compte rendu intégral
Présidence de M. Didier Guillaume
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
Mme Odette Herviaux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2012, que nous avons adopté hier.
La liste des candidats établie par la commission des finances a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : M. Philippe Marini, Mme Nicole Bricq, MM. François Marc, Jean-Marc Todeschini, Éric Bocquet, Albéric de Montgolfier et Aymeri de Montesquiou ;
Suppléants : Mme Frédérique Espagnac, MM. Jean-Vincent Placé, Jean-Pierre Caffet, François Fortassin, Philippe Dallier, Roger Karoutchi et Francis Delattre.
3
Dépôt d’un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, ainsi qu’à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Il est disponible au bureau de la distribution.
4
Saisines du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a été informé, par lettres en date des 6 et 7 décembre 2011, par M. le président du Conseil constitutionnel que celui-ci a été saisi de deux demandes d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.
Acte est donné de cette communication.
Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
5
Renvoi pour avis
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2011 (n° 160, 2011-2012), dont la commission des finances est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
6
Premier usage illicite de stupéfiants
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe RDSE, de la proposition de loi visant à punir d’une peine d’amende tout premier usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants, présentée par M. Gilbert Barbier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 57, texte de la commission n° 147, rapport n° 146).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi.
M. Gilbert Barbier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 12 millions de nos concitoyens ont essayé le cannabis, 3 millions d’entre eux en sont des consommateurs occasionnels et 1,2 million d’entre eux, dont 70 % ont moins de vingt-cinq ans, en sont considérés comme des consommateurs réguliers, ce qui signifie qu’ils usent du cannabis au moins dix fois par mois.
Telles sont les statistiques morbides que le directeur de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, l’OFDT, a présentées, au printemps dernier, devant la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies.
Dès lors, banalité et fatalité ? Banalité ou fatalité ?
En 2003, déjà, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites, rédigé par notre ancien collègue Bernard Plasait, s’intitulait Drogue : l’autre cancer.
Selon un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, publié en 2004, deux jeunes de dix-huit ans sur trois fument ou ont fumé du cannabis et le nombre des fumeurs a triplé en dix ans.
En 1997, déjà, le rapporteur de l’Académie de médecine soulignait la toxicité avancée du cannabis.
Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, publié en février 2002, est parvenu à la même conclusion : la consommation banalisée se développe.
Dès lors, banalité et fatalité ? Banalité ou fatalité ?
Il y a dix ans, l’état des lieux était déjà jugé accablant. Il faut se rendre à l’évidence : il est encore très préoccupant aujourd’hui.
Certes, des actions intéressantes ont été entreprises, des politiques et des plans ont été mis en place : la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, qui a auditionné 107 personnes jouant un rôle dans le domaine des toxicomanies, l’a souligné. Mais chacun, quelle que soit sa philosophie, considère que la situation demeure inquiétante.
Il est vrai que des actions fortes sont entreprises pour la prise en charge de ceux qu’on appelle les usagers problématiques. Je ne veux pas oublier le travail effectué au quotidien dans les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues, les CAARUD, et les communautés thérapeutiques, au service des 250 000 toxicomanes dits « problématiques », dont le nombre estimé demeure constant dans notre pays.
Ces toxicomanes sont des malades ; ils doivent être pris en charge à ce titre, en tenant compte de la prévalence, très élevée parmi eux, d’une morbidité psychiatrique souvent grave. La prise en charge doit consister en soins, tendre à la réduction des risques de contamination par le VIH et le VHC, viser une prescription encadrée des produits de substitution et tenir compte des problèmes liés au mésusage, lesquels sont bien spécifiques – il y aura lieu d’en reparler.
Toutefois, aujourd’hui comme hier, je veux concentrer mon propos sur les consommateurs réguliers, qui sont au nombre de 1,2 million : c’est bien parmi eux, en effet, que nous retrouverons, dans quelques années, les 250 000 usagers problématiques.
