre pour le bassin industriel qu’est la Maurienne, avec une fermeture annoncée de l’usine en 2014.
Je souhaite donc savoir quelle action compte entreprendre le Gouvernement au nom de l’État, premier actionnaire d’EDF, pour contribuer à la préservation de cet outil de production stratégique pour la France – je rappelle qu’il est le leader européen pour la fabrication du fil aluminium, véritable valorisation du métal primaire – et du LRF, qui constitue un avantage compétitif significatif pour le site.
Alors qu’il y a quelques jours, dans son discours de Tricastin, le chef de l’État s’est ému de la part que représente la facture énergétique dans les coûts de production des industries dites « électro-intensives », l’occasion se présente de passer d’un constat à des décisions volontaires permettant de sauver plus de 1 000 emplois sur un bassin de vie !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique vous demande de bien vouloir excuser son absence. Il m’a demandé, monsieur le sénateur Thierry Repentin, de répondre à votre question.
Le Gouvernement est mobilisé pour préserver et pour développer l’industrie de l’aluminium, dont vous avez rappelé qu’elle est fortement consommatrice d’électricité.
Saint-Jean-de-Maurienne, berceau de cette industrie en France, est aujourd’hui exploité par Rio Tinto Alcan. Le contrat d’électricité du site, très compétitif, prendra fin en 2014. Comme vous le savez, l’Union européenne interdit désormais les contrats à tarif très préférentiel sans contrepartie pour l’électricien, comme le sont la plupart des contrats historiques.
Le Gouvernement s’emploie activement à permettre une signature très rapide de la seconde phase du contrat Exeltium. Unique en Europe, celui-ci prévoit une fourniture d’électricité sur vingt-quatre ans. Sa première phase a été signée en 2010, avec le soutien constant du Gouvernement.
Des discussions sont très avancées entre EDF et Rio Tinto Alcan pour permettre de pérenniser l’usine au-delà de 2014 en partageant plus de risques et d’opportunités.
Le cas de Saint-Jean-de-Maurienne est emblématique de l’enjeu que représente le prix de l’électricité pour l’industrie française. À ce propos, je me permets de souligner que, grâce au nucléaire, le prix de l’électricité en France est particulièrement compétitif : en moyenne, les industriels paient leur électricité 60 % plus cher dans le reste de l’Europe !
Il s’agit d’un atout clé pour nos industriels électro-intensifs, dont l’électricité représente plus de 10 % de la valeur ajoutée. Selon l’Union des industries utilisatrices d’énergie, l’UNIDEN, la fédération qui les représente, deux millions d’emplois seraient fragilisés en cas de sortie du nucléaire. Le soutien aux industries électro-intensives, monsieur le sénateur, va donc de pair avec celui à l’énergie nucléaire…
Tel était bien le sens du déplacement effectué par le Président de la République, le 25 novembre dernier, chez Saint-Gobain Isover puis sur le site nucléaire du Tricastin.
On ne peut pas, tout à la fois, vouloir sortir du nucléaire et réclamer une électricité bon marché pour nos industries. En tant que secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, je me permets d’insister sur ce point : nos industriels paient leur électricité 30 % de moins que leurs voisins européens.
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Je n’étais pas au Sénat ce matin pour un débat entre le Gouvernement et la représentation nationale sur l’avenir de l’énergie nucléaire dans notre pays ! Ma question était précise et portait sur la sauvegarde d’un bon millier d’emplois dans une vallée alpine.
M. Thierry Repentin. En effet – je le redis au-delà de toute polémique –, faute de décisions avant la fin de l’année 2011, monsieur le secrétaire d’État, Rio Tinto Alcan sera dans l’obligation d’annoncer la fermeture de son site historique en France. Ce serait tout simplement dramatique pour une région qui, malheureusement, ne dispose pas d’industries de proximité permettant aux personnes qui perdraient leur emploi d’en retrouver un facilement.
Je rappelle que nous discutons ici avec un géant à l’échelle de la planète, dont la filière aluminium représente tout au plus de 1 à 2 % du chiffre d’affaires.
Je me permets donc d’insister : sans un geste d’EDF – et je crois que, à cet égard, le Gouvernement a les moyens de faire entendre sa voix, dans l’intérêt de la présence de la filière aluminium en France –, nous serons obligés de tirer un trait sur une industrie historique dans notre pays, ce qui serait incompréhensible.
Quant au débat sur le nucléaire, monsieur le secrétaire d’État, il aura lieu ailleurs !
Quelle que soit l’origine de l’électricité, le curseur de nos décisions doit être placé sur le maintien de l’emploi industriel. À cet égard, un gouvernement proactif peut faire bouger les choses !
emprunts toxiques dexia
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 1420, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 26 mai dernier, j’avais déjà posé une question sur les conséquences pour les communes des emprunts toxiques contractés auprès de la banque Dexia.
Je rejoins les propos de notre collègue Michel Teston : nous sommes passés sur ce sujet de l’imprudence la plus totale à la prudence la plus extrême, laquelle risque d’avoir à terme des effets néfastes pour les collectivités locales.
Il y aurait encore 22 milliards d’euros d’emprunts très toxiques en circulation en France : tel est le principal enseignement, plutôt surprenant, du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui doit être rendu public le 14 décembre prochain.
Les travaux de cette commission montrent également que les petites collectivités sont très atteintes : 1 800 communes de moins de 10 000 habitants ont souscrit des emprunts toxiques, ce qui tend à infirmer l’une des déclarations de Pierre Richard, l’ex-PDG de Dexia, qui avait affirmé sous serment que ses équipes commerciales avaient pour instruction de ne pas vendre d’emprunts structurés aux collectivités de moins de 10 000 habitants, et que les quelques cas constatés étaient des erreurs.
La politique de commercialisation agressive de Dexia et d’autres établissements financiers est d’ailleurs largement dénoncée dans ce rapport.
Dans mon modeste département de l’Orne, de petites collectivités ont souscrit ces emprunts, dont les contrats précisaient en grosses lettres qu’ils étaient sans danger pour les collectivités, en dépit de leurs taux exotiques.
Dans cet hémicycle ou ailleurs, nombreux sont ceux qui pensent que les maires doivent assumer les conséquences de leur décision. Cet argument me semble insuffisant, d’autant que, si les grosses collectivités ont pu faire vérifier ces contrats par leurs services spécialisés, tel n’est pas le cas des plus petites d’entre elles.
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale propose un certain nombre de pistes, notamment une sortie au cas par cas de ces contrats et une négociation globale. Quoi qu’il en soit, les collectivités ne pourront pas se sortir seules de ce mauvais pas.
L’État et, avec lui, les contribuables français ont renfloué la banque Dexia, aux termes d’une loi que nous avons votée voilà quelques semaines.
Le Gouvernement a-t-il l’intention de suivre les préconisations du rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale et de proposer une solution globale ? Je rappelle que, pour l’instant, les intérêts sont simplement bloqués, ce qui ne fait que différer le problème.
Comment le Gouvernement compte-t-il sortir environ 1 800 communes de cet imbroglio ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, qui ne peut être présent au Sénat ce matin.
Il est inexact de dire qu’aucune suite n’a été donnée à votre question d’actualité du 26 mai dernier. Le Gouvernement n’a en effet pas attendu pour se saisir du sujet des emprunts structurés contractés par les collectivités territoriales.
Dès 2009, une charte de bonne conduite a ainsi été signée par les associations d’élus et les principales banques françaises actives sur le marché. Aujourd’hui, ces banques ne commercialisent plus auprès du secteur public local de produits ayant un niveau de risque élevé.
En outre, un médiateur a été nommé pour aider à la résolution des situations les plus difficiles, à savoir les imbroglios dont vous avez parlé. Sa mission a été prolongée en 2011 et renforcée, avec l’appui technique de la Banque de France.
Le Gouvernement souhaite également que nos concitoyens soient mieux associés au débat sur la bonne gestion de la dette de la collectivité ; des travaux sont en cours à cette fin.
S’agissant de Dexia, le plan de restructuration de la banque n’affecte en rien la gestion des emprunts structurés commercialisés par Dexia auprès des collectivités locales françaises. Les collectivités ayant contracté de tels emprunts resteront liées au groupe Dexia et devront honorer leurs engagements tels qu’ils résultent des contrats de prêts. Réciproquement, la restructuration ordonnée du groupe Dexia n’est pas porteuse de risques supplémentaires pour les collectivités locales qui ont contracté avec cette banque.
Plus globalement, la question de la constitution d’une structure de défaisance pour gérer les emprunts structurés des collectivités locales ayant eu librement recours à ces instruments n’est pas consensuelle, comme l’ont montré les débats sur le projet de loi. Le caractère inéquitable d’une telle structure pour les collectivités ayant eu la gestion la plus prudente de leur dette – les élus ayant pris les plus grands risques bénéficieraient d’une aide dont les autres seraient exclus – pose en effet problème. Enfin, la situation des communes face aux emprunts structurés reste hétérogène.
Si de nombreuses collectivités sont exposées à des produits structurés, seules quelques-unes d’entre elles voient leur budget réellement mis en difficulté par une exposition très importante. Soyez assurée que ces cas-là recueillent toute l’attention des services de l’État, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pas dit que l’on n’avait donné aucune suite à ma question de juin dernier ; j’ai seulement précisé que j’avais déjà interrogé le Gouvernement à ce sujet.
En tout cas, je vous remercie de votre réponse, qui est plutôt encourageante et que je transmettrai aux collectivités de mon département.
Cette affaire est en tout état de cause une excellente leçon pour les collectivités, pour l’État et pour les banques.
Je rejoins les propos de notre collègue Michel Teston quant aux problèmes de financement des collectivités, et je crains que la situation budgétaire dans laquelle nous nous trouvons ne vienne encore renforcer ces difficultés.
mauvaise santé financière des hôpitaux et projet de service de réanimation à l'hôpital de manosque
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la question n° 1422, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite attirer l’attention de M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé sur les déficits que connaissent de nombreux hôpitaux publics en France, ces derniers s’étant accentués, notamment depuis la mise en place du système de la tarification à l’activité.
Je suis tout particulièrement préoccupé par la situation du centre hospitalier de Digne-les-Bains et du nouvel hôpital public de Manosque, qui connaissent de graves difficultés financières.
Cet état de fait est régulièrement dénoncé par les élus, les organismes de gestion de ces établissements et les syndicats. Par ailleurs, pour ce qui concerne l’hôpital de Manosque, M. le Premier ministre s’était engagé, lors d’une visite dans cette ville le 27 octobre 2008, à prendre en compte la demande de création d’un service de réanimation à Manosque. Aujourd’hui, alors que l’activité du nouvel hôpital s’est accrue de 25 %, se pose toujours la question du service de réanimation.
Comment le Gouvernement entend-il remédier aux déficits des hôpitaux sur tout le territoire national, et plus particulièrement dans le département des Alpes-de-Haute-Provence ? Par ailleurs, la création du nouveau service de réanimation à l’hôpital de Manosque sera-t-elle abordée indépendamment de la situation budgétaire de l’établissement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé, qui m’a prié de répondre à votre question.
La situation des hôpitaux continue de s’améliorer. Le déficit, qui s’établissait à 475 millions d’euros en 2007, a diminué jusqu’à 185 millions d’euros en 2009 et 181 millions d’euros en 2010 pour les établissements publics de santé. Cette amélioration est le fruit de la recherche d’efficience et d’amélioration de la performance mise en œuvre ces dernières années par les hôpitaux.
Ces tendances favorables se retrouvent également pour le département des Alpes-de-Haute-Provence.
En ce qui concerne le centre hospitalier de Digne, le déficit important – 7 % des produits d’exploitation en 2008 – est en voie de résorption grâce aux efforts de l’établissement. Un audit externe est actuellement en cours et permettra de pérenniser l’amélioration des conditions de fonctionnement de l’hôpital.
Concernant l’établissement de Manosque, le déficit se réduit depuis 2008 : 1,4 million d’euros en 2008 contre 1,1 million d’euros en 2009. Il s’aggrave certes en 2010, essentiellement sous l’effet des pertes temporaires d’activité liées au déménagement dans le nouvel hôpital. Les perspectives pour 2011 sont très rassurantes et montrent la pertinence de cet investissement. L’activité a progressé de plus de 20 % depuis l’ouverture de l’établissement. J’ajoute que ce nouveau bâtiment représente un investissement de 75 millions d’euros, le plan Hôpital 2007 assurant une dotation annuelle de 3 millions d’euros afin de compenser les surcoûts.
En ce qui concerne l’activité de réanimation dans le département des Alpes-de-Haute-Provence, M. Decour, de l’IGAS, a mené une étude très approfondie sur ce sujet, dont les conclusions ont été restituées aux autorités concernées de Digne et de Manosque au premier semestre 2011. Cette étude montre clairement que le très faible volume de soins de réanimation dans le département des Alpes-de-Haute-Provence ne peut justifier l’existence de deux services de réanimation. L’activité actuelle du département ne permet d’ailleurs que difficilement d’occuper l’actuel service de réanimation du centre hospitalier de Digne. Par ailleurs, la progression significative de l’activité observée depuis l’ouverture du nouvel hôpital de Manosque n’a, à ce jour, qu’un faible impact sur les besoins de réanimation du département.
Si la conférence territoriale de santé aboutissait dans ses conclusions à vouloir transférer l’autorisation de réanimation de Digne vers Manosque, l’Agence régionale de santé serait évidemment prête à examiner cette possibilité. J’attire toutefois votre attention sur le fait que l’implantation de l’activité de réanimation sur le centre hospitalier de Manosque, dans son volume actuel, pourrait compromettre le retour à l’équilibre de l’établissement.
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.
Vous prétendez que la situation s’améliore… Pourtant, ce n’est pas ce que j’entends sur le terrain. Nous ne devons pas avoir les mêmes informations ! En tout cas, si les perspectives étaient effectivement rassurantes, je m’en réjouirais bien évidemment.
S’agissant des services de réanimation, votre réponse a le mérite de la clarté. J’en déduis que le Gouvernement juge inutile la présence de deux services de ce type dans le département des Alpes-de-Haute-Provence et met en concurrence les centres hospitaliers de Digne et de Manosque.
Cette réponse ne me satisfait pas et je ne crois pas qu’elle satisfasse davantage tous ceux qui, localement, plaident pour l’existence de deux services de réanimation dans le département.
dégradation de l'accès au service public de la santé dans les hauts-de-seine
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 1409, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le secrétaire d’État, les projets de restructuration de l’Agence régionale de santé, l’ARS, sont en train de dégrader l’accès au service public de la santé des habitants des Hauts-de-Seine.
Dans le sud du département, l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart est visé par un projet de regroupement avec les hôpitaux Bicêtre et Paul-Brousse, situés dans le Val-de-Marne.
L’hôpital Antoine-Béclère couvre actuellement quinze communes, soit près de 500 000 habitants. Cet hôpital de proximité, qui répond aux besoins de la population, est aussi un hôpital de pointe en pneumologie et en fécondation in vitro.
Le projet de l’ARS prévoit de déménager la pneumologie à l’hôpital Bicêtre, privant ainsi le sud du département des Hauts-de-Seine de quarante et un lits de spécialité, menaçant directement l’existence du service de pneumo-cardiologie ainsi que le maintien du service des urgences de l’hôpital Antoine-Béclère.
Dès lors, vers quelles structures se tourneront les Altoséquanais ?
L’hôpital privé d’Antony s’est déjà positionné pour assurer des permanences d’urgences de nuit. Il n’y a rien d’étonnant à cela ! On retrouve là le processus, à l’œuvre sur tout le territoire, de la privatisation accélérée, liée à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST.
Dans le nord du département, on observe la même logique de restriction avec les hôpitaux Louis-Mourier à Colombes et Max-Fourestier à Nanterre.
L’ARS prévoit de « redistribuer » l’offre de soins non pas en fonction des besoins, mais selon le seul critère de la rentabilité. Par exemple, l’hôpital Max-Fourestier à Nanterre perdrait la réanimation et les urgences de nuit, transférées à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes. Vidé de ces services, l’hôpital de Nanterre sera immanquablement poussé à la fermeture.
Au total, ce rapprochement se traduirait par des suppressions d’emplois, alors même que, par exemple, la maternité de Colombes, récemment en grève, souffre d’un manque criant de personnel !
À Clichy, c’est l’hôpital Beaujon qui doit être intégré dans le groupe hospitalier « Beaujon, Bichat, Bretonneau, Louis-Mourier ».
La conséquence de cette mutualisation serait la fermeture des urgences de l’hôpital Beaujon, le transfert du service de psychiatrie, alors même que cet hôpital répond aux besoins des populations de Clichy, d’Asnières, de Levallois, de Gennevilliers, de Bois-Colombes et de Villeneuve-la-Garenne, soit plus de 500 000 habitants et salariés ; 32 000 patients se présentent en moyenne chaque année aux urgences. Si ces dernières étaient fermées, ils devraient se rendre à l’hôpital Bichat à Paris, où 70 000 passages aux urgences sont déjà enregistrés chaque année !
Les restructurations engagées à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt, notamment avec la fusion des réanimations, sont de la même veine.
La situation est donc préoccupante. Les projets en cours, véritable chaos pour le service public hospitalier, sont et seront synonymes de nouvelles et profondes inégalités d’accès aux soins pour les habitants des Hauts-de-Seine. Les élus de proximité ne peuvent que s’y opposer.
Je demande donc aujourd’hui au Gouvernement de stopper ces projets. Sinon, comment compte-t-il encore pouvoir garantir aux habitants de ce département un accès de qualité et de proximité au service public de la santé ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, qui ne peut être présent ce matin au Sénat.
L’Agence régionale de santé d’Île-de-France élabore actuellement son projet régional de santé. Plusieurs projets sont en effet à l’étude, qui doivent permettre de réorganiser l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP, en véritables groupes hospitaliers, avec un meilleur pilotage de l’institution, une meilleure visibilité pour la population et une cohérence accrue sur le plan des filières de soins et de leur ancrage territorial. En outre, ces projets doivent donner lieu à une meilleure articulation avec les missions de recherche et d’enseignement.
Je répondrai point par point aux cas que vous avez évoqués.
Concernant la complémentarité des activités de l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart avec celles des hôpitaux Paul-Brousse et Bicêtre au sein du nouveau groupe hospitalier, le regroupement de l’activité de pneumologie sur un même site est en effet à l’étude, comme le souhaitent d’ailleurs les équipes de pneumologie. Il est important de préciser qu’une consultation de pneumologie sera toujours assurée sur le site de l’hôpital Antoine-Béclère et que cette nouvelle articulation n’aura pas d’impact sur l’unité de soins intensifs de cardiologie. En outre, en libérant des locaux sur le site de l’hôpital Antoine-Béclère, ce projet permettrait de mettre le service de réanimation aux normes, de créer vingt-cinq lits d’aval des urgences, d’ouvrir des lits supplémentaires de gynécologie et de gériatrie aiguë.
Par ailleurs, le projet final de la permanence des soins établit bien que l’hôpital Antoine-Béclère assurera la prise en charge des urgences chirurgicales en nuit profonde. La nouvelle organisation mise en place pour cette permanence des soins ne devrait pas avoir de conséquences sur le volume des prises en charge assurées par le service des urgences.
Concernant le nord du département, les deux établissements Louis-Mourier à Colombes et Max-Fourestier à Nanterre coopèrent depuis de nombreuses années. Un dialogue quotidien est favorisé par l’ARS entre les équipes de direction et les équipes soignantes des deux structures, qui ont aujourd’hui besoin de se réorganiser afin d’exister demain dans une offre de soins de plus en plus concurrentielle. L’objectif est de renforcer la qualité et la lisibilité de l’offre de soins de ces deux sites, au bénéfice de la population.
Enfin, concernant l’hôpital Beaujon de Clichy et le projet d’intégration dans le groupe hospitalier trois BLM « Bichat, Beaujon, Bretonneau, Louis-Mourier », il faut convenir que la multiplication de services de petite taille n’est pas propice à la qualité et à la sécurité des soins – peu d’actes de haute technicité par an et par praticien, difficulté de garantir les lignes de gardes et d’astreintes au sein d’une équipe médicale de trop petite taille – et encore moins à la lisibilité de l’offre. Dans ces conditions, la création de pôles de compétences a pour objectif de faire émerger de véritables filières de prises en charge. La création de ces pôles ne signifie pas le regroupement sur un seul et même site. L’AP-HP réfléchit à des pôles médicaux et chirurgicaux gradués et intersites.
La mutualisation des fonctions supports au sein des groupes hospitaliers, comme la blanchisserie ou la restauration, permettra par ailleurs à l’AP-HP de diminuer ses coûts de structures sans incidence sur la qualité de la prise en charge de ses patients. Surtout, cela permettra l’installation de laboratoires, de plateaux d’analyse modernes et rationnalisés.
La création des groupes hospitaliers au sein de l’AP-HP répond à un objectif de mise en place de projets médicaux cohérents. Ces projets médicaux multisites garantiront l’accès à une offre de soins plus lisible et pérenne.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je rappellerai simplement mon expérience sur le terrain.
Le protocole signé entre l’ARS, l’AP-HP et la préfecture de police de Paris avait un triple objectif : réduire les inégalités d’accès à la santé ; promouvoir l’efficience, ce qui, je le souligne, est synonyme de réduction de postes ; renforcer la qualité et la sécurité des soins.
Je constate sur le terrain que les restructurations engagées tournent le dos à ces objectifs et que la question de l’accessibilité va devenir un véritable problème pour une part importante de la population.
Monsieur le secrétaire d’État, rendez-vous compte : une ville-préfecture comme Nanterre, 90 000 habitants, où travaillent chaque jour 95 000 personnes et qui accueille 30 000 étudiants, pourrait se voir privée de son hôpital de proximité ! Franchement, c’est complètement impensable.
C’est l’illustration parfaite, me semble-t-il, de la stratégie de restriction des moyens accordés à l’hôpital public qui se met en place et se décline partout aveuglément.
Toutefois, il n’y a pas de fatalité, car on assiste heureusement à une forte résistance : des comités de défense et de promotion de l’hôpital public se mettent en place. Je tiens évidemment à saluer la lutte victorieuse des personnels de l’hôpital Henri-Mondor, qui ont réussi à faire prendre en compte ces projets alternatifs.
Dans le département des Hauts-de-Seine, nous ne sommes pas non plus en manque de mobilisation puisque des regroupements de comités locaux de défense se mettent en place autour des hôpitaux Louis-Mourier, Max-Fourestier, Antoine-Béclère et Ambroise-Paré.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande d’intervenir auprès de M. le ministre de la santé pour que l’on entende les propositions alternatives présentées par ces comités.
concurrence déloyale des auto-entrepreneurs avec les artisans
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 1473, adressée à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.
M. Jacques Mézard. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur certains effets négatifs de la distorsion de concurrence induite par les statuts respectifs des auto-entrepreneurs et des artisans.
Le statut d’auto-entrepreneur, créé par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, avait pour objectif d’encourager l’entrepreneuriat individuel. Pour ce faire, les auto-entrepreneurs bénéficient de facilités telles que des allégements de charges fiscales et sociales, une franchise de TVA ou une exonération de contribution économique territoriale durant trois ans. Ils étaient, de surcroît, initialement dispensés d’inscription au registre des métiers et de déclaration de chiffre d’affaires.
La récente loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 est revenue en partie sur ces facilités en rendant obligatoire, d’une part, l’inscription des activités exercées à titre principal au registre et, d’autre part, la déclaration du chiffre d’affaires. Enfin, les activités ne produisant aucun chiffre d’affaires durant deux années sont désormais radiées du régime.
Mais ces aménagements – et l’information nous vient de la plupart pour ne pas dire de la quasi-totalité des chambres de métiers et des confédérations de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, les CAPEB – ne suffisent pas aujourd'hui à calmer l’inquiétude des artisans et des PME face à ce qu’ils considèrent en partie comme une concurrence déloyale, rendue possible par un statut plus avantageux rendant possibles des tarifs plus compétitifs, et ce au moment où le plan de rigueur frappe de plein fouet les artisans, par le relèvement à 7 % de la TVA.
Dans le secteur du bâtiment, par exemple, de nombreux salariés quittent leur entreprise pour travailler sous le statut d’auto-entrepreneur et pratiquer ainsi le même métier à des tarifs plus bas, concurrençant directement leur ancienne entreprise. Dans mon département du Cantal, qui compte 149 000 habitants, ce sont près de 1 000 auto-entrepreneurs qui sont recensés par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, l’URSSAF, dont 20 % dans le secteur du bâtiment.
Rien qu’en septembre dernier, quatorze auto-entrepreneurs se sont inscrits au répertoire des métiers contre seulement dix artisans, même si le troisième trimestre a vu une légère décrue de 2,2 % des enregistrements.
Certes, si le régime de l’auto-entrepreneur visait à l’origine à favoriser légitimement le développement économique et la création plus facile d’entreprise, on constate aujourd'hui qu’une partie notable des créations d’entreprise sont réalisées par des salariés qui quittent leur employeur pour travailler dans des conditions plus faciles. Ce n’est pas une bonne solution, monsieur le secrétaire d’État, et je souhaiterais donc connaître les intentions du Gouvernement à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation, qui ne peut être présent ce matin au Sénat.
Je dirai tout d’abord quelques mots sur le dispositif.
Le régime de l’auto-entrepreneur a été institué par la loi de modernisation de l’économie, la LME, et est entré en vigueur au 1er janvier 2009. Les charges sociales et fiscales sont calculées en pourcentage du chiffre d’affaires et sont réglées au fur et à mesure de sa réalisation. L’auto-entrepreneur déclare mensuellement ou trimestriellement son chiffre d’affaires encaissé, même quand il est nul. Si l’auto-entrepreneur n’encaisse aucun chiffre d’affaires durant la période, il ne paie rien.
Quelles ont été les adaptations de ce dispositif ?
Pour prendre en compte les demandes des artisans, dont vous vous faites l’écho ce matin, le dispositif a été aménagé de plusieurs façons.
Premièrement, les auto-entrepreneurs sont désormais astreints au versement d’une contribution pour leur formation professionnelle : de 0,1 % à 0,3 % selon leur activité.
Deuxièmement, ils doivent nécessairement déclarer leur chiffre d’affaires, même si celui-ci est nul.
Troisièmement, la vérification du respect des conditions de qualification préalables a désormais lieu lors de l’inscription.
Quatrièmement, les auto-entrepreneurs qui exercent une activité artisanale à titre principal doivent être inscrits au répertoire des métiers.
Cinquièmement, enfin, l’auto-entrepreneur perd le bénéfice de ce régime si son chiffre d’affaires est nul pendant une période de vingt-quatre mois.
Pour renforcer la transparence des auto-entrepreneurs, comme celle des autres entrepreneurs, des textes réglementaires relatifs au respect des obligations assurantielles, notamment pour ce qui concerne l’assurance décennale, vont être mis en consultation dans les prochaines semaines. C’était d’ailleurs l’une des recommandations phare du rapport remis par le député Pierre Morel-A-L’Huissier.
Permettez-moi maintenant de dire un mot sur les résultats.
Par sa simplicité, le régime de l’auto-entrepreneur a donné un nouveau souffle entrepreneurial dans notre pays. Au 31 août 2011, l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, dénombrait 738 400 comptes auto-entrepreneurs ; le chiffre d’affaires déclaré par les auto-entrepreneurs s’est élevé à 1 milliard d’euros en 2009, à 3,2 milliards d’euros en 2010, et il est de 2 milliards d’euros environ pour les premier et deuxième semestres de l’année 2011.
Les raisons de ce succès tiennent à la possibilité à la fois de cumuler les sources de revenus et de tester sans risque un projet dans la mesure où, je le répète, l’entreprise n’a rien à payer si son chiffre d’affaires est nul. C’est cela le droit d’entreprendre. Pour le Gouvernement, ce régime a désormais atteint sa maturité.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le secrétaire d'État, un régime peut atteindre sa maturité dans des conditions qui ne sont pas pour autant satisfaisantes ! Je considère, pour ma part, que tel est le cas, au moins en partie.
Certes, nous ne remettons pas en cause ce dispositif, qui présente un certain nombre d’avantages. Toutefois, au vu de ce qui se passe sur le terrain, nous estimons qu’il est aujourd'hui nécessaire de le recentrer de manière qu’il ait vocation à devenir un tremplin vers le régime de droit commun. La bonne solution serait à notre avis de limiter dans le temps le statut d’auto-entrepreneur et d’en exclure les activités artisanales réglementées. En effet, il n’est pas sain de laisser se développer une concurrence déloyale. Or, c’est une telle concurrence que permettent les conditions actuelles d’exercice du statut d’auto-entrepreneur : compte tenu du caractère avantageux de ce statut, des salariés ont en effet la possibilité, après avoir quitté leur employeur, de pratiquer en tant qu’auto-entrepreneur des prix plus compétitifs que ce dernier !
Pour notre part, nous souhaitons que de telles dispositions soient prises.
création d'un échangeur sur l'autoroute a26
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 1382, adressée à M. le ministre chargé des transports.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre chargé des transports.
L’autoroute A26, qui relie Calais à Troyes, en passant, monsieur le secrétaire d'État, par votre ville de Châlons-en-Champagne, traverse le département de l’Aisne dans un axe nord-ouest/sud-est, par Saint-Quentin et Laon.
Géré par la SANEF, la Société des autoroutes du nord et de l’est de la France, cet axe ne compte, sur une distance de cinquante kilomètres, qu’un seul accès entre la ville-préfecture de Laon et Reims : la sortie Guignicourt.
Les élus des communes sises entre la sortie 13 Laon et la sortie 14 Guignicourt réclament une étude de faisabilité quant à l’installation d’un échangeur, à proximité de Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt, avec la D18, un aménagement qu’ils évoquent régulièrement depuis une quinzaine d’années.
En effet, le trajet entre ces sorties est de quarante kilomètres environ, et la communauté de communes de la Champagne picarde, qui regroupe quarante-huit communes situées de part et d’autre du tracé, souhaite que les habitants du territoire et les entreprises puissent accéder à l’A26 sans devoir « remonter » au nord de Laon ou « descendre » vers Reims. D’ailleurs, la communauté de communes des Portes de la Thiérache, située plus au nord, et qui compte vingt-neuf communes, s’associe pleinement à cette démarche.
S’ajoute à cela un phénomène nouveau : le covoiturage.
En effet, ce grand axe dessert les bassins d’emplois de Laon et de Saint-Quentin au nord et, plus loin encore, d’Amiens, ainsi que de Reims, vers le sud.
Dans le cadre des déplacements domicile-travail, des usagers utilisent tous les jours ce mode de transport que constitue le covoiturage. Or ils sont gênés par le manque récurrent de places de stationnement autour des aires de péage, notamment à Laon.
Ce nouvel échangeur, situé en milieu de parcours et doté d’un parking dédié au covoiturage, aurait une fréquence d’accès identique à celle des autres portions de l’autoroute. Il faciliterait non seulement le trafic dans cette partie du département, mais aussi le développement de la pratique du covoiturage. Récemment, sur l’autoroute A4, qui traverse le département dans sa partie sud, une aire de parking pour le covoiturage a été inaugurée à la sortie Château-Thierry.
À l’heure où l’on parle d’écologie et d’économie, une telle structure est de nature à inciter nos concitoyens travaillant dans ces secteurs à y laisser leur voiture particulière durant la journée.
Monsieur le secrétaire d'État, je n’ignore pas le coût d’un tel échangeur, qui avoisine les 10 millions d’euros. Toutefois, pouvez-vous nous en dire plus sur la mise en œuvre d’une étude de faisabilité et sur les modalités de financement de cet aménagement, sachant que cette demande émane de deux communautés de communes rurales aux capacités financières limitées ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question, qui permet au Gouvernement de souligner le rôle essentiel joué par le réseau routier national dans l’aménagement du territoire, et plus précisément par l’A26 que vous avez citée.
Cet axe, qui relie directement Reims à la Picardie, fait ainsi partie intégrante d’une « rocade large » qui contourne, par le nord-est, l’Île-de-France.
Le projet de réalisation de l’échangeur de Saint-Erme/Sissonne, destiné à améliorer la desserte de la Champagne picarde, a fait l’objet d’une première analyse en 1997. Le coût global de l’opération était alors apparu hors de proportion avec les avantages que pouvait procurer l’implantation de cet échangeur.
C’est avec sagesse qu’il avait été décidé à l’époque de surseoir au projet, afin de ne pas engager les collectivités locales concernées dans des dépenses trop importantes.
Je sais, monsieur le sénateur, que de nouvelles études de trafic actualisées en juin 2007 ont été réalisées sur l’initiative de la communauté de communes de la Champagne picarde. Ces études ont été transmises à la SANEF, qui a procédé à une nouvelle analyse socio-économique présentant les avantages et les inconvénients de cet aménagement, ainsi qu’une estimation du coût de l’opération.
Il ressort de cette analyse que l’échangeur sera largement déficitaire et que les recettes attendues ne couvriront pas les charges en termes d’investissement et de fonctionnement. Le bilan n’est, à l’évidence, pas favorable à cet aménagement, qui ne pourrait être mis en place que moyennant une participation financière très significative des collectivités locales.
M. le ministre chargé des transports, Thierry Mariani, a demandé à la société concessionnaire de communiquer ces éléments d’information aux collectivités concernées, ce qu’elle doit prochainement faire.
Les collectivités doivent donc désormais s’engager sur cette question que je sais sensible et épineuse. Leur accord conditionnera évidemment la suite du projet.
Telle est la réponse que le Gouvernement souhaitait apporter à votre question, qui est importante pour le développement de la Champagne picarde.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le secrétaire d'État, je suis quelque peu déçu par les éléments de réponse que vous m’avez apportés. Cela dit, j’attends avec impatience les conclusions de l’étude conduite par la SANEF, et j’espère qu’elles ne confirmeront pas vos propos. Il reviendra effectivement aux collectivités concernées d’examiner le dossier en fonction des données transmises.
remise en service de matériel ferroviaire
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 1408, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer ce matin l’attention du Gouvernement sur la situation particulièrement choquante d’un point de vue économique que connaît le site ferroviaire de Sotteville-lès-Rouen.
En effet, depuis plus de trois mois, 361 locomotives, dont 56 modèles récents, sont à l’arrêt, immobilisées sur les voies de cette grande aire de triage. Il convient d’y ajouter 320 wagons en stationnement, inutilisés depuis le même laps de temps. C’est de la gabegie !
Les machines qui se trouvent ainsi inexploitées coûtent deux millions d’euros l’unité pour ce qui est des plus récentes. Celles-ci pourraient être indifféremment utilisées pour le fret ou pour le transport des voyageurs, notamment pour le réseau des trains express régionaux.
De ce fait, douze voies sont occupées en permanence, ce qui rend impossible l’accueil, la constitution ou la réception d’un nombre conséquent de trains.
Malgré la bonne volonté, l’attention et la conscience professionnelle des salariés chargés de la surveillance de tout ce matériel ferroviaire, des actes de malveillance ou de vandalisme se sont déjà déroulés tels que, vous le savez, des vols de cuivre ou la destruction d’organes de conduite. Les locomotives dégradées par ces méfaits se retrouvent, de fait, dans l’incapacité de rouler.
Je considère – et les salariés partagent ce sentiment – que cela ne peut plus durer. C’est la propriété de la nation, l’argent des usagers et le travail des salariés que l’on gaspille ainsi.
Monsieur le secrétaire d'État, comptez-vous faire le nécessaire, et ce dans des délais très brefs, pour que ces machines et ces wagons soient affectés là où ils font défaut, là où des besoins se sont exprimés comme dans la région Nord–Pas-de-Calais, pour ne prendre que cet exemple, ou encore en Haute-Normandie pour favoriser le transport des marchandises par voie ferrée et mettre ainsi un terme à leur transfert par la route ?
J’ajoute – est-ce un hasard ou un concours de circonstances ? – que, depuis trois mois, les machines sont masquées par une rangée de wagons bâchés et sont ainsi hors de vue des milliers d’automobilistes qui empruntent chaque jour le boulevard longeant les lignes de chemins de fer. Dois-je y voir une gêne ou un malaise de la part du Gouvernement et de la direction de la SNCF eu égard à la situation que j’ai précédemment qualifiée de gabegie ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, je ne répondrai évidemment pas à votre dernière remarque ; chacun aura, je l’imagine, compris la nature de votre propos.
Vous avez appelé l’attention de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, sur la présence prolongée de locomotives sans emploi sur le site ferroviaire de Sotteville-lès-Rouen.
La non-utilisation par Fret SNCF de l’intégralité de son parc de matériel roulant de traction est la conséquence directe de la diminution du trafic de fret ferroviaire, notamment après la crise qui a affecté l’ensemble du secteur des transports de marchandises. C’est un fait, que vous pouvez certes regretter – moi-même je le regrette d’ailleurs –, mais que vous ne pouvez pas contester. Par conséquent, l’entreprise a décidé de stocker son parc excédentaire de locomotives fret sur le site de Sotteville-lès-Rouen.
Pour lutter contre les actes de malveillance et de vandalisme que vous avez à juste titre dénoncés, la SNCF a engagé, en juillet dernier, une société de gardiennage, qui surveille désormais ce site vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
Pour optimiser l’exploitation de ce parc, l’entreprise a par ailleurs conduit plusieurs actions, privilégiant bien évidemment le réemploi des machines ou leur affectation à d’autres activités.
Ainsi, sur les 450 machines regroupées sur le centre de triage de Sotteville-lès-Rouen, et dans un contexte marqué par le redressement sensible de l’activité de fret ferroviaire durant le premier semestre de 2011, 52 machines de nouvelle génération pourront être redéployées pour répondre aux besoins futurs de l’entreprise. Par ailleurs, 48 d’entre elles sont d’ores et déjà vouées à être réutilisées au profit d’autres activités et doivent quitter le site avant la fin de l’année 2011. Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement comme Fret SNCF ne restent pas immobiles.
Pour ce qui concerne enfin 350 de ces locomotives, d’ancienne génération, qui, vous le savez, sont soumises de plein droit à la réglementation en vigueur en vertu de laquelle est interdite à la vente et à la location toute machine contenant de l’amiante, l’entreprise a opté pour leur démantèlement.
Cette opération de démantèlement, qui devrait concerner une soixantaine de locomotives d’ici à la fin du semestre, résulte notamment d’un arbitrage de l’entreprise sur les investissements à consentir pour remettre en service des locomotives à potentiel échu ou pour financer des interventions de désamiantage. Ce démantèlement, qui doit in fine permettre à la SNCF de récupérer des pièces pour les réutiliser en interne ou les mettre en vente sur le marché, a été confié au technicentre industriel de Rouen Quatre Mares.
Pour leur part, les pouvoirs publics demeurent attentifs aux conditions dans lesquelles l’entreprise procédera, au cours des prochains mois, à l’évacuation et à la valorisation de ce parc, en optimisant le réemploi de celui-ci au profit d’autres activités. Dans ce cadre, le Gouvernement a demandé au président de la SNCF de faire un point précis sur le déroulement de ces opérations.
Telle est la réponse que le Gouvernement souhaitait vous apporter, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie pour ce commencement de réponse.
Vous avez parlé de la diminution du fret ; mais il faudrait à tout le moins appliquer en Haute-Normandie, et plus précisément dans le département de la Seine-Maritime, les mesures prises dans le cadre du Grenelle de l’environnement ! Cela permettrait de faire rouler nos locomotives et nos wagons et de faire travailler les salariés de la SNCF, ce qui contribuerait largement à maintenir le centre de triage de Sotteville-lès-Rouen.
Monsieur le secrétaire d'État, je tenais à vous rappeler ces faits. Je n’ai pas été le seul à intervenir sur ce dossier, mais nous y reviendrons encore si le besoin s’en fait sentir.
projet de « métro transmanche »
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la question n° 1461, adressée à M. le ministre auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le secrétaire d’État, le 15 septembre 2011, le ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement a lancé les Assises du ferroviaire.
Cette réflexion conduite sur quatre mois, menée par une assemblée constituée de l’ensemble des acteurs du secteur, souhaite, notamment, aborder le sujet de l’amélioration de la qualité des services ainsi que le thème du ferroviaire français au cœur de l’Europe.
C’est précisément à ces deux préoccupations que le projet de « métro transmanche », qui est porté par des responsables économiques et politiques des deux côtés du Channel, pourrait répondre pleinement.
En effet, une infrastructure ferroviaire, peu coûteuse, qui relierait le nord de la France – Calais-Fréthun – au sud-est de l’Angleterre – Ashford – est actuellement à l’étude. Elle mettrait la Côte d’Opale à une trentaine de minutes du Kent et connecterait ainsi le Nord-Pas-de-Calais, durement frappé par le chômage, à un bassin d’emploi qui recrute.
Cette liaison ferroviaire, qui ne serait que le prolongement vers l’Angleterre de la ligne de transport régional déjà existante, ne pèserait pas trop lourd en matière d’investissements et contribuerait aussi à redynamiser la région nord de la France, avec un accroissement du tourisme et des investissements britanniques.
Le tunnel sous la Manche n’est utilisé aujourd'hui qu’à la moitié de sa capacité et l’extension internationale de cette ligne ne demanderait donc qu’un ajustement à la marge, des matériels roulants et du personnel.
Les différentes parties prenantes – Eurotunnel, la SNCF, la région Nord-Pas-de-Calais et d’autres – semblent toutes vivement espérer une évolution favorable du projet, avec une mise en place qui pourrait peut-être même se faire avant les prochains jeux Olympiques de Londres, l’été prochain.
Ce projet pourrait aussi contribuer à donner une dimension nouvelle aux concepts d’« Europe des régions » et de « citoyenneté européenne », auxquels nous sommes nombreux à être attachés et qu’il nous faut approfondir.
Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais connaître l’implication du ministère des transports dans ce dossier et son éventuel calendrier prévisionnel, pour que cette zone transfrontalière unisse des territoires qui ont tout à gagner à une meilleure interaction et pourraient opportunément contribuer à la réduction du chômage en France.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la sénatrice, vous avez interrogé Thierry Mariani, qui m’a demandé de bien vouloir vous répondre, sur le très important et ambitieux projet que vous portez : la réalisation d’un « métro transmanche » entre le Nord-Pas-de-Calais et le Kent en Angleterre.
Vous l’avez indiqué, ce nouveau mode de transport représente un potentiel important pour l’emploi, grâce aux échanges entre ces deux régions, qui ne sont distantes que d’une cinquantaine de kilomètres en train.
Vous avez déjà identifié, d’ailleurs, des trains Eurostar aujourd’hui non utilisés par cette entreprise et qui seraient disponibles pour devenir les « métros transmanches ».
Sur d’autres aspects du dossier, votre travail est encore en cours, et je voudrais, au nom de Thierry Mariani, vous apporter le soutien du Gouvernement en la matière.
Je sais que vous avez déjà échangé avec la région Nord-Pas-de-Calais. C’est à elle qu’il reviendra, en tant qu’autorité organisatrice, de passer un contrat avec une entreprise ferroviaire pour effectuer ce service.
Cependant, comme vous le savez, l’organisation des transports n’est pas décentralisée en Grande-Bretagne. La région française, en réalité, n’a pas d’homologue britannique. Cela ne bloque bien évidemment pas votre projet, mais rend plus difficile la coordination bilatérale.
Pour résoudre cette difficulté, Thierry Mariani prépare actuellement un projet de loi qui permettra la création de groupements européens de coopération territoriale dans le domaine du transport ferroviaire, afin qu’une région puisse s’associer directement avec les autorités nationales d’un autre État, en l’occurrence la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, le passage dans le tunnel sous la Manche requiert des contrôles de sûreté, notamment pour les bagages, et d’identité car le Royaume-Uni, comme vous le savez, n’est pas membre de l’espace Schengen. Le ministère de l’intérieur a récemment créé un groupe de travail pour réfléchir à l’organisation des contrôles et limiter leur impact sur les temps de trajet, tout en renforçant la lutte contre l’immigration clandestine. Le projet de « métro transmanche » pourrait en bénéficier.
Enfin, Eurotunnel a indiqué qu’il était prêt à apporter une aide au démarrage sous la forme d’une diminution de ses tarifs de péage. Bien entendu, il restera nécessaire de confirmer avec la région les conditions de l’équilibre économique de cet important projet.
Votre calendrier de mise en place du service pour les jeux Olympiques de Londres est très ambitieux, mais le Gouvernement ne peut que vous inciter à garder cette échéance en vue pour mobiliser le plus rapidement possible l’ensemble des partenaires de cette opération.
Le Gouvernement vous encourage donc à poursuivre vos travaux, qui s’inscrivent, comme vous l’avez noté, dans le développement du transport par train et de la qualité de service.
Le ministère des transports est évidemment favorable à la mise en œuvre de ce projet. Thierry Mariani m’a téléphoné ce matin pour me demander de bien insister auprès de vous sur le soutien que vous apporte le Gouvernement. Il m’a assuré qu’il suivra personnellement ce dossier, en étroite coordination avec vous-même.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le secrétaire d'État, je vous sais gré de ces précisions très utiles et je remercie Thierry Mariani des avancées que vous nous avez exposées.
En période de crise internationale, comme celle que nous vivons, le Gouvernement se doit d’être réactif et de mettre en place des mesures de bon sens pour aider, autant que faire se peut, à résoudre ces difficultés.
Ce projet est certes ambitieux, mais il est aussi de bon sens. Il me semble donc indispensable d’avancer le plus vite possible sur le dossier. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je me permettrai de vous suggérer la tenue d’une réunion de toutes les bonnes volontés concernées des deux côtés de la Manche. (M. le secrétaire d’État acquiesce.) Vous pouvez compter, bien évidemment, sur mon soutien et mon engagement sur ce dossier.
reconduction des contrats « mesures agro-environnementales territorialisées » dans les marais charentais
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet, auteur de la question n° 1384, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
M. Michel Doublet. Monsieur le secrétaire d'État, ma question porte sur les mesures agro-environnementales territorialisées, ou MAE-T.
Encore une question sur les MAE-T, me direz-vous ! J’en conviens, mais ces mesures revêtent un caractère important pour la Charente-Maritime et nos marais charentais, d’autant que nous arrivons au terme des cinq années de la contractualisation.
La période 2007-2011 a permis la souscription de contrats pour 26 290 hectares, dont 17 000 hectares en contrats 2 et 3. Ces contrats concernent huit cents exploitations à l’échelle du département de la Charente-Maritime.
Cette situation témoigne par ailleurs d’un renouvellement quasi systématique des anciens contrats MAE-T. Ce nouveau dispositif a permis de toucher des parcelles nouvelles, car les surfaces habituellement sous contrat oscillent entre 23 000 et 25 000 hectares depuis 1991.
À l’inverse, force est de constater que le déclin du nombre d’exploitations d’élevage se poursuit, conformément aux tendances départementales : le dispositif MAE-T comptait environ un millier de bénéficiaires dans les années 1990.
L’ensemble des marais charentais fait l’objet de démarches Natura 2000, et tous les documents d’objectifs mettent en avant le rôle central des MAE-T dans la préservation des prairies permanentes de marais et le soutien de l’activité d’élevage.
Le bon état de conservation des marais ne dépend pas uniquement des pratiques agricoles, mais il se trouve que l’activité agricole permet l’entretien de la majeure partie des surfaces. Cette situation met ainsi en avant la responsabilité du dispositif MAE-T pour l’entretien de ces espaces sensibles.
Toutefois, les cinq années de mise en œuvre ont été également l’occasion de pointer les limites du dispositif, dont je vous ai fait part à maintes reprises : retards de paiement récurrents, lourdeur administrative liée à la conditionnalité de la politique agricole commune, difficultés d’instruction des dossiers liées au logiciel OSIRIS.
Le financement du dispositif reste une préoccupation majeure. Dans un contexte de sécheresse, et à la suite des conséquences de la tempête Xynthia, la situation des élevages en zones humides reste fragile et la poursuite des MAE-T constitue pour beaucoup la condition de maintien de l’élevage.
Cette préoccupation est d’autant plus d’actualité que les contrats de 4 000 hectares en 2012, et de 7 000 hectares pour 2013, dernière année de la programmation du Fonds européen agricole pour le développement rural, ou FEADER, arrivent à échéance.
La fin du programme FEADER rend impossible de réaliser des versements au-delà de 2015. Cette modalité risque de modifier la durée des contrats, qui était jusqu’à présent de cinq années.
Les acteurs de la Charente-Maritime sont mobilisés pour assurer la pérennité d’un dispositif qui vise des objectifs à la fois environnementaux et socio-économiques.
Je prends acte de votre décision, faisant suite à l’aval de la Commission européenne, de verser par anticipation certaines aides de la PAC, pour tenir compte de la sécheresse et de leurs incidences sur la trésorerie des agriculteurs.
En conséquence, monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous me faire part des mesures que vous comptez mettre en œuvre en la matière ? Envisagez-vous, notamment, la mise en place d’indemnités spéciales « zones humides » ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, je vous demande tout d’abord de bien vouloir excuser Bruno Le Maire, qui est empêché. Vous l’avez interrogé sur les mesures agro-environnementales territorialisées, les MAE-T.
Le Gouvernement partage l’intérêt que vous portez à ces mesures essentielles pour accompagner les exploitants agricoles dans la voie d’une agriculture plus durable tout en préservant la performance économique de leurs systèmes d’exploitation.
En effet, l’exploitant s’y engage de manière volontaire sur plusieurs années.
Bruno Le Maire a ciblé ces mesures sur deux axes essentiels : le maintien de la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’eau. Au titre des années 2010 et 2011, plus de 120 millions d’euros seront mobilisés pour les financer. Cet effort sera poursuivi en 2012.
À la fin de la campagne 2010, plus de 18 000 exploitants étaient engagés sur une MAE-T, pour une surface de près de 550 000 hectares. En lien avec les autres financeurs que sont l’Union européenne, les collectivités territoriales et les agences de l’eau, le paiement annuel de ces mesures représente un montant total de plus de 97 millions d’euros ; en y ajoutant la prime herbagère agro-environnementale, il s’élève à 341 millions d’euros.
Les chiffres que vous avez cités illustrent parfaitement l’engagement de l’État. Les financements mobilisés ont permis de prendre en compte la totalité des demandes présentées par les exploitants, notamment dans les zones sensibles du marais poitevin.
Comme vous le soulignez, la gestion de la campagne 2010 a cependant rencontré certaines difficultés de mise en œuvre. Pour la campagne 2011, des mesures ont été prises afin d’accélérer la mise en paiement des dossiers.
Ainsi, Bruno Le Maire a demandé que le paiement des dossiers ayant été engagés avant 2011 et qui sont sans changement, soit assuré avant le 31 décembre 2011. Les paiements ont débuté le 2 décembre 2011. Les dossiers avec changement, liés aux nouvelles surfaces engagées ou aux pertes de surface, seront payés au plus tard le 31 mars 2012. Des instructions précises ont été données en ce sens aux services déconcentrés et à l’Agence de services et de paiement.
Concernant les difficultés liées à la fin de gestion du Programme de développement rural hexagonal, des instructions ont été adressées aux services déconcentrés afin d’éviter de rompre la dynamique de contractualisation des MAE-T.
Ces instructions autorisent, pour certaines mesures, une prorogation de deux ans des contrats arrivant à terme en 2012 et d’un an pour ceux qui parviennent à échéance en 2013, ce qui les conduira à la fin de la programmation actuelle. Pour les autres MAE-T, ou pour les nouveaux dossiers, les engagements pourront être pris pour les années 2012 et 2013, avec application de la clause de révision en 2014, liée à la mise en œuvre de la PAC post-2013.
Voilà, monsieur le sénateur, les réponses que Bruno Le Maire souhaitait apporter à votre question.
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. Je prends acte des engagements qui viennent d’être évoqués, notamment celui selon lequel tous les contrats seront réglés au 31 décembre 2011. Ce n’est pas une surprise pour moi car, chaque fois que je pose la question, on me répond que le problème est en cours de règlement ! J’espère que, cette fois, les promesses seront tenues, parce que la situation pose de réels problèmes aux agriculteurs du département dont je suis l’élu. Je fais confiance à Bruno Le Maire pour les régler et pour tenir les délais annoncés.
politique d'urgence sociale à paris et en île-de-france
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la question n° 1470, transmise à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d'État, l’hébergement d’urgence, comme vous le savez, est notoirement insuffisant. Une enquête de novembre 2011 de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, fait apparaître que 62 % des demandes formulées au 115 ne donnent pas lieu à une attribution d’hébergement, principalement faute de places disponibles.
Les restrictions budgétaires en 2011 ont en effet conduit à des fermetures de places d’hébergement et d’hôtel sans que des places alternatives suffisantes et adaptées ne soient proposées aux personnes.
Ainsi, le projet de loi de finances pour 2012 prévoit une baisse de 14,4 % par rapport à ce qui a été réalisé en 2010 pour l’hébergement d’urgence, ainsi qu’une réduction du nombre de places. La situation est tout à fait préoccupante, notamment en Île-de-France et à Paris. J’ai déjà exprimé cette préoccupation au cours du débat budgétaire. Vous m’aviez alors répondu, mais la situation n’a changé en rien.
Faute de moyens financiers, l’État ne peut faire face à son obligation en matière de droit au logement opposable, le DALO, de droit à l’hébergement opposable, le DAHO, et d’accueil inconditionnel. Les services d’urgence sont amenés à refuser des places aux personnes sans abri et à réduire leurs activités de première nécessité.
Enfin, selon de nombreux acteurs, on voit apparaître une remise en cause frontale du principe d’accueil inconditionnel pour les publics migrants et demandeurs d’asile dans certaines préfectures, comme celles du Calvados, du Haut-Rhin, de la Vienne, de l’Yonne et de la Moselle.
Quant à la capitale, le Conseil parisien de la jeunesse vient de dresser un constat effrayant : 28,9 % des personnes isolées hébergées par le SAMU social en 2009 avaient moins de trente ans et 13,4 % moins de vingt-cinq ans. Le taux de chômage des jeunes parisiens est en constante augmentation – 38 % depuis deux ans – et 16 % d’entre eux vivent désormais sous le seuil de pauvreté.
Aujourd’hui, il manque 13 000 places d’accueil en Île-de-France et l’on prévoit déjà de supprimer 4 500 places d’hôtel, sans avoir de visibilité sur les 4 500 logements qui doivent, en principe, les remplacer.
La Ville de Paris pallie les manques d’une politique qui relève pourtant de l’État. Elle a accordé une subvention de 300 000 euros au SAMU social, financé 1 700 places d’hébergement d’urgence et de maison de relais sur les 2 000 prévues en six ans. Par ailleurs, 1 000 logements ont été affectés dans le cadre du dispositif « Louer solidaire et sans risque ! ».
Monsieur le secrétaire d'État, l’État va-t-il assumer ses responsabilités et trouver les moyens suffisants pour faire face à l’obligation de résultat qui lui incombe en ce domaine, afin de dépasser une gestion saisonnière du problème ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame Nicole Borvo Cohen-Seat, lors de la discussion budgétaire, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ces sujets-là ; je vous apporterai donc à peu près les mêmes réponses que celles que j’avais formulées à l’époque !
Dans votre intervention, vous avez évoqué des restrictions budgétaires – lesquelles ? –, des réductions du nombre des places – lesquelles ? –, mais j’attends encore les preuves de la véracité de telles restrictions budgétaires – aucune baisse n’est prévue – et de telles réductions du nombre des places – aucune diminution n’a lieu, que ce soit en Île-de-France ou en France –, car c’est même l’inverse qui se produit !
Voici les chiffres : cette année, on dénombre 116 000 places d’hébergement, soit une augmentation de 30 % depuis 2007, et même de 65 % pour la seule Île-de-France, qui vous intéresse tout particulièrement, bien sûr. Si vous appelez cela une réduction de places, c’est que nous n’avons pas la même définition de ce terme !
Vous avez également dénoncé une remise en cause de l’accueil inconditionnel. C’est faux, exception faite de deux départements sur une centaine, mais, à chaque fois, le Gouvernement a bien évidemment pris toutes ses responsabilités et rappelé à l’ordre les préfectures concernées !
