M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, dont le Sénat est saisi en première lecture et pour lequel la procédure accélérée a été engagée, recouvre trois réformes d’ampleur qui auraient pu justifier autant de projets de loi distincts : la participation de citoyens assesseurs aux jugements de certains délits et aux décisions concernant l’application des peines ; la création d’une nouvelle formation de la cour d’assises ; enfin, la modification de plusieurs dispositions importantes de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
La portée notable des transformations proposées doit cependant être relativisée dans la mesure où, s’agissant de la participation de citoyens assesseurs aux différentes juridictions pénales, l’application des dispositions du projet de loi fera d’abord l’objet d’une expérimentation dans le ressort d’un nombre limité de cours d’appel jusqu’au 1er janvier 2014. Puis le législateur se prononcera sur la généralisation éventuelle de ces innovations, au vu de leur expérimentation.
Si la commission des lois, qui s’est vu imposer des délais d’examen de la réforme très contraignants, souscrit à l’objectif d’une plus grande participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, elle souhaite toutefois dissiper immédiatement une ambiguïté fondamentale.
L’enjeu de la réforme ne saurait être celui d’une justice plus rigoureuse. L’idée selon laquelle les citoyens seraient plus sévères que les magistrats relève de la fiction, pour ne pas dire de la contre-vérité. La comparaison des jugements des tribunaux correctionnels, formés aujourd’hui des seuls magistrats, et de ceux des cours d’assises avec jury peut utilement nous éclairer sur ce point.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Depuis dix ans, le quantum des peines prononcées aux assises est stable, tandis que celui des peines correctionnelles ne cesse d’augmenter. Devant la commission des lois, M. le garde des sceaux a également rappelé les leçons de l’histoire. La spécialisation initiale des jurés, qui décidaient uniquement de la culpabilité, laissant aux seuls juges professionnels le choix de la peine, amenait bien souvent les jurés à ne pas admettre une culpabilité pourtant évidente, afin d’éviter des sanctions excessivement lourdes. C’est ainsi que, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, on enregistre un taux d’acquittement proche de 40 %.
Il s’agit donc d’encourager l’appropriation par les citoyens des décisions de justice, au nom des « exigences plus générales de cohésion sociale et de respect du pacte républicain », comme le souligne l’exposé des motifs du projet de loi, l’ambition ultime résidant dans la réconciliation des Français avec leur justice, objectif essentiel de toute démocratie apaisée.
Selon un sondage réalisé en mai 2008 par l’IFOP, sur l’initiative du Conseil supérieur de la magistrature, et relatif à la confiance accordée par le grand public aux différentes institutions, la cote de la justice est largement dépassée par celles des hôpitaux, de l’école, de l’armée, de la police ou de la fonction publique. Elle précède cependant, mes chers collègues, celle des élus, avant-derniers, et des médias, lanterne rouge de ce redoutable « hit-parade ».
Si le texte proposé par le Gouvernement répond pour partie à cet objectif de réconciliation des Français avec leur justice, il soulève cependant plusieurs interrogations, qui ont conduit la commission des lois à proposer, sur certains points, des équilibres différents.
Sur le premier volet du projet de loi, qui concerne la participation des citoyens à la justice pénale, je n’ai pas rencontré beaucoup d’objections de principe. La présence de citoyens dans les tribunaux correctionnels, notamment, et une plus large ouverture de la justice sur la société figurent parmi les revendications du Syndicat de la magistrature. Elles figuraient également dans la profession de foi du candidat Nicolas Sarkozy lors de la dernière élection présidentielle.
Cette référence à une justice démocratique, fille de la Révolution, n’est-elle pas aujourd’hui unanimement appréciée dans l’opinion comme chez les magistrats eux-mêmes ? À cet égard, permettez-moi de citer le témoignage de M. Jean-Pierre Getty, président de la cour d’assises de Paris, qui me paraît très représentatif de l’opinion de ses collègues.
