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Débat préalable au Conseil européen du 9 décembre 2011
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen du 9 décembre 2011.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins.
Une voie mène au chaos économique et à la ruine d’un projet politique sans équivalent dans le monde, un modèle de démocratie, de paix et de prospérité. C’est celle du renoncement. Elle se nourrit de l’illusion que nous pouvons nous passer de l’Europe et de l’euro en revenant à une France ancienne et dépassée à l’heure de la mondialisation, que nous pouvons continuer de financer notre niveau de vie en accumulant les dettes.
L’autre voie est celle de la vérité, de la responsabilité et de l’effort commun juste et coordonné.
Le temps où chacun vivait à crédit en profitant de la bonne gestion de quelques-uns est révolu. Les bénéfices tirés de la monnaie unique nous ont fait, quelquefois, oublier nos devoirs. Nous tournons aujourd’hui cette page pour écrire celle d’une nouvelle aventure européenne.
La crise est cet espace entre un monde qui s’éteint et un autre qui se construit. Notre génération a le devoir de bâtir une nouvelle Europe. Nous espérons le faire avec nos vingt-six partenaires, mais l’action est urgente et ne pourra pas attendre. La zone euro poursuivra donc son intégration renforcée avec tous les États qui le désirent.
Le prochain Conseil européen sera crucial. Il validera ce choix de « plus d’Europe » et de « mieux d’Europe ». Son ordre du jour du Conseil du 9 décembre se concentrera donc avant tout sur l’examen de la situation économique et la convergence économique au sein de la zone euro. L’énergie, l’élargissement et l’Iran seront les autres thèmes importants qui seront débattus.
Nous avons aujourd’hui le devoir d’avancer vers une meilleure coordination de nos politiques économiques.
La France et l’Allemagne ont tracé lundi dernier les grandes lignes qui mènent à une gouvernance économique européenne intégrée, souhaitée par notre pays. Sur le chemin de crête qui nous permettra de surmonter la crise, la discipline et la solidarité doivent marcher main dans la main.
La crise actuelle n’est pas une crise de l’euro, qui est une monnaie forte. Elle n’est pas non plus une crise de l’Europe, qui est une construction équilibrée. C’est une crise des dettes souveraines. Pour renforcer notre crédibilité, nous devons renforcer la discipline commune sur le plan européen, en agissant d’abord de manière préventive.
Tous les membres de la zone euro devront inscrire une règle d’or dans leur droit national. Le principe et le contenu de cette règle seront définis sur le plan européen et la transposition se fera ensuite à l’échelle nationale. Il appartiendra au juge constitutionnel de vérifier le respect de cette règle à l’occasion du contrôle des lois de finances. La Cour de justice de l’Union européenne ne pourra en aucun cas se prononcer sur le budget d’un État ou l’invalider. Il s’agissait là d’une exigence forte de la France. Notre souveraineté ne doit en aucun cas être altérée. Elle s’est toujours exercée au Parlement, par le vote du budget. Cela sera toujours le cas.
Pour aller vers l’avenir, chaque partenaire doit avoir confiance en l’autre. Il est donc nécessaire de se montrer ferme envers les États qui ne respecteraient pas cette discipline commune. Ceux qui laisseront délibérément leur déficit dépasser le seuil de 3 % s’exposeront à des sanctions automatiques. Le Conseil ne pourra s’y opposer qu’à la majorité qualifiée.
Je le répète, il n’y a pas de discipline sans solidarité.
Le Conseil européen du 9 décembre apportera des réponses fortes à la crise, qui sont autant de preuves de solidarité entre les pays européens. Les investisseurs doivent être rassurés sur la qualité des dettes émises par les membres de la zone euro. Tous les États honoreront leur signature. La Grèce fut une exception qui ne se reproduira plus. Nous avons obtenu que les opérateurs privés ne soient plus sollicités pour réduire la charge de la dette des États en difficulté. C’était une demande exigeante de la France. Les épargnants n’ont donc rien à craindre d’éventuelles restructurations d’une dette souveraine. Cette mesure est juste et indispensable pour rétablir la confiance dans les États de la zone euro.
La mise en place dès 2012, soit un an plus tôt que prévu, du mécanisme européen de stabilité est un autre élément clé de la solidarité européenne. Le MES sera plus efficace et plus réactif que prévu. Les décisions de soutien à des pays en difficulté pourront être prises à la majorité qualifiée renforcée, par un vote des États disposant au moins de 85 % des droits de vote.