Selon vous, il manquerait 13 000 places en Île-de-France. Je vous rappelle que cette estimation est la somme de toutes les demandes des associations. En l’occurrence, je ne suis donc pas sûr que l’on puisse considérer le chiffre avancé par les uns ou les autres comme étant objectif !
S’agissant du SAMU social de Paris, son budget est en augmentation de 100 % par rapport à 2007 – il a donc doublé depuis cette date – et il progressera encore cette année.
Enfin, nous considérons que l’hébergement n’est pas une fin en soi, car le logement à l’hôtel, que ce soit à Paris ou en Île-de-France, ne constitue pas une solution adaptée à la situation des personnes concernées.
Nous louons tous les soirs 12 000 chambres d’hôtels en Île-de-France pour une durée moyenne de séjour de dix-huit mois sans accompagnement social. Pour une famille, est-ce vraiment là une solution pertinente ? Je ne le crois pas.
C’est la raison pour laquelle nous avons, avec l’ensemble du secteur associatif, engagé une nouvelle stratégie, celle du « Logement d’abord ». Cela consiste, par exemple, à transformer ces places d’hôtels en logements. Toutefois, bien évidemment, nous ne fermerons les chambres d’hôtels qu’à partir du moment où les personnes qui s’y trouvent auront emménagé dans un logement : cela marche dans ce sens et non dans l’autre !
Par conséquent, madame la sénatrice, le Gouvernement reste totalement mobilisé pour sortir de la rue ceux qui y vivent encore aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, décidément, il nous est impossible de nous comprendre et de nous entendre.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est dommage, car nous pourrions au moins être d’accord sur la réalité !
Les chiffres sont ceux du secteur associatif, dites-vous. Mais heureusement qu’il existe des associations pour s’occuper des personnes qui ne trouvent aucun hébergement,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... sinon celles-ci mourraient en plus grand nombre encore ! Faut-il vous rappeler qu’à Paris une femme a récemment accouché d’un bébé mort-né sur le trottoir ?
Je sais que vous affirmerez le contraire, mais je vous signale que les moyens dont disposent les associations pour faire face à toutes les missions qu’elles accomplissent sont aussi en baisse.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous le niez, mais, moi, je vous dis que c’est la réalité, car je sais très bien que les subventions aux associations baissent !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par conséquent, les associations éprouvent de grandes difficultés. Malgré cela, elles continuent néanmoins à pallier les insuffisances des services publics, faute de moyens encore une fois.
Par ailleurs, réaliser des calculs à partir de 2007 revient à faire abstraction de l’augmentation considérable du nombre des gens qui sont dans le besoin et qui se trouvent à la rue.
Si vous voulez me faire dire que l’hôtel n’est pas une solution extraordinaire, j’en suis absolument d’accord ! Car moi, au moins, quand c’est vrai, je le reconnais… Néanmoins, vous ne pouvez pas prétendre engager une nouvelle stratégie, celle du « Logement d’abord ». En effet, si l’objectif est bon, comprenez qu’une transition est nécessaire. Or ce n’est pas en diminuant les moyens…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr que si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si, vous diminuez les moyens par rapport aux besoins. Par conséquent, je fais mien l’appel au secours des associations et de certains élus, qui considèrent que l’État ne fait pas face à ses responsabilités au regard des énormes besoins en hébergement d’urgence aujourd’hui, et croyez bien que je le regrette !
suppressions d'emplois dans le secteur de la vente à distance
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, auteur de la question n° 1415, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
M. Éric Bocquet. Ma question s’adresse effectivement à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé et porte sur la vente à distance ou vente par correspondance.
Chacun le sait, ce secteur économique pèse d’un poids important dans le département du Nord dont je suis l’élu, et plus particulièrement dans l’agglomération lilloise. Les enseignes en sont connues : La Redoute, les Trois Suisses, La Blanche Porte, Vert Baudet, entre autres. Le chiffre d’affaires de ces entreprises est encore aujourd’hui de 11 millions d’euros par an. Or ce secteur a perdu la moitié de ses emplois en dix ans.
MM. François Fillon, Premier ministre, et Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sont venus dans notre région voilà quelques mois, afin de lancer un plan de reconversion des salariés victimes des restructurations pour un montant de 37 millions d’euros. Le plan arrive à terme au 31 décembre de cette année.
Les dirigeants des entreprises ont annoncé au début de 2011 près de 500 suppressions d’emplois. Parmi les salariés, l’inquiétude est légitimement vive, chacun le comprendra. On ne peut accepter que ceux-ci soient, une fois de plus, appelés à payer les erreurs stratégiques du groupe qui n’a pas su anticiper le virage numérique, technologique.
Pour mémoire, alors que le chiffre d’affaires du groupe reste important, pour une travailleuse ayant trente ans d’ancienneté dans l’entreprise le salaire net, il faut le rappeler, est de 1 022 euros !
Monsieur le secrétaire d'État, je vous demande donc quelles dispositions le Gouvernement entend prendre pour aider les salariés à préserver leur emploi et l’avenir de ce secteur d’activité ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, tout d'abord, je vous prie d’excuser l’absence de Xavier Bertrand, qui est actuellement retenu par la signature d’une charte pour le développement de l’emploi et la dynamisation des ressources humaines entre son ministère et un grand groupe de restauration rapide, texte qui devrait conduire à la création de 9 000 nouveaux emplois en France d’ici à 2014.
Les entreprises de la vente à distance relèvent, pour l’essentiel, de grands groupes qui doivent mettre en œuvre le congé de reclassement pour l’accompagnement de leurs salariés.
Les entreprises de la vente à distance n’ont jamais sollicité les services du ministère pour la mise en œuvre de mesures de chômage partiel. Elles ont seulement demandé des conventions d’allocations temporaires dégressives, avec uniquement le bénéfice d’une exonération de charges sociales sur les sommes allouées.
Par ailleurs, le Gouvernement, également sollicité par votre collègue député Bernard Gérard, reste attentif au contenu des plans de sauvegarde de l’emploi qui seront mis en œuvre et qui comporteront des mesures significatives en matière d’aide au reclassement des salariés.
En outre, afin de préserver les emplois et les compétences dans le secteur, un accord-cadre national de trois ans pour le développement de l’emploi et des compétences a été signé en juin 2009 entre l’État, le FORCO, le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais et le syndicat professionnel de la vente à distance.
L’objectif est, à la fin de 2011, d’accompagner 8 325 salariés pour un montant de dépenses de 8 millions d’euros. Deux cents entreprises ont adhéré à cet accord.
Concrètement, il s’agit d’actions de formation et d’accès à la qualification des salariés de la branche, mais également d’actions destinées à accompagner le développement du e-commerce, un sujet sur lequel votre collègue député Bernard Gérard s’est particulièrement investi, et à développer des mécanismes pour sécuriser les parcours professionnels.
Au total, sur cette période, la participation de l’État s’élève à près de 5 millions d’euros.
Compte tenu du fait que la moitié des effectifs salariés de la branche résident dans la région Nord-Pas-de-Calais et que les entreprises généralistes les plus touchées y sont également concentrées, cet accord national est géré par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du Nord-Pas-de-Calais.
Voilà, monsieur le sénateur, la réponse que M. Xavier Bertrand souhaitait vous apporter.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de ces éléments de réponse.
Vous comprenez bien que ma question était double.
Elle portait, tout d’abord, sur la situation d’urgence que nous connaissons. Je vous remercie des informations que vous m’avez données sur ce point.
Toutefois, dans un département comme le Nord, où le taux de chômage est malheureusement supérieur de 3 % à la moyenne nationale et où le revenu moyen figure parmi les plus faibles de France – pour ne prendre que ces deux indicateurs –, chacun comprendra l’inquiétude particulièrement légitime des salariés de ce secteur.
J’en viens donc au second aspect de ma question. Au-delà de cette situation d’urgence, les salariés souhaitent vraiment que ce secteur soit préservé et développé, afin d’enrayer le déclin que l’on connaît depuis de nombreuses années et qui suscite, bien évidemment, de l’inquiétude.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué les grands groupes. En l’occurrence, on a affaire, vous avez raison, à de très grands groupes. Étant donné que, en raison de la crise, on vante beaucoup, ces dernières semaines, les bienfaits de la réindustrialisation, de la redynamisation de l’activité économique, il faudrait, selon moi, dans ce secteur comme dans de nombreux autres, consacrer beaucoup d’argent à l’investissement dans l’emploi, dans la formation et dans l’amélioration de l’outil.
avenir du centre hospitalier sud-francilien d'évry
M. le président. La parole est à M. Michel Berson, auteur de la question n° 1459, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
M. Michel Berson. Madame la secrétaire d'État, le nouveau centre hospitalier sud-francilien, né de la fusion des hôpitaux d’Évry et de Corbeil-Essonnes, doit ouvrir ses portes le 23 janvier prochain. Les personnels, les usagers et les élus locaux sont légitimement inquiets quant à l’avenir très incertain de cet équipement public.
Le centre hospitalier a été construit par le groupe Eiffage sur la base d’un partenariat public-privé. Outre qu’un tel contrat est inapproprié pour un hôpital en raison de l’évolution constante des normes sanitaires et des technologies médicales, les clauses financières du contrat vont obliger le centre hospitalier à faire face, pendant trente ans, à un coût exorbitant en termes de loyer et de maintenance.
Quelque 38,8 millions d’euros en 2011, 42 millions d’euros en 2012 : ces montants ne sont financés qu’à hauteur de 50 % par l’agence régionale de santé, alors que les comptes de l’hôpital public sont dans le rouge depuis plusieurs années, comme vous le savez, madame la secrétaire d’État.
De plus, le groupe Eiffage exige le paiement immédiat de 115 millions d’euros au titre des surcoûts qu’il aurait assumés, et de 60 millions d’euros supplémentaires au titre des loyers, dont le versement serait étalé sur les trente ans du bail emphytéotique hospitalier, ou BEH. Dans de telles conditions, il est clair que le centre hospitalier, à peine né, n’est pas viable. De fait, il est dans l’incapacité d’assumer le coût financier colossal du PPP.
Au nom de quoi cet établissement devrait-il subir les conséquences financières d’un bail conclu au seul avantage du groupe Eiffage ?
La chambre régionale des comptes d’Île-de-France a d’ailleurs souligné que le recours à une maîtrise d’ouvrage publique financée par l’emprunt eût offert une solution moins coûteuse, moins hasardeuse et surtout mieux maîtrisable par l’établissement.
Madame la secrétaire d'État, il faut abandonner immédiatement ce PPP : il faut négocier la reprise de la gestion des bâtiments par l’hôpital lui-même et, pourquoi pas ? – le temps d’élaborer une solution définitive –, le transfert temporaire de sa propriété à une entité publique, telle que la Caisse des dépôts et consignations.
Du reste, la négociation nécessaire pour rompre ce PPP serait bien moins onéreuse que les trente ans de conflits juridiques et financiers, voire de déficits structurels, que susciteraient non pas une mauvaise gestion mais les graves erreurs de conception de cet équipement hospitalier.
Dans ce cadre, nous devons défendre l’intérêt général, les intérêts de l’hôpital public et non pas ceux d’un groupe privé : à cette fin, la négociation avec le groupe Eiffage doit s’engager au bon niveau, c'est-à-dire non pas à l’échelle de l’établissement en question, mais à celle du ministère qui, voilà cinq ans, a imposé la signature de ce PPP.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il, oui ou non, la volonté politique d’engager une négociation pour l’abandon de ce PPP calamiteux pour les finances publiques ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Xavier Bertrand, qui m’a demandé de vous communiquer la réponse suivante.
Le nouveau centre hospitalier sud-francilien d’Évry joue un rôle majeur pour garantir des soins de qualité à un bassin de population très dynamique sur le plan démographique. Le nouveau bâtiment contient plus de 1 000 lits et places, dont un peu plus de 700 dans les domaines de la médecine, de la chirurgie et de l’obstétrique, la MCO. Ce chantier a été conduit en partenariat avec le groupe Eiffage – vous l’avez souligné – dans le cadre d’un BEH signé le 11 juillet 2006.
L’ouverture de cet établissement aux patients est prévue le 23 janvier 2012. Elle aura lieu en toute sécurité, les locaux répondant parfaitement aux usages et aux préconisations en vigueur.
Comme pour chaque chantier qui arrive à son terme, des réserves ont été exprimées par les futurs utilisateurs de l’édifice à la suite des audits techniques approfondis qui ont été conduits sans pour autant révéler des problèmes importants. Depuis lors, ces réserves ont d’ailleurs été levées et la mise en conformité technique des bâtiments a été réalisée.
La sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d’incendie procédera aux visites réglementaires le 12 janvier prochain. Il est très probable que l’agrément soit accordé, dans la mesure où de nombreux essais ont déjà été menés avec succès, le vendredi 9 décembre dernier. La mise en service sera ensuite échelonnée sur près de trois mois pour garantir aux usagers la continuité des soins entre les édifices existant et les nouveaux bâtiments.
Monsieur le sénateur, Xavier Bertrand comprend l’attention que vous portez au bon usage des ressources publiques et au coût que ce PPP représente pour la collectivité. Si la chambre régionale des comptes d’Île-de-France a jugé le coût du BEH trop élevé, un récent rapport de l’Inspection générale des finances, complété par une nouvelle mission d’expertise, tend à infirmer cette conclusion, dans la mesure où un grand nombre de coûts et de charges n’ont pas été intégrés aux calculs dont elle procède.
Tout d’abord, les coûts des travaux sont identiques à ceux qu’induirait une maîtrise d’ouvrage traditionnelle : le loyer immobilier du BEH est du même ordre de grandeur que le coût des travaux associé aux charges financières liées aux emprunts. En effet, dans ce cadre, les coûts de construction et de financement obtenus sont tout à fait compétitifs.
En outre, la construction a été particulièrement rapide : cinq années seulement se sont écoulées entre la signature du bail et la mise à disposition du bâtiment.
Enfin, cet édifice est certifié HQE, c'est-à-dire « haute qualité environnementale », ce qui signifie qu’il sera particulièrement économe en énergie.
Du reste, concernant la maintenance, l’exploitation et le gros entretien, les loyers sont de facto intégrés au coût du BEH, mais ils n’ont pas été pris en compte par les premières estimations effectuées sur la base d’une maîtrise d’ouvrage classique. Ces dépenses sont cependant importantes et correspondent, dans le cas présent, à des prestations de très bonne qualité, garantissant que le bâtiment sera encore en très bon état lorsqu’il entrera dans le patrimoine public à l’échéance du BEH.
M. le président. La parole est à M. Michel Berson.
M. Michel Berson. Madame la secrétaire d'État, la réponse de M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé est à la fois très décevante et particulièrement surprenante. En effet, elle traduit un recul considérable de la position du Gouvernement sur ce grave problème.
Voilà quelques semaines, M. Xavier Bertrand avait pourtant reconnu que la situation exigeait des mesures urgentes. Or vous déduisez des conclusions de l’Inspection générale des finances que tout va bien, en contradiction avec toutes les observations consignées, notamment par la chambre régionale des comptes !
Je fais miens les propos tenus par le ministre lui-même il y a seulement quelques semaines : à ce jour, cet établissement n’est pas viable et il est nécessaire de renégocier au moins les conditions de maintenance et de loyer, si ce n’est la totalité du BEH.
Nous allons au-devant de graves difficultés : l’équilibre financier de cet hôpital n’est plus assuré depuis plusieurs années et, je le répète, cet établissement est dans l’incapacité de supporter toutes les charges qui lui sont imposées par le PPP.
Madame la secrétaire d’État, cette réponse aura pour effet d’alarmer encore davantage les salariés de cet hôpital, les élus locaux qui le défendent et les patients qui y seront bientôt admis.
Nous ne pouvons pas en rester là et nous n’en resterons pas là ! Nous continuerons à agir pour que le Gouvernement prenne réellement conscience de la gravité de cette situation, qui ne peut demeurer inchangée.
statut des membres d'un syndicat mixte compétent en matière d'aménagement du territoire
M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir, auteur de la question n° 1417, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
M. Rachel Mazuir. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur le statut des membres d’un syndicat mixte qui se verrait attribuer des compétences en matière d’aménagement touristique.
Ma question porte plus précisément sur les termes du premier alinéa de l’article L. 342-1 du code du tourisme : « En zone de montagne, la mise en œuvre des opérations d’aménagement touristique s’effectue sous le contrôle d’une commune, d’un groupement de communes ou d’un syndicat mixte regroupant des collectivités territoriales. »
À la lecture de cet article, on pourrait – j’emploie à dessein le conditionnel – comprendre que, en zone de montagne, un syndicat mixte ne peut être compétent pour réaliser les opérations d’aménagement précitées si l’un de ses membres est un groupement de communes.
Un groupement de communes et un syndicat mixte composé de collectivités territoriales pourraient, certes, effectuer des opérations d’aménagement touristique, chacun séparément. Toutefois, dès lors qu’un tel groupement de communes décide d’adhérer à un semblable syndicat mixte, ce dernier deviendrait incompétent et serait donc dans l’incapacité d’assumer ses attributions statutaires. C’est assez surprenant !
Or, aujourd’hui, la très grande majorité des stations de ski sont gérées, soit par des sociétés d’économie mixtes, les SEM, soit par des syndicats mixtes, comptant souvent parmi leurs membres un établissement public de coopération intercommunal, ou EPCI.
Ce n’est pas là l’unique contradiction que présente cette disposition législative. En effet, toujours pour ce qui concerne les zones de montagne, l’article L. 342-9 du code du tourisme autorise les communes et leurs groupements à s’associer aux départements pour organiser le service des remontées mécaniques, incluant les installations nécessaires à l’exploitation des pistes de ski.
Ce regroupement de collectivités territoriales donne le plus souvent naissance à un syndicat mixte. Or, si un syndicat mixte composé d’un EPCI est compétent au regard de cet article pour installer des remontées mécaniques, pourquoi ne le serait-il pas pour gérer l’ensemble des opérations d’aménagement touristique en zone de montagne ?
Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais par conséquent obtenir des précisions sur l’application du premier alinéa de l’article L. 342-1 du code du tourisme : un EPCI peut-il être membre d’un syndicat mixte compétent en matière d’aménagement du territoire ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le sénateur, vous citez avec raison les termes du premier alinéa de l’article L. 342-1 du code du tourisme, issu de l’article 42 de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.
Comme vous l’indiquez, l’interprétation de cette disposition implique qu’un syndicat mixte n’est pas compétent pour réaliser les opérations d’aménagement visées à l’article L. 342-1 du code du tourisme dès lors qu’il compte parmi ses membres un groupement de collectivités territoriales, tandis qu’un syndicat mixte similaire pourrait être compétent, par exemple, pour organiser le service des remontées mécaniques.
Toutefois, il ne faudrait pas que, faute d’instruments institutionnels adéquats, cette situation entraîne la multiplication des structures de gestion diverses et des doublons, qui sont une source d’inefficience pour l’action publique locale.
Afin de permettre aux opérations d’aménagement touristique de se poursuivre en montagne dans le respect de la législation en vigueur pour les remontées mécaniques, et dès lors que l’EPCI concerné exerce la compétence en matière d’aménagement en lieu et place de ses communes membres, le Gouvernement ne s’oppose pas à une réflexion sur une éventuelle évolution de la législation en la matière.
En tout état de cause, une telle réflexion devra s’inscrire dans la philosophie de la loi portant réforme des collectivités territoriales, qui a fixé un objectif de rationalisation des structures existantes pour une meilleure efficacité du service public, à un moindre coût. Monsieur le sénateur, M. Claude Guéant constate avec joie que vous visez le même objectif que lui.
M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir.
M. Rachel Mazuir. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. À vous entendre, une évolution de la législation semble se dessiner, afin que les syndicats placés dans cette situation – je songe, notamment, pour ce qui concerne le département dont je suis l’élu, au syndicat mixte des Monts Jura – puissent poursuivre comme par le passé leurs activités et échappent ainsi à cette ambiguïté qui leur interdirait de facto de les exercer.
achats en ligne par les collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 1395, transmise à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
M. Hervé Maurey. Au sein de cette assemblée particulièrement sensible aux problèmes des collectivités territoriales, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur une difficulté, à première vue très facile à résoudre, que rencontrent de nombreuses communes ou communautés de communes pour effectuer leurs achats en ligne.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, avant de préciser les termes de ma question, je tiens à vous faire part d’un certain agacement suscité par les délais avec lesquels le Gouvernement répond aux questions écrites des parlementaires, quand toutefois il daigne y répondre...
La question que je m’apprête à vous poser, qui n’est pourtant ni compliquée ni taboue, reste sans réponse…
M. Roland Courteau. C’est souvent le cas !
M. Hervé Maurey. … depuis le 4 février 2010, date à laquelle j’avais souhaité interroger le ministre de l’époque par le biais d’une question écrite figurant au Journal officiel. Une question de relance a également été publiée le 30 décembre 2010.
Je me permets de vous le rappeler, madame la secrétaire d’État, les questions écrites et orales des parlementaires sont partie intégrante de la mission de contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Hervé Maurey. L’absence de réponse est non seulement la traduction d’un manque de correction, voire d’un certain mépris, à l’égard du Parlement, mais également une entrave à l’exercice du pouvoir de contrôle des parlementaires.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Hervé Maurey. Je dois également préciser que, dans certains cas, les réponses obtenues n’ont de réponses que le nom, car elles n’apportent pas les précisions demandées et se limitent parfois à paraphraser la question posée, ce qui confine au détournement de procédure. Je tiens à votre disposition des exemples précis.
En l’absence de réponse à mes deux questions écrites, j’ai donc aujourd’hui recours à cette question orale, qui devrait obtenir, du moins je l’espère, une réponse aussi simple que la question elle-même.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas sûr ! (Sourires.)
M. Hervé Maurey. Le succès du e-commerce en France ne se dément pas : rien que pour le premier semestre de 2011, les achats en ligne sont à l’origine d’un chiffre d’affaires de près de 17,5 milliards d’euros, en augmentation de 20 % par rapport à 2010. D’ici à la fin de l’année, ce montant devrait être porté à 37 milliards d’euros, soit plus du double.
Les collectivités et leurs groupements sont très souvent privés de ces facilités, car la plupart des sites internet n’acceptent pas les mandats administratifs, seul moyen, vous le savez, dont disposent les collectivités pour leurs achats.
Seuls quelques sites très spécialisés les autorisent, limitant ainsi le choix et la concurrence dont pourraient utilement bénéficier les communes, au moment où celles-ci doivent, plus que jamais, gérer leurs ressources au plus juste.
J’attire votre attention, madame la secrétaire d’État, comme je l’ai fait dans mon rapport sur l’aménagement numérique des territoires, sur le fait que l’appétence pour le commerce en ligne, en constante augmentation, est plus importante dans nos territoires les plus ruraux que dans les villes moyennes.
Pensez-vous proposer aux collectivités des moyens de paiement plus conformes aux standards de paiement en ligne ?
Pourquoi ne pas engager une discussion avec la Fédération du e-commerce et de la vente à distance, qui représente les professionnels de la vente en ligne, pour trouver des solutions appropriées ?
Voilà un problème facile à régler, madame la secrétaire d’État ! Cela pourrait, me semble-t-il, apporter des solutions concrètes, simples et utiles à nos collectivités.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de Valérie Pécresse, qui ne pouvait être présente ce matin pour vous répondre.
Dans un souci de simplification des relations avec les fournisseurs et afin de permettre aux collectivités et établissements publics locaux de se conformer aux usages du commerce, l’instruction du 24 janvier 2005 de la Direction générale des finances publiques a élargi les domaines pour lesquels sont autorisés les paiements des dépenses publiques dès la commande sur des sites internet de vente en ligne.
Par ailleurs, ce texte précise les pièces justificatives de ces dépenses, notamment celles qui sont à exécution successive et résultent d’une commande passée sur internet. Enfin, il énumère les différentes modalités de règlement des achats réalisés par internet. Le document portant commande en ligne, ainsi que, le cas échéant, toute pièce complémentaire établissant les conditions financières de l’achat doivent être produits au comptable à l’appui du mandat de dépense émis par l’ordonnateur.
De manière générale, le paiement des dépenses des organismes publics locaux par les comptables publics s’effectue par virement. Cela étant, d’autres modes de règlement peuvent être utilisés dès lors que le montant des dépenses concernées n’excède pas le seuil de 750 euros par opération, au-delà duquel le virement est obligatoire, sachant que de tels achats restent aussi soumis aux règles fixées par le code des marchés publics.
L’article R. 1617-11 du code général des collectivités territoriales prévoit que les régisseurs des collectivités et établissements publics locaux peuvent effectuer des achats de matériel et de fonctionnement dans la limite du seuil de 1 500 euros fixé par l’arrêté du 3 septembre 2001. Les moyens de règlement qu’ils peuvent utiliser sont fixés par ledit code. Le régisseur peut notamment payer en ligne à la commande, au moyen d’une carte bancaire, l’acquisition des produits et services dont la nature a été fixée par l’acte constitutif de la régie l’autorisant à utiliser ce moyen de paiement.
La réglementation en vigueur satisfait donc déjà les besoins que vous venez d’évoquer, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir rappelé la réglementation et apporté certaines précisions importantes, qui témoignent des assouplissements d’ores et déjà apportés à la règle stricte du paiement par mandat administratif.
Néanmoins, si j’ai posé cette question, c’est parce que la situation, de toute évidence, n’est pas totalement satisfaisante ; dans le cas contraire, je n’aurais pas jugé utile d’interroger le Gouvernement à ce sujet.
Aussi pourriez-vous a minima retenir la suggestion que je viens de formuler, en engageant une discussion avec les représentants du e-commerce et les collectivités locales, par le biais, sans doute, de l’Association des maires de France, en vue d’améliorer le dispositif actuel.
les fouilles au corps abusives
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteur de la question n° 1396, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au centre de détention de Salon-de-Provence, un homme de 61 ans, incarcéré depuis cinq ans, était systématiquement soumis à une fouille à nu à l’issue de chacune de ses visites au parloir.
Ce détenu à la conduite irréprochable a obtenu le 19 août dernier la suspension de ces fouilles corporelles intégrales systématiques, par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille.
Constatant qu’un tel régime de fouilles n’était pas justifié par des raisons de sécurité, le magistrat a estimé que l’administration pénitentiaire avait porté « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de l’intéressé […] de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant ».
Si nous pouvons nous féliciter de cette décision de justice, l’inquiétude reste forte s’agissant de la persistance de la pratique de fouilles corporelles systématiques et, je le précise, injustifiées, qui sont interdites, notamment par les textes internationaux et par la loi française.
L’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 pose en effet un principe de proportionnalité, en exigeant que la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux] nécessités [de la sécurité] et à la personnalité des personnes détenues », ainsi qu’un principe de subsidiarité, qui ne permet les fouilles intégrales que « si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ».
Or, dans le mémoire produit en défense devant le tribunal administratif de Marseille, le ministère de la justice conclut que, au motif que « la zone des parloirs est un lieu sensible, car un point de contact entre les personnes détenues et leurs visiteurs », il paraît justifié « que soient organisées des fouilles de personnes détenues à leur retour » des parloirs.
Madame la secrétaire d'État, permettez-moi de juger inquiétant, voire dramatique, qu’une telle volonté de non-application des dispositions prévues par la loi en matière de fouilles provienne du ministère de la justice.
Le Conseil d’État a jugé, le 9 septembre 2011, qu’une fouille corporelle intégrale répétée à la sortie de chaque parloir autorisé impose à l’intéressé une contrainte grave et durable.
Il convient de noter également que certains personnels de surveillance, qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, dénoncent, eux aussi, le caractère à la fois dégradant et souvent inutile des fouilles corporelles intégrales.
Face aux témoignages non seulement de détenus mais aussi de surveillants, relayés à plusieurs reprises par l’Observatoire international des prisons, je souhaiterais connaître les intentions réelles du Gouvernement concernant la persistance de ces pratiques.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Madame le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. le garde des sceaux, qui m’a chargée de vous répondre.
La nécessité de trouver un équilibre entre le respect de la dignité de la personne détenue et les impératifs de sécurité en établissement pénitentiaire constitue un objectif fort et permanent de l’administration pénitentiaire, en particulier s’agissant de la réalisation des divers contrôles et fouilles qui ponctuent la vie de la personne en détention.
Le régime applicable en matière de fouilles a dernièrement fait l’objet d’une évolution normative significative, pour prendre en compte les exigences des jurisprudences européenne et nationale.
En effet, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les fouilles systématiques des détenus non fondées sur des impératifs de sécurité imposés par les circonstances sont à proscrire. Se référant à l’arrêt El Shennawy du 14 novembre 2008 de la CEDH, le Conseil d’État considère que les fouilles doivent, pour être conformes aux normes applicables, en particulier à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, réunir les conditions de nécessité, d’adaptation au motif poursuivi et de proportionnalité des moyens employés.
L’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et les articles R. 57-7-79 à R. 57-7-82 du code de procédure pénale issus du décret n° 2010-1634 en date du 23 décembre 2010 énoncent la nécessité d’adapter la nature de la fouille et sa fréquence aux circonstances de la vie en détention, au profil de la personne détenue et aux risques encourus en termes de sécurité et d’ordre.
Ces nouvelles dispositions impliquent une évolution des pratiques professionnelles fondées jusqu’alors sur des fouilles systématiques dans certaines circonstances. Une circulaire d’application immédiate a été diffusée aux services déconcentrés de l’administration pénitentiaire le 14 avril dernier. Elle présente les principes de nécessité et de proportionnalité qui doivent encadrer chaque opération de fouille d’une personne détenue, quelle que soit la nature de la fouille ou le lieu de détention de l’intéressé.
Compte tenu de l’évolution significative des pratiques professionnelles, la circulaire a été présentée aux services chargés de l’appliquer avant sa publication. Les chefs d’établissement ont veillé tout particulièrement à sa mise en œuvre et à l’application des nouvelles dispositions, ce qui implique également une actualisation des règlements intérieurs des établissements, qui est encore en cours pour certains d’entre eux.
Toutefois, si la modification des pratiques nécessite du temps, M. le garde des sceaux tient à vous assurer, madame le sénateur, de l’implication de l’ensemble de la direction de l’administration pénitentiaire, qui accompagne les services déconcentrés dans cette démarche et vérifie que les dispositions prises au plan local et relatives aux mesures de contrôle respectent le nouveau cadre juridique applicable.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. J’entends bien votre réponse, madame la secrétaire d’État, en particulier lorsque vous faites état de l’évolution de la réglementation en vigueur.
Il n’empêche que certains règlements intérieurs prévoient toujours une fouille systématique au retour des parloirs. Une telle règle est appliquée dans de très nombreux établissements.
Vous avez mentionné la loi pénitentiaire de 2009 et la législation européenne. Or, le 27 avril 2010, lors de son audition par le Comité contre la torture de l’ONU, M. Jean-Baptiste Mattéi, qui est le représentant permanent de la France auprès de l’Office des Nations unies à Genève, a rappelé que, depuis la loi pénitentiaire et en application de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg à laquelle vous faisiez allusion, le caractère systématique des fouilles était désormais proscrit et que celles-ci n’avaient lieu qu’en cas de nécessité suggérée par des indices sérieux.
Pourtant, la réalité est bien différente ! On observe la détérioration de conditions de détention déjà difficiles par ces pratiques tout à fait dégradantes. Le dernier rapport de l’Observatoire international des prisons, publié le 7 décembre dernier, fait malheureusement état d’une recrudescence des suicides en prison, malgré tous les plans de prévention.
Ainsi, les fouilles systématiques au retour du parloir me semblent constituer une cause aggravante au regard de la situation des personnes emprisonnées. Je rappelle que quatre-vingt-dix-sept détenus se sont donné la mort au cours des dix premiers mois de l’année.
J’espère par conséquent que cette circulaire sera rapidement mise en application par tous les établissements.
point sur les violences conjugales
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 1404, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.
M. Roland Courteau. Je souhaite attirer l’attention de Mme la ministre des solidarités et de la cohésion sociale sur les deux lois relatives à la lutte contre les violences au sein des couples ou à l’égard des femmes.
La première loi, celle du 4 avril 2006, dont j’étais l’auteur, vise à prévenir et à réprimer les violences commises au sein du couple ou contre des mineurs. La seconde, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, résulte de l’examen en commun d’une proposition de loi déposée par les députés et d’une proposition de loi que j’avais présentée avec mes collègues du groupe socialistes.
Cinq ans après l’adoption de la première loi en France sur ce grave problème et plus d’un an après l’adoption du second texte, quel bilan peut-on tirer de leur application ?
Aux termes de l’article 13 de la loi du 4 avril 2006, il est prévu que « le Gouvernement dépose, tous les deux ans, sur le bureau des assemblées parlementaires, un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples ».
Si un premier rapport a bien été présenté il y a quelque temps, avec retard d’ailleurs, nous sommes toujours dans l’attente de celui qui aurait dû être déposé en avril 2010 sur le bureau des assemblées parlementaires.
Par ailleurs, selon l’article 29 de la loi du 9 juillet 2010, un rapport devait être remis par le Gouvernement avant le 31 décembre 2010 sur la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes. À ma connaissance, ce rapport n’a pas encore été présenté.
De plus, sous quels délais le Gouvernement entend-il nous présenter le rapport concernant la formation spécifique en matière de prévention et de prise en charge de ces violences, prévu à l’article 21 de la même loi ?
Je souhaite également connaître quelles mesures ont été prises pour mettre en application l’article 19 de cette loi, qui favorise l’accès au logement social pour les victimes de violences.
De même, quelles instructions ont été données aux chefs d’établissement scolaire afin que les dispositions prévues à l’article 23 de ce texte et concernant des séances d’information en direction des élèves soient régulièrement appliquées ? Je rappelle que cette information porte sur l’égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre les préjugés sexistes, ainsi que la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple.
J’attire une nouvelle fois l’attention de Mme la ministre sur l’importance des besoins dans la plupart des départements, notamment en matière d’accueil d’urgence des victimes.
Enfin, j’avais interrogé Mme Bachelot-Narquin sur l’insertion professionnelle des femmes victimes de violences. Il m’avait été répondu que cette insertion devrait être intégrée dans le suivi d’un parcours individualisé, afin d’aider les victimes à retrouver leur autonomie et leur indépendance financière. Sur ce point, également, il me serait agréable de savoir quelles mesures ont été mises en œuvre de façon concrète.
Enfin, force est, hélas ! de constater que les deux lois auxquelles j’ai fait référence ne sont pas suffisamment connues, notamment des victimes et de nombre d’intervenants. C’est fâcheux, car une meilleure connaissance des dispositions contenues dans ces textes éviterait, parfois, la multiplication de situations dramatiques.
Pour conclure, j’ai été stupéfait de constater que l’ordonnance de protection était si peu demandée, donc si peu délivrée. Quand elle est prononcée, c’est parfois au bout de délais très – trop – longs.
Or je rappelle que, selon la loi, lorsque la victime est en danger, le juge aux affaires familiales peut lui délivrer en urgence – j’insiste bien sur cette exigence, car il est des cas où l’intervention se doit d’être extrêmement rapide –, une ordonnance de protection. Pourtant, dans la pratique, cette procédure est décidée deux, trois, voire quatre semaines après que la victime en a fait la demande !
Je sollicite donc des précisions sur l’ensemble des initiatives que le Gouvernement entend prendre au sujet des différents points que je viens d’évoquer.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l’attention du Gouvernement sur l’application des dispositions de deux lois : la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs et la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
Les chiffres demeurent terrifiants : une femme décède tous les deux jours et demi sous les coups de son compagnon ; on estime à 650 000 le nombre de femmes de 18 à 75 ans ayant déclaré en 2010 avoir été victimes de violences sexuelles ou physiques hors et dans le ménage ; près d’une femme sur dix dans notre pays, soit 3 millions de femmes, ont été victimes de violences au cours de leur vie.
Comme vous le savez, la mise en œuvre de ces deux lois est aujourd'hui pleinement engagée.
Ce sont ainsi près de 600 ordonnances de protection qui ont été prononcées depuis 2010.
Par ailleurs, le Gouvernement a présenté un troisième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2011-2013, qui mobilisera 31,6 millions d’euros, soit 30 % de moyens supplémentaires par rapport au plan précédent.
La question de la formation des professionnels concernés est également prise en compte par ce plan. En outre, celui-ci, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, développe des actions d’information au sein des écoles en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes ou commises au sein du couple, conformément à l’objectif fixé par la loi du 9 juillet 2010.
Pour améliorer la sensibilisation au fléau que sont ces violences, le Gouvernement a lancé une campagne d’information nationale le 25 novembre dernier lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
M. Roland Courteau. Conformément à la loi !
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Cette campagne d’information portait sur les violences conjugales, mais aussi les viols et les agressions sexuelles. Elle encourageait les femmes à « oser parler » de ces agressions, en composant le 3919.
Nous tenons à remercier très vivement tous les parlementaires qui ont accepté de porter, à cette occasion, le ruban blanc, symbole international, depuis 1991, de la lutte contre les violences faites aux femmes. Ils ont ainsi témoigné de leur attachement à cette cause qui dépasse les clivages partisans.
Faut-il encore rappeler qu’elle concerne également la prostitution, violence faite aux femmes, violence de genre ?
La ministre des solidarités et de la cohésion sociale, Roselyne Bachelot-Narquin, a eu l’occasion de réaffirmer sa détermination devant le Parlement le 6 décembre dernier, à l’occasion de l’examen de la proposition de résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution.
Je le dis ici avec fermeté : la prostitution constitue une profonde atteinte à la liberté et à la dignité des femmes.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État. Nous devons lutter sans relâche contre toutes les formes de violences faites aux femmes.
Il s’agit pour nous d’être cohérents avec notre volonté de construire une démocratie où la dignité des femmes est garantie et l’égalité entre les femmes et les hommes une réalité enfin quotidienne.
Pour cela, je ne doute pas qu’il faille encore bien du temps et qu’un long chemin devra être parcouru avant de faire changer certaines mentalités.
C’est l’honneur du Parlement que d’avoir voté ces lois à l’unanimité ; c’est l’honneur du Gouvernement, monsieur le sénateur, que de les mettre en œuvre.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la secrétaire d’État, concernant la prostitution, peut-être faudrait-il revoir la loi de 2003, qui sanctionne le racolage actif ou passif. En effet, les prostituées sont, dans la plupart des cas, des victimes et non des coupables.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie de votre réponse et je prends acte de vos propos sur un certain nombre de points.
Je note, cependant, que vous ne m’avez pas apporté les précisions que j’avais demandées sur la non-publication d’un certain nombre de rapports. Or les deux textes de loi auxquels j’ai fait référence en posant ma question obligent le Gouvernement à déposer ces rapports sur le bureau des assemblées parlementaires.
Je serai extrêmement attentif aux suites qui seront réservées à ma question orale.
C’est un dossier que je ne lâcherai jamais : trop de souffrances, de détresses, de malheurs gravitent autour de ce type de violences, qu’il faudra bien un jour parvenir à éradiquer !
Vous ne m’avez pas non plus donné de réponse sur l’ordonnance de protection, que j’ai également évoquée. Les délais à l’issue desquels celle-ci est délivrée sont trop longs. N’oublions pas que la victime est en danger. Sur ce point, madame la secrétaire d'État, il serait bon que vous fassiez savoir au ministre de la justice qu’une circulaire serait la bienvenue afin de concilier à la fois l’exigence de rapidité et le respect des droits de la défense. Il est en effet urgent d’agir.
Il se pourrait bien, d’ailleurs, que nous déposions très prochainement une proposition de résolution en ce sens.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Scrutins pour l’élection de membres représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et pour l’élection de juges à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle :
- les scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ;
- et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République.
Pour les scrutins relatifs à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en application des articles 2 et 3 de la loi n° 49-984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise. Je vous indique que, pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter, pour chacun des scrutins, plus de six noms, sous peine de nullité.
Pour le scrutin relatif à la Cour de justice de la République, la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu et, pour être valables, les bulletins ne peuvent pas comporter plus de six noms pour les juges titulaires et plus de six noms pour les suppléants, le nom de chaque titulaire devant être obligatoirement assorti du nom de son suppléant. En conséquence, la radiation de l’un des deux noms, soit celui du titulaire, soit celui du suppléant, entraîne la nullité du vote pour l’autre.
Les juges titulaires et les juges suppléants à la Cour de justice de la République nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République auront lieu simultanément, dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.
Je prie MM. Jean Boyer, Marc Daunis, Alain Dufaut, François Fortassin, Mme Odette Herviaux et M. Jean-François Humbert, secrétaires du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote et de dépouillement.
Je déclare ouverts :
-les scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ;
-et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République.
Ils seront clos dans une heure.
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Dépôt d’une question orale avec débat
Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le président du Sénat a été saisi de la question orale avec débat suivante :
n° 8 - Le 15 décembre 2011 - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur l’état des prisons françaises et l’application de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.
Faisant suite à de nombreux rapports, tel le rapport sénatorial de juin 2000 « Prisons : une humiliation pour la République », la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 était destinée à garantir le respect de la dignité et des droits minima des détenus.
Aujourd’hui, les observations du Contrôleur général des lieux de privation de libertés, celles de l’Observatoire international des prisons ou d’associations intervenant dans les établissements pénitentiaires témoignent que la loi n’est pas entrée dans les faits sur des points importants. Il s’agit par exemple de l’accès aux soins ou au travail ; des aménagements de peine qui n’ont pas les moyens de leur mise en œuvre ; des fouilles intégrales encore trop souvent la règle ; de l’encellulement individuel, loin d’être réalité.
Des juridictions administratives ont été amenées à prononcer des condamnations pour des conditions de détention non respectueuses de la dignité des personnes.
Quant à la surpopulation carcérale croissante, elle complique l’application de la loi.
Elle lui demande comment il entend mettre fin à cet état inacceptable des prisons en France, dénoncé depuis plus de dix ans par les parlementaires. (Déposée et communiquée au Gouvernement le 13 décembre 2011 – annoncée en séance publique le 13 décembre 2011.)
Conformément aux articles 79 et 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.
6
Service citoyen pour les mineurs délinquants
Rejet d’une proposition de loi en nouvelle lecture
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants (proposition n° 115, rapport n° 148).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner, dans le cadre de l’article 45, alinéa 4, de la Constitution, la proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants. La commission mixte paritaire n’est en effet pas parvenue à trouver un compromis sur le texte, ce qui n’a surpris personne…
Le texte que la Haute Assemblée examine aujourd’hui est identique à celui qui avait été voté par l’Assemblée nationale en première lecture. Comme lors de la précédente lecture, vous avez fait le choix de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
Je ne reviendrai pas sur le détail du dispositif, dont nous avons déjà débattu.
En revanche, je veux insister sur le fait que ce texte s’inscrit pleinement dans la philosophie de notre politique pénale pour les mineurs, qui combine la nécessité de sanctionner et celle de construire, ou de reconstruire, le jeune, afin de pouvoir le réinsérer dans la société. Il ne remet pas en cause les principes fondateurs de cette politique, tels qu’établis par l’ordonnance de 1945 et de nouveau consacrés par une récente décision du Conseil constitutionnel. En donnant la primauté à l’éducatif, tout en retenant le principe du volontariat, le service citoyen institué par la proposition de loi doit permettre aux jeunes délinquants de s’inscrire dans un véritable parcours de réinsertion.
S’agissant du contrat de service dans un centre relevant de l’Établissement public d’insertion de la défense – l’EPIDe – tel que le prévoit le texte, la mesure pourra être prononcée par le magistrat au titre de la composition pénale, dans le cadre d’un ajournement de peine ou comme obligation attachée à un sursis avec mise à l’épreuve. Cette mesure ne s’adressera qu’à des mineurs âgés de plus de 16 ans et ayant exprimé leur consentement à la suivre.
Le volontariat est en effet au cœur du dispositif, car chacun sait que la réinsertion est d’autant plus efficace qu’elle s’inscrit dans une démarche d’adhésion de l’intéressé.
Pour les mineurs, plus encore que pour les majeurs, nous devons adapter la réponse pénale à la diversité des profils et imaginer toutes les solutions de nature à permettre une prise en charge efficace. Pour ma part, j’ai la certitude qu’il ne faut se priver d’aucun outil pour favoriser la réinsertion d’un mineur délinquant. Le service citoyen est un instrument original, susceptible de répondre aux besoins de certains mineurs.
L’autorité judiciaire dispose d’ores et déjà d’une large palette de solutions permettant d’adapter la réponse pénale au profil du délinquant. Il s’agit aujourd’hui de compléter les mesures que le juge peut prononcer, pour une prise en charge la plus efficace possible.
Les EPIDe accueilleront, pour leur part, des jeunes qui auront certes commis une infraction, mais qui ne seront pas ancrés dans la délinquance. Ils seront intégrés au sein du public actuel de ces établissements et représenteront environ 10 % de l’ensemble des personnes accueillies. Il est en effet important que ces mineurs désorientés ne soient pas stigmatisés, ni ostracisés. Je suis convaincu que les jeunes majeurs auront un effet d’entraînement sur les plus jeunes. Ils bénéficieront tous du même traitement pour les activités collectives, à la différence près que les mineurs effectueront en plus, dans le cadre d’un programme individualisé, un travail sur l’acte de délinquance qu’ils auront commis.
La mise en œuvre du service citoyen que vise à instaurer cette proposition de loi suppose, bien évidemment, de renforcer le dispositif existant de l’EPIDe et d’abonder ses moyens afin de créer progressivement de nouvelles places dédiées. Ainsi, dès février 2012, les trois centres de Bourges, de Belfort et de Val-de-Reuil pourront accueillir les premiers mineurs concernés. Les personnels d’encadrement bénéficieront à cet effet d’une formation spécifique, afin de permettre une prise en charge rapide et efficace de ces nouveaux publics. D’ici à juin 2012, quinze centres pourront accueillir des mineurs délinquants.
Un travail de grande qualité est en cours entre les services de l’EPIDe et le ministère de la justice. L’EPIDe est prêt à accueillir et à former les « volontaires juniors », comme les dénomme la direction de l’établissement, dès le mois de février. Leur accueil commencera dans douze centres, puis sera étendu à trois autres. Le dispositif connaîtra donc une montée en charge progressive jusqu’à octobre 2012.
Madame Klès, vous signalez, dans votre rapport, que vous n’avez trouvé aucune indication quant aux crédits nécessaires au financement de la mission. En premier lieu, je vous rappelle que la mission n’a pas pour le moment d’existence légale étant donné qu’elle n’est pas encore votée. En second lieu, je vous précise que ce n’est qu’à partir de 2013, c’est-à-dire quand le dispositif sera pleinement mis en œuvre, que la totalité du financement sera nécessaire. Je souligne que chacun des ministères concernés participera à hauteur de 2 millions d’euros. Pour le ministère de la justice, cette contribution se fera à budget constant.
L’EPIDe et les services de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, travaillent également sur l’extension de la convention existante relative à l’intégration de majeurs suivis par la PJJ. Cette convention modifiée, qui devrait être finalisée et signée dans les semaines à venir, permettra de fixer les modalités de fonctionnement du dispositif, à l’échelon tant national que local.
Je tiens à remercier le directeur général de l’EPIDe pour son implication dans ce projet, et ce au nom du Gouvernement dans son ensemble, puisque plusieurs ministères – outre celui de la justice, ceux de la défense, de l’emploi et de la ville – y travaillent avec lui.
Par ailleurs, toujours dans le souci de moderniser la justice des mineurs tout en préservant son identité et ses spécificités, le texte vise, dans son second volet, à mettre notre droit en conformité avec les exigences posées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 8 juillet et 4 août derniers.
Sur proposition du Gouvernement, l’Assemblée nationale a ainsi introduit un article qui tire les conséquences de ces décisions quant à la composition du tribunal pour enfants et du tribunal correctionnel pour mineurs et aux modes de poursuite devant ce dernier.
Ces dispositions permettent d’abord de renforcer l’impartialité des juridictions pour mineurs, en prévoyant notamment que le juge des enfants qui aura instruit l’affaire et l’aura renvoyée pour être jugée ne pourra pas présider le tribunal.
La proposition de loi précise ensuite, s’agissant des modalités de saisine du tribunal correctionnel pour mineurs institué par la loi du 10 août 2011 pour les récidivistes de plus de 16 ans, que le parquet aura la faculté de demander au juge des enfants le renvoi du mineur devant ce tribunal dans un délai compris entre dix jours et un mois. Ce mode de poursuite par voie de requête devant le juge des enfants assure la conciliation du rôle de ce magistrat, tel qu’il est défini par le Conseil constitutionnel, avec l’exigence d’apporter une réponse rapide – lorsque, bien sûr, cela est possible.
En créant le contrat de service citoyen, la proposition de loi qui vous est soumise vise à élargir le champ des réponses à la délinquance des mineurs, nous donnant ainsi un nouveau moyen de prévenir la récidive.
J’appelle la représentation nationale à ne pas se priver de ce nouvel outil de réinsertion sociale et professionnelle des mineurs délinquants, et je vous invite par conséquent à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Virginie Klès, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc appelés aujourd'hui à examiner en nouvelle lecture la proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants. En dépit de ce que pourrait donner à croire son intitulé, ce texte, comme vous venez de le dire, monsieur le ministre, a en fait un double objet.
Il s’agit, d’une part, de créer 166 places dans les centres relevant de l’EPIDe pour l’accueil de mineurs délinquants. Je ne vois pas très bien en quoi cela correspondrait à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants…
Il s’agit, d'autre part, au travers de l'article 6, introduit par le biais de l’adoption d’un amendement du Gouvernement lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, de prendre en compte de récentes décisions du Conseil constitutionnel. Cet article peut, j’y insiste, être qualifié de « cavalier législatif », dans la mesure où il propose une organisation différente de la justice pénale des mineurs, sans que celle-ci ait fait l’objet d’aucune concertation avec les professions concernées, alors que l’objet de la proposition de loi n’a rien à voir avec l’organisation de la justice pénale des mineurs.
L’article 6 vise notamment à raccourcir certains délais de présentation des mineurs devant la justice, ce qui n’a pas non plus grand-chose à voir avec l’instauration d’un service citoyen pour les mineurs délinquants, ni avec la création de 166 places dans les centres relevant de l’EPIDe.
Comme en première lecture, aucun amendement n’a été déposé, en particulier par l’ancienne majorité sénatoriale. Cela ne laisse pas de m’étonner puisque, d’après nos collègues de droite, le texte n’était pas parfait et méritait d’être amendé.
En tout état de cause, la proposition de loi prévoit de placer des mineurs délinquants dans des centres relevant de l’EPIDe, quel que soit en fait le délit qu’ils auront commis. En effet, la mesure pourrait être décidée dans le cadre d’une composition pénale, d’un ajournement de peine ou d’une peine d’emprisonnement avec sursis accompagné d’une mise à l’épreuve. Que l’on puisse envisager de placer dans une structure fonctionnant selon le régime de l’internat mixte ouvert des mineurs délinquants sans trop se soucier de la nature des infractions commises me paraît surprenant et potentiellement dangereux.
Je rappelle que certains majeurs suivis par la PJJ sont aujourd'hui accueillis dans des centres relevant de l’EPIDe, avec des résultats des plus variables. Si ceux-ci sont plutôt bons et comparables aux résultats concernant d’autres majeurs non suivis par la PJJ lorsque les intéressés sont en phase post-sentencielle, c’est-à-dire après qu’ils ont été jugés, il n’en va pas de même quand ils sont en phase pré-sentencielle : les choses se passent alors presque toujours mal. Dans ce second cas, ils ont d’ailleurs, en général, été placés dans un centre relevant de l’EPIDe par les missions locales, sans que ce dernier ait forcément connaissance de leur parcours judiciaire.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit que l’EPIDe était prêt à accueillir des mineurs délinquants : sans doute, mais à condition d’en avoir les moyens ! L’EPIDe a toujours clairement indiqué qu’il souhaitait disposer de quarante à quarante-cinq équivalents temps plein travaillé supplémentaires pour accueillir des mineurs délinquants, ne serait-ce que parce que, juridiquement, des moyens d’encadrement supplémentaires sont nécessaires. En effet, ce ne sont pas les mêmes personnels qui s’occupent de majeurs non délinquants ou en phase post-sentencielle et de mineurs délinquants en phase pré-sentencielle. Sans un renforcement de la formation, de l’encadrement et des moyens, l’EPIDe ne pourra assumer cette nouvelle mission dans de bonnes conditions.
À cet égard, je n’ai pas encore trouvé la moindre trace, dans le budget, des 8 millions d’euros annoncés. Vous nous expliquez aujourd'hui, monsieur le ministre, que cela est dû au fait que le texte n’est pas encore voté.
Mme Virginie Klès, rapporteure. Pourtant, selon la rumeur,…
Mme Nathalie Goulet. Il ne faut pas se fier à la rumeur !
Mme Virginie Klès, rapporteure. … on préparerait l’arrivée en grande pompe et à grand renfort de communication d’un premier mineur délinquant dans un centre relevant de l’EPIDe ! Il n’est donc pas toujours nécessaire d’attendre le vote de la loi pour mettre en place les moyens d’appliquer certaines décisions !
M. Louis Nègre. Les voies budgétaires sont impénétrables !
Mme Virginie Klès, rapporteure. Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez indiqué que la contribution du ministère de la justice au dispositif interviendrait à budget constant. Or il n’en est rien : les crédits alloués à l’EPIDe sont en baisse !
Mme Virginie Klès, rapporteure. Le programme 102, principal contributeur, prévoyait 50 millions d’euros pour l’EPIDe en 2010, 48,8 millions d’euros en 2011, mais il lui affectera 46,6 millions d’euros seulement en 2012. Quant au programme 147, il prévoyait 25 millions d’euros à ce titre en 2010 et 24,4 millions d’euros en 2011, contre 23,7 millions d’euros en 2012. Le budget n’est donc pas constant, puisque les crédits destinés à l’EPIDe sont en diminution de 2,9 millions d’euros par rapport à 2011 !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Me permettez-vous de vous répondre sur ce point, madame le rapporteur ?
Mme Virginie Klès, rapporteure. Monsieur le ministre, j’ai trouvé ces chiffres dans les « bleus » budgétaires de cette année, je ne les ai pas inventés !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous ne voulez pas être interrompue parce que vous ne voulez pas entendre la vérité !
Mme Virginie Klès, rapporteure. Pas du tout, mais quand vous avez la parole, vous ne supportez pas que je vous interrompe !
Mme la présidente. Monsieur le ministre, vous aurez tout loisir de répondre à Mme la rapporteure dans la suite du débat.
Veuillez poursuivre, madame la rapporteure.
Mme Virginie Klès, rapporteure. Monsieur le ministre, quand bien même vous nous apporteriez tout à l’heure la preuve que je me suis trompée dans mes calculs et que le budget est constant, s’agit-il de 166 places supplémentaires ou d’un redéploiement parmi les 2 000 actuellement existantes ? Si le budget est constant, cela signifie que les places destinées aux mineurs délinquants seront prises sur celles qui sont actuellement affectées aux majeurs non délinquants et dont le nombre est déjà insuffisant.
Cela serait d’autant plus regrettable que le taux de réussite de ces centres en matière de réinsertion est très intéressant, même s’il n’est pas de 83 % comme cela a pu être affirmé. On va donc lancer une innovation à la pertinence très incertaine au détriment d’un dispositif qui fonctionne bien, et ce sans accorder les moyens supplémentaires initialement promis !
Vous nous dites que le dispositif va monter en puissance jusqu’en octobre 2012 ; j’aurais aimé que, parallèlement, le budget progresse jusqu’à cette échéance : il n’était pas question, à l’origine, qu’il reste constant.
Nous nous étions déjà opposés, lors de la première lecture, à cette proposition de loi, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer et par respect pour l’EPIDe, dont le budget est en baisse continue, à l’instar de celui de la PJJ, laquelle ne pourra donc l’aider à assumer sa nouvelle mission. J’ajoute que les objectifs quantitatifs assignés à l’EPIDe ont été divisés par dix : alors qu’il avait été annoncé en 2008 que ses centres prendraient en charge 20 000 jeunes chaque année, ce chiffre a été ramené à 2 000 seulement en 2009 dans le contrat d’objectifs et de moyens. On confond rééducation de mineurs délinquants et insertion de jeunes majeurs volontaires, en ajoutant au tout un cavalier législatif !