« La présence des jurés pour l’examen et le jugement des affaires criminelles est la meilleure garantie que l’on puisse offrir au justiciable. Leur questionnement, leur souci permanent de ne pas commettre d’erreur judiciaire, leur recherche de la juste peine créent, pour les magistrats professionnels, une remise en cause permanente de leurs pratiques, ainsi que la nécessité d’expliquer, voire de justifier leurs prises de position sur les différents aspects de l’affaire. Ceci favorise une absence de routine extrêmement bénéfique à la prise de décision finale. »
Si les vertus des jurés sont telles, pourquoi ne pas leur accorder une plus large place ?
Rappelons encore que l’association des citoyens à la justice pénale se rattache à deux modèles.
Le premier est celui du juré, tiré au sort, qui remplit une mission brève mais intense et dispose d’un pouvoir décisionnel autonome. Le second est celui de l’échevin, qui se porte candidat pour sa compétence particulière en un domaine et intervient de manière ponctuelle, mais durable.
S’agissant du juré, la loi du 28 juillet 1978 – ce n’est pas si ancien ! – a parachevé la démocratisation du jury d’assises, en posant le principe d’un tirage au sort à tous les stades du recrutement, à partir des listes électorales. La présomption d’infaillibilité du jury, émanation du peuple souverain, a longtemps justifié l’absence d’un second degré de juridiction pour les crimes. Après l’échec de la réforme proposée par M. Jacques Toubon en 1996, en raison de la dissolution, en 1997, de l’Assemblée nationale, il a fallu attendre la loi du 15 juin 2000 pour que ce projet aboutisse, sur l’initiative de la commission des lois du Sénat. Depuis, l’existence d’une cour d’assises d’appel, composée de douze jurés au lieu de neuf, a démontré son utilité ; je vous renvoie notamment à l’affaire d’Outreau.
Le modèle de l’échevin, qui repose sur la sélection des candidatures, s’incarne dans l’assesseur du tribunal pour enfants et du tribunal correctionnel de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que dans le juge de proximité. On le trouve également dans la formation élargie de la chambre d’application des peines, à laquelle participent deux représentants de la société civile.
La participation des citoyens à la justice pénale, objet de controverses, est parfois contournée. Je pense à l’instauration de cours d’assises sans jury pour les infractions militaires, en matière de sûreté de l’État, de terrorisme et de trafic de stupéfiants et, surtout, à la correctionnalisation des affaires criminelles, phénomène qui concernerait près de la moitié des crimes, voire les deux tiers d’entre eux.
Le Conseil constitutionnel a rappelé que, « s’agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion de juges non professionnels doit rester minoritaire ». Cette réserve d’interprétation ne vaut pas pour les cours d’assises, dont la composition répond à une double exigence d’indépendance et de capacité, garantie par le tirage au sort et les conditions d’aptitude, et renforcée par le système de récusation. En outre, note-t-on dans l’étude d’impact du projet de loi, l’ancienneté de la cour d’assises et le lien étroit entre le juré et l’expression de la souveraineté populaire pourraient conduire à voir dans l’institution du jury un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Le projet de loi vise, d’une part, à mieux représenter les citoyens dans les tribunaux correctionnels et les juridictions de l’application des peines et, d’autre part, à créer une formation allégée de la cour d’assises, pour simplifier l’organisation de la justice. Ce double objectif s’appuie sur la création de la nouvelle catégorie du citoyen assesseur, qui se situe entre le juré des cours d’assises et le juge de proximité. De fait, son mode de désignation combine le tirage au sort et une sélection fondée sur certains critères d’aptitude et d’impartialité. L’inscription sur la liste annuelle des citoyens assesseurs résulte d’un choix effectué en fonction de plusieurs critères : il faut satisfaire les conditions requises pour être juré, mais aussi présenter des garanties d’impartialité et de moralité.
