M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 11 octobre dernier, nous étions à la veille d’un accord qui s’annonçait comme historique. Cet accord, conjugué aux décisions prises lors du sommet du G20 à Cannes, était censé donner un effet de levier au FESF et permettre à la zone euro de sortir de la crise.
Las, les solutions retenues le 26 octobre n’ont séduit personne. Les désaccords entre États étaient tels que l’on n’a pas su aller plus loin que de transposer au financement des États de la zone euro des techniques financières très sophistiquées, celles-là même qui ont conduit au déclenchement de la crise des subprimes. C’est un très mauvais exemple de lisibilité politique.
Aujourd’hui, les besoins de financement des États sont toujours les mêmes, mais l’effet de levier que l’on escomptait n’a pas été à la hauteur des attentes. On estime désormais à un levier de deux l’effet des mesures prises le 26 octobre.
Mais l’actualité va vite. En effet, le président Van Rompuy vient de rendre public un document dans lequel il évoque la possibilité de l’entrée en vigueur anticipée à 2012 du mécanisme européen de stabilité, au lieu de 2013, comme cela était initialement prévu. Mais, dans son hypothèse, ce dernier ne prendrait plus le relais du FESF, mais fonctionnerait parallèlement à celui-ci.
Monsieur le ministre, la représentation nationale est en droit de s’interroger sur ce qui est vraiment sur la table à la veille du sommet.
J’en viens à l’annonce qui a été faite de la négociation, dans des délais très brefs, d’un nouveau traité.
Or rien n’est moins sûr. De quoi parle-t-on ? D’un traité ? D’un avenant à un protocole ? Selon les solutions retenues, faudra-t-il ou non organiser une conférence intergouvernementale ? Une convention ?
Si l’on répond par l’affirmative à toutes ces questions, se pose alors le problème des délais. Ceux-ci sont-ils tenables ?
En la matière, nous sommes instruits par l’expérience. Je rappelle qu’il aura fallu un an pour arrêter le « paquet gouvernance ». Les modifications purement techniques apportées en mars au FESF sont entrées en vigueur seulement en novembre. Tout cela ne nous rassure pas.
L’idée que l’on puisse céder au Royaume-Uni sur la question de l’unanimité en matière de régulation financière, ainsi que le demande le Premier ministre britannique David Cameron, en échange de son soutien au processus, n’est pas rassurante.
S’agissant de la France, négocier un traité en pleine campagne électorale ne sera pas très facile, sauf à imaginer que cette négociation s’inscrit dans la stratégie de campagne du Président de la République. C’est peut-être du mauvais esprit, mais on peut s’interroger.
À supposer que ce traité voie le jour en dépit de tous ces aléas, il faudra bien le ratifier et donc faire entrer dans le jeu les peuples, qui ne peuvent plus être tenus à l’écart de ces questions.
Des référendums seront peut-être organisés. Il faut donc imaginer la situation qui serait celle du continent européen : des États en proie à des difficultés de financement, qui seront dans une situation économique probablement récessive, si l’on en croit les prévisions, et confrontées à des divisions politiques marquées.
Compte tenu de l’ensemble de ces aléas, on en vient finalement à se demander si le scénario qui nous est proposé n’a pas été écrit pour ne jamais se réaliser, mais seulement, encore une fois, pour gagner du temps et légitimer ainsi une intervention de la Banque centrale européenne.
Cette interrogation n’est pas futile. Certes, c’est habile, mais, quel que soit le cas de figure, reconnaissez, monsieur le ministre, que tout cela n’est pas gage de crédibilité. Or c’est bien ce doute sur la capacité des chefs d’État à décider qui a été le facteur déclenchant de la mise sous surveillance négative par une agence de notation de la quasi-totalité des pays de l’Union européenne.
La seconde raison qui a justifié cette mise sous surveillance, ainsi que le révèle l’analyse de cette agence, est la crainte que l’Europe, acteur majeur dans la sphère mondiale, n’entre en récession ou ne connaisse une croissance en berne.
Précisément, il faut rappeler les propos qu’a tenus le gouverneur Mario Draghi le 1er décembre lorsqu’il a envisagé un rôle plus actif pour la BCE si les États convenaient d’un « pacte budgétaire ».
Tel est le sujet que je souhaite aborder à présent.