Tout cela nous amène à déposer de nouveau une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Compte tenu du déroulement des opérations de vote relatives à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et à la Cour de justice de la République, j’appelle dès maintenant M. Pillet à la tribune.
La parole est à M. François Pillet.
M. François Pillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, l’entente entre députés et sénateurs sur la proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants s’étant révélée impossible, nous procédons aujourd’hui à une nouvelle lecture de ce texte. Je ne vous étonnerai sans doute pas en indiquant d’emblée que la position du groupe UMP n’a pas varié.
« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien et de personne, alors, c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. »
Si Platon s’interrogeait déjà, dans La République, sur les risques qu’encoure une société si les règles de la vie en communauté ne sont pas dictées aux jeunes générations et respectées, c’est que cette crainte est ancrée en l’humanité à tout le moins depuis l’Antiquité.
Partant, notre unique ambition est d’assurer la protection de nos concitoyens contre une insécurité grandissante, en l’occurrence suscitée par des mineurs, et de prendre en compte l’avenir de ces derniers.
Il s’agit non pas de les stigmatiser, encore moins de les enfermer dans un déterminisme de la délinquance, mais bien au contraire de trouver des solutions propres à leur faire prendre conscience du délit commis, quelle que soit sa gravité, tout en leur démontrant que d’autres voies s’offrent à eux.
Depuis l’adoption de l’ordonnance du 2 février 1945, le droit pénal des mineurs est fondé sur la conviction profondément humaniste que tout mineur délinquant est un être en construction qui doit avant tout être protégé et éduqué.
Mme Catherine Tasca. Eh oui !
M. François Pillet. Conformément à l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, aux termes duquel « l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant » ne doit être qu’une « mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible », notre droit encadre très strictement l’incarcération des mineurs.
Nous le savons, la délinquance juvénile augmente. Elle n’a rien de commun avec celle que nous avons pu connaître voilà une vingtaine d’années. Elle est aujourd’hui plus violente et, outre les biens, vise les personnes par des actes dégradants, voire barbares. La nouveauté est qu’elle émane de mineurs de plus en plus jeunes, parfois d’adolescentes, qui n’hésitent pas à commettre l’indicible.
Misère sociale, misère psychologique, misère culturelle, misère morale conduisent à la déshérence, à l’ignorance, souvent au dédain des valeurs éthiques sur lesquelles repose une société.
L’arsenal juridique existe, les efforts déployés par le Gouvernement sont indéniables. Il faut toutefois améliorer le fonctionnement de la justice pénale des mineurs, parce que les délais anormalement longs de mise à exécution des décisions des juridictions pénales font perdre à la sanction son rôle pédagogique.
La loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice tendait à apporter de nouvelles solutions en matière de prise en charge des mineurs multirécidivistes, avec la création des centres d’éducation fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs.
À la suite des travaux que nous avons menés dans le cadre de la mission d’information qui nous a été confiée en 2011, Jean-Claude Peyronnet et moi-même avons estimé que le dispositif des centres d’éducation fermés méritait d’être pérennisé. Par ailleurs, nous avons conclu que l’enfermement des mineurs doit davantage prendre en compte l’éducation et la réinsertion dans la société.
Or nous débattons aujourd’hui des primo-délinquants ou des jeunes ayant commis des actes de faible gravité.
Nous n’ignorons pas que 1 % des condamnations pour crimes commis en état de récidive concernent des mineurs. En conséquence, il est indispensable de prendre en charge les mineurs primo-délinquants avant qu’ils ne partent à la dérive, en leur donnant les moyens de ne pas s’enferrer, de ne pas se condamner eux-mêmes. Nous n’acceptons pas la fatalité et désirons qu’ils s’en sortent, parce que nous les respectons dans leur devenir et que nous songeons à leur future vie en société.
Tel est l’objet de la proposition de loi dite « Ciotti ».
Nous l’avons déjà souligné, ce texte tend à prévoir que, sur l’initiative de l’autorité judiciaire, le jeune effectue un service citoyen d’une durée d’au moins six mois, pouvant aller jusqu’à un an, voire davantage, s’il demande une prolongation.
La liberté, fondement de notre République, est respectée puisque le mineur donnera nécessairement son accord avant d’intégrer un centre relevant de l’EPIDe.
Pourquoi avoir choisi de s’appuyer sur ces structures ?
L’article L. 3414-1 du code de la défense, qui définit les missions de l’EPIDe, dispose que celui-ci « organise des formations dispensées dans des institutions et par un encadrement s’inspirant du modèle militaire » et « accueille et héberge des jeunes dans le cadre de ces formations ».
Comme le relève Éric Ciotti dans son rapport, la qualité du travail réalisée dans les vingt centres relevant de l’EPIDe, qui n’est d’ailleurs contestée par personne, est illustrée par les résultats obtenus en matière d’insertion des jeunes : sur 2 370 volontaires en 2010, dont 2 258 effectivement sortis du dispositif, plus de 80 % sont entrés dans la vie active ou poursuivent une formation qualifiante.
Il est à noter que plus de 30 % des volontaires sont issus de zones difficiles ou prioritaires. Hormis la formation générale avec une remise à niveau pour les fondamentaux scolaires et une préparation à la mise en œuvre d’un projet professionnel, le sport et l’instruction civique font partie intégrante du programme. Cette dernière est en général dispensée par d’anciens militaires.
Les objectifs visés sont les suivants : redonner des repères, réveiller la volonté, transmettre les valeurs de la vie en communauté avec la participation aux tâches quotidiennes, donner un sens à l’action, tenter le pari de l’esprit sain dans un corps sain, restaurer l’estime de soi, nouer ou renouer avec l’apprentissage de la cohésion, mieux appréhender les enjeux de la vie en société.
L’expérience s’avérant assez concluante, ne pas offrir cette chance aux primo-délinquants, avec l’accord et le suivi du juge, serait irresponsable de notre part. Ce n’est certes pas la panacée, mais c’est l’une des meilleures solutions.
Arguer que ce projet signe l’échec de la justice en même temps qu’un engouement intempestif pour l’ordre militaire serait fallacieux. Il ne s’agit, j’y insiste, que d’un outil supplémentaire.
Plusieurs critiques ont été énoncées contre ce texte.
Tout d’abord, la mise en œuvre du dispositif proposé amènerait une déstabilisation de l’EPIDe. Il semble que la nécessité de recueillir le consentement du mineur accueilli et l’ouverture de places supplémentaires garantissent que tel ne sera pas le cas. Ajoutons que les problèmes de marginalisation sont souvent identiques entre les volontaires actuels et les primo-délinquants.
Ensuite, le caractère de cavalier législatif de l’article 6 n’est pas avéré, dans la mesure où les dispositions introduites par le Gouvernement présentent un lien bien réel, conformément au premier alinéa de l’article 45 de la Constitution, avec l’objet initial. Cet article tend, en effet, à améliorer le fonctionnement de la justice pénale des mineurs par la diversification des mesures à la disposition des magistrats. Il a notamment pour objet d’interdire que le juge des enfants ayant renvoyé un mineur devant une juridiction pour mineurs ne préside celle-ci.
Il a également été soutenu que l’impact de la proposition de loi n’aurait pas été évalué et que son financement n’aurait pas été prévu. Pourtant, le Premier ministre a annoncé, en septembre dernier, que 166 places supplémentaires seraient créées dans les EPIDe dès le début de l’année 2012, ce qui rendra possible l’accueil de mineurs délinquants.
Enfin, le coût de la mesure a été estimé à 8 millions d’euros. Il sera réparti entre les ministères de la défense, de l’emploi, de la justice et de la ville selon les conditions et modalités présentées par le garde des sceaux.
Mes chers collègues, nous refusons d’osciller entre incantations, impuissance, dramatisation et démagogie ; nous préférons agir. C’est pourquoi le groupe UMP votera cette proposition de loi dans le texte adopté par l’Assemblée nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que le Gouvernement venait à peine de nous imposer la loi du 10 août 2011 bouleversant le droit pénal des mineurs, M. Ciotti s’est précipité pour déposer une proposition de loi « visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants ».
Mais, comme nous l’avons indiqué lors de la première lecture, nous ne nous sommes pas laissés tromper par cet intitulé. En effet, il s’agit non pas de permettre à des mineurs d’effectuer un service citoyen consacré à des tâches d’intérêt général, mais simplement de flatter une fois encore l’opinion publique, en mettant en avant les notions d’autorité, de discipline, de « rigueur militaire ».
M. André Reichardt. Mais non !
Mme Éliane Assassi. Mais si !
M. Ciotti assume d’ailleurs complètement le caractère populiste de sa proposition de loi lorsqu’il précise que « cette mesure est plébiscitée par nos concitoyens, par-delà les clivages politiques ». Rien que cela !
Fort heureusement, beaucoup n’ont guère été convaincus ou trompés, qu’il s’agisse des militaires eux-mêmes, mais aussi des magistrats ou des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, qui s’expriment au travers de leurs organisations syndicales. Cette lucidité prévaut également au sein d’organismes comme l’UNICEF ou la Convention nationale des associations de protection de l’enfant.
Tous dénoncent une nouvelle instrumentalisation de la délinquance des mineurs selon une logique d’affichage, par la création d’un service citoyen qui n’en est pas un. L’objectif, à l’évidence peu étudié par l’auteur de cette proposition de loi, est de prévoir l’accueil de jeunes dans des établissements publics d’insertion de la défense offrant des formations à des jeunes volontaires. C’est oublier que la vocation des centres relevant de l’EPIDe est non pas militaire, mais éducative, et qu’ils sont avant tout des lieux de réinsertion pour des jeunes rencontrant des difficultés scolaires, marginalisés ou en voie de marginalisation.
Le fonctionnement de ces centres repose sur un volontariat réel des jeunes accueillis : c’est un critère essentiel si l’on veut obtenir des résultats positifs. Or on ne peut parler de décision volontaire quand le mineur est placé devant un choix entre deux sanctions.
De surcroît, en mêlant jeunes majeurs et mineurs délinquants sous le coup d’une sanction pénale, on n’évitera pas que l’attention se focalise sur ces derniers ; il paraît évident qu’ils seront stigmatisés, du fait de différences de traitement, par exemple en matière de pécule ou d’autorisations de sortie. Or stigmatisation et efficacité se contredisent.
Au-delà, c’est toute la conception défendue par le Gouvernement et par M. Ciotti qui pose problème. En effet, cette proposition de loi, approuvée par Nicolas Sarkozy, s’inscrit dans une orientation idéologique constante depuis 2007 : les responsables, ce sont les parents démissionnaires, tandis que les mineurs commettant des actes de délinquance seraient plus nombreux qu’hier, et leurs infractions plus fréquentes et plus graves.
Il s’agit là encore d’une manipulation et d’une tromperie, visant à masquer la réalité, à savoir que la part des mineurs dans la délinquance stagne à 18 % ou à 19 % et baisse même légèrement.
Contrairement aux auteurs de l’ordonnance de 1945, les promoteurs de la proposition de loi refusent de considérer que les mineurs sont des enfants et que les mineurs délinquants sont des enfants en danger.
Ils cherchent à détourner l’attention de leur politique économique et sociale désastreuse, qui plonge nombre de familles dans des difficultés insurmontables.
Ils s’entêtent, poussés par une frénésie sécuritaire, à démolir méthodiquement la justice des mineurs.
Ils refusent de s’attaquer aux causes réelles du malaise de la jeunesse !
Cette fuite en avant se caractérise par une déspécialisation de la justice des mineurs et par un durcissement de la répression.
Pourtant, monsieur le garde des sceaux, tous les spécialistes de la délinquance des mineurs savent, disent, parfois hurlent que cette politique impulsive et brouillonne est contre-productive.
Des principes de l’ordonnance de 1945, il ressort, à partir de la distinction établie entre mineur et majeur, la prévalence de l’aspect éducatif et la nécessité de la spécificité non seulement des procédures, mais aussi des juridictions. C’est cela que vous sapez année après année, réforme après réforme.
En sept ans, sept rapports ont été commandés par le pouvoir sur la délinquance des mineurs, sans qu’il y ait jamais eu de véritable concertation avec les magistrats chargés de l’enfance et de la jeunesse, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, les éducateurs sociaux, les associations de terrain : sept rapports, et presque autant de réformes tendant à détricoter l’ordonnance de 1945, plutôt que de consacrer les moyens nécessaires à sa mise en œuvre et à celle des dispositifs déjà existants !
Nous nous opposerons donc une fois encore à ce texte, qui n’a d’autre visée qu’un affichage pénal et constitue un aveu d’impuissance du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, on peut considérer que le recours à la procédure accélérée marque l’intérêt du Gouvernement pour la lutte contre la délinquance juvénile, à l’instar de la décision prise par le Premier ministre le 22 septembre dernier, lors d’une réunion interministérielle, de créer 166 places supplémentaires au sein des centres relevant de l’EPIDe, même si ce chiffre est modeste.
Bien sûr, les budgets doivent suivre ; je crois que vous avez pris des dispositions pour qu’il en soit ainsi, monsieur le ministre. Les temps sont certes difficiles, mais il s’agit ici d’une priorité.
S’adressant à la majorité sénatoriale lors de la première lecture, le président de notre groupe, M. Zocchetto, avait déjà déploré des abus dans l’utilisation de la procédure, compliquant le travail parlementaire et le rendant peu positif. En effet, il s’agit de clore le débat avant qu’il ait pu commencer. Cela est dommage car, sur un tel sujet, nous aurions pu avoir un vrai dialogue, rude le cas échéant, mais qui aurait sans doute permis de faire converger nos positions sur un texte que nous ne jugeons pas, nous non plus, au-dessus de toute critique.
Hélas, le débat n’aura pas lieu et nous ne pourrons pas présenter d’amendements, visant par exemple à la création de sections spécialisées au sein des EPIDe ou à l’intégration d’un certain nombre de mineurs délinquants dans chaque promotion, afin qu’ils soient à la fois confrontés et associés aux jeunes majeurs volontaires, sans pour autant que les uns et les autres soient traités de la même manière.
Le personnel d’encadrement des centres relevant de l’EPIDe étant habitué aux situations difficiles, l’idée d’accueillir des mineurs délinquants dans ces structures n’est pas mauvaise en soi, mais sa mise en application doit être préparée et ne saurait être improvisée, d’autant que le nombre de places disponibles est très faible. Or on risque de remettre en cause, par manque d’organisation et de préparation, la réussite que connaît aujourd’hui, de l’avis général, ce bel outil de partage et d’apprentissage qu’est l’EPIDe.
Je regrette donc à mon tour que nous ne puissions avoir une discussion de fond sur cette proposition de loi. En tant qu’auteur d’un des nombreux rapports parlementaires sur la prévention de la délinquance des mineurs, je n’ignore pas qu’il s’agit d’une question complexe, comportant notamment des dimensions familiale, scolaire, judiciaire. À cet égard, j’observe qu’une proposition de loi n’apportant qu’un élément de réponse n’est peut-être pas suffisante pour la traiter, même si je ne suis pas partisan de l’inflation législative et réglementaire en la matière. Les pistes sont nombreuses, mais, en tout état de cause, pour avancer, il faut mettre en place des moyens adaptés et pérennes.
Quoi qu’il en soit, ce texte a au moins le mérite d’amorcer la discussion avec les pouvoirs publics, les institutions judiciaires et éducatives, ainsi qu’avec les collectivités territoriales, qui, dans le domaine de la prévention de la délinquance des mineurs, sont depuis longtemps en première ligne – je le sais d’expérience – et sont des forces de proposition, mais ont parfois du mal à coordonner leurs actions.
Au travers de cette proposition de loi, on entend s’appuyer sur la réussite des EPIDe pour essayer de leur faire assumer de nouvelles missions. Pour ma part, j’ai été favorable dès l’origine à ce dispositif, mis en place en 2005. À l’époque, j’avais même souhaité l’implantation d’un tel centre dans la ville dont j’étais maire. Toutefois, alors que l’objectif annoncé au départ était d’accueillir 20 000 jeunes dans des EPIDe présents dans la totalité des régions, on constate qu’en 2010 le dispositif concernait 2 250 jeunes seulement, répartis dans vingt centres. S’il s’agit d’une expérience formidable, son ampleur reste donc encore beaucoup trop limitée et n’est pas à la mesure des espérances initiales. Il faut éviter l’affaiblissement à terme du dispositif et au contraire le développer, si l’on veut qu’il puisse accueillir, à l’avenir, des mineurs primo-délinquants, même non volontaires.
Mme Christiane Demontès. Les centres ne fonctionneront pas si les mineurs ne sont pas volontaires !
M. Jean-Marie Bockel. Il faut donc dépasser le stade simplement expérimental.
Le dispositif est certes coûteux, mais beaucoup moins que les conséquences de la délinquance que nous connaissons aujourd'hui. On peut d’'ailleurs imaginer des mesures incitatives, y compris pour les mineurs délinquants, en termes de peine encourue ou d’implication personnelle dans le processus de réinsertion. En effet, si la réussite des EPIDe tient bien entendu à la qualité de l’encadrement, qui compte d’anciens officiers et sous-officiers, et au sens pédagogique du personnel, la motivation des jeunes et le soutien des familles jouent également beaucoup.
Pour conclure, je suis très favorable, sur le principe, à l’accueil de mineurs délinquants dans les EPIDe. Toutefois, en attendant que nous puissions avancer dans cette voie, je souhaiterais que nous nous penchions sur un certain nombre de mesures simples, concrètes et peu coûteuses : je pense par exemple à la mise en place de « trinômes judiciaires » associant juges des enfants, parquet des mineurs et protection judiciaire de la jeunesse – quelque cinquante protocoles ont déjà été signés à cette fin – ou à l’inscription du juge des enfants comme membre à part entière du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Monsieur le garde des sceaux, j’espère que, au-delà du débat malheureusement tronqué d’aujourd'hui, vous tracerez des perspectives et ouvrirez des pistes de réflexion sur ce très important sujet. (Applaudissements sur les travées de l’UCR.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est quinze heures quinze.
Je vous rappelle que se déroulent en ce moment, en salle des conférences, les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République.
Il vous reste donc quinze minutes pour voter.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m’efforcer de ne pas répéter ce qui a déjà été dit lors de la première lecture.
Mes collègues du groupe socialiste-EELV et moi-même nous sommes interrogés sur la position que nous adopterions à l’occasion de cette deuxième lecture. Finalement, nous avons décidé, sans beaucoup d’hésitation d'ailleurs, de déposer à nouveau une motion tendant à opposer la question préalable.
Sur d’autres textes, il pourrait en aller autrement, à mon humble avis du moins, le rôle du Parlement étant de légiférer, mais la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est purement un texte d’affichage. D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, une grande partie de ses dispositions sont de nature non pas législative, mais réglementaire, puisque l’ordonnance du 2 février 1945 permettrait déjà, par le biais d’habilitations, de placer des mineurs délinquants dans les EPIDe : il suffirait que des conventions à cette fin soient passées entre les juges des enfants et ces établissements.
Il faudrait surtout, monsieur le ministre, que vous obteniez l’inscription au budget des sommes nécessaires pour créer des places supplémentaires, or tel n’est pas le cas. La proposition de loi de M. Ciotti, qui veut attacher son nom à je ne sais quelle démonstration de force, n’a donc aucune espèce d’utilité,…
MM. Alain Gournac et André Reichardt. Comme la proposition de loi sur le droit de vote des étrangers ?
M. Jean-Pierre Michel. … puisque ce texte est de nature réglementaire et n’est accompagné d’aucun financement. C’est pourquoi nous avons décidé, pour la deuxième fois, de déposer une motion tendant à opposer la question préalable – comme vous-mêmes l’avait fait pour le texte que vous mentionnez, mes chers collègues.
J’ajoute que nous avons été confortés dans cette démarche par la lecture de la résolution de la conférence nationale des procureurs de la République, aux termes de laquelle, « sous l’avalanche des textes qui modifient sans cesse le droit et les pratiques, souvent dans l’urgence, sans étude sérieuse d’impact, et au nom de logiques parfois contradictoires, les magistrats n’ont plus la capacité d’assurer leur mission d’application de la loi ». Ce fut pour nous, qui respectons beaucoup les magistrats, tant du siège que du parquet, une raison supplémentaire de déposer la motion en question.
Monsieur le garde des sceaux, seul l’article 6 aurait pu nous inciter à y renoncer en vue de nous attacher à le modifier, après avoir simplement présenté des amendements de suppression des cinq premiers articles, qui sont de toute façon inutiles puisqu’il est déjà possible de placer des mineurs délinquants dans les EPIDe et de créer des places supplémentaires.
Comme je l’avais dit lors de la première lecture, cet article 6 tire les conséquences des décisions du Conseil constitutionnel d’une façon absolument scandaleuse ! Cela étant, j’ai l’espoir – peut-être sera-t-il déçu, car, en politique, les espoirs le sont souvent ! –,…
M. Philippe Bas. Vous en savez quelque chose !
M. Jean-Pierre Michel. … que, durant le second semestre de l’année 2012, nous pourrons remettre sur le métier la réforme de l’ordonnance de 1945, mais d’une autre manière, le droit des mineurs méritant de faire l’objet d’une réflexion approfondie, prenant en compte les réalités actuelles de la délinquance des mineurs.
M. Louis Nègre. Tout à fait d’accord !
M. Jean-Pierre Michel. Nous pourrons alors revenir, par exemple, sur la présence de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels pour mineurs.
Il n’y avait donc pas d’urgence à présenter cet article 6, d’autant que l’Assemblée nationale serait certainement revenue sur la rédaction judicieuse, alambiquée et astucieuse que vos services avaient su élaborer…
Aujourd’hui, l’important n’est pas là, et vous le savez très bien, monsieur le ministre ; l’important, c’est le malaise exprimé par les procureurs de la République.
M. Louis Nègre. On s’éloigne du sujet !
M. Jean-Pierre Michel. Le Conseil constitutionnel, dans une décision récente, a jugé, à propos d’une proposition de loi relative à la simplification du droit, que la suppression des juridictions financières dans nos régions – peut-être pas dans la vôtre, monsieur Nègre, mais en tout cas dans la mienne ! – avait un lien avec l’objet du texte, mais que quelques petites mesures d’allégement de formalités anodines et réclamées de toutes parts constituaient des cavaliers législatifs. C’est sans doute ainsi que le Conseil constitutionnel entend faire la preuve de son indépendance totale à l’égard du pouvoir ! (M. Alain Gournac proteste.) Franchement, il y a de quoi rire ! L’attitude actuelle du Conseil constitutionnel est intolérable pour le législateur ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Bas. On ne peut pas dire cela !
M. Jean-Pierre Michel. Si, monsieur Bas !
M. André Reichardt. Non ! Il ne faut pas dire cela !
M. Philippe Bas. Respectez les institutions de la République !
M. Jean-Pierre Michel. Si le Conseil constitutionnel persiste dans cette attitude, il devra s’attendre à une révision constitutionnelle portant sur sa composition et, surtout, sur sa procédure, afin de lui interdire de statuer ultra petita ! Je ne connais aucune autre juridiction, en France, qu’elle soit financière, administrative ou judiciaire, qui puisse se permettre de répondre à des questions autres que celles qui lui sont posées.
M. Louis Nègre. Donnez l’exemple, revenez au sujet !
M. Jean-Pierre Michel. Le sujet, mon cher collègue, je le prends comme je l’entends ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Alain Gournac. C’est cavalier !
M. Jean-Pierre Michel. Le sujet, c’est la charge de cavalerie des procureurs de la République (M. Alain Nègre rit.), à l’exclusion des moins indépendants du pouvoir d’entre eux, tels le procureur de la République de Paris – je ne citerai pas son nom, déjà suffisamment célèbre ! – ou celui de Nanterre…
M. Jean-Pierre Michel. Nous avons reçu les signatures par courriel, monsieur le ministre, je vous les communiquerai si vous le voulez !
Les trois quarts des procureurs de la République ont donc lancé un appel solennel : ils en ont plus qu’assez que nous votions sans cesse des lois contradictoires, dépourvues d’études d’impact et dont ils ne savent que faire, ils demandent des moyens et, surtout, ils réclament une révision constitutionnelle leur apportant des garanties statutaires propres à écarter d’eux toute suspicion. Je regrette que vous n’ayez pas entrepris cette réforme constitutionnelle, monsieur le garde des sceaux,…
M. Philippe Bas. Il n’a pas terminé son travail, laissez-lui le temps !
M. Jean-Pierre Michel. … car vous auriez ainsi laissé la marque de votre passage place Vendôme. Au lieu de cela, vous défendez un texte qui ne sert à rien,…
M. André Reichardt. Ce n’est pas le sien !
M. Jean-Pierre Michel. … auquel nous ne pouvons qu’opposer la question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Au risque de vous lasser, monsieur le ministre, je ne vous cacherai pas notre lassitude de voir l’ordre du jour de notre assemblée en permanence encombré par l’examen de textes de pur affichage, rédigés dans la précipitation,…
M. Philippe Bas. Et la scolarité obligatoire à trois ans ?
M. André Reichardt. Et le droit de vote pour les étrangers ?
Mme Catherine Tasca. … sans concertation préalable avec les professionnels concernés, et voués à être remplacés au bout de quelques mois par d’autres textes visant à répondre à l’émotion populaire suscitée par un nouveau fait divers…
La présente proposition de loi relève en effet du pur affichage : il suffit, pour s’en convaincre, de se plonger dans son exposé des motifs, où il est question de « spirale de violences et de délinquance », des « condamnations pour crime commis en état de récidive », « des jeunes issus de quartiers où se côtoient trafics de drogues et d’armes, et où les phénomènes de bandes sont amplifiés ». En résumé, « la France a peur » !
Pourtant, le dispositif présenté ne traite nullement de cette délinquance-là, grave et bien réelle : il s’agit simplement de permettre le placement dans des centres relevant de l’EPIDe des mineurs délinquants, sur la base du volontariat, dans le cadre soit d’une composition pénale, soit d’un ajournement de peine, soit d’un sursis avec mise à l’épreuve : autant dire que le profil des jeunes délinquants concernés est assez éloigné de la grande délinquance, voire de la criminalité, visée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.
Autre élément d’affichage politique, ces jeunes délinquants feront l’objet d’un encadrement dit « militaire » : c’est ainsi, en tout cas, que le dispositif a été vendu à l’opinion. Pourtant, l’encadrement ne compte guère de militaires, mais il faut nourrir cette nostalgie d’un temps passé où les jeunes délinquants étaient « matés », et ce sévèrement. La communication gouvernementale a donc peu à voir avec le dispositif du texte, qui s’articule autour des EPIDe, structures ayant une vocation non pas de « redressement », mais de réinsertion.
Ce texte a été élaboré sans concertation préalable. Je souhaite insister sur ce point. L’article 6 comporte des dispositions qui ont peu à voir avec les EPIDe, donc avec l’objet de cette proposition de loi, et qui sont, nous l’avions déjà souligné lors de la première lecture et notre analyse n’a pas varié, des cavaliers législatifs.
En fait, l’article 6 tend à tirer les conséquences de deux décisions récentes du Conseil constitutionnel en matière de droit pénal des mineurs.
En ce qui concerne la décision du 4 août 2011, nous nous trouvons dans la situation tout à fait désagréable de devoir examiner des dispositions introduites sans concertation avec les professionnels, sans même qu’ils en aient été informés, et qui visent à répondre à la censure d’un précédent dispositif relatif aux modalités de saisine du tribunal correctionnel pour mineurs, lequel n’avait déjà fait l’objet d’aucune concertation préalable et était très largement rejeté par les juges des enfants.
Au demeurant, sur le fond, la disposition prévue au paragraphe II de l’article 6 vise, ni plus ni moins, à imposer la possibilité d’une saisine rapide, par le parquet, du tribunal correctionnel pour mineurs. Peu importe que le Conseil constitutionnel ait considéré que de telles procédures d’urgence ne permettent pas de garantir que le tribunal dispose d’informations récentes sur la personnalité du mineur et de rechercher les moyens de son relèvement éducatif et moral !
L’introduction du nouveau dispositif, tout à fait bureaucratique, inventé pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011 et qui interdit au juge des enfants ayant renvoyé un mineur devant le tribunal pour enfants de présider la juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines est une autre conséquence dommageable de cette façon précipitée de légiférer. La présidence du tribunal pour enfants devra être assurée par un juge des enfants d’un autre tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d’appel, ce qui crée un véritable casse-tête, en termes d’organisation, pour les juges des enfants, contraints d’aller siéger dans des tribunaux distincts !
Autant je perçois bien les motivations politiques qui vous poussent à faire voter le dispositif instaurant un service dit civique pour les mineurs délinquants, autant je ne comprends pas votre empressement à venir inutilement compliquer et alourdir le travail quotidien des juges des enfants.
Le Conseil constitutionnel donnait pourtant au Gouvernement jusqu’au 1er janvier 2013 pour rectifier et adapter la loi française. Monsieur le ministre, pourquoi ne pas avoir mis à profit cette année et demie de délai pour travailler avec les professionnels de la justice à l’élaboration d’un dispositif compatible avec les principes qui fondent le droit pénal des mineurs et les exigences du métier de juge des enfants ?
D’autres solutions que l’« usine à gaz » instaurée par ce texte existent. Je considère, par exemple, que la décision du Conseil constitutionnel est plus subtile que la lecture que vous en faites, monsieur le ministre, et qu’elle permet de maintenir la « double casquette » du juge des enfants et de garantir le principe du juge référent, dans les cas où la culpabilité est reconnue. Sur ce sujet, un vrai travail de concertation avec les professionnels s’imposait.
Le sort des mineurs de notre pays, notamment quand ils sont en situation de décrochage ou en rupture avec les règles de la société, représente un enjeu difficile et sensible. Pour cette raison, l’instrumentalisation de la justice des mineurs pratiquée depuis près de dix ans par les gouvernements successifs est insupportable !
Que pensez-vous, monsieur le garde des sceaux, des propos de M. Guéant, repris par Le Monde, selon lesquels « une réforme profonde de [l’ordonnance de 1945] est nécessaire » ? Pour ma part, j’y vois une volonté d’instrumentaliser, une fois de plus, le droit pénal des mineurs, et, aussi et surtout, un inquiétant aveu d’échec de la politique menée depuis dix ans. À l’évidence, il y a urgence à tourner la page ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Christiane Demontès. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre excellent collègue Éric Ciotti (Sourires sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) est un texte fondateur, volontariste, visant à mettre en place une vraie politique d’action, concrète, efficace et d’application rapide.
Nos concitoyens supportent de plus en plus mal, à juste titre, cette délinquance des mineurs. En tant qu’élus de la République, notre mission est de proposer des solutions constructives, et non de baisser les bras ou de pratiquer la politique de l’autruche.
Je souhaite tout d’abord exprimer ma totale incompréhension et mes plus grands regrets devant la posture adoptée par la rapporteure de la commission des lois et la majorité sénatoriale, qui, en déposant une motion tendant à opposer la question préalable, refusent tout simplement de débattre de ce texte important.
M. André Reichardt. Tout à fait !
M. Louis Nègre. Ne pas partager notre approche est parfaitement concevable, mais ne pas agir ou se voiler la face est selon moi totalement irresponsable.
Mme Ségolène Royal elle-même a estimé que le point faible du candidat socialiste à l’élection présidentielle, c’est l’inaction ; l’immobilisme semble devenir la marque de fabrique du socialisme français ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Les Français jugeront de l’art socialiste de l’esquive face aux dures réalités…
Plus grave encore, à mes yeux, est le refus d’engager le débat au Sénat, haut lieu historique de l’échange républicain.
M. André Reichardt. Oui !
M. Louis Nègre. Cette posture ne peut que confirmer que vous-mêmes êtes conscients de la faiblesse de votre argumentation. Je le dis avec une certaine gravité, votre attitude ne peut que dénaturer le rôle, pourtant essentiel pour les libertés, du bicaméralisme. Le Sénat a vocation à améliorer les textes, et non à laisser à la seule Assemblée nationale le soin de débattre. Le Sénat serait-il, selon vous, une « anomalie démocratique » ? Avez-vous conscience du fait que vous creusez vous-mêmes la tombe de cette instance démocratique par excellence ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Michel. Oh là là !
M. Alain Anziani. Cela fait des années que vous la creusez !
M. Louis Nègre. Vous êtes la majorité aujourd'hui, et vous refusez le débat !
Cela étant, sur le fond,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, venez-en au fond !
M. Louis Nègre. … je tiens à souligner, mes chers collègues, le caractère souhaitable, nécessaire et même indispensable de cette proposition de loi.
Vous avez évoqué tout à l'heure, madame Assassi, un détricotage de l’ordonnance de 1945. Or nous tricotons, au contraire, un outil complémentaire pour le mettre à la disposition des magistrats.
M. Jean-Pierre Michel. C’est une cotte de mailles !
M. Louis Nègre. L’objet principal du texte est de compléter la panoplie des structures existant à ce jour, mais son dispositif comporte également un autre élément essentiel, à savoir un important volet éducatif décidé, choisi et contrôlé par les magistrats eux-mêmes, destiné à permettre la transmission à ces jeunes en rupture des notions fondamentales pour le bon fonctionnement de la société.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Où avez-vous vu tout cela ?
M. Louis Nègre. La citoyenneté, le respect de la règle collective et de l’autorité, le sens de l’effort, la récompense du mérite sont des valeurs que nous devons absolument remettre à l’ordre du jour, pour réinsérer les mineurs en déshérence, et non pour flatter l’opinion publique, comme cela a été dit tout à l’heure.
Mme Catherine Tasca. Que les adultes donnent l’exemple !
M. Louis Nègre. Vous parlez des fédérations socialistes des Bouches-du-Rhône et du Pas-de-Calais ?
M. Alain Anziani. Quelle caricature !
M. Louis Nègre. Telle est notre conception de la gestion de la cité, voilà ce qui nous sépare !
Mme Éliane Assassi. Vous avez tout raté !
M. Louis Nègre. Quant aux arguments invoqués par Mme le rapporteur de la commission des lois, je suis au regret de dire qu’ils sont aussi virtuels qu’inopérants.
Mme Virginie Klès, rapporteure. Ce sont les crédits qui sont virtuels !
M. Louis Nègre. Ils confirment en fait une volonté politique de refuser le débat.
Contrairement à ce qui a été prétendu, l’intervention de la loi est nécessaire, M. le ministre l’a confirmé, pour confier une nouvelle mission à l’EPIDe et pour fixer clairement les modalités d’obtention du consentement des mineurs concernés, car le service citoyen exigera un travail de leur part.
Enfin, s’agissant des 8 millions d’euros de crédits prévus, M. le garde des sceaux a de nouveau indiqué de manière très claire que les arbitrages financiers nécessaires seront effectués par chacun des ministères concernés.
Mes chers collègues, les arguments avancés pour justifier le dépôt d’une nouvelle motion tendant à opposer la question préalable ne sont pas sérieux. Je voterai contre cette motion, car j’estime que cette proposition de loi est nécessaire ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, il est quinze heures trente-cinq. Je déclare clos les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Esther Benbassa. J’ai eu l’occasion d’indiquer jeudi dernier à M. le ministre, lors de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France, mes réserves sur la nouvelle lecture de ce texte visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants.
La majorité présidentielle essaie de faire passer aux forceps cette proposition de loi déposée par M. Ciotti le 28 juillet dernier à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un texte d’affichage, déjà repoussé par le Sénat en première lecture ; nous maintenons aujourd’hui notre position, une motion tendant à opposer la question préalable ayant de nouveau été présentée par la commission des lois.
Cette proposition de loi a été une nouvelle fois adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée. Comme je l’ai déjà indiqué ici le 25 octobre dernier, un tel chantier législatif aurait dû être entrepris dans le respect du débat parlementaire, monsieur Nègre, mais le Gouvernement a préféré céder à la précipitation et à l’électoralisme.
Les critiques que mérite ce texte comportant des mesures inefficaces n’ont pas manqué d’être formulées par notre rapporteure et par certains de mes collègues avec qui je partage une vision de la justice des mineurs bien différente de celle des députés qui l’ont voté.
Au mépris des principes posés par l’ordonnance de 1945, vous vous obstinez, monsieur le ministre, à faire primer les sanctions sur les mesures éducatives, à « guérir » – et encore, à dose homéopathique, puisque le dispositif ne concernera que 166 jeunes ! – au lieu de prévenir.
Le rapport de notre collègue Virginie Klès signale que le coût estimé de ces 166 places est de 8 millions d’euros. En cette période de rigueur budgétaire que nous impose le Gouvernement, cela fait très cher la place !
M. Louis Nègre. Il ne faut pas abandonner ces jeunes !
Mme Esther Benbassa. Les sénatrices et sénateurs écologistes défendent une vision globale de la lutte contre la délinquance juvénile, laquelle doit être menée en concertation avec les professionnels, magistrats et éducateurs spécialisés. Ils souhaitent que l’accent soit mis sur la prévention et la formation professionnelle des jeunes et que les sanctions, nécessaires parfois, puissent être en priorité choisies dans la palette des mesures éducatives existantes.
Nous appelons de nos vœux une révision en profondeur de l’ordonnance de 1945, et non quelques mesures ponctuelles destinées à rassurer une partie de l’opinion publique, quand les Français attendent des projets ambitieux pour endiguer la crise, le chômage, pour répondre à leur mal-être devant les difficultés de logement, de transports, etc.
Cette proposition de loi relève d’un replâtrage de circonstance, et non d’un remède à la délinquance des mineurs, problématique qui mérite d’être traitée avec davantage de rigueur et de sérieux, et surtout sans que la magistrature soit écartée de la réflexion.
C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs écologistes voteront la motion tendant à opposer la question préalable. Ils refusent d’examiner cette proposition de loi, sorte de « prêt-à-consommer » législatif dont ils rejettent en outre la philosophie pernicieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne peux laisser sans réponse les propos de M. Jean-Pierre Michel sur le Conseil constitutionnel.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Menacer le Conseil constitutionnel d’une réforme s’il ne fait pas ce que l’on attend de lui n’est pas acceptable. Certes, le Constituant peut toujours modifier la loi fondamentale, mais il ne se résume pas à une seule chambre du Parlement.
J’ajoute que le rôle des magistrats n’est pas de rendre des services. En l’espèce, le Conseil constitutionnel dit le droit, que cela plaise ou non !
M. Gaëtan Gorce. Vous l’avez dit à M. Courroye ?
M. Gaëtan Gorce. Répétez-le-lui !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis sûr que vous saurez le faire vous aussi, quand il le faudra.
Par ailleurs, monsieur Michel, l’effet dévolutif de la saisine permet au Conseil constitutionnel d’examiner l’ensemble du texte dont il a été saisi : ce n’est pas là statuer ultra petita.
Nous sommes tous très attachés à la culture et à la tradition parlementaires, mais la loi n’est aujourd’hui l’expression de la volonté générale, conformément à ce qu’annonçait, dans les années vingt, Raymond Carré de Malberg dans son ouvrage Contribution à la théorie générale de l’État, que lorsqu’elle respecte le corpus juridique constitutionnel et conventionnel. Même si cela est difficile à accepter, la loi n’est plus la seule source du droit.
Quoi qu’il en soit, aux termes de l’article 62 de la Constitution, madame Tasca, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à tous. Le Gouvernement s’est conformé à ce principe s'agissant de la composition du tribunal correctionnel pour mineurs. Certes, la décision du Conseil constitutionnel nous laissait jusqu’au 31 décembre 2012 pour ce faire, mais l’Assemblée nationale nouvellement élue, quelle que soit sa majorité, aura bien d’autres choses à faire, à partir du mois de juin prochain, que modifier la composition du tribunal correctionnel pour mineurs ! Il était donc souhaitable que le Parlement s’en charge dès à présent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie par Mme Klès, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants (n°115, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la rapporteure, pour la motion.
Mme Virginie Klès, rapporteure. Contrairement à ce qui a été souvent affirmé au cours de la discussion générale, le débat n’est absolument pas occulté, puisqu’il s’est tenu aujourd’hui pour la seconde fois, après avoir déjà eu lieu lors de la première lecture.
En matière de procédure, on nous reproche d’avoir déposé une motion tendant à opposer la question préalable, mais ce n’est pas nous qui décidons du recours à la procédure accélérée, de l’organisation du calendrier des travaux parlementaires ou des délais de transmission des textes entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous en subissons pourtant les conséquences.
Amender un texte tel que celui qui nous est aujourd'hui soumis aurait nécessité plusieurs lectures, l’instauration d’une véritable navette parlementaire, ainsi qu’une large concertation tant avec les magistrats qu’avec le personnel de l’EPIDe. À l’instar de M. Jean-Pierre Michel, je pense que seul l’article 6 aurait mérité d’être amendé. Les articles précédents visent en fait non pas à instituer un service citoyen pour les mineurs délinquants, mais à créer pour eux 166 places au sein des centres relevant de l’EPIDe, lequel a une mission d’insertion, et non de rééducation.
Les autres reproches qui nous ont été adressés témoignent à mon sens d’une méconnaissance du rôle et du fonctionnement de l’EPIDe.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l’heure que le Premier ministre aurait garanti que les moyens nécessaires seraient affectés à l’EPIDe pour assumer cette nouvelle mission, mais l’histoire de cet établissement est pavée de telles promesses : les « bleus » budgétaires n’ont jamais été respectés, Bercy ne se considérant pas engagé par ces derniers tant que les crédits n’ont pas été inscrits dans les programmes budgétaires. Or, en l’occurrence, que je sache, aucun euro supplémentaire n’a été inscrit nulle part ; au contraire, il est prévu que le budget de l’EPIDe diminue l’année prochaine.
Permettez-moi maintenant de relever un détail : au cours de la discussion générale, il a régulièrement été question « des » EPIDe. Or il n’existe qu’un seul établissement public d’insertion de la défense, dont dépendent plusieurs centres. C’est un détail, mais qui est souvent révélateur d’une méconnaissance de l’organisation de ce dispositif.
M. Bockel a évoqué la présence d’officiers et de sous-officiers dans le personnel de l’EPIDe, mais celui-ci ne compte que 40 % d’anciens militaires : il est donc vain d’imaginer que les jeunes seront encadrés par des militaires arborant de beaux uniformes ! L’EPIDe n’est pas un établissement militaire ; tous les métiers de l’éducation et de l’insertion sont représentés au sein de son personnel.
Par ailleurs, il est faux d’affirmer que le taux de réussite de l’EPIDe en matière de réinsertion des jeunes accueillis est de 80 % : il est de 50 % environ, ce qui est déjà énorme, comme le savent tous les professionnels de l’insertion. Il ne faut pas mentir !
Enfin, d’une façon plus générale, monsieur le ministre, que représentent 166 places au regard de l’ampleur du phénomène de la délinquance des mineurs aujourd’hui ? Ne vaudrait-il pas mieux renforcer les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse et des centres éducatifs ouverts existants, au lieu d’affecter des crédits à un établissement dont la vocation n’est pas de rééduquer des mineurs délinquants ? Est-il opportun, surtout par les temps qui courent, de mélanger dans des internats ouverts des mineurs délinquants et des majeurs non délinquants ?
En 2008, l’objectif annoncé était de créer 20 000 places dans les centres relevant de l’EPIDe ; aujourd’hui, 2 000 places sont offertes, soit l’équivalent d’un lycée… Il serait temps de regarder la réalité en face et de cesser de gaspiller l’argent public en le saupoudrant pour financer des mesures destinées à servir de prétextes à des opérations de communication !
L’EPIDe est un bel outil, ne le cassons pas. C’est parce que nous y sommes attachés que nous avons redéposé une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je ne voterai évidemment pas cette motion tendant à opposer la question préalable, et ce pour au moins deux raisons.
En premier lieu, j’ai été choqué que la réunion de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions de la présente proposition de loi restant en discussion ait duré tout au plus une minute ! N’étant sénateur que depuis peu, c’était la première fois que je participais à une CMP, et j’avoue ne pas avoir tout à fait compris l’intérêt de notre rôle en cette circonstance… Je me faisais une autre idée du travail du Sénat, et j’ai eu le sentiment que nous n’étions pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens.
En second lieu, sur le fond, certains propos me semblent inacceptables. Mme le rapporteur, après d’autres orateurs, vient d’affirmer que le débat avait eu lieu. Or, en fait, le débat a porté sur l’opportunité d’examiner le texte, et non sur son contenu !
Mme Virginie Klès, rapporteure. Où sont les amendements ?
M. André Reichardt. Nous aurions pourtant certainement pu, les uns et les autres, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, enrichir, modifier cette proposition de loi, et ainsi être véritablement utiles à nos concitoyens. Cela fait deux mois, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, que nous ne le sommes plus !
Un sénateur du groupe socialiste-EELV. Ah bon ?
M. André Reichardt. Je pense vraiment que nous nous serions honorés à améliorer ce texte. Pourquoi sacraliser à ce point l’ordonnance de 1945, dont, à en croire certains, il ne faudrait pas modifier le dispositif ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il a été modifié vingt-cinq fois !
M. André Reichardt. Ce serait donc là un crime de lèse-majesté ? En vertu de quoi nous serait-il interdit d’envisager d’améliorer ce texte, alors que la jeunesse a changé depuis 1945 ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Telles sont les raisons, à la fois de forme et de fond, pour lesquelles je regrette le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable. À mon avis, vous avez commis une erreur, mes chers collègues.
Je suis persuadé que nous aurions pu nous retrouver sur nombre de modifications à cette proposition de loi, qui certes n’est pas parfaite. J’irai même jusqu’à reconnaître qu’il s’agit certainement en partie d’un texte d’affichage,…
M. André Reichardt. … mais nous aurions pu l’améliorer et permettre ainsi à l’EPIDe, madame Klès, de servir véritablement les intérêts d’une jeunesse délinquante qui n’est pas entièrement mauvaise et qui mérite que l’on s’occupe d’elle.
Mme Virginie Klès, rapporteure. C’est ce que fait l’EPIDe !
M. André Reichardt. Permettez au néophyte que je suis dans cette enceinte de vous faire part de sa déception à cet égard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien entendu, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable, comme nous l’avions fait en première lecture.
Monsieur Reichardt, j’ai vu, pour ma part, des commissions mixtes paritaires échouer pour des questions de virgule ou à cause de tergiversations entre le Gouvernement et sa majorité !
Sur le fond, le dépôt de la motion constitue une prise de position parfaitement justifiée, dans la mesure où, depuis dix ans, le Gouvernement et sa majorité ont élaboré des dizaines de lois d’affichage sur la délinquance juvénile. Certes, la jeunesse a changé depuis 1945, mais bien d’autres choses ont changé aussi !
M. André Reichardt. Bien sûr !
M. Louis Nègre. La jeunesse a changé, mais pas la gauche !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toutes ces lois d’affichage allaient toujours dans le même sens, celui du renforcement des sanctions, au rebours de l’esprit de l’ordonnance de 1945 ! Le dispositif de cette dernière a déjà été modifié au moins vingt-cinq fois,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … mais, et c’est là que le bât blesse, vous n’avez jamais engagé de débat de fond sur la délinquance des mineurs et sur les moyens de la prévenir.
Le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable est donc parfaitement justifié, je le répète. Nous n’avons pas à discuter d’un pur texte d’affichage qui ne permettra nullement de prévenir la délinquance des mineurs et de mieux réinsérer ceux-ci !
M. André Reichardt. Si vous étiez capables de faire mieux, cela se saurait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Enfin, monsieur le ministre, ce n’est pas parce que vous transformez petit à petit le Conseil constitutionnel en cour constitutionnelle que cela le rend plus indépendant. Il ne suffit pas d’affirmer que le Conseil constitutionnel est une cour constitutionnelle pour qu’il ait ce statut. Le mode de désignation de ses membres doit être modifié, afin qu’il devienne plus démocratique. Je ne me lasserai pas de le répéter ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Notre groupe votera majoritairement la motion tendant à opposer la question préalable.
Anne-Marie Escoffier et Nicolas Alfonsi ont déjà fait part de la position majoritaire du groupe RDSE sur cette proposition de loi lors de la première lecture. Je soulignerai simplement aujourd'hui qu’elle ne réglera strictement rien, car son dispositif ne concernera que de 200 à 500 mineurs délinquants, alors qu’il y a eu 216 000 interpellations de mineurs en 2010.
Quant à l’ordonnance de 1945, il n’est pas sacrilège de la modifier, puisque cela s’est produit à au moins dix reprises ces dix dernières années,…
M. Jacques Mézard. … le plus souvent en fonction de l’actualité. M. Reichardt a d’ailleurs reconnu très objectivement que la présente proposition de loi était au moins en partie un texte d’affichage.
M. André Reichardt. Pourquoi pas ?
M. Jacques Mézard. Dont acte, mais les textes d’affichage ne permettent que très rarement de régler les problèmes de fond.
Cette proposition de loi n’est pas satisfaisante et son adoption ne manquerait pas de créer des difficultés sur le terrain, en transformant l’organisation, le mode de fonctionnement et jusqu’à l’esprit même des centres relevant de l’EPIDe. C’est pourquoi nous rejetons ce texte.
Par ailleurs, monsieur Reichardt, avoir le sentiment d’être inutile est très naturel quand on se trouve dans l’opposition. Je le sais d’expérience ! Mais vous verrez, cela passe peu à peu ! (Sourires.) Il faut néanmoins essayer de travailler de manière constructive, d’autant que, quand on est dans la majorité, on n’est pas toujours satisfait non plus, sachez-le ! (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Michel. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Notre groupe votera bien évidemment la motion tendant à opposer la question préalable.
Nous nous sommes largement exprimés sur le fond ; je n’y reviens donc pas, mais je souhaiterais répondre à nos collègues de droite sur la défense du travail parlementaire.
Mes chers collègues, nous sommes au moins aussi attachés que vous au dialogue entre les deux assemblées, que vous nous accusez d’interrompre par le dépôt de cette motion. En vérité, c’est le Gouvernement qui ne respecte pas le travail parlementaire, en recourant à maintes reprises à la procédure accélérée, comme c’est encore le cas pour ce texte improvisé !
Si nous rejetons cette proposition de loi, c’est parce que nous sommes convaincus que rien de positif ne peut émerger sans un véritable travail de fond avec les professionnels concernés. Amender un tel texte n’aurait pu compenser l’absence totale de concertation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste-EELV.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 70 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 174 |
Pour l’adoption | 175 |
Contre | 171 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé
Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (projet n° 130, rapport n° 162, 2011-2012).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée entame la discussion en nouvelle lecture du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Tout aurait-il été dit sur ce texte ? Pas encore ! La commission des affaires sociales du Sénat présente une motion tendant à opposer la question préalable. Elle souhaite ainsi témoigner de son désaccord avec le texte tel qu’il ressort des travaux de l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le présent projet de loi est vital pour l’avenir de notre système de santé. Grâce à lui, j’en ai la conviction, il y aura un avant et un après Mediator. Je sais que beaucoup sont de cet avis, même s’ils ne l’admettent pas publiquement !
Ce texte refonde le système de sécurité sanitaire des produits de santé, afin de concilier sécurité des patients et accès au progrès thérapeutique.
Comme je l’ai indiqué, je ne me contenterai pas de ce projet de loi. Des décrets seront pris, et il y aura une refonte de l’organisation de l’agence chargée de la sécurité du médicament. Cette réforme aura une dimension européenne.
Par ailleurs, je souhaite que soit fixé dès à présent un rendez-vous, à deux ou trois ans, pour que le Parlement et l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, vérifient que la loi aura bien été appliquée dans l’esprit ayant présidé à son élaboration. L’importance du sujet l’exige : il doit y avoir un « service après-vote ».
Permettez-moi de revenir sur plusieurs points majeurs.
Je pense tout d’abord à l’interdiction de liens d’intérêts pendant les trois ans précédant la nomination des dirigeants de la Haute Autorité de santé, la HAS, de l’Institut national du cancer, l’INCa, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, qui a été supprimée après les débats à l’Assemblée nationale.
Cette proposition pouvait apparaître intellectuellement satisfaisante, mais il faut veiller à ne pas confondre liens d’intérêts et conflits d’intérêts.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est votre pouvoir d’appréciation qui devra s’exercer lors des auditions parlementaires des candidats. Si la situation n’apparaissait pas suffisamment claire, la nomination ne serait pas validée.
En tout état de cause, si une telle interdiction avait existé à l’époque, M. Maraninchi n’aurait jamais pu être nommé à la tête de l’INCa, ce qui eût été dommage.
Nous avons besoin de personnalités compétentes, disposant d’une réelle expérience. Faudrait-il exiger des candidats qu’ils viennent de la planète Mars, afin que nous soyons sûrs qu’il n’y aura aucun risque de liens d’intérêts ? Je caricature, mais je pense réellement qu’il serait préférable d’apprécier la situation des candidats lors des auditions parlementaires et de s’opposer le cas échéant à leur nomination si les choses ne sont pas suffisamment claires plutôt que d’adopter la solution que vous aviez proposée.
J’en viens à la question du nom de l’agence chargée de la sécurité du médicament. Dans un dossier comme celui-ci, les querelles sémantiques n’ont pas leur place, mais c’est néanmoins un point qui a son importance. Il faut donner un nouveau nom à cette agence, car, qu’on le veuille ou non, celui d’« Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé » est indissolublement lié au dossier du Mediator. Bien sûr, ce changement de nom n’est pas l’alpha et l’oméga de la réforme, mais pour prendre un nouveau départ, il faut un nouveau nom : tout ayant changé, il faut aussi changer le nom. Cela permettra en outre d’affirmer de manière plus forte la vocation de l’agence en matière de police du médicament.
Un autre point important est l’interdiction, que vous aviez inscrite à l’article 5, aux associations de patients recevant des subventions ou des avantages des entreprises pharmaceutiques de siéger au conseil d’administration de l’agence.
Nous avions longuement débattu de cette question au cours de la première lecture du projet de loi. L’adoption de cette mesure aurait exclu la quasi-totalité des associations de patients et créé une inégalité de traitement entre les professionnels de santé et les associations.
Alors que l’information et la transparence fondent la confiance, cette interdiction aurait marqué un véritable recul pour la démocratie sanitaire. L’Assemblée nationale a supprimé cette mesure : sans opposer une assemblée à l’autre, je veux saluer la sagesse dont elle a fait preuve ce faisant.
Par ailleurs, selon vous, le renvoi à des textes réglementaires viderait le projet de loi, en particulier l’article 9 bis, d’une grande partie de sa portée.
Soyons très clairs sur ce sujet : je l’ai dit dès le 15 janvier dernier, pour qu’un médicament soit admis au remboursement, les essais cliniques devront avoir été réalisés contre comparateurs actifs, lorsque ceux-ci existent. L’objet du décret sera seulement de définir avec précision, en envisageant toutes les situations possibles, la mise en œuvre pratique de cette mesure. Ne nous trompons pas de débat : je défends cette position y compris à l’échelon européen.
S’agissant des autorisations temporaires d’utilisation, les ATU, je crois sincèrement que le durcissement de leur régime, tel que vous l’aviez souhaité, aurait immanquablement pénalisé les patients nécessitant un traitement de longue durée. Dans sa rédaction issue de la nouvelle lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, l’article 15 permet de conserver un juste équilibre entre la sécurité des patients et l’accès aux progrès thérapeutiques.
Sans me faire le porte-parole de quiconque, je tiens à souligner que nombre d’associations engagées dans la lutte contre les maladies rares s’étaient émues d’un tel durcissement, craignant qu’il ne s’accompagne d’une perte de chances pour les patients : cela ne serait pas acceptable.
S’agissant du régime de responsabilité, de la charge de la preuve ou des actions de groupe, vous conviendrez que, compte tenu de leur ampleur, les réformes correspondantes ne peuvent pas être introduites au détour de l’examen de ce projet de loi, de surcroît sans concertation avec les associations de patients, les entreprises et les secteurs ministériels concernés, ni surtout sans études d’impact.
J’en arrive à la question de l’expérimentation d’une visite médicale collective à l’hôpital, c’est-à-dire au fameux article 19…
Ma position est très simple : même si je suis le dernier dans ce cas, je continue à croire que nous ne pouvons pas conserver la visite médicale telle qu’elle existe.
Ce sont non pas les visiteurs médicaux qui sont en cause, mais les consignes données à une époque par les firmes qui les employaient.