Comment évaluer ces critères ? Les citoyens tirés au sort sur les listes préparatoires recevront un questionnaire, mais celui-ci peut se révéler intrusif. La commission départementale pourra procéder ou faire procéder à l’audition des personnes qui n’auraient pas répondu ou auraient répondu de manière incomplète à ce questionnaire. Enfin, cette commission, pour inscrire une personne sur la liste annuelle devra procéder à une enquête relative à la moralité et l’impartialité de l’intéressé.
Le projet de loi conduit ainsi à créer pas moins de six nouvelles formations de jugement, dont une pour le jugement des mineurs.
Tout d’abord sont créées deux formations en matière correctionnelle, composées de trois magistrats professionnels et de deux citoyens assesseurs : « le tribunal correctionnel citoyen », si je puis m’exprimer ainsi, compétent pour juger des faits de violence contre les personnes punis de cinq, sept ou dix ans d’emprisonnement et relevant actuellement du tribunal correctionnel collégial, et la chambre des appels, pour statuer sur l’appel formé contre une décision rendue par ce tribunal correctionnel citoyen.
Ensuite, une nouvelle formation de la cour d’assises au premier degré est créée, composée elle aussi de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs, dotée d’une compétence de principe pour les crimes passibles de quinze et vingt ans de réclusion criminelle, commis en l’absence de récidive. Le procureur de la République ou l’accusé, mais non la partie civile, pourront toujours demander le jugement par une cour d’assises composée d’un jury.
De surcroît, le projet de loi vise à modifier la procédure devant la cour d’assises, quelle que soit sa formation, sur deux points : la suppression de la lecture par le greffier de la décision de renvoi, lecture qui pouvait durer plusieurs jours, au bénéfice d’un exposé du président et la motivation des décisions criminelles.
En bref, nous aurions, si vous me permettez la familiarité de l’expression, une cour d’assises light, où siégeront deux citoyens assesseurs, et une cour d’assises hard, où les jurés seront majoritaires.
Deux nouvelles formations sont également prévues pour l’application des peines : le tribunal de l’application des peines comprendra deux citoyens assesseurs lorsqu’il se prononcera sur le relèvement de la période de sûreté, ainsi que sur les libérations conditionnelles. Il aura compétence pour les décisions impliquant des personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à cinq ans. Lorsqu’elle statuera sur les décisions du tribunal de l’application des peines, la chambre de l’application des peines comportera également deux citoyens assesseurs, qui remplaceront les représentants des associations qui siègent à l’heure actuelle.
La mise en œuvre globale de la réforme, à partir du 1er janvier 2014, rendra nécessaire, sur la base des hypothèses retenues dans l’étude d’impact, la mobilisation de 32,7 millions d’euros en crédits d’investissement et de 8,4 millions d’euros en crédits de fonctionnement, indemnisation des citoyens assesseurs incluse, sans tenir compte des 155 postes de magistrat et 108 postes de greffier dont M. le garde des sceaux a obtenu la création.
En tant que rapporteur, j’ai voulu que les dispositions de ce projet de loi permettent d’atteindre les objectifs qui y sont fixés : nous avons ainsi simplifié le mode de désignation des citoyens assesseurs, en élargissant le champ de compétence du tribunal correctionnel citoyen et, concernant la cour d’assises, réaffirmé le pouvoir des jurés populaires et le refus de la scission du statut de la cour d’assises.
Pour ce qui concerne le jugement des crimes, la commission a souhaité maintenir les grands principes gouvernant les assises. Elle s’est étonnée que, dans le cadre d’une réforme justifiée par la mise en place d’une meilleure participation citoyenne, on commence par remplacer, dans près de 90 % des affaires criminelles en première instance, les neuf jurés par deux assesseurs. Elle a également regretté que la composition de la nouvelle cour d’assise « allégée » soit alignée sur celle du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs, le souci de prévenir la « correctionnalisation » des crimes conduisant largement à une forme de « correctionnalisation » des assises elles-mêmes.