Avec ce pacte budgétaire, on s’interroge : ne passe-t-on pas à côté du remède au mal dont souffre la zone euro ? Pourtant, ce mal est connu. D’une part, les dirigeants européens ne savent pas prendre les décisions structurantes : ils se contentent d’expédients. D’autre part, les perspectives de croissance des États de la zone euro restent très sombres.
De fait, cette incapacité à décider et ce risque de récession sont les symptômes du manque d’ambition politique dont souffre l’Europe.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Or les réponses qui nous sont proposées pour résoudre ce problème se focalisent uniquement sur la discipline budgétaire.
On peut certes concevoir, surtout lorsqu’il s’agit d’engager une négociation, que des gages soient nécessaires pour permettre à la BCE d’agir. Toutefois, se contenter de fournir de semblables garanties sans tracer des perspectives d’amélioration de la gouvernance et de fonctionnement de la zone euro ne sera évidemment pas de nature à rassurer les investisseurs qui, eux, attendent des avancées en matière d’intégration économique et financière.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Oui, mais cela a des conséquences, mon cher collègue. Tant que l’émission d’eurobonds et surtout la mise en œuvre d’une politique budgétaire plus intégrée – l’un et l’autre vont de pair – ne seront pas au moins considérées comme des objectifs politiques de moyen terme, l’horizon sera obscur, non seulement pour les peuples, mais aussi pour les investisseurs et les marchés.
L’horizon ne s’éclaircira pas non plus tant que persistera l’ambiguïté des choix institutionnels.
Le Président de la République prononce souvent le terme « intergouvernemental », tandis que la Chancelière allemande, Mme Merkel, évoque pour sa part l’intégration communautaire. Les mots sont toujours révélateurs de la pensée !
Pour conclure, j’en viens à la traduction nationale de l’accord franco-allemand. Comme les deux propositions de règlement de la Commission du 30 novembre dernier, ce texte va conduire le Gouvernement à de sérieuses remises en cause.
Dans le nouveau cadre européen, l’hypothèse de croissance retenue pour élaborer les lois de finances dont nous discutons ces jours-ci aurait dû être fixée par un organisme indépendant. Cette disposition figure dans l’un des projets de règlement, et le Sénat propose d’ailleurs sa mise en œuvre depuis longtemps. Dans l’opposition comme dans la majorité, j’ai toujours été favorable à une telle mesure, que d’autres pays de la zone euro appliquent d’ores et déjà, mais que le Gouvernement a toujours repoussée.
De surcroît, la règle d’or est à nouveau d’actualité. Au reste, ce matin, alors que la commission des finances examinait le projet de loi de finances rectificative, j’ai indiqué que la règle constitutionnelle adoptée en juillet par les deux assemblées ne serait pas conforme aux nouvelles exigences si celles-ci étaient retenues. Il me semble d’ailleurs que le ministre de l’économie a tenu des propos dans le même esprit.
M. le président. Veuillez conclure, madame la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Si nous conservons des hypothèses économiques délibérément optimistes, cette règle risque fort d’être contournée. Il faut donc que le Gouvernement en propose une nouvelle rédaction.
Je rappelle à ce titre que tous les travaux préparatoires à la révision constitutionnelle ont mis au jour deux inconvénients majeurs de la règle d’or allemande.
Premièrement, cette règle est politiquement incompréhensible : je vous souhaite bien du plaisir, mes chers collègues, si vous tentez d’expliquer à vos électeurs ce qu’est le solde structurel ! Ils auront bien du mal à vous comprendre. Au reste, lors de ses travaux préparatoires, la commission Camdessus avait écarté la notion même de solde structurel. (M. Michel Delebarre acquiesce.)
Deuxièmement, cette règle est inapplicable. En effet, aucun économiste ne s’accorde sur le commencement ou sur le terme des cycles économiques.
M. le président. Il faut vraiment conclure, madame la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Le Gouvernement s’apprête à élaborer un nouveau dispositif mais il semble à court d’idées, puisqu’il ne cesse de demander leur avis aux socialistes ! (M. Jean Bizet s’esclaffe.)
M. Aymeri de Montesquiou. C’est un cas de légitime défense !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Or nous nous opposons au principe même d’une règle constitutionnelle. La meilleure méthode consiste à établir une trajectoire crédible et à s’y tenir, soit l’exact contraire de la politique menée par le Gouvernement !