Il reste que, sur ce point, la rédaction du projet de loi qui vous est soumise ne me satisfait pas : si l’on exclut de son champ les médicaments réservés à l’hôpital ou de prescription hospitalière, ainsi que les dispositifs médicaux, cela revient à vider cette expérimentation de tout son sens.
Je le répète, il ne s’agit pas pour moi de stigmatiser la profession de visiteur médical, mais la visite médicale doit aujourd’hui profondément évoluer ; les professionnels en sont d’ailleurs conscients. Les firmes auront la responsabilité d’accompagner cette évolution, mais la visite collective à l’hôpital, dite « en staff », existe déjà : elle représente de 30 % à 40 % des visites médicales pratiquées à l’hôpital.
On nous dit que, pour améliorer la sécurité sanitaire, la visite collective doit s’accompagner de visites individuelles. Ces activités de suivi de l’utilisation des médicaments pourront se poursuivre dans un cadre individuel, mais je veux que lorsqu’un délégué médical hospitalier vient présenter son portefeuille de médicaments ou de dispositifs médicaux, il le fasse devant plusieurs professionnels de santé. J’ai conscience que, dans les hôpitaux locaux, l’organisation d’une telle visite collective peut être compliquée, mais « plusieurs » commence à deux…
C’est donc une réforme d’ampleur que Nora Berra et moi-même proposons. Nous serons particulièrement attentifs à sa mise en œuvre effective. Elle doit permettre de redonner aux Français confiance dans notre système du médicament. N’ayons pas de réflexes partisans sur un tel sujet, car la santé est l’affaire de tous ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Cazeau, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord rappeler dans quel état d’esprit le Sénat a abordé la discussion du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Notre approche, dénuée d’a priori politique, s’est fondée avant tout sur des propositions auxquelles nous avions unanimement souscrit à l’issue de notre mission commune d’information sur le Mediator et l’évaluation et le contrôle des médicaments.
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Ces propositions reprenaient d’ailleurs celles qui avaient déjà été formulées en juin 2006 dans le rapport de la mission d’information sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments présidée par M. Gilbert Barbier.
Nous avions été confortés dans cette démarche par l’attitude, qui nous avait semblé ouverte, de l’Assemblée nationale. En adoptant l’article 9 bis du projet de loi, celle-ci avait soumis les médicaments candidats au remboursement à des essais comparatifs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le groupe socialiste, radical et citoyen de l’Assemblée nationale s’était abstenu lors du vote sur l’ensemble du projet de loi, dans l’intention de lui laisser ainsi une seconde chance au Sénat. C’est selon cette même logique, qui aurait dû être pleinement consensuelle, que le groupe UCR du Sénat, a voté le texte en première lecture.
Je regrette que l’intransigeance de la majorité présidentielle ait fait voler en éclats la possibilité d’aboutir à un texte commun en commission mixte paritaire. La nécessité de garantir la sécurité sanitaire des médicaments est pourtant pleinement reconnue par tous !
M. Ronan Kerdraon. Eh oui !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Nous voilà donc saisis du texte issu de la nouvelle lecture du projet de loi par l’Assemblée nationale.
Parmi les quarante et un articles restant en discussion, dix-sept ne diffèrent de la version adoptée par le Sénat que parce qu’ils rétablissent, pour la future agence chargée de la sécurité du médicament, le nom que le Gouvernement avait initialement souhaité lui donner.
On peut considérer qu’il ne s’agit pas d’un enjeu majeur. J’en conviens, monsieur Bertrand, même si je persiste à penser qu’il n’est pas judicieux de qualifier cette agence de « nationale » : lui conserver le qualificatif de « française » aurait davantage de sens aux yeux des instances internationales.
Monsieur le ministre, vous accordez plus d’importance que nous au nom de cette agence. Pour notre part, nous avons toujours soutenu que les appellations sont secondaires : ce sont les pratiques qui doivent évoluer.
À ce propos, je remarque que, malgré vos affirmations répétées sur la nécessité d’une rupture entre l’avant et l’après Mediator, l’identité des personnes chargées de préfigurer la nouvelle organisation de l’agence montre que la vigilance est encore nécessaire ; vous voyez certainement à quoi je fais allusion…
Au sujet des autres articles, j’observe que la plupart des améliorations rédactionnelles apportées par le Sénat ont été conservées. De même, quelques amendements de fond adoptés par notre assemblée ont été maintenus : il s’agit d’ailleurs principalement de ceux qui avaient été déposés par le Gouvernement ou le groupe UMP…
M. Ronan Kerdraon. Allez savoir pourquoi…
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Si quelques miettes des propositions émanant du groupe CRC, du groupe socialiste et des sénateurs écologistes ont également été sauvegardées, je déplore en revanche que l’Assemblée nationale ait rejeté les apports du Sénat en matière de contrôle des liens d’intérêts et de prévention des conflits d’intérêts. Monsieur le ministre, ce sont les liens d’intérêts qui entraînent les conflits d’intérêts ! Nous ne confondons pas les deux notions, contrairement à ce que vous avez dit à plusieurs reprises, mais nous considérons qu’il n’est pas possible de les dissocier complètement.
À l’Assemblée nationale, ont été écartés tous les débats de fond tendant à l’octroi de moyens publics pour la mise en place d’un corps d’experts indépendants, à la formation initiale et continue des professionnels de santé, à l’avenir de la profession de visiteur médical ou au financement des associations de patients. Certes, les positions sur ce dernier sujet avaient évolué lors de la commission mixte paritaire, mais il n’en demeure pas moins nécessaire de repenser le financement des associations de patients.
Il n’est pas anodin que même les avancées adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture aient été restreintes par celle-ci lors de la deuxième lecture.
C’est ainsi que l’article 9 bis, issu d’une initiative heureuse des députés, qui soumet à des essais comparatifs les médicaments proposés au remboursement, a vu son application conditionnée à la publication d’un décret en Conseil d’État. Pour quelle raison ? Le prétendu risque d’entraver la diffusion de médicaments innovants a servi, une fois encore, à protéger le remboursement des nombreux « me too », ces médicaments sans apport thérapeutique réel par rapport à l’existant qui encombrent le marché.
Au total, à l’exception d’une amorce de contrôle des dispositifs médicaux – enjeu majeur de sécurité sanitaire – et de mesures renforcées pour prévenir les ruptures de stock et d’approvisionnement, les mesures contenues dans ce projet de loi se résument, pour l’essentiel, à la transposition de la directive communautaire relative à la pharmacovigilance !
M. Ronan Kerdraon. Eh oui !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Les autres dispositions du projet de loi visent soit des compétences déjà dévolues à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, soit dépendront à titre principal, pour leur application, de mesures réglementaires dont le contenu est incertain, même si, monsieur le ministre, vous avez affirmé, la main sur le cœur, que vous feriez le mieux possible…
En outre, le flou qui entoure plusieurs dispositions est de nature à favoriser les contentieux et à inhiber la future agence dans l’exercice de ses compétences.
Arrêtons-nous un instant sur nos quelques points saillants de désaccord avec le texte qui nous est soumis aujourd’hui.
Tout d’abord, l’Assemblée nationale a rejeté notre proposition d’harmoniser la procédure de contrôle des déclarations d’intérêts prévue pour les acteurs de la sécurité sanitaire avec celle que vise à mettre en place, de manière plus large, le projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique qui est en cours d’examen. Elle en est donc restée à un contrôle de l’exactitude des déclarations, confié à des comités d’éthique internes aux organismes et dotés de moyens limités : cette procédure sera très peu efficace.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a supprimé l’interdiction, de portée pourtant limitée, que nous avions introduite de tous liens d’intérêts pendant trois ans avant d’accéder à la direction des principales agences sanitaires.
Or la position tout à fait particulière des dirigeants de ces agences me semble justifier une telle exclusion. Le fait que d’éminents professeurs de médecine auraient été privés de la possibilité d’accéder à ces postes ne me paraît pas une objection déterminante : ils auraient toujours pu, dans ce cas, exercer des fonctions d’expertise au sein des agences en question ou, mieux encore, continuer à œuvrer directement pour la recherche et le soin au sein des services hospitaliers.
L’Assemblée nationale a également supprimé la mise en place d’un site internet gratuit centralisant les informations relatives aux avantages consentis par les entreprises. La personne désireuse de connaître les liens particuliers entretenus avec elles par un professionnel de santé ou un établissement devra donc consulter l’intégralité des sites des entreprises du secteur, ou espérer que son moteur de recherche lui fournira un lien vers toutes les pages utiles… La transparence dépendra donc de l’efficacité de Google !
S’agissant des autorisations temporaires d’utilisation, ou ATU, l’Assemblée nationale est revenue sur le choix du Sénat de limiter leur durée de vie à une année renouvelable deux fois. Pourtant, trois ans, ce n’est pas rien ! Je demeure convaincu qu’il aurait été préférable de marquer clairement la différence entre les ATU de droit commun, qui ne sont qu’une première étape, par définition temporaire, vers l’autorisation de mise sur le marché, et les ATU délivrées dans le cadre d’une procédure dérogatoire, qui répondent à des situations isolées et douloureuses et qui ne doivent être soumises à aucune contrainte temporelle.
Le Sénat avait fait le choix d’inscrire dans la loi une interdiction de principe de la publicité concernant les vaccins. Nous regrettons le choix de l’Assemblée nationale, qui a estimé que la politique de prévention en matière de vaccins ne devait pas relever exclusivement de la puissance publique.
Concernant l’expérimentation de la visite médicale collective dans les établissements de santé, que reste-t-il de vos propositions à l’article 19 du projet de loi, monsieur Bertrand ?
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Vous semblez oublier que nous discutons aujourd’hui du texte adopté par l’Assemblée nationale, et non de celui issu du Sénat !
Vos propositions ont été censurées par votre propre majorité. Il n’en reste plus rien, et vous le savez très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Et François Hollande qui reçoit les visiteurs médicaux… N’y a-t-il pas là un double langage du parti socialiste ?
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Autant dire que l’expérimentation qui nous est proposée est aujourd’hui totalement vidée de son sens ! Je note que, sur ce point, vous n’avez pas su convaincre une majorité de votre propre majorité, prompte à prendre en compte des intérêts particuliers. J’ai encore en tête ce que m’a dit l’un des responsables de notre système de sécurité sanitaire lorsque je l’ai auditionné : « Le prochain Mediator sera un dispositif médical. » Mais, là encore, il ne reste plus rien !
J’en viens maintenant à la question de la protection des droits des patients.
Sur l’initiative des groupes socialiste-EELV et CRC, le Sénat avait introduit dans le projet de loi trois articles mettant directement en pratique le principe énoncé par le ministre de la santé selon lequel « le doute doit désormais bénéficier au patient ». L’Assemblée nationale est revenue sur ces trois avancées.
L’article 17 bis portait sur la responsabilité du fabricant du fait d’un produit défectueux. Depuis la transposition, en 1998, de la directive du 25 juillet 1985 en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, un fabricant ne peut être jugé responsable du dommage causé par un produit défectueux lorsqu’il lui est impossible, au moment de sa mise en circulation, de déceler l’existence d’un défaut dans sa conception. Prenant en compte la spécificité des médicaments, l’article 17 bis visait à supprimer cette exonération en matière de médicaments, alignant par là même leur régime juridique sur celui qui s’applique actuellement aux produits issus du corps humain.
Revenant lui aussi sur les conséquences défavorables de la directive de 1985 pour les victimes d’accidents médicamenteux, l’article 17 ter mettait en place un système de faisceau d’indices pour alléger la charge de la preuve pesant à l’heure actuelle sur les requérants qui demandent réparation des dommages causés par un médicament.
Si elle a reconnu l’intérêt que pouvaient présenter ces deux articles, l’Assemblée nationale n’a pas jugé bon de les conserver.
Enfin, l’article 30 bis A visait à introduire en droit français, sur notre initiative, une procédure d’action de groupe au bénéfice des victimes d’accidents médicamenteux. Il s’agissait de régler une situation paradoxale : tout le monde, ou presque, reconnaît l’utilité de ce type d’action, mais toutes les tentatives pour introduire une telle procédure en droit français ont échoué. Plutôt que de reporter la question sine die, il eût été préférable de profiter de la mise en œuvre d’un texte symbolique comme celui-ci pour au moins prévoir une procédure spécifique pour les victimes d’accidents médicamenteux. Pourtant, l’Assemblée nationale a préféré le statu quo et a renvoyé, une fois de plus, cette question aux calendes grecques, avec la complicité du Gouvernement.
Finalement, monsieur le ministre, au fur et à mesure que le temps passe, les propos très rigoureux et unanimement accueillis que vous aviez tenus, voilà un peu moins d’un an, sur la sécurité du médicament perdent de leur fermeté et de leur originalité.
M. Ronan Kerdraon. Ils ont fait pschitt !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Il nous a paru inutile de nous acharner à essayer de convaincre les députés de votre majorité ou vous-même du bien-fondé de nos observations. Afin de manifester son désaccord profond avec le projet de loi tel qu’il ressort des travaux de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, la commission des affaires sociales a donc adopté une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. André Reichardt. Encore !
Mme Chantal Jouanno. Quel esprit constructif !
8
Élection de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et de juges à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. Je remercie Mmes et MM. les secrétaires du Sénat qui ont bien voulu superviser les opérations de vote.
Voici le résultat du scrutin pour l’élection de six délégués titulaires du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :
Nombre de votants | 277 |
Majorité absolue des votants | 139 |
Ont obtenu :
M. Jean-Marie Bockel | 242 voix |
M. Éric Bocquet | 239 voix |
Mme Josette Durrieu | 239 voix |
M. Jean-Claude Frécon | 244 voix |
M. Jean-Louis Lorrain | 248 voix |
M. Philippe Nachbar | 251 voix |
En conséquence, MM. Philippe Nachbar, Jean-Louis Lorrain, Jean-Claude Frécon, Jean-Marie Bockel, Éric Bocquet et Mme Josette Durrieu ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je les proclame délégués titulaires du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. (Applaudissements.)
Voici le résultat du scrutin pour l’élection de six délégués suppléants du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :
Nombre de votants | 264 |
Majorité absolue des votants | 133 |
Ont obtenu :
Mme Maryvonne Blondin | 237 voix |
Mme Bernadette Bourzai | 238 voix |
M. Bernard Fournier | 246 voix |
M. Jacques Legendre | 247 voix |
M. Jean-Pierre Michel | 236 voix |
M. Yves Pozzo di Borgo | 246 voix |
En conséquence, MM. Jacques Legendre, Bernard Fournier, Yves Pozzo di Borgo, Mmes Bernadette Bourzai, Maryvonne Blondin et M. Jean-Pierre Michel ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je les proclame délégués suppléants du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. (Applaudissements.)
Voici le résultat du scrutin pour l’élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants :
Nombre de votants | 268 |
Nombre de suffrages exprimés | 264 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 133 |
Ont obtenu :
M. François-Noël Buffet, titulaire, et Mme Catherine Troendle, suppléante | 263 voix |
M. Yves Détraigne, titulaire, et M. Jean-Paul Amoudry, suppléant | 262 voix |
Mme Josette Durrieu, titulaire, et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, suppléante | 255 voix |
M. Jean-Pierre Michel, titulaire, et M. Jean-Yves Leconte, suppléant | 255 voix |
M. Bernard Piras, titulaire, et M. Gilbert Roger, suppléant | 257 voix |
M. Bernard Saugey, titulaire, et M. Alain Fouché, suppléant | 264 voix |
En conséquence, M. Bernard Saugey, titulaire, et M. Alain Fouché, suppléant ; M. François-Noël Buffet, titulaire, et Mme Catherine Troendle, suppléante ; M. Yves Détraigne, titulaire, et M. Jean-Paul Amoudry, suppléant ; M. Bernard Piras, titulaire, et M. Gilbert Roger, suppléant ; Mme Josette Durrieu, titulaire, et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, suppléante ; et M. Jean-Pierre Michel, titulaire, et M. Jean-Yves Leconte, suppléant, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, ils sont proclamés juges à la Cour de justice de la République. (Applaudissements.)
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Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République
Mme la présidente. Mme et MM. les juges titulaires et Mmes et MM. les juges suppléants à la Cour de justice de la République vont être appelés à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment. Il sera procédé ensuite à l’appel nominal de Mme et MM. les juges titulaires, puis à l’appel nominal de Mmes et MM. les juges suppléants. Je les prie de bien vouloir se lever à l’appel de leur nom et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. »
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
(Successivement, MM. François-Noël Buffet, Yves Détraigne et Bernard Saugey, juges titulaires, Mmes Catherine Troendle et Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Alain Fouché, juges suppléants, se lèvent et disent, en levant la main droite : « Je le jure. »)
Mme la présidente. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui.
M. Jean-Paul Amoudry, Mme Josette Durrieu, MM. Jean-Pierre Michel, Bernard Piras, Jean-Yves Leconte et Gilbert Roger, qui n’ont pu assister à la séance d’aujourd’hui, seront appelés ultérieurement à prêter serment devant le Sénat.
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Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé
Suite de la discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi, tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée nationale, est un paradoxe à lui seul. En raison du peu de temps qui m’est imparti, je concentrerai donc mes propos sur la question de la transparence et de l’existence des liens d’intérêts.
Alors que la commission mixte paritaire était parvenue à un accord sur les cinq premiers articles, retenant d’ailleurs de manière générale les travaux de la Haute Assemblée, les députés du groupe de l’UMP ont cru utile de revenir sur le consensus trouvé en CMP sur ces premiers articles, avant que celle-ci n’échoue. Un peu comme si, à l’Assemblée nationale, il fallait que les députés qui soutiennent le Gouvernement fassent la preuve de leur fidélité en détricotant méticuleusement tout ce que le Sénat avait adopté en première lecture. (M. André Reichardt s’esclaffe.)
Nous regrettons une telle attitude. C’est la raison pour laquelle, dès la réunion de la commission des affaires sociales, nous avons soutenu notre rapporteur dans sa démarche consistant à déposer, au nom de la commission, une motion tendant à opposer la question préalable. Mon collègue Dominique Watrin exprimera ultérieurement la position du groupe CRC à ce sujet.
Dire devant vous qu’il ne reste plus aucun point d’accord entre nos deux chambres serait, à l’évidence, faux. Toutefois, il s’agit pour nous d’opérer la balance entre le texte dont nous discutons aujourd’hui et ce dont a besoin notre pays pour garantir une véritable sécurité sanitaire, et je dirai même lever progressivement la méfiance de nos concitoyens à l’égard de notre système. Celui-ci a fait la preuve, non seulement avec le cas du Mediator, mais aussi avec l’épisode de la grippe A H1N1, de son inefficacité, notamment en raison de la porosité entre l’industrie pharmaceutique, d’une part, et les agences de contrôle, d’autre part.
Vous le savez, pour nous, il était grand temps de permettre l’émergence d’un corps d’expertise indépendant de tout lien d’intérêts. Car l’expérience nous le prouve, le risque que ces liens d’intérêts deviennent des conflits d’intérêts est bien réel, avec tous les dysfonctionnements que cela génère.
À cet égard, je ne m’explique pas que les députés de l’UMP aient supprimé l’article qui se limitait à la remise d’un rapport sur les moyens de parvenir à un tel système. Il s’agissait non pas d’instaurer dès aujourd’hui un corps d’expertise indépendant, mais de l’envisager sérieusement. La création d’un tel corps était préconisée, je le rappelle, par la mission d’information présidée par notre ancien collègue François Autain, et dont le rapport avait été adopté à l’unanimité.
L’Assemblée nationale a également supprimé les dispositions que nous avions proposées et que le Sénat avait adoptées concernant l’indépendance des membres de toutes les agences sanitaires et les mécanismes d’appel à candidature pour la désignation du président du conseil d’administration et du président du conseil scientifique de l’Institut national du cancer. Nous le regrettons !
Je voudrais profiter de l’occasion pour revenir sur un argument que nous avons entendu à de nombreuses reprises. Soyons clairs : tel que nous avions rédigé l’article, le fait qu’une personne travaille pour une structure publique ou pour un centre de recherche percevant des subventions d’une entreprise privée ne faisait pas obstacle à sa nomination au sein d’une agence publique. Il en aurait été autrement si celui-ci avait été directement salarié de cette entreprise privée. C’est là toute la distinction entre conflit d’intérêts et lien d’intérêts ! Une distinction sur laquelle vous êtes vous-même souvent revenu, sans jamais l’appliquer, monsieur le ministre.
Je regrette également que votre majorité à l’Assemblée nationale ait réduit presque à néant la portée du Sunshine Act à la française. Là aussi, soyons clairs : la simple communication sur l’existence d’une convention entre un professionnel de santé et une entreprise n’est pas suffisante. Il faut, comme je le soulignais en première lecture, en faisant référence au député américain auteur de cette mesure, faire toute la lumière pour chasser les zones d’ombre.
Des zones d’ombre dont la majorité présidentielle a permis l’extension puisqu’elle a, avec votre soutien, supprimé l’interdiction que nous avions faite aux étudiants en médecine de recevoir des cadeaux et de bénéficier de prestations dites d’hospitalité de la part de l’industrie pharmaceutique.
Des zones d’ombre qu’il sera difficile de démasquer dans la mesure où les déclarations d’intérêts ne seront plus centralisées sur un site internet unique et gratuit, consultable par tous. Résultat : ceux qui voudront s’assurer de l’absence de liens d’intérêts d’un acteur de notre système sanitaire seront contraints d’effectuer une recherche sur une multitude de sites internet.
Pourquoi faire simple et clair quand on peut faire complexe et obscur ?
L’Assemblée nationale est également revenue sur les dispositions que nous avions adoptées concernant les visiteurs médicaux.
Ces derniers font l’objet d’un important débat. La nature même de leur exercice, au-delà de leurs compétences et de leur probité personnelle, est de nature à générer le doute. Comment peut-on croire qu’ils peuvent être des facteurs impartiaux d’information quand ils sont rémunérés à la performance, en fonction du nombre de boîtes de médicaments vendues dans les zones qui leur sont attribuées par le laboratoire dont ils sont les salariés ? Leur reconversion, en faveur d’un corps indépendant, permettant à la fois leur maintien dans l’emploi et le changement même de leurs missions, en faveur d’une information délivrée dans le sens de la santé publique, nous paraissait être une piste à étudier.
Non seulement l’UMP a refusé cette mesure, mais elle a également étendu la visite collective dans les établissements de santé aux dispositifs médicaux. Nous le regrettons, car – nous l’avions déjà dit en première lecture – cette visite médicale en hôpital concerne les médicaments les plus onéreux, ceux sur lesquels les laboratoires réalisent les marges les plus importantes. J’ai du mal à croire que les chefs de service, les professeurs de nos établissements de santé, publics comme privés, qui sont également souvent des enseignants et des chercheurs, ne sont pas suffisamment informés de l’état de la pharmacopée actuelle, pour avoir besoin de la visite des commerciaux de l’industrie pharmaceutique.
La transparence qu’appellent de nos vœux nos concitoyens est malheureusement absente du projet de loi. Elle était pourtant essentielle ; elle devait être au cœur d’un texte censé sécuriser le parcours du médicament. C’est donc l’essentiel qui fait défaut. Telle est la raison pour laquelle le groupe CRC ne peut voter le projet de loi en l’état. Telle est également la raison pour laquelle nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants afin de permettre les derniers préparatifs de la retransmission par Public Sénat et par France 3 des questions cribles thématiques ; nous les reprendrons à dix-sept heures précises.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Questions cribles thématiques
la compétitivité
M. le président. Mes chers collègues, nous devions débuter à dix-sept heures précises la séance consacrée aux questions cribles thématiques, mais M. le secrétaire d’État chargé du commerce n’est pas encore arrivé. Ce retard n’est pas acceptable dans la mesure où cette séance est prévue longtemps à l’avance.
Je vais donc suspendre à nouveau la séance en attendant que M. le secrétaire d’État veuille bien nous rejoindre.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la compétitivité.
L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été placés à la vue de tous.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la compétitivité est un moyen permettant à un pays d’« améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et de leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale ». Voilà ce que l’on peut lire à la première page d’un document du MEDEF cosigné cet été par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Ces organisations reprennent là une définition européenne que nous serions tentés de partager si elle n’était le prétexte mensonger à une charge indécente contre les droits des travailleurs.
Pour cette doctrine libérale, le coût du travail serait responsable d’une prétendue perte de compétitivité de nos entreprises. Mais, en réalité, là où vous parlez de compétitivité, les travailleurs vivent la précarité ; là où vous louez la modernisation, ils subissent la précarisation.
Aujourd’hui, ces travailleurs sont dans l’action pour dénoncer votre plan d’austérité, qui fait porter les efforts sur les salariés, qui creuse les inégalités et qui plonge des milliers de familles dans les difficultés sociales. Nos entreprises sont rentables et les salariés se battent contre vos politiques pour sauver l’industrie française.
Qu’est-ce que la compétitivité quand Unilever décide de la fermeture du site rentable de Fralib à Gémenos pour délocaliser la production en Pologne et mettre ses profits en Suisse au prétexte qu’il serait le site le moins rentable en Europe ?
En vingt ans, la productivité a augmenté de 50 % et la masse salariale totale du site ne représente plus que 16 centimes d’euros sur une boîte de thé ou d’infusion vendue entre 1,80 euro et 2,60 euros !
Que proposez-vous, monsieur le secrétaire d'État, à ces travailleurs, dont le plan social a été annulé par la justice et dont la direction refuse la réintégration ? Qu’allez-vous faire pour les soutenir, alors qu’ils se battent à votre place pour préserver, dans l’intérêt de l’économie de notre pays, un outil industriel performant ? Concrètement, êtes-vous prêt à vous engager aujourd’hui devant notre assemblée à rencontrer – enfin ! – les salariés de Fralib ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser mon retard, mais je me trouvais précisément auprès des acteurs économiques, qui ont besoin, en cette période, vous le savez, que nous soyons à leurs côtés.
Madame la sénatrice, plusieurs de mes collègues ont déjà eu l’occasion de s’exprimer sur la situation de Fralib ; je puis vous assurer que le sort des 182 salariés concernés nous tient à cœur.
La fermeture par Unilever de ce site de production historique de sachets de thé produits sous la marque Éléphant est évidemment regrettable pour le bassin d’emploi marseillais. Vous le savez, le Gouvernement est mobilisé sur ce dossier depuis le début du mois de novembre 2010 et il a invité, avec le préfet de région, l’ensemble des acteurs à participer à plusieurs tables rondes afin de trouver des solutions.
L’ensemble des projets alternatifs à une fermeture ont été étudiés par le groupe de travail. Certaines des pistes proposées par les salariés n’apparaissaient pas réalisables ; je pense notamment à la cession par Unilever de sa marque Éléphant aux salariés, une cession qui ne semblait pas possible, car ce groupe continue de produire cette marque sur d’autres sites.
Nous avons également demandé, dès le début, à Unilever de prendre des mesures visant à accompagner les salariés et à revitaliser le territoire qui soient à la hauteur de ses moyens financiers.
Vous y avez fait allusion, la cour d’appel d’Aix-en-Provence vient de rejeter le projet de fermeture d’Unilever, considérant que les mesures de reclassement proposées n’étaient pas satisfaisantes et n’étaient pas précisément à la mesure des moyens financiers d’un tel groupe.
Sitôt que cette décision de justice a été rendue, des membres des cabinets ministériels de Xavier Bertrand et Éric Besson ont rencontré les dirigeants d’Unilever pour leur demander de mettre en œuvre au plus vite cette décision de justice, en proposant aux salariés des mesures de reclassement appropriées.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le secrétaire d'État, je suis désolée de vous le dire, mais nous ne sommes pas satisfaits de votre réponse.
En effet, contrairement à ce que vous prétendez, les salariés n’ont pas été reçus. Cela fait trop longtemps maintenant que leurs droits sont bafoués. L’annulation du plan de sauvegarde de l’emploi aurait dû impliquer le redémarrage de l’entreprise et la prise en compte de la solution alternative défendue par les travailleurs.
Le 25 novembre dernier, le ministre du travail a tenu une réunion à laquelle étaient conviés les autorités locales et les représentants d’Unilever, mais pas ceux des salariés, ni ceux des organisations syndicales. Cela montre bien de quel côté se trouve le Gouvernement, alors même qu’il prétend défendre le « made in France » et l’emploi industriel. Certains salariés ont reçu une fiche de paie négative, devant régler jusqu’à 2 227 euros à l’employeur ! Et, comble de l’indécence, la direction annonce une fermeture à la fin de l’année pour congés de Noël !
Monsieur le secrétaire d'État, nous retenons de votre réponse que le Gouvernement n’est malheureusement même pas prêt à recevoir les salariés de ce groupe pour examiner – enfin ! – leurs propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans les zones hyper-rurales, le chiffre d’affaires des PME de toutes sortes – de l’artisanat, des services, des professions libérales, du commerce – est plus difficile à réaliser que dans d’autres zones.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Alain Bertrand. L’hyper-ruralité est une notion nouvelle, qui diffère quelque peu du concept de zone rurale. Elle peut se caractériser par le faible nombre d’habitants, par l’éloignement des capitales régionales – huit heures de train sont nécessaires pour aller de la préfecture de la Lozère à la capitale régionale, seize à dix-huit heures pour aller à Paris –, par l’absence de facultés et de grandes villes. La Lozère ne compte aucune ville de 15 000 habitants ni aucune agglomération. C’est le cas dans bien d’autres parties de départements français, notamment dans la Creuse, l’Ariège – chère au président Bel – ou en Corse, notamment.
L’hyper-ruralité, souvent localisée en zone de montagne, se caractérise aussi par des prix plus élevés qu’ailleurs. Ainsi, le gazole est plus cher en Lozère qu’à Paris, à Marseille ou à Lille. Les études des enfants sont aussi beaucoup plus coûteuses, tout comme le sont les denrées alimentaires, car il y a moins de bassins de chalandise et moins de concentrations de grandes surfaces. Bref, tout est plus cher !
Malgré les mesures existantes, qui, déjà faibles, s’étiolent – je pense notamment aux aides à finalité régionale comme l’ancienne prime d’aménagement du territoire, aux zones de revitalisation rurale, aux pôles d’excellence rurale –, c’est un véritable sacerdoce que d’entreprendre en milieu rural. Il convient donc de mettre en place des mesures spéciales, adaptées et particulières, qui permettent à chaque initiative de prospérer : davantage de dotations aux communes de l’hyper-ruralité, des aides spécifiques aux artisans, commerçants et PME, un dispositif « initiatives dans l’hyper-ruralité », qui inclura nécessairement des aides à l’investissement touristique, notamment, fournies par l’État, les régions et les départements. Jusqu’à présent, ce n’est que très mal fait.
Qu’envisagez-vous donc, monsieur le secrétaire d'État, pour que ces territoires, déjà défavorisés et sous-équipés, puissent retrouver leur compétitivité et ainsi participer plus et mieux à la richesse nationale et à la création d’emplois, qui vous tiennent tant à cœur ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, j’aime beaucoup la Lozère. Sachez que ma belle-famille est originaire de la Haute-Loire. Je connais donc bien toutes ces zones que vous avez parfaitement décrites.
M. Alain Néri. Et le Puy-de-Dôme ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je serai dans le Puy-de-Dôme jeudi prochain, monsieur Néri.
M. Ronan Kerdraon. La Bretagne n’est pas mal non plus !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. J’y étais il n’y a pas très longtemps ! Je fais trois déplacements par semaine, partout en France.
Monsieur Bertrand, j’entends bien les arguments que vous avez développés. Néanmoins, permettez-moi de vous dire que le logement est beaucoup moins cher en Lozère qu’à Paris, à Marseille ou à Lille. Certains problèmes méritent évidemment que nous agissions, mais, fort heureusement, les populations vivant dans les régions que vous avez décrites disposent aussi d’avantages que ne connaissent pas les habitants d’autres régions de France. Je tiens à insister sur ce point, car il ne s’agit pas de tomber dans le misérabilisme, même si, je le sais, ce n’était pas votre intention.
M. Alain Bertrand. Non, en effet !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Vous avez évoqué l’attractivité des territoires, les zones de revitalisation rurale et la politique de cohésion. À cet égard, il faut évidemment maximiser les retours financiers des dispositifs existants.
Les restructurations de défense, l’accès de tous les citoyens aux services publics et aux services de santé sont des aspects absolument majeurs, tout comme la couverture numérique du territoire, puisque c’était l’un des sujets sous-jacents dans votre intervention. Sur ce point, aller au contact des artisans et commerçants de beaucoup de nos territoires me permet de constater les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Je sais donc qu’ils veulent disposer du commerce multicanal, parce qu’ils savent que cela représente l’avenir.
La compétitivité passe par la mise en synergie de tous les atouts économiques français, à travers les politiques des pôles, vous y avez fait allusion, et des grappes.
Pour accompagner les projets ruraux innovants, créateurs de croissance et d’emplois, nous avons mis en place les pôles d’excellence rurale, à travers quatre appels à projets nationaux depuis 2006, dont le dernier s’est conclu en mai 2011. Au total, 652 projets ont été financés par près de 475 millions d’euros.
Les pôles de compétitivité regroupent les acteurs de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’industrie pour favoriser l’innovation sur les territoires. Nous avons consacré 1,5 milliard d’euros sur la période 2009-2011 au lancement de la deuxième phase de cette politique.
Le Gouvernement croit beaucoup dans la politique des grappes d’entreprise, parce que ce sont les TPE et les PME qui créent la richesse et l’emploi dans nos territoires. Les grappes permettent à ces petites entreprises d’améliorer leur compétitivité et leurs performances, en mettant en commun un certain nombre de services. Ainsi, 126 grappes ont été sélectionnées, pour un budget total de 24 millions d’euros sur deux ans.
Vous le voyez, les actions du Gouvernement sont concrètes et structurées. Elles visent à agir aux côtés des acteurs économiques et à engager notre pays sur la voie de l’innovation, qui représente son avenir et celui de ses territoires ruraux.
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour la réplique.
M. Alain Bertrand. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse, qui est assez complète.
Quand tous les territoires français seront équipés en haut et très haut débit, ce sera une bonne chose, car nous aurons donné à tous l’outil qui convient. Mais, à ce moment-là, il ne s’agira pas d’une discrimination positive en faveur des territoires ruraux ou hyper-ruraux, contrairement à ce qu’annoncent à leurs électeurs les députés et les sénateurs ruraux, puisque tout le monde en bénéficiera. Cette piste ne répond donc pas précisément à la question que je pose, même si elle est cruciale.
Les secteurs très ruraux regorgent d’énergie, de bonnes volontés, de capacités et d’initiatives qu’il faut absolument accompagner différemment. Comme j’aime à le répéter, la plus grande ville de France n’est pas Paris, c’est la chaîne de dizaines de milliers de villages et de petits villages. Nous avons, nous aussi, les possibilités de créer des emplois, objectif que nous poursuivons tous pour faire bien vivre notre République. Nous voulons participer à cet effort national, mais il faut pour cela nous donner une chance : cela passe par l’application d’une discrimination positive plus importante.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les nouvelles tensions économiques mondiales qui existent depuis la fin du mois de juillet 2011 annoncent un scénario de conjoncture très dégradée pour les prochains mois et peut-être – voire assurément, je le crains – les prochaines années. Tous les experts s’accordent sur un point : la voie de sortie sera très étroite. Seule une compétitivité durable de notre pays et de nos entreprises contribuera efficacement au rétablissement de la croissance et à la réduction des dettes souveraines.
Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent offrir aux entreprises, qui sont les principales sources de richesse, un environnement propice à leur croissance et à leur compétitivité. Nos entreprises, plus particulièrement nos PME, doivent pouvoir faire face efficacement à la concurrence d’autres sociétés, qu’elles soient nationales ou étrangères.
Aujourd’hui, le niveau de vie d’une population tient quasi exclusivement à la compétitivité conjuguée de son pays et de ses entreprises. Or plusieurs critères qui mesurent la compétitivité de ces dernières sont aujourd’hui dans le rouge. Je pense au coût du travail, au manque de flexibilité du marché du travail ou à la complexité de notre fiscalité.
Mais je veux insister sur un autre point qui me paraît fondamental : l’accès des entreprises aux crédits bancaires. La mission première des banques est non pas la spéculation sur certains marchés, mais le financement des entreprises, notamment des PME. Or nos PME et PMI se plaignent d’avoir de grosses difficultés d’accès au crédit, surtout depuis la crise. Pourtant, nous savons tous qu’elles sont les plus vulnérables et que, faute de mesures spécifiques, elles seront les premières victimes de la crise.
Quelles sont les mesures, monsieur le secrétaire d'État, qui ont été ou vont être prises par le Gouvernement pour renforcer l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises et, plus généralement, pour améliorer le financement de l’économie ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous décrivez une situation que je rencontre très régulièrement. Comme je le disais, je fais trois déplacements par semaine, partout dans notre pays. C’est grâce à la rencontre des acteurs économiques que j’ai eu l’idée de demander à la Banque de France de mettre en place un indicateur de suivi des petits crédits. Je me suis en effet aperçu que les petits crédits, ceux de moins de 25 000 euros, ne sont pas suivis. Or ceux-ci sont essentiels quand les petites entreprises rencontrent un problème de délai de paiement.
L’encours des crédits aux PME s’élève, au 31 octobre 2011, à 267 milliards d’euros, dont 195 milliards d’euros de crédits aux PME indépendantes et aux micro-entreprises, en progression de 4,5 % par rapport à 2010. Au contraire de la situation prévalant dans les autres pays européens, cet encours n’a jamais diminué pendant la crise, grâce à la mobilisation du Gouvernement, aux outils de financement créés pour l’occasion ainsi qu’aux dispositifs mis en place, comme le médiateur du crédit, par exemple. L’intervention du médiateur a permis le déblocage de 3,6 milliards d’euros depuis 2008, répartis entre 14 500 entreprises. Plus de 99 % des entreprises accompagnées en médiation sont des PME.
Devant les difficultés rencontrées par un certain nombre d’acteurs, notamment les artisans ou les commerçants, qui s’en ouvrent à moi depuis un certain nombre de semaines, j’ai mis en place un numéro azur « Soutien TPE-PME », le 0810 00 12 10. Ce numéro leur permet d’être immédiatement en contact avec les services du médiateur du crédit ou, en cas de problème administratif, de marché public, ou d’anomalie dans des déclarations d’impôt, avec le correspondant PME de leur département. Plus de cent appels par jour sont actuellement recensés, avec des solutions qui sont trouvées dans environ 70 % des cas.
Nous sommes donc mobilisés, mais il faut évidemment rester vigilant.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Pour terminer, j’indique que, à chaque publication des statistiques de la Banque de France sur les petits crédits, je réunirai le réseau bancaire ayant les meilleurs résultats pour qu’il m’explique ses bonnes pratiques, que nous pourrons diffuser auprès des autres réseaux, et celui le moins performant, pour qu’il s’en explique également.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.
M. Jean Bizet. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de vos réponses, notamment celle ayant trait à la mise en réseau des banques les plus performantes avec celles qui le sont moins. J’insiste sur ce point, car certains organismes bancaires n’entendent pas toujours le message qui leur est envoyé, comme je peux le constater dans mon département. Je tiens à saluer l’action du Gouvernement sur ce point précis, car elle est pertinente.
Il me tarde que la convergence des deux plus grandes économies de l’Union européenne, à savoir la France et l’Allemagne, puisse enfin se produire, non seulement sur le plan fiscal, mais aussi sur le plan social. C’est en effet la seule solution pour disposer, à terme, d’un marché unique performant.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la compétitivité de la France s’érode : la balance commerciale est dangereusement déficitaire, la croissance de notre PIB est nulle, voire négative. Plusieurs facteurs sont en jeu.
Je pense tout d’abord à la non-maîtrise de nos finances publiques, qui occasionne sans cesse de nouvelles taxes pour augmenter nos recettes, lesquelles freinent notre compétitivité.
Cette instabilité fiscale a lourdement pesé sur certains secteurs, notamment sur la filière photovoltaïque française, dont les baisses successives de tarifs de rachat de l’électricité ont sévèrement affecté la compétitivité pourtant prometteuse.
M. Roland Courteau. C’est bien vrai !
M. Vincent Delahaye. Je pense ensuite à l’instabilité fiscale, qui va de pair avec une complexité administrative toujours plus pesante sur nos entreprises, empêchant des TPE de devenir de vraies PME. Monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures comptez-vous prendre afin de simplifier durablement l’environnement réglementaire et fiscal des entreprises ?
Je pense enfin au coût du travail, qui est trop élevé en France : il a augmenté pour l’ensemble de l’industrie et des services marchands de 40 % entre 2000 et 2010, contre seulement 19 % en Allemagne.
Un moyen de retrouver un avantage compétitif sur les coûts salariaux serait d’adopter une mesure, souvent évoquée mais jamais concrétisée, du type « TVA sociale ». Cela consisterait à faire peser le financement de notre protection sociale non plus sur le travail, mais sur une hausse de la TVA et donc sur la consommation. En plus de réduire le coût du travail et donc d’améliorer notre compétitivité, cette disposition permettrait de lutter contre les délocalisations et de faire participer les produits importés à l’effort de protection sociale des Français.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière et quels sont les freins actuels à la mise en place rapide d’une TVA sociale ? (Applaudissements sur les travées de l’UCR. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez eu raison de souligner que, depuis trente ans, tous les gouvernements – ce n’est pas une question de droite ou de gauche ! – ont emprunté le chemin de la facilité en trouvant dans l’endettement et le déficit la solution à toutes les difficultés.
M. Roland Courteau. Certains plus que d’autres !
M. Roland Courteau. C’est vous les 500 milliards d’endettement en cinq ans !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Avec près de 10 % de prélèvements obligatoires de plus que les entreprises de nos principaux compétiteurs, c’est un facteur majeur de la baisse de la compétitivité de nos entreprises. Voilà la réalité !
C’est pourquoi la réduction du niveau des prélèvements obligatoires a été un enjeu constamment à l’esprit du Gouvernement. J’en veux pour preuve la suppression de la taxe professionnelle, qui a rendu près de 7 milliards d’euros aux entreprises, tout particulièrement aux TPE et aux PME, lesquelles irriguent nos territoires. Mais il faut aller plus loin !
Vous me permettrez de prendre un peu de distance avec la formule de « TVA sociale », car elle donne le sentiment…
M. Alain Néri. … d’être antisociale !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. ... que le seul moyen est d’augmenter la TVA. Or vous connaissez l’importance du moteur de la consommation dans notre pays.
Le Président de la République a annoncé l’installation prochaine d’un Haut Comité sur le financement de la protection sociale, qui devrait prendre en compte cette préoccupation dans sa réflexion. Le dispositif à imaginer devra trouver le meilleur équilibre entre cet objectif de réduction de coût, qui affaiblit notre compétitivité, et celui qui est non moins impérieux de préserver la consommation des ménages, laquelle demeure un moteur important, si ce n’est essentiel, de la croissance française.
M. Alain Néri. Un moteur qui a des ratés !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Maintenir la trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques sans affecter la croissance nous impose des exigences. C’est pourquoi nous avons respecté, y compris lorsque nous avons annoncé un plan d’effort national partagé, tous les dispositifs qui préparent l’avenir de notre pays, à savoir le crédit d’impôt recherche ou le programme des investissements d’avenir.
Il aurait pourtant été si facile de couper dans les investissements. Une telle décision ne met personne dans la rue ! Reste que ce n’est pas la meilleure façon de préparer l’avenir de nos enfants.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse, mais elle ne me satisfait pas complètement.
Le terme de « TVA sociale » n’est peut-être pas le plus approprié. Certains ont parlé de « TVA antidélocalisations ». Manuel Valls, qui n’appartient pas au même parti que moi, a employé les mots de « TVA emploi ». Pourquoi pas ! Quoi qu’il en soit, une telle mesure serait favorable au développement de l’emploi, notamment industriel, en France, et l’on en aurait bien besoin.
Concernant les prélèvements obligatoires et la nécessité de revenir à un déficit maîtrisé ou, ce que je préférerais, à l’équilibre budgétaire, je souhaite que l’on fasse plus d’efforts sur les dépenses que sur les recettes. Mais, pour l’instant, ce n’est pas la direction qui nous est proposée.
Même en ne prenant pas de mesures drastiques sur les dépenses, on risque quand même une récession. Je ne la souhaite pas, mais quitte à avoir la récession, autant avoir pris les mesures drastiques qui s’imposaient. Ayons le courage de le faire rapidement, faute de quoi nous irons dans le mur !
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d'État, après ces différentes interventions, je voudrais faire un sort à quelques idées reçues. Pour cela, je me servirai des dernières statistiques de l’INSEE.
Le coût du travail en 2011 pour l’industrie manufacturière est de 33,16 euros en France, contre 33,37 euros en Allemagne.
Un sénateur du groupe socialiste-EELV. C’est plus cher !
M. Martial Bourquin. La durée hebdomadaire du travail, selon une étude Natixis, est à peu près la même dans les deux pays.
Le taux de chômage est, en France, de 9,7 % ; il recule à 6,9 % en Allemagne !
En France, le déficit du commerce extérieur est abyssal ; en Allemagne, il est largement excédentaire.
M. Roland Courteau. Oui, largement !
M. Martial Bourquin. Aujourd'hui, le Président de la République est en Haute-Savoie, où il fera un énième effet de communication.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d'État, nous avons besoin d’actes ! La France perd ses usines et des centaines de milliers de personnes sont au chômage.
Selon moi, le Gouvernement fait fausse route : d’abord, parce qu’il n’a pas de politique industrielle ; ensuite, parce qu’il pense tout régler avec le coût du travail. Expliquez-moi comment se fait-il que des pays européens qui ont un coût du travail bien inférieur au nôtre n’ont pas une politique industrielle beaucoup plus performante ?
En réalité, les choses sont plus compliquées que cela ! Le Gouvernement a fait l’erreur de tout miser sur les grands groupes, oubliant ces milliers de PME et de TPE qui travaillent très dur et qui créent des emplois. (Eh oui ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Elles sont les oubliées du Gouvernement, et cette erreur est catastrophique.
M. Michel Vergoz. Monumentale !
M. Martial Bourquin. En outre, il faut « clustériser » nos territoires, les aider afin que recherche, innovation et investissement soient intimement liés, et que soient mis en place ces écosystèmes productifs qui leur font cruellement défaut.
Voilà comment nous parviendrons à régler la question industrielle en France ! Mais, pour l’instant, je le répète, le Gouvernement fait complètement fausse route. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. J’attends toujours la question ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
J’ai pourtant écouté avec beaucoup d’attention, me disant qu’elle allait arriver à la fin de votre propos, monsieur le sénateur.
M. Roland Courteau. Qu’a fait le Gouvernement depuis dix ans ? La question est celle-là !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. J’étais à Sallanches, en Haute-Savoie, avec le Président de la République. Nous étions aux côtés des acteurs économiques, comme je le suis quotidiennement, je l’ai rappelé précédemment. Je vous invite à aller vous-même à leur rencontre partout en France.
M. Michel Vergoz. On le fait aussi !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Vous constaterez que les artisans, les TPE et les PME sont parfaitement conscients de la mobilisation exceptionnelle de l’État, notamment pendant la crise de 2009, et de la mise en place d’outils, pour la première fois depuis bien longtemps. Je pense en particulier à la banque des PME, OSEO, dont beaucoup avaient rêvé. Elle existe ! Je pense évidemment à l’ensemble des outils de financement qui ont été mis en place pour être aux côtés des acteurs économiques.
M. Roland Courteau. Sans beaucoup de résultats !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Visiblement, nous ne sommes pas en possession des mêmes chiffres. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Selon l’INSEE, le coût salarial unitaire, qui inclut la productivité du travail, s’est accru en France de 7,5 % sur la période 2000-2010, pendant qu’il reculait en Allemagne de 3,5 %. J’ajoute que les charges sociales représentent actuellement 53 % du coût du travail en France, contre 40 % en Allemagne.
M. Alain Néri. Qui est au Gouvernement ? C’est bien vous, non !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. C’est dire combien la question posée par M. Delahaye était importante.
Encore une fois, il ne s’agit pas seulement d’une différence de mots. Que l’on parle de TVA sociale ou non, il est sain que, dans notre pays, chacun se pose la question de savoir comment on peut limiter le poids des charges sociales sur le coût du travail. Je sais qu’un certain nombre d’élus le font, que ce soit au parti socialiste, dans notre famille politique, l’UMP, ou encore au Nouveau centre.
Je ne vais pas vous expliquer une nouvelle fois ce que tout le monde sait et ce que tous les acteurs économiques, je dis bien tous, vous répéteraient si vous alliez à leur rencontre quotidiennement : les 35 heures pèsent sur notre pays depuis les années 2000. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d'État !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. En termes de compétitivité, elles sont responsables du différentiel.
M. Roland Courteau. Cela fait combien de temps que vous êtes au pouvoir ? Dix ans !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Aussi avons-nous mis en place un certain nombre de dispositifs destinés aux entreprises. Je pense aux heures supplémentaires, dont j’entends parfois dire que vous voulez les supprimer.
M. Michel Vergoz. On ne veut pas les supprimer, elles existaient avant. En revanche, l’exonération des heures supplémentaires, ce n’est pas la même chose !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Écoutez les artisans, les entrepreneurs, les salariés ! Les heures supplémentaires, c’est gagnant-gagnant, car elles permettent de répondre aux attentes et aux besoins des entreprises comme des salariés.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour la réplique.
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d'État, sachez que nous sommes des élus et que nous avons un contact régulier avec les entreprises, qu’elles soient grandes ou petites. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Nous, nous voulons que nos territoires puissent répondre aux défis auxquels ils sont confrontés. Or, aujourd'hui, votre échec est absolument impressionnant, et des familles en subissent les conséquences. Regardez le taux de chômage !
Lorsqu’on apprend que 4 000 emplois vont être supprimés chez PSA à Sochaux-Montbéliard, alors que, à côté, chez Volkswagen, on embauche, ne croyez-vous pas qu’il y a un problème ?
M. Michel Vergoz. Où est la convergence ?
M. Martial Bourquin. Lors des auditions de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, que je présidais, on nous a démontré qu’il était possible d’avoir une politique industrielle très efficace et très offensive, et cela avec à peu près les mêmes coûts du travail.
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d'État, vous cachez votre échec, que les Français payent très cher, en matière de politique industrielle. Il est donc temps d’avoir enfin une politique dans ce domaine, car il n’en existe pas dans ce pays.
Il n’y a pas non plus de patriotisme industriel. Il suffit de voir que La Poste a acheté récemment 3 000 scooters taïwanais, alors que l’usine Peugeot Motocycles, PMTC, était en difficulté.
C’est situation n’est plus possible. Elle est révoltante ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans cette assemblée, nous savons tous que l’innovation est un atout pour la compétition mondiale ; c’est également un moteur important de la compétitivité de nos entreprises.
Le Gouvernement a déjà mis en place un certain nombre d’outils ; je pense bien sûr au crédit d’impôt recherche et – faut-il le rappeler ? – aux soixante et onze pôles de compétitivité ainsi qu’à la part du grand emprunt affectée à la recherche, soit quasiment 8 milliards d’euros.
Toutefois, la crise qui perdure se fait fortement sentir. Aussi aimerions-nous connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre en matière d’aide publique à nos entreprises afin d’être rassurés.
J’ajouterai une seconde question à la première. À quel moment sera effectivement mis en place le fonds commun de placement à risques destiné au financement des entreprises innovantes, tout particulièrement dans le domaine des biotechnologies ou des nanotechnologies, prévu par le grand emprunt et dont l’État et les régions seront deux actionnaires importants ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous venez d’insister sur un point qui est revenu d’ailleurs dans plusieurs interventions, y compris dans la mienne. Je vais vous répondre de la manière la plus claire : non, il n’est pas question de revenir sur les dispositifs de soutien à l’innovation de notre pays, bien au contraire !
C’est le choix du courage que nous faisons, car, face aux difficultés, il est tellement facile de mettre la question sous le tapis, de ne pas réformer et de se dire que les successeurs le feront. C’est ainsi que rien n’est fait ! Ce fut souvent le cas dans le passé, et sous tant de gouvernements. Je pense au problème des retraites. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Nous, au contraire, nous affrontons ces réalités et, dans le même temps, je le répète, nous privilégions avant tout le soutien à l’innovation, car c’est une chance pour les entreprises françaises. Nous avons des traditions. Nous sommes le pays de l’immatériel, des savoir-faire portés par des artisans que je rencontre tous les jours sur tous vos territoires, et que je défends, comme l’a fait le Président de la République ce matin,...
M. Roland Courteau. Qu’avez-vous fait pour le statut de l’auto-entrepreneur ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. ... en faisant la promotion du « fabriqué en France » plus que du « achetons français ».
En effet, vous n’aidez pas l’économie française et les territoires si vous achetez des produits fabriqués par une entreprise française délocalisée. En revanche, vous l’aidez si vous achetez des produits fabriqués, même dans une entreprise étrangère implantée dans notre pays, par les salariés français qui y travaillent.
M. François-Noël Buffet. Bien sûr !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Bien évidemment, vous l’avez dit, des dispositifs sont nécessaires. Le Fonds national d’amorçage, mis en place dans le cadre des investissements d’avenir, est opérationnel depuis le mois de juillet 2011. Doté de 400 millions d’euros et géré par CDC Entreprises, il a déjà engagé, en six mois, 200 millions d’euros dans une dizaine de fonds, ce qui représente potentiellement 400 millions d’euros d’investissement dans les entreprises innovantes.
L’innovation concernant également les services, j’ai engagé un plan destiné à favoriser l’innovation dans les entreprises de services. Des moyens d’OSEO seront mobilisés : 7 millions d'euros ; des appels à projets seront lancés partout sur le territoire. Cela représente plus de 50 % du PIB national et concerne des entreprises mondialement connues.
Dans un contexte budgétaire qui est contraint, maîtriser les finances publiques, c’est en même temps soutenir la croissance. Je pourrais développer ce point, par exemple en évoquant le soutien au télétravail. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Quoi qu’il en soit, si je m’exprime avec conviction, c’est parce que, chaque jour, en matière d’innovation, nous mettons en œuvre de nouveaux dispositifs pour être aux côtés des acteurs économiques. C’est là qu’est la clef de l’avenir !
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour la réplique.
M. François-Noël Buffet. Je remercie M. le secrétaire d’État d’avoir apporté ces précisions. Je le répète, si, dans le contexte de crise, le Gouvernement est conduit à adopter des mesures conjoncturelles, l’action menée en matière d’innovation est proprement structurelle, elle prépare l’avenir. Voilà ce qui compte !
Mme Catherine Troendle. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces questions cribles thématiques consacrées la compétitivité interviennent en pleine tourmente économique, à laquelle le Gouvernement n’apporte qu’une seule réponse : la rigueur budgétaire.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Or, dans ce contexte, les entreprises de nos territoires se battent pour maintenir leur activité.
Pour que notre pays puisse construire l’avenir, il lui faut concevoir une nouvelle gouvernance économique, renouant avec cette ambition industrielle que le Gouvernement a peu à peu abandonnée.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. À cette fin, il nous faut défendre la compétitivité de nos entreprises et particulièrement celles de nos TPE et PME, car ce sont elles qui portent en germe la croissance de demain, à condition toutefois d’être innovantes. C’est pourquoi il est nécessaire de mieux orienter les aides fiscales à la recherche, tel le crédit d’impôt recherche, vers les PME. Il faut que ces entreprises soient soutenues et qu’OSEO redevienne un instrument de financement efficace de ces PME, procédant non à des prêts mais à des avances de trésorerie.
Il faut également que ces entreprises s’insèrent dans le tissu économique de nos territoires, par une structuration de leur réseau et une nouvelle réflexion sur leur place au sein des pôles de compétitivité.
Il faut de surcroît que les pouvoirs publics soutiennent les TPE et les PME à l’international, en leur proposant des plates-formes de services les guidant à travers les méandres de la défense de la propriété industrielle comme dans le difficile parcours vers l’export.