La commission a donc choisi de simplifier le système existant sans en remettre en cause les principes fondamentaux.
C’est ainsi qu’elle a réduit l’effectif du jury de neuf membres à six membres en première instance, et de douze membres à neuf membres en appel : cette solution permet, d’une part, de garantir la prépondérance des jurés par rapport aux magistrats et, d’autre part, de préserver la règle d’une majorité qualifiée pour obtenir la condamnation de l’accusé.
À propos du jugement des délits, la commission a souhaité élargir le périmètre des compétences de la formation du tribunal correctionnel comportant des citoyens assesseurs à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans. Compte tenu de l’importance des enjeux représentés pour la société par les questions d’environnement, il est apparu justifié d’ajouter également à ces compétences les infractions au code de l’environnement passibles – selon les mêmes critères – d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans.
Lors des auditions de la commission, j’avais perçu la crainte qu’une forme de division n’apparaisse entre un « contentieux des pauvres », incluant la présence des citoyens assesseurs, et un « contentieux des riches », où seuls siégeraient des magistrats professionnels. Cette analyse est caricaturale et je suis en outre convaincu que le bon sens des citoyens assesseurs peut se révéler utile et nécessaire au-delà des seules affaires de violences aux personnes.
La commission a estimé que la présence de citoyens assesseurs au sein des tribunaux et de la chambre d’application des peines était justifiée : elle permettra de consacrer le principe de l’intervention citoyenne pour la remise en cause des peines prononcées par un jury populaire, qui tiennent à cœur à la société.
De plus, je ne crois nullement impossible d’expliquer à l’opinion, comme aux futurs citoyens assesseurs, que la libération conditionnelle – pour prendre cet exemple – joue un rôle central dans la réinsertion, celle-ci demeurant l’objectif essentiel à poursuivre. Je profite de ce propos pour rappeler que la lutte contre la récidive et les actions de réinsertion sont aussi indissociables que l’avers et le revers de la même médaille.
Le second volet de ce projet de loi est constitué d’une vingtaine de propositions visant à adapter l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, afin de rendre la réponse judiciaire plus rapide et plus lisible.
Entre 2002 et 2009, le nombre des mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a crû de 19 % ; notons toutefois que la progression enregistrée chez les majeurs s’élève à 32 %. Parmi ces mineurs, peu réitèrent : sept mineurs sur dix ne font pas l’objet de nouvelles poursuites, ou d’une mesure alternative aux poursuites, dans l’année suivant la fin de leur prise en charge. En revanche, un petit noyau de 5 % serait responsable de près de la moitié des infractions commises.
En France, « la justice des mineurs n’est pas particulièrement laxiste ; elle est erratique ». Aujourd’hui, en dépit des neuf modifications apportées depuis 2002 à l’ordonnance du 2 février 1945, ce constat, dressé il y a neuf ans par la commission d’enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs et par son rapporteur, notre collègue Jean-Claude Carle, demeure largement partagé.
Le principal grief adressé à la justice française des mineurs porte sur sa lenteur : entre le moment des faits et celui de la condamnation définitive par le juge ou le tribunal, près de dix-huit mois s’écoulent, et jusqu’à cinq ans lorsqu’il s’agit d’une condamnation par une cour d’assises des mineurs.
Son manque cruel de lisibilité et de cohérence est un autre défaut de la justice des mineurs. L’ordonnance du 2 février 1945 a fait l’objet de trente-quatre modifications, sans que son architecture fasse l’objet d’une refonte d’ensemble. À la demande du Gouvernement, une commission présidée par le recteur André Varinard a remis, en décembre 2008, un rapport préconisant notamment la création d’un code de la justice pénale des mineurs.
Le Gouvernement a fait valoir que l’avant-projet de loi inspiré de ce rapport serait discuté conjointement avec la réforme d’ensemble de la procédure pénale : c’est pourquoi son examen par le Parlement a, pour l’heure, été repoussé.
