Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaires :
MM. Jean-Noël Guérini, Bernard Saugey.
2. Organisme extraparlementaire
3. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
5. Communication du conseil constitutionnel
6. Retrait de questions orales
7. Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs. – Discussion, en procédure accélérée, d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ; Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.
Demande de priorité, au titre II, des articles 17 et 29. – MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; le garde des sceaux.
La priorité est ordonnée.
M. Alain Anziani, Mmes Anne-Marie Escoffier, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Hervé Maurey, Laurent Béteille, Mme Catherine Tasca, M. Nicolas Alfonsi.
8. Saisine du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
9. Questions cribles thématiques
l’apprentissage dans le cadre des douzièmes journées de l’apprentissage
M. le président.
M. Raymond Vall, Mme Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle.
M. Jean-Claude Carle, Mme la ministre.
M. Ronan Kerdraon, Mme la ministre.
Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, la ministre.
Mmes Françoise Férat, la ministre.
M. Michel Houel, Mme la ministre.
Mmes Gisèle Printz, la ministre.
Mmes Catherine Procaccia, la ministre.
M. le président.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
10. Communication du Conseil constitutionnel
11. Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs. – Suite de la discussion, en procédure accélérée, d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale (suite) : M. Yves Détraigne, Mme Virginie Klès, M. François Zocchetto, Mme Alima Boumediene-Thiery.
Clôture de la discussion générale.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Motion no 1 de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; le garde des sceaux, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet par scrutin public.
Motion no 2 de M. Robert Badinter. – MM. Robert Badinter, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet par scrutin public.
Suspension et reprise de la séance
Demande de renvoi à la commission
Motion no 155 de Mme Josiane Mathon-Poinat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Article additionnel avant l'article 1er
Amendement n° 43 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel. – Rejet.
M. Jean-Pierre Michel, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Catherine Tasca, Alima Boumediene-Thiery.
Amendements identiques nos 3 de M. Jean-Pierre Michel, 44 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 91 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Alain Anziani, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Pierre-Yves Collombat, Jean-Pierre Michel, Mme Virginie Klès. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 92 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 4 de M. Jean-Pierre Michel. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 5 de M. Jean-Pierre Michel. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 6 de M. Jean-Pierre Michel. – M. Jean-Pierre Michel.
Amendements nos 93 rectifié à 97 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendements nos 98 rectifié et 99 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendements nos 100 rectifié et 101 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 152 rectifié bis de M. Hervé Maurey. – M. Yves Détraigne.
Amendement n° 102 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 104 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 105 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 106 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 107 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 149 rectifié de M. Hervé Maurey. – M. Yves Détraigne.
Renvoi de la suite de la discussion.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Noël Guérini,
M. Bernard Saugey.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Organisme extraparlementaire
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du comité de surveillance de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, en remplacement de M. Jean-Jacques Jégou, dont le mandat arrive prochainement à expiration.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des finances à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
3
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale.
4
Dépôt d’un rapport
M. le président. J’informe le Sénat que M. le président du Sénat a reçu le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour 2010, établi en application de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Ce document a été transmis à la commission des lois. Il est disponible au bureau de la distribution.
5
Communication du conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 13 mai 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de Cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-150 QPC).
Le texte de décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
6
Retrait de questions orales
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1322 de Mme Claire-Lise Campion et la question orale n° 1273 de M. Daniel Laurent sont retirées du rôle des questions orales, à la demande de leurs auteurs.
7
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs
Discussion, en procédure accélérée, d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (projet n° 438, texte de la commission n° 490, rapport n° 489).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui marque une nouvelle étape dans la volonté du Gouvernement, plusieurs fois manifestée au cours de cette législature, de définir une justice pénale plus ouverte, plus proche et plus réactive, afin, notamment, de répondre à l’attente quotidienne de nos concitoyens à l’égard de leur justice.
Ce projet de loi procède d’une triple ambition : tout d’abord, permettre à nos concitoyens de s’approprier leur justice, notamment la justice pénale, en les faisant participer, comme s’y était engagé le Président de la République dans son programme électoral de 2007, au jugement des délits ; ensuite, améliorer le fonctionnement des cours d’assises, pour le rendre plus efficace et limiter ainsi la pratique de la correctionnalisation ; enfin, parfaire le fonctionnement de la justice pénale des mineurs, en conciliant l’efficacité de la répression et la primauté des mesures éducatives, selon les principes posés lors de l’élaboration de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Votre commission des lois, qui a mené, au cours des dernières années, une réflexion de fond sur l’organisation judiciaire de notre pays, a souscrit à ce triple objectif. Même si le texte qu’elle a élaboré, notamment sur la base des amendements présentés par son rapporteur, prévoit certains équilibres différents du projet de loi initial, il conforte et complète les objectifs poursuivis par le Gouvernement.
À ce stade de la discussion générale, je tiens à remercier M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur d’avoir travaillé en bonne intelligence avec le Gouvernement, ce qui nous a permis de parvenir à un accord total sur le texte.
Le premier objectif du projet de loi – sans doute le plus emblématique – consiste à renforcer la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, tant en matière correctionnelle que pour ce qui concerne le suivi de l’application des peines.
La participation de la société civile à l’œuvre de justice n’est pas chose nouvelle ; de longue date, elle a fait ses preuves en France. C’est vrai tant en matière civile, au sein des conseils de prud’hommes, des tribunaux de commerce ou des tribunaux paritaires des baux ruraux, qu’en matière pénale, au sein des cours d’assises, des tribunaux pour enfants et des chambres de l’application des peines. Cette participation, directement héritée de la Révolution française, est le fruit de notre histoire.
Cette pratique est également courante chez nos voisins étrangers, certains ayant notamment opté pour une présence de la société civile dans les formations de jugement des délits : c’est notamment le cas de l’Allemagne, de l’Autriche, du Danemark, de la Finlande, de la Norvège ou de la Suède.
L’association des citoyens au jugement des délits les plus graves et au suivi de l’application des peines, comme le prévoit ce projet de loi, oblige bien sûr les auteurs présumés à affronter le regard direct de la société ; elle permet aussi aux citoyens de participer plus largement à une justice rendue en leur nom. Cette décision est la marque d’un engagement civique fort.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la plupart d’entre vous ont sans doute lu, ce matin, dans le quotidien Libération, le témoignage extrêmement intéressant d’un enseignant de trente-quatre ans sur son expérience de juré. Selon lui, « faire partie d’un jury populaire, c’est la seule façon que nous ayons aujourd’hui d’expérimenter directement la démocratie. On se sent responsables. Dire que c’est démago, c’est bidon : dans ce cas, on peut renoncer à toute expérience de la démocratie directe. »
Monsieur Sueur, vous l’avez certainement déjà lu ?... Mais, comme ce témoignage n’abonde pas dans votre sens, il ne vous convient pas…
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’ai encore rien dit, monsieur le garde des sceaux !
M. Jean-Pierre Michel. Ne nous provoquez pas !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce projet de loi vise aussi à enrichir les formations de jugement de la présence de la société civile, car les magistrats bénéficieront du regard neuf de ses représentants. Pour le dire en un mot, cette présence est le gage d’une justice plus proche, moins formelle, plus en prise avec les attentes des Français.
À cet égard, le jeune enseignant poursuit dans ces termes : « Soulever la complexité, pour les gens, de mettre entre parenthèses leur vie professionnelle pour être juré en correctionnelle, ça ne me convainc pas : oui, ça peut être compliqué, mais c’est aussi ça, appartenir à une démocratie. » Il me semble que ce jeune homme explique particulièrement bien l’objet premier de ce projet de loi. Je ne suis pas sûr de faire mieux, mais je m’emploierai malgré tout à vous en communiquer la substantifique moelle.
Cette réforme modifiera forcément les pratiques des magistrats professionnels dans le sens d’une justice plus intelligible pour nos concitoyens. Elle permettra également à ces derniers de mieux appréhender l’office du juge, de se réapproprier les décisions de justice et, ainsi, de rapprocher justice et société civile.