Monsieur le ministre, en maniant cette règle d’or, la majorité que vous représentez joue avec le feu ! Vous vous êtes engagés seuls dans une impasse dont vous aurez bien du mal à sortir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes au porte-parole de chaque groupe politique.
Le Gouvernement répondra ensuite aux commissions et aux orateurs.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus, la réunion du Conseil européen, dont nous débattons ce soir et qui commencera dès demain, est dramatisée et présentée à l’opinion publique comme le sommet de la dernière chance pour sauver l’euro ; une fois de plus, les tractations et les désaccords entre les gouvernements français et allemands ont été mis en scène ces jours derniers, avant l’annonce du compromis de lundi.
Ce fut tout d’abord le meeting électoral du Président de la République à Toulon sur l’avenir de l’Europe ; le président-candidat a alors tenté de se présenter, une nouvelle fois, comme le sauveur de l’euro et le garant des intérêts de notre pays.
Puis, vendredi, ce fut au tour de la Chancelière allemande de tracer, devant le Bundestag, les grandes lignes du plan de sauvetage de l’euro qu’elle défendra demain à Bruxelles. Mme Merkel a martelé devant sa majorité parlementaire qu’elle ne céderait sur rien : ni sur le rôle de la BCE, ni sur la mise sous tutelle des budgets nationaux et les sanctions à l’égard des gouvernements qui s’écarteraient de l’orthodoxie budgétaire – c’est-à-dire ceux qui refuseraient l’austérité pour leur peuple –, ni bien entendu sur la mutualisation des dettes avec la création d’euro-obligations.
Enfin, lundi, à la suite de la rencontre entre le Président de la République et la Chancelière, ce fut l’annonce d’un accord a minima sur des positions communes qui seront présentées au cours de ce Conseil qu’on qualifie – une fois de plus ! – de décisif.
Il est frappant de constater combien ce compromis n’a pas suffi à satisfaire les exigences des marchés financiers, qui demandent toujours plus aux gouvernements, quoi qu’ils fassent.
Mais il y a plus grave. Alors même que le contenu de l’accord franco-allemand était à peine dévoilé, l’agence de notation Standard & Poor’s menaçait déjà de dégrader dans quelques semaines la note de quinze des dix-sept États de la zone euro et même de réduire le triple A de la France et de l’Allemagne.
Cette arrogance d’organismes privés au service des marchés financiers devient pour le moins intolérable. De fait, ces agences se permettent de signifier de manière désinvolte, à des gouvernements démocratiquement élus, que les marchés ne tiendront aucun compte des mesures adoptées et, pis, qu’ils continueront à spéculer pour détruire les économies de chaque pays.
Il faut être lucide et réaliste : un tel constat augure bien mal des résultats du Conseil de jeudi et vendredi, au cours duquel les États membres devront se prononcer sur ce nouveau plan franco-allemand de réforme de la zone euro.
De Conseil en Conseil, quelques décisions sont prises, quelques mesures sont proposées, mais la situation continue de se dégrader et les attaques des marchés reprennent de plus belle. Ces sommets à répétition ne parviennent à résoudre aucun problème, et l’on voudrait nous faire croire que, grâce à ce nouveau plan franco-allemand, les États vont désormais reprendre la main, d’autant qu’ils se réuniront chaque mois, tant que la crise ne sera pas achevée.
Voilà bien la preuve que les mesures préconisées tendant à une austérité et à un autoritarisme toujours croissants font fausse route, qu’elles entraînent les économies européennes dans la spirale déclinante de l’asphyxie de la croissance, de la récession, du moins-disant fiscal et social, et surtout qu’elles sont inefficaces pour prémunir l’Europe contre la malfaisance des marchés financiers.
Monsieur le ministre, ne tentez surtout pas nous faire croire que, aujourd’hui, face aux menaces des agences de notation, il n’y aurait pas d’autre solution que l’union sacrée autour du Président de la République et du Gouvernement !
Concernant le contenu de l’accord, je ne chercherai pas à déterminer qui a cédé devant qui. Dans tout compromis chacun fait des concessions.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Michel Billout. Au demeurant, je ne suis pas dupe des différences d’appréciation et de méthode qui sont montées en épingle, à des fins électorales internes, par deux dirigeants qui sont d’ores et déjà en campagne.