Je veux insister sur la démocratisation qui accompagnera cette nouvelle gouvernance économique. Les responsables politiques élus et les parlements nationaux y tiendront une place centrale. Cette démocratisation garantira la transparence et la légitimité des décisions prises dans le cadre de l’union monétaire.
Le Conseil examinera aussi la situation économique en Europe.
L’analyse annuelle de la croissance présentée par la Commission montre la persistance de déséquilibres budgétaires, l’augmentation des tensions financières et la stagnation de la croissance.
Il faut donc mettre prioritairement l’accent sur la mise en œuvre accélérée d’actions favorables à la croissance. En effet, la discipline et la solidarité n’ont de sens que si elles apportent une amélioration de la croissance, de l’emploi et de la compétitivité en Europe. C’est la raison pour laquelle nous avons défendu une action forte visant à approfondir le marché unique avec des mesures en faveur des PME – le brevet unitaire européen devrait être mis en place au plus vite – et à mener une véritable politique industrielle européenne qui évite la concurrence entre États membres et qui renforce la compétitivité vis-à-vis de l’extérieur.
Le Conseil fera par ailleurs le point sur les progrès enregistrés dans la mise en œuvre du « pacte pour l’euro plus ». Dans ce cadre, deux questions clés seront examinées : la coordination fiscale et l’emploi.
Comme vous pouvez le constater, de nombreuses pistes ont été ouvertes. Il est crucial que nous aboutissions vendredi à une réforme globale, efficace et cohérente.
Pour mettre en place ces mesures, nous souhaitons obtenir l’accord unanime des vingt-sept États membres pour une révision des traités. Si certains États ne veulent l’accepter, nous sommes déterminés à avancer avec le groupe des dix-sept membres de la zone euro et ceux qui seraient volontaires pour nous rejoindre. Nous souhaitons aboutir au mois de mars 2012, la révision devant être ratifiée avant la fin de l’année 2012.
Par ailleurs, la France et l’Allemagne ont proposé, lundi dernier, que les sommets de la zone euro se réunissent désormais tous les mois, jusqu’à la fin de la crise ; c’est l’essence même d’un gouvernement économique de la zone euro.
Le Conseil européen adoptera également des conclusions sur notre politique énergétique.
L’énergie est au cœur de quatre défis : la croissance, la souveraineté, la sécurité et le respect de l’environnement. Nous devons concilier ces impératifs avec deux données majeures : la catastrophe de Fukushima et les négociations sur le climat qui se déroulent en ce moment à Durban.
Le Conseil abordera les grands chantiers nécessaires à la réalisation du marché intérieur de l’énergie, grâce auquel nous pourrons optimiser notre production et notre consommation tout en protégeant notre environnement.
Il sera aussi question de la mise en place d’une véritable politique énergétique extérieure. Notre indépendance en dépend.
Enfin, le Conseil examinera les premiers résultats des tests de résistance des centrales nucléaires, sur la base d’un rapport préliminaire.
Au cours de ce Conseil, trois points complémentaires seront également abordés. Je les présenterai rapidement, afin de laisser place au débat.
Le premier concerne les perspectives financières pour la période 2014-2020.
La France considère que, à l’heure où l’ensemble des États membres ont été ou sont soumis à une discipline budgétaire forte, la priorité doit être de dépenser mieux et non de dépenser plus. Nous souhaitons donc disposer d’une évaluation de l’ensemble des politiques de l’Union européenne, à l’exception de la politique agricole commune, qui a déjà été évaluée et stabilisée.
Le deuxième point a trait à l’élargissement. Le Conseil aura en effet à se prononcer sur deux questions importantes.
Vous le savez, aux yeux de la France, une perspective d’intégration doit être offerte aux Balkans occidentaux. La Croatie, après une démarche exigeante et longue, s’est vu reconnaître le droit de rejoindre l’Union européenne. Son cas doit être un exemple de l’ouverture de l’Europe, mais aussi de son exigence.
Aujourd’hui, l’attribution de statut de candidat à la Serbie et l’ouverture de négociations d’adhésion avec le Monténégro sont sur la table. La France considère la première possibilité comme envisageable afin d’encourager les efforts actuellement menés par la Serbie. La seconde paraît pouvoir être décalée de six mois : nous souhaitons attendre l’année prochaine pour évaluer dans quelle mesure les réformes adoptées par le Monténégro sont mises en œuvre effectivement.