Au sein des tribunaux correctionnels, les citoyens assesseurs participeront, dès la première instance, au jugement des délits qui portent quotidiennement atteinte à la sécurité et à la tranquillité.
Monsieur le rapporteur, par rapport au texte initial du projet de loi, vous avez élargi le champ de compétence des formations comprenant des citoyens assesseurs, afin de lui donner plus de clarté et de cohérence. Ainsi, cette formation sera compétente, dès la première instance, pour tous les délits d’atteinte aux personnes, à leur intégrité physique ou morale, à leur identité ou à leur environnement, sous réserve bien sûr, dans chacun de ces cas, que la peine encourue soit supérieure ou égale à cinq ans, et que ces délits ne relèvent pas de la compétence du tribunal correctionnel siégeant à juge unique.
Cette extension du périmètre de compétence porte, par exemple, sur les infractions relatives à la détention ou à l’enregistrement d’images pédopornographiques, à l’administration de substances nuisibles, à l’abus de faiblesse, au délaissement de mineurs aggravé, au traitement illégal de données à caractère personnel, à l’usurpation d’identité et aux délits d’atteinte à l’environnement punis de plus de cinq ans. Je me réjouis que la logique du projet de loi soit maintenue, voire renforcée du fait de cet élargissement de compétence.
En revanche, les citoyens assesseurs ne participeront pas au jugement des contentieux spécialisés qui, depuis plusieurs années maintenant et en raison de leur particulière technicité, sont confiés à des magistrats spécialisés, rompus aux subtilités juridiques et techniques de ces procédures. Je rappelle que le Gouvernement poursuit ce mouvement de spécialisation des contentieux les plus complexes : le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles, qui a été examiné et adopté récemment par la Haute Assemblée, en témoigne.
La composition des formations de jugement, conformément aux exigences constitutionnelles qui imposent une majorité de magistrats professionnels, consistera en un collège de cinq personnes comprenant trois magistrats et deux citoyens assesseurs.
L’unicité de la formation est, j’y insiste, préservée. Il n’y aura pas, d’une part, les magistrats professionnels et, d’autre part, les citoyens assesseurs. Ces cinq personnes auront à juger ensemble, le temps d’une audience, une série d’affaires et chacune d’entre elles aura le même poids lors du délibéré ; plusieurs garanties procédurales sont prévues à cet effet.
Le projet de loi prévoit également la participation des citoyens assesseurs auprès des magistrats du tribunal de l’application des peines et des chambres de l’application des peines pour toutes les décisions modifiant ou aménageant des peines, telles que la libération conditionnelle ou le relèvement de la période de sûreté, dès lors que la peine prononcée est supérieure à cinq ans d’emprisonnement. Il est, en effet, apparu légitime d’associer les citoyens à des décisions qui, pour 80 % d’entre elles, modifient l’exécution de peines prononcées par les cours d’assises, et donc par des formations comprenant des jurés.
La procédure de sélection des citoyens assesseurs repose sur le principe du tirage au sort, à partir des listes préparatoires aux jurys d’assises. Elle est assortie de mécanismes permettant de s’assurer que les citoyens tirés au sort sont aptes à participer à l’acte de juger.
Ces garanties sont renforcées par rapport à celles qui sont exigées pour les jurés. En effet, les citoyens appelés à siéger ne peuvent être récusés en début d’audience, comme c’est le cas pour les jurés d’assises. Ils font partie intégrante de la formation appelée à juger, au même titre que les magistrats.
La commission des lois a utilement simplifié les modalités de désignation des citoyens assesseurs, même si je regrette qu’elle n’ait pas souhaité conserver les garanties d’impartialité et de moralité que nous avions expressément mentionnées, mais je pense que la commission reviendra sur ces deux points ultérieurement. (M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur acquiescent.) Les citoyens retenus ne pourront se soustraire à ce devoir civique, sous peine d’amende. Je rappelle, toutefois, que leur participation sera de courte durée – huit journées d’audience sur l’année – et sera naturellement indemnisée.
Je sais que certaines interrogations pratiques ont été exprimées : la première a trait aux moyens accompagnant la réforme et la seconde concerne l’allongement des procédures que pourrait entraîner la présence des citoyens assesseurs.
Sur le premier point, nous évaluons le nombre d’affaires au jugement desquelles participeront les citoyens à environ 40 000 par an. Comme je m’y suis engagé, cette réforme sera donc accompagnée du recrutement de 155 magistrats et de 108 greffiers. Deux concours de recrutements exceptionnels sont d’ailleurs prévus dès cette année pour les magistrats et les greffiers.
Sur le second point, il est évident que la procédure sera allongée et il serait absurde de le nier. Mais, naturellement, cet allongement est le prix à payer pour la démocratisation de la justice !
À cet égard, je suis pleinement favorable à l’amendement présenté par M. François Zocchetto, qui a été adopté par votre commission des lois et vise à réduire d’un mois à huit jours le délai de présentation devant le tribunal correctionnel dans le cadre de la procédure de comparution immédiate. Cette modification permet d’établir un équilibre entre la nécessité de conserver des modes rapides de poursuites pour ces délits et celle d’éviter l’accroissement des cas de détention provisoire.
D’une manière générale, il nous faut, je crois, adopter une démarche pragmatique sur ce dispositif nouveau ; c’est bien pourquoi nous avons retenu le principe d’une mise en œuvre progressive de la loi, comme le permet l’article 37-1 de la Constitution.
Cette phase d’expérimentation, qui débutera dès le 1er janvier 2012 dans deux cours d’appel, pour s’étendre à un tiers du territoire l’année suivante, au début de 2013, nous permettra, avant l’entrée en vigueur définitive du texte, prévue au 1er janvier 2014, d’évaluer avec une plus grande précision les répercussions de cette réforme, notamment sur l’organisation des audiences.
Enfin, je veux insister sur le fait que la participation des citoyens assesseurs supposera, à n’en pas douter, un effort de pédagogie de la part des magistrats, qui prendra sans doute du temps, mais qui concourra à la meilleure compréhension des décisions de justice.
Comme je l’ai dit, la procédure sera adaptée à cette fin, avec, notamment, un exposé oral de l’affaire par le président pour permettre, dès le début de l’examen du dossier, à tous les assesseurs de disposer d’une connaissance complète de l’affaire.
Le deuxième point du projet de loi est relatif à l’amélioration du fonctionnement des assises. En la matière, le Gouvernement a fait un pas vers la commission des lois, qui, elle-même, en avait fait un vers le Gouvernement, en acceptant que les jurés soient présents au sein des formations correctionnelles statuant en premier ressort.
La première innovation consiste à simplifier la procédure devant la cour d’assises. Nous proposons cette simplification pour permettre, en réduisant les délais de jugement des affaires criminelles, de lutter contre la pratique de la correctionnalisation.
Dans notre pays, les cours d’assises traitent chaque année environ 2 400 affaires, plus 200 affaires en appel. Or, dans leur très grande majorité, les crimes sont déclassés en délits et jugés par les tribunaux correctionnels.
Outre cette correctionnalisation, l’appréciation est différente selon les départements. En effet, lorsqu’il y a beaucoup d’affaires criminelles à juger, les correctionnalisations sont nombreuses. Au contraire, lorsqu’il y a peu d’affaires criminelles, la cour d’assises, qui siège tous les trois mois, comme la loi le prévoit, parvient à épuiser pratiquement toutes les affaires criminelles inscrites au rôle.
Il en résulte une inégalité de nos concitoyens devant la loi pénale sur des points particulièrement importants, notamment le viol. Ainsi, les faits constitutifs d’un viol peuvent être disqualifiés en agression sexuelle, qui est un délit et non plus un crime, et sont donc jugés par le tribunal correctionnel au lieu de la cour d’assise.
