M. Alain Anziani. … secrétaire national à la justice de l’UMP, que je connais bien, car nous sommes élus du même département.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le parti socialiste cite la Droite populaire, maintenant ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Alain Anziani. Il craint un ralentissement considérable de la justice, un risque de paralysie, a-t-il précisé à l’AFP. Il ajoute que nous allons changer la nature de la procédure et la faire évoluer vers une procédure orale, qui exigera beaucoup plus de temps d’audience.
Selon le même, au lieu de juger quarante affaires par jour, on en jugera deux. Peut-être est-il trop sévère, peut-être en jugera-t-on trois…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quatre !
M. Alain Anziani. … ou quatre, mais nous voyons bien que tout cela va allonger la durée des audiences et le coût des affaires.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, et M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si les affaires sont mieux jugées !
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, la principale question qui se pose à la justice est celle des moyens dont elle dispose. Son budget se situe misérablement au trente-septième rang en Europe ; notre pays compte, pour 100 000 habitants, dix magistrats, soit la moitié de la moyenne européenne, et trois procureurs, contre huit chez nos voisins. Pourtant, vous nous proposez une réforme qui va augmenter le coût des procédures et allonger les délais. C’est exactement l’inverse de ce qu’il serait nécessaire de faire.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Anziani. Ainsi, en quatre ans, cinq lois ont limité le pouvoir des juges, cinq lois qui n’ont en rien fait reculer la délinquance dans notre pays, cinq lois largement inutiles, auxquelles vous ajoutez aujourd’hui un sixième texte qui aura des effets dévastateurs tant sur la réinsertion des majeurs que sur la prévention de la délinquance des mineurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, je m’en tiendrai, dans mon intervention, au projet initial présenté par le Gouvernement, projet initial qui avait pour objectif d'améliorer, de renforcer ou encore d'élargir la participation des citoyens assesseurs ou des citoyens jurés à toutes les instances judiciaires.
Voilà qui procède d’une juste cause dès lors que l'ambition qui la sous-tend respecte les principes d'indépendance et d'impartialité de l'autorité judiciaire énoncés dans notre Constitution.
La participation des jurés au délibéré de la cour d'assises est le garant de ces principes : principe de la légalité, principe de l'application des lois dans le temps, de l'individualisation des peines, principe, encore, de la présomption d'innocence.
Autant de fondements qui expliquent le plébiscite dont font l’objet, depuis bien longtemps, les jurys populaires, qui ajoutent au jugement des techniciens du droit leur intime conviction.
Pourquoi, alors, le texte du projet initial rompt-il ce délicat équilibre sous prétexte d'impliquer davantage le citoyen dans la prise d'une décision de justice rendue au nom du peuple, si ce n'est pour répondre à une autre ambition, celle qui nous est proposée dans ce projet de loi, c'est-à-dire le durcissement de nos procédures pénales ?
Je n'en veux pour preuve que l'omission bien malencontreuse dans le projet présenté par le Gouvernement du principe de présomption d'innocence. Dans votre conclusion sur les objectifs de la loi, n'écrivez-vous pas que ce texte « prévoit la motivation des arrêts d'assises, qui permettra aux personnes condamnées de connaître les principales raisons pour lesquelles la cour d'assises a été convaincue de leur culpabilité » ?
Qu'en est-il des arrêts d'acquittement ? Notre droit et notre justice ne peuvent laisser subsister un doute sur le respect de ce principe, déjà largement ébranlé par l'introduction du « plaider coupable », par le renforcement du rôle du parquet, dont la qualité d'autorité judiciaire est pourtant contestée par la Cour européenne des droits de l’homme au motif que celui-ci n'est pas indépendant et autonome de l'exécutif, ou encore par les projets de suppression du magistrat instructeur.
Sous prétexte d'améliorer le fonctionnement des cours d'assises et de remédier à la multiplication des cas de correctionnalisation des infractions, vous proposez de remplacer les actuels neufs jurés de cour d'assises par deux assesseurs à l'instance des crimes punis d'une peine maximale de quinze ou de vingt ans, à l'image du dispositif fixé s'agissant de la procédure correctionnelle.