Parmi les 3 millions de ceux qui ont touché au moins une fois à la drogue, les consommateurs réguliers, jeunes pour la plupart, se retrouvent, pour des raisons diverses, pris au piège. Ils représentent 45 % d’une tranche d’âge à seize ans.
Banalité et fatalité ? Banalité ou fatalité ? C’est ce problème qui doit nous préoccuper.
Par un étrange paradoxe, c’est dans le pays de l’art de vivre que l’on consomme le plus grand nombre de tranquillisants… Surtout, nous détenons, avec d’autres, le triste record de la consommation de cannabis dans la tranche d’âge de quinze à vingt-cinq ans.
N’y a-t-il pas lieu d’être alerté, révolté quand on sait que l’âge moyen au premier contact est de treize ans ? Effrayé, si l’on ajoute que ce premier contact se produit quelquefois à neuf ans ?
Tel est l’état des lieux, brutal. Il doit, une fois encore, nous inciter à maintenir l’alerte sur la santé et l’avenir de nos enfants.
Intervenant aujourd’hui sur cette question bien spécifique, je ne prétends ni apporter une solution miracle ni bouleverser les actions entreprises. Loin de moi l’idée de considérer que rien n’est fait et de condamner les politiques menées.
Je souhaite en revanche, comme l’a fait la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, m’interroger sur l’efficacité des actions au vu des statistiques. À quoi bon, en effet, mener une nouvelle enquête si, comme les précédents, ce rapport termine sa vie dans les placards, déjà bien encombrés, de nos assemblées ?
Mes chers collègues, je vous rappelle que beaucoup d’entre nous avaient cosigné, en 2004, une proposition de loi sensiblement identique à celle que je présente aujourd’hui.
Nous sommes confrontés à un problème de masse, un problème de société grave. En effet, si certains, à tort, continuent de considérer le cannabis comme une drogue dite « douce », les données scientifiques mondiales apportent aujourd’hui une preuve irréfutable de l’extrême dangerosité de son usage, plus particulièrement chez les jeunes.
Le haschich, plante connue depuis la plus haute antiquité en Chine et en Égypte, la drogue sacrée des pharaons, a certes inspiré à Baudelaire quelques-uns de ses plus beaux poèmes ; néanmoins, lui-même en a bien décrit les ravages : « le haschich rend la société inutile à l’homme et l’homme inutile à la société. » Dans cette condamnation, tout est dit : le cannabis fut et reste un grand fléau, spécialement pour notre jeunesse.
Que les nostalgiques du Summer of love de 1967 continuent à profiter des vertus hédoniques du cannabis, accompagné souvent d’autres drogues dures, ce n’est pas cela qui me préoccupe ; c’est bien plutôt de constater les troubles provoqués par cette substance utilisée, avec ou sans alcool, par des jeunes de quinze ans. Voilà ce contre quoi il faut nous insurger !
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Gilbert Barbier. C’est d’autant plus nécessaire que les travaux scientifiques apportent aujourd’hui des éléments à charge peu contestables.
Tout d’abord, le cannabis mis à disposition des jeunes est de plus en plus dangereux.
Autrefois, sa teneur en principe actif, le tétrahydrocannabinol, ou THC, ne dépassait pas 8 %. Aujourd’hui, les cultures OGM du cannabis ont une teneur en THC de 25 % ou 30 %. Ces cultures se sont développées d’abord aux Pays-Bas, dont les habiles jardiniers ont remplacé la culture de la tulipe par celle, beaucoup plus rentable, du cannabis. Elles ont ensuite été introduites en Afghanistan et au Maroc, devenus de grands pourvoyeurs de notre pays.
La pharmacologie du THC est aujourd’hui bien connue. Son exceptionnelle lipophilie le fait stocker plus spécialement et durablement par le cerveau, que le professeur Pierre Joly, président de l’Académie de médecine, a comparé, d’une manière très imagée, à une sorte de motte de beurre.