Pour lutter contre la correctionnalisation, nous souhaitions rendre plus efficace et plus rapide la procédure devant la cour d’assises. Gouvernement et commission des lois sont tombés d’accord pour privilégier une modification du nombre de jurés, sans distinguer selon les catégories de crimes : en première instance, trois magistrats professionnels siégeront avec six jurés et, en appel, trois magistrats professionnels avec neuf jurés. Malgré cette réduction du nombre de jurés, nous restons fidèles à la règle selon laquelle la décision de condamner peut être prise par les seuls jurés non-magistrats, les chiffres le montrent.
Une autre proposition du Gouvernement adoptée par votre commission des lois permettra également un gain de temps et apportera, surtout, de la clarté aux débats : il s’agit du remplacement de la lecture, souvent fastidieuse, de l’arrêt de renvoi, par un rapport oral du président en début d’audience. Associées, ces mesures permettront de limiter les correctionnalisations.
La seconde innovation concernant l’amélioration du fonctionnement des assises est l’obligation, pour les cours d’assises, de motiver leurs décisions.
Dans sa décision du 1er avril dernier, le Conseil constitutionnel a considéré que notre procédure d’assises, qui ne prévoit que la réponse à une série de questions, était conforme à la Constitution. Nous n’étions dès lors aucunement contraints de légiférer sur ce point.
Cependant, il nous apparaît utile de permettre à toutes les parties de connaître le raisonnement qui a conduit la cour d’assises à condamner ou à acquitter, tout en respectant, bien sûr, le secret du délibéré et l’intime conviction, fondements du système du jury d’assises. Les parties pourront ainsi prendre la décision d’un éventuel appel en toute connaissance de cause. Le président de la cour d’assises rédigera donc une note qui synthétisera les débats.
Enfin, dans son troisième et dernier volet, le projet de loi modifie l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Les réflexions sur la justice pénale des mineurs ont conduit le Gouvernement à solliciter en 2008 le recteur Varinard, pour animer une commission qui a formulé de nombreuses propositions susceptibles d’améliorer son fonctionnement. Ces travaux se sont poursuivis avec un projet de refonte complète de l’ordonnance du 2 février 1945, modifiée trente-quatre fois depuis son adoption. Il s’agissait de proposer un véritable code de justice pénale des mineurs.
Toutefois, ce code, dont l’élaboration est quasiment achevée sur le plan technique, ne peut se concevoir qu’en adéquation avec la réforme plus globale de la procédure pénale que le terme très proche de la législature en cours ne permet pas d’envisager.
Il est cependant apparu nécessaire au Gouvernement de procéder dès à présent à plusieurs modifications de l’ordonnance du 2 février 1945 pour renforcer la qualité de la réponse pénale, par exemple avec la création du dossier unique de personnalité. Il s’agit également de rendre la justice des mineurs plus rapide – le délai moyen entre la commission de faits par un mineur et le jugement par le tribunal pour enfants est actuellement supérieur à dix-huit mois – et de l’adapter à une délinquance plus violente qui est le fait de mineurs de plus en plus jeunes.
Le projet de loi respecte pleinement les principes de la justice des mineurs consacrés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002, à savoir la priorité donnée aux mesures éducatives, la spécialisation des structures, les procédures protectrices – telles que les prévoit aussi la Convention internationale des droits de l’enfant signée par la France – et, enfin, l’excuse de minorité.
Pour une meilleure prise de conscience des faits commis par les mineurs, et donc pour prévenir les risques de récidive, le projet de loi donne au parquet la possibilité de convoquer directement le mineur devant le tribunal pour enfants, par voie de convocation par officier de police judiciaire.
Tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 11 mars dernier sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2, nous avons assorti cette convocation de toutes les garanties requises. Le projet de loi prévoit donc, pour recourir à cette procédure, un seuil d’âge minimal, un niveau de gravité des faits, un délai maximal de deux mois pour la tenue de l’audience et, enfin, la mise à disposition du tribunal d’éléments récents de personnalité.
Sur ce dernier point, votre commission des lois a estimé que la saisine du tribunal pour enfants par convocation par officier de police judiciaire ou par la procédure de présentation immédiate, qui exige une complète information du tribunal sur la personnalité du mineur poursuivi, ne saurait être possible si ces informations provenaient du seul recueil de renseignements socio-éducatifs.
Cependant, il peut être utile de prévoir que les investigations sur la personnalité puissent résulter de ce recueil, dès lors que ces investigations auront été suffisantes. Il faut également que les circonstances de la poursuite, en l’espèce une succession d’infractions commises par le mineur, le justifient.
Je vous proposerai donc, par voie d’amendement, de revenir sur ce point, en précisant que seul un mineur qui fait l’objet ou a déjà fait l’objet d’une ou de plusieurs procédures pourra être poursuivi au moyen d’une convocation par officier de police judiciaire. En effet, l’objectif n’est pas de permettre l’utilisation de cette convocation à l’égard des mineurs qui ne sont pas déjà connus de la justice, mais de la réserver aux mineurs qui ont déjà fait l’objet, par exemple, d’une composition pénale ou d’une convocation devant le juge des enfants.
Pour autant, il n’est pas possible d’attendre que ces procédures aient abouti à une condamnation définitive, ni qu’elles aient déjà permis des investigations approfondies ; une telle exigence interdirait la convocation par officier de police judiciaire à l’égard des mineurs qui multiplient la commission d’infractions dans un court laps de temps. Or cette situation est fréquente chez des mineurs qui, à une période de leur adolescence, multiplient les délits.
Le projet de loi contient deux autres modifications majeures destinées à mieux répondre aux évolutions de la délinquance et à lutter contre la récidive
Les possibilités de placement en centre éducatif fermé sont élargies : le projet de loi prévoit ainsi d’abaisser de sept ans à cinq ans le seuil de la peine encourue qui autorise le placement en centre éducatif fermé. Ces centres ont démontré leur efficacité, notamment s’agissant de la lutte contre la récidive. Ainsi, plus des deux tiers des mineurs, souvent difficiles, qui en sortent ne récidivent pas l’année suivante. Cette prise en charge pluridisciplinaire, très renforcée, mérite donc d’être étendue à des mineurs, même primo-délinquants, qui commettent des faits graves.
Pour mieux répondre à la problématique de la récidive, le projet de loi crée, par ailleurs, un tribunal correctionnel pour mineurs qui jugera les mineurs délinquants en état de récidive de plus de seize ans, dès lors qu’ils encourent une peine supérieure à trois ans d’emprisonnement. À la progressivité de la sanction doit correspondre la même progression dans les formations de jugement compétentes pour connaître des délits commis par les mineurs.
Ainsi, cette nouvelle juridiction apportera une réponse mieux adaptée, du fait de sa plus grande solennité et de sa charge symbolique. Elle pourra prononcer des sanctions éducatives si elle le juge suffisant. La commission des lois du Sénat a, en outre, souhaité qu’elle soit présidée par le juge des enfants – puisqu’un un juge des enfants siégera obligatoirement dans ce tribunal – pour préserver la spécificité de la justice des mineurs. La procédure suivie sera bien celle du tribunal pour enfants et non celle des juridictions pénales de droit commun.
Par ailleurs, le projet de loi comporte un dispositif visant à mieux prendre en compte la personnalité du mineur délinquant : il s’agit de la création du dossier unique de personnalité qui répond à une demande forte des professionnels, tant éducatifs que judiciaires. Il rassemblera l’ensemble des éléments relatifs à la personnalité d’un mineur, recueillis soit à l’occasion d’une procédure pénale, soit à l’occasion d’assistance éducative.