Monsieur le secrétaire d’État, au-delà des effets d’annonce, comment comptez-vous mettre enfin en œuvre une politique industrielle forte, érigeant la transition énergétique en un tremplin,…
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Christiane Demontès. … s’appuyant sur des salariés qualifiés et bien formés, combinant les dispositifs nationaux et régionaux pour une meilleure efficacité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous appelez de vos vœux un « recentrage » du crédit d’impôt recherche sur les PME. Je vous sais gré de saluer cet outil, qui, depuis sa création en 2007, a fait preuve de son efficacité.
Mme Christiane Demontès. Pas pour les PME !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Savez-vous quelle est la part des PME parmi les nouveaux bénéficiaires du crédit d’impôt recherche ? Près de 80 % !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me souviens du débat qui s’est tenu il y a quelques mois : sur toutes les travées de cet hémicycle, on entendait alors qu’il fallait limiter le crédit d’impôt recherche aux PME.
Toutefois, lorsqu’une grande entreprise bénéficie du CIR en France, 30 euros sont pris en charge par l’État sur 100 euros qu’elle investit dans le domaine de la recherche. Pour les salariés et les entreprises françaises, notamment les plus petites, ce dispositif apporte une aide considérable, il permet de les tirer vers le haut pour créer de la croissance et de l’emploi. Voilà la réalité !
M. Jean-Jacques Mirassou. Bien sûr…
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. D’ailleurs, un certain nombre de nos voisins européens viennent étudier, aujourd’hui, le fonctionnement de ce dispositif.
Madame la sénatrice, vous l’avez souligné à juste titre : il faut que l’État reste aux côtés de nos PME, de nos TPE, de nos ETI en matière d’exportation. C’est tout l’enjeu de la restructuration d’UBIFRANCE que nous menons actuellement.
De même, j’ai nommé 246 référents ETI sur l’ensemble du territoire et j’ai demandé que l’on identifie 2 000 pépites – à savoir 1 000 PME et 1 000 ETI – à fort potentiel de croissance et d’innovation, véritables moteurs de l’économie. Ces mesures relèvent d’une politique proactive !
De plus, j’ai enjoint à chacun des référents ETI de prendre rendez-vous avec les chefs d’entreprise de leur ressort, de ne pas attendre qu’ils soient en difficulté, d’étudier comment il est possible de les aider et de mobiliser les fonds nécessaires à cette fin.
Enfin, en ces temps difficiles, le Président de la République a demandé à René Ricol – dont chacun sait qu’il exerçait précédemment les fonctions de médiateur du crédit et qu’il gère aujourd’hui les investissements d’avenir, pour un montant total de 35 milliards d’euros – de coordonner les financements de soutien aux entreprises. À ce titre, je souligne que nous sommes non seulement aux côtés des entreprises en difficulté, je le répète, mais également auprès de celles qui développent des projets, qui investissent et tirent le pays vers le haut, précisément parce que nous croyons à l’industrie française.
M. Alain Néri. Et nous, on ne croit plus au père Noël !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Aujourd’hui, j’ai entendu le président d’une grande société, l’entreprise Rossignol, dont les capitaux sont certes majoritairement étrangers mais qui a relocalisé une partie de sa production de Taïwan vers la France, déclarer au Président de la République : « Je n’aurais pas pu le faire sans le CIR ». Voilà ce qu’est une véritable politique de soutien à l’industrie française : se projeter vers l’avenir, soutenir l’innovation ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour la réplique.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux pas vous laisser dire que le crédit d’impôt recherche est principalement orienté vers les PME. Vous mesurez bien l’effet d’aubaine que ce dispositif a créé pour un certain nombre de grandes entreprises !
Je ne peux pas non plus vous laisser dire que le Gouvernement mène une politique industrielle cohérente. De fait, chacun d’entre nous, sur ces travées, rencontrons régulièrement les chefs d’entreprise, dans les territoires. Que nous déclarent-ils ? Que le Gouvernement change constamment les règles et qu’ils n’en peuvent plus !
En outre, en tant que membre de la commission des affaires sociales, je tiens à insister sur la question de la formation : aujourd’hui, vous renoncez à doter le pays de salariés qualifiés, tant par la formation initiale que par la formation tout au long de la vie. Pourquoi opérez-vous un tel choix ? Parce que les salariés sont devenus de simples variables d’ajustement du capitalisme financier !
Mme Christiane Demontès. Chaque jour, vous supprimez de nouvelles formations, dans tous les secteurs d’activité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’actualité économique de ces dernières semaines a, une fois de plus, mis en lumière l’inaptitude de notre pays à remporter de grands contrats industriels à l’étranger. Je ne citerai qu’un exemple, celui du Rafale ! (Ah ! sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
De manière symptomatique, le quinquennat de Nicolas Sarkozy est d’ailleurs jalonné par une rafale d’échecs, qui se traduisent négativement au bilan de la balance commerciale, laquelle continue de voir son déficit se creuser, à tel point que celui-ci pourrait franchir le seuil des 70 milliards d’euros cette année. La France est en passe de devenir une puissance commerciale de second ordre.
M. Roland Courteau. Hélas !
M. Ronan Kerdraon. À l’heure où l’on débat enfin de la réindustrialisation, après que notre pays a perdu plus de 750 000 emplois industriels en dix ans, il est plus que temps d’accomplir un effort de réflexion. Mais encore faut-il que cette démarche repose sur les bons postulats, et qu’on cesse d’évoquer inlassablement la question des 35 heures. Je ne reviendrai pas sur ce point : d’ailleurs, les différents aménagements auxquels le Gouvernement a procédé ont pour ainsi dire vidé les 35 heures de leur substance.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Ronan Kerdraon. À mes yeux, l’Allemagne a opéré ses choix économiques au détriment des salariés, qui voient d’ailleurs leur pouvoir d’achat baisser.
À ce titre, je ne ferai que citer un avis du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, relatif à la compétitivité : « La compétitivité est entendue par l’Union européenne comme la capacité d’une Nation à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité ». Ces conclusions font écho aux travaux de la mission conduite par notre collègue Martial Bourquin, qui s’est exprimé à l’instant.
M. Alain Néri. Avec talent !
M. Ronan Kerdraon. Elles soulignent, d’une part, que le succès allemand repose sur la volonté d’introduire l’innovation à tous les niveaux et, d’autre part, que, avec un haut niveau de protection sociale, de qualification et de salaires, il est possible d’aboutir à un degré élevé de compétitivité, laquelle – toujours selon le CESE – peut « s’apprécier par l’aptitude d’un territoire à maintenir et à attirer les activités et par celle des entreprises à faire face à leurs concurrentes ».
À cette fin, il est nécessaire d’associer les élus de la République à l’élaboration des politiques économiques.
Ces trois enjeux convergent notamment en un point : la formation professionnelle. Or, au regard des dysfonctionnements dont sont victimes les centres de formation d’apprentis, les CFA, le chemin à parcourir reste long.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il adopter dans ce domaine afin de redresser notre économie et d’aider nos PME à aller de l’avant ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, peut-être est-il opportun avant toute chose de saluer les performances d’un certain nombre de très belles entreprises françaises. De fait, chaque jour, des entreprises françaises gagnent des parts de marché à l’exportation. Je songe à Airbus,…
M. Jean-Jacques Mirassou. À Toulouse !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. … dont le capital n’est certes pas uniquement français, mais qui ne conclut pas moins d’importants contrats ; je songe à Alstom,…
M. Jean-Jacques Mirassou. À Toulouse également !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. … qui reçoit d’importantes commandes.
J’ignore d’où vient cette maladie française qui consiste à occulter nos succès. Ne craignons pas de l’affirmer : dans un certain nombre de secteurs nous sommes performants, et nous sommes reconnus comme tels.
M. Roland Courteau. Et les déficits ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Concernant le crédit d’impôt recherche, vous appelez au soutien à l’innovation, et je partage votre préoccupation. En effet, il s’agit d’un sujet majeur pour notre pays.
Toutefois, contrairement à ce que vous laissez entendre, je vous affirme que le nombre de centres de recherche et développement et d’ingénierie ne cesse d’augmenter en France. En la matière, l’Agence française pour les investissements internationaux a enregistré un triplement des projets d’implantation entre 2008 et 2010, leur nombre étant porté de vingt-trois à soixante-treize. Nous sommes ainsi placés au deuxième rang européen derrière le Royaume-Uni, selon le baromètre récemment publié par Ernst & Young.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière de recherche et développement, le CIR constitue le dispositif le plus avantageux de tous les pays de l’OCDE. Lorsque ce crédit d’impôt a commencé à se développer – beaucoup plus rapidement que les anticipations ne le laissaient présager –, nombreux sont ceux, y compris au sein des administrations, qui se sont alarmés : « Ce dispositif fonctionne trop bien, il va coûter une fortune à l’État ! » Or c’est bel et bien ce type de mesures, comme les investissements d’avenir – 35 milliards d’euros, je le répète –, qui produiront un effet de levier, à hauteur de 60 milliards d’euros.
Voilà des décennies que notre pays n’avait pas engagé d’investissements aussi ambitieux ! C’est ainsi que l’on construit l’industrie de demain et que l’on soutient les entreprises françaises, qu’elles soient grandes, petites ou moyennes, qu’il s’agisse des ETI ou des sous-traitants des grands groupes.
Monsieur le sénateur, vous soulignez avec raison que nous avons des leçons à apprendre de l’Allemagne. Toutefois, puisque nous évoquons la compétitivité, j’émets le vœu que chacun, dans cet hémicycle, aille comme moi à la rencontre des acteurs économiques. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Alain Néri. Qu’est-ce que vous croyez ?
M. Jean-Jacques Mirassou. On les voit tous les jours !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je n’affirme pas le contraire, je vous demande simplement de leur poser cette question : quel est le domaine dans lequel vous disposez, aujourd’hui, d’un avantage de compétitivité par rapport à vos concurrents étrangers ? Leur réponse sera claire : le coût de l’énergie ! Et ce, grâce à une politique nucléaire menée tant par la droite que par la gauche, depuis de nombreuses décennies. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Louis Nègre. Parfaitement, grâce au nucléaire !
M. Michel Vergoz. Vous avez dézingué le photovoltaïque !
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, veuillez laisser à M. Kerdraon le temps de vous répondre.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Il s’agit d’un avantage de compétitivité capital par rapport à nos voisins. Écoutez les chefs d’entreprise ! Peut-être réviserez-vous dès lors un certain nombre de projets que j’entends parfois évoquer sur certaines travées de cet hémicycle.
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour la réplique.
M. Ronan Kerdraon. Je suis venu avec ma question et M. le secrétaire d’État est venu avec sa réponse. Ce jeu pourrait durer longtemps…
M. Michel Vergoz. Tout à fait !
M. Ronan Kerdraon. Toujours est-il que, à l’instar des autres membres du Gouvernement, vous affichez de belles paroles et de nobles ambitions. Toutefois, il y a loin de la coupe aux lèvres, et il y a loin entre vos paroles et vos actes.
M. Alain Néri. Il n’y a pas d’actes !
M. Ronan Kerdraon. Comment vous croire lorsque vous refusez d’accorder les moyens nécessaires aux CFA ?
M. Ronan Kerdraon. Comment vous croire lorsque vous sacrifiez l’apprentissage et les ouvriers sur l’autel du capitalisme ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Comment vous croire lorsque vous nous débitez une litanie de phrases creuses auxquelles plus personne ne croit, y compris les chefs d’entreprise ? La semaine dernière encore, j’ai pris part à l’assemblée générale d’une chambre de métiers et de l’artisanat : les chefs d’entreprise ne parviennent plus à obtenir de crédits et ils condamnent le système de l’auto-entrepreneur.
Monsieur le secrétaire d’État, agissez au lieu de parler ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Néri. Une seule chose intéresse le Gouvernement : la TVA !
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques consacrées aujourd’hui à la compétitivité.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
12
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Vincent Eblé pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
13
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 50 ter du règlement, M. François Rebsamen, président du groupe socialiste-EELV, a demandé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 95, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative au séjour des étudiants étrangers diplômés, qu’il a déposée le 14 novembre 2011.
Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents qui se tiendra demain.
14
Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé
Suite de la discussion et rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président. Nous reprenons la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen en première lecture, le 26 octobre dernier, du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, le RDSE, par la voix de Gilbert Barbier et Anne-Marie Escoffier, avait dit sa satisfaction de voir enfin prises les mesures indispensables pour restaurer la confiance dans un domaine malmené par l’affaire du Mediator.
Nos deux collègues avaient ensemble relevé de vraies améliorations, s’agissant en particulier de la transparence des liens d’intérêts et des mesures envisagées pour protéger les experts, certains agents et dirigeants des autorités et agences de sécurité sanitaire contre eux-mêmes. Ils avaient également noté la volonté de totale transparence sur les conventions conclues entre les entreprises et les professionnels de santé et sur les avantages consentis par les premières aux seconds.
Parmi les avancées, ils avaient souligné la place nouvelle donnée à la pharmacovigilance, tout en regrettant que reste encore dans l’ombre la vigilance relative au matériel d’exploration médicale, notamment les IRM et scanners.
Ils avaient encore cité l’encadrement des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché et la publicité.
Cependant, ils étaient restés circonspects par rapport à d’autres dispositions du projet de loi : l’insuffisante transparence des procédures s’agissant des travaux des agences ; la multiplication des agences, des commissions, des comités, qui nuit à la cohérence entre les différentes structures ; la modification du rôle des visiteurs médicaux et du fonctionnement des visites médicales.
Le RDSE s’était très largement associé aux modifications de forme et de fond introduites par la commission des affaires sociales, par voie d’amendements, pour améliorer le texte initial.
L’échec de la commission mixte paritaire a conduit à un retour, pour l’essentiel, au texte de l’Assemblée nationale. Cette nouvelle rédaction n’est plus celle à laquelle, initialement, le RDSE était prêt à adhérer.
Au moment où survient le scandale des prothèses mammaires défectueuses, alors que l’affaire du Mediator reste très présente dans toutes les mémoires, on ne peut que s’interroger sur les intentions réelles du ministère de la santé au sujet d’un dossier pourtant grave et sérieux. À croire que l’urgence était de trouver la bonne appellation pour l’agence chargée de la sécurité sanitaire du médicament. Débaptiser l’Agence « française » de sécurité sanitaire des produits de santé pour la renommer Agence « nationale » de sécurité du médicament et des produits de santé permet simplement d’occulter une partie du débat.
Les liens d’intérêts resteront, après le retour du texte de l’Assemblée nationale, des liens peu ou mal contrôlés, échappant de facto aux dispositions de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
La transparence voulue, grâce à l’obligation de publication des conventions avec l’industrie pharmacologique, est rendue à sa situation première : celle de la complexité rendant impossible tout contrôle facile.
J’en viens à la gouvernance des produits de santé. On ne peut que regretter la marginalisation des associations de victimes d’accidents médicamenteux ou des associations d’usagers du système de santé. Elle aurait dû faire l’objet d’un vrai consensus, qui aurait pu conduire à moraliser le rôle des industries pharmaceutiques.
Nous aurions souhaité que les procédures d’octroi des autorisations temporaires d’utilisation garantissent la voie de la recherche, tout en empêchant de contourner les procédures d’autorisation de mise sur le marché. Le retour au texte de l’Assemblée nationale supprime tout encadrement de ces autorisations à caractère temporaire et permet, hélas ! de nouveaux excès.
Enfin, et ce sera là le dernier exemple, l’Assemblée nationale est revenue sur le sort des visites collectives, maintenant un statu quo voulu par les professionnels. Le texte voté par le Sénat aurait pourtant pu être l’occasion d’améliorer le fonctionnement de ces visites, en particulier dans les petits hôpitaux.
Le texte, dans sa dernière rédaction, prévoit trop peu d’aménagements susceptibles de concorder avec les préconisations de la mission commune d’information du Sénat « Mediator : évaluation et contrôle des médicaments ». Il reste, pour une large partie, insatisfaisant. C’est pourquoi le RDSE, dans sa grande majorité, ne votera pas le texte et soutiendra la motion tendant à opposer la question préalable, qui sera présentée par M. Cazeau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale, tout en maintenant un certain nombre d’améliorations apportées par le Sénat, est plus équilibré et correspond à ce que le groupe de l’UMP avait voulu lors de son examen en première lecture.
L’ambition à laquelle il répond est fondamentale. Il s’agit de restaurer la confiance des Français dans le dispositif de sécurité du médicament, en renforçant la transparence et en établissant un système dans lequel les responsabilités de chacun seront identifiées.
Ce texte établit un dispositif qui offrira de meilleures garanties en matière de transparence. Ses principes renforcent le processus de pharmacovigilance – c’est un réel acquis, car un manque existait malgré tous les efforts consentis –, améliorent l’information du public et des acteurs de la santé et assurent – c’était devenu indispensable – une meilleure formation des professionnels de santé.
Au cœur de notre démarche, se trouve l’intérêt des patients. Ce souci doit guider notre réflexion. C’est pourquoi nous soutenons le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale.
Permettez-moi de revenir sur quelques points qui nous paraissent importants.
À l’article 1er, le Sénat avait interdit aux dirigeants de la Haute Autorité de santé, la HAS, de l’Institut national du cancer, l’INCA, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, tout lien d’intérêts dans les trois ans qui précèdent leur prise de fonction.
Dans le même esprit, l’article 1er bis tendait à soumettre le choix, par le ministre, du président du conseil d’administration et du président du conseil scientifique de l’INCA à un appel à candidature préalable et à l’absence de tout lien d’intérêts dans les trois ans qui précèdent la prise de fonction.
Nous avions jugé cette proposition impraticable, et nous soutenons sa suppression. Ne confondons pas liens d’intérêts et conflits d’intérêts. Avoir des liens d’intérêts ne signifie pas être inféodé à l’industrie. Par ailleurs, dans des secteurs qui sont très techniques, il est dangereux que celui qui prend in fine la décision n’ait pas une connaissance parfaite du fonctionnement du secteur et de ses enjeux.
À l’article 2, l’Assemblée nationale a maintenu l’obligation, introduite par le Sénat, de publier les conventions signées entre les entreprises et les organismes de formation. Cet apport nous paraît en effet essentiel au renforcement de la transparence que nous souhaitons.
À l’article 5, le texte voté par notre assemblée limitait l’accès au conseil d’administration de l’Agence aux seules associations de patients siégeant qui ne reçoivent aucune subvention ou avantage des entreprises pharmaceutiques.
Comme nous l’avions fait remarquer lors de nos débats, cette mesure excluait la quasi-totalité des associations de patients et créait une inégalité de traitement entre les professionnels de santé et les associations. C’est pourquoi nous sommes satisfaits de sa suppression. Le dispositif du présent texte nous paraît le plus à même d’assurer une participation efficace des patients aux travaux de l’Agence.
J’en viens à l’article 15, qui porte sur les autorisations temporaires d’utilisation, les ATU. Le texte voté par l’Assemblée nationale établit un équilibre entre sécurité des patients et accès aux progrès thérapeutiques. Nous sommes convaincus qu’un renouvellement annuel des ATU aurait été nuisible aux patients.
L’article 17 bis, adopté au Sénat, établissait le principe de la responsabilité sans faute pour risque de développement des fabricants de médicaments. Le groupe de l’UMP avait souligné qu’une telle disposition rompait l’équilibre que le Parlement avait trouvé en 1998. Nous avions estimé que cette modification, sur un sujet aussi délicat, ne peut intervenir sans débat approfondi avec les associations de patients et les industriels. L’Assemblée nationale, rejoignant les sénateurs de l’UMP, a supprimé cet article, ce dont nous nous félicitons.
Les députés ont également supprimé l’article 17 ter, qui visait à alléger la charge de la preuve lorsque la victime souffre d’une affection similaire à un effet indésirable connu. Comme nous l’avions souligné, cet article ne fixait aucun critère précis pour juger de la présomption de causalité, ce qui rendait sa mise en pratique impossible.
Par ailleurs, écartant l’interdiction pure et simple de la publicité non institutionnelle en matière de vaccins, l’Assemblée nationale a retenu le régime d’autorisation encadrée que notre groupe appelait de ses vœux.
Quant à l’article 19, il a pour objet principal l’expérimentation d’une visite médicale collective à l’hôpital. L’Assemblée nationale a rétabli l’exclusion du champ d’application de ce dispositif pour les médicaments de réserve hospitalière, de prescription hospitalière et de prescription initiale hospitalière. Notre collègue Bruno Gilles avait défendu cette position. Il sera toujours possible d’améliorer ce dispositif lors du bilan de son expérimentation.
À l’article 22, relatif à la compétence en matière d’études de santé publique du groupement d’intérêt public, le GIP, l’Assemblée nationale a conservé en très grande partie la rédaction issue du Sénat. Elle a cependant précisé que le GIP pourrait aussi mener des études mettant en jeu d’autres techniques de prise en charge que les seules techniques médicamenteuses.
J’en viens à l’article 30 bis A, dont l’objet était la création des actions de groupe dans le domaine de la santé et qui a été supprimé par les députés.
Je souhaite réaffirmer notre opposition à ce qu’une réforme de cette ampleur soit menée au détour d’un amendement, sur un texte dont ce n’est pas l’objet. Le groupe de l’UMP avait exprimé avec force que l’action de groupe ferait utilement l’objet d’un texte spécifique, au champ plus large et non limité au seul domaine de la santé.
Mme Nathalie Goulet. Quand ?
M. Ronan Kerdraon. Aux calendes grecques !
M. Jean-Louis Lorrain. Au regard des modifications apportées par l’Assemblée nationale et des améliorations introduites par le Sénat, qui ont été conservées, il apparaît que le projet de loi répond aux objectifs que nous nous étions fixés, à savoir une exigence de transparence, de sécurité et de responsabilisation dans notre système de sécurité sanitaire.
Vous l’aurez compris, le groupe de l’UMP est favorable à l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’évolution de nos débats sur ce texte est emblématique d’une dérive politicienne à laquelle nous ne voulons pas participer.
Je suis désolé de le dire, mais elle dénote l’incapacité de l’Assemblée nationale à faire montre de souplesse et d’écoute à l’égard du Sénat.
La commission mixte paritaire a échoué. Or elle aurait pu, aurait dû même, réussir. J’ai tout fait pour cela, mais nos collègues députés ont abordé cette étape avec l’idée que le compromis était impossible. Forcément, dans ces conditions, la prophétie s’est réalisée !
C’est pour des raisons de fond que la commission mixte paritaire aurait dû réussir, tout simplement parce que la Haute Assemblée a travaillé sur ce texte sans dogmatisme ni parti pris politicien.
Le texte auquel le Sénat avait abouti respectait l’architecture générale du projet gouvernemental, tout en y intégrant des préconisations de la mission d’information sénatoriale, adoptées à l’unanimité par la commission des affaires sociales le 28 juin dernier.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. La commission mixte paritaire a donc échoué. L’Assemblée nationale a réexaminé le projet de loi en nouvelle lecture. Elle est revenue au texte qu’elle avait adopté initialement sur la plupart des points les plus importants.
Nous nous félicitons du maintien de l’article 9 bis, que l’Assemblée nationale avait elle-même introduit pour soumettre à des essais comparatifs les médicaments proposés au remboursement et, ainsi, en quelque sorte, contourner les limitations à la sécurité sanitaire, impliquées par la législation européenne. Nous ne ferons pas de procès d’intention, car nous ne voulons pas croire que les députés ont soumis l’application de cet article à un décret en Conseil d’État pour en limiter les effets. Néanmoins, le texte qui nous est soumis aujourd’hui est évidemment en retrait par rapport à celui du Sénat.
Tout en le félicitant de la qualité de son travail et, plus globalement, de celui de la commission des affaires sociales, je me joins donc à notre rapporteur pour regretter trois reculs en particulier.
Premièrement, je déplore un recul en matière de conflits d’intérêts, sujet qui constituait pourtant l’axe central du texte. Il est très dommage que la procédure de contrôle des déclarations d’intérêts prévue pour les acteurs de la sécurité sanitaire par le présent texte n’ait pas été harmonisée avec celle prévue par le projet de loi dit « Sauvé », en cours d’examen, relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique.
Notre collègue Nathalie Goulet le soulignait déjà dans la discussion générale en première lecture, les dispositions du présent texte doivent être correctement articulées avec la réforme globale en cours. Aujourd’hui, le résultat n’est pas satisfaisant et notre crainte, exprimée en filigrane, d’un saucissonnage de la question, source de complexité, s’est en partie concrétisée.
Le texte actuel est globalement moins disant en matière de conflits d’intérêts puisque l’Assemblée nationale a refusé l’interdiction de tous liens d’intérêts pendant trois ans pour diriger les principales agences sanitaires, à laquelle le Sénat tenait.
Recul encore au sujet des autorisations temporaires d’utilisation, puisque nos collègues députés ont choisi d’en assouplir le cadre législatif.
Le troisième point est, à nos yeux, encore plus édifiant que les deux premiers : il s’agit de l’expérimentation de la visite médicale collective dans les établissements de santé. Le détricotage est minutieux, l’Assemblée nationale ayant réintroduit toutes les dérogations à l’expérimentation : autant d’exceptions susceptibles de vider totalement la loi de son contenu.
Mais le plus préoccupant pour nous touche au cadre légal des dispositifs médicaux qui sont, dans leur totalité, purement et simplement exclus du champ de la visite médicale collective.
Nous ne prétendons pas que la visite médicale collective était une panacée pour sécuriser l’usage des dispositifs médicaux. Nous soutenons simplement que, d’une part, elle aurait pu représenter une garantie non négligeable et que, d’autre part, il nous faudra mettre en place un véritable cadre législatif pour le dispositif médical, comme il y en a un pour le médicament.
En revanche, monsieur le rapporteur, je serai plus mesuré concernant l’action de groupe.
Certes, une action de groupe doit d’urgence être mise en place, en particulier pour être accessible aux victimes d’accidents médicamenteux. Mais il serait de loin préférable qu’il s’agisse d’une action de groupe générale et non sectorielle. Ne saucissonnons pas le débat. Le projet de loi sur les droits des consommateurs devrait nous fournir très prochainement l’occasion d’en traiter.
En conclusion, je dirai que, constatant l’impossibilité de parvenir à un accord, nous jugeons sage et responsable la décision de notre rapporteur de déposer une motion tendant à opposer la question préalable sur le présent projet. Le Sénat n’a pas de temps à perdre si cet examen est voué à demeurer platonique.
Nous regrettons une nouvelle fois le jeu politicien, d’où qu’il vienne. C’est la raison pour laquelle le groupe UCR ne prendra pas part au vote sur la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier notre collègue rapporteur Bernard Cazeau du travail considérable qu’il a fourni, avec son équipe, sur ce texte. Je ne reprendrai pas tous les arguments qu’il vient de développer, mais sachez que je les fais miens sans réserve.
Je sais également gré à tous mes collègues de la commission des affaires sociales pour la qualité des échanges que nous avons su maintenir tout au long de l’examen de ce projet de loi, et ce en dépit de délais extrêmement serrés.
Je suis par ailleurs reconnaissante à tous les groupes de la majorité sénatoriale pour la solidarité dont ils ont fait preuve lorsqu’il a fallu se mobiliser pour défendre certains amendements.
Enfin, je tenais à saluer les services de la commission, qui se sont mobilisés pour nous permettre de travailler aussi sérieusement que possible. Sachons rendre hommage à leur travail minutieux et attentif, même s’il s’opère par définition dans l’ombre.
Au nom de tout ce travail accompli au Sénat, je voulais vous faire part, monsieur le ministre, de ma tristesse, pour ne pas dire de ma colère.
Création de la possibilité légale de mener des actions de groupe, publicité des déclarations d’intérêt, amendes à la fois plus justes et plus dissuasives pour les laboratoires pharmaceutiques puisque proportionnelles à leur chiffre d’affaires, engagement d’une réflexion sur la profession de visiteur médical et sur la formation initiale et continue des médecins : voilà ce que le Sénat proposait. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas nier que les avancées obtenues ici même, voilà quelques semaines, allaient dans le bon sens : le sens du desserrement des liens d’intérêt entre laboratoires médicaux et prise de décision publique ; le sens du droit des victimes d’accidents médicamenteux; le sens de la sécurité sanitaire et le sens de l’intérêt général.
Oui, monsieur le ministre, ces amendements allaient clairement dans le sens de l’intérêt général et visaient à ce que, réellement, comme vous l’aviez souhaité, il n’y ait plus jamais de scandale comparable à celui du Médiator.
Mais ce travail, fourni par le Sénat renouvelé, a véritablement été taillé en pièces par la majorité de l’Assemblée nationale, qui, je le regrette profondément, n’a pas fait preuve de beaucoup d’esprit d’ouverture.
Les députés membres de la commission mixte paritaire nous ont indiqué d’emblée que de nombreux points étaient « non négociables ». Et bien voyez-vous, monsieur le ministre, nous estimons pour notre part que c’est la santé des français qui est non négociable !
Je considère qu’il est choquant que, sur un sujet aussi sensible de santé publique, d’intérêt général, sujet qui clairement devrait dépasser les clivages partisans, votre majorité ait été aussi intransigeante et fermée au débat.
Tout d’abord, en tant qu’écologiste, je suis déçue par le manque d’ambition – c’est le moins que l’on puisse dire – du projet de loi en ce qui concerne la réforme de la visite médicale.
Mme Aline Archimbaud. Je l’avoue, le fait que la simple demande d’un rapport gouvernemental à ce sujet ait été refusée me dépasse. Heureusement, la commission des affaires sociales du Sénat s’apprête à acter la création d’un groupe de travail sur ce thème !
Par ailleurs, le raisonnement qui consiste à dire que les actions de groupe sont importantes mais que leur mise en place attendra une prochaine loi m’échappe complètement. Comment reprocher aux sénateurs d’avoir inséré ces actions dans le projet de loi au détour d’un amendement alors que c’était la seule solution à notre portée ?
En revenant sur cette avancée obtenue au Sénat et saluée par toutes les associations de patients, vous laissez les malades dans leur solitude, dans leur précarité, dans leur souffrance. Ils apprécieront ! En tout cas, pour notre part, nous estimons que cela est inacceptable.
Pour moi, mais je ne crois pas être la seule, le texte tel qu’il nous revient aujourd’hui est un aveu de démission face aux intérêts privés de l’industrie pharmaceutique. Une fois de plus, dans ce pays, il apparaît clairement que certains lobbies sont encore capables de faire plier la décision publique.
Hélas ! la santé publique n’est pas le seul domaine victime d’une telle ingérence. D’autres secteurs, tout aussi sensibles, subissent l’influence des lobbies.
En qualité de parlementaires, nous avons la responsabilité de dénoncer pied à pied l’action des lobbies privés. C’est ce que je fais aujourd’hui du haut de cette tribune. Comptez sur moi pour réitérer cette dénonciation toutes les fois que ce sera nécessaire et pour œuvrer à ce que la loi protège la décision publique de l’influence des intérêts privés.
Maintenant qu’il est pratiquement acté que le texte a été vidé de sa substance, que notre majorité sénatoriale n’y peut plus grand-chose, je tiens à dire à l’ensemble de mes collègues que le travail accumulé n’est pas perdu : il pourra être réinvesti à l’avenir. L’attitude très fermée de la majorité gouvernementale aurait pu nous décourager, mais le temps que nous avons consacré à ce projet de loi n’a pas été inutile.
D’une certaine façon, nous, membres d’une nouvelle majorité sénatoriale, avons cette responsabilité de mettre en chantier des questions importantes pour dessiner ce que nous aurons demain, je l’espère, les moyens institutionnels de mettre en œuvre.
Si, comme je le crains, au terme de cette nouvelle lecture, la majorité de l’Assemblée nationale reste sur ses positions, le Sénat aura au moins envoyé un message fort d’encouragement à tous ceux qui, professionnels, malades, citoyens, espèrent qu’il n’y aura plus en France d’affaires comparables à celles du Mediator, du Distilbène, du Vioxx ou des hormones de croissance… et je pourrais égrener encore longtemps cette triste liste.
Monsieur le ministre, malgré vos efforts pour nous convaincre, je reste persuadée que le projet de loi, en l’état, n’empêchera pas de nouveaux scandales sanitaires. Le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale est une déclaration abstraite de bonnes intentions de façade, vidée de la plupart de ses dispositions concrètes et opérationnelles qui seules permettraient à la décision publique d’être prise sans influence.
L’actualité est là, brûlante, qui nous rappelle à quel point l’industrie pharmaceutique est encore influente à tous les niveaux de la prise de décision.
Vous pensiez remettre les laboratoires pharmaceutiques à leur place ? C’est un véritable pied de nez que vous a adressé la société Servier la semaine dernière en demandant à la Cour de cassation de regrouper à Paris les procédures sur le Mediator, afin de tenter d’échapper à un procès en mai à Nanterre ; un pied de nez aux autorités sanitaires, mais également aux 5 millions de patients qui ont pris du Mediator entre 1976 et 2009 !
Du côté des autorités sanitaires, le bilan n’est pas beaucoup plus brillant, puisqu’une femme médecin ayant travaillé pour Servier a failli être nommée au poste de directrice produit à l’ASSAPS, preuve qu’une partie du lobby pharmaceutique a bien intégré qu’il pouvait agir à tous les niveaux de la décision publique.
Vous l’avez compris, la menace de futurs dérapages est omniprésente et appelle à une vigilance de chaque instant. La situation actuelle aurait donc demandé une autre réponse qu’une loi faite de rhétorique et d’affichage, autre chose qu’une loi alibi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous voilà donc à nouveau saisis du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
Ce texte – chacun en conviendra – a vécu de nombreuses péripéties et, malheureusement, pas des plus heureuses. Aussi, permettez-moi d’ouvrir mon propos par un petit rappel chronologique.
En juin dernier, monsieur le ministre, vous annonciez le dépôt imminent de ce texte en redoublant d’intentions volontaristes, promettant notamment « une réforme en profondeur, qui ait du sens, dans un seul et unique objectif, protéger le patient ».
Cet objectif, louable s’il en est, ne pouvait que recueillir un large consensus et donc être partagé par l’ensemble des parlementaires, de nos concitoyens, des victimes et des professionnels. Il convenait d’agir vigoureusement pour éviter que ne se reproduise un scandale de la magnitude de celle de l’affaire dite du Mediator.
Conformément aux engagements que vous aviez pris au premier semestre, nous attendions donc – peut-être naïvement, me direz-vous – un texte ambitieux, courageux et efficace, bref, un texte qui réponde aux inquiétudes légitimes de nos concitoyens sur les effets des produits sanitaires destinés à l’homme.
Mais, en août dernier, nous avons eu la désagréable surprise de découvrir un projet de loi mièvre, en décalage complet avec les ambitions affichées à l’époque et, surtout, bien en deçà des préconisations et des propositions formulées par les parlementaires de tous bords à l’occasion de récents travaux sur la question.
Avez-vous été sensible aux intérêts économiques de l’industrie du médicament ? Avez-vous cédé aux pressions des lobbies pharmaceutiques, consciencieusement relayées par quelques conseillers vertueux ? Toujours est-il que vous vous êtes contenté d’une loi a minima, manifestement très insuffisante au regard des attentes de la société.
Le texte initialement présenté par le Gouvernement ne contenait, globalement, que des apports très limités au droit existant et écartait d’emblée les réformes rendues nécessaires, telles que la création d’un véritable statut de l’expert.
Si bien que votre projet de loi, s’il comportait quelques avancées ici et là, était très en retrait par rapport aux conclusions de la mission commune d’information sur le Mediator qui, je le rappelle, avaient pourtant été votées à l’unanimité quelques semaines auparavant.
Lors de la première lecture, au Sénat, il nous a donc paru indispensable de réviser en profondeur le texte que vous nous proposiez pour permettre de réorienter la politique du médicament au bénéfice des patients et de la santé publique, et non au profit des intérêts commerciaux des laboratoires.
C’est ainsi que les travaux de notre commission des affaires sociales, sous l’égide de notre rapporteur, Bernard Cazeau, suivis de l’examen par notre assemblée, ont permis d’enrichir considérablement ce texte, en y inscrivant une série de mesures que nous considérons comme indispensables. J’en citerai quelques-unes : l’obligation de déclaration publique d’intérêts pour les membres des cabinets ministériels ; …
M. Ronan Kerdraon. … des sanctions plus lourdes et proportionnelles au chiffre d’affaires pour les personnes morales ayant omis de rendre publique l’existence de conventions avec le corps médical ; le renforcement des pouvoirs de l’Agence pour contraindre les industriels à appliquer ses décisions, via notamment des astreintes journalières plus importantes ; la possibilité de recourir aux autorisations temporaires d’utilisation lorsque des conséquences graves à court terme pour le patient sont probables, et non plus seulement pour les personnes en fin de vie ; une meilleure représentativité des différentes catégories de malades lors des essais cliniques ; un nécessaire renforcement de la formation des professionnels de santé ou encore, grande avancée qui mériterait d’être généralisée, la possibilité de mener des actions de groupe pour les victimes d’accidents médicamenteux.
Ainsi revu et corrigé, ce projet de loi reprenait tout son sens et répondait aux préoccupations de nos concitoyens.
Mais voilà, c’était sans compter sur la force d’inertie des parlementaires UMP, qui, après s’être abstenus lors du vote au Sénat, ont délibérément fait capoter la commission mixte paritaire, arguant que la nouvelle version du texte allait trop loin.
Chronique d’un échec annoncé !
Mes chers collègues, je vous interroge : est-il possible d’aller trop loin dans la protection sanitaire des patients ?
Est-il possible d’aller trop loin dans la réparation du préjudice des victimes ?
Est-il impossible d’oser demander réparation aux laboratoires ?
Est-il impossible d’espérer une meilleure transparence de la chaîne du médicament ? Dans tout pays normal, non. En « Sarkozie », oui !
Aujourd’hui, voilà que ce projet de loi revient devant nous, après que l’Assemblée nationale eut pratiqué un travail de sape et d’épuration méthodique des principaux renforcements que nous avions apportés.
Passé sous les fourches caudines des députés de votre majorité, le texte qui nous est soumis n’est, au final, que la simple transposition de la directive communautaire relative à la pharmacovigilance.
Pour le reste, il faut se contenter du strict minimum, en renvoyant bon nombre de dispositions à des mesures réglementaires, ce qui, lorsqu’on sait le sort qui est parfois réservé aux mesures réglementaires et aux décrets d’application, est loin de nous rassurer.
De régressions en suppressions, de renoncements en reniements, la plupart des articles de ce projet de loi ont retrouvé leur état d’origine, celui du texte qui nous avait été transmis le 4 octobre dernier.
Exit les apports effectués sur la question des liens d’intérêt, de même que sur les dispositions relatives aux avantages consentis.
Régressions également sur la question de la gouvernance du médicament pour laquelle les choix opérés par le Gouvernement et la majorité présidentielle dépassent difficilement une portée purement cosmétique.
Reculade sur l’encadrement des procédures d’octroi des autorisations temporaires d’utilisation pour lesquelles le texte auquel l’Assemblée est revenue reste au milieu du gué en ne fixant aucun critère précis de durée de ces autorisations.
Suppression des mesures visant à mieux protéger le droit des patients face aux fabricants de médicaments, en dépit d’attentes sociétales extrêmement pressantes en la matière.
Recul encore sur les mesures de promotion, d’information et de formation des professionnels médicaux qui s’avèrent pourtant indispensables pour limiter l’emprise de l’industrie pharmaceutique.
Au total, ce sont presque toutes les avancées que nous avions adoptées ici, au Sénat, qui ont été supprimées par l’Assemblée Nationale à l’occasion de cette nouvelle lecture du texte !
Pourquoi un tel climat de défiance de l’Assemblée nationale à l’égard de nos travaux ?
Il ne semble exister aucune possibilité de trouver un accord sur les points essentiels, en raison d’une volonté délibérée d’écarter toute solution.
Mes chers collègues, c’est donc à la fois une grande déception, une profonde frustration, une certaine amertume et une grande colère qui m’animent aujourd’hui.
M. Ronan Kerdraon. Nos travaux sur ce texte s’inscrivaient, comme le rapporteur l’a rappelé, dans le droit fil des conclusions de la mission d’information sur le Médiator sur lesquelles le consensus s’était imposé au sein de la commission des affaires sociales.
Alors que tous les observateurs s’accordent sur l’urgence d’une réforme ambitieuse, l’examen de ce projet de loi nous donnait l’occasion de concrétiser nos travaux et d’apporter des réponses réelles aux problèmes posés. Il nous permettait également de restaurer la confiance perdue de nos concitoyens dans le médicament et les agences sanitaires.
Au lieu de cela, c’est à un constat d’échec que nous arrivons. Les belles intentions du printemps dernier ont cédé devant la pression des lobbies. Et aujourd’hui – pour reprendre l’expression d’une victime que je recevais hier matin dans ma mairie –, vous culpabilisez les victimes.
Vous comprendrez donc que, dans ces conditions, nous refusions de nous prêter au simulacre de débat démocratique auquel vous nous invitez : nous considérons qu’il est inutile de prolonger la discussion, en tout cas sous cette législature, et nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable qui sera proposée par M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Cazeau, au nom de la commission, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
Considérant que l’Assemblée nationale n’a retenu aucune des rédactions approuvées par la commission mixte paritaire sur les articles relatifs aux liens d’intérêts, aux avantages consentis par les entreprises et à la gouvernance des produits de santé ;
Considérant que les dispositions tendant à renforcer les droits des victimes d’accidents médicamenteux ont été supprimées et que, tant l’Assemblée nationale que le Gouvernement, ont manifesté leur volonté de reporter sine die toute avancée dans ce domaine ;
Considérant que les dispositions du texte, par leur imprécision ou le renvoi à des textes d’application réglementaire, le vident en grande partie de sa portée ;
Considérant que cette entrave à l’application directe des mesures votées par le législateur porte en particulier sur l’obligation d’essais contre comparateurs actifs pour l’admission au remboursement des médicaments prévue à l’article 9 bis ;
Considérant que toute réflexion sur la question de la création d’un corps d’experts indépendants, sur le financement des associations d’usagers et sur l’avenir des visiteurs médicaux a été écartée ;
Considérant, dans ces conditions, que ce projet de loi n’est pas de nature à empêcher la survenance d’une nouvelle affaire comme celle du Mediator alors que des conclusions unanimes avaient été adoptées en mission sénatoriale d’information ;
Décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 130, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Bernard Cazeau, rapporteur de la commission des affaires sociales. Lorsque l’Inspection générale des affaires sociales a remis en janvier dernier son rapport sur le Mediator, le ministre de la santé a déclaré : « Notre responsabilité aujourd’hui, ma responsabilité, mon devoir, c’est de rebâtir un nouveau système du médicament, un nouveau système de sécurité sanitaire, avec un objectif : qu’il n’y ait pas demain de nouveau Mediator. »
Quelle belle et vigoureuse ambition ! Malheureusement, monsieur le ministre, je suis au regret de vous l’annoncer, le projet de loi, tel qu’il est issu de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, en est bien éloigné. Vous aviez semé l’espoir, mais, comme l’a dit Mme Archimbaud, vous ne récoltez que la déception.
Nous disposions pourtant d’une occasion unique de réformer vraiment notre système de sécurité sanitaire et construire, au-delà des clivages partisans, un texte consensuel. La majorité présidentielle a préféré l’affichage, la demi-mesure et le renvoi répété à des dispositions réglementaires qui, même si elles sont prises prochainement, laissent entendre que le législateur n’est pas en mesure d’exercer pleinement sa compétence.
Si l’on s’en tient à l’exemple du Sunshine Act à la française, les avancées sont bien timides. Vous aviez déclaré, monsieur le ministre, que, sans transparence totale, il n’y aurait pas de confiance totale. Pourtant, votre majorité à l’Assemblée nationale a refusé la proposition du Sénat consistant à publier sur un site internet unique et accessible gratuitement l’ensemble des conventions passées par les entreprises pharmaceutiques. Elle a également refusé que les avantages consentis par ces entreprises soient rendus publics dès le premier euro, renvoyant, une fois de plus, à un décret au prétexte qu’il ne faudrait pas obliger les entreprises à déclarer les cafés et les stylos.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Ah non, il ne s’agit pas d’un mensonge !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Mais si, vous l’avez déclaré ! Je comprends bien, monsieur le ministre, que vous soyez déçu, mais il est inutile de m’interrompre, vous aurez la parole tout à l’heure. Ce n’est pas la peine de m’interrompre.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Non, ce ne sont pas des mensonges. Nous essayons de dire la vérité, c’est tout.
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Nos vérités ne sont peut-être pas les vôtres mais cela ne vous donne pas le droit d’être impoli avec les parlementaires de cette assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Vives protestations sur les travées de l’UMP.)
Soyez au moins poli ! Je le serai en tout cas avec vous, et vous ne parviendrez pas à me faire déraper.
Mme Chantal Jouanno. Vous n’êtes pas obligé de dire des mensonges !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Nous pensons que les médecins pouvaient sans dommage se passer de cafés et de stylos ! Il est vrai que vous avez accepté sans broncher que, dès leur formation initiale, les futurs professionnels de santé puissent accepter que des avantages leur soient consentis par des entreprises. Là commencent les liens d’intérêt, monsieur le ministre.
Je l’ai dit en discussion générale, le Sénat avait tenté, en première lecture, de renforcer ce texte en se fondant sur les conclusions largement partagées des travaux d’information et législatifs réalisés précédemment.
Après l’échec de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a fait le choix de ne reprendre qu’à la marge – à la petite marge ! – certaines de nos propositions.
Cette intransigeance nous conduit aujourd’hui à prendre acte de l’échec de la navette parlementaire et à demander l’adoption d’une question préalable.
Je me contenterai pour terminer d’évoquer les trois points qui me paraissent essentiels et qui justifient à eux seuls notre position.
En premier lieu, avant qu’elle n’échoue sur un article 5 bis d’intérêt limité, la commission mixte paritaire était parvenue à un accord sur les articles 1er à 5, traitant des liens d’intérêts, des avantages consentis par les entreprises et de la gouvernance des produits de santé, soit une fraction essentielle du texte. L’Assemblée nationale n’a rien retenu de ce début de compromis et a préféré revenir en grande partie à son texte de première lecture.
En deuxième lieu, je déplore la nouvelle rédaction proposée pour l’article 9 bis qui soumet à la réalisation d’essais contre comparateurs actifs l’admission au remboursement des médicaments.
Compte tenu des conséquences importantes qu’emportera un tel changement pour les entreprises pharmaceutiques, le Sénat avait prévu que les dispositions prévues à cet article entreraient en vigueur au 1er janvier 2013. L’Assemblée nationale a certes choisi d’avancer la date au 1er janvier 2012 mais a renvoyé la mise en œuvre des dispositions prévues à cet article à la publication d’un décret en Conseil d’État. Il est particulièrement regrettable, sur cette disposition centrale du projet de loi, d’afficher un calendrier ambitieux et de se laisser des marges de manœuvre par le renvoi à des dispositions réglementaires dont on peut craindre qu’elles n’interviendront pas tout de suite. La position du Sénat était à la fois plus simple et somme toute, permettez-moi de le dire, plus honnête.
En troisième lieu, nous ne pouvons cautionner le mauvais coup porté à la protection des droits des patients par l’Assemblée nationale. Trois articles avaient en effet été insérés au Sénat, sur l’initiative de trois formations – socialistes, Verts et groupe CRC – pour la renforcer.
L’article 17 bis alignait le régime des médicaments sur celui des produits issus du corps humain pour la responsabilité sans faute.
L’article 17 ter assouplissait la charge de la preuve qui pèse sur les patients lorsqu’ils doivent établir le lien de causalité entre un effet indésirable et un médicament, ce qui, on le sait, est parfois bien difficile pour eux.
Enfin, l’article 30 bis A introduisait l’action de groupe en matière de réparation pour accidents médicamenteux, que vous estimez très positive mais dont vous jugez pour le moment prématuré de parler.
Préférant l’immobilisme au dialogue, l’Assemblée nationale a supprimé ces trois articles.
Pour ces motifs, je vous demande, mes chers collègues, d’adopter la motion opposant la question préalable déposée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chassez le naturel, il revient au galop !
Dans quelles conditions ce texte a-t-il été discuté ? En première lecture à l’Assemblée nationale, le groupe socialiste n’a pas voté contre …
M. Ronan Kerdraon. Pour l’améliorer !
M. Xavier Bertrand, ministre. … parce que chacun s’est aperçu qu’il proposait des avancées sans pareilles. Dès lors, comment expliquer votre refus final ? Faut-il y voir un mouvement de mauvaise humeur de votre part parce que les actions de groupe – procédure qui ne devait pas figurer dans ce texte – n’ont pas été retenues ou est-ce plutôt le retour à de vieux réflexes politiciens, monsieur Cazeau ? (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Chantal Jouanno. Vous avez exigé le respect ; écoutez le ministre !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Le vôtre aussi !
M. Xavier Bertrand, ministre. … s’agissant d’un texte qui, à l’évidence, présente des avancées incomparables.
Je me souviens que, lors de la conférence de presse à la mi-janvier, François Autain se demandait si on irait jusqu’au bout. On est allé exactement là où on l’avait prévu à la mi-janvier, après la remise du rapport de l’IGAS.
Qu’est-ce qui vous déplaît ? Que ce soit notre texte ? Réjouissez-vous plutôt qu’il devienne la loi de la République ! Ce n’est pas la loi de la droite contre la gauche ni la loi qu’aurait voulue la gauche par rapport à la droite. C’est une loi protectrice. Ce qui me gêne profondément, c’est qu’en définitive vous cherchiez à semer le doute parce que vous n’en avez pas eu l’initiative. Ce n’est pas ainsi qu’on fait de la bonne politique !
Vous savez pertinemment, pour connaître ce texte sur le bout des doigts, que certaines dispositions relèvent de l’article 34 de la Constitution, d’autres de l’article 37, et que ce qui est dans un décret ne peut pas figurer dans la loi. C’est vrai notamment pour la déclaration des avantages à partir du premier euro.
En tout cas, lorsque vos réflexes politiciens reprennent le dessus, ce n’est pas bon pour un débat comme celui-là.
M. Roland Courteau. Vous rabâchez !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous prenez vos responsabilités, je prends les miennes, mais je tiens à vous dire que celles et ceux qui nous regardent ont juste besoin de savoir si les médicaments qu’ils prendront leur apporteront le service nécessaire et si l’on ne retombera pas dans les travers qu’on a pu connaître à une époque. Rien de plus, rien de moins !
Mais quel dommage de voir resurgir dans cette enceinte les vieux réflexes politiques qui poussent certains à rejeter un texte alors qu’ils savent pertinemment que c’est un bon texte !
Prenez vos responsabilités !
M. Bernard Cazeau, rapporteur. Nous le faisons plus que vous !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ma responsabilité est de dire quelle aura été l’attitude des uns et des autres, c’est de faire vivre ce texte et de demander ensuite qu’il en soit fait une application stricte.
Nous ne vous avons pas attendus pour prendre nos responsabilités, notamment au travers de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ce que pourrait vous confirmer son directeur, Dominique Maraninchi.
On n’a pas attendu non plus l’Europe pour prendre certaines décisions. Jamais vous ne le reconnaissez !
M. Roland Courteau. Et inversement !
M. Xavier Bertrand, ministre. Même lorsqu’on est dans l’opposition, on peut se grandir en reconnaissant que des choses positives se font, cela permet de gagner en crédibilité.
Il y a vraiment un monde entre votre attitude et celle de certains députés qui sont pourtant de votre famille politique ! On a l’impression que, maintenant que la gauche est devenue majoritaire au Sénat, elle a retrouvé tous ses vieux réflexes, qui ne sont au fond que des postures. Votre attitude n’honore pas le débat politique. Mais ce texte, lui, permettra d’améliorer notre système de santé ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
Mme Colette Giudicelli. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. C’est avec regret que le groupe CRC votera cette motion, tant nous sommes convaincus que, dans un autre contexte, nous aurions pu nous doter d’une législation nouvelle, renforçant la sécurité sanitaire et réformant le parcours du médicament dans un sens plus conforme à la transparence et à la démocratie.
Le choix des députés UMP de revenir sur tout ce que le Sénat avait adopté et sur les quelques dispositions sur lesquelles la commission mixte paritaire était parvenue à un accord nous contraint aujourd’hui à repousser ce projet de loi. Ce n’est pas parce que nous considérons qu’une loi encadrant le parcours du médicament n’est pas indispensable, mais parce que le texte qui nous est soumis aujourd’hui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit ma collègue Isabelle Pasquet, lors de son intervention générale, sur la question centrale des conflits d’intérêts et des règles de transparence. Je partage pleinement son analyse, tout comme devraient le faire les sénatrices et sénateurs, tous groupes confondus, qui ont participé à la commission sénatoriale sur le médicament et qui ont, faut-il le rappeler, adopté à l’unanimité ses recommandations.
Tout cela pourrait nous conduire à penser que l’ancienne majorité sénatoriale était prête à soutenir des propositions à la condition que celles-ci restent lettre morte. Je n’ose imaginer qu’il puisse en être ainsi.
Ce n’est pas en tout cas la conception que nous nous faisons du travail réalisé dans cet hémicycle et de la démocratie en général ; ce n’est pas de cette façon que la loi répondra aux exigences légitimes de sécurité exprimées par les patients et, plus largement, par les citoyens.
Ainsi, en prévoyant que les conditions d’application de l’article 9 bis seront définies par décret, la majorité présidentielle a vidé cet article de toute substance. Je ne développe pas ce point, nous en avons déjà longuement parlé. L’objectif de la loi ainsi amendée était clair : empêcher les laboratoires de choisir eux-mêmes avec quel médicament comparer le leur, et éviter ainsi – c’est le point essentiel – le remboursement de médicaments, certes nouveaux, mais moins efficaces que ceux déjà commercialisés.
Je regrette également que, avec votre soutien, monsieur le ministre, les députés soient revenus sur les dispositions que nous avions proposées, avec nos collègues d’Europe Écologie-Les Verts, et qui étaient destinées à donner corps à votre engagement selon lequel « le doute doit toujours profiter au patient ».
Convaincus de la pertinence de cette déclaration, nous avions déposé deux amendements, adoptés en séance publique mais malheureusement supprimés par l’Assemblée nationale à l’occasion de la nouvelle lecture. Je ne développerai pas non plus ce point.
Ces deux dispositions étaient pourtant de nature à mieux indemniser les victimes d’accidents médicaux et à équilibrer le rapport de force entre celles-ci et des laboratoires, tout puissants en la matière.
Enfin, l’Assemblée nationale a supprimé la procédure d’action de groupe, que nous avions soutenue. Celle-ci faisait écho à la cinquante-deuxième recommandation du rapport d’information sur la mission Mediator, mise en place à l’Assemblée nationale. Nous sommes très étonnés de la suppression d’une disposition qui, bien que proposée au Sénat, faisait suite à une recommandation finalement adoptée à l’Assemblée nationale.
Tout cela nous conduit à penser que la démarche de notre rapporteur, à savoir le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, est justifiée. L’Assemblée nationale refusant le débat, nous sommes contraints d’en tirer toutes les conséquences. Le groupe CRC votera donc la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le ministre, pourquoi une telle d’agressivité…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. … à l’égard des sénateurs qui ne cherchent qu’à faire leur travail dans le cadre des propositions rappelées et par M. le rapporteur et par M. Watrin ?
Au lieu de la prétention que vous affichez, vous devriez plutôt témoigner du respect pour le travail des sénateurs. Vous avez fait tout le contraire depuis le début. Dois-je rappeler comment vous avez superbement ignoré le travail de la mission sénatoriale sur le Mediator en donnant une conférence de presse avant même que ses membres n’aient adopté le rapport ?
Nous y voyons une disqualification a priori du travail des sénateurs. En parallèle, je ferai remarquer que vous avez reçu un écho des plus favorables à l'Assemblée nationale, puisqu’il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de cigarette entre vos désidératas et les agissements de votre majorité, qui a fait et défait le texte comme vous le souhaitiez.
Vous avez beau vous mettre en colère et pointer du doigt les sénateurs, j’ai la conviction – et tous mes collègues de ce côté-ci de l’hémicycle la partagent – que nous n’avons fait que ce que nous devions faire, un travail sincère et sérieux.