Toutefois, de l’avis de la quasi-totalité des observateurs, il apparaît que les positions du gouvernement allemand l’ont largement emporté et que les concessions ont été principalement accordées par Nicolas Sarkozy.
La perspective d’une intervention accrue de la BCE pour prêter directement aux États, condition essentielle pour lutter contre la spéculation des marchés sur les dettes souveraines, a été totalement écartée par Angela Merkel.
S’il accélère la mise en place d’un fonds d’assistance financière permanent, l’accord ne prévoit aucunement d’instituer une véritable solidarité financière entre les pays de la zone euro.
En revanche, le chef de l’État a accepté une hypothétique révision des traités qui imposerait la loi d’airain de la lutte aveugle contre les déficits, un contrôle accru de la Commission sur les budgets nationaux et des sanctions automatiques pour les États qui n’auraient pas respecté la règle des 3 % de déficit.
En outre, les États devront réviser leur Constitution pour y inscrire le dogme du respect à tout prix de l’équilibre budgétaire, un véritable carcan rendant impossible toute politique alternative : telle est également la réalité de l’accord.
L’annonce d’une future révision des traités dans un sens aussi autoritaire et antidémocratique ne peut nullement répondre à l’urgence de la situation : surtout pas cette révision-là !
Accepter ces contrôles autoritaires et ces sanctions, c’est non seulement priver les États de leur souveraineté budgétaire, mais aussi consentir à ce qu’une institution supranationale dicte à des gouvernements élus leurs politiques économiques et sociales.
Pour sortir de la crise des dettes souveraines, il faut impérativement que les États se donnent les moyens de s’opposer au diktat des marchés financiers.
Monsieur le ministre, pour notre part, à la veille de chaque Conseil, nous ne cesserons de vous opposer les changements radicaux d’orientation et les mesures que nous proposons.
Conjointement avec les députés de Die Linke au Bundestag – voyez qu’il n’y a pas une once de germanophobie de notre part ! –, nous soutenons notamment la création d’un fonds de développement social, solidaire et écologique à l’échelle européenne : sa logique différerait de l’actuel FESF, auquel les États refusent d’ailleurs d’accorder les moyens promis, à tel point qu’on évoque désormais un simple « mécanisme de stabilité » ! Pour se libérer durablement de la tutelle des marchés, ce fonds devrait être soutenu par la BCE, enfin autorisée à prêter directement aux États.
Par ailleurs, la question majeure de la régulation du système bancaire et de la recapitalisation des banques pourrait être résolue par une prise de participation majoritaire des États au capital de certains établissements.
Toutefois, sans attendre la mise en œuvre de telles mesures à l’échelle européenne, les transferts de souveraineté budgétaire auxquels nous avons consenti peuvent nous laisser quelques marges de manœuvre nationales : l’interdiction des ventes à découvert, la réglementation du droit à créer des produits dérivés, le rétablissement d’un « passeport » national pour les fonds spéculatifs, l’abolition des privilèges d’auto-saisine des agences de notation, ou bien encore l’arrêt de la cotation en continu des entreprises. Voilà quelques mesures qui pourraient rapidement voir le jour !
Faute de changer de logique, voire de logiciel d’analyse, les propositions présentées par la France et par l’Allemagne au prochain Conseil ne pourront qu’aggraver la situation économique et sociale des peuples d’Europe. J’en suis plus que jamais convaincu.
Monsieur le ministre, telles sont les analyses critiques dont je souhaitais vous faire part au nom du groupe communiste, républicain et citoyen à la veille de ce Conseil. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de sujets ont déjà été abordés par les précédents orateurs et, dans un débat tel que celui-ci, certaines remarques se révéleront nécessairement redondantes.
Quoi qu’il en soit, de sommets décisifs en sommets de la dernière chance, l’Union européenne peine à apporter une réponse crédible à la crise de la dette qui ébranle la zone euro. Sauf erreur de ma part, le Conseil du 9 décembre a déjà été précédé de vingt-trois autres réunions ! Ce seul chiffre traduit les difficultés que rencontrent nos dirigeants à faire avancer la situation.
De fait, entre la perte désormais possible du fameux triple A de certains pays et les besoins de refinancement immédiat que d’autres États éprouvent, la monnaie commune s’attend à des heures encore plus agitées sur les marchés. Certains observateurs se demandent même si l’euro existera toujours en janvier.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est juste !