Ce dossier unique de personnalité assurera une connaissance plus approfondie du mineur délinquant, pour un meilleur suivi et une meilleure cohérence des décisions le concernant. Il répondra aux règles fixées par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ses conditions de conservation et d’archivage étant définies par voie réglementaire, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. N’ayant vocation à être utilisé que pour les procédures suivies devant les juridictions pour mineurs, il ne sera conservé après la majorité que pour permettre le jugement de faits commis auparavant ou pour assurer le suivi du mineur, jusqu’à vingt et un ans au maximum, par le juge des enfants dans le cadre de ses fonctions d’application des peines.
Cette mesure synthétise de manière exemplaire l’esprit dans lequel ce projet de loi a été élaboré : pouvoir juger les mineurs délinquants dans les meilleures conditions, notamment grâce à une connaissance plus fine de leur personnalité, tout en respectant l’exigence de célérité qui permet de donner pleinement son sens à la sanction.
Le projet de loi prévoit enfin un renforcement de la responsabilisation des parents, en ouvrant la possibilité de délivrer, comme pour les témoins, un ordre de comparaître, afin de les contraindre à assister à l’audience. Le parent n’est-il pas en effet le témoin essentiel de la personnalité d’un mineur ? Il est important d’impliquer les parents dans la procédure, pour leur faire prendre conscience de l’importance de leur rôle et donner leur pleine portée aux décisions de justice.
Pour conclure, je reviendrai sur l’intérêt d’une participation des citoyens aux décisions de justice pénale. Je ne doute pas en effet que les débats judiciaires qui se tiennent dans les cours d’assises depuis plus de deux siècles correspondent à la description qu’en faisait André Gide dans l’introduction de ses Souvenirs de la cour d’assises. Voici ce qu’il écrivait : « ce qui m’a peut-être le plus frappé au cours de ces séances, c’est la conscience avec laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses fonctions. J’ai vraiment admiré, à plus d’une reprise, la présence d’esprit du président et sa connaissance de chaque affaire ; l’urgence de ses interrogatoires ; la fermeté et la modération de l’accusation ; la densité des plaidoiries et l’absence de vaine éloquence ; enfin, l’attention des jurés. »
Par votre vote, j’en suis convaincu, vous aurez à cœur, mesdames, messieurs les sénateurs, de rapprocher encore les citoyens de leur justice. Comme le disait le jeune juré dont le témoignage figure aujourd’hui dans Libération, « dans tous les cas, ça contribuera à notre apprentissage de la citoyenneté ». Tel est bien le but que poursuit le Gouvernement en soumettant ce projet de loi à la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, dont le Sénat est saisi en première lecture et pour lequel la procédure accélérée a été engagée, recouvre trois réformes d’ampleur qui auraient pu justifier autant de projets de loi distincts : la participation de citoyens assesseurs aux jugements de certains délits et aux décisions concernant l’application des peines ; la création d’une nouvelle formation de la cour d’assises ; enfin, la modification de plusieurs dispositions importantes de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
La portée notable des transformations proposées doit cependant être relativisée dans la mesure où, s’agissant de la participation de citoyens assesseurs aux différentes juridictions pénales, l’application des dispositions du projet de loi fera d’abord l’objet d’une expérimentation dans le ressort d’un nombre limité de cours d’appel jusqu’au 1er janvier 2014. Puis le législateur se prononcera sur la généralisation éventuelle de ces innovations, au vu de leur expérimentation.
Si la commission des lois, qui s’est vu imposer des délais d’examen de la réforme très contraignants, souscrit à l’objectif d’une plus grande participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, elle souhaite toutefois dissiper immédiatement une ambiguïté fondamentale.
L’enjeu de la réforme ne saurait être celui d’une justice plus rigoureuse. L’idée selon laquelle les citoyens seraient plus sévères que les magistrats relève de la fiction, pour ne pas dire de la contre-vérité. La comparaison des jugements des tribunaux correctionnels, formés aujourd’hui des seuls magistrats, et de ceux des cours d’assises avec jury peut utilement nous éclairer sur ce point.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Depuis dix ans, le quantum des peines prononcées aux assises est stable, tandis que celui des peines correctionnelles ne cesse d’augmenter. Devant la commission des lois, M. le garde des sceaux a également rappelé les leçons de l’histoire. La spécialisation initiale des jurés, qui décidaient uniquement de la culpabilité, laissant aux seuls juges professionnels le choix de la peine, amenait bien souvent les jurés à ne pas admettre une culpabilité pourtant évidente, afin d’éviter des sanctions excessivement lourdes. C’est ainsi que, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, on enregistre un taux d’acquittement proche de 40 %.
Il s’agit donc d’encourager l’appropriation par les citoyens des décisions de justice, au nom des « exigences plus générales de cohésion sociale et de respect du pacte républicain », comme le souligne l’exposé des motifs du projet de loi, l’ambition ultime résidant dans la réconciliation des Français avec leur justice, objectif essentiel de toute démocratie apaisée.
Selon un sondage réalisé en mai 2008 par l’IFOP, sur l’initiative du Conseil supérieur de la magistrature, et relatif à la confiance accordée par le grand public aux différentes institutions, la cote de la justice est largement dépassée par celles des hôpitaux, de l’école, de l’armée, de la police ou de la fonction publique. Elle précède cependant, mes chers collègues, celle des élus, avant-derniers, et des médias, lanterne rouge de ce redoutable « hit-parade ».
Si le texte proposé par le Gouvernement répond pour partie à cet objectif de réconciliation des Français avec leur justice, il soulève cependant plusieurs interrogations, qui ont conduit la commission des lois à proposer, sur certains points, des équilibres différents.
Sur le premier volet du projet de loi, qui concerne la participation des citoyens à la justice pénale, je n’ai pas rencontré beaucoup d’objections de principe. La présence de citoyens dans les tribunaux correctionnels, notamment, et une plus large ouverture de la justice sur la société figurent parmi les revendications du Syndicat de la magistrature. Elles figuraient également dans la profession de foi du candidat Nicolas Sarkozy lors de la dernière élection présidentielle.
Cette référence à une justice démocratique, fille de la Révolution, n’est-elle pas aujourd’hui unanimement appréciée dans l’opinion comme chez les magistrats eux-mêmes ? À cet égard, permettez-moi de citer le témoignage de M. Jean-Pierre Getty, président de la cour d’assises de Paris, qui me paraît très représentatif de l’opinion de ses collègues.
« La présence des jurés pour l’examen et le jugement des affaires criminelles est la meilleure garantie que l’on puisse offrir au justiciable. Leur questionnement, leur souci permanent de ne pas commettre d’erreur judiciaire, leur recherche de la juste peine créent, pour les magistrats professionnels, une remise en cause permanente de leurs pratiques, ainsi que la nécessité d’expliquer, voire de justifier leurs prises de position sur les différents aspects de l’affaire. Ceci favorise une absence de routine extrêmement bénéfique à la prise de décision finale. »
Si les vertus des jurés sont telles, pourquoi ne pas leur accorder une plus large place ?
Rappelons encore que l’association des citoyens à la justice pénale se rattache à deux modèles.
Le premier est celui du juré, tiré au sort, qui remplit une mission brève mais intense et dispose d’un pouvoir décisionnel autonome. Le second est celui de l’échevin, qui se porte candidat pour sa compétence particulière en un domaine et intervient de manière ponctuelle, mais durable.
S’agissant du juré, la loi du 28 juillet 1978 – ce n’est pas si ancien ! – a parachevé la démocratisation du jury d’assises, en posant le principe d’un tirage au sort à tous les stades du recrutement, à partir des listes électorales. La présomption d’infaillibilité du jury, émanation du peuple souverain, a longtemps justifié l’absence d’un second degré de juridiction pour les crimes. Après l’échec de la réforme proposée par M. Jacques Toubon en 1996, en raison de la dissolution, en 1997, de l’Assemblée nationale, il a fallu attendre la loi du 15 juin 2000 pour que ce projet aboutisse, sur l’initiative de la commission des lois du Sénat. Depuis, l’existence d’une cour d’assises d’appel, composée de douze jurés au lieu de neuf, a démontré son utilité ; je vous renvoie notamment à l’affaire d’Outreau.