Vous instituez ainsi, implicitement, une correctionnalisation légale des primo-crimes ou, inversement, une criminalisation des délits. De fait, le tribunal correctionnel et la cour d'assises avec deux assesseurs citoyens et trois magistrats ne se distingueront plus que par leur nom. Les infractions, qu'elles soient qualifiées de délit ou de crime, seront toutes poursuivies, introduites et renvoyées selon la même procédure et sur le fondement des mêmes règles d'audiencement devant des instances différenciées par leur seul nom. Notre cour d'assises, dès lors, en sa formation traditionnelle actuelle, deviendra exceptionnelle et réservée aux crimes en récidive, à la faculté des parties de s'opposer à la formation « assesseurs » et aux crimes les plus odieux qui font encourir plus de vingt ans de réclusion criminelle.
En proposant pareil dispositif, le Gouvernement introduit une nouvelle hiérarchie, celle de l'auteur et non plus celle de l'infraction. Jusqu'à présent, il s'agissait de distinguer les crimes des délits et de protéger le principe du procès équitable : même juridiction pour même qualification.
Aujourd'hui, la différenciation vient de la qualité de l'auteur : le récidiviste ne sera pas traité comme le primo-délinquant ; cette circonstance jusqu’à présent aggravante devient un élément constitutif de l'infraction qui justifierait à lui seul non pas une sanction plus sévère, mais une juridiction particulière et exceptionnelle.
Le petit criminel aura droit à la cour citoyenne, le grand criminel à la cour d'assises ; le petit criminel sera traité comme le prévenu.
Au total, on assistera à un renforcement de la répression et à une aggravation des peines non pas encourues, mais prononcées, chacun sachant bien la plus grande sévérité des peines prononcées par les magistrats correctionnels par rapport à la relative clémence des cours d'assises.
Au-delà de ce changement d'orientation voulu, je voudrais soulever le problème des moyens matériels et budgétaires nécessaires à l'application de cette réforme.
Par le jeu des dispositions visées aux futurs articles 181–1, 240–1 et 237–1 du code de procédure pénale, articles relatifs aux assesseurs de cour d'assises et destinés à réduire, dites-vous, de moitié les délais de détention, vous écartez, comme d'un revers de main, les difficultés administratives, matérielles et financières qui vont affecter dans leur fondement les missions et les charges de nos magistrats.
Raisonnablement, l'impact positif de la réforme sur les délais de comparution de la personne poursuivie est peu probable. En revanche, bien probable est le cortège des difficultés à venir : les désistements de dernière heure des assesseurs, le temps nécessaire pour les familiariser avec une matière difficile à appréhender par le plus grand nombre, le coût des indemnisations.
Mais, surtout, il est à craindre que ce projet n’ait des incidences sur le délai des comparutions, voire sur les comparutions immédiates elles-mêmes. Compte tenu de l'impossibilité de réunir le tribunal le jour même, le prévenu sera présenté devant le seul juge des libertés et de la détention ou devant le tribunal composé alors des seuls magistrats.
Dans l'hypothèse d'une détention provisoire, le délai de placement ne devrait pas excéder un mois, délai au-delà duquel le prévenu serait remis en liberté.
Dès lors, en matière criminelle, alors que le Gouvernement dit vouloir réduire à six mois le temps de détention provisoire, qu'en sera-t-il vraiment ? Doit-on craindre ou se réjouir de voir remis en liberté un accusé au terme des six mois ? Doit-on craindre ou se réjouir de voir cet accusé renvoyé devant une cour d'assises composée des seuls magistrats ? Est-ce là le progrès que l'on est en droit d'attendre d'une réforme « réfléchie et pensée » ?
M. Jacques Mézard. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. Tout laisse à croire que vous défaites d'une main ce que vous avez fait de l'autre (M. le garde des sceaux sourit.), niant même le rôle éminent que devraient assumer les citoyens assesseurs en ne leur assignant plus qu'un rôle de « gage de bonne conduite » du système judiciaire.
M. Jacques Mézard. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. J'ouvrais mon intervention sur l'intention à peine voilée du Gouvernement de durcir les procédures pénales ; le projet de loi, dans son titre II, en est une triste illustration.
Les dispositions relatives à la répression des infractions commises par les mineurs bafouent la qualité de mineur consacrée par l'ordonnance du 2 février 1945. La minorité n’est plus une clause d'exception ; le mineur est ici appréhendé en sa seule qualité d'auteur, au même titre qu'un majeur.