Au sujet de l’élargissement, notre position est claire : les Balkans occidentaux ont une vocation européenne, mais le chemin qui mène à leur intégration dans l’UE doit être exigeant et contrôlé. C’est le meilleur service qui puisse être rendu à ces États et à l’Europe. Celle-ci peut apporter aux Balkans une perspective de paix et de stabilité. Mais elle ne peut accepter en son sein des pays en conflit avec leurs voisins.
Le dernier point concerne l’Iran.
Le Conseil européen évoquera la situation dans ce pays et condamnera fermement les attaques menées contre l’ambassade britannique. Nous demanderons que de nouvelles sanctions soient adoptées au mois de janvier. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus, le prochain Conseil européen est présenté comme une échéance décisive. Face au démon de l’endettement, nous aurions enfin trouvé le bon exorcisme : rien moins qu’une nouvelle révision des traités.
Ces annonces deviennent presque une habitude. Le 21 juillet dernier, le nouveau plan d’aide à la Grèce devait ramener le calme sur les marchés. Mais, le 26 octobre, il a fallu lancer un nouveau plan d’aide, prévoyant une participation accrue du secteur privé.
Depuis lors, nous avons appris que le Fonds européen de stabilité financière, le FESF, supposé être le fer de lance de l’action européenne, ne parvenait pas à jouer le rôle qu’on lui avait confié. Aujourd’hui, il est question d’accélérer la mise en place de l’instrument qui doit lui succéder : le mécanisme européen de stabilité. On s’y perd un peu !
Le grand enjeu de la réunion du 9 décembre, nous dit-on, c’est l’inscription dans les traités d’un mécanisme de surveillance budgétaire. Or nous disposons déjà du pacte de stabilité et de croissance ; nous avons depuis un an le semestre européen de coordination des politiques budgétaires ; depuis le mois d’octobre dernier, nous disposons du « paquet gouvernance » – aussi appelé le six pack –, dont la préparation a nécessité dix-huit mois de négociations entre le Parlement européen et le Conseil européen. Il faut croire que tous ces dispositifs n’étaient pas suffisants, puisqu’il s’agit désormais d’inscrire la surveillance budgétaire dans le marbre des traités.
Mais, dans le nouveau traité, qu’y aura-t-il de plus ?
En cas de déficit excessif, des sanctions automatiques seront prononcées. Au moment de la négociation du « paquet gouvernance », la France y était opposée ; depuis avant-hier, elle y est favorable…
Le Conseil se prononcera à la majorité qualifiée inversée : les propositions de la Commission européenne seront adoptées, sauf s’il se trouve une majorité qualifiée pour s’y opposer. À cette mesure aussi, monsieur le ministre, la France était hostile il y a un mois ; désormais, elle y est favorable…
Quels changements se sont-ils produits entre-temps ? Nous ne le savons pas.
J’ai le regret de le dire : on a l’impression de beaucoup de tâtonnements, d’improvisation, alors que nous aurions besoin d’une vision pour l’avenir de l’Europe !
On a aussi le sentiment d’un déphasage. Or il y a urgence. Tous les signes d’une récession sont là : la notation de la dette des États membres est menacée de dégradation et le taux de chômage moyen dans la zone euro dépasse 10 %. Et le remède qu’on nous propose est une nouvelle révision des traités !
Je rappelle que des années ont été nécessaires pour mener à bien la révision précédente. Certes, la révision envisagée concerne seulement quelques points. Mais ils sont majeurs, puisqu’ils touchent à la procédure budgétaire dans les pays européens. Pendant des mois, les négociations, puis le processus de ratification vont susciter des divisions entre les États membres et à l’intérieur de chacun d’eux. Est-ce bien de cela dont nous avons besoin actuellement ?
Nous le constatons tous, le problème de l’endettement public en Europe est devenu prioritaire. La situation des États-Unis n’est d’ailleurs pas meilleure que la nôtre, même si elle semble curieusement susciter moins d’alarme.
Devant un problème de cette ampleur, peut-on réellement penser qu’un nouveau gage donné aux marchés suffira à nous remettre dans le bon chemin ?
C’est la récession qui a porté les dettes publiques à leur niveau actuel. Ce qui pourra desserrer l’étau de la dette, c’est la croissance, seulement la croissance ! Et ce n’est pas un traité durcissant une fois de plus le pacte de stabilité et de croissance qui réglera le problème : sans croissance, l’endettement des pays européens n’est pas soutenable.