Le Gouvernement a toutefois jugé nécessaire de modifier dès à présent l’ordonnance du 2 février 1945.
Il s’agit d’abord de renforcer l’efficacité de la chaîne pénale. Grâce à la création du dossier unique de personnalité, qui réunira toutes les investigations portant sur la personnalité du mineur, la juridiction saisie sera en mesure de statuer en toute connaissance de cause, y compris dans le cadre d’une procédure rapide de poursuite.
La procédure de convocation devant le tribunal pour enfants par officier de police judiciaire permettra de juger dans un délai bref les mineurs déjà connus de l’institution judiciaire ; corrélativement, la procédure de convocation par officier de police judiciaire devant le juge des enfants aux fins de jugement, peu utilisée, sera supprimée.
Le projet de loi prévoit enfin la création d’un nouveau tribunal correctionnel pour mineurs, compétent pour juger les mineurs âgés de seize à dix-huit ans ayant commis des délits en état de récidive légale.
Le deuxième objectif de la réforme consiste à accroître l’éventail des outils mis à la disposition des magistrats, afin d’adapter la réponse pénale à la personnalité des mineurs. La juridiction de jugement pourra désormais assortir une peine d’une sanction éducative. De même, le projet de loi facilite le placement du mineur en centre éducatif fermé et encadre la pratique de l’assignation à résidence avec surveillance électronique. Enfin, dans le cas des mineurs de plus de seize ans, le juge des enfants pourra convertir en travail d’intérêt général une peine d’emprisonnement ferme de faible quantum.
Le troisième objectif poursuivi consiste à renforcer l’implication des parents défaillants ; ces derniers seront systématiquement informés des décisions de l’autorité judiciaire, et les juridictions pourront délivrer à leur encontre un ordre de comparaître, afin de les contraindre à assister à l’audience. Les représentants légaux du mineur seront également jugés par jugement contradictoire à signifier, et non plus par défaut.
La commission des lois et son rapporteur, plutôt favorables à ces dispositions, ont estimé que la mise en œuvre des procédures rapides de poursuites devrait être subordonnée au fait que la juridiction dispose d’investigations approfondies et récentes sur la personnalité du mineur. Cette clarification nous a semblé nécessaire, à plus forte raison après la censure prononcée par le Conseil constitutionnel contre la deuxième loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2.
La commission considère également que le tribunal correctionnel pour mineurs, conformément à l’exigence constitutionnelle de spécialisation des juridictions pour mineurs, doit être présidé par un juge des enfants.
Nous avons enfin prévu que la victime serait systématiquement informée de la date du jugement, afin d’être en mesure de se constituer partie civile.
Avant de conclure mon intervention, je tiens à remercier M. le garde des sceaux de l’écoute dont il a fait preuve au cours des travaux accomplis en commun avec la commission des lois. Mes chers collègues, je crois pouvoir assurer que le Gouvernement et la commission des lois ont su faire un pas l’un vers l’autre, permettant ainsi d’aboutir au texte du projet de loi qui vous est présenté aujourd’hui et qui me semble équilibré. La commission vous demande donc de bien vouloir l’adopter, en tenant bien évidemment compte de ses amendements ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et sur certaines travées du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)
Demande de priorité
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, afin de faciliter le déroulement des débats lors de l’examen du titre II du projet de loi, qui porte sur les dispositions modifiant l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, la commission des lois souhaite que les articles 17 et 29 soient examinés par priorité. Ces articles viendraient donc en discussion au début du titre II, c’est-à-dire juste avant l’examen de l’article 10.
M. le président. Je rappelle que la priorité est de droit lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Anziani. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai par un rappel historique.