Le modèle de l’échevin, qui repose sur la sélection des candidatures, s’incarne dans l’assesseur du tribunal pour enfants et du tribunal correctionnel de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que dans le juge de proximité. On le trouve également dans la formation élargie de la chambre d’application des peines, à laquelle participent deux représentants de la société civile.
La participation des citoyens à la justice pénale, objet de controverses, est parfois contournée. Je pense à l’instauration de cours d’assises sans jury pour les infractions militaires, en matière de sûreté de l’État, de terrorisme et de trafic de stupéfiants et, surtout, à la correctionnalisation des affaires criminelles, phénomène qui concernerait près de la moitié des crimes, voire les deux tiers d’entre eux.
Le Conseil constitutionnel a rappelé que, « s’agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion de juges non professionnels doit rester minoritaire ». Cette réserve d’interprétation ne vaut pas pour les cours d’assises, dont la composition répond à une double exigence d’indépendance et de capacité, garantie par le tirage au sort et les conditions d’aptitude, et renforcée par le système de récusation. En outre, note-t-on dans l’étude d’impact du projet de loi, l’ancienneté de la cour d’assises et le lien étroit entre le juré et l’expression de la souveraineté populaire pourraient conduire à voir dans l’institution du jury un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Le projet de loi vise, d’une part, à mieux représenter les citoyens dans les tribunaux correctionnels et les juridictions de l’application des peines et, d’autre part, à créer une formation allégée de la cour d’assises, pour simplifier l’organisation de la justice. Ce double objectif s’appuie sur la création de la nouvelle catégorie du citoyen assesseur, qui se situe entre le juré des cours d’assises et le juge de proximité. De fait, son mode de désignation combine le tirage au sort et une sélection fondée sur certains critères d’aptitude et d’impartialité. L’inscription sur la liste annuelle des citoyens assesseurs résulte d’un choix effectué en fonction de plusieurs critères : il faut satisfaire les conditions requises pour être juré, mais aussi présenter des garanties d’impartialité et de moralité.
Comment évaluer ces critères ? Les citoyens tirés au sort sur les listes préparatoires recevront un questionnaire, mais celui-ci peut se révéler intrusif. La commission départementale pourra procéder ou faire procéder à l’audition des personnes qui n’auraient pas répondu ou auraient répondu de manière incomplète à ce questionnaire. Enfin, cette commission, pour inscrire une personne sur la liste annuelle devra procéder à une enquête relative à la moralité et l’impartialité de l’intéressé.
Le projet de loi conduit ainsi à créer pas moins de six nouvelles formations de jugement, dont une pour le jugement des mineurs.
Tout d’abord sont créées deux formations en matière correctionnelle, composées de trois magistrats professionnels et de deux citoyens assesseurs : « le tribunal correctionnel citoyen », si je puis m’exprimer ainsi, compétent pour juger des faits de violence contre les personnes punis de cinq, sept ou dix ans d’emprisonnement et relevant actuellement du tribunal correctionnel collégial, et la chambre des appels, pour statuer sur l’appel formé contre une décision rendue par ce tribunal correctionnel citoyen.
Ensuite, une nouvelle formation de la cour d’assises au premier degré est créée, composée elle aussi de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs, dotée d’une compétence de principe pour les crimes passibles de quinze et vingt ans de réclusion criminelle, commis en l’absence de récidive. Le procureur de la République ou l’accusé, mais non la partie civile, pourront toujours demander le jugement par une cour d’assises composée d’un jury.
De surcroît, le projet de loi vise à modifier la procédure devant la cour d’assises, quelle que soit sa formation, sur deux points : la suppression de la lecture par le greffier de la décision de renvoi, lecture qui pouvait durer plusieurs jours, au bénéfice d’un exposé du président et la motivation des décisions criminelles.
En bref, nous aurions, si vous me permettez la familiarité de l’expression, une cour d’assises light, où siégeront deux citoyens assesseurs, et une cour d’assises hard, où les jurés seront majoritaires.
Deux nouvelles formations sont également prévues pour l’application des peines : le tribunal de l’application des peines comprendra deux citoyens assesseurs lorsqu’il se prononcera sur le relèvement de la période de sûreté, ainsi que sur les libérations conditionnelles. Il aura compétence pour les décisions impliquant des personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à cinq ans. Lorsqu’elle statuera sur les décisions du tribunal de l’application des peines, la chambre de l’application des peines comportera également deux citoyens assesseurs, qui remplaceront les représentants des associations qui siègent à l’heure actuelle.
La mise en œuvre globale de la réforme, à partir du 1er janvier 2014, rendra nécessaire, sur la base des hypothèses retenues dans l’étude d’impact, la mobilisation de 32,7 millions d’euros en crédits d’investissement et de 8,4 millions d’euros en crédits de fonctionnement, indemnisation des citoyens assesseurs incluse, sans tenir compte des 155 postes de magistrat et 108 postes de greffier dont M. le garde des sceaux a obtenu la création.
En tant que rapporteur, j’ai voulu que les dispositions de ce projet de loi permettent d’atteindre les objectifs qui y sont fixés : nous avons ainsi simplifié le mode de désignation des citoyens assesseurs, en élargissant le champ de compétence du tribunal correctionnel citoyen et, concernant la cour d’assises, réaffirmé le pouvoir des jurés populaires et le refus de la scission du statut de la cour d’assises.
Pour ce qui concerne le jugement des crimes, la commission a souhaité maintenir les grands principes gouvernant les assises. Elle s’est étonnée que, dans le cadre d’une réforme justifiée par la mise en place d’une meilleure participation citoyenne, on commence par remplacer, dans près de 90 % des affaires criminelles en première instance, les neuf jurés par deux assesseurs. Elle a également regretté que la composition de la nouvelle cour d’assise « allégée » soit alignée sur celle du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs, le souci de prévenir la « correctionnalisation » des crimes conduisant largement à une forme de « correctionnalisation » des assises elles-mêmes.
La commission a donc choisi de simplifier le système existant sans en remettre en cause les principes fondamentaux.
C’est ainsi qu’elle a réduit l’effectif du jury de neuf membres à six membres en première instance, et de douze membres à neuf membres en appel : cette solution permet, d’une part, de garantir la prépondérance des jurés par rapport aux magistrats et, d’autre part, de préserver la règle d’une majorité qualifiée pour obtenir la condamnation de l’accusé.
À propos du jugement des délits, la commission a souhaité élargir le périmètre des compétences de la formation du tribunal correctionnel comportant des citoyens assesseurs à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans. Compte tenu de l’importance des enjeux représentés pour la société par les questions d’environnement, il est apparu justifié d’ajouter également à ces compétences les infractions au code de l’environnement passibles – selon les mêmes critères – d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans.
Lors des auditions de la commission, j’avais perçu la crainte qu’une forme de division n’apparaisse entre un « contentieux des pauvres », incluant la présence des citoyens assesseurs, et un « contentieux des riches », où seuls siégeraient des magistrats professionnels. Cette analyse est caricaturale et je suis en outre convaincu que le bon sens des citoyens assesseurs peut se révéler utile et nécessaire au-delà des seules affaires de violences aux personnes.
La commission a estimé que la présence de citoyens assesseurs au sein des tribunaux et de la chambre d’application des peines était justifiée : elle permettra de consacrer le principe de l’intervention citoyenne pour la remise en cause des peines prononcées par un jury populaire, qui tiennent à cœur à la société.
De plus, je ne crois nullement impossible d’expliquer à l’opinion, comme aux futurs citoyens assesseurs, que la libération conditionnelle – pour prendre cet exemple – joue un rôle central dans la réinsertion, celle-ci demeurant l’objectif essentiel à poursuivre. Je profite de ce propos pour rappeler que la lutte contre la récidive et les actions de réinsertion sont aussi indissociables que l’avers et le revers de la même médaille.