Nous n’avons donc aucune chance de régler la difficulté en restant dans la spirale de l’austérité. En Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, nous en voyons bien les effets : les restrictions budgétaires provoquent un recul de l’activité, après quoi il faut annoncer des mesures encore plus restrictives, et ainsi de suite.
En Grèce, le recul de l’activité atteint au moins 10 % depuis le début des restrictions budgétaires. Ce n’est pas en gravant une telle politique dans le marbre des traités que nous éviterons ou surmonterons la récession en Europe.
La commission des affaires européennes a récemment examiné la situation de l’Italie, sur le fondement du rapport de notre collègue Jean-François Humbert, ici présent et que je salue.
Lorsque l’on considère la situation budgétaire de ce pays, on a le sentiment qu’elle n’est pas si mauvaise. Abstraction faite de la charge de la dette, le budget est en équilibre ; il devrait même, l’année prochaine, être en excédent.
Pourquoi donc les marchés imposent-ils à l’Italie des taux d’intérêt aussi élevés, supérieurs à 7 % ? Parce que l’économie italienne, en stagnation depuis plusieurs années, n’a aucune perspective de croissance. Or, sans croissance, comment éponger une dette qui représente 120 % du PIB ?
C’est pourquoi le nouveau gouvernement de Mario Monti a eu la sagesse d’accompagner son plan de rigueur de 20 milliards d’euros d’un plan destiné à relancer la croissance, qui représente 10 milliards d’euros. C’est d’une telle politique dont nous avons besoin pour l’Europe. Si une gestion rigoureuse des finances publiques nationales est nécessaire – personne ne peut prétendre le contraire : nous ne pouvons y échapper –, il faut également, dans nos pays, savoir entreprendre des réformes qui lèvent les obstacles pesant sur la croissance.
Au même moment, il faut soutenir, à l’échelle de l’Union européenne, les grands projets structurants nécessaires dans les domaines des transports, de l’énergie et des communications.
Dans son projet de cadre financier pluriannuel, la Commission européenne a proposé d’affecter 50 milliards d’euros à de tels grands projets, avec la perspective d’un effet de levier important par l’association du secteur privé. C’est un exemple de ce qu’il faut faire. Les 80 milliards d’euros prévus pour la recherche et l’innovation en sont un autre exemple. Il en est de même des projets ITER et GMES, qui peuvent redonner un élan à la technologie européenne.
Inscrire dans le budget européen les moyens nécessaires aux politiques d’avenir aidera à recréer des anticipations de croissance en Europe. Nous n’avons pas d’autre moyen. Vouloir imposer au budget européen les mêmes restrictions qu’aux budgets nationaux, c’est se tromper de combat.
Mais une telle politique suppose que le budget européen soit, au moins à hauteur des sommes nécessaires au financement des dépenses d’avenir, alimenté par de véritables ressources propres, au lieu d’un prélèvement sur des budgets nationaux qui n’ont plus de marge. Notre collègue Pierre-Bernard Reymond l’a bien montré devant notre commission : tant que les relations entre les budgets nationaux et le budget européen seront un jeu à somme nulle, nous ne pourrons pas avancer. Le budget européen a besoin d’un financement qui lui soit propre !
Un autre moyen existe de dégager, à l’échelle européenne, des ressources pour financer les dépenses d’avenir : les fameux project bonds, obligations émises par la Banque européenne d’investissement pour aider au financement des dépenses d’infrastructures et à la réorientation de l’activité dans une perspective de développement durable. Il est impératif de développer le recours à ces obligations et, pour cela, d’augmenter la capacité de financement de la BEI.
De grands projets tournés vers l’avenir sont nécessaires pour redonner un sens à la construction européenne. Car les citoyens s’en éloigneront si elle finit, au contraire, par s’identifier à une interminable purge ! Ils s’en éloigneront également s’ils ont le sentiment qu’un déficit démocratique se réinstalle en Europe. Or le centre de décision est en train de se déplacer vers les sommets de la zone euro : c’est là, en réalité, que se prennent les décisions, sans que ni les parlements nationaux ni le Parlement européen ne soient associés.
Certes, des débats ont lieu à l’échelle nationale, comme celui de cet après-midi, et c’est une très bonne chose. Mais nous avons également besoin que les parlements nationaux puissent débattre ensemble, à l’échelle de la zone euro et en liaison avec le Parlement européen, pour faire entendre les préoccupations des citoyens.