Prétendre, par la création d'un tribunal correctionnel pour mineurs, participer à la rééducation du délinquant et soutenir que cette nouvelle juridiction spécialisée est un remède pour faire comprendre à tel jeune adulte, à tel enfant, la nécessité de sortir de l'engrenage de la délinquance, c’est une aberration.
Nous ne savons que trop – et les études qui l’ont démontré sont nombreuses – les effets criminogènes et désocialisants de la détention, des prisons et de l'enfermement. Nous connaissons trop les carences en matière de réinsertion et de formation en milieu carcéral.
La récidive, trop souvent considérée comme l'une des manifestations de l'incompétence de nos magistrats, n'est-elle pas, en réalité, le fruit d'une condamnation et d'une sanction à la thérapie mal discernée, mal administrée ?
Comment, alors, pouvoir accepter que ce texte ait prévu la comparution, en toutes circonstances, d'un mineur devant un tribunal correctionnel, le placement sous contrôle judiciaire et même l'assignation à résidence sous surveillance électronique, et ce sans la participation des citoyens assesseurs ?
Comment comprendre, dans la mesure où ce texte place le mineur auteur d'une infraction dans le seul registre de la délinquance et de la délinquance des majeurs, qu’il ne bénéficie pas des mêmes avantages, en l'occurrence la présence des citoyens ?
Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, je dois vous avouer mon incrédulité face à pareilles dispositions.
Pourquoi cette « gesticulation » bien inutile (M. le garde des sceaux s’exclame.), coûteuse – alors que nos juridictions sont, pour beaucoup, exsangues –,…
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier. … inapplicable en grande partie si, avec réalisme, on analyse la disponibilité nécessaire de la part des citoyens ?
N'aurait-il pas été, simplement, plus opérant d'introduire les jurys des cours d'assises actuelles à la procédure correctionnelle par extension du champ encore en vigueur relatif à la composition et à la procédure devant la cour d'assises ?
Comme je l’ai dit, je m’en suis tenue au texte initial. C’est pourquoi je tiens, en conclusion, à adresser ma reconnaissance et mes remerciements au président et à l’excellent rapporteur de la commission des lois, qui se sont efforcés, dans la mesure du possible, d’atténuer les effets – les méfaits – d’un projet de loi décrié par les meilleurs professionnels du droit. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – Mme Josiane Mathon-Poinat et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous considérons que le présent projet de loi est irrecevable, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, rien ne justifie le recours à la procédure accélérée sur ce texte, monsieur le garde des sceaux, surtout si l’on se fie au nombre de sujets déclarés urgents par la Chancellerie avant votre prise de fonction et qui, depuis, sont devenus moins urgents, quand ils n’ont pas été simplement abandonnés.
Le présupposé est toujours le même et on le retrouve dans l’étude d’impact : les citoyens considèrent que « les décisions de justice ne prennent pas suffisamment en compte les évolutions de la société ».
C’est d’ailleurs ce que professe régulièrement le Président de la République, qui est boulimique de rapports sur la justice. Je n’en citerai que quelques-uns : les rapports Léger, Lamanda, Guinchard, Darrois, Varinard, Bockel... et maintenant le rapport Lachaud !
De ces rapports, le Gouvernement retient ce qui va dans le sens de ce qu’il veut démontrer, à savoir qu’il agit, et qu’il agit contre le laxisme des juges.
Nous voilà donc saisis aujourd’hui d’un projet de loi en procédure accélérée qui porte deux réformes – et même trois avec celle des cours d’assises – qui n’ont fait l’objet d’aucune concertation. Pourtant, nous le savons, les professionnels qui ont été auditionnés par le rapporteur de notre commission des lois ont largement manifesté leur inquiétude, tant sur les dispositions elles-mêmes que sur leur applicabilité. Mais apparemment, monsieur le garde des sceaux, vous n’en avez cure…
Ainsi, vous entendez introduire dans notre système judiciaire ce que vous appelez « le citoyen assesseur ». Je note tout d’abord que vous n’êtes pas à une incohérence près puisque, jusqu’à présent, vous avez favorisé le juge unique.
J’y vois une seconde incohérence, puisque vous vouliez créer une cour d’assises simplifiée, avec seulement deux jurés. Notre rapporteur s’est légitimement opposé à cette mesure. Néanmoins, le nombre de jurés serait ramené de neuf à six en première instance, ce qui aurait pour effet, il faut bien l’admettre, une moindre représentation de la société. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)
J’ajoute que le fait de justifier la cour d’assises simplifiée par une volonté de porter remède à la correctionnalisation de nombreux crimes me paraît très réducteur s’agissant des motifs pour lesquels on assiste à une telle correctionnalisation.