Le second volet de ce projet de loi est constitué d’une vingtaine de propositions visant à adapter l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, afin de rendre la réponse judiciaire plus rapide et plus lisible.
Entre 2002 et 2009, le nombre des mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a crû de 19 % ; notons toutefois que la progression enregistrée chez les majeurs s’élève à 32 %. Parmi ces mineurs, peu réitèrent : sept mineurs sur dix ne font pas l’objet de nouvelles poursuites, ou d’une mesure alternative aux poursuites, dans l’année suivant la fin de leur prise en charge. En revanche, un petit noyau de 5 % serait responsable de près de la moitié des infractions commises.
En France, « la justice des mineurs n’est pas particulièrement laxiste ; elle est erratique ». Aujourd’hui, en dépit des neuf modifications apportées depuis 2002 à l’ordonnance du 2 février 1945, ce constat, dressé il y a neuf ans par la commission d’enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs et par son rapporteur, notre collègue Jean-Claude Carle, demeure largement partagé.
Le principal grief adressé à la justice française des mineurs porte sur sa lenteur : entre le moment des faits et celui de la condamnation définitive par le juge ou le tribunal, près de dix-huit mois s’écoulent, et jusqu’à cinq ans lorsqu’il s’agit d’une condamnation par une cour d’assises des mineurs.
Son manque cruel de lisibilité et de cohérence est un autre défaut de la justice des mineurs. L’ordonnance du 2 février 1945 a fait l’objet de trente-quatre modifications, sans que son architecture fasse l’objet d’une refonte d’ensemble. À la demande du Gouvernement, une commission présidée par le recteur André Varinard a remis, en décembre 2008, un rapport préconisant notamment la création d’un code de la justice pénale des mineurs.
Le Gouvernement a fait valoir que l’avant-projet de loi inspiré de ce rapport serait discuté conjointement avec la réforme d’ensemble de la procédure pénale : c’est pourquoi son examen par le Parlement a, pour l’heure, été repoussé.
Le Gouvernement a toutefois jugé nécessaire de modifier dès à présent l’ordonnance du 2 février 1945.
Il s’agit d’abord de renforcer l’efficacité de la chaîne pénale. Grâce à la création du dossier unique de personnalité, qui réunira toutes les investigations portant sur la personnalité du mineur, la juridiction saisie sera en mesure de statuer en toute connaissance de cause, y compris dans le cadre d’une procédure rapide de poursuite.
La procédure de convocation devant le tribunal pour enfants par officier de police judiciaire permettra de juger dans un délai bref les mineurs déjà connus de l’institution judiciaire ; corrélativement, la procédure de convocation par officier de police judiciaire devant le juge des enfants aux fins de jugement, peu utilisée, sera supprimée.
Le projet de loi prévoit enfin la création d’un nouveau tribunal correctionnel pour mineurs, compétent pour juger les mineurs âgés de seize à dix-huit ans ayant commis des délits en état de récidive légale.
Le deuxième objectif de la réforme consiste à accroître l’éventail des outils mis à la disposition des magistrats, afin d’adapter la réponse pénale à la personnalité des mineurs. La juridiction de jugement pourra désormais assortir une peine d’une sanction éducative. De même, le projet de loi facilite le placement du mineur en centre éducatif fermé et encadre la pratique de l’assignation à résidence avec surveillance électronique. Enfin, dans le cas des mineurs de plus de seize ans, le juge des enfants pourra convertir en travail d’intérêt général une peine d’emprisonnement ferme de faible quantum.
Le troisième objectif poursuivi consiste à renforcer l’implication des parents défaillants ; ces derniers seront systématiquement informés des décisions de l’autorité judiciaire, et les juridictions pourront délivrer à leur encontre un ordre de comparaître, afin de les contraindre à assister à l’audience. Les représentants légaux du mineur seront également jugés par jugement contradictoire à signifier, et non plus par défaut.
La commission des lois et son rapporteur, plutôt favorables à ces dispositions, ont estimé que la mise en œuvre des procédures rapides de poursuites devrait être subordonnée au fait que la juridiction dispose d’investigations approfondies et récentes sur la personnalité du mineur. Cette clarification nous a semblé nécessaire, à plus forte raison après la censure prononcée par le Conseil constitutionnel contre la deuxième loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2.
La commission considère également que le tribunal correctionnel pour mineurs, conformément à l’exigence constitutionnelle de spécialisation des juridictions pour mineurs, doit être présidé par un juge des enfants.
Nous avons enfin prévu que la victime serait systématiquement informée de la date du jugement, afin d’être en mesure de se constituer partie civile.
Avant de conclure mon intervention, je tiens à remercier M. le garde des sceaux de l’écoute dont il a fait preuve au cours des travaux accomplis en commun avec la commission des lois. Mes chers collègues, je crois pouvoir assurer que le Gouvernement et la commission des lois ont su faire un pas l’un vers l’autre, permettant ainsi d’aboutir au texte du projet de loi qui vous est présenté aujourd’hui et qui me semble équilibré. La commission vous demande donc de bien vouloir l’adopter, en tenant bien évidemment compte de ses amendements ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et sur certaines travées du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)
Demande de priorité
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, afin de faciliter le déroulement des débats lors de l’examen du titre II du projet de loi, qui porte sur les dispositions modifiant l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, la commission des lois souhaite que les articles 17 et 29 soient examinés par priorité. Ces articles viendraient donc en discussion au début du titre II, c’est-à-dire juste avant l’examen de l’article 10.
M. le président. Je rappelle que la priorité est de droit lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Anziani. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai par un rappel historique.
L’an passé, la réforme de la procédure pénale nous était présentée comme une urgence. Mais l’urgence de cette époque n’était pas la même que celle d’aujourd’hui ! Il s’agissait, à la demande du président de la République, de supprimer le juge d’instruction et de mettre en place une procédure accusatoire dont nous voyons en ce moment même les effets…
En juillet dernier, le Conseil constitutionnel imposait une autre urgence : celle de réformer la garde à vue à la française, que nous dénoncions depuis des années mais que, depuis des années, la chancellerie s’obstinait à considérer comme parfaite en tous points. (M. le garde des sceaux s’étonne.)
Aujourd’hui, une troisième urgence vient chasser les deux autres : il serait nécessaire de réformer dans l’urgence, avant l’été, la procédure d’audience et la justice des mineurs.
L’accélération qui s’est produite au cours des dernières semaines est critiquée par notre rapporteur lui aussi, qui tout à l’heure a dénoncé les délais imposés au Sénat pour examiner un projet de loi revêtant tout de même une certaine importance. Quelle peut donc bien en être la raison ?
À la réflexion, j’ai pensé que cette réforme résultait sans doute d’une concertation approfondie avec les professionnels concernés, conduite sur le fondement des préconisations de la commission Léger, mise en place, précisément, pour préparer une réforme de la procédure pénale.
Malheureusement, il n’en est rien ! Ce projet de loi n’est pas issu d’une concertation. Son dépôt a été annoncé un soir, lors d’une émission télévisée, par le ministre de l’intérieur – alors qu’on aurait pu s’attendre, monsieur le garde des sceaux, à ce que vous le fassiez vous-même…
Sans doute, monsieur le garde des sceaux, avez-vous immédiatement réagi – cela mérite d’être salué. Vous avez déclaré que l’ardeur de votre collègue devait être tempérée, et que, à cette fin, les nouveaux jurés siégeraient seulement en appel. Nous avons aujourd’hui le projet de loi sous les yeux, et nous nous apercevons que le ministre de l’intérieur, en fin de compte, l’a emporté… Deux jurés populaires siégeront en effet en première instance, et cela le plus vite possible.
Le cheminement des dispositions relatives aux mineurs, à propos desquelles Mmes Tasca et Boumediene-Thiery s’exprimeront plus longuement tout à l’heure, fait apparaître une même incohérence.