À mon sens, ce projet de loi a un point faible qui n’a pas été suffisamment évoqué : je veux parler de la formation initiale et continue des prescripteurs, singulièrement des médecins généralistes exerçant en milieu rural. Ces derniers n’ont pas toujours les moyens objectifs de collecter suffisamment de connaissances critiques pour juger de manière pertinente le bien-fondé de tel ou tel médicament. Je regrette que le texte fasse l’impasse sur ce point, car il s’agit d’un objectif essentiel. Du reste, vous le savez bien, on ne pourra pas continuer à fonctionner ainsi.
Je ne répéterai pas les propos qui ont été tenus avant moi, notamment par M. le rapporteur. Je dirai simplement que nous ne sommes pas satisfaits de la tournure de ce débat. Aussi, en toute légitimité et sans aucune appréhension, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Lorrain. J’ai entendu des propos qui me révoltent, mais j’y reviendrai.
Pour l’instant, je souhaite exprimer ma satisfaction que la pharmacovigilance soit devenue une véritable préoccupation. Cette discipline était certes connue, mais insuffisamment développée. Combinée à la mise en œuvre des directives européennes, elle va permettre maintenant à la France de devenir – j’ose le dire – un exemple en matière de sécurité du médicament.
Si nous n’avions pas pris à bras-le-corps la réforme des institutions, je crois que nous aurions pu avoir à connaître de choses bien pires. Pour avoir participé aux travaux de la mission sur le Mediator, je puis vous dire que les résultats de celle-ci n’ont été ni dévoyés ni occultés.
En ce qui concerne la sémantique et la définition de termes, nous avons encore des progrès à faire pour les rendre plus précises. Il en est ainsi de la définition du lien d’intérêts. Nous connaissons la notion du lien dans le domaine social, dans nos relations avec les autres, le rapport entre lien et conflit, mais celle de lien d’intérêts devrait être affinée.
Le pire serait d’entrer dans la diabolisation. Au risque de vous surprendre, je vous conseillerai de lire le livre de Martin Hirsch : il dit certaines vérités, en évitant toute stigmatisation.
Certes, il est vrai que, dans le domaine du médicament, il y a du gâchis, entre mésusages et prescriptions faites à tort et à travers. Nous devons donc aller plus loin. Mais des germes de progrès apparaissent, notamment avec l’éducation thérapeutique.
Cela dit, pourquoi ressortir encore le mythe du médecin généraliste de campagne, ce »rat des champs » ! Moi qui ai été « rat des champs » pendant vingt-cinq ans, je ne crois pas avoir porté préjudice à mes malades, pas plus qu’un autre, alors même que les conditions étaient particulièrement difficiles. Alors ne dites pas des choses pareilles !
M. Jean-Jacques Mirassou. Mais je n’ai jamais dit cela !
M. Roland Courteau. Vous avez mal compris ou vous le faites exprès, monsieur Lorrain ?
M. Jean-Louis Lorrain. Je vous l’accorde, certains médecins font de l’abattage. Mais n’assimilez pas tous les praticiens à ces derniers, car nombre de médecins font leur métier tout à fait correctement.
En tout cas, selon moi, nous sommes entrés dans une phase où rien ne sera plus comme avant. Merci, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le projet de loi est rejeté.
15
Conventions internationales
Adoption en procédure accélérée de deux projets de loi dans le texte de la commission
(Procédure d’examen simplifié)
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, après engagement de la procédure accélérée, de deux projets de loi autorisant la ratification de l’accord de passation conjointe de marché en vue de la désignation par adjudication :
- de plates-formes d’enchères communes (projet n° 152, texte de la commission n° 172, rapport n° 171) ;
- d’une instance de surveillance des enchères (texte n° 153, texte de la commission n° 174, rapport n° 173).
Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord relatif à la désignation par adjudication de plates-formes d’enchères communes
Article unique
Est autorisée la ratification de l’accord de passation conjointe de marché en vue de la désignation par adjudication de plates-formes d’enchères communes, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de passation conjointe de marché en vue de la désignation par adjudication de plates-formes d’enchères communes.
(Le projet de loi est adopté.)
accord relatif à la désignation par adjudication d’une instance de surveillance des enchères
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord de passation conjointe de marché en vue de la désignation par adjudication d'une instance de surveillance des enchères, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de passation conjointe de marché en vue de la désignation par adjudication d’une instance de surveillance des enchères.
(Le projet de loi est adopté.)
16
Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Vincent Eblé membre de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Carle.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
17
Quatrième loi de finances rectificative pour 2011
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 160, rapport n° 164 et avis n° 163).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteur générale, mesdames, messieurs les sénateurs, le 7 novembre dernier, le Premier ministre présentait le plan de retour à l’équilibre du Gouvernement. À peine un mois plus tard, vous êtes saisis des dernières mesures de ce plan, qui représente, au total, 7 milliards d’euros d’efforts pour 2012 et 65 milliards d’euros de dette évitée d’ici à 2016.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans quel autre pays un effort d’une telle ampleur aura-t-il été examiné aussi rapidement ? Notre réactivité, notre réalisme et notre sérieux sont nos meilleures armes dans la bataille que nous livrons aujourd’hui : celle de la crédibilité.
Les derniers mois ont exigé la mobilisation de tous, à tous les niveaux. L’implication directe du chef de l’État tout au long de plusieurs négociations cruciales l’a démontré : avec ses partenaires, la France prend toutes ses responsabilités pour apporter des réponses extrêmement fortes à la crise, à l’échelle, non seulement de l’Union européenne, bien sûr, mais aussi à l’échelle du pays.
Monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteur générale, la représentation nationale a pris toute sa part dans cette mobilisation ; je tenais à vous en remercier. Le Gouvernement est conscient des contraintes que ces circonstances exceptionnelles ont fait peser sur votre commission.
Je remercie également l’ensemble de la Haute Assemblée pour la qualité des débats que nous avons eus dans ce contexte très particulier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le collectif budgétaire que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui nous permet de mesurer l’ampleur du chemin parcouru.
Cette année 2011 avait commencé sous le signe de la reprise – qui s’en souvient ? –, avec une croissance de près de 1 % au premier trimestre. Mais, depuis lors, vous le savez, l’économie mondiale a commencé à ralentir. L’été a été marqué par une crise des dettes souveraines aussi brutale que soudaine. Ainsi, malgré un bon troisième trimestre, nous traversons à présent une zone d’incertitudes, lesquelles ont conduit le Gouvernement à revoir à 1 % sa prévision de croissance pour 2012.
Par deux fois, le 24 août et le 7 novembre dernier, nous avons pris les décisions qui s’imposaient face au ralentissement de l’économie mondiale. En effet, quoi qu’il arrive, la France réduira ses déficits au rythme prévu. Elle le fera sans peser sur une croissance encore fragile, grâce à 52 milliards d’euros d’efforts en 2011 et en 2012. Ces efforts reposent majoritairement sur des économies en dépenses et garantissent que nous respecterons nos objectifs de réduction du déficit public, fixés à 5,7 % du PIB en 2011 et à 4,5 % en 2012.
Ce collectif le démontre, nous serons au rendez-vous de nos engagements budgétaires en 2011.
Nous serons d’abord au rendez-vous de la réduction du déficit de l’État.
Là aussi, le chemin parcouru est considérable. Il y a un an, mon prédécesseur François Baroin prenait devant vous l’engagement d’améliorer le solde budgétaire de l’État de plus de 50 milliards d’euros.
Malgré une croissance plus faible que prévu, cet engagement est, un an plus tard, bel et bien tenu. Ainsi, entre 2010 et 2011, nous aurons réduit de 36 % le déficit budgétaire de l’État, qui s’établit désormais à 95,3 milliards d’euros.
Nous serons également au rendez-vous de nos engagements en matière de dépenses.
Vous le savez, le budget pour 2012 a été construit, pour la première fois depuis 1945, autour de l’objectif de réduction des dépenses de l’État d’une année sur l’autre : nous respecterons cet objectif dès 2011.
C’est le résultat d’une gestion particulièrement économe des deniers publics. J’en veux pour preuve le niveau extrêmement bas des ouvertures brutes de crédits en fin de gestion : alors qu’elles représentaient, en 2010, 4,7 milliards d’euros, elles se limitent, en 2011, à 1,7 milliard d’euros.
Ces ouvertures de crédits sont essentiellement consacrées à deux priorités : d’une part, le financement des opérations extérieures de nos armées, au travers d’un décret d’avance ; d’autre part, le financement de dépenses sociales plus dynamiques que prévu, en raison notamment d’une inflation plus élevée. Preuve que nos filets de protection n’ont jamais été aussi solides, nous consacrerons 250 millions d’euros supplémentaires aux aides personnalisées au logement, 137 millions d’euros à l’allocation adultes handicapés ou bien encore 52 millions d’euros à l’allocation temporaire d’attente dont bénéficient les demandeurs d’asile.
Ces ouvertures de crédits ne dégraderont en rien le solde budgétaire de l’État. En effet, leur volume étant limité, nous pouvons les couvrir intégralement.
Nous pouvons d’abord les couvrir grâce à la réserve de précaution, dont la vocation est bien d’offrir au Gouvernement une marge de manœuvre pour respecter ses objectifs en cas d’imprévus ; il s’agit en quelque sorte d’une ceinture de sécurité. À cet égard, comme nous traversons aujourd’hui une zone de turbulences économiques, nous avons fait le choix de la prudence en portant à 6 milliards d’euros la réserve pour 2012.
Nous couvrons également les ouvertures de crédit pour 2011 grâce à la marge de manœuvre que nous avions identifiée ensemble en septembre dernier : je pense aux 600 millions d’euros de moindre consommation sur le fonds de compensation de la TVA. Madame la rapporteur générale, nous avions décidé d’un commun accord d’utiliser cette somme pour couvrir des dépenses imprévues ; nous la mobiliserons donc à hauteur de 400 millions d’euros. Nos efforts de bonne gestion sur tous les postes du budget nous permettent d’affecter les 200 millions d’euros restants à la réduction du déficit et d’atteindre, dès 2011, notre objectif de baisse des dépenses de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, bien gérer, c’est savoir se mettre à l’abri des circonstances : c’est ce que nous avons fait. L’année 2011 aura été marquée par son lot d’imprévus ; c’est le moins que l’on puisse dire ! Mais nous avons su prendre les bonnes décisions au bon moment. Au final, non seulement nous avons respecté la norme de « zéro valeur », mais nous avons même fait mieux.
Nous serons donc au rendez-vous de nos engagements en 2011. Nous le serons également en 2012.
Avec ce collectif, nous vous soumettons le dernier volet du plan annoncé le 7 novembre 2011 par le Premier ministre. Vous le savez, ce plan est essentiel pour ramener le déficit à 4,5 % du PIB en 2012, malgré une croissance plus faible que prévu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lors de l’examen du budget de l’État et de celui de la sécurité sociale, vous avez d’ores et déjà examiné une première série de mesures, qui reposent sur une stratégie simple : la priorité absolue donnée aux économies sur les dépenses.
En effet, il n’existe aucune alternative crédible pour réduire nos déficits sans casser la croissance. Nos débats sur le budget 2012 l’ont prouvé : tous ceux qui, comme le Sénat, refusent de faire d’abord porter l’effort sur les dépenses condamnent le pays à une cure d’austérité fiscale sans précédent. (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est certain ! C’est une question de responsabilité ! (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Valérie Pécresse, ministre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les hausses d’impôt que la Haute Assemblée a votées s’élèvent à 32 milliards d’euros ; c’est un record. Mais, pour atteindre ce record, vous avez modifié ou créé pas moins de cinquante-neuf taxes, que ce soit dans le projet de loi de finances ou dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.), …
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Incroyable mais vrai !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … avec, à la clef, un choc fiscal qui briserait net la croissance et dont les entreprises et l’emploi seraient les premières victimes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Caffet. Vos propos confinent au ridicule !
M. Éric Doligé. Eh oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement, lui, a fait le choix d’accentuer encore nos efforts d’économies : en 2012, nous diminuerons de 1,5 milliard d’euros les dépenses de l’État et nous maîtriserons les dépenses d’assurance-maladie comme elles ne l’ont jamais été, avec un objectif national de progression fixé à 2,5 %.
Le Fonds monétaire international comme l’OCDE n’ont pas manqué de le relever : en faisant d’abord porter l’effort sur les dépenses, nous avons su trouver le bon équilibre, le bon dosage, à savoir celui qui permet de réduire les déficits tout en préservant la croissance et le pouvoir d’achat.
Ces économies sans précédent permettent également de limiter au strict nécessaire les efforts en recettes demandés aux Français et, plus avant, de les répartir équitablement.
M. Jean-Pierre Caffet. Cela reste à prouver !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Le volet fiscal de ce collectif budgétaire, qui se traduira, en 2012, par 5,2 milliards d’euros de ressources supplémentaires pour l’État, se concentre en effet sur les grandes entreprises et les ménages aisés.
Quatre des mesures qu’il comporte en témoignent.
J’en veux pour première preuve la majoration exceptionnelle de 5 % de l’impôt sur les sociétés ; cette mesure ne concernera que les grandes entreprises, à savoir celles dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros, et ne pèsera en rien sur les PME, qui, nous le savons tous, sont les plus exposées au ralentissement de la croissance.
Cette majoration exceptionnelle augmentera de 1,1 milliard d’euros les recettes annuelles de l’État tant que notre déficit public ne sera pas revenu en dessous de 3 %. Ainsi, elle contribuera au redressement du rendement de l'impôt sur les sociétés, lequel reste durablement marqué par le choc de 2008. Au total, les mesures que nous avons prises le 24 août et le 7 novembre dernier permettront d’augmenter ce rendement de 3,5 milliards d’euros.
Au-delà des entreprises, l’équité dans l’effort s’appliquera également aux ménages.
Ainsi, avec ce texte, nous mettons fin à la fiscalité privilégiée dont bénéficiaient les revenus du patrimoine et nous l’alignons sur celle des revenus du travail – ce qui est une petite révolution –, avec un prélèvement forfaitaire libératoire porté de 19 % à 21 % sur les dividendes et de 19 % à 24 % sur les intérêts, soit 600 millions d’euros de recettes supplémentaires. C’est la deuxième des quatre mesures que j’évoquais.
Là aussi, notre politique est claire et cohérente : en septembre, nous avions augmenté les prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Aujourd’hui, la hausse des prélèvements fiscaux nous permet d’aller jusqu’au bout d’une convergence historique, qui devra être mise à l’actif de ce Gouvernement.
J’ajoute que, si vous souhaitez faire des comparaisons, vous constaterez que la fiscalité des revenus du patrimoine est, en France, de 10 points supérieure à ce qu’elle est en Allemagne.
M. François Marc. Nous ferons ces comparaisons !
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’en viens à la troisième mesure : en 2012 et en 2013, nous maintiendrons le barème de l’impôt sur le revenu à son niveau de 2011. Cet effort que nous demanderons aux Français est juste,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. À d’autres !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … car il pèsera essentiellement sur les foyers les plus aisés : d’abord, parce que leurs revenus augmentent plus vite ; ensuite, parce que les 10 % de ménages qui gagnent le plus sont aussi ceux qui acquittent près des trois quarts du produit de l’impôt sur le revenu. Ce sont donc avant tout ces ménages qui seront concernés par cette mesure. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Celle-ci, vous le savez, entraîne mécaniquement le gel des barèmes de l’impôt de solidarité sur la fortune et des droits de succession et de donation. Là encore, ces dispositions sont applicables jusqu’au retour du déficit public à 3 % du PIB ; elles se traduiront par des recettes supplémentaires de 1,7 milliard d’euros en 2012 et de 3,4 milliards en 2013. Tant que la France n’aura pas entamé son désendettement, les foyers qui gagnent le plus verseront donc une contribution supplémentaire à la réduction des déficits.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’équité nous a également conduits à exclure du champ de la nouvelle TVA à 7 % – le nouveau taux réduit, égal à celui de l’Allemagne – les produits alimentaires, l’énergie, ainsi que les biens et services destinés aux personnes handicapées.
Vous le savez – et c’est la quatrième mesure majeure de ce collectif –, nous créons donc un nouveau taux réduit de TVA, au rendement de 1,8 milliard d’euros, dans le cadre de la convergence fiscale franco-allemande. Mais en limitant le champ de ce nouveau taux, nous évitons qu’il ne touche le pouvoir d’achat des Français les plus modestes ou les plus fragiles ; …
M. François Marc. C’est faux !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … c’est la raison pour laquelle l’Assemblée nationale a maintenu à 5,5 % le taux applicable aux cantines scolaires.
Le Gouvernement a également veillé, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne déséquilibrer aucun des secteurs économiques concernés par ce nouveau taux. Avec Frédéric Mitterrand, j’ai ainsi confié une mission sur la filière du livre à Pierre-François Racine, qui vient de nous remettre ses premières conclusions : afin de permettre à la transition de se faire dans de bonnes conditions, le Gouvernement vous proposera un amendement décalant de deux mois l’entrée en vigueur du taux à 7 % pour le livre.
Face à une crise exceptionnelle, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons plus que jamais le devoir de tenir un discours de vérité. Prétendre, comme certains le font trop souvent, que l’on pourrait combler nos déficits sans faire le moindre effort, c’est mentir aux Français. Le désendettement est une exigence collective et une nécessité d’intérêt national : ce n’est pas facile, mais chacun, aujourd’hui, est appelé à y prendre sa part.
Ce collectif budgétaire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous permet également d’intensifier encore la lutte contre toutes les fraudes, car, aujourd’hui plus que jamais, nul ne doit pouvoir se soustraire à l’effort d’intérêt national et je sais que vous y êtes particulièrement sensibles.
Depuis près de quatre ans, le Gouvernement a fait de cette lutte une priorité absolue. Notre stratégie est clairement répressive, car c’est le seul moyen de faire reculer toutes les fraudes, qu’elles soient sociales, fiscales ou douanières. Avec pas de moins de soixante mesures prises pour mieux repérer et mieux réprimer, nous nous sommes donné toutes les armes pour remporter ce combat. Vingt-trois de ces mesures concernent plus spécialement la fraude et l’évasion fiscale : nous avons ainsi consacré le droit de communication, qui permet au fisc d’avoir accès aux informations sur les transferts bancaires à l’étranger. Nous avons également créé le fichier des évadés fiscaux, mis en place la police fiscale ou bien encore renforcé la lutte contre la fraude dite « au carrousel » de TVA.
Ce combat contre la fraude, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes en train de le gagner : en 2010, grâce au contrôle fiscal, 16 milliards d’euros sont revenus à leur juste place, c’est-à-dire dans les caisses de l’État, soit un milliard d’euros de plus qu’en 2009. Année après année, nous ne cessons de faire mieux : le nombre de comptes bancaires à l’étranger déclarés a triplé entre 2007 et 2010. À elle seule, la cellule de régularisation créée en 2009 a rapporté à l’État 1,2 milliard d’euros de droits et pénalités, qui viennent s’ajouter aux 16 milliards d’euros que je mentionnais à l’instant.
Nous conduisons la lutte contre la fraude au nom des principes républicains. C’est pourquoi nous refusons toute mesure d’amnistie, comme nous refusons de nous engager dans le dispositif proposé par l’Association des banques étrangères en Suisse, dénommé « plan Rubik », parce que cela nous aurait conduits à transiger avec nos principes : les contribuables ne seraient même plus tenus de déclarer les comptes qu’ils détiennent en Suisse. Aux yeux du Gouvernement, ce n’est tout simplement pas acceptable.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Voilà une bonne nouvelle !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Avec ce collectif, nous poursuivons nos efforts et, grâce aux nouvelles armes qu’il offre à notre police fiscale, nous allons resserrer encore l’étau sur les grands fraudeurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.
Sur l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a ainsi porté de trois ans à dix ans le délai de prescription en matière d’avoirs détenus à l’étranger, quel que soit le pays. En 2008, ce délai avait été allongé pour les seuls paradis fiscaux. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin : même si nous avons signé des conventions d’assistance administrative avec trente-six pays, je constate que, lorsque nous formulons une demande, la réactivité n’est pas toujours au rendez-vous. Je souhaite donc que l’administration dispose de tout le temps nécessaire en cas de suspicion de fraude sur des avoirs à l’étranger. Face à des montages souvent complexes, le temps doit être l’allié et non plus l’ennemi de notre police fiscale. Or, aujourd’hui, ses agents ne peuvent intervenir que pour les soupçons de fraude liés à un paradis fiscal : dès qu’un État sort de la liste en signant une convention, la mobilisation de la police fiscale n’est plus possible. Grâce à ce collectif budgétaire, elle disposera désormais d’un délai de trois ans pour poursuivre son enquête. Ce délai nous permettra d’apprécier la réalité et l’efficacité, dans la durée, de la coopération entre les services.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce collectif budgétaire vient parachever l’effort de réduction des déficits publics engagé depuis trois ans. Par deux fois, le 24 août et le 7 novembre, nous avons démontré que la détermination de la France à tenir ses engagements était inébranlable, et cette fermeté fait aujourd’hui toute notre crédibilité.
Je le dis au Sénat : avec la crise, quelque chose a changé. Plus un seul pays au monde ne peut faire du redressement des finances publiques un objectif de second ordre. La dépense facile est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre. C’est pourquoi la règle d’or…
M. Marc Daunis. Il y avait longtemps !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … s’impose aujourd’hui comme une évidence pour toutes les nations européennes. Toutes les forces politiques doivent prendre la mesure de ce changement.
M. Éric Doligé. Même le PS !
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, la règle d’or n’est ni de droite ni de gauche, elle est d’intérêt général, tout simplement.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Elle est de bon sens !
Mme Valérie Pécresse, ministre. La France serait plus forte si, sur toutes les travées de cet hémicycle, on reconnaissait que le retour à l’équilibre budgétaire nous oblige tous. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
En France comme en Europe, l’heure n’est plus aux divisions, l’heure n’est plus aux calculs : face à une crise exceptionnelle, chacun doit écouter sa conscience et se hisser à la hauteur des circonstances. Ce collectif budgétaire vous offre à nouveau l’occasion de nous rejoindre sur le chemin du désendettement : j’espère que la Haute Assemblée, fidèle à sa tradition d’indépendance et de liberté d’esprit, saura la saisir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Marc Daunis. N’en doutez pas !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, je souhaiterais aborder trois sujets : le patchwork budgétaire, les confirmations que nous apporte ce projet de loi de finances rectificative et, cela me semble nécessaire après le Conseil européen de la semaine dernière, la déclaration adoptée le 9 décembre par les chefs d’État ou de gouvernement européens.
En ce qui concerne le patchwork budgétaire, il faut constater que la liste des textes financiers pour 2012 qui se succèdent, dont ce collectif devait être la dernière pièce, n’est pas close : nous avons en effet appris aujourd’hui, par ce qu’il est convenu d’appeler une « fuite organisée », qu’il serait question d’examiner un projet de loi de finances rectificatives dès janvier 2012.
M. Jean-Pierre Caffet. Encore !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je ne sais pas s’il s’agira du plan Fillon III, mais il est déjà annoncé.
Le Gouvernement a avancé l’objectif d’un déficit budgétaire correspondant à 4,5 % du produit intérieur brut à la fin de l’année 2012. Il s’agit d’un minimum, sans lequel la capacité du gouvernement issu des élections du printemps à franchir la marche suivante – c’est-à-dire de passer de 4,5 % du PIB à 3 % à la fin de 2013 – serait remise en cause. Je rappelle que jamais, par le passé, on n’a observé une baisse du déficit de 1,5 point en une seule année. Il faut garder ces chiffres en tête.
Les modalités de mise en œuvre de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques se caractérisent par une succession d’improvisations. Pourtant, en avril, nous avons eu un débat sur le programme de stabilité européen : à cette occasion, nous avons invité le Gouvernement à présenter plusieurs hypothèses – c’est vous-même, monsieur le président de la commission des finances, qui aviez formulé cette demande – justement de façon à anticiper des évolutions moins favorables. Le Gouvernement ne nous a pas écoutés. Il aurait pu se rattraper en juillet, lors du débat d’orientation des finances publiques pour 2012 : il ne l’a pas fait. Il faut croire que le Gouvernement estime que ces exercices sont purement formels, puisqu’il n’en tire aucun enseignement et préfère multiplier les textes financiers et les plans.
Le Gouvernement a donc justifié tout et son contraire et, en particulier, des mesures dont la logique est celle du rendement. C’est ainsi qu’il a brisé le tabou de la hausse de la TVA depuis le 7 novembre, puisqu’il nous propose, dans ce collectif, de faire passer le taux réduit de 5,5 % à 7 %.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce même gouvernement a aussi fait tomber le tabou des hausses généralisées de la fiscalité : il proclamait encore, le 26 octobre, qu’il ne procéderait jamais à de telles hausses ; or il nous propose, dans ce projet de loi de finances rectificative, de ne pas revaloriser l’ensemble du barème de l’impôt sur le revenu.
Monsieur le ministre, prétendre que ceux qui vont payer ne figurent pas parmi les plus fragiles relève de la galéjade : avec le gel du barème, ceux qui ne paient pas actuellement d’impôt sur le revenu pourront entrer dans la première tranche du barème. Ce sont donc bien les couches les plus modestes qui seront touchées par cette mesure.
Les argumentaires du Gouvernement, de plan en plan, sont à géométrie variable. Lorsque le Sénat nouveau – on parle du vin nouveau, on peut bien parler du Sénat nouveau ! – a proposé de revoir l’assiette de l’impôt sur les sociétés ou d’accroître certains prélèvements sur les entreprises, le Gouvernement l’a accusé de mettre en péril l’activité et de pénaliser la croissance. Mais, miraculeusement, le même argument ne vaudrait pas lorsque le Gouvernement propose une série de mesures allant d’une surtaxe sur les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros, à la réintégration des heures supplémentaires dans le calcul des allégements généraux sur les bas salaires.
Lorsque le Sénat nouveau a proposé d’améliorer la progressivité de la taxation des revenus du capital, en soumettant les dividendes au barème de l’impôt sur le revenu, le Gouvernement a opposé l’argument du coût de trésorerie. Or que constate-t-on à la lecture l’article 13 de ce projet de loi de finances rectificative ? L’augmentation à 24 % du taux du prélèvement libératoire sur les dividendes, qui n’améliore en rien la progressivité, représente le même coût de trésorerie ! Les députés, instruits par le débat au Sénat, ont d’ailleurs ramené le taux du prélèvement libératoire à 21 %.
Le Gouvernement a vilipendé pendant toute la session budgétaire – et Mme la ministre vient encore de le faire – la gauche sénatoriale, qu’il accuse de vouloir taxer à outrance. Cet argument n’est pas recevable quand ce même gouvernement décide 43 milliards d’euros de hausses de prélèvements obligatoires en 2010, 2011 et 2012 !
Ce projet de loi de finances rectificative pour 2011 confirme plusieurs constats.
Malheureusement, la trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement n’est pas crédible : l’évolution des dépenses publiques n’est plus de 0,5 %, mais de 0,4 %...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faut faire des économies !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Autrement dit, alors que notre politique budgétaire a besoin de crédibilité, alors que la Commission européenne et le Conseil européen nous reprochent déjà, chaque année, de ne pas être assez précis sur les objectifs affichés en matière de dépenses, le Gouvernement choisit d’exposer la France à leur critique aggravée en retenant une hypothèse fantaisiste au regard des tendances passées, y compris celles des trois dernières années, et tout aussi peu documentée que par le passé. On nous annonce des réductions de dépenses, mais les projets de budget qui nous sont présentés successivement n’en portent pas la trace.
Le plan Fillon présente la faiblesse d’être « vendu » comme un plan plus exigeant en matière de baisses de dépenses que de hausses de prélèvements et de reposer, en réalité, sur des déclarations d’intention concernant les dépenses. Il n’explique pas comment il compte réaliser ces réductions de dépenses et renvoie à l’après-2012.
Le Gouvernement occulte un phénomène incontesté et incontestable : la baisse de la croissance et la possibilité d’un troisième plan Fillon. À cette fin, le Gouvernement utilise la réserve de précaution comme un « matelas » de 8 milliards d’euros de crédits susceptibles d’être annulés à tout moment. Cette réponse est surprenante et inquiétante, pour des raisons juridiques, pratiques et politiques.
Quelles sont les raisons juridiques d’abord ? Le Gouvernement semble considérer comme un détail le fait que la réserve de précaution n’ait pas été créée pour l’usage qu’il compte en faire. Aucun gouvernement n’est obligé de dépenser l’intégralité des crédits votés ; en revanche, il est interdit de dépasser les plafonds de dépense et la loi organique relative aux lois de finances a prévu, pour aider les gouvernements à respecter les plafonds, la mise en place d’une réserve de précaution. Autrement dit, cette réforme n’a pas été conçue pour faire des économies, mais pour empêcher les dérapages.
J’en viens aux raisons pratiques. Chaque année, la quasi-totalité des crédits mis en réserve est dépensée. En 2010, seuls 3 % de ces crédits ont été économisés : appliqué à 2012, ce taux permettrait d’envisager 240 millions d’euros d’économies. En imaginant que le Gouvernement déploie tous ses efforts et porte le taux d’économie à 10 %, on obtiendrait, au mieux, 800 millions d’euros d’économies. Mais, au vu de la pratique des années précédentes, il semble difficilement envisageable d’annuler l’intégralité de la réserve. Il s’agit donc d’un artifice que le Gouvernement utilise à son profit – du moins le croit-il !
J’en arrive à la raison politique. La majorité gouvernementale serait-elle prête à accepter que 8 milliards d’euros soient économisés en cours d’exercice par une simple décision réglementaire, sans que le Parlement ait son mot à dire ? Quand j’observe les difficultés auxquelles le Gouvernement a été confronté pour accroître de 1,5 milliard d’euros, dans le projet de loi de finances pour 2012, le montant des économies, je me demande si tout cela est bien réaliste. Ces 8 milliards d’euros seraient économisés sans que le Parlement se prononce. Voilà pourquoi il a beaucoup insisté sur la non-existence d’un plan Fillon III. Cette habileté ne l’exonère pas de la vérité.
Le déficit de l’État se réduit de 53 milliards d’euros en 2011, soit 7 milliards d’euros de moins que les 60 milliards d’euros sur lesquels le Gouvernement avait fondé sa communication en début d’année. Cependant, la présentation des chiffres est biaisée par la sortie des comptes des 35 milliards d’euros du grand emprunt, soit 92% de la baisse du déficit, qui ne se reproduira évidemment pas l’année prochaine.
Dans ce projet de loi de finances rectificative, dont le volume a été multiplié par trois par l’Assemblée nationale, nous trouvons, plus encore que d’habitude en cette fin de législature, une multitude de dispositions relatives aux recettes, qui touchent à tous les aspects de notre vie économique. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles, en particulier pour ce qui concerne les dispositions relatives au contrôle fiscal et à la lutte anti-fraude.
Je voudrais consacrer la fin de mon intervention à la déclaration adoptée par les chefs d’État et de Gouvernement à l’issue du Conseil européen du 9 décembre dernier. Cette déclaration comporte trois volets, que je voudrais commenter.
Il convient d’abord de ne pas trop s’emballer. La réaction des marchés a d'ailleurs été prudente : une légère hausse, suivie d’une baisse. Les analystes ont compris qu’il s’agissait avant tout d’un emballage.
Le volet consacré à la croissance et à la coordination des politiques économiques a été singulièrement oublié. Il figure « pour ordre » dans le texte final mais n’apporte rien de neuf. Le président du Conseil européen devra remettre en mars 2012 un rapport sur « la manière d’approfondir encore l’intégration budgétaire », il est donc peut-être « permis d’espérer ».
Toutefois, sur les perspectives de mutualisation des dettes et de soutien à la croissance, en d’autres termes sur tout ce qui aurait pu indiquer une direction ou une vision pour l’Europe au-delà de la discipline budgétaire, l’accord est muet.
Ensuite, il y a les mesures à prendre dans l’immédiat pour faire face, le cas échéant, aux difficultés de financement que pourraient rencontrer des États de la zone euro – tout le monde pense aux risques qui pèsent sur l’Espagne et l’Italie.
Cet accord nous apprend que la question de l’effet de levier, c’est-à-dire la capacité d’intervention dont dispose l’Europe, n’est toujours pas réglée.
D’un côté, on nous indique que les deux dispositifs décidés le 27 octobre seront mis en œuvre, même si l’effet de levier que l’on en attend est bien inférieur aux prévisions initiales. D’un autre côté, on reporte au mois de mars 2012 le débat sur le plafond global de 500 milliards d’euros du Fonds européen de stabilité financière, le FESF, et du futur Mécanisme européen de stabilité, le MES.
Nous apprenons aussi que la règle de l’unanimité pour la prise des décisions du futur Mécanisme européen de stabilité va être assouplie. Une majorité de 85 % pourra s’appliquer, mais malheureusement dans des cas très restreints.
Nous apprenons enfin que l’entrée en vigueur du MES va être anticipée à la mi-2012, au lieu de 2013. Cela pose trois questions.
Première question : quand le traité relatif au MES sera-t-il soumis aux assemblées, car la mi-2012, c’est demain ?
Ma deuxième question porte sur le contexte, diplomatique notamment. Le Gouvernement confirme-t-il que le Royaume-Uni ne s’oppose pas à la révision de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, nécessaire à la mise en place du Mécanisme européen de stabilité ?
Ma troisième question est d’ordre budgétaire. La France doit contribuer à hauteur de 16 milliards d'euros environ au capital du MES. Cette opération est neutre sur le solde maastrichtien, mais évidemment pas sur le déficit budgétaire et sur notre endettement. La France va payer par tranches, mais il faudra, selon l’accord, accélérer les versements. Comment l’échéancier de ces versements sera-t-il programmé ? C’est sans doute la raison pour laquelle la « fuite » organisée à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure évoque un plan Fillon, un nouveau collectif budgétaire qui interviendrait au début de l’année 2012 : est-ce pour libérer la première tranche de ce financement ?
J’aborderai, pour finir, ce que la déclaration du 9 décembre qualifie de « nouveau pacte budgétaire ».
La mise en œuvre du schéma retenu le 9 novembre nous imposerait deux règles de fonctionnement : le pacte de stabilité et de croissance, conséquence du traité de Maastricht, et la fameuse règle d’or, qui devient une règle de platine, si j’ai bien compris Mme la ministre tout à l’heure.
Concernant le pacte de stabilité et de croissance, cela signifie l’application de sanctions automatiques que le Gouvernement a déclaré refuser, et une modification profonde du processus budgétaire national.
Les projets de loi de finances devront être soumis à la Commission européenne. Si la Commission constate des écarts avec la trajectoire, elle demandera un projet de plan budgétaire révisé. Elle pourra en tout état de cause venir présenter son avis sur le budget devant les parlements nationaux.
Le projet de règlement de la Commission indique que l’avis serait rendu dans les quinze jours suivant la présentation des projets de loi de finances, c'est-à-dire, pour nous, vers le 15 octobre. À cette date, l’Assemblée nationale a déjà bien entamé l’examen de la première partie. Que se passerait-il s’il fallait l’ajuster ? Doit-on désormais s’attendre à un plan complémentaire chaque année au début du mois de novembre ? Nous devions déjà articuler deux lois financières, un collectif de fin d’année et un décret d’avance qui devient régulier à cette époque ; il nous faudrait maintenant intégrer les corrections demandées par la Commission européenne ! C’est une modification profonde du processus budgétaire national.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La troisième nouveauté est que les hypothèses économiques sur lesquelles sont construits les budgets nationaux devront être élaborées de manière indépendante.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous devriez y être très favorable !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. J’ai interrogé plusieurs fois différents membres du Gouvernement sur la manière dont nous allions traiter cette question en France : je n’ai jamais reçu de réponse.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le principe doit vous convenir !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Le projet de règlement de la Commission prévoit aussi un conseil budgétaire indépendant. Il importe à la représentation nationale de savoir comment le Gouvernement l’envisage.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et vous, comment l’envisagez-vous ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Au vu du renforcement du rôle de la Commission européenne, on est donc loin de l’« intergouvernemental » proclamé à longueur de déclarations par le Président de la République.
Quant à la fameuse règle d’or, il faut en dire quelques mots.
Le Gouvernement s’est placé dans une impasse en acceptant une règle contraire à tout ce qu’il a préconisé au printemps dernier lorsque nous débattions de la révision constitutionnelle. La règle qui figure dans la déclaration du 9 décembre est la règle allemande, exprimée en termes de solde structurel. Elle avait été jugée au printemps politiquement inexplicable et économiquement impraticable – il n’y a qu’à voir à ce sujet les travaux de la commission Camdessus.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est cette règle que nous devrions transcrire dans notre droit, selon des modalités dont la Cour de justice de l’Union européenne devrait vérifier qu’elle est bien conforme à l’esprit du futur accord intergouvernemental.
Il s’agit ni plus ni moins d’un pilotage automatique des finances publiques de la France.
Une règle en termes de solde structurel et non de solde nominal, un objectif d’équilibre plutôt qu’une définition de la trajectoire laissée au législateur national, une correction automatique des écarts au lieu de l’entière appréciation par le juge constitutionnel : tous les principes de la réforme que vous avez votée, monsieur le président de la commission des finances, chers collègues de la majorité, en juillet 2011, sont rendus caducs par le nouveau pacte budgétaire européen. Le Gouvernement va donc devoir proposer une autre règle que celle qu’il a fait voter au Parlement. Il ne répond pas à la question posée et, pour se sortir de l’impasse, il déplace le débat sur le terrain de la politique intérieure, comme Mme la ministre vient encore de le faire,…
M. Roland Courteau. Et voilà !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … en faisant valoir que les socialistes ne jouent pas le jeu. Cela lui évite de décliner ses propositions, et il espère tenir sur cette ligne jusqu’aux élections. Cela ne trompera personne !
Nous entrons dans une période où, plus encore qu’à l’accoutumée, le Gouvernement s’ingéniera à mettre en scène une réalité politique virtuelle, …
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vous qui êtes dans le virtuel !
M. Charles Revet. Je dirais même plus : dans l’irréel !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … sans se soucier de savoir si elle correspond à la politique qu’il conduit. Monsieur le président de la commission, nous n’avons pas cessé de dénoncer le décalage entre le discours et les actes.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Rien ne trouve grâce à vos yeux !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’accumulation des textes montre bien le hiatus qui existe entre les deux.
Nous nous attachons au contraire à dissiper les écrans de fumée. Nos compatriotes doivent pouvoir faire leur choix en toute connaissance de cause : c’est pour cela que nous nous livrons, au Sénat, à cet exercice de vérité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a décidé de se saisir pour avis du projet de loi de finances rectificative pour 2011 que l’Assemblée nationale vient d’adopter. En effet, plusieurs dispositions concernent des sujets transversaux, tels que la TVA, ou plus sectoriels, comme le patrimoine archéologique, l’audiovisuel public, la production cinématographique et le spectacle vivant, lesquels nous concernent.
À l’article 9, le Gouvernement propose d’ouvrir 44,9 millions d’euros tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement pour financer, d’une part, le déménagement de Radio France Internationale et de Monte Carlo Doualiya, dont le coût est estimé à 20,5 millions d’euros, et, d’autre part, le second plan de départs de salariés lié à la réorganisation du groupe consécutive à la fusion de RFI et de France 24. Son coût est quant à lui estimé à 24,3 millions d’euros.
Je rappelle que la commission de la culture s’est opposée, lors du débat sur la mission « Médias, livre et industries culturelles » dans le projet de loi de finances pour 2012, à la fois au projet de déménagement, coûteux et mal organisé, de RFI et à la fusion des différentes entités de l’audiovisuel extérieur de la France que la rapporteur pour avis, Mme Claudine Lepage, a qualifié de complexe et hasardeuse.
La commission de la culture a donc naturellement adopté un amendement de suppression de ces crédits.
Toujours à l’article 9, l’Assemblée nationale a adopté, contre l’avis du Gouvernement, un amendement du rapporteur général tendant à réduire de 2 500 000 euros à 500 000 euros les crédits prévus pour la préfiguration de l’éventuel futur Centre national de la musique.
Deux raisons sont invoquées pour justifier ces réductions de crédits : la somme est apparue trop importante pour une simple préfiguration et des inquiétudes ont été exprimées sur le projet lui-même, qui devrait entraîner une augmentation du financement public de la filière musicale.
Je vous rappelle que ce projet a pour objet de rationnaliser l’organisation de la filière musicale, en fusionnant les organismes existants dans ce domaine et en complétant les aides allouées aux professionnels concernés.
Sur les 2,5 millions d’euros initialement inscrits au projet de loi de finances rectificative, 500 000 euros devaient servir à la préfiguration technique et 2 millions d’euros à expérimenter le tuilage des subventions avec les dispositifs existants.
Il a semblé plus sage à notre commission d’attendre les résultats de cette mission de préfiguration avant d’engager de nouveaux financements.
L’article 11 nous préoccupe tout particulièrement puisqu’il tend à porter le taux réduit de TVA de 5,5 % à 7 %, à l’exception de certains biens de première nécessité. Ses conséquences sont particulièrement graves pour la culture, dont il touche tous les secteurs, déjà affectés par un contexte difficile.
Une telle mesure aurait des conséquences particulièrement néfastes pour le secteur de l’édition. Elle représenterait un surcoût de 42 millions d’euros, ainsi que des incertitudes et des difficultés techniques lourdes pour la filière du livre.
Nous avons entendu Mme la ministre évoquer un délai de deux mois pour la mise en œuvre de cette augmentation. Or notre opposition porte non pas sur la date d’application de cette mesure mais sur le fond. Les librairies notamment seraient mises en difficulté alors que la situation économique des librairies indépendantes est déjà très fragile.
Si nous sommes par principe hostiles à une hausse de la TVA, nous insistons sur les difficultés d’application au secteur du livre d’une telle mesure, y compris d’un point de vue strictement pratique et comptable. Une telle hausse poserait des problèmes de délai en raison de la nécessité d’intégrer les nouveaux prix dans les systèmes d’information et de modifier les prix de plus de 700 000 références. Enfin, elle poserait des difficultés de gestion des retours et d’information du public sur les prix.
Enfin, en cas de répercussion de la hausse de la TVA sur le prix de vente du livre aux lecteurs et aux bibliothèques, c’est à l’accès à la lecture, et donc à la culture, que l’on porterait atteinte.
Par ailleurs, nous savons à quel point il faut encourager l’accès aux autres produits culturels pouvant concourir à la préservation du lien social, tout particulièrement en temps de crise.
Le relèvement du taux de TVA applicable au spectacle vivant fragiliserait de nombreuses structures, déjà obligées de réduire leurs marges artistiques, comme l’a relevé notre collègue Maryvonne Blondin dans son rapport pour avis sur le sujet. Certes, le taux de 2,10 % restera appliqué aux 140 premières représentations, mais la hausse de la TVA aurait un impact sur les contrats de cession et de coproduction de spectacles. Les compagnies et les petites structures non fiscalisées seraient les plus touchées, ainsi que les structures qui achètent les spectacles toutes taxes comprises.
En outre, la situation est cruciale pour le secteur des concerts donnés dans des établissements où il est d’usage de consommer pendant les séances, car il ne pourra plus bénéficier du taux de 2,10 % sur les 140 premières représentations, cet avantage étant non conforme à la législation européenne. Le taux de TVA qui leur est applicable risquerait ainsi de passer brutalement de 2,10 % à 7 %.
Pour le secteur du cinéma, le relèvement de la TVA sur les prix des tickets est évalué à 18,5 millions d’euros.
La commission des finances ayant adopté un amendement de suppression pure et simple de l’article 11, que nous soutiendrons, nous n’avons pas eu à intervenir spécifiquement. Cette situation déplorable est ainsi réglée, à notre plus grande satisfaction.
J’insiste sur le fait que, selon nous, la commission mixte paritaire devra aboutir sur ce point au minimum à une prise en compte des spécificités du secteur de la culture et de son économie propre. Une majorité devrait d’ailleurs pouvoir être trouvée, des députés de sensibilités diverses s’étant également émus de cette question.
L’Assemblée nationale a supprimé, là encore contre l’avis du Gouvernement, le II de l’article 16, qui prévoyait d’ajuster une modalité de calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, afin de tenir compte des spécificités du secteur cinématographique.
La commission de la culture a adopté un amendement tendant à rétablir les dispositions supprimées. Il s’agit de permettre aux entreprises concernées de reporter les dépenses relatives à un film dans le calcul de la CVAE de façon qu’elles soient prises en compte en même temps que les recettes se rattachant au même film, comptabilisées lors de l’obtention du visa d’exploitation. À défaut, le droit applicable générerait une valeur ajoutée fictive résultant de la prise en compte de recettes de financement avant celle des dépenses afférentes.
La commission de la culture avait d’ailleurs défendu un amendement en ce sens il y a un an, lequel n’avait malheureusement pas été adopté par le Sénat. J’espère qu’elle sera davantage entendue aujourd’hui.
L’article 17 relatif à la modernisation du recouvrement prévoit notamment une réforme de la procédure de dation en paiement, qui, je vous le rappelle, permet d’acquitter des dettes fiscales – impôt de solidarité sur la fortune, droits de mutation à titre gratuit, droit de partage – par la remise de certains biens, notamment des œuvres d’art. Comme l’a rappelé notre collègue Jean-Pierre Plancade dans son rapport d’information sur l’art d’aujourd’hui, ce dispositif est précieux, car il permet d’enrichir considérablement les collections publiques. La valeur de l’ensemble des biens transmis à l’État depuis 1972 s’élève ainsi à 809 millions d’euros.
La proposition n°20 que notre commission avait adoptée le 18 octobre dernier visait à sécuriser davantage la procédure afin d’éviter un effet d’aubaine et des situations telles que celle qu’a connue le Centre Pompidou, lequel a perdu la dation de Claude Berry après un accord entre les parties.
Les mesures proposées à l’article 17 du projet de loi de finances rectificative, aux alinéas 43 à 55, visent précisément à rationnaliser et à sécuriser la procédure de dation en paiement. La commission de la culture a donc émis un avis favorable sur l’adoption de ces dispositions.
L’article 22 prévoit la réforme de la redevance d’archéologie préventive, la RAP, annoncée depuis plusieurs mois. Avant de vous en présenter quelques éléments techniques, j’aimerais rappeler les objectifs de l’archéologie préventive, son sens et son utilité.
Si, dès le milieu du XIXe siècle, l’État français mit en place des structures de recherche archéologique en Italie, en Grèce, en Égypte, en Syrie et en Extrême-Orient, il faudra attendre 2001 pour qu’il se dote d’une loi garantissant la « sauvegarde par l’étude » du passé de son propre territoire.
Nous sommes ainsi passés de l’archéologie de sauvetage à l’archéologie préventive, décrite par nos anciens collègues Pierre Bordier et Yves Dauge dans leur récent rapport d’information. L’archéologie préventive constitue ainsi le seul moyen de faire progresser la connaissance de notre passé et la recherche scientifique archéologique. Il s’agit d’assurer la sauvegarde du patrimoine archéologique menacé par des travaux d’aménagement.
De toute évidence, la mise en œuvre technique de cette politique publique n’a pas été à la hauteur des enjeux. Nous le voyons chaque année à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, le financement de l’archéologie préventive, défini par la loi du 1er août 2003, n’a pas permis de couvrir les coûts engendrés, provoquant des retards dans la mise en œuvre des diagnostics et des chantiers de fouilles conduits par l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives.
Malgré des ajustements votés en 2004 et en 2009, le rendement de la redevance d’archéologie préventive ne permet pas de couvrir les besoins. Il a péniblement dépassé les 70 millions d’euros tandis que l’évaluation des voies et moyens annexée au projet de loi de finances estime à 77 millions d’euros le rendement pour 2011. Or l’inspection générale des finances a estimé à environ 125 millions d’euros les besoins pour mettre en œuvre les différentes étapes de l’archéologie préventive, y compris la phase de recherche et de valorisation, laquelle constitue la raison d’être de cette politique publique, et pour créer la réserve pluriannuelle qu’elle recommande.
Faute de moyens suffisants, l’État a chaque année procédé à des sauvetages financiers en accordant des crédits supplémentaires à l’INRAP, soit 154 millions d’euros cumulés depuis 2002. L’ouverture de 60 millions d’euros en autorisations d’engagement est d’ailleurs proposée dans le projet de loi de finances rectificative afin de tenir compte du décalage dans le temps des effets de la réforme proposée.
Deux axes doivent être envisagés pour traiter ce problème. Le premier est la rationalisation de la gestion de l’INRAP. C’est justement ce que vise le contrat de performance présenté par l’établissement public le 12 juillet dernier aux ministères de tutelle. Le deuxième axe est la réforme de la redevance d’archéologie préventive, soumise à notre examen.
Sans revenir sur le détail du dispositif actuel, rappelé dans le rapport d’information d’Yves Dauge et de Pierre Bordier, je rappelle qu’il existe deux filières de liquidation, une filière « urbanisme » pour les aménagements soumis à autorisation préalable et une filière « DRAC » ou « culture » pour les aménagements soumis à étude d’impact.
La réforme présentée dans la version initiale du projet de loi de finances rectificative concerne principalement la filière « urbanisme » et prévoit d’adosser la redevance d’archéologie préventive à la taxe d’aménagement créée par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010. Elle permet d’élargir l’assiette, en revenant notamment sur une série d’exonérations : construction d’une maison individuelle par une personne physique pour elle-même, construction de logements sociaux, hormis les prêts locatifs aidés d’intégration ou PLAI, travaux de construction créant moins de 1 000 mètres carrés de surface de construction, etc.
J’indique toutefois que sont désormais exonérées les constructions destinées à un service public, au même titre, par exemple, que les constructions agricoles ou les PLAI.
Avec un taux abaissé de 0,5 % à 0,4 %, cet élargissement de l’assiette permet d’augmenter considérablement le rendement pour atteindre un total estimé à 123 millions d’euros, conformément aux exigences que je rappelais il y a un instant.
Enfin, la réforme doit être complétée, dans un deuxième temps, par la création d’un compte d’affectation spéciale, lequel permettra de clarifier la gouvernance et d’éviter les confusions de gestion entre l’INRAP et le Fonds national pour l’archéologie préventive, le FNAP. L’objectif financier semble atteint avec ce nouveau dispositif, qui devrait permettre de ne plus avoir à revenir de façon récurrente au secours de l’INRAP.
Or ce dispositif a été modifié par l’Assemblée nationale. En contrepartie du retrait par la commission des finances de son amendement de suppression de l’article 22, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à exonérer les constructions de maisons individuelles, que les députés ont adopté.
La version de l’article 22 transmise au Sénat ne lui paraissant pas satisfaisante, la commission de la culture a adopté un amendement visant à revenir sur cette exonération.
En effet, elle soulève trois types de question : une question de justice sociale, par rapport notamment aux logements sociaux ; une question économique, la chute induite du rendement de la redevance d’archéologie préventive remettrait en cause une fois de plus la réforme ; enfin, une question de développement durable puisqu’elle favoriserait l’étalement urbain. J’y reviendrai plus précisément lorsque je vous présenterai l’amendement de la commission de la culture, dont l’adoption me semble indispensable si l’on veut éviter de renouer avec les situations désastreuses rencontrées ces dernières années, à la source de nombreux retards et blocages. Nous avons tous été témoins de telles difficultés, qu’il convient de surmonter.
L’article 30 nouveau, issu d’un amendement gouvernemental, vise à permettre la mise en œuvre effective du droit à la formation professionnelle continue des artistes auteurs – plasticiens, compositeurs, écrivains, scénaristes, etc. En effet, ceux-ci ne bénéficient pas aujourd’hui de ce droit reconnu à tout travailleur faute d’un dispositif de financement mutualisé et adapté.
Le dispositif reposera sur une contribution des artistes auteurs et de leurs diffuseurs, à hauteur respectivement de 0,35 % et de 0,1 % de leur chiffre d’affaires. Cette contribution sera recouvrée par les organismes agréés pour le recouvrement des contributions au régime de protection sociale des artistes auteurs. Une section particulière sera créée au sein du Fonds d’assurance formation des secteurs de la culture, de la communication et des loisirs, l’AFDAS.
Cet article est le fruit d’une concertation approfondie entre les professionnels et les pouvoirs publics, qui a duré plus de dix ans et a permis d’aboutir à un accord global. Notre commission soutient fortement l’adoption de cet article.
Je tiens cependant à vous faire part des inquiétudes et des souhaits d’un certain nombre de représentants des professions concernées afin que ce texte soit appliqué de façon équitable.
Ce droit à la formation professionnelle doit bénéficier à l’ensemble des artistes auteurs qui cotiseront au nouveau régime instauré.
Afin d’assurer l’équité entre les artistes auteurs œuvrant dans chaque secteur de la culture, la répartition des fonds collectés entre les secteurs concernés – livre, musique, audiovisuel, arts plastiques – et la répartition des sièges au sein du collège « artistes auteurs » du conseil de gestion du fonds concerné doivent s’effectuer en fonction de l’effort contributif de ces différents secteurs.
La validation des contenus de formation proposés et la définition des critères d’éligibilité et des éventuelles priorités d’accès à ces formations devront relever de chacune des commissions sectorielles.
Il s’agit ainsi de s’assurer que la formation continue des artistes auteurs sera mise en place dans des conditions garantissant que cette charge nouvelle pour les auteurs sera cohérente, utile et supportable pour eux.
Monsieur le ministre, nous souhaitons, d’une part, que ces préoccupations soient prises en compte dans le décret d’application de cet article et, d’autre part, que les commissions parlementaires concernées soient informées de l’impact de ce dispositif. Pouvez-vous prendre des engagements à cet égard ?
Enfin, l’article 47 quater nouveau tend à corriger certains effets négatifs de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à rétablir l’égalité fiscale entre les acteurs du spectacle vivant. Il s’agit d’intégrer les spectacles musicaux et de variété à la liste des activités culturelles que les collectivités territoriales peuvent faire bénéficier d’exonération de cotisation foncière des entreprises. Il s’agissait d’une forte demande des producteurs de spectacles, qui semblent avoir été oubliés lors de l’établissement de cette liste. Notre commission soutient l’adoption de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons ce soir le dernier collectif budgétaire de l’année 2011, avant d’examiner, peut-être dans peu de semaines, le premier de l’année 2012
M. Jean-Pierre Caffet. En janvier !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je vous vois déjà très impatients de le faire ! (Sourires.)
Un collectif budgétaire est un exercice de vérité et celui-ci traduit bien, ce dont nous ne pouvons nous attrister, notre réactivité face à une situation économique et financière imprévisible.
Je commencerai en reprenant quelques-unes des affirmations de Mme le rapporteur général, afin d’engager le dialogue avec elle.
M. Charles Revet. Ah !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On nous parle d’« improvisation », alors qu’il s’agit de « réactivité » !
Mme Nicole Bricq, rapporteuse générale de la commission des finances. De « réaction » !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais que ne dirait-on si l’on s’était cramponné aux fausses certitudes du début de l’année 2011 ? Une telle posture n’aurait-elle pas été pulvérisée par notre environnement économique et financier ? Car enfin, comment peut-on critiquer ces approches successives, permettant de s’adapter au terrain et aux circonstances ? J’ai vraiment de la peine à comprendre ce procès en improvisation !
Mais vous nous faites aussi un procès en crédibilité.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Oui ! Plus personne ne vous croit !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. J’ai peut-être encore plus de mal à le comprendre.
J’ai écouté avec grand intérêt le rapporteur pour avis de notre excellente commission de la culture nous expliquer qu’il fallait absolument renoncer à la mesure la plus productive du plan Fillon,…
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. La plus injuste !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … c'est-à-dire la très modeste remontée du taux de TVA !
Il nous a également fait, comme on pouvait s’y attendre, l’éloge des professions du secteur dont s’occupe, d’ailleurs fort bien, la commission de la culture, en nous expliquant qu’il fallait surtout ne rien changer et donner satisfaction à toutes ces estimables corporations.
M. Jean-Pierre Caffet. Vous ne les aimez pas, hein ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Parallèlement, la majorité des missions sont rejetées en loi de finances initiale au motif qu’il n’y a pas suffisamment de crédits…
Je crois donc être fondé à affirmer que la crédibilité et le courage sont du côté du Gouvernement, tandis que l’opposition, devenue majorité sénatoriale, n’a pas encore digéré la culture majoritaire ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Marc Daunis. Ça va venir dans quelques mois !