Les sommets de la zone euro ont besoin d’une sorte de pendant parlementaire, sans lequel persistera un vide démocratique préjudiciable à la légitimité de la construction européenne. C’est une proposition que j’ai faite, en tant que président de la commission des affaires européennes, à M. le président du Sénat.
Nos concitoyens ont besoin de perspectives d’avenir pour continuer à consommer et à investir. Ils ont aussi besoin de justice dans les efforts qui leur sont demandés, alors que les politiques d’austérité touchent d’abord les plus modestes et creusent les inégalités. Ils ont enfin besoin de démocratie : la construction européenne ne doit pas être un moyen de les tenir à l’écart.
Je le répète avec force : la rigueur n’est pas une politique, mais seulement un moyen. Nous devons cesser de confondre le moyen et la fin. Nous devons redonner du sens à la construction européenne. Dans cette période de crise, nous en avons plus que jamais besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l'économie.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’avant-veille du Conseil européen du 9 décembre, je veux insister sur le contexte particulièrement difficile que traversent l’Europe ainsi que la France et sur les mesures économiques qui devront être mises en œuvre dans les mois et les années qui viennent. Je souhaite également vous faire part de l’inquiétude que m’inspire le déroulement du sommet de Durban et dénoncer la faiblesse collective dont, nous Européens, faisons preuve, alors qu’on peut craindre d’assister à un « Copenhague bis » et que le protocole de Kyoto arrive à son crépuscule.
Contrairement à l’idée reçue, il est possible, et même souhaitable, d’articuler les solutions visant à juguler les crises économique et financière et celles répondant au défi posé à l’humanité par le réchauffement climatique. Nous considérons que la conjonction des principes d’intérêt général et de réalité, qui guident notre action, doit permettre l’émergence d’une véritable politique énergétique européenne en lieu et place de ce succédané de régulation de marché qui en tient lieu.
Le 1er décembre, le Parlement européen a voté un budget qui, parce qu’il ne répond pas aux attentes quant au rôle que doit jouer l’Europe face à la crise, pose problème. Celle-ci doit mobiliser la Commission dans un rôle qui dépasse celui de la simple animation.
Ce budget est le reflet de notre absence d’ambition et de vision collective. Il traduit également cette incapacité des États moteurs, à savoir l’Allemagne, la France et l’Italie, à prendre la mesure de ce qui menace l’euro et à aborder les questions essentielles, à savoir les eurobonds, l’élargissement du FESF et les missions qui devraient être dévolues à la Banque centrale européenne.
Même pointée comme une priorité par ce budget, la croissance européenne sera insuffisamment soutenue. En effet, elle sera en partie sapée par la multiplication des plans d’austérité nationaux.
Le climat économique se détériore. L’indicateur « du sentiment économique » a de nouveau baissé d’un point au sein de l’Union européenne – 92,8 au lieu de 93,7. Il s’est particulièrement dégradé aux Pays-Bas et en France – une baisse de 3,7 points –, ce qui annonce une nouvelle détérioration des fondamentaux économiques.
Les prévisions de croissance de la Commission ont d’ores et déjà été revues à la baisse et atteignent un niveau critique : en 2012, la croissance ne sera que de 0,6 % au sein de l’Union européenne – 0,5 % dans la zone euro – et de 1,5 % en 2013, contre 1,3 % au sein de la zone euro. Certaines économies, comme celles de la Grèce et du Portugal, subiront donc à nouveau une contraction assez marquée de leur produit intérieur brut.
Le chômage continue de croître et dépasse désormais les 10 % pour l’ensemble de l’Union européenne. Même l’Allemagne, qui réalise les trois quarts de son excédent commercial avec ses partenaires européens, devrait subir les conséquences de la crise européenne.
Il s’agit non pas d’une critique germanophobe, comme se plairaient à le dire d’éminents membres de l’exécutif, mais d’une invitation à l’instauration d’un véritable gouvernement économique à l’échelle de l’Union européenne.
S’agissant des mesures visant à juguler la crise financière, la décision du dernier Conseil européen de renforcer les fonds propres des banques de 9 % va dans le bon sens. Il faut restaurer la confiance. Cependant, il faut aller plus loin. Ainsi, la recapitalisation à venir doit s’accompagner d’une implication accrue des acteurs publics dans le secteur bancaire.