Du fait de cette composition – essentiellement de la graisse –, des quantités importantes de THC restent stockées pendant des semaines dans les cellules cérébrales. Un joint fumé tous les trois ou quatre jours suffit donc à maintenir une stimulation permanente des récepteurs spécifiques CB1, qui jouent un rôle majeur dans la régulation des émotions.
Le THC agit aussi sur les récepteurs dopaminergiques, ce qui explique les propriétés hédonistes et euphorisantes du cannabis, mais aussi le fait qu’il provoque troubles de la mémoire, désorientation, modification des perceptions sensorielles et troubles moteurs au niveau du cervelet – tous effets qui sont encore plus profonds sur le cerveau, en cours de maturation, d’un adolescent.
On dit souvent que le cannabis ne provoquerait ni accoutumance ni dépendance. Certes, une grande majorité de ses consommateurs en font un usage seulement occasionnel, pensant pouvoir facilement s’en débarrasser. Reste que le cannabis – c’est aujourd’hui parfaitement démontré – entraîne une libération de dopamine dans le cerveau : or ce phénomène dit « de récompense », recherché par les utilisateurs, conduit, comme pour d’autres drogues, à l’instauration d’une dépendance.
On ne peut enfin ignorer les données d’une étude épidémiologique conduite en Suède sur 50 000 conscrits. L’un des rares qui aient été conduits, ce travail porte sur la relation entre la consommation de cannabis avant l’âge de la conscription et l’évolution de la santé mentale au cours des dix années suivantes. Elle fait apparaître que les fumeurs consommant plus de cinquante joints avant leur service militaire présentent un risque multiplié par six de développer une schizophrénie.
Dès lors, il nous faut sans tabou « renouveler les stratégies », pour reprendre le titre que nous avons voulu donner au rapport de la mission parlementaire. Trois politiques complémentaires doivent en réalité être confortées : prévenir, traiter, sanctionner.
En matière de prévention dès le plus jeune âge, la démarche actuelle est insuffisante. Malgré l’important travail fait dans les collèges et les lycées par les policiers et les gendarmes, la perception majoritaire chez les adolescents est que « fumer un joint n’est pas grave, n’est pas dangereux » et que braver l’interdit est pratiquement sans risque.
Je ne m’étendrai pas sur le volet préventif, mais il apparaît nécessaire avant tout d’informer dès le plus jeune âge à l’école primaire sur les risques pour la santé de l’usage de certains produits, y compris l’alcool et le tabac.
Il est nécessaire de repenser cette approche préventive, de développer les actions d’éducation à la santé, de faire ressortir l’estime de soi pour apprendre aux écoliers à dire non aux sollicitations et à résister à la pression.
Ensuite, il faut mener une prévention plus individualisée sur les enfants pour leur éviter de franchir le pas, en s’appuyant sur l’expérience des médecins et des infirmières scolaires.
Parallèlement, il faut responsabiliser les adultes encadrant les jeunes dans les activités associatives, et particulièrement associer les familles aux campagnes de sensibilisation.
Il faut surtout donner ce droit à l’information et lutter contre la désinformation systématique qui survit encore sur la faible nocivité supposée du cannabis par rapport au tabac et à l’alcool.
Le deuxième domaine d’action à privilégier est celui de l’offre de soins. Je n’en parlerai pas beaucoup aujourd’hui, car il mérite d’être évoqué de façon bien plus large, au même titre que la problématique de réduction des risques et des traitements de substitution.
En troisième lieu, je rappelle que les pouvoirs publics font face à trois enjeux : un enjeu de santé publique, un enjeu de sécurité, un enjeu de société. Tous sont des défis majeurs.
Le devoir du politique est de trancher, de faire des choix. Tel est l’objet de cette proposition de loi.
Le constat à ce jour est le suivant : le cannabis est quasiment une drogue en vente libre.
Un cannabis banalisé, est-ce pour nous un phénomène de société irréversible, la voie de la modernité culturelle contre laquelle il ne sert à rien de lutter, quitte à sanctionner seulement lorsque cette drogue est à l’origine de morts sur la route ou comme infraction complémentaire, dans les actes de violence, les crimes, les viols ?
Faut-il se résigner à accompagner cette évolution, quitte à voir un certain nombre de nos jeunes entrer par cette porte dans l’enfer de la toxicomanie ?
Comme mes collègues de la mission d’information, je ne pense pas que ce soit une fatalité, et si nous devons revoir l’approche d’une prévention plus efficace et renforcer la prise en charge médicalisée des toxicomanes, il nous faut aussi adapter le volet répressif à la consommation de masse, notamment celle des plus jeunes.
C’est notre devoir d’agir plus efficacement pour enrayer cette consommation massive du cannabis en train de se banaliser. Car, à ce jour, il faut bien le reconnaître, l’avouer, nous sommes devant un constat de fait : l’usage de cette drogue est quasi institutionnalisé.
Le rapport Henrion, qui, en son temps, avait fait débat, relevait ceci : « […] Conserver une sanction pénale qui n’est pratiquement plus appliquée devient dérisoire et déconsidère la justice aux yeux des adolescents. Certains n’ont d’ailleurs plus conscience de violer un interdit tant le phénomène leur paraît banal […]. Une réglementation effectivement appliquée serait préférable à la situation actuelle où l’usage du cannabis est, au moins dans de nombreux endroits, banalisé et où l’interdit se révèle le plus souvent formel. »
Malgré les actions menées, il nous faut compléter l’arsenal répressif.
La modulation est bien le maître-mot dans l’efficacité et la compréhension d’une sanction. Il faut moduler la sanction de l’usage afin qu’elle frappe avec discernement et atteigne son but, qui est de dissuader les débutants.
La modulation est déjà pratiquée, me direz-vous, monsieur le garde des sceaux, mais elle reste insuffisante. Même si la consommation stagne ou régresse légèrement depuis deux ans, les chiffres sont éloquents et ne peuvent nous satisfaire à l’aune des dégâts provoqués sur les plus jeunes.
La base reste la loi du 31 décembre 1970 et l’article L. 3421–1 du code de la santé publique. Il ne s’agit pas d’y toucher. Cependant, les multiples circulaires d’application – Chalandon en 1987, Guigou en 1999, Perben en 2005 – et le vote de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance montrent, à l’évidence, que l’objectif de réduction du nombre d’usagers n’est pas atteint. Notre arsenal répressif, compte tenu de sa rigidité, n’est pas appliqué.
Prenons les chiffres connus de 2009 : 137 594 interpellations – dix fois plus qu’en 1985 – dont 90 % concernent le cannabis. L’évolution en valeur absolue est certes impressionnante, mais elle reste faible au regard du nombre de consommateurs réguliers et occasionnels, qui est de l’ordre de 3 millions.
En outre, les interpellations épargnent des catégories entières de consommateurs, notamment ceux qui nous intéressent le plus, ceux dont le dernier usage a eu lieu à la sortie du collège ou du lycée.
Le système souffre manifestement d’une lacune, qui confère une immunité de fait à la population scolaire, universitaire et en apprentissage, celle-là même, précisément, pour laquelle il faudrait faire jouer l’effet dissuasif d’une sanction réelle.
En 2008, sur 110 000 interpellations, les parquets ont traité 17 553 cas. Je m’interroge : qu’est-il advenu des autres ?
Ces statistiques montrent la déperdition considérable des usagers au fil de la procédure pénale, en particulier entre le stade de l’interpellation et celui de la présentation au parquet.
La circulaire du 9 mai 2008 précise que, si les réponses doivent être systématiques, notamment pour les mineurs, elles doivent être individualisées et appropriées. Ainsi, les alternatives aux poursuites ont représenté 70,4 % des affaires traitées, dont 73 % par un rappel à la loi si peu dissuasif.
La réponse pénale est lacunaire et pusillanime et, de plus, d’une grande variabilité géographique.
Je ne puis m’empêcher de citer le préfet délégué pour la défense et la sécurité auprès du préfet de la zone de défense Sud, qui, au cours de son audition, nous déclarait ceci : « Peu à peu, les magistrats ont renoncé à se faire présenter les personnes au-dessous d’un certain seuil de détention de produit et ont même renoncé à toute procédure à l’encontre des usagers de cannabis : au mieux, on les enregistre dans le Fichier national des auteurs d’infraction à la législation des stupéfiants, mais il n’y a plus de réponse pénale et médicale. »
Au passage, je signale que j’ai eu du mal à retrouver la trace de ce fichier créé en 2008 et théoriquement opérationnel d’ici à la fin de cette année…
Un instrument fait manifestement défaut dans l’arsenal des réponses judiciaires, ce qui n’avait pas échappé, à l’époque, à la commission d’enquête sénatoriale de 2003.
Créer une incrimination d’usage simple sanctionné d’une contravention permettra de remédier aux incohérences du dispositif en vigueur.
Peut-on en effet faire encourir une peine d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende tout en renonçant par avance à appliquer la sanction ? Qu’en est-il du respect de la loi dû par le délinquant ?
En outre, la création de cette incrimination permettra de répondre rapidement à la réalité du premier usage, de diversifier le public soumis à la réponse pénale pour permettre, par exemple, d’appliquer cette contravention forfaitaire aux abords des établissements scolaires, accessoirement, de désengorger les tribunaux, mais, surtout, de sensibiliser les parents.
Je sais qu’un certain nombre d’arguments pourront être avancés contre cette nouvelle procédure, mais ils m’apparaissent bien secondaires par rapport au bénéfice d’un recul significatif des primoconsommateurs et d’une meilleure protection de la santé de nos enfants.
Je rappelle que la loi du 31 décembre 1970 ne visait que le code de la santé publique. C’est donc bien de santé publique que j’ai voulu parler aujourd’hui.
Mme Françoise Laborde. Eh oui !
M. Gilbert Barbier. Cette loi a besoin d’être adaptée ; elle ciblait à l’époque essentiellement les héroïnomanes, plus que les usagers de haschich. C’est dans le sens d’une meilleure réponse à ce problème de société que je vous propose, mes chers collègues, de voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens au préalable à saluer l’initiative de notre collègue Gilbert Barbier.
C’est celle, en premier lieu, d’un médecin considérant qu’il s’agit là d’une question de santé publique très préoccupante avant tout pour les jeunes, pour les adolescents de ce pays.
C’est celle, en second lieu, d’un parlementaire aux convictions affirmées s’exprimant en toute liberté sur une vraie question de société.
Je sais que sa démarche ne s’inscrit aucunement dans un calendrier électoral ; à travers elle, il exprime son souci primordial de faire avancer un dossier sur lequel, avec d’autres parlementaires de toutes sensibilités, il a beaucoup et bien travaillé.
Disant cela, je réponds au communiqué publié le 6 décembre par M. le président de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, qui plaçait ce dossier sur un terrain électoral. Or ce débat n’a rien à voir.
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Jacques Mézard, rapporteur. On pourra toujours dire qu’il n’a pas lieu au bon moment, mais alors ce ne sera jamais le bon moment ! La formule bien connue selon laquelle « le meilleur moyen de résoudre les problèmes est de ne point les poser » est irrecevable face à une problématique d’une telle ampleur.
Monsieur le garde des sceaux, dresser un constat d’échec au regard de la situation actuelle – telle est la réalité – constitue non pas une mise en cause de l’action gouvernementale, mais le constat de l’échec de nous tous, des majorités de sensibilités différentes qui se sont succédé depuis plusieurs décennies.