Monsieur le garde des sceaux, voilà longtemps que les citoyens participent, de manière pertinente, au fonctionnement de la justice. Ainsi, outre les cours d’assises, ils sont présents dans les conseils des prud’hommes, dans les tribunaux de commerce ou dans les tribunaux pour enfants, dans lesquels vous voulez d’ailleurs les supprimer. Leur présence se fonde sur leur expertise et ils sont désignés pour plusieurs années.
Mais ce que veut le Président de la République, c’est autre chose. Comme il le disait lors de ses vœux pour 2010 lorsqu’il évoquait l’ouverture des tribunaux correctionnels aux jurés populaires : « Ainsi c’est le peuple qui pourra donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l’exaspération du pays ». Ajoutons à cette déclaration ses propos sur l’immigration dans son discours de Grenoble sur la délinquance.
Monsieur le garde des sceaux, vous dites que la présence de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels n’a pas pour objet de renforcer les sanctions ; permettez-moi d’en douter. Tout d’abord, le juge correctionnel n’aura des citoyens assesseurs que dans certains cas. Comme vient de le rappeler le rapporteur – mais ce n’est pas acceptable pour autant –, si les peines prononcées en correctionnel deviennent plus lourdes, c’est parce que la loi pénale est toujours plus rigoureuse. La présence de jurés citoyens n’est pas en cause.
Par ailleurs, vous faites des comparaisons qui n’ont pas lieu d’être. (M. le garde des sceaux est dubitatif.) Comparaison n’est pas raison. D’abord, dans un procès d’assises, le parcours et le rôle du juré sont totalement différents, notamment parce qu’il dispose de temps pour écouter les parties – accusés et victimes –, peser la valeur des témoignages, prendre connaissance des informations que les professionnels ont à leur disposition. Par ailleurs, aux assises, la lourdeur des peines dépend des actes incriminés. Nous connaissons l’indulgence qui, souvent, prévaut pour les crimes passionnels.
Or, monsieur le garde des sceaux, la compétence du « tribunal correctionnel citoyen », telle que vous la préconisez, concerne largement les actes de violences aux personnes. Le rapporteur reconnaît que l’on cible de fait « une catégorie de délinquants qui, le plus souvent, se recrutent au sein d’une frange particulièrement démunie de la population ». Il ajoute que : « d’autres formes de délinquance moins sociologiquement “marquées” continueront de relever des […] magistrats professionnels ».
Vous avez vraiment du mal à cacher le contenu de classe de votre projet. Au fond, pour vous, les juges auraient besoin de la pression populaire pour sanctionner les vols et les agressions. En revanche, les jurés ne seraient pas capables d’avoir un avis – ou peut-être seraient-ils trop sévères ? – s’agissant des délits économiques et financiers, par exemple, pour lesquels, curieusement, depuis quelques années, on voit au contraire des tentatives de dépénalisation ou de réduction de la prescription.
Monsieur le garde des sceaux, il se pose ensuite une question incontournable, celle de l’applicabilité d’une réforme sur laquelle tous les professionnels s’accordent.
Les dispositions proposées induisent une modification en profondeur du fonctionnement des tribunaux correctionnels. Les jurés tirés au sort ne connaissant rien du dossier, la procédure sera inévitablement plus orale demain qu’elle ne l’est aujourd’hui, ce qui modifiera la pratique et la durée des audiences, comme l’a souligné le précédent orateur.
Vous prévoyez un doublement du nombre des audiences, mais ce sera beaucoup plus selon les professionnels. Or, non seulement les moyens seront insuffisants pour faire face à la multiplication du nombre des audiences, mais vous négligez en outre d’autres paramètres. Il en est ainsi des surfaces nécessaires pour la tenue des audiences, alors que, notamment avec la réforme de la carte judiciaire, les surfaces pouvant être affectées aux audiences ont plutôt tendance à diminuer. Mais peut-être les tribunaux siégeront-ils dehors ?
Encore une fois, la question, centrale, des moyens réels dont dispose la justice n’est pas au cœur du présent projet de loi, tant s’en faut.