M. Jean-Pierre Caffet. Vous, en tout cas, vous avez du mal à digérer d’être passés dans la minorité !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et que dire, a fortiori, de l’exercice de dénigrement du sommet européen ?
M. Éric Bocquet. Qui n’a rien réglé !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je comprends fort bien que l’opposition combatte, voire caricature le chef de l’État.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous ne caricaturons pas : nous décrivons la réalité !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le Président de la République est notre chef de file, notre candidat. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste-EEL.)
M. Marc Daunis. Ah bon, il est candidat ?
M. François Marc. C’est un scoop !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais, chers collègues, vous n’avez pas de candidat, vous ?...
M. Marc Daunis. Le nôtre s’est déclaré !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Chacun a son candidat ; c’est bien la moindre des choses en démocratie ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Nous n’avons pas à en rougir ! (Mêmes mouvements.)
M. Maurice Vincent. Et qui paie les meetings ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes chers collègues, je ne comprends pas les mouvements divers sur vos travées. Sincèrement, c’est l’honneur de la politique…
M. Marc Daunis. De se déclarer quand on est candidat !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … d’exprimer ses convictions et de suivre sa stratégie.
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Pas aux frais de l’État !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et, pour nous, celui qui définit la stratégie et la met en œuvre, d’ailleurs fort bien, au niveau européen, c’est le Président de la République. Il est notre candidat naturel ! (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Je n’ai fait que rappeler une évidence !
M. Jean-Pierre Caffet. Parlez-nous donc du collectif budgétaire !
M. Éric Bocquet. Et des finances publiques !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes chers collègues, dénigrer le sommet de Bruxelles, c’est dénigrer non pas le chef de l’État, mais l’accord intergouvernemental auquel sont parvenus vingt-six États. (M. Charles Revet acquiesce.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dont certains sont gouvernés par des socialistes !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Loin des chimères fédéralistes, cet accord consacre la suprématie de la méthode intergouvernementale et comporte plusieurs avancées que, à mon avis, on n’a pas suffisamment analysées.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Dites-le aux analystes !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais est-ce que ce sont les analystes, ou les marchés, qui font la loi ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Yannick Botrel. Avec vous, oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je vous ai entendue, chère rapporteur général, vous référer au jugement des marchés.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce n’était pas moi !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Si ! Vous avez dit que les marchés ne réagissaient pas très bien aux résultats du sommet !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vous qui parlez sans cesse du triple A ! D’ailleurs, il est où, notre triple A ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je me suis donc interrogé sur vos instruments de mesure. Et votre remarque ne m’a pas semblé très cohérente avec la culture de la gauche.
M. Marc Daunis. Un jour, nous vous enseignerons la culture de la gauche ! Ça prendra du temps, mais vous finirez par comprendre ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le sommet a permis des avancées importantes.
M. Jean-Pierre Caffet. Parlez-nous du collectif !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ne fallait-il pas que la clarification avec le Royaume-Uni intervienne un jour ? Elle est intervenue en ce début de mois de décembre. Cela a probablement débloqué la situation institutionnelle de l’Europe : nous ne sommes plus dans une contrainte d’unanimité ingérable.
Ceux qui veulent avancer dans le sens d’une gouvernance de la zone euro pourront le faire. Ils vont se doter, par un nouveau traité, de nouveaux outils.
En effet – et c’est là une difficulté sérieuse, à laquelle nous allons, je l’espère, nous atteler collectivement, dans l’intérêt de tous –, les vingt-six États devront définir ensemble une gouvernance, une règle budgétaire, une expression commune du frein à l’endettement. Je préfère cette terminologie à l’expression « règle d’or », que, pour ma part, je trouve beaucoup trop simplificatrice. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Alain Néri. Très bien !
M. Marc Daunis. Nous allons finir par être d'accord !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je suis heureux que vous m’approuviez et que nous passions aux choses sérieuses.
M. Jean-Pierre Caffet. Oui, il serait temps !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Comment allons-nous collectivement coopérer à la mise en œuvre du mécanisme de clarification européenne ?
Si nous voulons que l’Europe fonctionne, il faudra bien aboutir.
Par conséquent, notre pays devra se doter, dans sa Constitution, et probablement aussi dans une loi organique, d’une disposition conforme à notre ordre juridique national et permettant de respecter une telle contrainte. Et nous devrons bien accepter de raisonner en termes de cycle économique, d’effort structurel. Nous devrons être capables de nous référer à des instances d’expertise indépendantes…
M. Marc Daunis. Bref, des analystes ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … pour définir ce qu’est le cycle et pour pointer les parts respectives du conjoncturel et du structurel.
Je forme le vœu que nous sachions le faire ensemble, des deux côtés de l’hémicycle. Car, au-delà des critiques toujours faciles, il est véritablement de notre intérêt collectif, national, de parvenir à une définition homogène de la gouvernance budgétaire au sein des États ayant l’euro en partage.
Par ailleurs,…
M. Roland Courteau. Il faudrait conclure ! (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Peut-être de tels sujets sont-ils un peu trop techniques pour ceux qui préféreraient s’en tenir à la facilité des promesses…
L’accord comporte des avancées tout à fait essentielles.
Je pense aux dispositions prises par la Banque centrale européenne pour consolider sur trois ans le financement de la liquidité bancaire. Voilà qui me semble ouvrir au système européen des banques centrales et à chaque banque centrale nationale une capacité de négociation et de décision assurant le suivi de la recapitalisation des banques et de leur politique d’investissement ; je parle évidemment des investissements en titres de dette souveraine des États de la zone euro. C’est bien d’un nouvel instrument que le système européen des banques centrales s’est doté. Cela ne sera certainement pas sans conséquence.
En outre, l’accord des 8 et 9 décembre voit réapparaître les banques centrales nationales, qui alloueraient un financement au Fonds monétaire international, lequel serait en mesure à son tour de prêter aux États en utilisant des instruments juridiques existants et en faisant en sorte que les moyens ainsi alloués s’ajoutent à ceux du mécanisme européen de stabilité et du Fonds européen de stabilité financière.
Mes chers collègues, je vous invite à réfléchir à ce fait nouveau qu’est la réapparition d’un rôle actif des banques centrales nationales au sein, bien entendu, du système européen de banques centrales. Mais ce rôle actif ne nécessite pas de décision positive particulière de la Banque centrale européenne.
La question des modes d’action de cette dernière est assurément l’aspect le plus délicat pour compléter le dispositif de pare-feu. À cet égard, il faut supposer que les comportements évolueront.
Certains seraient fondés à dire que la Banque centrale européenne aurait vraisemblablement pu être plus « impressionnante » vis-à-vis des investisseurs et des marchés si elle avait eu une politique de communication plus directe.
M. Marc Daunis. C’est certain !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela aurait peut-être nécessité une intervention moindre que les 200 milliards d’euros environ que représente le stock de titres de dettes souveraines figurant actuellement au bilan de la BCE. On peut au moins se poser la question, mes chers collègues.
Maintenant, croyez-vous que c’est en dénigrant ce qui a pu être fait que l’on améliorera nos chances de sortir du trouble financier et de doter l’euro de la pérennité ? J’ai cru comprendre que, de ce côté-ci de l’hémicycle (L’orateur en désigne la partie gauche.), vous étiez, pour la plupart, convaincus de la nécessité d’avancer dans le projet européen.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Plus que vous !
M. Alain Néri. Nous sommes pour une Europe sociale !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais comment voulez-vous qu’il y ait un quelconque projet européen si la zone euro devait se briser ? Comment cela serait-il possible ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Mes chers collègues, en vérité, nous sommes tous placés devant nos responsabilités !
Je reconnais vous avoir plus parlé du contexte que du texte.
M. Roland Courteau. Ça, c’est sûr !
M. Marc Daunis. Le texte est un prétexte ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais le texte, mes chers collègues, nous allons avoir tout loisir, au cours de plusieurs journées et nuits, de l’examiner article par article.
D’ailleurs, nous avons déjà pu entendre une sorte d’introduction à tous les articles qui portent sur des domaines relevant du champ de compétence de notre excellente commission de la culture. (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Nous ferons de même point par point, et la commission des finances jouera naturellement tout son rôle dans cet examen.
Pour ma part, je souscris à l’essentiel de ce qui a été proposé par le Gouvernement. Je salue, en particulier, la première retouche de l’architecture des taux de TVA. Elle me semble d’ailleurs proche de ce que je proposais dans mes anciennes fonctions voilà un an. À mes yeux, la remontée de 5,5 % à 7 % n’est, pour le bâtiment et pour la restauration, que la réduction de 10 % de l’avantage fiscal accordé par rapport au droit commun. Ce n’est donc qu’un coup de rabot selon moi tout à fait indolore. Il est, en tout cas, beaucoup plus indolore que ne le serait la suppression brutale des allégements de charges sociales sur les heures supplémentaires !
M. Albéric de Montgolfier. Très bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Une telle suppression représenterait un choc pour le pouvoir d'achat bien plus redoutable et massif que cette toute petite remontée de taux de TVA.
S’agissant enfin des libraires, dont je pense être l’ami comme je suis celui des livres, n’ont-ils pas d’ordinateurs ? Franchement, ne sont-ils pas en mesure de modifier leurs références compte tenu de la période de transition prévue par le dispositif qui nous est proposé ?
M. Alain Néri. Ce n’est pas la question !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. C’est plus compliqué que cela…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pour finir, mes chers collègues, je vous remercie de vous associer toujours très nombreux à l’examen des articles des projets de loi de finances. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Néri. Vous ne nous avez pas convaincus !
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’abord un petit aparté au sujet du propos que vient de tenir le président de la commission des finances, un propos dans lequel nous avons plutôt entendu le militant de l’UMP… Au passage, je rappellerai que, nous, nous ne l’avons pas choisi pour présider cette commission, malgré les talents qu’il possède dans le domaine concerné.
Puisqu’il nous a parlé de règle budgétaire, je lui réponds que nous voyons aujourd'hui les limites de la LOLF, un texte dont il a ici, en son temps, imposé l’adoption, mais que, pour notre part, nous n’avons pas voté. Ces limites, nous les avons perçues en particulier lorsque nous avons adopté le projet de loi, modifié, de finances pour 2012 ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2011 présente, à bien des égards, les caractéristiques d’un collectif de fin d’année.
Il vise notamment à solder les comptes de l’exercice en cours dans le contexte d’un ralentissement relatif de l’activité économique. Ce ralentissement montre encore une fois – une fois de trop, pourrait-on dire – que la politique économique du Gouvernement n’est pas vraiment couronnée de succès…
Quelques chiffres, madame la rapporteur générale, permettent de se représenter les réalités économiques de cette fin 2011.
Au mois d’octobre, la production industrielle comme la consommation des ménages ont connu une progression nulle.
En incluant les données relatives à l’outre-mer, les chômeurs représentent 9,7 % de la population active : environ 3 millions de personnes sont ainsi privées d’emploi.
Le mois de septembre, malgré la rentrée des classes, n’a pas été bon pour l’économie : l’activité a baissé de 1,6 % dans le commerce de gros et s’est contractée de près de 2 % dans le commerce de détail et la restauration ; la production industrielle a enregistré un repli du même ordre. On n’ose imaginer, mes chers collègues, les conséquences que va avoir, dans un environnement aussi déprimé, la hausse de la TVA prévue par le présent projet de loi de finances rectificative…
Quant au petit rebond de la consommation, il semble tenir essentiellement à la hausse des prix de l’énergie et des carburants, dont les ménages ont particulièrement souffert ces dernières semaines.
Les ferments d’une récession durable paraissent bel et bien présents dans la politique actuellement menée. Celle-ci consiste notamment à s’attaquer au pouvoir d’achat des ménages par une série de mesures dont une partie figure dans le présent projet de loi de finances rectificative ; d’autres ont été intégrées au projet de loi de finances pour 2012 – sur laquelle la commission mixte paritaire, réunie hier matin, n’est pas parvenue à trouver un accord.
Je vous propose, mes chers collègues, d’examiner successivement quelques-unes de ces dispositions.
Le projet de loi de finances pour 2012 prévoit, entre autres mesures, le gel de la rémunération des agents du secteur public. Je rappelle que cette population, qui représente plus de cinq millions de personnes, contribue tout de même de manière importante à faire tourner l’économie par sa consommation, son épargne et l’acquittement de quelques impôts… Que deviendrait, mes chers collègues, le rendement de l’impôt sur le revenu s’il n’y avait pas les fonctionnaires ?
Que deviendraient aussi nos établissements de crédit, s’ils ne pouvaient compter sur une clientèle aux ressources stables, régulières et de plus en plus enviables au vu des salaires pratiqués dans le secteur privé, une clientèle qui leur assure un véritable fonds de roulement et, surtout, leur permet de gérer une épargne à vue à moindre coût ?
Combinant ce gel des rémunérations avec la poursuite de la politique imbécile et dogmatique de réduction des effectifs – un départ en retraite sur deux n’est pas remplacé –, le budget pour 2012 crée encore un peu plus les conditions de la dégradation économique, tant à court qu’à moyen et long terme.
Pour faire bonne mesure, il intègre aussi des mesures aussi intelligentes que le gel des allocations de logement ou le ralentissement de leur progression… Comme s’il ne suffisait pas, mes chers collègues, de voir des familles consacrer d’ores et déjà 30 %, voire 40 % de leurs maigres revenus au logement, devenu le premier poste de dépense dans le budget des ménages les plus mal lotis !
C’est, nous dit-on, la contribution, au nom de l’« équité », des plus modestes à la réduction des déficits publics, des déficits dont, je ne me lasserai jamais de le répéter, ils sont, qu’on le veuille ou non, assez peu responsables…
Le projet de loi de finances pour 2012 est un peu comme la première lame des rasoirs à deux lames ; la seconde lame, c’est le présent collectif budgétaire.
Quelles riches idées ont donc germé dans la tête des techniciens et conseillers de Bercy pour trouver à l’État des recettes nouvelles en évitant de frapper aux bonnes portes, c’est-à-dire celles des plus riches et des grands groupes, tous grands bénéficiaires des cadeaux fiscaux distribués depuis dix ans ?
Après la baisse du tarif de l’ISF intervenue au mois de juillet – à l’époque, les comptes publics ne devaient pas être suffisamment en déficit pour justifier des mesures de redressement ! – et la hausse de la taxe sur les mutuelles solidaires et responsables, décidée au mois de septembre, quoi de neuf ?
On note une hausse limitée des prélèvements libératoires sur les revenus financiers, qui préserve cependant le régime fort enviable dont ceux-ci bénéficient par rapport au barème de l’impôt sur le revenu.
Pour le reste, le projet de loi de finances rectificative repose sur trois mesures phares.
L’une, assez symbolique, consiste à majorer de façon exceptionnelle – quoique un peu « chichiteuse » puisqu’on se contente d’une hausse de 5 % – l’impôt sur les sociétés.
Je n’étais pas parlementaire en 1995, mais, parce qu’il en a beaucoup été question les années suivantes, notamment à droite, je me souviens que l’équipe Balladur-Sarkozy avait laissé les comptes publics dans une situation tellement désastreuse que le gouvernement Juppé avait dû créer une surtaxe de 10 points – 10 points ! – de l’impôt sur les sociétés.
M. Albéric de Montgolfier. À titre transitoire !
M. Thierry Foucaud. La hausse prévue cette année – seulement cette année – est limitée à 5 % et concerne uniquement les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros. Cette mesure est censée rapporter 1,1 milliard d’euros aux comptes publics, ce qui représente environ 1 % des bénéfices déclarés par les entreprises du CAC 40... On est loin, mes chers collègues, d’un effort insupportable !
On est même loin de la mesure issue de l’article 1er de la loi du 4 août 1995 de finances rectificative pour 1995 : alors que le niveau du déficit était à l’époque moins préoccupant qu’aujourd’hui, la hausse de l’impôt sur les sociétés touchait l’ensemble des entreprises assujetties et la cotisation, nette de tout correctif éventuel, s’élevait à 10 % !
À la vérité, on nous propose aujourd’hui une simple mesure d’affichage : elle égratigne plus qu’elle ne blesse et, surtout, sert à mieux faire passer la pilule des autres mesures.
Je pense en particulier à la hausse de la TVA, ou plutôt à l’invention d’un nouveau taux réduit de 7 % – qui a d’ailleurs un air de déjà vu – frappant l’ensemble des biens et services aujourd’hui taxés à 5,5 %, à l’exception des produits alimentaires.
Cette mesure est évidemment plus rentable que la majoration de l’impôt sur les sociétés, qui n’est qu’un simple gadget ! Surtout, c’est sur le consommateur qu’elle pèse en dernier ressort.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très juste !
M. Thierry Foucaud. C’est pourquoi je suis toujours surpris d’entendre certains professionnels se plaindre de la hausse de la TVA : tout le monde sait qu’en dernière instance, ce n’est pas eux qui la paieront, mais le consommateur final, c’est-à-dire tout un chacun, lorsqu’il ira chercher sa baguette de pain, acheter un faux-filet, faire réparer ses chaussures ou qu’il paiera sa facture d’électricité !
Le produit de ce racket fiscal s’élèvera, selon les prévisions les plus basses, à 1,9 milliard d’euros, ce qui représente un effort 60 euros par an et par foyer fiscal, soit, au niveau du SMIC, une perte d’achat d’un demi-point !
Non contents de vous attaquer au pouvoir d’achat des ménages – l’augmentation de la TVA payée par les consommateurs annulant le bénéfice tiré de la défiscalisation des heures supplémentaires –, vous prenez, l’air de rien, une autre mesure particulièrement rude : je veux parler du gel du barème de l’impôt sur le revenu. Même s’il s’étend à un certain nombre d’autres impôts dont l’évolution est liée à celle de l’impôt sur le revenu, ce gel coûtera beaucoup aux ménages populaires.
Cette mesure devrait rapporter à l’État 1,752 milliard d’euros de recettes supplémentaires : elle revient donc à prélever, en moyenne, 100 euros par an et par contribuable aujourd’hui imposable.
Et c’est sans compter que cette mesure aura des effets différés particulièrement pervers, par exemple sur les prestations sociales, notamment les allocations logement : ainsi, le relèvement du revenu fiscal de référence risque fort de faire baisser l’aide personnalisée au logement.
Ce gel est d’autant plus dangereux que le Gouvernement anticipe le doublement de son rendement en 2013 : c’est donc à 200 euros que s’élèvera alors la ponction fiscale supplémentaire moyenne par foyer imposable ! Bien sûr, elle évoluera avec le montant du revenu du foyer, mais il va de soi qu’elle sera beaucoup plus lourde, en termes relatifs, pour les ménages les plus modestes. Au demeurant, comme ils sont les plus nombreux, c’est en les visant qu’on peut faire rentrer le plus d’argent !
Ce sont bien les plus modestes, en effet, que frappe avant tout la politique du Gouvernement.
Je rappelle que les salaires constituent 62,6 % de l’assiette de l’impôt sur le revenu ; les pensions représentent pour leur part 25 % de la base imposable. Ce sont donc d’abord les salariés et les retraités qui paieront la facture du gel du barème.
Si l’on considère que ce sont les mêmes foyers qui subiront les effets de la réduction des services publics, du gel des allocations logement, de la hausse des tarifs publics et de la progression des taux de TVA, on constate que c’est bien sûr les plus modestes que portera l’essentiel de l’effort.
En conclusion, je dirai que ce projet de loi de finances rectificative est un inventaire de mesures prises à la va vite. C’est devenu une habitude ! La session budgétaire de rattrapage permet de solder les dépenses sociales sous-provisionnées au départ et de payer nos aventures, notamment celle de Libye : alors qu’on nous avait promis qu’aucune troupe ne serait engagée au sol, 462 millions d’euros sont à solder au titre des opérations extérieures !
Tout cela ne change pas grand-chose aux problèmes. Ou plutôt, le projet de loi de finances rectificative confirme le caractère profondément discutable du dispositif financier mis en place par le Gouvernement, sous la pression des agences de notation et des marchés financiers : il se compose de mesures ponctuelles qui sont autant de bouche-trous et de dispositions antisociales, évidemment inacceptables pour nous.
C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas le projet de loi de finances rectificative ; nous ne le voterons pas même dans sa version modifiée, car nous pensons qu’elle ne sera pas plus acceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur général, mes chers collègues, à peine avons-nous achevé la discussion du projet de loi de finances pour 2012 que nous examinons une quatrième loi de finances rectificative pour 2011.
Cette accumulation de collectifs budgétaires illustre la difficulté qu’éprouve le Gouvernement à juguler la crise économique et à enrayer la dégradation des finances publiques qui en résulte.
Sachant que les prévisions de croissance pour l’année prochaine s’établissent entre 0 % et 1 %, on peut considérer que nous ne sommes pas encore au bout du tunnel… L’environnement économique, hélas ! ne donne aucun signe d’amélioration, alors que la crise de la dette souveraine alimente une spirale dont la France peine à s’extraire. Et, pour faire bonne mesure, ajoutons que se profile le spectre d’une crise des liquidités, qui, au-delà de la récession, pourrait nous entraîner dans une véritable dépression.
Malheureusement, les différentes initiatives menées sur le front européen, si louables soient-elles, ne parviennent pas à inverser cette tendance. Si je ne sous-estime pas les bénéfices que pourraient apporter, à long terme, les différents accords qui sont récemment intervenus, j’observe qu’ils n’ont pas encore réussi à restaurer un climat de confiance à court terme.
En effet, malgré un certain volontarisme, que je reconnais volontiers, quinze pays de la zone euro sont récemment passés sous la surveillance négative de l’agence de notation Standard & Poor’s.
Par ailleurs, si les marchés boursiers saluent, dans un premier temps, les annonces spectaculaires de sauvetage de la zone euro, on constate que, passé les premiers jours d’euphorie, le pessimisme finit par regagner les acteurs économiques.
Est-ce là une mauvaise manière des marchés financiers ou bien ceux-ci perçoivent-ils, à bon droit, les limites des dispositifs successivement annoncés ?
Comme l’a très justement expliqué notre collègue Nicole Bricq dans son excellent rapport, le double dispositif annoncé par le Conseil européen du 26 octobre 2011 n’a pas écarté le risque de contagion du cas grec à d’autres pays. L’effet de levier attendu pour le financement du Fonds européen de stabilité financière devrait être en deçà des espérances. Les investisseurs rechignent de plus en plus à investir dans la dette publique, et on peut les comprendre ! Nous ne pourrons donc pas compter sur les 1 000 milliards d’euros escomptés, mais peut-être seulement sur la moitié, 500 milliards d’euros, soit un tiers des besoins de financement de l’Italie et de l’Espagne pour les deux prochaines années…
Si l’on ajoute à cela les difficultés liées au dispositif d’assurance, le Fonds de stabilité reste fragile, voire très fragile. C’est désormais une évidence pour tous. La recherche d’un nouvel accord européen – celui-ci est intervenu le 5 décembre et a été précisé le 9 décembre dernier – n’est-elle d’ailleurs pas le reflet de cette fragilité ?
Bien sûr, une étape supplémentaire a été franchie avec le principe d’une sanction quasi automatique des États en déficit excessif et celui de la fameuse règle d’or. Il est difficile, aujourd’hui, de s’opposer au vœu de discipline budgétaire quand les comptes de l’État accusent un solde négatif de 95,3 milliards d’euros et que notre pays se trouve dans une situation plutôt alarmante.
Je pense que nous aurons d’autres occasions de discuter au fond des avantages et inconvénients du nouvel accord européen. Je rappellerai seulement en quelques mots mon engagement précoce en faveur de politiques budgétaires et fiscales plus coopératives au sein de la zone euro. Il est urgent que l’Europe prenne conscience des problèmes structurels qu’elle devra affronter à plus long terme, du fait des perspectives de croissance très disparates des pays membres.
Il faudra mieux asseoir la convergence économique en Europe et, pour cela, mieux assurer la rencontre entre l’épargne et l’investissement dans l’ensemble européen.
Il faudra également résoudre les graves problèmes de concurrence fiscale qui minent les finances publiques de pays qui, comme la France, intègrent de nombreuses normes sociales, environnementales et sanitaires.
En attendant, l’urgence commande de rendre soutenable chacune des dettes nationales. C’est dans cet esprit que le présent projet de loi de finances rectificative pour 2011 vise à mettre en œuvre le second plan de rigueur, à hauteur de 5,2 milliards d’euros en 2012 et de 1,7 milliard d’euros en 2013.
Avons-nous d’autres choix que celui d’un rétablissement rapide de nos comptes publics ? Hélas, non, mes chers collègues, et nous le savons tous ! Mais il est bien dommage, monsieur le ministre, que ce gouvernement ait attendu d’être au pied du mur pour tenter de rectifier le tir. Depuis 2007, vous n’avez pas su, ou pas pu, trouver les moyens les plus justes et les plus efficaces pour soulager les finances publiques. Surtout, vous avez peut-être trop longtemps brandi la RGPP comme principale arme de lutte contre les déficits publics, sans compter les cadeaux fiscaux qui n’ont pas eu l’effet de levier attendu.
Certes, ce collectif budgétaire comporte un point positif, qui mérite d’être souligné – il n’est jamais trop tard pour bien faire, monsieur le ministre ! –, en ce sens que la norme de dépense est respectée, même si cet effort résulte en grande partie de la bonne tenue des dépenses d’investissement local.
Finalement, contrairement à ce que l’on entend trop souvent, les collectivités locales se montrent dans l’ensemble très responsables, tandis que, de son côté, l’État a bien du mal à contracter ses dépenses. En effet, le détail des mesures du projet de loi de finances rectificative pour 2011 montre que l’effort porte essentiellement sur les recettes, comme l’a excellemment rappelé Mme le rapporteur général.
Or, même si des marges de manœuvre existent pour trouver des ressources pertinentes et soucieuses du principe d’équité fiscale – la majorité sénatoriale l’a démontré à l’occasion de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2012 –, elles ne sont pas infinies, en particulier dans un contexte économique dégradé.
Comment, avec ce budget concrétisant un peu plus la rigueur, le Gouvernement compte-t-il agir sur la relance, en dehors bien sûr des différents plans qui ont été élaborés ? Quelles mesures structurelles entend-il prendre pour soutenir la demande et encourager l’investissement ? Nous attendons ces mesures depuis 2007, mais nous ne voyons toujours rien venir. La crise, installée depuis 2008, ne doit pas lui servir d’éternel paravent !
Dans ces conditions, vous le comprendrez sans doute, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité des membres du RDSE ne votera pas ce quatrième collectif budgétaire de l’année 2011. (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la perspective des élections présidentielles pèse inévitablement sur nos débats. Efforçons-nous néanmoins, dans une période où nous sommes observés par les autres membres de l’Union européenne et par des agences de notation au verdict parfois suspect, de faire coïncider nos convictions et l’intérêt du pays.
Il n’y a pas eu, cette année, de véritable débat budgétaire au Sénat. Nous nous sommes enfermés dans de vaines controverses, alimentées par des préoccupations purement politiciennes, qui, autrefois, étaient le plus souvent étrangères à cette assemblée. Malheureusement, le ton a changé, la nouvelle majorité sénatoriale ayant, semble-t-il, considéré que tout ce qui avait été voté précédemment était nul et non avenu. J’ai connu l’Assemblée nationale pendant deux mandats : il n’y régnait pas la même convivialité qu’au Sénat, mes chers collègues. Je souhaite que, quelle que soit la majorité, nous ne perdions pas cet état d’esprit.
Ce collectif budgétaire est le quatrième de l’année 2011. Cela prouve la gravité de la situation. L’enjeu le plus pressant de ce texte est de garantir la sincérité d’un budget qui, espérons-le, prépare le terrain à de futurs équilibres budgétaires.
Notre taux de prélèvements obligatoires étant de dix points inférieur à la part des dépenses publiques dans le PIB, la très délicate alternative devant laquelle nous nous trouvons est la suivante : soit nous augmentons fortement les impôts de manière à nous garantir les ressources nécessaires au désendettement, mais les investisseurs se désintéresseront alors de notre pays tandis que la consommation baissera, soit nous diminuons sévèrement la dépense, et, dans ce cas, le risque de récession sera important.
Le Gouvernement a choisi de préparer un assemblage de hausses d’impôts et de réductions de dépenses, en complément du travail déjà réalisé dans le PLF et le PLFSS. Ce choix suscite certaines réserves.
La création d’un second taux intermédiaire de TVA à 7 % rejoint les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport de février dernier sur la compétitivité de la France et de l’Allemagne. Ce taux intermédiaire doit participer à l’harmonisation de nos fiscalités en vue d’instaurer un impôt commun sur les sociétés, et cela nous semble positif.
Le Gouvernement a introduit dans notre droit le principe anglo-saxon bien connu des sunset laws, à savoir des dispositions législatives à durée de vie limitée. Je pense à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus instituée par le PLF pour 2012, mais aussi à l’augmentation de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros par an.
Je formulerai au moins deux réserves à ce sujet. Premièrement, une contribution exceptionnelle n’est-elle pas de nature à rendre notre système fiscal encore moins lisible qu’il ne l’est déjà ? Deuxièmement, pourquoi ne pas revoir l’assiette et le taux de nos impôts ? On peut tout à fait comprendre qu’il faudra beaucoup de temps pour cela, mais nous nous privons volontairement, là encore, du débat de fond que les circonstances exigent.
S’agissant des collectivités territoriales, le compte d’affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale », le FACÉ, remplace le fonds qui existait précédemment, ce qui soulève aussi plusieurs interrogations.
M. Roland Courteau. Ça, c’est exact !
M. Aymeri de Montesquiou. Sans doute l’information et le contrôle du Parlement sur ce compte d’affectation spéciale seront-ils plus efficaces, mais je m’interroge sur la latitude des élus ruraux pour exercer leur maîtrise d’ouvrage du secteur électrique dans leurs collectivités. Je suis dubitatif sur la création d’un compte d’affectation spéciale…
M. Roland Courteau. Nous aussi !
M. Aymeri de Montesquiou. … dont les ressources attendues pourraient être affectées à d’autres finalités, comme ce fut le cas pour le compte d’affectation spéciale destiné à recueillir le produit des amendes.
Pouvez-vous garantir, monsieur le ministre, la pérennité de ce dispositif et la sanctuarisation de ces ressources ?
Je suis convaincu qu’accroître la charge fiscale pesant sur la production est une mesure très risquée, et même dangereuse, alors que nous craignons une croissance nulle, voire une récession en 2012. La compétitivité doit être l’aiguillon de notre politique économique et fiscale. À l’inverse, celle-ci ne doit pas être guidée par la recherche de recettes peu substantielles. Ce n’est pas en pénalisant nos champions nationaux que nous parviendrons à rassurer les marchés et à faire baisser le chômage ! Je rappelle que notre déficit commercial atteint 75 milliards d’euros…
En ce qui concerne la réduction de la dépense, le compte n’y est pas. Le Premier ministre a annoncé, le 7 novembre dernier, un effort sans précédent en la matière, qui serait ventilé jusqu’en 2016. S’agit-il, là encore, de cacher la poussière sous le tapis et de remettre à l’été 2012 les véritables décisions ? La part de notre dépense publique dans le PIB est supérieure à 54 % ! Je me rappelle encore une époque où l’on considérait que, passé 40%, on entrait dans un système soviétique...
Le stoïcien Épictète nous enseigne que « notre salut et notre perte sont en nous-mêmes ». Soyons stoïques, mais soyons aussi entreprenants et optimistes : stimulons l’initiative privée en encourageant la compétitivité. La croissance économique durable viendra de tous ceux qui contribuent au PNB : les entreprises, les artisans, les agriculteurs, les salariés ou les professions indépendantes. Nous devons tout faire pour supprimer les entraves inutiles qui, trop souvent, freinent leur travail.
Nous sommes en pleine guerre économique. Sur un champ de bataille mondialisé, les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et les pays émergents luttent pour conquérir des parts de marché. L’une des armes dont nous pourrions disposer dans cette guerre, c’est la TVA « anti-délocalisations ».
Quels sont nos atouts pour défendre notre industrie ? La haute technologie, la qualité industrielle, la spécificité de notre industrie agroalimentaire et le luxe, mais pour le reste...
Le coût comparé de l’heure entre le Pakistan et la France est de 1 à 50. Les salaires et les charges sont la cause de cet écart. Il est évidemment exclu d’aligner nos salaires sur ceux du Pakistan. Nous reste alors la possibilité de baisser les charges et de faire porter celles-ci sur la consommation. Le Gouvernement et les entreprises peuvent et doivent absolument trouver un accord pour que ce transfert soit à somme nulle pour le consommateur.
Soyons conscients qu’il n’y a pas plusieurs remèdes pour guérir de ce « haut mal » qu’est la dette. La règle d’or, si elle ne guérit pas, permet d’arrêter la propagation de la maladie.
M. Albéric de Montgolfier. Très bien ! Il faut la voter !
M. Aymeri de Montesquiou. La règle d’or est une façon de contraindre tout gouvernement, de droite ou de gauche, à respecter une discipline budgétaire qu’aucun, jusqu’à aujourd’hui, n’a eu le courage de mettre en œuvre. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Pourquoi refuser le dialogue entre les protagonistes ? La règle d’or proposée par le Gouvernement est, bien sûr, perfectible ; l’opposition peut présenter des amendements, l’améliorer.
M. Éric Doligé. Elle ne peut pas !
M. Aymeri de Montesquiou. L’Allemagne et l’Espagne, dirigées par des gouvernements se réclamant de politiques différentes, ont réussi sur ce point à faire l’union nationale.
M. Éric Doligé. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. Les forces politiques doivent savoir oublier les querelles picrocholines face à l’ampleur des enjeux et faire primer l’intérêt du pays, objectif infiniment plus important qu’une carrière politique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
M. Aymeri de Montesquiou. L’œuvre passée de Gerhard Schröder plane sur tous les exécutifs politiques. Dix ans après une politique économique et sociale difficile, il apparaît comme l’homme qui a permis à son pays de tenir un rang envié pour la solidité de son économie et son consensus social.
Les solutions proposées par le futur président ne pouvant différer beaucoup de celles qu’aurait mises en œuvre son rival malheureux, commençons dès maintenant !
Il faut avoir à l’esprit que les agences de notation nous surveillent. On peut s’interroger : sont-elles de connivence avec les banques, puisque les intérêts touchés par celles-ci dépendent de la notation des pays ? Il y a un mois, une agence plaçait la France sous surveillance négative, puis se ravisait, prétendant avoir commis une erreur. Des spéculateurs se sont-ils enrichis ? Y aura-t-il des sanctions ? Le risque est avéré, c’est pour nous tous une évidence. Nous savons tous qu’une dégradation de notre notation entraînera une hausse des intérêts de nos emprunts et donc de nos coûts de production.
Notre rapporteur générale l’a très justement rappelé, en cas de perte du triple A, le financement de notre dette deviendra très tendu et la crise européenne est structurellement « auto-réalisatrice ». Un accord sur cette règle d’or ne serait-il pas un signal positif très fort ? Il serait facile de présenter cet accord comme ne faisant ni vainqueur ni vaincu, mais comme participant à la défense commune de l’intérêt national. Nous devons, toutes tendances confondues, marquer d’un geste sûr et fort notre volonté intangible de revenir dans le giron des critères de Maastricht en 2013, préalable au retour à l’équilibre budgétaire à moyen terme. (M. Claude Haut s’exclame.)
Je conclurai avec la leçon d’optimisme d’un ressortissant d’un pays émergent, Han Seung-soo, ancien Premier ministre sud-coréen, qui souligne que le terme « crise » a deux sens en chinois : danger et chance à saisir. Monsieur le ministre, j’invite le Gouvernement à saisir cette chance en suivant l’exemple de Gerhard Schröder. Les électeurs ne croient plus aux promesses de Merlin l’enchanteur. Ils sont conscients de ce que les prochaines années seront ardues et que, pour les rendre plus acceptables pour tous, un effort immédiat est nécessaire. Les Français sont prêts à l’effort, ils le savent inéluctable. Ils attendent du Gouvernement courage et justice sociale.
Le groupe UCR votera le projet de loi de finances rectificative. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une pâle copie du célèbre éloge du Sénat par Gambetta, qui saluait, en 1876, la participation de tous les maires de France, pour la première fois, à l’élection des sénateurs, les nouveaux conventionnels que sont Mme Aubry et M. Hollande, dans un même souffle pressé, nous assuraient sur le perron de l’auguste maison, enfin prise d’assaut ce dimanche 25 septembre 2011, que la République allait être refondée. (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On sent de la rancœur !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Exactement !
M. Francis Delattre. En cette date historique qui allait les conduire inévitablement au pouvoir, la Chambre haute devait servir ce dessein et se transformer immédiatement en laboratoire des idées et projets du futur pouvoir socialiste.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est ce que l’on a compris !
M. Francis Delattre. Dans l’euphorie, ils avaient déjà oublié que Gambetta préconisait en outre un Sénat modérateur des pouvoirs publics et des pulsions, mais aussi un Sénat des Républiques qui veulent persister et durer, madame le rapporteur générale.
Nous, très modestement, saluons aujourd’hui un gouvernement qui travaille, qui a réduit de 36 % le déficit budgétaire. En 2011, il présente des dépenses de l’État qui, hors dettes et pensions, baissent en valeur pour la première fois depuis 1945.
Aussi, dans ce singulier exercice qui a vu la gauche détricoter le budget présenté par le Gouvernement – que nous soutenons – et voté par l’Assemblée nationale, la vraie question pour vous, chers collègues socialistes, est de savoir si cela vous donne vraiment un sursaut de crédibilité auprès de l’opinion publique.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cela a l’air de marcher, pour l’instant !
M. Francis Delattre. Amender est un droit imprescriptible de chaque parlementaire, mais démolir les budgets présentés par un gouvernement légitime n’est pas sans risque. (M. Claude Haut s’exclame.) La République qui veut durer doit respecter la volonté populaire jusqu’aux échéances électorales suivantes.
Prélever fiscalement 30 milliards d’euros supplémentaires, dont 20 milliards d’euros sur les entreprises,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mais où sont-ils allés chercher ça ?
M. Francis Delattre. … augmenter ou créer une soixantaine de taxes nouvelles, supprimer vingt-deux missions sur trente-deux ressortit à de la démolition, et les 617 millions d’euros de recettes nouvelles pour les collectivités territoriales relèvent, à l’évidence, du clientélisme le plus basique.
M. François Patriat. Allez donc le leur expliquer !
M. Francis Delattre. Naturellement, l’Assemblée nationale, en vertu de ses pouvoirs constitutionnels, tranchera en dernier ressort et rétablira le budget 2012 tout comme le présent collectif pour 2011 en l’état de ses votes initiaux, mais tout cela ne sera pas, au passage, sans lourdes conséquences sur l’influence et la plus-value du Sénat.
M. Albéric de Montgolfier. C’est vrai !
M. Francis Delattre. Le jusqu’auboutisme partisan qui a prévalu ces dernières semaines a pour effet immédiat d’écarter le Sénat de toute discussion sérieuse dans les commissions mixtes paritaires.
Les amendements manifestement utiles à l’amélioration d’un certain nombre de mesures et défendus sur toutes les travées, à défaut de rejoindre le droit positif, connaîtront la postérité dans les mémoires des étudiants…
Chers collègues socialistes, la crédibilité que vous recherchez à travers ces démonstrations budgétaires virtuelles, peut-être la trouveriez-vous plus facilement en tenant aux Français un langage de vérité.
Sur ce thème, ce n’est pas faire une injure aux socialistes d’aujourd’hui que de citer Pierre Mendès France : « L’élément fondamental du système démocratique, c’est la vérité. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Dire la vérité est un devoir pour l’homme politique !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ça, il fallait l’entendre !
M. Jean-Pierre Caffet. Laissez-nous vivre !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Pour soutenir leur politique, ils font parler les morts !
M. Francis Delattre. En revanche, le mensonge, l’hypocrisie, la tricherie sont incompatibles avec la notion de démocratie. Là où vous nous annoncez une fiscalité plus juste, nous ne relevons, pour l’essentiel, que de la confusion et des mensonges.
Vous mentez en présentant la loi TEPA comme l’instrument servant les riches, alors que 50 % des réductions fiscales instituées par cette loi portent sur des heures supplémentaires qui profitent à des salariés gagnant moins de 1 500 euros par mois. (Mme Marie-France Beaufils s’exclame.)
Vous mentez en insinuant que la réforme relative aux successions profite surtout aux grandes fortunes, alors que seules les successions en ligne directe pour chaque part d’un montant maximum de 159 000 euros sont exonérées, c’est-à-dire les plus modestes. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Oh !
M. Francis Delattre. Mme Aubry et le site internet du parti socialiste, que vous connaissez bien, madame Bricq, mentent quand ils disent que le chef de l’État a distribué 75 milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux riches,…
M. Yves Daudigny. C’est pourtant vrai !
M. Francis Delattre. … à tel point que vous, madame le rapporteur général, vous avez dû rectifier ces chiffres en disant qu’il ne s’agissait en réalité que de 49,8 milliards d’euros.
M. Claude Haut. C’est déjà pas mal !
M. Francis Delattre. Cette information est parue dans le quotidien Le Parisien du 9 décembre dernier.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Au moins, vous lisez Le Parisien, c’est bien !
M. Jean-Pierre Caffet. Quel aveu !
M. Francis Delattre. Dans ces 49,8 milliards d’euros, mes chers collègues, que relève-t-on ? Pour les riches, il faut intégrer non seulement la loi TEPA, dont je viens de parler, mais aussi la baisse de la TVA dans les restaurants. Est-ce à dire que, si l’un d’entre vous est allé manger dans un restaurant, il a profité de la loi et il est donc forcément un nouveau riche ?
M. Roland Courteau. Ce n’est pas ça qui pèse le plus !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Où a-t-il vu que le prix des restaurants avait baissé ?
M. Francis Delattre. De même, vous intégrez la réforme de la taxe professionnelle, dont j’entends sans cesse parler depuis que je suis arrivé dans cette assemblée. Pour combien de milliards d’euros ? On ne sait pas trop… Mais le premier volet de la réforme de la taxe professionnelle, cet impôt que François Mitterrand qualifiait d’idiot, c’est vous qui l’avez fait en enlevant de l’assiette la part « salaires ».
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oui, en 1998 !
M. Albéric de Montgolfier. C’est DSK !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Dominique Strauss-Kahn était de mauvais conseil !
M. Francis Delattre. En retirant la part des investissements industriels, n’est-ce pas notre industrie, ne sont-ce pas nos emplois que nous essayons de défendre, par la lutte contre les délocalisations ? Et n’est-ce pas de la désinformation de prétendre qu’il s’agit là de cadeaux faits aux riches ?
C’est également sous le gouvernement de Pierre Bérégovoy – j’ai un peu de mémoire ! – que le déficit a doublé. Les déficits de ce pays ont crû par sauts successifs, et le plus grand a été fait en 1993, quand Michel Sapin était ministre de l’économie et des finances. Cela promet pour l’avenir !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Qu’on lui coupe la tête !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Parlez-nous de nous, pas des gens qui sont absents !
M. Éric Doligé. Nous pourrions aussi parler de Jack Lang ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Francis Delattre. Bien sûr, vous avez du mal à accepter un certain nombre de réalités, mais ce n’est pas fini ! Dès lors que vous nous dites que vous voulez faire la politique, nous allons en faire !
Certes, le poids de notre dette sera passé en cinq ans d’environ 60 % du PIB à 80 % du PIB, soit vingt points de plus !
M. Jean-Pierre Caffet. Une paille !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Les Français trancheront !
M. Francis Delattre. Mais, dans le même temps, la dette espagnole du socialiste Zapatero a augmenté de trente points,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Parlez du sujet !
M. Francis Delattre. … celle des États-Unis de M. Obama de trente points et celle de la Grande-Bretagne de 34 %.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Obama, on n’y est pour rien !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Et Poutine ?
M. Francis Delattre. L’explication de ce creusement de la dette partout dans le monde s’appelle la crise !
M. Claude Haut. Elle a bon dos la crise !
M. Francis Delattre. Vous nous infligez tous les jours votre logorrhée en prétendant que nous menons une politique de classe, alors que cette majorité que vous accusez d’être au service des riches a augmenté de 25 % le minimum vieillesse, instauré le revenu de solidarité active, consolidé l’allocation aux adultes handicapés,…
M. Claude Haut. Ce sont les collectivités qui paient !
M. Francis Delattre. … revalorisé l’allocation de rentrée scolaire, instauré une prime aux salariés pour les entreprises de plus de 50 personnes, développé le prêt à taux zéro, qui touche chaque année 380 000 jeunes ménages primo-accédants à la propriété, construit 120 000 logements sociaux en 2010, soit trois fois plus que sous le gouvernement Jospin,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. De quoi parle-t-on ?
M. Francis Delattre. … revalorisé les territoires avec les plans de rénovation urbaine, qui concernent 500 quartiers en difficulté et 3 millions de foyers, sans oublier le plan « Espoir banlieues », qui accompagne le plan de rénovation urbaine.
M. Roland Courteau. Tout va donc très bien…
M. Francis Delattre. Il a permis d’investir 500 millions d’euros pour désenclaver les quartiers par le développement des transports et financer les écoles de la deuxième chance.
L’actuelle majorité défend encore aujourd’hui un plan contre la précarité des étudiants.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est aux Français qu’il va falloir dire tout cela, mais ils ne vous croient pas !
M. Francis Delattre. Le Gouvernement a, par ailleurs, augmenté la taxation réelle des plus hauts revenus à l’ISF, des plus grosses successions, des retraites chapeaux, et encadré pendant la crise les bonus des traders.
Mais, chers collègues, vos éternels discours sombrent plus encore dans l’hypocrisie quand vous versez des larmes de crocodile sur la pénibilité au travail, qui ne serait pas suffisamment prise en compte dans la réforme des retraites…
M. Roland Courteau. Parce que c’est vrai !
M. Francis Delattre. … alors que, pendant cinq ans, j’ai vu, comme d’autres, le gouvernement Jospin refuser d’engager la moindre discussion sur ce thème avec les partenaires sociaux.
Vous avez triché, et cela a eu des conséquences lourdes pour nos retraites, avec cette création du Fonds de réserve pour les retraites, une prétendue solution miracle !
Michel Rocard, Premier ministre, avait fait ce pronostic : une réforme des retraites peut faire sauter trois, quatre ou cinq gouvernements. Il avait raison !
Bien entendu, lorsque Lionel Jospin est arrivé aux affaires, il n’a pas plus voulu toucher au régime des retraites. Toutefois, sous la pression des réalités, on a inventé le Fonds de réserve pour les retraites, alimenté par le produit des ventes des privatisations. Car le gouvernement Jospin est celui qui a le plus privatisé !
M. Georges Labazée. Et les autoroutes, c’est qui ?
M. Francis Delattre. Or ce fonds n’a bénéficié que de 10 % environ du produit des privatisations.
Cette négligence qui a privé ce fonds de ressources suffisantes, au point qu’il ne représente plus que 13,8 % du budget de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, nous oblige aujourd'hui à emprunter sur les marchés internationaux pour servir des retraites correctes.
M. Jean-Pierre Caffet. Le Fonds de réserve, c’est vous qui l’avez siphonné ! C’est du délire total !
M. Francis Delattre. Alors, ne nous dites donc pas que vous n’y êtes absolument pour rien ! Au cours de ces trente dernières années, vous avez gouverné pendant quinze ans ; vous portez donc, en la matière, une responsabilité au moins égale à celle tous les autres gouvernements !
Vous trichez toujours en laissant croire que vous remettrez l’âge de la retraite à 60 ans, alors même que l’Italie vient de le porter à 67 ans. Le parti socialiste est, en Europe, le seul parti de gauche à oser promettre la retraite à 60 ans !
Laisser émerger de fausses espérances sur un tel sujet contribue à déconsidérer l’action politique.
Et, dans le même registre, que dire des 60 000 postes d’enseignants que vous promettez de créer ? Mais vous vous gardez bien de nous dire comment vous allez les financer !
Au travers de ces exercices contre-budgétaires fictifs, vous souhaitez avant tout communiquer ; en témoigne le nombre de communiqués de presse que vous publiez. Mais, en réalité, vous êtes surtout dans le déni. Le Sénat n’aurait jamais dû être le théâtre de telles manipulations de l’opinion.
Quand vous promettez l’enchantement, mentez-vous par omission ou déjà par défaut ? Où sont donc les mesures réellement novatrices dont le Sénat devait avoir la primeur ? Où est le prétendu big bang ?
Mme Michèle André. Qui gouverne ?
M. Francis Delattre. En réalité, votre apathie lors de l’examen des missions portant sur l’industrie, sur l’énergie et sur la recherche a révélé votre incapacité à clarifier vos positions sur les sujets les plus porteurs d’avenir.
Notre enceinte a échappé aux sordides négociations auxquelles se sont livrés le parti socialiste et les Verts pour échanger de bonnes circonscriptions législatives contre d’utiles centrales nucléaires. Le Sénat aurait pu être le lieu d’un débat fécond sur notre indépendance énergétique.
M. Roland Courteau. Et si vous nous parliez du projet de loi de finances rectificative ?...
M. Francis Delattre. Mon cher collègue Jean-Vincent Placé,…
M. Jean-Vincent Placé. La gauche vous écoute !
M. Francis Delattre. … les Verts n’ont quasiment pas déposé d’amendements sur ces questions, ce qui démontre que vous êtes bien plus préoccupés par la lutte des places que par la fonte des glaces !
Pourtant, le modèle allemand que vous préconisez, avec le retour des centrales à combustible fossile – avec du charbon que nous n’avons pas et du gaz dont les tuyaux sont contrôlés par M. Poutine,…
M. Jean-Pierre Caffet. Et le gaz de schiste ?
M. Francis Delattre. … le tout à un coût majoré de 50 % au minimum pour les consommateurs ! – aurait pu faire l’objet d’un débat qui aurait intéressé la Haute Assemblée ! Voilà où sont les vrais enjeux !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce n’est pas le sujet ! Il s’agit d’un projet de loi de finances rectificative !
M. Francis Delattre. Enfin, que penser des déclarations ambiguës sur l’amitié franco-allemande faites hier par quelques séides irresponsables ?
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Hors sujet !
M. Francis Delattre. Aujourd'hui, François Hollande indique même que, s’il est élu, il reniera les engagements de la France auprès de ses vingt-six partenaires européens !
M. Jean-Vincent Placé. Ce n’est plus le Sénat, c’est le café du commerce !
M. Francis Delattre. Pour notre part, nous sommes autant attachés à Charles de Gaulle et Konrad Adenauer scellant l’indispensable réconciliation sur les marches de la cathédrale de Reims qu’à Helmut Kohl et François Mitterrand s’inclinant sur nos morts à Verdun. C’est notre histoire, et elle fut tragique ! Aussi faisons-nous, en ce qui nous concerne, confiance à Angela Merkel et à Nicolas Sarkozy pour continuer d’avancer sur ce chemin, qui va bien au-delà du statut de la Banque centrale européenne et des eurobonds.
Or, en dénigrant systématiquement, comme vous le faites, les efforts de ces dirigeants pour sauver notre monnaie commune, vous vous écartez dangereusement de ce chemin. Ce n’est pas sur nos travées que vous trouverez des Munichois !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Vous, vous êtes les sortants !
M. Francis Delattre. Notre pays est sur un chemin de crête difficile entre, d’un côté, le coût prohibitif d’une dette à circonvenir et, de l’autre, la nécessité de garder une croissance qui, seule, à terme, permettra de retrouver ce qui nous manque le plus : des emplois. Mais nous croyons en la capacité de ce gouvernement à faire les bons choix.
Face à la nécessaire réduction de la dette – tel était le principal objet du budget et du collectif budgétaire que Mme la ministre du budget a présenté à l’Assemblée nationale, et que nous soutenons –,…
M. Roland Courteau. Tiens, vous parlez du projet de loi de finances rectificative !
M. Francis Delattre. … nous nous opposons aux caricatures budgétaires d’un programme socialiste inabouti et dangereux par ses incohérences fiscales, qui ne vise en réalité qu’à séduire des clientèles électorales très diverses et à détériorer un peu plus encore la compétitivité de notre économie.
M. Roland Courteau. Seriez-vous en campagne ?
M. Francis Delattre. Mes chers collègues, j’en termine par ce constat incroyable, mais dressé en toute bonne foi. Le bouquet final, le voici : je vous mets au défi de trouver, dans le capharnaüm de vos amendements,…
M. Roland Courteau. Hors sujet !
M. Francis Delattre. … car il s’agit d’un ensemble fait, j’ose le dire, de bric et de broc, une authentique mesure visant à favoriser une plus grande justice sociale.
Mes chers collèges de la droite républicaine et du centre, il nous reviendra, à nous, au cours des prochains mois, de relever ce défi, à la Malraux, dans l’honneur d’un discours de vérité aux Français et la grandeur d’une France courageuse, opiniâtre et volontaire, dont le drapeau est acclamé par le peuple de Benghazi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous en sommes au quatrième collectif budgétaire.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Oui, revenons au sujet !
M. François Marc. Pour la commission des finances, on le sait, le collectif est toujours, en fin d’année, un exercice difficile ; il l’est encore plus cette année…
M. Roland Courteau. Il faut le dire à M. Delattre ! Expliquez-lui ce qu’est un collectif !
M. François Marc. … dans la mesure où nous avons eu une semaine de moins que d’ordinaire pour examiner ce texte, un texte dont l'Assemblée nationale a considérablement accru le volume puisqu’il comporte maintenant plus de 70 articles.
Monsieur le président de la commission des finances, j’ai été surpris de vous entendre parler de tout, sauf de ce projet de loi de finances rectificative ! Vous avez parlé de l’Europe dans sa diversité, des accords de ces derniers jours.
M. Jean-Pierre Caffet. C’était de la diversion ! D’ailleurs, personne à droite n’a parlé de ce collectif !
M. François Marc. De même, j’ai été surpris de constater que Mme la ministre du budget s’est surtout attachée, lors de la présentation de ce texte, à critiquer les propositions de la gauche,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous avons bien le droit, nous aussi, de critiquer ! À critique, critique et demie !
M. François Marc. … évoquant un certain nombre de taxations. J’aurais souhaité qu’elle parle davantage des options politiques qu’elle a retenues dans ce texte.
Quant à la diatribe à laquelle nous avons eu droit à l’instant, elle nous a permis de nous entendre traiter de « menteurs », de « tricheurs », d’« hypocrites », de « Munichois », de « sordides négociateurs »… Je laisse à l’auteur la responsabilité de ses propos.
M. Francis Delattre. Il n’y a pas de problème !
M. Roland Courteau. Elle nous a surtout permis d’entendre parler de tout et de rien !
M. François Marc. Mais je ne pense pas que beaucoup de mes collègues siégeant sur les travées de gauche – pour ne pas dire aucun ! – se reconnaîtront dans de telles invectives.
M. Jean-Pierre Caffet. C’étaient des propos de préau d’école !
M. François Marc. Quelle est la finalité de ce projet de loi de finances rectificative ? Je crois qu’elle est toute simple. Le Premier ministre a annoncé le 7 novembre dernier un plan de réduction du déficit de 17,4 milliards d’euros à l’horizon de 2016. Ce collectif fait donc suite à cette décision en intégrant une baisse non négligeable de la prévision de notre taux de croissance.
Que penser de cette nouvelle prévision ? La Banque de France n’indiquait-elle pas récemment que la croissance économique serait sans doute nulle en France au quatrième trimestre ? La persistance d’une croissance atone pourrait nécessiter des mesures complémentaires à hauteur de 15 milliards d’euros. Dès lors, l’idée d’un nouveau plan Fillon en janvier 2012 prend naturellement corps…
En tout cas, ce qui paraît le plus préoccupant dans ce projet de loi de finances rectificative, c’est l’incapacité du Gouvernement à soutenir la croissance économique dans notre pays. Il commet une très grave erreur, car il oublie que la faculté d’une économie à rembourser sa dette est jugée autant au regard des équilibres des finances publiques que de son potentiel de croissance.
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Évidemment !