M. Jean-Pierre Plancade. Comment est-on arrivé à cette extrémité ? Depuis longtemps, l’Union européenne donne l’impression d’hésiter, de douter. Les mesures ont été adoptées sous la pression des circonstances et non dans l’enthousiasme d’un projet tourné vers l’avenir.
De plus, face à une possible débâcle annoncée – que je ne souhaite pas –, les responsables européens ont rivalisé de propositions technocratiques, lointaines, inadaptées et souvent insuffisantes. Il suffit d’observer la situation telle qu’elle se présentait avant l’été : en juillet, le Fonds européen de stabilité financière apparaissait déjà comme insuffisant et limité.
Nous sommes sans cesse en retard d’une ou plusieurs batailles, et nous observons aujourd’hui un complet décalage entre la violence des attaques spéculatives, d’une part, et les réponses des institutions économiques et politiques, d’autre part.
Le politique ne peut plus continuer à être à ce point en décalage et en retard avec l’économique, le monétaire et le financier. N’oublions jamais ce principe de base : au final, c’est bien le politique qui doit imposer sa loi aux marchés.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Plancade. Mes chers collègues, aujourd’hui, l’euro est déserté par les grands investisseurs étrangers et assiégé sur les marchés.
Chacun voit bien que, malgré les plans de rigueur, les attaques continuent. En réalité, ce qui est en cause aujourd’hui, ce n’est pas seulement la santé financière de la Grèce, de la France, de l’Italie ou même de l’Allemagne, mais bien la capacité politique de l’Europe à faire face à la crise. Ce qui inquiète vraiment les investisseurs, c’est finalement l’absence d’une volonté forte, puissante et durable d’emmener l’Europe jusqu’au bout.
Cette Europe est impuissante, incapable d’opposer une véritable résistance à un engrenage économique et financier devenu fou, et qui pourrait bien causer sa perte.
Le seul mérite que pourraient avoir, à mes yeux, les agences de notation, c’est d’appeler, une fois de plus, à une gouvernance politique. Les radicaux de gauche plaident depuis longtemps pour une gouvernance commune et une coordination des politiques économique et budgétaire.
Aujourd’hui, pour tenter d’éteindre l’incendie de la crise de la dette, le Président de la République nous propose une « refondation de l’Europe ». Cet objectif, au demeurant ambitieux, s’est traduit par l’accord franco-allemand, présenté lundi à l’Élysée, mais dont on ne connaît pas précisément les contours, comme notre collègue l’a brillamment exposé.
Il est question d’une révision des traités fondée sur la discipline budgétaire. Pourquoi pas ! En réalité, on constate surtout notre incapacité à répondre immédiatement à la crise.
Je crains que, une fois de plus, comme en son temps Romani Prodi a pu le dire, ce soit « toujours trop peu et trop tard ». Entre-temps, les spéculateurs pourront continuer à attaquer la monnaie européenne. Alors oui, aujourd’hui, il faut remettre de l’ordre et de la discipline budgétaire !
Je crains également que l’élaboration et la ratification de ce traité prennent de longs mois, peut-être même un an. Autant dire que l’Europe aura le temps de brûler d’ici là. Ce n’est pas la réplique immédiate que l’on pouvait espérer.
Personne ne peut contester le principe d’une discipline budgétaire. Cependant, on ne peut pas proposer aux peuples d’Europe austérité, rigueur et sanctions. Ce n’est pas un tel programme qui refondera l’Europe.
L’unité franco-allemande est bien sûr indispensable, les règles du pacte de stabilité doivent être respectées, aujourd’hui comme hier, ne serait-ce qu’au regard des générations futures et pour ne pas aliéner la maîtrise de notre souveraineté aux créanciers privés et aux grands États émergents. Cependant, l’austérité et la rigueur appliquées à la lettre, sans discernement, priveraient aussi les capitales européennes des moyens économiques de contrer la récession. Parce qu’il ne faut jamais oublier que ce sont l’investissement et la croissance qui relanceront l’activité économique et permettront de combattre le chômage !
Je me refuse avec détermination à penser que la seule perspective qui puisse être offerte aux peuples d’Europe soit celle des sanctions et des punitions. On voit les ravages de l’exemple grec… Et aujourd’hui, parler de révision des traités uniquement sous l’angle comptable et budgétaire, c’est proposer aux Européens une Europe régressive et disciplinaire qu’ils ne pourront pas accepter.
Des solutions existent pour remettre la zone euro sur les rails, comme la mutualisation des dettes souveraines et l’émission d’euro-obligations.
L’inflexibilité de la Chancelière allemande commence d’ailleurs à être critiquée en Allemagne même. Ainsi, l’ancien Chancelier Helmut Schmidt ou le commissaire Günther Oettinger, pourtant issu de la CDU, plaident désormais pour une telle solution et l’intervention accrue de la BCE. « Si la BCE ne devait pas agir, […] nous courons à la catastrophe », a même dit l’un d’entre eux.
Il est temps que la France s’inscrive dans une autre logique. Elle doit changer de cap et proposer, en liaison avec d’autres gouvernements européens, une véritable solidarité européenne et une véritable initiative de croissance européenne, seule à même de desserrer le carcan pesant sur les pays déficitaires et d’offrir un horizon d’espoir à leurs citoyens.
Oui, à la discipline budgétaire ! Mais oui aussi aux dépenses d’investissement, qui, seules, peuvent générer la croissance !
L’Union européenne doit contribuer à répondre aux défis du chômage, qui a franchi la barre des 10 % en Europe, et au ralentissement global de l’activité économique. Cela suppose un vaste programme de recherche et d’investissements, notamment en infrastructures.
Les radicaux de gauche plaident pour un véritable gouvernement économique, pour une harmonisation fiscale, pour un budget de l’Union à la hauteur des enjeux, pour une capacité d’emprunt, sans parler d’une approche volontariste dans le domaine social. Plus largement, nous appelons de nos vœux la formation d’une Europe fédérale, forme de gouvernement sans laquelle les égoïsmes nationaux prendront toujours le pas sur la solidarité européenne.
Il reste à espérer que les chefs d’État et de gouvernement puissent faire montre d’une telle vision globale et prospective. Le Conseil européen du 9 décembre leur fournira, s’ils la saisissent, une bonne occasion de le démontrer.
Nous serons vigilants et attentifs, car il y va de l’avenir de l’Europe et de son idée même !
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai en mémoire la réponse d’un célèbre homme d’État à la question : « Qu’est-ce que la guerre ? » « Ce sont des gens qui se connaissent et qui font se battre des gens qui ne se connaissent pas », répondait-il. Nous sommes un peu dans la même situation aujourd’hui, avec des financiers qui se connaissent, des spéculateurs qui se fréquentent et qui, par une avidité sans mesure, sont en train de faire payer leurs choix aveugles à des millions de gens qui ne se connaissent pas, qui n’ont rien demandé, et qui ont simplement envie de vivre honnêtement de leur travail.
Il est grand temps que le politique reprenne le dessus ! C’est cette évidence que je voulais rappeler ce soir, au nom du groupe du Rassemblement démocratique et social européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Aymeri de Montesquiou applaudissent également.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Le politique doit reprendre le contrôle dans tous les domaines !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe de l’UMP.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc à la veille d’une réunion très attendue – trop attendue peut-être – du Conseil européen. Depuis six mois, nous attendons toujours la réunion qui va enfin sortir l’Europe de l’ornière. Or, comme l’a souligné la Chancelière allemande, il faut se placer dans la durée. Le problème de l’endettement de la zone euro réclamera des années d’efforts, pour l’Allemagne comme pour les autres pays d’ailleurs.
Ce problème sera d’autant plus difficile à régler qu’il touche aussi la plupart des autres grandes zones développées : l’Europe hors zone euro, les États-Unis et le Japon. Bien sûr, il faut faire face à l’urgence, mais rien ne nous dispensera des efforts de longue haleine nécessaires pour réduire cet endettement. Le jour où la dette sera revenue à un niveau raisonnable, nous n’aurons plus à craindre la spéculation, qui n’est pas une cause, mais plutôt une conséquence de nos difficultés.
Nous avons donc besoin non seulement d’une action de court terme, mais aussi d’une approche à plus long terme des problèmes européens.
À court terme, c’est clair, l’Europe est menacée d’une rechute dans la récession, en raison d’une crise de confiance qui se manifeste à plusieurs niveaux.