L’an passé, la réforme de la procédure pénale nous était présentée comme une urgence. Mais l’urgence de cette époque n’était pas la même que celle d’aujourd’hui ! Il s’agissait, à la demande du président de la République, de supprimer le juge d’instruction et de mettre en place une procédure accusatoire dont nous voyons en ce moment même les effets…
En juillet dernier, le Conseil constitutionnel imposait une autre urgence : celle de réformer la garde à vue à la française, que nous dénoncions depuis des années mais que, depuis des années, la chancellerie s’obstinait à considérer comme parfaite en tous points. (M. le garde des sceaux s’étonne.)
Aujourd’hui, une troisième urgence vient chasser les deux autres : il serait nécessaire de réformer dans l’urgence, avant l’été, la procédure d’audience et la justice des mineurs.
L’accélération qui s’est produite au cours des dernières semaines est critiquée par notre rapporteur lui aussi, qui tout à l’heure a dénoncé les délais imposés au Sénat pour examiner un projet de loi revêtant tout de même une certaine importance. Quelle peut donc bien en être la raison ?
À la réflexion, j’ai pensé que cette réforme résultait sans doute d’une concertation approfondie avec les professionnels concernés, conduite sur le fondement des préconisations de la commission Léger, mise en place, précisément, pour préparer une réforme de la procédure pénale.
Malheureusement, il n’en est rien ! Ce projet de loi n’est pas issu d’une concertation. Son dépôt a été annoncé un soir, lors d’une émission télévisée, par le ministre de l’intérieur – alors qu’on aurait pu s’attendre, monsieur le garde des sceaux, à ce que vous le fassiez vous-même…
Sans doute, monsieur le garde des sceaux, avez-vous immédiatement réagi – cela mérite d’être salué. Vous avez déclaré que l’ardeur de votre collègue devait être tempérée, et que, à cette fin, les nouveaux jurés siégeraient seulement en appel. Nous avons aujourd’hui le projet de loi sous les yeux, et nous nous apercevons que le ministre de l’intérieur, en fin de compte, l’a emporté… Deux jurés populaires siégeront en effet en première instance, et cela le plus vite possible.
Le cheminement des dispositions relatives aux mineurs, à propos desquelles Mmes Tasca et Boumediene-Thiery s’exprimeront plus longuement tout à l’heure, fait apparaître une même incohérence.
En avril 2008, Mme Dati soulignait – vous l’avez vous-même rappelé tout à l’heure, monsieur le garde des sceaux – qu’une trentaine de modifications avaient été apportées depuis la guerre à l’ordonnance du 2 février 1945…
M. Alain Anziani. … et Mme Dati de conclure – vous conviendrez que j’ai de bonnes lectures ! – que ces retouches successives nuisaient à la clarté et à la compréhension de la justice des mineurs. Mme Dati avait donc constitué la commission Varinard, dont le rapport préconisait bien plus qu’une simple modification partielle de l’ordonnance du 2 février 1945.
Mme Alliot-Marie, considérant la situation à son tour, a jugé que l’ordonnance du 2 février 1945 était devenue « illisible », ajoutant que cet état de fait était « contraire au rôle et au but de notre droit ». Quelle belle ambition, en effet, que la cohérence !
Mais quelle contradiction dans votre démarche, puisque vous venez défendre devant nous l’addition d’une nouvelle couche à un « millefeuille législatif » – une couche au goût d’ailleurs amer, puisqu’il s’agit en réalité d’une modification profonde de la nature de notre justice des mineurs !
Je renouvelle donc ma question : quel est le sens de ce double projet de loi ? Je vais essayer de vous démontrer qu’une seule interprétation est possible.
M. Alain Anziani. Le seul sens que je trouve à votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, c’est la défiance envers les magistrats. (M. le garde des sceaux s’exclame.) Je ne vois pas d’autre explication que cette défiance envers les juges et, plus généralement, envers le monde judiciaire !