In limine, je souligne que le texte qui vous est présenté ne constitue pas un premier pas vers la dépénalisation ; ce n’est ni son objectif ni sa philosophie. Il vise, tout simplement, à apporter une réponse pénale effective, parce que proportionnée, à des comportements présentant un risque sérieux pour la santé.
Ce texte est la conclusion annoncée et logique du travail considérable et approfondi réalisé par la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, coprésidée par MM. Serge Blisko et François Pillet, laquelle, dans son rapport adopté le 29 juin 2011, a effectivement préconisé la création d’une peine d’amende de troisième classe sanctionnant le premier usage illicite constaté d’un stupéfiant.
Cette mission pluraliste, après un travail minutieux, après des dizaines d’heures d’auditions, après de multiples déplacements, a mis en évidence l’inadéquation totale de la législation actuelle avec la réalité de terrain, avec la réalité sociale.
À vrai dire, mes chers collègues, la réforme nécessaire de la loi du 31 décembre 1970 fut évoquée plusieurs fois ces dernières années. La contraventionnalisation fut reconnue comme une alternative sérieuse dès 2003, date à laquelle, déjà, une commission d’enquête sénatoriale sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites avait recommandé cette contraventionnalisation pour la première infraction d’usage simple.
D’ailleurs, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est à noter que M. Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, avait déclaré lors de son audition au Sénat : « Il est nécessaire de mettre en place un dispositif réellement applicable par les policiers, les gendarmes et les magistrats […] qui doit gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement à l’encontre de simples usagers ». Mais les années passent…
Quant au Premier ministre de l’époque, notre excellent collègue Jean-Pierre Raffarin, il déclarait sur la chaîne de télévision M6, le 21 mars 2004, que la peine de prison serait remplacée par « une contravention modeste pour le premier fumeur » ! Nous sommes en 2011, sept ans après, et un certain nombre d’élections ont eu lieu…
Ces déclarations étaient suivies par le dépôt conjoint, sur le bureau du Sénat et de l’Assemblée nationale, le 16 juin 2004, d’une proposition de loi, en termes identiques, de MM. Plasait, sénateur, et Dell’Agnola, député, rejoints par de nombreux parlementaires de toutes sensibilités. Puis il devint urgent de ne rien faire, ce qui fut fait.
Pourtant, qui peut soutenir aujourd’hui que la loi de 1970 ne justifierait pas une réforme urgente ?
En effet, que constatons-nous ? Une banalisation préoccupante de l’usage du cannabis en France, avec 12,4 millions d’expérimentateurs, dont 3,9 millions de consommateurs dans l’année et 1,2 million de consommateurs réguliers.
Plus de 42 % des jeunes de dix-sept ans déclaraient en 2008 avoir consommé du cannabis, avec des effets principaux inquiétants pour la santé : dépendance, lien avec certains troubles graves, voire irréversibles, de la santé, comme l’a rappelé Gilbert Barbier, en particulier l’augmentation des risques de schizophrénie en cas de consommation par les adolescents et des risques en matière de conduite automobile justifiant, nous le savons tous, des circonstances aggravantes en matière pénale.
Face à cette réalité, notre arsenal législatif est largement inadapté : l’article L. 3421-1 du code de la santé publique prévoit une sanction délictuelle, un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.
Certes, lorsque le parquet est saisi – cela n’arrive que dans une minorité de cas, monsieur le ministre, mais on ne me fera pas dire qu’il ne l’est jamais, car les chiffres sont à cet égard incontestables –, il dispose d’une palette élargie de réponses : rappel à la loi, composition pénale, ordonnance pénale – cette réponse est en ce moment très à la mode, car elle évite les audiences ! –, renvoi devant le tribunal correctionnel, mais aussi possibilité d’articulation avec un stage de sensibilisation, voire injonction thérapeutique, cette dernière ayant souvent montré son utilité.