En avril 2008, Mme Dati soulignait – vous l’avez vous-même rappelé tout à l’heure, monsieur le garde des sceaux – qu’une trentaine de modifications avaient été apportées depuis la guerre à l’ordonnance du 2 février 1945…
M. Alain Anziani. … et Mme Dati de conclure – vous conviendrez que j’ai de bonnes lectures ! – que ces retouches successives nuisaient à la clarté et à la compréhension de la justice des mineurs. Mme Dati avait donc constitué la commission Varinard, dont le rapport préconisait bien plus qu’une simple modification partielle de l’ordonnance du 2 février 1945.
Mme Alliot-Marie, considérant la situation à son tour, a jugé que l’ordonnance du 2 février 1945 était devenue « illisible », ajoutant que cet état de fait était « contraire au rôle et au but de notre droit ». Quelle belle ambition, en effet, que la cohérence !
Mais quelle contradiction dans votre démarche, puisque vous venez défendre devant nous l’addition d’une nouvelle couche à un « millefeuille législatif » – une couche au goût d’ailleurs amer, puisqu’il s’agit en réalité d’une modification profonde de la nature de notre justice des mineurs !
Je renouvelle donc ma question : quel est le sens de ce double projet de loi ? Je vais essayer de vous démontrer qu’une seule interprétation est possible.
M. Alain Anziani. Le seul sens que je trouve à votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, c’est la défiance envers les magistrats. (M. le garde des sceaux s’exclame.) Je ne vois pas d’autre explication que cette défiance envers les juges et, plus généralement, envers le monde judiciaire !
D’ailleurs, n’ayons pas la mémoire courte : cette défiance a été clairement exprimée par le Président de la République lui-même ! Il y a quelque temps, le Président de la République a comparé les magistrats à des petits pois… (Protestations sur les travées de l’UMP.) On peut établir des rapprochements plus élogieux ! Poursuivant la comparaison, il ajoutait qu’ils avaient « la même couleur, le même gabarit, la même absence de saveur »… (Monsieur le garde des sceaux proteste.)
Je comprends bien votre dénégation, monsieur le garde des sceaux ; mais c’est au Président de la République qu’elle doit s’adresser, car il a vraiment tenu ces propos et procédé à cette description très précise ! Malheureusement pour lui, cependant, les petits pois ont refusé de passer à la casserole ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Après l’affaire de Pornic, notamment, ils se sont agités, obtenant même le soutien des forces de police et de gendarmerie…
Aujourd’hui, bien entendu, vous souhaitez les cuisiner à votre façon : en les réduisant. Pour cela, vous mettez en place des peines planchers ou, en matière d’immigration, des mesures administratives.
Je le sais bien, monsieur le garde des sceaux, vous allez nous assurer que cette réforme a un autre objet, à savoir rapprocher la justice des citoyens. Mais, sincèrement, comme le faisait remarquer Jean-Pierre Michel, voyez l’intitulé de votre texte : « Projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale […] ». Qu’est-ce que cela signifie, littéralement ? Que les magistrats ne sont pas eux-mêmes des citoyens ! Cette formulation pour le moins maladroite explique précisément la méfiance suscitée par ce texte.
D’ailleurs, de quelle justice pénale nous parlez-vous ? En fait, vous scindez la justice en deux : d’un côté, il y aura la justice qui traitera des délits portant « une atteinte particulièrement grave à la cohésion sociale du pays », à savoir les violences, les vols avec violence, les violences conjugales habituelles, les agressions sexuelles, les atteintes à l’environnement, l’usurpation d’identité ; d’un autre côté, il y aura une autre justice, celle qui traitera des affaires de corruption, des délits d’initiés, des infractions économiques, des scandales financiers ou du monde des affaires, autant d’infractions qui, si l’on en croit votre raisonnement, ne menaceraient pas la cohésion sociale de notre pays et dont le jugement ne requerrait pas la présence du peuple.
Je ne suis pas sûr que les citoyens dont vous voulez nous rapprocher s’y retrouvent.
En réalité, vous voulez encadrer les magistrats, que vous jugez trop laxistes, par des citoyens, que vous espérez plus sévères.
La conséquence est immédiate : vous limitez le pouvoir du juge, qu’il s’agisse de celui de prononcer des peines, celui d’accorder des libérations conditionnelles ou celui de juger des mineurs.
Sur ces deux derniers points, vous proposez qu’un citoyen chasse l’autre. C’est quelque peu paradoxal.
En matière d’application des peines, l’assesseur citoyen assistera désormais les magistrats. En appel, il remplacera le représentant de l’association d’aide aux victimes et le représentant de l’association de réinsertion, qui interviennent déjà. Dans une matière aussi complexe, quel est l’intérêt de remplacer un citoyen qualifié, reconnu pour sa compétence et son intérêt pour la justice par quelqu’un qui, au fond, n’aura ni cette expérience, ni cette compétence, ni cet intérêt ? Nous n’en voyons qu’un : rendre plus difficiles les libérations conditionnelles. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat opine.)
La même substitution interviendra dans la justice des mineurs, que d’autres collègues traiteront plus précisément.
Pour conclure, je voudrais dire un mot de l’étude d’impact annexé au projet de loi.
Celle-ci ne consacre qu’à peine une demi-page aux conséquences matérielles de cette réforme, qui va pourtant concerner plusieurs dizaines de milliers d’affaires.
Je vous donnerai non pas mon point de vue, que vous jugeriez partial, mais celui de quelqu’un qui est issu de vos rangs, à savoir Jean-Paul Garraud,…
M. Alain Anziani. … secrétaire national à la justice de l’UMP, que je connais bien, car nous sommes élus du même département.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le parti socialiste cite la Droite populaire, maintenant ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Alain Anziani. Il craint un ralentissement considérable de la justice, un risque de paralysie, a-t-il précisé à l’AFP. Il ajoute que nous allons changer la nature de la procédure et la faire évoluer vers une procédure orale, qui exigera beaucoup plus de temps d’audience.
Selon le même, au lieu de juger quarante affaires par jour, on en jugera deux. Peut-être est-il trop sévère, peut-être en jugera-t-on trois…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quatre !
M. Alain Anziani. … ou quatre, mais nous voyons bien que tout cela va allonger la durée des audiences et le coût des affaires.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, et M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si les affaires sont mieux jugées !
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, la principale question qui se pose à la justice est celle des moyens dont elle dispose. Son budget se situe misérablement au trente-septième rang en Europe ; notre pays compte, pour 100 000 habitants, dix magistrats, soit la moitié de la moyenne européenne, et trois procureurs, contre huit chez nos voisins. Pourtant, vous nous proposez une réforme qui va augmenter le coût des procédures et allonger les délais. C’est exactement l’inverse de ce qu’il serait nécessaire de faire.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Anziani. Ainsi, en quatre ans, cinq lois ont limité le pouvoir des juges, cinq lois qui n’ont en rien fait reculer la délinquance dans notre pays, cinq lois largement inutiles, auxquelles vous ajoutez aujourd’hui un sixième texte qui aura des effets dévastateurs tant sur la réinsertion des majeurs que sur la prévention de la délinquance des mineurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, je m’en tiendrai, dans mon intervention, au projet initial présenté par le Gouvernement, projet initial qui avait pour objectif d'améliorer, de renforcer ou encore d'élargir la participation des citoyens assesseurs ou des citoyens jurés à toutes les instances judiciaires.
Voilà qui procède d’une juste cause dès lors que l'ambition qui la sous-tend respecte les principes d'indépendance et d'impartialité de l'autorité judiciaire énoncés dans notre Constitution.
La participation des jurés au délibéré de la cour d'assises est le garant de ces principes : principe de la légalité, principe de l'application des lois dans le temps, de l'individualisation des peines, principe, encore, de la présomption d'innocence.