D’ailleurs, n’ayons pas la mémoire courte : cette défiance a été clairement exprimée par le Président de la République lui-même ! Il y a quelque temps, le Président de la République a comparé les magistrats à des petits pois… (Protestations sur les travées de l’UMP.) On peut établir des rapprochements plus élogieux ! Poursuivant la comparaison, il ajoutait qu’ils avaient « la même couleur, le même gabarit, la même absence de saveur »… (Monsieur le garde des sceaux proteste.)
Je comprends bien votre dénégation, monsieur le garde des sceaux ; mais c’est au Président de la République qu’elle doit s’adresser, car il a vraiment tenu ces propos et procédé à cette description très précise ! Malheureusement pour lui, cependant, les petits pois ont refusé de passer à la casserole ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Après l’affaire de Pornic, notamment, ils se sont agités, obtenant même le soutien des forces de police et de gendarmerie…
Aujourd’hui, bien entendu, vous souhaitez les cuisiner à votre façon : en les réduisant. Pour cela, vous mettez en place des peines planchers ou, en matière d’immigration, des mesures administratives.
Je le sais bien, monsieur le garde des sceaux, vous allez nous assurer que cette réforme a un autre objet, à savoir rapprocher la justice des citoyens. Mais, sincèrement, comme le faisait remarquer Jean-Pierre Michel, voyez l’intitulé de votre texte : « Projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale […] ». Qu’est-ce que cela signifie, littéralement ? Que les magistrats ne sont pas eux-mêmes des citoyens ! Cette formulation pour le moins maladroite explique précisément la méfiance suscitée par ce texte.
D’ailleurs, de quelle justice pénale nous parlez-vous ? En fait, vous scindez la justice en deux : d’un côté, il y aura la justice qui traitera des délits portant « une atteinte particulièrement grave à la cohésion sociale du pays », à savoir les violences, les vols avec violence, les violences conjugales habituelles, les agressions sexuelles, les atteintes à l’environnement, l’usurpation d’identité ; d’un autre côté, il y aura une autre justice, celle qui traitera des affaires de corruption, des délits d’initiés, des infractions économiques, des scandales financiers ou du monde des affaires, autant d’infractions qui, si l’on en croit votre raisonnement, ne menaceraient pas la cohésion sociale de notre pays et dont le jugement ne requerrait pas la présence du peuple.
Je ne suis pas sûr que les citoyens dont vous voulez nous rapprocher s’y retrouvent.
En réalité, vous voulez encadrer les magistrats, que vous jugez trop laxistes, par des citoyens, que vous espérez plus sévères.
La conséquence est immédiate : vous limitez le pouvoir du juge, qu’il s’agisse de celui de prononcer des peines, celui d’accorder des libérations conditionnelles ou celui de juger des mineurs.
Sur ces deux derniers points, vous proposez qu’un citoyen chasse l’autre. C’est quelque peu paradoxal.
En matière d’application des peines, l’assesseur citoyen assistera désormais les magistrats. En appel, il remplacera le représentant de l’association d’aide aux victimes et le représentant de l’association de réinsertion, qui interviennent déjà. Dans une matière aussi complexe, quel est l’intérêt de remplacer un citoyen qualifié, reconnu pour sa compétence et son intérêt pour la justice par quelqu’un qui, au fond, n’aura ni cette expérience, ni cette compétence, ni cet intérêt ? Nous n’en voyons qu’un : rendre plus difficiles les libérations conditionnelles. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat opine.)
La même substitution interviendra dans la justice des mineurs, que d’autres collègues traiteront plus précisément.
Pour conclure, je voudrais dire un mot de l’étude d’impact annexé au projet de loi.
Celle-ci ne consacre qu’à peine une demi-page aux conséquences matérielles de cette réforme, qui va pourtant concerner plusieurs dizaines de milliers d’affaires.
Je vous donnerai non pas mon point de vue, que vous jugeriez partial, mais celui de quelqu’un qui est issu de vos rangs, à savoir Jean-Paul Garraud,…