Depuis la loi de 1970, nombre de circulaires d’application se sont succédé, mais nous connaissons tous la réalité : si, depuis 1970, c’est-à-dire en quarante et un an, le nombre d’interpellations a été multiplié par soixante, les procédures pour usage de stupéfiants atteignent 86 % de l’ensemble des interpellations et, dans ce chiffre, la part de l’usage du seul cannabis est de 90 %, dont la moitié est le fait de jeunes.
Nous savons tous aussi ce qu’il en est de l’usage statistique de ces interpellations, sans avoir à revenir sur la problématique de la garde à vue. Il est non moins clair que, dans nombre de territoires, cela relève de la variable d’ajustement et que beaucoup de constatations ne donnent lieu ni à interpellation ni à transmission au parquet – comment en serait-il autrement avec au moins 3,9 millions de consommateurs dans l’année ?
De plus, nous le savons tous, et c’est normal, la pratique des juridictions demeure très disparate d’un ressort à l’autre. En région parisienne, 14 % des interpellés font l’objet d’une condamnation pénale, y compris au moyen des ordonnances pénales, procédures par exemple privilégiées à Paris à la troisième interpellation pour usage de stupéfiants ou non-respect de l’injonction thérapeutique. Ces pratiques devraient nous inciter à relativiser les positions très tranchées que nous pouvons entendre ici ou là.
C’est après avoir réalisé ces observations que la mission commune d’information soulignait que la réponse pénale était « inadaptée aux réalités quotidiennes de la consommation de drogues illicites ». Elle constatait son inefficacité et déclarait qu’elle était disproportionnée et n’était, de ce fait, en pratique pas appliquée.
La mission d’information, confirmant de nouveau les missions de 2003 et 2004, a donc proposé de créer une contravention de troisième classe sanctionnant le premier usage de stupéfiants constaté.
Cette proposition présente plusieurs avantages évidents, notamment celui de fixer une sanction proportionnée à l’infraction : si le niveau maximum de la troisième classe est élevé – 450 euros –, il peut être recouru à l’amende forfaitaire de 68 euros quand la possibilité en est prévue par un décret en Conseil d’État – c’est l’article 529-1 du code de procédure pénale.
Elle permet une simplification de la procédure relevant du tribunal de police avec un juge de proximité. Il n’y a pas d’inscription au casier judiciaire et, comme le relève la mission, « on peut [légitimement] penser que la contravention alertera les parents des mineurs sur les pratiques de leurs enfants et la nécessité de s’impliquer dans la prévention ».
Elle ne s’applique aussi, il faut le rappeler pour éviter toute confusion – nous ne sommes pas laxistes, monsieur le garde des sceaux ! –, que pour l’usage donnant lieu à la première interpellation.
Bien sûr, si l’infraction est réitérée, ou si elle s’accompagne d’une circonstance aggravante mentionnée à l’article L. 3421-1 du code de la santé publique, elle retrouve la qualification de délit.
Sur le plan normatif, la contraventionnalisation du premier usage constaté implique la révision de l’article L. 3421-1 et la création d’une contravention de troisième classe. La première modification relève du législateur et la seconde du pouvoir réglementaire ; il a paru opportun de les combiner.
Le texte de l’article L. 3421-1 du code de la santé publique sera complété afin de prévoir que la première infraction constatée d’usage illicite est passible de l’amende contravention de troisième classe. Il écarte explicitement de la contraventionnalisation l’usage aggravé de substances illicites. Dans un deuxième temps, il appartiendra au pouvoir réglementaire d’instituer l’amende forfaitaire comme le lui permet le cadre légal.
Bien sûr, nous avons été attentifs, au sein de la commission, à certaines objections qui, pour l’essentiel, présentaient un caractère pratique, mais dont les arguments, dans leur majorité, étaient tout à fait réversibles.