M. François Marc. En outre, je veux relever une innovation qui n’est pas des plus heureuses. Alors que le projet de loi de finances pour 2012 fait toujours l’objet d’une navette entre les deux assemblées, on nous soumet déjà un projet de loi de finances rectificative qui aura un impact lourd sur le budget prévu pour l’année prochaine.
M. Claude Haut. Eh oui ! C’est une première !
M. François Marc. Le président de la commission des finances a parlé de réactivité ; je crois qu’il vaudrait mieux parler d’un procédé expéditif.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Marc. Et je n’oublie pas non plus le parti pris, tout aussi critiquable, que trahit la façon dont nous a été présenté ce texte. Peut-on parler de dissimulation ? Beaucoup aujourd'hui en sont convaincus...
Il est assez déplaisant que le Gouvernement entretienne le flou sur l’importance réelle des plans qu’il propose, se référant tantôt à la période 2012-2016, tantôt à 2012-2013 ou encore à 2011-2012. La principale « astuce » dont use le Gouvernement est de raisonner à l’horizon de 2016, en affichant des mesures d’économies, essentiellement virtuelles, au-delà de 2012. Que penser de cet artifice de présentation ? Est-ce bien sincère du point de vue comptable ? On peut sérieusement en douter.
Je veux attirer votre attention, mes chers collègues, sur le fait que l’on doit tenir compte, pour l’exercice 2011– sur lequel le Gouvernement aurait, paraît-il, été très vertueux –, du fait que la réduction du déficit tient pour 92 % à des facteurs exceptionnels liés à la non-reconduction des investissements d’avenir, tels le plan Campus ou le plan de relance, ainsi que l’a souligné tout à l'heure Mme la rapporteur générale. Bref, ces économies relèvent de la pure illusion et, si l’on affiche une réduction du déficit en 2011, c’est bien par la non-reconduction de certaines mesures.
Contrairement à ce que continue d’affirmer le Gouvernement, le plan global qui nous est ici proposé ne repose pas majoritairement sur les dépenses. Il consiste très clairement à augmenter les impôts de façon considérable, et ce en contradiction avec les engagements de Nicolas Sarkozy. Nous avons encore en mémoire ses propos : « Cette folie qui consiste à augmenter les impôts, à augmenter les taxes, je vous le dis clairement, je n’ai pas été élu pour ça et je ne le ferai donc pas. » (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roland Courteau. Une promesse de plus !
M. François Marc. Or qu’a fait le Gouvernement avec le premier plan de rigueur ? Il a réalisé 11 milliards d’euros d’économies, mais avec des augmentations de taxes à hauteur de 10 milliards d’euros !
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. François Marc. Aujourd'hui, ce collectif prévoit des hausses d’impôts supplémentaires en 2013, pour près de 8 milliards d’euros.
Ainsi, au total, les plans de rigueur Fillon I et Fillon II constituent une ponction globale de 18 milliards d’euros d’impôts nouveaux.
Ces prélèvements s’expliquent évidemment par l’emballement de la dette, qui atteindra 1 807 milliards d’euros en 2012, et nous ne pouvons que constater l’accroissement du déficit structurel.
Pourquoi ne pas avoir récupéré une partie des cadeaux fiscaux consentis en début de mandat via des niches fiscales très nombreuses ? Cela aurait été très simple, car notre fiscalité regorge, chacun le sait, de niches inefficaces et injustes.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Marc. Depuis 2002, les gouvernements de droite auront créé ou élargi plus de 230 niches fiscales.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il y en a plusieurs dans vos amendements !
M. François Marc. Entre 2004 et 2009, elles ont augmenté de 142 %, et le Conseil des prélèvements obligatoires a repéré pas moins de 538 mesures dérogatoires fiscales et sociales, à propos desquelles un rapport officiel de Bercy a indiqué qu’elles étaient improductives pour la moitié d’entre elles, représentant 50 milliards d’euros !
Au lieu de revenir sur ces largesses inconsidérées des années écoulées, le Gouvernement a choisi d’augmenter la TVA, l’impôt le plus injuste qui soit.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. François Marc. Mes chers collègues, augmenter la TVA ne se justifie pas : c’est un choix dangereux, qui entame l’indispensable soutien à la demande intérieure et pénalise majoritairement les plus modestes. De plus, il s’agit d’une mesure contreproductive. Les acteurs économiques eux-mêmes nous font part de leur désarroi. Le dispositif est source de complexité pour les entreprises.
Quelle est la cohérence de cette politique fiscale ? La création d’un deuxième taux réduit, supérieur de 1,5 point seulement au premier, n’obéit finalement à aucune logique.
À titre de comparaison, souvenons-nous que la baisse de l’ISF accordée en juin dernier représentait un montant équivalent au produit qui sera issu de l’augmentation de la TVA, c'est-à-dire près de 2 milliards d’euros.
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. François Marc. En choisissant d’augmenter la TVA, le Gouvernement donne corps, encore un peu plus, à sa préférence pour l’impôt proportionnel plutôt que pour l’impôt progressif.
Mes chers collègues, je crois que ce projet de loi de finances porte en lui la ligne de clivage essentielle entre la droite et la gauche.
D’un côté, se trouve la volonté de s’appuyer sur l’impôt progressif. C’est le choix que nous préconisons.
M. Roland Courteau. Et c’est le bon !
M. François Marc. Nous estimons en effet que la logique républicaine, qui a guidé l’action des gouvernants français pendant tant de décennies, doit trouver son prolongement dans un dispositif qui réhabilite l’impôt progressif.
Au lieu de cela, le Gouvernement veut accentuer la part des impôts proportionnels. Cela conduit à pénaliser les revenus modestes bien plus que les revenus élevés. On a pu le constater ces dernières années, les décisions prises dans le champ de l’impôt sur les sociétés – mais je pourrais tout aussi bien évoquer celui de l’impôt sur le revenu – ont surtout pénalisé les PME, et non pas les grandes entreprises ! Bref, il est clair que notre système fiscal est de moins en moins progressif. En l’occurrence, on pourrait même parler de « régressivité ».
Mes chers collègues, un chiffre illustre parfaitement la dérive de notre fiscalité vers une montée en puissance de l’impôt proportionnel, préconisée par les libéraux et défendue, ce soir encore, par le président de la commission des finances. Il nous a dit, en effet, que la TVA était un bon impôt, sur lequel il fallait davantage s’appuyer pour remplir les caisses de l’État, proposition qu’il avait déjà formulée il y a un an.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Plus on dépense, plus on paie !
M. François Marc. Le chiffre sur lequel je veux attirer votre attention est le suivant : entre 2002 et 2012, la part des ressources fiscales provenant de la TVA, l’impôt le plus injuste qui soit, est passée de 44 % à plus de 50 %.
M. Alain Néri. Utile rappel !
M. Roland Courteau. Vous devriez méditer sur ce chiffre !
M. François Marc. En dix ans de pouvoir exercé par la droite, l’impôt proportionnel, essentiellement la TVA, est devenu une ressource de plus en plus significative, alors que la part de l’impôt progressif a diminué.
Face à ce constat, on comprend mieux le portrait social de la France récemment dressé par l’INSEE, et l’on se convainc aisément de la nécessité d’un traitement beaucoup plus équitable et plus juste des contribuables français.
Pour conclure, je dirai que la situation de nos finances publiques est très difficile. Nous avons clairement indiqué notre préférence pour la progressivité de l’impôt et le respect du grand principe républicain qui veut que chacun contribue selon ses capacités. Or nous avons le sentiment que ce projet de loi de finances rectificative n’intègre pas suffisamment cette exigence.
Cela nous conduira à proposer au Sénat de nombreux amendements qui viseront à établir un système fiscal à la fois plus équitable et mobilisateur. Le présent collectif ne recueille pas, en l’état, notre assentiment. Les amendements que nous allons présenter sont de nature lui donner une autre ambition, une ambition pour l’avenir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de vous entretenir du présent projet de loi de finances rectificative, je voudrais faire aimablement remarquer à notre collègue Francis Delattre que son propos aux intonations gaulliennes, à moins que ce ne soit des fulgurances du général Boulanger (Rires et applaudissements sur de nombreuses travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.),…
M. Jean Besson. Excellent !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Attendez, il n’a encore rien dit !
M. François Fortassin. … réserve un peu trop facilement le privilège de la vérité à la droite, et le mensonge, l’hypocrisie, la confusion et l’utopie – j’en passe et des meilleurs ! – à la gauche ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Son propos est d’autant plus étonnant que Mme Pécresse a utilisé à plusieurs reprises, au cours de son intervention, le mot « équité ». Nous sommes tous, bien entendu, favorables à l’équité.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Non, à l’égalité !
M. François Fortassin. Or le quinquennat de Nicolas Sarkozy a surtout été marqué par… le manque d’équité, flagrant pendant dix ans. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il n’est là que depuis quatre ans et demi !
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Et avant, où était-il ?
M. François Fortassin. De toute façon, il a poursuivi la politique menée avant lui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous sommes d’accord pour qu’il reste cinq ans de plus !
M. François Fortassin. Monsieur le président de la commission des finances, l’UMP était déjà au pouvoir avant 2007 !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il y a quand même eu une rupture !
M. François Fortassin. On ne s’en était pas vraiment aperçu, sinon sur le plan culinaire, une sorte de brouet ayant remplacé la tête de veau ! (Sourires.)
L’absence d’équité, en tout cas, a particulièrement marqué ces cinq dernières années, et nos compatriotes n’acceptent pas que l’éventail des revenus, au lieu de se réduire, comme cela devrait être le cas dans une véritable démocratie, s’élargisse.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Moins qu’ailleurs !
M. François Fortassin. Mais cela suffit-il à nous satisfaire, monsieur le président Marini ? On trouvera toujours, en Asie du Sud-est, par exemple, des travailleurs qui acceptent des salaires horaires inférieurs à ceux de la France.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. François Fortassin. Les pays concernés doivent-ils pour autant être considérés comme des modèles ?
M. Francis Delattre. Des modèles, non, mais des contraintes, oui !
M. François Fortassin. À cette heure, je ne m’étendrai pas plus sur ce sujet, d’autant que d’autres en ont parlé avant moi.
Pour ma part, sans négliger la nécessité de rétablir des comptes publics solides dans notre pays, je veux souligner l’importance qu’il y a, en matière économique, à redonner confiance.
Car, malheureusement, nous n’avons plus la confiance des investisseurs. Le Japon, bien qu’écrasé par une dette abyssale, a une économie toujours solide parce que le peuple japonais a confiance en son gouvernement.
Les 10 % qui séparent une économie en relativement bonne santé d’une économie qui connaît une grave récession s’expliquent bien souvent par la confiance.
Nous nous emploierons donc à restaurer la confiance que vous avez dilapidée, car tel est l’héritage que vous allez nous laisser. (Bravo ! et applaudissements sur de nombreuses travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur générale, mes chers collègues, j’ai entendu avec surprise M. Delattre, dans un plaidoyer manichéen, s’en prendre uniquement à la gauche, qui essaie pourtant de reconstruire un budget, sans parler un seul instant de l’action du Gouvernement.
Ma surprise n’était pas moindre lorsque je l’ai entendu évoquer Mendès-France avec des trémolos dans la voix. Dois-je lui rappeler comment ses amis traitaient Mendès-France quand il était au gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Dois-je rappeler quels ont été les efforts menés sous Pierre Bérégovoy, que vous avez tour à tour encensé et vilipendé, pour élever le pouvoir d’achat des plus démunis et consolider les acquis sociaux ?
M. Francis Delattre. Les nouveaux pauvres, c’est Pierre Bérégovoy ! Le RMI, c’est nous ! (M. le rapporteur pour avis s’exclame.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ah bon ?
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Et pourquoi pas la CMU ?
M. François Patriat. Dois-je rappeler qu’à l’époque de Lionel Jospin les comptes de la sécurité sociale étaient équilibrés, le commerce extérieur était excédentaire, la croissance était au rendez-vous, le partage était équitable et le nombre de chômeurs était en baisse ?
M. Francis Delattre. Et pourquoi n’a-t-il pas été présent au second tour ?
M. François Patriat. Et vous, à quel moment avez-vous fait preuve d’un peu d’équité ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On se demande pourquoi il a perdu les élections !
M. François Patriat. Mendès-France aussi les a perdues. Pourtant, il était courageux et il a fait de bonnes choses pour la France !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le courage, maintenant, il est de notre côté !
M. François Patriat. Monsieur Delattre, j’aurais aimé vous entendre parler des investissements et des investisseurs. Les agents économiques ne se fondent pas sur la prévision officielle d’une loi de finances rectificative. Ils regardent les statistiques de l’OCDE et prennent en compte le consensus des économistes.
Vous pouvez afficher une prévision volontariste, monsieur le ministre, mais celle-ci ne créera pas la croissance à elle seule. Proclamer un taux de croissance de 1 % devant le Parlement ne suffit pas à l’établir dans notre pays !
Nous allons entrer en 2012 avec une perspective de croissance nulle et un taux de chômage en hausse, qui rejoint celui de la fin des années 1990, soit plus de dix ans de lutte pour l’emploi à refaire.
Surtout, la compétitivité de nos entreprises s’est particulièrement dégradée, et je n’ai pas besoin d’insister sur le déficit de notre commerce extérieur. Là encore, vous n’êtes pas au rendez-vous de vos engagements !
Le taux de marge des entreprises n’a jamais été aussi bas dans notre pays. Il se situe à 28 %, ce qui entame très dangereusement l’investissement, l’innovation et la recherche.
L’investissement, encore l’investissement, toujours l’investissement : voilà ce qui devrait figurer dans le présent projet de loi de finances rectificative. C’est ce que nous avons appelé de nos vœux en 2008, mais nous n’avons jamais été entendus.
La politique d’exonération fiscale, votre politique fiscale depuis 2008, peut-être acceptable en temps de croissance, n’a eu aucun effet contracyclique en temps de crise, car elle ne favorise pas l’investissement, dont on connaît pourtant la contribution majeure à la croissance économique de notre pays.
Souvenez-vous de Mme Lagarde qui, ici même, disait que la loi TEPA allait créer un « choc de croissance » et un « choc de confiance » ! Quelle croissance ? Quelle confiance ?
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Patriat. Pour ne prendre qu’un exemple, nous n’avons eu de cesse de défendre, avec Nicole Bricq, le régime fiscal et social des jeunes entreprises innovantes, raboté en 2011. Il a pourtant fallu attendre ce projet de loi de finances rectificative pour que votre propre majorité se rattrape et rétablisse en partie ce régime, au moins pour corriger le préjudice subi par les jeunes entreprises innovantes après la réforme de 2011.
Je rappelle que 80 % des entreprises ont déclaré avoir réduit leurs investissements en recherche et développement, que 54 % ont limité leurs recrutements liés aux activités dans ce domaine, et que 17 % ont même dû licencier du personnel affecté à ces activités. Voilà le handicap pour la croissance de demain !
Bien que vous ayez refusé de revenir, comme l’avait proposé Mme la rapporteur générale, au dispositif en place avant la réforme de 2011, je soutiendrai le dispositif tel qu’il a été adopté à l’Assemblée nationale et voterai l’article 14 ter de ce projet de loi de finances rectificative.
La droite et la gauche tombent d’accord pour dévier cette « balle perdue » figurant au budget de 2011, pour défendre l’innovation et la contribution à la croissance de nos entreprises les plus dynamiques. J’espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement suivra le Parlement sur ce point.
En dehors de cette mesure, ce quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2011 ne comporte toujours pas de mesure d’ampleur visant à relancer l’investissement. Il ne contient, encore et toujours, que des mesures d’austérité. On l’a dit, la réduction des déficits passe non par une politique d’austérité, mais par une politique macroéconomique qui s’attaque simultanément à tous les déficits.
L’emploi, la justice fiscale, le soutien à la croissance : voilà ce qui a manqué dans tous ces textes, qui prétendent seulement répondre momentanément à l’inquiétude des marchés.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Patriat. Le soutien à la croissance est aussi le grand absent du dernier accord européen, qui ne résout rien à la crise de la zone euro.
Votre plan d’économies porte essentiellement sur des recettes dont les deux tiers pèseront sur les ménages. Les hausses d’impôts représentent plus de 60 % des mesures cumulées de réduction du déficit.
Il faut certes ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB. Mais votre politique d’austérité, qui coupe dans les dépenses, aura pour effet de casser un peu plus la croissance, d’aggraver la récession et, finalement, de rendre encore plus difficile la réduction des déficits.
Dans ce contexte, je trouve impensable que, après avoir abandonné aux marchés et aux agences de notation notre souveraineté nationale en matière de politiques publiques, nous devions à terme abandonner notre souveraineté nationale budgétaire à des instances supranationales, telles que la Cour de justice de l’Union européenne.
Comment, dès lors, notre inquiétude ne serait-elle pas vive ?
Je conclurai mon intervention en étant aussi manichéen que M. Delattre :…
M. Jean-Vincent Placé. C’est impossible !
M. François Patriat. … les Français retiendront que les cinq années écoulées auront été celles du déclin, de la hausse du chômage et de l’endettement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure générale, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, le dernier devait être l’ultime, mais les habitudes s’installent. Voici donc que vient à nous le quatrième collectif budgétaire pour l’année 2011.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le dernier !
M. Jean-Vincent Placé. Probablement, mais en est-on si sûr de nos jours ?
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Un autre entre Noël et le jour de l’An ?
M. Jean-Vincent Placé. Si j’ai bien tout compris, alors que le Parlement n’a pas encore voté la loi de finances pour 2012, le Gouvernement nous propose, dans ce rectificatif au budget de 2011, de redresser le futur budget pour 2012...
L’enchevêtrement de ces textes et l’imbrication de leur lecture installent un sentiment de confusion, pour ne pas dire d’impréparation.
Certes, on en conviendra, la conjoncture financière n’est pas des plus paisibles. Mais, enfin, si le Gouvernement se trouve contraint d’empiler les textes à ce rythme, c’est tout simplement parce que ses hypothèses de croissance sont systématiquement – et donc délibérément – surévaluées.
En septembre, alors que vous présentiez un budget fondé sur une croissance de 1,75 %, déjà accompagné d’un premier plan de rigueur, le consensus des prévisions s’établissait autour de 1 %.
Ainsi, le budget alternatif que les écologistes ont exposé le 4 octobre dernier devant la presse reposait déjà sur une croissance de 0,8 %, qui se situe encore aujourd’hui dans la fourchette des prévisions.
L’hypothèse de 1 % sur laquelle, pour votre part, vous vous ajustez aujourd’hui est, en revanche, cette fois encore, un peu trop optimiste.
Tout à sa course folle derrière une note que nous avons d’ailleurs déjà virtuellement perdue, le Gouvernement échoue ainsi à conserver un cap à une politique qui n’aura pas résisté longtemps à l’épreuve des faits.
M. Sarkozy s’était engagé à diminuer les impôts ; les prélèvements obligatoires, sous son quinquennat, ont augmenté de plus de 20 milliards d’euros.
Il prétendait cibler sa politique budgétaire sur les économies plutôt que sur les recettes ; la dépense publique, représentant 56,6 % du PIB, atteint aujourd’hui un niveau record ! Voilà les chiffres, mon cher collègue Francis Delattre.
Il propose une règle d’or, censée assurer la vertu budgétaire ; c’est sous son quinquennat que la dette a explosé, à coup de libéralités accordées aux plus riches.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oh !
M. Jean-Vincent Placé. Les demi-mesures contenues dans ce projet de loi de finances rectificative témoignent de ces contradictions : plutôt que de diminuer les dépenses, comme vous vous plaisez à l’afficher, ce sont bel et bien à des augmentations d’impôts que vous procédez, mais sans aller au bout de leur logique !
Vous augmentez le taux de l’impôt sur les grandes sociétés, mais vous oubliez que la plupart d’entre elles échappent en fait méthodiquement à son assiette.
Vous augmentez le taux du prélèvement forfaitaire libératoire sur les intérêts et les dividendes, sans pour autant aller jusqu’à intégrer ces revenus dans le barème de l’impôt progressif.
Vous gelez indistinctement ce barème, faisant ainsi porter l’effort par tous, plutôt que d’y ajouter une tranche supérieure sur les plus hauts revenus.
Vous sacrifiez, enfin, à une augmentation partielle de la TVA, prélèvement injuste entre tous, qui frappe chacun indépendamment de sa capacité contributive.
Cette politique d’austérité, que vous préconisez pensant rassurer les marchés, n’est pas seulement injuste, c’est avant tout une erreur. Vous considérez que les politiques sociales et la redistribution sont des luxes de pays riche, des freins à l’économie, à l’investissement, à la sacro-sainte croissance.
En réalité, que constate-t-on ? Comme le démontre un récent rapport de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, les profits, ces dernières années, n’ont cessé de croître et ils ont été accaparés par le capital, au détriment des salaires et de l’investissement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) Les baisses d’impôts des néolibéraux n’auront donc essentiellement servi qu’à alimenter la spéculation des marchés et à renforcer la précarité des salariés.
Or c’est la conjugaison de ces deux phénomènes qui est à l’origine de la crise ! Certes, les marchés ont été par trop dérégulés, mais cette crise n’est pas que financière : c’est aussi une crise de la répartition des richesses. C’est parce que des travailleurs américains ont été contraints de s’endetter plus que de raison qu’est survenue la crise des subprimes.
En Europe, les déficits structurels des pays montrés du doigt ne sont que la contrepartie des excédents structurels de pays comme l’Allemagne. Or c’est parce qu’il affiche des salaires très bas par rapport à sa productivité et recèle de grandes inégalités sociales que ce pays est à même de dégager de telles marges.
Une politique de sortie de crise ne pourra pas faire l’économie d’un meilleur partage de la valeur ajoutée entre travail, investissements et dividendes.
L’autre déterminant totalement ignoré de cette crise – vous ne m’en voudrez pas d’en parler ce soir, même à cette heure tardive –, c’est, bien sûr, la crise écologique.
Alors que s’achève la conférence de Durban, éclipsée par la conjoncture financière, on apprend que les émissions de dioxyde de carbone, loin de s’être stabilisées comme on avait pu le croire un temps, ont atteint en 2010 le niveau inégalé de 9,1 milliards de tonnes.
Cher collègue Francis Delattre, vous avez fait part de votre préoccupation, qui vous honore, relative à la fonte des glaciers. Non seulement elle se poursuit, mais elle s’accélère...
M. Francis Delattre. Au Canada !
M. Jean-Vincent Placé. ... et les épisodes cycloniques se multiplient dans les zones tropicales.
La France a connu en 2011 des records de sécheresse qui ont provoqué des pénuries de fourrage.
Le climat est sur une trajectoire de réchauffement de 3,5 degrés, alors que la communauté internationale avait fixé à 2 degrés le plafond à ne pas dépasser.
L’empreinte écologique mondiale est aujourd’hui de l’ordre de 1,3. Cela signifie que, chaque année, l’humanité consomme en ressources naturelles l’équivalent d’environ une planète un tiers. Concrètement, cette année, c’est le 27 septembre que nous avons achevé de consommer les ressources que notre environnement est à même de produire en une année sans compromettre leur renouvellement. Depuis cette date, et jusqu’au 31 décembre, nous vivons à crédit écologique.
Alors, certes, il n’est venu à l’idée d’aucune agence de notation d’en tenir rigueur aux États des pays écologiquement les plus dispendieux. Et pourtant, ce déficit est autrement plus grave que le déficit budgétaire ! La dette financière reste une abstraction avec laquelle l’homme peut composer. Notre climat, nos aliments, notre santé environnementale, tout cela ne se restructure pas.
Comme la crise sociale, la crise écologique est un soubassement de la crise financière. Lorsque, dans les années soixante-dix, les néolibéraux ont cru bon de financer par l’endettement la création de valeur qu’ils accaparaient ensuite au profit d’une minorité, on a vu croître dans un même mouvement les dettes des États et la consommation des énergies fossiles. Les courbes se superposent !
Aujourd’hui, les matières premières, notamment les matières agricoles, deviennent les dernières valeurs refuge de marchés déboussolés, causant parfois de grandes tensions financières sur des produits essentiels à la survie des populations. Même en France, on a vu ces dernières années le prix du pain considérablement augmenter.
Répondre à la crise écologique et restaurer une justice sociale sont des conditions absolument nécessaires à une sortie de crise. Malheureusement, votre politique, monsieur le ministre, ne va pas dans ce sens. Vous tenez les considérations sociales et écologiques pour des suppléments d’âme. Vous devriez plutôt y voir les limites intrinsèques du modèle libéral productiviste que vous défendez sans discernement, alors qu’il est de toute façon condamné à se désagréger rapidement.
Quoi qu’il en soit, votre politique d’austérité, fût-elle européenne, ne le sauvera pas, mais sa chute risque, en revanche, d’être dramatique pour les peuples.
À Europe Écologie Les Verts, nous avons depuis longtemps compris que la solution sera nécessairement européenne. Mais ce n’est pas celle que vous préconisez ! Votre Europe ne porte que sur la discipline budgétaire et vous nous proposez une concertation intergouvernementale comme horizon indépassable de la démocratie !
Les écologistes appellent de leurs vœux des institutions véritablement démocratiques, élues au suffrage universel européen, et tiennent pour inéluctable le cheminement vers une plus grande intégration économique. Celle-ci devra reposer sur une mutualisation des dettes et l’émission d’obligations européennes, une gestion concertée des divergences macro-économiques, les pays vertueux n’étant pas toujours ceux que l’on croit – je parlais de l’Allemagne à l’instant –, une harmonisation fiscale reposant sur la majorité qualifiée et, enfin, un budget fédéral bénéficiant de ressources propres pour entamer, à l’échelle européenne, la reconversion écologique de l’économie.
Malgré la gravité de la situation, des chemins existent, à la fois démocratiques et soutenables. Les écologistes ne vous suivront donc pas, monsieur le ministre, sur la voie de l’austérité. Très sincèrement – j’espère que cela fera plaisir à mes amis radicaux ici présents –, le bon conseil à donner au Gouvernement est, selon moi, non pas de se fixer sur le triple A des agences de notation, mais plutôt de faire attention à un triple A qui est plus ancien, mais bien plus révolutionnaire, celui de Danton à l’Assemblée législative, qui exhortait : « De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Bravo !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Belle chute, mais Danton a mal fini...
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, tout au long de cette session budgétaire, nos débats auront fait apparaître la profondeur des divergences qui séparent désormais le Gouvernement et la Haute Assemblée.
Je remercie l’ensemble des orateurs qui viennent de s’exprimer et j’adresse un merci tout particulier à ceux qui ont tenu à soutenir ce projet de loi de finances rectificative.
Il convient de prendre l’exacte mesure des divergences que j’évoquais.
À la suite du président Marini, dont je salue, une fois encore, la clairvoyance et la lucidité, je voudrais, madame la rapporteure générale, rappeler quelques faits qui parlent d’eux-mêmes.
Tout d’abord, en matière d’anticipation, je ne peux croire que la Haute Assemblée cède ainsi aux illusions rétrospectives.
Madame la rapporteure générale, la prévision est un art difficile.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vrai !
M. Patrick Ollier, ministre. Je le dis à François Patriat, ainsi qu’à Jean-Vincent Placé, au printemps dernier, l’immense majorité des observateurs français et étrangers prévoyait une reprise, personne ne peut le nier, et les chiffres de croissance du premier trimestre le confirmaient, c’est un fait que personne ne peut contester non plus.
Mais il y a eu la crise, une crise certes française, mais aussi européenne et mondiale. Or le propre des crises, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est d’être soudaines et brutales. Oui, l’été dernier, nous sommes entrés dans une période de turbulences auxquelles il faut faire face.
L’honneur de ce gouvernement, madame la rapporteure générale, c’est d’avoir mesuré, en toute lucidité, l’ampleur de cette crise et d’avoir pris immédiatement toutes les décisions qui s’imposaient. Je remercie la majorité présidentielle qui les a soutenues.
Dans l’histoire récente de notre pays, une attitude aussi responsable est rare ; elle est si rare qu’elle mérite d’être signalée, nul ne peut le contester.
Philippe Marini a dit une chose très vraie, à savoir qu’un projet de loi de finances rectificative est un exercice de vérité, de réactivité face à une situation imprévisible. Nous sommes exactement dans ce cas-là !
Nul ne peut le contester, la stratégie de ce gouvernement est marquée du sceau de la constance, d’abord dans les objectifs.
Les objectifs pour 2011 et 2012 étaient très clairs : réduire le déficit public à 5,7 % en 2011 et à 4,5 % en 2012. Malgré les circonstances, ces objectifs restent intangibles et sont notre ligne de mire.
La stratégie du Gouvernement est ensuite marquée du sceau de la constance dans la méthode. Celle-ci repose d’abord et avant tout sur les économies en dépenses, et ce collectif démontre l’importance des efforts que nous avons engagés.
Pour la première fois depuis 1945, les dépenses de l’État baissent. Là aussi, c’est un fait, mais je ne vous ai pas entendus en parler. Pourquoi ne pas le reconnaître ?
Pour être concret, quelles sont les sources d’économies ? La réponse est simple : ce sont la baisse des dépenses et les réformes que vous avez combattues point par point qui ont rendu possibles ces économies.
Je pense, par exemple, à la révision générale des politiques publiques engagée dès 2007. Prévoyants, nous l’avons été. Le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique de l’État est l’une des mesures prises qui nous permet aujourd’hui de faire face à la situation.
Je songe à la réforme de la carte militaire, engagée en 2008, à la réforme de la carte judiciaire, que nous avons menée en 2009, et, bien sûr, à la réforme des retraites, sur laquelle vous souhaitez revenir, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, mais sans la moindre crédibilité, comme l’a justement souligné Francis Delattre.
Dans la perspective de la campagne présidentielle qui s’annonce, espérons que le candidat socialiste clarifiera bientôt sa position : comptez-vous, oui ou non, revenir, comme vous vous y êtes engagés, à la retraite à 60 ans ?
M. Yves Daudigny. Nous nous sommes déjà exprimés sur ce sujet !
M. Patrick Ollier, ministre. Ces réformes, vous les avez toutes combattues ; vous n’en avez voté aucune ! C’est votre droit le plus strict, nul ne le conteste. Toutefois, le combat que vous avez mené contre ces réformes ne vous autorise pas aujourd’hui à critiquer les principes d’action que traduit ce projet de loi de finances rectificative, par lequel le Gouvernement entend précisément adapter le budget de la France au contexte de crise.
Mme Marie-France Beaufils. On en voit les conséquences !
M. Patrick Ollier, ministre. Madame Beaufils, il faut être cohérent dans le temps. Je viens d’évoquer une série de réformes accomplies depuis 2007 ; nous sommes à présent en 2011. Vous combattez cette politique, soit ! Mais vous ne pouvez pas défendre l’inverse de ce que vous souteniez hier : dans ce cas, il aurait fallu nous appuyer naguère. C’est la logique.
M. Éric Bocquet. Bien sûr que non !
M. Patrick Ollier, ministre. Vous ne pouvez pas à la fois combattre ces réformes et nier qu’elles nous permettent aujourd’hui de réaliser des économies que je qualifierai d’historiques. Dans ce domaine également, la crédibilité est du côté du Gouvernement.
Monsieur Collin, cette crédibilité est le fruit de cinq ans d’actions et de réformes qui nous permettent de réduire, pour la première fois, la masse salariale de l’État hors dette et pensions. C’est dire le travail qu’il a fallu accomplir !
Les efforts que nous avons consentis en 2011 et auxquels nous nous préparons pour 2012 s’inscrivent dans la droite ligne de cette politique rigoureuse. Ils atteignent 52 milliards d’euros, dont plus de la moitié consiste en des réductions de dépenses.
Voilà quelques instants, lors de la discussion générale, certains orateurs ont évoqué les dispositions votées par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, notamment les nombreuses taxes que vous avez créées, à hauteur, me semble-t-il, de 40 milliards d’euros.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Non !
Mme Marie-France Beaufils. Non, 30 milliards d’euros !
M. Patrick Ollier, ministre. Ce sont les chiffres que j’ai lus dans la presse, madame la rapporteure générale, pardonnez-moi si je me trompe...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il ne faut pas lire le journal, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Quoi qu’il en soit, l’adoption de telles taxes ferait peser 20 milliards d’euros de charges supplémentaires sur les entreprises. Je reviendrai sur ce point.
Le Gouvernement fait également preuve de constance en matière de recettes : en effet, notre stratégie est encore et toujours d’opérer des prélèvements ciblés dans un esprit de justice. Deux exemples l’illustrent.
Premièrement, la majoration exceptionnelle de l’impôt sur les sociétés ne concerne que les grandes entreprises.
Monsieur Foucaud, je précise que les sociétés réalisant plus de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires contribueront à hauteur de 50 % du produit de cette majoration. Il s’agit bien des grands groupes que vous mentionniez tout à l’heure ! Vous devriez non seulement reconnaître cette réalité, mais aussi approuver l’action du Gouvernement en la matière. D’ailleurs, à mes yeux, vous auriez dû voter ces dispositions, qui répondent au constat que vous dressez. Je vous lance donc un appel à la cohérence.
Cette mesure n’est en aucun point comparable à la hausse générale de l’impôt sur les sociétés que vous avez adoptée lors de l’examen du projet de loi de finances, et qui aboutirait à augmenter de 50 % l’imposition de toutes les entreprises, y compris les PME – je le souligne ! – que, pour notre part, nous souhaitons protéger.
Deuxièmement, la hausse du prélèvement forfaitaire libératoire ne concerne, par définition, que les ménages percevant des revenus du capital et relevant des plus hautes tranches du barème de l’impôt sur le revenu. Voilà la vérité !
Dans ce domaine, également, la constance et la crédibilité sont de notre côté. En effet, cette augmentation vient parachever notre effort historique de rapprochement de la fiscalité du capital et du travail. Elle s’ajoute à la hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, à la refonte du régime des plus-values immobilières et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, dont l’assiette comprend à la fois les revenus du capital et ceux du travail. Voilà la vérité !
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, telle est la réalité des mesures que nous proposons, aux antipodes de l’image que vous en donnez ! Ces mesures sont tout simplement sans précédent. Les leçons de justice fiscale, comme le soulignait Francis Delattre, nous sommes donc en mesure de les donner – j’en suis persuadé et je suis du reste en train de le démontrer – non de les recevoir.
Je le rappelle à François Marc comme à François Fortassin ainsi qu’à Jean-Vincent Placé : les principes d’équité et de progressivité sont au cœur de notre politique fiscale. Le plafonnement des niches en matière d’impôt sur le revenu a été décidé par le Gouvernement. Il a ainsi mis un terme aux mécanismes d’optimisation fiscale, qui, en 2000 – alors que M. Jospin était au pouvoir –, permettaient à un ménage percevant 1 million d’euros de ne pas verser le moindre centime au titre de l’impôt sur le revenu ; aujourd’hui le même ménage acquitte au moins 340 000 euros.
M. François Marc. C’est n’importe quoi ! Qui paye de telles sommes ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Marc, vous semblez étonné : je le répète, cette situation correspond à l’époque où M. Jospin était Premier ministre !
Monsieur le rapporteur pour avis, vous savez que le Gouvernement veille à ce que la création du nouveau taux de TVA ne déséquilibre aucun secteur. C’est la raison pour laquelle nous avons confié à Pierre-François Racine une mission de suivi consacrée exclusivement à la filière du livre.
De plus, c’est pour lui permettre d’appliquer cette mesure dans de bonnes conditions que nous différons de deux mois, pour ce seul secteur, l’entrée en vigueur du nouveau taux. Il s’agit là d’un geste très fort qui exprime la détermination du Gouvernement à prendre en compte sa situation très particulière.
J’espère que vous approuvez cette mesure, monsieur le rapporteur pour avis.
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. J’ai précisément déclaré le contraire !
M. Patrick Ollier, ministre. De surcroît, je vous rappelle que, sous l’impulsion du Président de la République, nous avons créé le label « librairie indépendante », assorti d’une exonération de cotisation économique territoriale ; nous aurons l’occasion d’aborder de nouveau ce sujet, comme les autres points que vous avez évoqués, lors de l’examen des articles de ce collectif budgétaire.
Madame la rapporteure générale, les différents textes que le Sénat a examinés relèvent donc de la même stratégie et des mêmes principes : constance et réactivité.
Monsieur Marc, je vous l’affirme : le Gouvernement a pris les décisions qui s’imposaient chaque fois qu’elles étaient nécessaires. Comme l’a parfaitement souligné M. le président de la commission des finances, si nous n’avions pas agi, vous n’auriez pas manqué de nous le reprocher, et en quels termes ! (M. François Marc s’exclame.) Nous ne vous en avons pas laissé l’occasion, ce qui ne vous empêche pas de formuler des critiques... (M. le président de la commission des finances manifeste son approbation.) C’est légitime, on ne peut pas vous en vouloir !
À l’évidence, les circonstances imposaient au Gouvernement d’agir ; c’était notre responsabilité, et nous y sommes restés fidèles.
Madame la rapporteure générale, on ne peut pas prétendre en permanence redresser les finances publiques tout en rejetant le moindre engagement contraignant à ce sujet : c’est impossible !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mais le Gouvernement n’a pas pris le moindre engagement !
M. François Marc. Ne nous attribuez pas tous les torts !
M. Patrick Ollier, ministre. Vous aurez tout loisir de vous entretenir de ce sujet avec Mme la ministre du budget au cours de ce débat : lors de l’examen des articles, elle vous détaillera l’ensemble des engagements contraignants pris par le Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la crise que nous traversons aujourd’hui, les mots ne suffisent plus, seuls les actes comptent.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Justement !
M. Patrick Ollier, ministre. Précisément, madame la rapporteure générale, c’est vous qui, tout à l’heure, parliez des observateurs internationaux, des marchés, des agences, etc. Ces acteurs ne jugent que les actes ; ils ne se contentent plus des paroles depuis belle lurette. Or le Gouvernement s’honore de prendre avec courage et réactivité les mesures qui répondent aux attentes de ces observateurs, pour ne pas dire à celles des marchés !
Passer aux actes, c’est également instituer la règle d’or,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Laquelle ?
M. Patrick Ollier, ministre. … cette disposition qui fait consensus dans l’Europe tout entière. Madame la rapporteure générale, en Allemagne, en Espagne et dans d’autres pays de l’Union européenne, les socialistes – dont les convictions sont aussi sincères que les vôtres – se sont unis aux forces politiques de droite pour adopter la règle d’or. Je regrette que, en France, nous ne parvenions pas à un consensus républicain, dans l’intérêt de notre pays, dans l’intérêt de la protection des Français et de la France, et ce dans un contexte aussi difficile sur les plans européen et mondial.
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Vous l’avez réclamé, M. Ollier l’a fait !
M. Patrick Ollier, ministre. Un tel consensus honorerait notre Parlement, notre démocratie, si, pour une fois, nous parvenions à dépasser les clivages partisans et à nous accorder, dans l’intérêt national, sur la règle d’or !
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, je n’ai pas la prétention de vous lancer un quelconque appel. Toutefois, je souligne que le monde entier nous regarde, que les marchés nous observent et qu’ils analysent vos réactions, car ils savent que nous souhaitons adopter une semblable règle d’or. Je ne cesserai de vous répéter qu’il serait bon que vous acceptiez d’accomplir un effort, à l’image de vos amis socialistes des pays voisins, qui ont déjà entrepris une semblable démarche.
Partout en Europe, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont pris conscience de la nécessité d’apporter des réponses nationales et européennes à la crise ; or, alors même que l’Europe est en train de se rassembler, vous semez la division en remettant en cause des avancées qui unissent les membres de la zone euro autour de ce bien commun qu’est la monnaie unique.
M. François Marc. Le déficit, c’est vous ! (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx proteste.)
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. À présent, c’est la faute de la gauche !
M. Patrick Ollier, ministre. Je songe tout particulièrement à l’accord du 9 décembre dernier : lorsque vingt-six des vingt-sept États membres de l’Union européenne parviennent à s’entendre, en partie sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne – et j’en suis très fier –, ne peut-on pas considérer qu’un progrès exceptionnel a été accompli ? Pourquoi ne pas le reconnaître ? pourquoi ne pas s’engager avec enthousiasme dans la voie du consensus européen ? Ce serait bon pour la France, pour l’Europe et pour notre monnaie unique, l’euro !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est pourquoi je salue le souci exprimé par Aymeri de Montesquiou de parvenir à un consensus national, auquel j’appelle également, monsieur le sénateur. Mesdames, messieurs les sénateurs, dans les circonstances exceptionnelles que nous traversons, nous pouvons faire fi de nos divergences,…
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. Patrick Ollier, ministre. … et nous accorder sur une règle de conduite qui occulte, quelques mois durant, nos divergences. Elles reparaîtraient assez rapidement ensuite, au cours de la campagne présidentielle, j’en suis bien conscient ! Mais, d’ici là, nous aurions pu marcher quelque temps côte à côte pour sauver l’Europe, l’euro et notre pays.
Monsieur de Montesquiou, vous avez raison d’appeler au consensus. Sachez que le Gouvernement est prêt à appuyer tout effort en ce sens, mais encore faut-il que les conditions nécessaires soient réunies. J’espère très sincèrement que tel sera le cas et que la Haute Assemblée sera présente à ce rendez-vous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bravo !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 195.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011 (n° 160, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Éric Bocquet, auteur de la motion.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’appel à l’union nationale face à la crise qui vient d’être lancé, les propos que je tiendrai seront quelque peu différents.
Selon les experts, le déficit public des pays de la zone euro s’élèvera, en 2012, aux alentours de 4 % de leur produit intérieur brut. Au Japon et aux États-Unis, ce déficit atteindrait même 9 % du PIB. La réduction des déficits n’est donc pas une priorité absolue, et encore moins le Graal de la gestion financière !
Ainsi, très récemment, au mois d’août, l’économiste Henri Sterdyniak, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, commentant les politiques budgétaires actuellement en vigueur en Europe, écrivait ceci : « Les pays européens ne peuvent pas vivre en permanence dans l’angoisse des agences de notation. Cela reviendrait à dire que ces agences auraient un droit de regard perpétuel sur les politiques économiques. La bonne stratégie est de faire la politique économique que nous jugeons bonne et de compter sur la Banque centrale européenne, la BCE pour maintenir des taux d’intérêt relativement bas. La BCE doit dire que, si nécessaire, elle achètera des titres de la dette publique. Aujourd’hui, des pays qui sont hors zone euro, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Japon, ont des déficits et des dettes publics plus importants que la zone euro mais ont des taux d’intérêts beaucoup plus bas. »
Bien évidemment, je ne me livrerai pas à l’exégèse du discours de l’un de ces économistes « atterrés » qui n’ont, bien entendu, pas l’oreille de l’Élysée, de Bercy et de Matignon. Je relèverai malgré tout quelques points.
Tout d’abord, depuis la semaine dernière, les tenants de l’actuelle politique gouvernementale laissent croire à qui veut bien l’entendre que l’Europe a pour ainsi dire été refondée par l’accord entre les deux partenaires du couple franco-allemand, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel.
Une telle lecture des faits appelle plusieurs observations.
Premièrement, elle nie l’évidence, c’est-à-dire le fait que la démocratie apparaît bel et bien comme le cadet des soucis des auteurs de l’accord, puisque les politiques budgétaires de tous les pays de la zone euro et de l’Union européenne se trouveront ainsi placées sous tutelle.
M. Éric Bocquet. D’ailleurs, les gouvernements de ces États sont nommés sans l’avis des citoyens.
Ce faisant, ces pays seront placés sous tutelle tant de la Commission européenne, qui, au demeurant, n’est jamais apparue comme la quintessence de l’institution démocratique – de fait, elle reste sourde aux aspirations des peuples et largement sujette aux pressions des lobbies les plus divers –, que de la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, devenant, par un jeu institutionnel pour le moins ahurissant, le juge en dernier ressort des politiques économiques et budgétaires des États !
Deuxièmement, cet accord ne remet nullement en question les dispositions du traité de l’Union européenne relatives à la place et au rôle de la Banque centrale européenne.
Par un stupéfiant retournement dialectique dont la logique nous échappe quelque peu, la BCE garde ainsi comme objectif fondamental la lutte contre l’inflation, et, à cette fin, elle conserve toute latitude pour limiter la création monétaire, assurant de fait la « sécurité » des moyens de paiement, c’est-à-dire le maintien du monopole réel des banquiers sur ces derniers. On croit rêver !
À ce titre, la BCE se trouve autorisée à prêter, au taux défiant toute concurrence de 1 %, aux banques privées toutes les liquidités dont elles pourraient avoir besoin pour réaliser leurs règlements interbancaires. En revanche, il est toujours interdit à la Banque centrale européenne de prêter de l’argent pour financer, en premier ressort, les politiques publiques des États membres de la zone euro et, singulièrement, toute politique d’investissement public susceptible de créer les conditions de la croissance.
L’Espagne, la Grèce ou l’Italie sont autorisées à rester aux prises avec les retards et handicaps économiques de certaines de leurs régions les moins développées, la BCE ne bougera pas d’un pouce pour y remédier !
Dans le même ordre d’idées, les États ne peuvent solliciter la BCE pour répondre aux nécessités de leurs choix budgétaires et économiques, notamment s’ils ont le mauvais goût d’être à l’origine de déficits budgétaires temporaires ou conjoncturels. Mais quel progrès la construction européenne a-t-elle donc accompli dans ces circonstances ?
Résumons-nous : la BCE prête à une banque privée au taux de 1 %. La même banque privée, pour ne pas laisser cette somme dormir dans un coin sans rapporter un peu d’argent, décide de participer à l’adjudication de titres de dette publique d’un des pays de la zone euro. Elle réalise ainsi une opération pour compte propre, si tant est que nous ayons bien compris le procédé.
Comme la France, malgré son triple A, emprunte à un taux proche de 3,3 %, on voit tout de suite la marge qui peut ainsi se dégager de l’opération. Il en est de même des titres de dette publique d’autres pays, titres qui peuvent tout aussi bien changer de mains en tant que de besoin.
C’est donc, dans les faits, à une nouvelle poussée de fièvre spéculative que devrait conduire l’accord issu du dernier Conseil européen. C’est bien là la méthode du docteur Diafoirus, qui infligeait la saignée à ses patients déjà anémiés !
Comme nous l’avons indiqué, cet accord a justifié et validé les options prises par les politiques en œuvre dans l’Euroland, à savoir l’austérité à tous les étages !
Ces « serrages de ceinture » généralisés ont d’ailleurs eu des conséquences précises sur un plan plus directement politique : en Irlande, le gouvernement en place a été balayé par les électeurs au printemps dernier.
En Espagne, le gouvernement de M. Zapatero a été battu aux élections.
En Grèce ou en Italie, les premiers ministres en place, autant par incapacité à tenir leur programme que par usure, ont été débarqués et remplacés par des « techniciens », issus d’ailleurs des structures de conseil d’une célèbre banque américaine, Goldman Sachs, pour ne pas la nommer ; en Slovénie, le parti social démocrate au pouvoir a subi un revers électoral et ce sont d’autres forces de gauche qui ont obtenu la majorité.
En Allemagne, tous les scrutins régionaux qui se sont déroulés cette année ont conduit au recul de la CDU de la Chancelière Angela Merkel et à la quasi-disparition de son allié proeuropéen et libéral, le FDP.
Au Portugal, le parti au pouvoir a été battu par l’opposition de droite, mais celle-ci est désormais confrontée à un puissant mouvement social contre la politique d’austérité qu’elle entend mener dans le pays.
Quant à la politique d’austérité mise en œuvre par le gouvernement de droite danois, elle a également été sanctionnée par les électeurs, qui ont préféré choisir un gouvernement composé de partis progressistes.
Ainsi, partout sur le territoire de l’Union européenne, le sort des urnes a été contraire aux attentes des tenants actuels de l’austérité.
Je pourrais presque inviter les parlementaires de l’opposition sénatoriale à voter notre motion pour s’épargner cette destinée, mais là n’est pas le sujet !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous devons faire notre travail jusqu’au bout !
M. Éric Bocquet. Il convient de rompre clairement avec la politique et les plans d’austérité menés en France et dans la plupart des pays de la zone euro. D’ailleurs, s’il fallait une preuve de la nécessité de cette mesure, elle résiderait très exactement dans l’examen de la situation des pays aujourd’hui frappés par ces plans.
La Grèce, qu’on a voulu affubler du bonnet d’âne européen, connaît cette année une récession plus grave encore que celle qu’elle avait dû affronter jusqu’alors.
Nous avions, en son temps, rejeté le plan européen relatif à ce pays, au motif, précisément, qu’il ne lui permettait pas de se remettre dans le bon chemin. Les faits semblent malheureusement nous donner raison !
La situation de l’Irlande n’est pas meilleure ; quant à la Hongrie, l’appauvrissement de sa population est particulièrement significatif.
Et l’on dit désormais que près d’un ménage français sur six renonce à se chauffer, en raison de la hausse continue des prix de l’énergie domestique !
Le débat sur le projet de loi de finances pour 2012 a été l’occasion, pour la nouvelle majorité sénatoriale, de faire valoir un certain nombre de propositions alternatives face à la volonté dogmatique de réduire les dépenses publiques, volonté utilisée, pour l’heure, pour justifier les choix gouvernementaux.
Mes chers collègues, permettez-moi, à ce stade, de rappeler un certain nombre de faits.
Comment pouvons-nous continuer à lever un impôt sur le revenu dont le produit, proche de 60 milliards d’euros, subit des mesures correctrices atteignant au moins 40 milliards d’euros et bénéficiant d’abord et avant tout aux revenus les plus élevés, en particulier aux revenus financiers ?
Comment pouvons-nous continuer à tolérer un impôt sur les sociétés rapportant péniblement, les bonnes années, 50 milliards d’euros, alors que 110 milliards d’euros environ, soit deux fois plus, sont utilisés pour en « corriger » l’application ?
Un impôt dont nous abandonnons les deux tiers du produit, ce n’est plus un impôt à 33 %, c’est un impôt à 10 % !
Comment, au moment où les comptes publics sont dans le rouge, pouvons-nous accepter qu’un allégement de l’impôt de solidarité sur la fortune de 2 milliards d’euros soit encore accordé, d’autant que cela vient s’ajouter à l’exonération des biens professionnels et à quelques autres niches venant « miter » cet indispensable impôt ?
Comment pouvons-nous accepter le maintien du dispositif « heures supplémentaires », dont le coût s’avère d’autant plus élevé qu’il est devenu un obstacle à la création d’emplois, notamment d’emplois intérimaires ?
Comment pouvons-nous accepter que persiste un dispositif d’allégement général des cotisations sociales, dont le coût est également très élevé, et qui, depuis dix ans, a ouvert tout grand la « trappe à bas salaires », dans laquelle des millions de travailleurs ont été jetés, sans respect ni pour leurs droits ni pour leurs compétences et qualifications ?
Ces questions, mes chers collègues, nous y avons répondu au cours du débat budgétaire pour 2012. Elles seront, quoi qu’il arrive, au cœur du débat politique des mois à venir. C’est bien parce que notre pays souffre d’un déficit résultant d’abandons successifs et massifs de recettes, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu des plus riches, de la taxe professionnelle ou de la participation des entreprises au financement du développement local, que nous devons changer totalement de braquet !
La dette publique, mes chers collègues, n’est pas due à un excès de dépenses publiques, aux effectifs pléthoriques de la fonction publique ou à je ne sais quelle dérive des dépenses sociales ; elle résulte bel et bien de décennies de cadeaux fiscaux – ils ont été particulièrement importants au cours de ces dernières années –, qui ont entraîné une diminution des recettes, alors que les besoins sociaux s’accroissaient.
Des années de politique libérale ont laissé aux plus riches, aux grands groupes, des sommes toujours plus considérables à leur libre disposition. Qu’en ont-ils fait ? Nous avons un niveau de dette publique rarement égalé en temps de paix, des déficits publics dont ni le montant ni le niveau n’avaient encore été atteints sous la ve République, un déficit de notre commerce extérieur d’une ampleur également inégalée, et il faudrait continuer, faire comme si de rien n’était et laisser ceux qui ont usé et abusé de l’argent public laissé à leur discrétion continuer de le gaspiller ?
Au moment où les conditions de réalisation du nouveau ministère de la défense en formule « PPP », ou « partenariat public-privé », et l’attribution de ce marché au groupe Bouygues nourrissent désormais les doutes les plus sérieux, on comprend que le gaspillage des deniers publics doit effectivement cesser !
Une réforme fiscale de grande ampleur est la condition sine qua non du redressement de nos comptes. Or, force est de le constater, elle ne figure aucunement dans ce collectif, qui ne comporte que des mesures de portée conjoncturelle, faussement présentées sous couvert d’équité, en faisant évidemment abstraction de ce que je viens de rappeler de notre histoire fiscale récente.
La question de la dépense publique est également au cœur d’un projet réellement alternatif de gestion budgétaire. En effet, nous ne souffrons aucunement d’un trop haut niveau de dépenses publiques.
Au risque d’en étonner certains, je me permets tout de même de vous rappeler, mes chers collègues, qu’il est heureux, pour nos banquiers, nos compagnies d’assurance, nos commerçants, qu’il existe dans notre pays une population de plusieurs millions de fonctionnaires. Comment feraient-ils s’il n’y avait cette population disposant d’un revenu assuré, versé de manière régulière ?
Je me demande, dans les mêmes termes, ce que ferait l’État lui-même, notamment du point de vue de la régularité de ses propres ressources fiscales.
J’irai même au bout de cette réflexion. Certains se sont gaussés d’une proposition visant à créer 60 000 postes nouveaux dans l’éducation nationale, dont le coût serait prétendument « insupportable » pour les deniers publics. Mais les vingt années passées par 60 000 jeunes diplômés en attente de ces emplois sur les bancs de nos écoles, collèges, lycées et universités, combien cela coûte-t-il à la nation ?
Telles sont donc les raisons qui nous conduisent à vous demander, mes chers collègues, de voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’adoption d’une question préalable aboutirait soit à rejeter la totalité du texte soit à considérer qu’il n’y a pas lieu de délibérer.
Or la discussion générale nous a montré, mes chers collègues, qu’il y avait lieu de délibérer, puisque deux visions s’opposent à propos de ce texte, sur lequel près de 200 amendements ont été déposés. Il paraît donc important de les examiner intégralement pour montrer, justement, comme nous l’avons fait lors de l’examen de la loi de finances pour 2012, qu’un autre chemin est possible.
Par conséquent, la commission n’est pas favorable à l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Mme la rapporteure générale vient très justement de rappeler les termes de l’article 44 du règlement du Sénat, je n’y reviendrai donc pas.
Contrairement à ce que vous avez voulu dire, monsieur Bocquet, il y a urgence à délibérer.
Ce texte est une étape essentielle sur le chemin du désendettement de la France puisqu’il prévoit 5,2 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour l’État. Il faut donc le voter.
Pareillement, il est de notre responsabilité collective d’assurer jusqu’à la fin de l’année civile, et sans discontinuité, le fonctionnement normal de l’État et des services publics, ce que ce collectif budgétaire permet.
Par exemple, il ouvre des crédits pour la couverture de dépenses en faveur des plus fragiles. Je pense aux 250 millions d’euros pour les aides personnalisées au logement, aux 137 millions d’euros pour l’allocation aux adultes handicapés, aux 52 millions d’euros pour l’allocation temporaire d’attente dont bénéficient les demandeurs d’asile.
Monsieur Bocquet, si la motion que vous défendez était adoptée, il faudrait alors renoncer à l’ensemble de ces crédits, et cela se ferait au détriment des personnes qui en ont besoin. Cela dit, il est encore temps de la retirer.
Pour toutes les raisons que Mme la rapporteure générale a évoquées, il est impératif d’aller jusqu’au bout de l’examen de ce texte. Le Gouvernement est donc défavorable à l’adoption de la motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 195, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances rectificative.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 71 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 173 |
Pour l’adoption | 21 |
Contre | 323 |
Le Sénat n'a pas adopté.
18
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 14 décembre 2011, à quatorze heures trente et le soir :
- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2011 (n° 160, 2011-2012)
Rapport de Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances (n° 164, 2011-2012).
Avis de M. Vincent Eblé, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 163, 2011-2012).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 14 décembre 2011, à zéro heure quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART