Mme Catherine Troendle. C’est exact !
M. Jean Bizet. Pourtant, qui prétendrait que l’Allemagne est sous-administrée ? Certainement pas la présidente du groupe d’amitié France-Allemagne ! (Sourires.)
Mme Catherine Troendle. Tout à fait !
M. Jean Bizet. En réalité, l’exemple allemand montre que l’on peut maîtriser la dépense publique tout en préservant les services publics auxquels nous sommes tous attachés. Je ne vois pas pourquoi nous aurions honte de nous inspirer de cette gestion plus efficace, qui permet d’alléger le poids des prélèvements pesant sur les entreprises comme sur les ménages.
Je conviens volontiers que la lutte contre le déficit et l’endettement excessifs ne doit pas devenir l’alpha et l’oméga de la politique européenne. C’est un préalable, ce n’est pas une fin en soi. Nous devons, parallèlement, recréer des anticipations d’une plus forte croissance en Europe.
C’est pourquoi, à mon avis, le rôle de la Banque centrale européenne ne devrait pas être un sujet tabou, du moins dans notre enceinte. Je le redis une nouvelle fois : la BCE est indépendante, c’est certain, mais les parlementaires aussi ont leur indépendance, et ils ont le droit de juger que les traités européens ne définissent pas de la meilleure façon qui soit le rôle de la Banque centrale pour notre union monétaire.
Comparons un instant la BCE avec la Banque centrale américaine, la FED. À cet égard, le rapport que j’avais présenté voilà maintenant six ans reste d’actualité. Personne ne dira que la FED n’est pas « indépendante ». Pourtant, son statut la conduit à accepter le dialogue avec l’autorité politique ; d’abord parce qu’elle dépend d’une loi simple, et non d’un traité, beaucoup plus difficile à modifier ; ensuite parce que les membres nommés par le pouvoir politique – en l’occurrence par le Président des États-Unis, avec l’accord du Sénat – forment la majorité au sein de l’organe qui définit la politique monétaire. De ce fait, la FED ne conçoit pas son indépendance comme un splendide isolement. Elle n’accepte pas d’injonction, mais ne refuse pas non plus la coopération.
Par ailleurs, les missions de la FED sont définies d’une manière bien plus large que celles de la BCE. Alors que cette dernière doit donner une priorité inconditionnelle à la lutte contre l’inflation, la FED a trois objectifs : le plein emploi, la stabilité des prix et la modération des taux d’intérêt à long terme.
On voit que le statut comme les objectifs de la FED l’orientent vers une politique monétaire favorable à la croissance, ce qui n’est pas le cas pour la BCE.
Je sais bien que, nécessité faisant loi, la BCE a accepté des accommodements et pratiqué, selon des termes choisis, des « mesures non conventionnelles ». Mais ces mesures ont été présentées comme des exceptions temporaires, avant un retour le plus rapide possible à une plus grande orthodoxie. Ne faudrait-il pas aller vers plus de pragmatisme ? Je ne crois pas, pour ma part, que l’économie européenne puisse supporter, à la fois, une politique budgétaire restrictive et une politique monétaire qui n’encourage pas les anticipations de croissance.
Les dispositions concernant la BCE datent du traité de Maastricht. Il serait temps de les relire à la lumière du traité de Lisbonne, qui a fait de la BCE une « institution » de l’Union, à laquelle s’applique le principe de « coopération loyale » entre les institutions posé à l’article 13 du traité sur l’Union européenne.
Mes propos sur la BCE n’ont rien de comparable à ceux des orateurs précédents. Il n’y a pas atteinte à son indépendance, me semble-t-il, ni à la réflexion des Allemands sur ce sujet. Je souhaite véritablement que l’on réfléchisse aux nouvelles missions de la BCE. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe de l’UCR.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai choisi d’aborder un aspect des problèmes financiers et des problèmes énergétiques de l’Union européenne.
Michael Fuchs, personnalité de la CDU, n’a pas hésité à affirmer qu’il voyait « un calcul d’ordre politique derrière l’annonce » de Standard & Poor’s de dégrader la note de l’Allemagne et de la France. Serait-ce un moyen, en attaquant l’euro, de détourner l’attention de la situation déplorable des États-Unis ? Y aurait-il connivence entre les agences de notation et les banques ? En effet, plus les notes sont mauvaises, plus les banques font des profits. Goldman Sachs a certifié les comptes falsifiés de la Grèce et invité parallèlement à spéculer sur sa dette ! Dans quelle mesure la responsabilité de cette banque est-elle engagée ?
Si cette responsabilité dans la falsification des comptes était reconnue, quels dédommagements l’Union européenne pourrait-elle attendre pour les dégâts considérables et difficilement canalisables que cela a entraîné ?
L’Europe est certainement le premier marché du monde, mais il est ouvert aux quatre vents de la concurrence mondiale. Si elle est la première puissance économique, cette puissance n’est que virtuelle. Notre objectif est qu’elle devienne la première puissance économique réelle.
Le peu de poids économique de chaque État rapporté au nouvel ordre mondial nous condamne à coordonner nos politiques économiques et donc nos politiques fiscales. Nous devons tendre le plus vite possible vers la gouvernance européenne et pour cela renoncer à quelques éléments de notre souveraineté. Ce sacrifice est indispensable pour que la France demeure un élément majeur de cette première puissance en devenir.
Jacques Delors a souligné dans The Daily Telegraph que les imperfections innées de l’euro, parmi lesquelles la plus importante, une banque centrale sans État correspondant, n’ont pas été traitées à temps et que leur ampleur a été révélée et amplifiée par la crise. La mise en place de cette gouvernance est aujourd’hui vitale.
Le second point de l’ordre du jour, l’énergie, est un sujet stratégique, en particulier le volet « diversification des sources et sécurité d’approvisionnement » demeure un enjeu majeur de la politique énergétique européenne. La diversification est une nécessité absolue.
En effet, l’Union européenne importe 33 % de son pétrole et 42 % de son gaz de Russie. Parallèlement, l’UE représente 70 % de ses exportations de gaz russe et 80 % de ses exportations de pétrole.
Le gazoduc Nord Stream, solennellement inauguré le mois dernier à Lubmin, relie la Sibérie à l’Allemagne en passant sous la Baltique. Il alimentera quelque 26 millions de foyers en Europe à partir de 2012.
Le deuxième projet, russo-italien, le South Stream, a pour objectif de desservir l’Europe centrale et l’Europe du Sud en passant sous la mer Noire avec une capacité de 63 milliards de mètres cubes. Présenté comme le concurrent direct de Nabucco, il serait plutôt son complément.
En effet, le gazoduc Nabucco est une priorité européenne, car il évite la Russie et permet ainsi à l’Union de diversifier utilement ses sources à partir du Caucase et de l’Asie centrale. Encore au stade de l’étude, son problème majeur réside dans son approvisionnement, la découverte du champ géant d’Absheron en Azerbaïdjan, estimé à 350 milliards de mètres cubes, non loin du champ de Shah Deniz, devrait apaiser certaines inquiétudes et donner du corps au projet.
Si les hydrocarbures de la Caspienne n’y suffisent pas, l’Irak et surtout l’Iran seraient des fournisseurs potentiels.
Le problème iranien est extrêmement sensible en raison du régime politique de ce pays et de sa quête nucléaire, mais je suis convaincu que ce grand pays jouera un rôle majeur dans les années à venir. Ayons à l’esprit que le régime actuel ne sera pas éternel et qu’il est le deuxième producteur de gaz, si l’on ne tient pas compte du gaz de schiste américain. De plus, notre maîtrise du gaz naturel liquéfié nous donnerait une place de premier plan dans sa liquéfaction, son transport et nos terminaux.
L’autre source majeure d’énergie en Europe, c’est le nucléaire. La France en a fait le principal élément de son bouquet énergétique. La catastrophe de Fukushima a considérablement freiné le renouveau nucléaire en Europe. Ainsi, certains pays ont décidé l’abandon pur et simple du nucléaire, ce qui fragilise l’autonomie énergétique de l’Europe.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. Cela rendra également l’objectif des « trois fois vingt » impossible à respecter et, de plus, accentuera la dépendance vis-à-vis de la Russie.
Le nucléaire a un autre avantage, son coût de production est le plus faible des énergies, et il est insensible aux fluctuations climatiques et spéculatives.
Enfin, l’efficacité énergétique est un gisement d’économies dans le bâtiment et les transports. Elle n’est pas encore suffisamment mise en pratique, mais la Commission s’est saisie du sujet. Monsieur le ministre, où en sont l’élaboration du projet de directive et le rapport de progrès ? Quelles en sont les grandes lignes ?
Si l’Union ne parvient pas à parler d’une seule voix dans le secteur énergétique, c’est notamment parce que ses entreprises sont concurrentes sur le marché russe. Un exemple : la France et l’Allemagne animent chacune une structure dédiée à l’efficacité énergétique chargée de diffuser des bonnes pratiques européennes dans ce domaine en Russie, la RUDEA allemande et le centre franco-russe. Ce sujet gagnerait à être traité à l’échelon européen, ce qui permettrait de beaucoup mieux intégrer les infrastructures de transport, notamment électriques. Ces initiatives nationales ont des limites, qui expliquent l’absence de succès des « projets d’intérêt commun ».
Les conclusions du Conseil européen du 4 février dernier rappellent qu’il est « indispensable de mettre en place avec la Russie un partenariat fiable, transparent et structuré. Cela dans les domaines présentant un intérêt commun dans le secteur de l’énergie, dans le cadre des négociations sur le processus post-accord de partenariat et de coopération ». Appuyons-nous sur les travaux en cours du partenariat pour la modernisation et le dialogue sur l’énergie.
On peut s’interroger sur le sens de cette observation. En effet, le « partenariat énergétique Union européenne-Russie » a été lancé il y a plus de dix ans, lors du sommet de Paris en octobre 2000. Si ce partenariat a connu des succès, il connaît aussi des limites. Le progrès des procédures dites « early warning mechanism » ne suffit pas à masquer les déceptions profondes suscitées de part et d’autre par les crises gazières ukrainiennes et l’adoption, avec le troisième paquet, de la clause dite « anti-Gazprom », qui est, à mon sens, une absurdité. Les débats récurrents sur les contrats de long terme, par exemple, sont politiques et largement déconnectés des préoccupations industrielles qui guident la réalité des relations bilatérales de chacun des États européens avec la Russie.
La mise en cohérence des enjeux industriels ne se fera pas d’elle-même, et il faut encourager les consortiums industriels européens dans le domaine énergétique à l’égard de la Russie, capables de discuter avec les grandes sociétés russes, dont on connaît la proximité avec les cercles politiques. Le partenariat pour la modernisation et le dialogue sur l’énergie peut en être l’occasion.
Bien qu’européen convaincu, je ne suis pas favorable à l’élargissement de l’Union européenne en l’état de ses institutions. Déjà, en 1995, je m’étais abstenu à l’Assemblée nationale sur l’adhésion de la Suède, de la Finlande et de l’Autriche, pourtant contributeurs nets potentiels, car j’estimais que la mécanique européenne n’était pas préparée à accueillir de nouveaux membres. La situation est similaire aujourd’hui, alors que nous accueillons la Croatie. Certes, les Balkans occidentaux ont vocation à entrer, eux aussi, dans l’Union, mais il est indispensable que ses institutions soient opérationnelles pour trente membres, voire davantage.
La dernière crise de l’Europe nous fait prendre conscience de la faiblesse de l’Union et encore plus de celle des États. Elle souligne les sacrifices réalisés et les sacrifices qu’il reste à faire. Ils sont indispensables pour que les rêves des pères de l’Europe deviennent notre réalité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Delebarre, pour le groupe socialiste-EELV.
M. Michel Delebarre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra après-demain à Bruxelles examinera avant tout la situation économique générale en Europe et l’évolution de la réflexion sur le renforcement de la convergence économique au sein de la zone euro.
« Vaste programme » pourrait-on affirmer au regard de la situation de gravité extrême dans laquelle se trouvent l’Union européenne et tous ses États membres, qu’ils fassent ou non partie de l’union monétaire.
L’Europe connaît aujourd’hui l’une des crises les plus graves de son histoire, crise que les dirigeants européens semblent avoir la plus grande peine à juguler, au risque d’aboutir à l’anéantissement de tous les efforts menés en faveur de la construction européenne depuis plus de soixante ans.
L’accord du 26 octobre dernier, présenté pourtant comme « historique » et celui de « la dernière chance » par le Président de la République, était non seulement insuffisant mais il n’est pas encore totalement mis en œuvre.
Pendant combien de temps – je rejoins sur ce point plusieurs orateurs qui m’ont précédé – va-t-on devoir assister à la reproduction du même scénario : une dramatisation, une rencontre franco-allemande et des déclarations du style « la crise est derrière nous » ou « la crise est finie » ? À trois reprises déjà, nous avons vécu ce déroulement : en mai 2010, après la défaillance grecque ; en juillet 2011, lors de la création du Fonds européen de stabilité financière ; et en octobre 2011, lors de l’annonce d’une dotation supplémentaire de ce fonds.
Une nouvelle fois, un plan tout ficelé est présenté comme le seul choix possible et le plan de la dernière chance. Pour accentuer la dramatisation, une agence de notation laisse entendre une probable baisse de la note de la France et de l’Allemagne et d’une quinzaine de pays de l’Union européenne. La tension est ainsi garantie à la veille du Conseil européen.
Pour affronter pareille situation, il eût fallu faire montre de volontarisme politique. En réalité, il n’en a rien été. Le « directoire » franco-allemand, à la manœuvre depuis le début de la crise, n’est pas encore certain d’être en mesure d’imposer ses vues aux autres États membres, en partie du fait d’une absence de concertation la plus totale.
Pis, le duo formé par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy permet ainsi au Président de la République de donner l’impression de faire entériner à l’échelon européen des dispositions qu’il a renoncé à présenter devant les deux chambres de notre Parlement. Je pense, bien sûr, à la désormais fameuse « règle d’or » que le Gouvernement souhaitait faire graver dans le marbre de notre Constitution, mais qui révèle bien davantage une incapacité à faire face à la crise qu’une vertu budgétaire qui aurait été bien tardivement acquise.
Que l’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai jamais dit : l’histoire de la construction européenne est liée effectivement à l’efficacité du moteur franco-allemand. (M. le ministre marque son approbation.) Pour autant, je considère comme maladroit et inopérant le fait de présenter la relation européenne comme une sorte de « directoire à deux », qui cantonnerait les autres pays à un second rôle et marginaliserait les institutions européennes.
Il est regrettable en effet que les États membres n’aient pas été en mesure de lever les obstacles permettant à l’Europe de retrouver des marges de manœuvre.
Il est regrettable que la Banque centrale européenne n’assouplisse pas ses interventions, même dans ses statuts actuels.
Il est regrettable que le Fonds européen de stabilité financière n’intervienne pas effectivement en soutien des pays les plus vulnérables, et le mécanisme européen de stabilité est appelé à l’accompagner.
Il est regrettable que la Banque européenne d’investissement n’engage pas une véritable politique de grands travaux.
Il est regrettable enfin que le budget européen ne bénéficie pas de ressources nouvelles par la mise en place d’une taxe sur les transactions financières et en lançant des euro-obligations que Jacques Delors appelait déjà de ses vœux dès 1983.
Même si l’idée d’instaurer une taxe sur les transactions financières paraît – enfin ! – avoir fait un bout de chemin, reconnaissons que les propositions de la Commission en la matière demeurent encore bien timides.
Comment penser qu’une révision des traités – une procédure inévitablement lourde et complexe à Vingt-sept – puisse répondre à des exigences dont tous s’accordent à proclamer la nécessité et l’urgence ? Je vous renvoie au scénario évoqué par Mme la rapporteure générale Nicole Bricq quant à la difficulté de faire ratifier un nouveau traité.
Comment défendre le principe d’une austérité sans croissance pour l’ensemble des États membres, alors que le chômage ne cesse d’augmenter, notamment dans notre pays, le taux de chômage ayant atteint, au troisième trimestre, selon l’INSEE, 9,3 % de la population active ?
Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette vision pour l’Europe. Pour notre part, nous estimons qu’un autre projet politique est possible, au bénéfice de tous les Européens.
L’Europe ne saurait se résumer à une union monétaire, ni même à une plus grande coordination budgétaire : elle doit être un projet commun, une solidarité, une aventure humaine destinée à nous rendre plus forts dans un cadre démocratique que l’on doit vouloir exemplaire.
Or je ne suis pas certain que, dans le contexte que nous connaissons et eu égard à la manière dont se comportent les dirigeants – et pas seulement les responsables français ! –, l’Europe soit en mesure de faire rêver. Je dirai même qu’il s’agit plutôt du contraire. Ce n’est même pas un rêve que j’appelle de mes vœux ; j’aimerais simplement avoir une ou quelques raisons d’espérer.
Il y a quelques années, tous appelaient de leurs vœux l’édification d’une Europe sociale, qui aurait pour objectifs l’emploi, la formation, l’égalité hommes-femmes ou encore la lutte contre les exclusions. Aujourd’hui, plus personne n’ose afficher de telles ambitions pour notre projet commun européen.
Concernant le réchauffement climatique, je crains, monsieur le ministre, que les enjeux de la conférence de Durban ne soient bien en deçà de ceux de la conférence de Copenhague : l’Europe n’est pas à la hauteur de ses responsabilités. Et, dans ce contexte, on voudrait que nos concitoyens adhèrent à l’Europe !
En revanche, lancer une initiative de croissance sur le plan européen au sein d’un pacte de responsabilité, de gouvernance et de cohérence, comme le propose François Hollande, donnerait un nouvel élan à notre continent.
Je ne voudrais pas conclure mon propos sans évoquer la crise politique latente qui se cache derrière la crise financière et économique.
Tous les pays européens ont un intérêt à la sauvegarde de l’euro et de l’Union européenne. Nos économies sont aujourd’hui si étroitement imbriquées qu’il serait catastrophique de penser que le retour à un protectionnisme puisse être la solution à nos problèmes. Rien ne serait pire que de se recroqueviller derrière les limites engoncées des frontières nationales. Chacun reconnaît que des efforts importants seront nécessaires pour surmonter la crise actuelle, mais ceux-ci ne devront pas être réalisés au prix d’un renoncement aux idéaux démocratiques qui fondent l’essence même du projet européen.
Si des mécanismes de contrôle supranationaux doivent être instaurés, ils devront obéir à la logique suivante : on ne saurait imaginer qu’un gouvernement des juges remplace la souveraineté des peuples et des élus qui les représentent. À cet égard, un renforcement du rôle du Parlement européen, associé aux parlements des États membres, est nécessaire. En tout état de cause, le sursaut de l’Europe passe sans aucun doute par un approfondissement de la légitimité démocratique des institutions européennes.
Pour ce faire, tous les pays devront dépasser leurs propres tabous pour parvenir à ce résultat. Ce chemin sera sans doute difficile, car il suppose un certain nombre de renoncements, mais il est le seul capable de sauvegarder les acquis de la construction européenne et de surmonter la crise actuelle pour aboutir à une Union fondée, certes, sur la bonne gestion, mais aussi sur la croissance, la solidarité et la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Michel Billout applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Leonetti, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer un débat apaisé et riche.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, je partage avec vous cette vision de l’Europe d’après : une Europe tournée vers la croissance, porteuse de grands projets, financièrement autonome. Nous n’y parviendrons pas par la création d’un impôt pesant sur les euro-citoyens. En revanche, la mise en place, par exemple, de la taxe sur les transactions financières, que le Président de la République appelle de ses vœux, ou encore de la taxe carbone, selon un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne, nous permettrait de défendre non seulement notre compétitivité et notre sécurité alimentaire, mais aussi le développement durable.
Vous avez également évoqué la Banque centrale européenne. Que dire de cette institution, si ce n’est qu’elle est indépendante ? Dans ces conditions, permettez-moi de vous faire remarquer que nous ne pouvons pas l’inciter à agir. Nous observons toutefois avec la plus grande attention ce qui vient de se produire. Nous pouvons, ensemble, constater, avec une certaine satisfaction, qu’elle a pris ces derniers jours ses responsabilités.
Monsieur le président de la commission de l’économie, vous avez consacré une grande partie de votre intervention au sommet de Durban.
Oui, nous sommes inquiets, d’autant que nous savons bien que l’Union européenne n’est responsable que, si je puis dire, de 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ! La question qui se pose est à l’évidence de savoir si, en continuant à avoir des objectifs ambitieux en matière de développement durable, nous allons devoir renoncer à notre compétitivité, alors que l’ensemble des autres pays privilégient une vision à court terme, celle de la rentabilité.
Face aux États-Unis et au Canada, qui affichent des positions antagonistes aux nôtres, nous devons rassembler tous les États membres de l’Union européenne et entamer des négociations avec beaucoup de détermination.
En cas d’échec de la deuxième phase du protocole de Kyoto, ce qui serait très mal vécu par les pays émergents, le développement durable doit devenir un argument fort. À cet égard, je plaide pour que le mécanisme d’inclusion carbone soit une solution logique face à l’absence de réponse des pays qui portent la responsabilité de la dégradation de la situation.
Madame la rapporteure générale, vous avez considéré comme révélateurs certains termes employés par le Président de la République, mais j’ai constaté que toutes vos phrases se terminaient par un point d’interrogation. Pouvons-nous partager ensemble ces interrogations ? Oui ! Est-il vrai que nous ne savons pas aujourd'hui ce qui se passera dans un mois ? Oui !
À cet égard, permettez-moi de citer une phrase significative : « Les yeux du monde entier sont tournés vers l’Europe avec inquiétude. » Qui l’a prononcée ? Un gouvernant français à des fins électorales ? Une Chancelière allemande dans le but de faire plier la France ? Non, c’est le secrétaire américain au Trésor !
Dans ce monde dans lequel l’interdépendance est évidente, tout le monde a les yeux rivés sur la zone euro. Cela veut bien dire qu’il n’y a pas de dramatisation artificielle : la zone euro peut effectivement exploser, ruinant, de fait, le projet européen.
Monsieur Billout, vous avez exprimé une irritation que je partage à l’égard des agences de notation. Cette attitude m’avait d’ailleurs valu la critique d’être bien sévère à leur égard. Eh bien, je continue à l’être !
Les perspectives qui ont été données pour l’ensemble de la zone euro ont précédé les décisions qui ont été prises par le couple franco-allemand. Nous ne pouvons pas vivre sous la pression permanente de ces prophètes de malheur, comme disait La Fontaine, qui ont une capacité de nuisance et de prédiction auto-réalisatrice assez poussée.
Nous n’avons pas aujourd'hui suffisamment d’éléments pour apprécier l’objectivité et l’indépendance des agences de notation. Or il est clair que si un tel organisme avait été créé par l’Europe ou par la France, il serait exposé à certaines suspicions. Il est donc temps de clarifier la situation et de considérer les implications que peuvent avoir ces agences de notation dans le contexte évoqué, à juste titre, par M. de Montesquiou.
Cela étant, je ne crois pas que la règle d’or soit un carcan. Elle illustre parfaitement ce que disait Rousseau de la liberté : « L’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite est liberté. » Aussi, nous estimons que ni une agence de notation, ni un juge européen, ni une organisation qui n’aurait pas de racines démocratiques, ne peut juger les projets de budget votés par les parlements nationaux, c'est-à-dire par les représentants du peuple.
Reste qu’il est nécessaire d’avoir une règle admise par tous. D’ailleurs, j’ai noté le sens des responsabilités des intervenants : pas un seul n’a affirmé que toute discipline budgétaire devait être écartée. La règle d’or que nous appliquerions dans ce contexte serait un élément de liberté à l’égard des marchés, parce que la guerre existe. Il s’agit d’une guerre des démocraties, du peuple et de la politique contre la loi des marchés. Or si nous fixons des règles démocratiques, nous serons plus forts contre les marchés.
« Trop peu et trop tard ! », monsieur Plancade. Oui, les spéculateurs vont plus vite que les démocraties ! Discuter à Vingt-sept – j’en fais souvent la dure expérience – est plus long que de spéculer, pour une agence de notation, sur une valeur en bourse ou sur la situation d’un État.
Après avoir été les premiers pompiers à lutter contre l’incendie, après avoir créé des pare-feu utiles, comme le Fonds européen de stabilité financière, le début de la gouvernance économique européenne ou encore le plan de sauvetage de la Grèce, nous devons maintenant passer à l’étape suivante. Pour conserver la même image, je dirai qu’il nous faut protéger l’espace européen contre les incendiaires fous.
Monsieur Bizet, vous avez fait une analyse fine de la situation actuelle. Oui, nous devons nous inscrire dans la durée ! Non, la crise ne s’arrêtera pas après un sommet européen ! Il en faudra d’autres, tellement d’autres, avant que la gouvernance économique telle qu’elle a été décidée par la France et par l’Allemagne ne se mette en place. La réunion mensuelle qui a été prévue permettra aux États de réagir aux difficultés rencontrées.
Vous avez raison, la réponse doit être commune. Comment envisager de défendre des intérêts nationaux contre d’autres intérêts nationaux ? Comment envisager un protectionnisme national, qui conduirait évidemment à un repli identitaire ? Les nationalismes aboutissent à des reculs, voire à la guerre ! Or l’une des grandes conquêtes de l’Europe est d’avoir permis de faire la paix avec notre ennemi héréditaire d’il y a plus de soixante ans. De la paix, nous sommes passés à la confiance, puis à l’amitié, à partir de laquelle le « moteur franco-allemand » est effectivement devenu, vous l’avez dit, irremplaçable.
Vous avez parlé de convergences et procédé à des comparaisons. Comparer ne veut pas dire imiter. En matière de santé, on constate en effet à l’évidence que la situation est qualitativement équivalente et financièrement déséquilibrée de part et d’autre du Rhin.
Monsieur Delebarre a souligné, à juste titre, que la crise n’était pas finie. Selon lui, l’Europe ne se résume pas à une union monétaire ; il a raison, l’union monétaire est un moyen, non une fin.
Pour surmonter cette crise monétaire, nous devons justement être capables de voir plus loin, plus haut : l’Union européenne doit être considérée comme un projet de valeur, un projet de paix, de liberté, de prospérité et aussi de croissance. S’il ne peut pas y avoir de discipline sans solidarité, il ne peut y avoir d’autres objectifs que la croissance économique et l’emploi pour l’ensemble des peuples européens.
Vous avez eu raison de ne pas évoquer le rêve. Nous n’avons pas à réenchanter le rêve européen. Nous avons le devoir de créer l’espoir à force de décisions, de consolidations.
Enfin, je voudrais éliminer l’idée selon laquelle il y aurait toujours un vainqueur et un vaincu entre la France et l’Allemagne. Nous ne jouons pas un match de football ! Nous sommes non pas dans une compétition ridicule, mais dans une recherche obsédante et difficile de compromis.
Ainsi, l’idée française de gouvernement économique européen a été acceptée par les Allemands ; l’idée française de sauvetage de la Grèce était aussi, dans ce cas-là, une idée européenne. Le fait qu’un juge européen décide des budgets nationaux était une opposition française, mais elle a été acceptée par nos amis allemands. La règle d’or imposée à chacun, avec une modification des traités qui nous impose la liberté par la discipline budgétaire, c’est une idée allemande à laquelle la France souscrit.
Dans les moments de crise, on peut osciller entre le défaitisme, le risque, l’angoisse, l’inquiétude et l’espoir ; l’espoir que cette crise soit salutaire, qu’elle élimine définitivement, sur le plan tant européen qu’international, cette spéculation déraisonnable et fébrile qui déstabilise les banques, puis les États.
On peut penser que nous serons obligés d’en arriver à une intégration plus forte, non pas en renonçant à notre liberté ou à notre souveraineté, mais, au contraire, en regardant comment on peut, demain, faire en sorte que cette souveraineté partagée, cette cosouveraineté, devienne un élément positif pour l’ensemble des peuples.
J’entends des personnes souhaiter que l’on sorte de l’Europe ou de l’euro. C’est une absurdité ! Il est aussi fou d’envisager la démondialisation du monde que de penser que la France pourrait dresser des frontières l’excluant du monde.
Romain Gary disait : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres. » Aimer notre pays aujourd’hui, c’est vouloir construire une France forte au sein de l’Europe et grâce à une construction européenne.
Si cette crise doit nous faire passer d’un monde à l’autre, qu’elle nous fasse passer aussi d’une Europe à l’autre, d’une Europe faible, naïve, incomplète, à une Europe forte, intégrée et démocratique au service des peuples ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)
Débat interactif et spontané