Tout d’abord, sur la difficulté de caractériser la première infraction constatée, je dirai qu’une telle base existe, monsieur le garde des sceaux, même si l’on peut vous dire le contraire, sous la forme du Fichier national des auteurs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, le FNAILS, créé en 1989 par le ministère de l’intérieur aux fins de centraliser toutes les informations recueillies lors des enquêtes de police judiciaire relatives aux stupéfiants, et dont la gestion est confiée à l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants.
Je puis vous dire que le directeur de l’Office central nous a confirmé le 29 novembre dernier que ce fichier, sur l’existence duquel nous avons été peu et incorrectement renseignés lors de la préparation du rapport, serait opérationnel à la fin du mois de décembre 2011, car il est enfin prêt et en cours de déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Il s’imposera à tous les services.
Sur le plan pratique, cela nécessitera naturellement la vérification de l’identité et son référencement, mais avec, in fine, une charge moindre pour les services de police et de gendarmerie. Si besoin était – je réponds à une objection technocratique –, il suffit, en application de l’article 26 de la loi Informatique et libertés, d’un arrêté ou d’un décret pour l’utiliser dans le cadre de l’application du présent texte.
Quand à la non-inscription au casier judiciaire d’un premier usage constaté, il convient de rappeler que, dans le nouveau cadre envisagé, la saisine du parquet devrait en principe résulter d’un comportement réitérant ; surtout, les inconvénients des effets de stigmatisation seront évités, ce qui est d’autant plus souhaitable avec les différences considérables constatées dans les territoires, selon les hommes en charge de cette politique.
Quant à la question du recouvrement des amendes forfaitaires, on nous dit que seulement 35,2 % d’entre elles sont recouvrées en 2008. Ce n’est pas un très bon résultat, monsieur le garde des sceaux. Faudrait-il se satisfaire de l’impunité au motif que l’exécution de la sanction pénale est insatisfaisante ?
Je profite de cette occasion, mes chers collègues, pour relever qu’il serait plus judicieux d’appliquer les sanctions pénales existantes que de prendre sans cesse des textes les durcissant et les multipliant ! (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
J’en viens à la question de l’efficacité des enquêtes. Celles-ci seraient facilitées par le cadre législatif autorisant le placement en garde à vue. C’est une bonne objection. Néanmoins, au-delà du fait que la garde à vue paraît inappropriée à un premier usage constaté, en pratique les enquêteurs peuvent toujours, vous le savez mieux que moi, monsieur le garde des sceaux, retenir d’autres qualifications comme la détention de stupéfiants pour recourir à cette mesure. L’alinéa 2 de l’article 529 du code de procédure pénale dispose clairement la non-application de la procédure de l’amende forfaitaire en cas d’infractions simultanées.
Il faut aussi souligner que, bien sûr en l’état, le caractère délictuel subsiste à l’identique lorsqu’il ne s’agit pas du premier usage constaté.
Enfin, sur la création d’une contravention, je rappelle que le Conseil constitutionnel a admis la compétence législative pour instituer des amendes contraventionnelles et, en l’espèce, le législateur ne pourrait se borner à exclure les primo-usagers du champ d’application de l’article L. 3421 du code de la santé publique sans brouiller le sens même de la proposition de loi.
Ces points étant rappelés – nous avons effectué, je le crois, une approche très précise du dossier –, je suis conscient, en ma qualité de rapporteur, que la proposition de loi ne saurait à elle seule endiguer la diffusion du cannabis et qu’elle ne peut prendre tout sens qu’au cœur d’une véritable politique globale, comme l’a rappelé Gilbert Barbier, avec un discours plus clair et plus ferme sur les dangers pour la santé de l’utilisation d’un cannabis dont le degré de toxicité, monsieur le ministre, est dix à quinze fois plus élevé qu’il y a vingt ans par la concentration du principe actif.
La commission des lois, en vous proposant d’adopter le texte qui vous est soumis, a le sentiment qu’il constitue une amélioration de la législation actuelle, et c’est pour nous l’essentiel ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)