Soyons clairs : ce texte contribue à la défiance, entretenue par le Président de la République, à l’encontre des juges. D’où, dans votre projet, la participation des jurés tirés au sort aux décisions de libération conditionnelle. Étrangement d’ailleurs, vous évincez, au second degré, les représentants d’association.
Dans ce domaine, les décisions demandent une professionnalité importante : sur la prévention, la réinsertion, les conditions de l’une ou l’autre... Quel sera le sens de l’intervention de jurés tirés au sort dans la prise de décision ? Disons-le clairement, vous jouez l’opinion publique, sans cesse sollicitée sur les faits divers, contre les magistrats.
Monsieur le garde des sceaux, si vous aviez recherché, comme vous l’affirmez, un rapprochement des citoyens de la justice, vous vous y seriez pris autrement.
D’abord, une concertation aurait dû être menée sur une participation plus durable des citoyens dans une instance judiciaire – ce que l’on appelle l’échevinage, pratique à laquelle nous sommes, pour notre part, favorables – ainsi que sur la proportion entre professionnels et citoyens et vous auriez aussi prévu que ces derniers puissent être éventuellement récusés. Or, ce n’est absolument pas ce que vous faites. Nous ne pouvons que refuser ce projet. Nous défendrons des amendements lors de l’examen des articles.
J’en viens à la réforme que vous voulez introduire dans la justice des mineurs.
Précisons que cette réforme n’était pas prévue à l’origine. Il est éminemment critiquable d’amorcer ainsi, en urgence, une déstructuration grave de la spécificité de la justice des mineurs instaurée par l’ordonnance de 1945.
Je considère pour ma part qu’il est au contraire nécessaire de refonder, dans des dispositifs législatifs cohérents, les principes de la justice des mineurs, qui sont déjà souvent écornés. Pourtant, depuis 1945, ces principes ont souvent été confirmés dans les engagements internationaux de la France, notamment dans la Convention internationale des droits de l’enfant ou dans les Règles de Pékin.
Ce qui ressort de ces principes, c’est précisément la distinction entre un mineur et un majeur, d’où la prévalence de l’aspect éducatif, la spécificité des procédures mais aussi des juridictions.
Votre logique, comme celle de vos prédécesseurs, est totalement inverse. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Le Président de la République déclarait le 10 février à la télévision : « un délinquant de 17 ans, 1,85 m, que l’on amène devant le tribunal pour enfants, ce n’est pas adapté […] Un mineur d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’était un mineur en 1950 ».
Ces propos, nous les entendons en toute occasion. Ils seraient risibles s’ils ne sous-tendaient pas une volonté politique éminemment critiquable. En effet, à chaque époque, les mineurs sont différents, comme le sont les majeurs, les institutions, les dirigeants. Mes chers collègues, nous sommes nous-mêmes très différents des législateurs de 1945.
Monsieur le garde des sceaux, vous soutenez que ce qui a changé depuis 1945, c’est le travail et la famille. Doit-on entendre que, lorsqu’il n’y a plus de travail pour les jeunes et que les familles sont en grande difficulté, il faut pénaliser les mineurs ? Là encore, je vois apparaître le caractère de classe de vos propositions.
D’ailleurs, je note que, selon votre logique, les enfants des classes populaires seraient très rapidement majeurs, alors que ceux des classes aisées pourraient rester mineurs plus longtemps puisqu’ils font des études. (M. le garde des sceaux marque sa désapprobation.)
L’affichage est toujours le même : tolérance zéro et risque zéro, si tant est que cela soit possible, voire simplement crédible, face au laxisme de la justice des mineurs… Vous prenez des risques !
Selon le rapport, sept mineurs sur dix ne réitèrent pas dans l’année suivant la fin de leur prise en charge. Le taux de réponse pénale est de 93 % pour les mineurs, 87 % pour les majeurs. Les mises en cause ont augmenté, entre 2002 et 2009, de 32 % pour les majeurs et 19 % pour les mineurs. Le laxisme de la justice des mineurs n’est donc pas prouvé.
À partir de votre objectif, vous bouleversez la cohérence de la justice des mineurs. Vous l’avez déjà fait en introduisant notamment une forme de comparution immédiate et les peines planchers pour les récidivistes. Vous avez déjà opéré un clivage entre la jeunesse en danger et la jeunesse délinquante, alors que l’on sait bien qu’il y a un lien direct entre les deux.
Vous confondez volontairement réponse rapide et jugement. Vous mettez donc en œuvre une justice plus expéditive axée sur la seule sanction pénale.
Le tribunal correctionnel pour mineurs, qui statuera dans des délais plus brefs que le tribunal pour enfants, est conçu pour les mineurs récidivistes de seize ans passibles d’une peine de prison de trois ans minimum. Or, le critère de récidive peut être facilement retenu pour des mineurs qui commettent souvent plusieurs délits dans un bref laps de temps. Le tribunal correctionnel pour mineurs concernera donc de nombreux cas. Dans les faits, l’unité de la justice des mineurs sera donc cassée.
Confier la présidence de ce tribunal au juge des enfants, comme le propose M. le rapporteur, ne changera rien, puisque ce dernier disparaît de l’audiencement, qui constitue pourtant un outil de travail avec les mineurs. Il jugera des jeunes qu’il ne connaîtra pas. Pourtant, sa spécificité est de piloter le processus, donc de pouvoir s’intéresser à la personnalité du mineur, de disposer de temps entre le moment où il lui est présenté et le moment où il sera éventuellement déféré devant un tribunal et jugé.
Contrairement à ce que vous voulez faire croire, les professionnels font observer que les mineurs entrés en délinquance préféreraient souvent passer rapidement devant un tribunal plutôt que d’être pris en charge. Précisément, notre responsabilité n’est pas les envoyer faire de petits séjours dans une prison d’où ils risquent fort de sortir plus ancrés dans la délinquance qu’ils ne l’étaient en y entrant. Notre responsabilité, c’est de les prendre en charge sur une longue période.
Le dossier unique de personnalité aurait pu faire l’objet d’un consensus. Mais si vous l’avez placé sous le contrôle du juge des enfants, vous l’avez aussi mis sous l’autorité du procureur ; vous y versez des éléments recueillis lors de procédures d’assistance éducative, donc relatives aux parents, à la fratrie du mineur,... ce qui aura pour effet de « marquer » celui-ci et par conséquent de le figer dans la fatalité sociale.
La convocation par officier de police judiciaire s’ajoute à la présentation immédiate et à la comparution à bref délai. Elle donne au procureur le pouvoir de décider des suites. La phase d’instruction devant le juge des enfants sera alors supprimée, le mineur ne le rencontrant qu’à l’audience.
Avec ce texte, vous accroissez encore les pouvoirs du procureur au détriment du juge des enfants.
Les mineurs de treize ans pourront être assignés à résidence sous surveillance électronique mobile. Alors que le bracelet électronique est difficile à mettre en œuvre pour les majeurs, croyez-vous vraiment qu’un mineur déscolarisé et en rupture familiale, par exemple, sera en mesure de s’y soumettre de façon qu’il ait une quelconque utilité ? En réalité, vous accélérez la case « enfermement », et vous le faites d’ailleurs avec tous vos dispositifs.
Ainsi, vous banalisez la détention provisoire et le placement en centre éducatif fermé, ou CEF, puisque vous étendez le champ du placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize ans.
Il est à craindre que les centres éducatifs fermés ne deviennent bientôt le passage obligé pour les mineurs délinquants.
Vous avez dit, monsieur le garde des sceaux, qu’il n’était pas question de toucher aux foyers non fermés. Mais vingt foyers éducatifs vont encore être transformés en centre éducatif fermé !
Or le fonctionnement de ceux-ci, l’absence de projet éducatif sur la durée, c’est-à-dire d’un « avant » et d’un « après », ont été critiqués par la Défenseure des enfants, autorité aujourd’hui en suspens, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport, et par les professionnels.
Vous n’attendez même pas les conclusions du rapport du groupe de travail sur l’évaluation des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs, les EPM, dont sont corapporteurs nos collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet.
Vous préférez stigmatiser les parents, toujours les mêmes, ceux que votre collègue Laurent Wauquiez accuse de fraude au revenu de solidarité active, le RSA, et de préférence pour l’assistanat : avec de tels propos destinés à être relayés dans l’opinion publique, quelle image auront d’eux leurs enfants, que ceux-ci soient ou non des délinquants ?
La meilleure façon de les impliquer dans le procès judiciaire est-elle de les amener au tribunal entre deux policiers ou gendarmes ? Est-ce là la « nouvelle économie de la sanction parentale » que prône notre collègue Jean-Marie Bockel dans le rapport que le Président de la République lui a demandé de rédiger ?