Afin de juguler les offensives spéculatives, le Fonds européen de stabilité financière, placé depuis hier sous surveillance par Standard & Poor’s, doit être beaucoup plus fortement doté et une taxe sur les transactions financières encouragée. Il en est question depuis un certain temps.
Dans l’idéal, ce fonds doit travailler avec la Banque centrale européenne et être en mesure de se refinancer auprès d’elle. Le rôle de la BCE doit également évoluer, et la dette européenne doit être partiellement mutualisée par la mise en place d’eurobonds.
J’ai conscience que ces solutions sont connues et aujourd’hui en débat ; néanmoins, ce qui nous frappe, c’est qu’elles tardent à se concrétiser. L’impression prévaut que nous avons toujours un métro de retard par rapport aux marchés et à la spéculation.
Parallèlement à cette crise systémique financière qui nous affecte à court terme et à l’atonie de nos économies à moyen terme, il ne faut pas perdre de vue le défi du changement climatique. En effet, il est heureux que le Conseil européen ait mis à l’ordre du jour un point concernant la question énergétique. Plus que jamais après la catastrophe de Fukushima, il s’agit d’un défi qui, dépassant les questions économiques, affecte nos sociétés et s’impose à l’humanité.
C’est dans ce cadre que s’est inscrite la politique d’efficacité énergétique découlant du Conseil européen de mars 2007. Celle-ci a été transposée en droit français en novembre dernier. Pour rappel, elle imposait trois objectifs d’ici à 2020, les fameux « trois fois vingt ».
Nous savons que, à l’heure actuelle, ces objectifs sont inatteignables. Ainsi, l’étude d’impact accompagnant la directive de 2009 montre que, en dépit des mesures prises, la réduction de la consommation d’énergie sera seulement de 9 % en 2020.
Ces mesures restent néanmoins le levier le plus efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ces économies représentent 50 % de l’effort à consentir en la matière.
Ces mesures contribuent par ailleurs à la réduction de la facture énergétique des ménages, des entreprises et des États, tout en diminuant notre dépendance à l’égard des sources d’approvisionnement en énergie fossiles.
En revanche, force est de constater que les perspectives de développement technologique ne représentent pas un levier d’action suffisant pour améliorer la dynamique de réduction des gaz à effet de serre, qu’il s’agisse des énergies renouvelables ou du captage et de la séquestration du dioxyde de carbone.
Autre difficulté, les gaz à effet de serre méconnaissent les frontières alors que nos politiques énergétiques sont éminemment nationales.
L’autre défi que doivent relever les politiques énergétiques est la dépendance de nos économies vis-à-vis du pétrole. Les prix sont tendanciellement à la hausse et sujets à une volatilité qui entrave toute planification de long terme.
Il est donc évident que l’Union européenne est l’échelon le plus légitime et le plus pertinent pour agir dans le domaine du changement climatique. Cela ne peut se faire qu’en instaurant une véritable politique énergétique européenne. Or celle-ci est encore à l’état de gestation et se réduit à une dérégulation des secteurs nationaux de l’énergie et uniquement à la constitution d’un marché. Cette politique repose principalement sur le recours à la concurrence afin d’éviter la constitution de monopoles et sur le motif assez fallacieux de la baisse des prix. Elle conduit en réalité à l’émergence artificielle de marchés qu’accaparent des spéculateurs.
Comme en témoignent les exemples britannique ou américain, la concurrence ne fait pas baisser les prix ; au contraire, ceux-ci deviennent plus volatils.
Aujourd’hui, le défi climatique menace notre civilisation et les crises économiques bouleversent nos sociétés. Les conditions sont donc réunies pour qu’émerge une politique énergétique européenne qui se projetterait hors du cadre national.
Il est tout de même étonnant que l’Europe, qui puise ses origines dans les traités ayant établi la Communauté européenne du charbon et de l’acier et l’Euratom, n’ait pas continué sur sa lancée et ne conduise pas une véritable politique énergétique. Il serait donc souhaitable, en particulier, de réformer l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie afin de promouvoir le développement d’infrastructures énergétiques à l’échelle européenne.
Dans la tradition historique de la construction de l’Union européenne, j’appelle de mes vœux la construction d’une véritable politique énergétique pour relever ce défi que représente le changement climatique. Nous savons tous que c’est là le principal problème auquel sera confrontée notre planète. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Jean Bizet applaudissent également.)