La confiance entre les banques, nous l’avons vu tout récemment, reste fragile ; il a fallu une action concertée entre les banques centrales pour la rétablir.
La confiance entre les États membres de la zone euro est également affaiblie. Trop souvent, les engagements pris à Bruxelles n’ont pas été pleinement respectés et, dès lors, on ne peut s’étonner que des mécanismes de surveillance plus contraignants soient aujourd’hui jugés nécessaires.
La confiance dans la construction européenne et dans l’avenir de l’Europe est ébranlée ; dans la plupart des pays membres, l’euroscepticisme, de gauche ou de droite, s’est réveillé.
Il faut remédier à cette crise de confiance, et nous ne pourrons le faire sans mettre en place une surveillance budgétaire mutuelle qui soit totalement crédible. C’est la base de tout ! Nous voyons bien que, face aux conséquences de l’endettement, nous avons tous partie liée et nous sommes obligés d’avoir une réponse commune.
Il en va donc nécessairement de même pour les causes de l’endettement. On ne peut plus dire : les États sont solidaires face à la crise de l’endettement, mais ils gardent la liberté de s’endetter comme bon leur semble, car ils sont souverains. Cela ne tient pas ! Le principe même de la construction européenne, c’est la souveraineté partagée, et cela s’applique au budget comme aux autres domaines. Nous ne pouvons pas continuer à faire notre budget et nos lois fiscales chacun dans notre coin, alors que nous avons une monnaie unique à gérer ensemble. Si ce point est clairement établi, s’il est accepté par tous, ce sera le début d’un retour à la confiance.
Sous quelle forme ce partage des souverainetés budgétaires doit-il se faire ? Je crois que nous devons être guidés par le souci de l’efficacité. L’éternel débat entre les solutions communautaires et les solutions intergouvernementales devrait céder le pas devant cette exigence. Pour ma part, je n’ai pas de réticence de principe à ce que la Commission européenne et même la Cour de justice aient une place dans le mécanisme de surveillance mutuelle, mais leur participation ne me paraît pas non plus constituer un préalable. La priorité, c’est d’avoir un mécanisme qui marche, qui conduise effectivement les États à traiter les questions budgétaires et fiscales comme des questions d’intérêt commun.
Pour arriver à définir la bonne formule, le travail en commun franco-allemand est, et restera, essentiel. Il n’y a pas de privilège du couple franco-allemand, mais l’expérience montre que le rapprochement des points de vue entre la France et l’Allemagne prépare toujours un accord plus large. C’est pour cette raison que le couple franco-allemand est plus que jamais irremplaçable.
Mais si nous voulons préserver le rôle européen du couple franco-allemand, nous devons travailler à la convergence entre les deux pays. L’Allemagne a fait des réformes nécessaires ; nous n’avons fait pour notre part qu’une partie du chemin. Je ne dis pas que nous devons imiter l’Allemagne en tout point, mais si nous ne parvenons pas à restaurer la compétitivité de nos entreprises, un déséquilibre va s’installer et, à la longue, le couple franco-allemand ne pourra plus jouer son rôle.
Poursuivre les réformes, comme notre pays s’y est engagé auprès de ses partenaires, ce n’est pas seulement dans notre intérêt, c’est aussi dans l’intérêt de toute l’Europe.
Il y a aujourd’hui, disons-le clairement, un écart de dix points de PIB entre les dépenses publiques en France et en Allemagne. Dans certains domaines comme la défense, cela s’explique parce que nous faisons un effort plus important. Mais, dans d’autres domaines, cela s’explique par une gestion plus serrée de la dépense publique en Allemagne, laquelle ne nuit pas pour autant au service rendu au public.
Le système de santé allemand est en équilibre financier, alors que le nôtre est en déficit de 20 milliards d’euros. Pourtant, l’Allemagne a une population plus âgée que la nôtre, et elle est tout aussi bien soignée, l’espérance de vie étant la même.
Le système scolaire allemand est moins coûteux que le nôtre. Pourtant, qui pourrait dire que le niveau de formation est moins bon en Allemagne qu’en France ?
L’Allemagne compte 4,6 millions de fonctionnaires, contre 5,1 millions en France, alors qu’il y a 18 millions d’habitants de plus en Allemagne.