Autant de fondements qui expliquent le plébiscite dont font l’objet, depuis bien longtemps, les jurys populaires, qui ajoutent au jugement des techniciens du droit leur intime conviction.
Pourquoi, alors, le texte du projet initial rompt-il ce délicat équilibre sous prétexte d'impliquer davantage le citoyen dans la prise d'une décision de justice rendue au nom du peuple, si ce n'est pour répondre à une autre ambition, celle qui nous est proposée dans ce projet de loi, c'est-à-dire le durcissement de nos procédures pénales ?
Je n'en veux pour preuve que l'omission bien malencontreuse dans le projet présenté par le Gouvernement du principe de présomption d'innocence. Dans votre conclusion sur les objectifs de la loi, n'écrivez-vous pas que ce texte « prévoit la motivation des arrêts d'assises, qui permettra aux personnes condamnées de connaître les principales raisons pour lesquelles la cour d'assises a été convaincue de leur culpabilité » ?
Qu'en est-il des arrêts d'acquittement ? Notre droit et notre justice ne peuvent laisser subsister un doute sur le respect de ce principe, déjà largement ébranlé par l'introduction du « plaider coupable », par le renforcement du rôle du parquet, dont la qualité d'autorité judiciaire est pourtant contestée par la Cour européenne des droits de l’homme au motif que celui-ci n'est pas indépendant et autonome de l'exécutif, ou encore par les projets de suppression du magistrat instructeur.
Sous prétexte d'améliorer le fonctionnement des cours d'assises et de remédier à la multiplication des cas de correctionnalisation des infractions, vous proposez de remplacer les actuels neufs jurés de cour d'assises par deux assesseurs à l'instance des crimes punis d'une peine maximale de quinze ou de vingt ans, à l'image du dispositif fixé s'agissant de la procédure correctionnelle.
Vous instituez ainsi, implicitement, une correctionnalisation légale des primo-crimes ou, inversement, une criminalisation des délits. De fait, le tribunal correctionnel et la cour d'assises avec deux assesseurs citoyens et trois magistrats ne se distingueront plus que par leur nom. Les infractions, qu'elles soient qualifiées de délit ou de crime, seront toutes poursuivies, introduites et renvoyées selon la même procédure et sur le fondement des mêmes règles d'audiencement devant des instances différenciées par leur seul nom. Notre cour d'assises, dès lors, en sa formation traditionnelle actuelle, deviendra exceptionnelle et réservée aux crimes en récidive, à la faculté des parties de s'opposer à la formation « assesseurs » et aux crimes les plus odieux qui font encourir plus de vingt ans de réclusion criminelle.
En proposant pareil dispositif, le Gouvernement introduit une nouvelle hiérarchie, celle de l'auteur et non plus celle de l'infraction. Jusqu'à présent, il s'agissait de distinguer les crimes des délits et de protéger le principe du procès équitable : même juridiction pour même qualification.
Aujourd'hui, la différenciation vient de la qualité de l'auteur : le récidiviste ne sera pas traité comme le primo-délinquant ; cette circonstance jusqu’à présent aggravante devient un élément constitutif de l'infraction qui justifierait à lui seul non pas une sanction plus sévère, mais une juridiction particulière et exceptionnelle.
Le petit criminel aura droit à la cour citoyenne, le grand criminel à la cour d'assises ; le petit criminel sera traité comme le prévenu.
Au total, on assistera à un renforcement de la répression et à une aggravation des peines non pas encourues, mais prononcées, chacun sachant bien la plus grande sévérité des peines prononcées par les magistrats correctionnels par rapport à la relative clémence des cours d'assises.
Au-delà de ce changement d'orientation voulu, je voudrais soulever le problème des moyens matériels et budgétaires nécessaires à l'application de cette réforme.
Par le jeu des dispositions visées aux futurs articles 181–1, 240–1 et 237–1 du code de procédure pénale, articles relatifs aux assesseurs de cour d'assises et destinés à réduire, dites-vous, de moitié les délais de détention, vous écartez, comme d'un revers de main, les difficultés administratives, matérielles et financières qui vont affecter dans leur fondement les missions et les charges de nos magistrats.
Raisonnablement, l'impact positif de la réforme sur les délais de comparution de la personne poursuivie est peu probable. En revanche, bien probable est le cortège des difficultés à venir : les désistements de dernière heure des assesseurs, le temps nécessaire pour les familiariser avec une matière difficile à appréhender par le plus grand nombre, le coût des indemnisations.
Mais, surtout, il est à craindre que ce projet n’ait des incidences sur le délai des comparutions, voire sur les comparutions immédiates elles-mêmes. Compte tenu de l'impossibilité de réunir le tribunal le jour même, le prévenu sera présenté devant le seul juge des libertés et de la détention ou devant le tribunal composé alors des seuls magistrats.
Dans l'hypothèse d'une détention provisoire, le délai de placement ne devrait pas excéder un mois, délai au-delà duquel le prévenu serait remis en liberté.
Dès lors, en matière criminelle, alors que le Gouvernement dit vouloir réduire à six mois le temps de détention provisoire, qu'en sera-t-il vraiment ? Doit-on craindre ou se réjouir de voir remis en liberté un accusé au terme des six mois ? Doit-on craindre ou se réjouir de voir cet accusé renvoyé devant une cour d'assises composée des seuls magistrats ? Est-ce là le progrès que l'on est en droit d'attendre d'une réforme « réfléchie et pensée » ?
M. Jacques Mézard. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. Tout laisse à croire que vous défaites d'une main ce que vous avez fait de l'autre (M. le garde des sceaux sourit.), niant même le rôle éminent que devraient assumer les citoyens assesseurs en ne leur assignant plus qu'un rôle de « gage de bonne conduite » du système judiciaire.
M. Jacques Mézard. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. J'ouvrais mon intervention sur l'intention à peine voilée du Gouvernement de durcir les procédures pénales ; le projet de loi, dans son titre II, en est une triste illustration.
Les dispositions relatives à la répression des infractions commises par les mineurs bafouent la qualité de mineur consacrée par l'ordonnance du 2 février 1945. La minorité n’est plus une clause d'exception ; le mineur est ici appréhendé en sa seule qualité d'auteur, au même titre qu'un majeur.
Prétendre, par la création d'un tribunal correctionnel pour mineurs, participer à la rééducation du délinquant et soutenir que cette nouvelle juridiction spécialisée est un remède pour faire comprendre à tel jeune adulte, à tel enfant, la nécessité de sortir de l'engrenage de la délinquance, c’est une aberration.
Nous ne savons que trop – et les études qui l’ont démontré sont nombreuses – les effets criminogènes et désocialisants de la détention, des prisons et de l'enfermement. Nous connaissons trop les carences en matière de réinsertion et de formation en milieu carcéral.
La récidive, trop souvent considérée comme l'une des manifestations de l'incompétence de nos magistrats, n'est-elle pas, en réalité, le fruit d'une condamnation et d'une sanction à la thérapie mal discernée, mal administrée ?
Comment, alors, pouvoir accepter que ce texte ait prévu la comparution, en toutes circonstances, d'un mineur devant un tribunal correctionnel, le placement sous contrôle judiciaire et même l'assignation à résidence sous surveillance électronique, et ce sans la participation des citoyens assesseurs ?
Comment comprendre, dans la mesure où ce texte place le mineur auteur d'une infraction dans le seul registre de la délinquance et de la délinquance des majeurs, qu’il ne bénéficie pas des mêmes avantages, en l'occurrence la présence des citoyens ?
Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, je dois vous avouer mon incrédulité face à pareilles dispositions.
Pourquoi cette « gesticulation » bien inutile (M. le garde des sceaux s’exclame.), coûteuse – alors que nos juridictions sont, pour beaucoup, exsangues –,…
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier. … inapplicable en grande partie si, avec réalisme, on analyse la disponibilité nécessaire de la part des citoyens ?
N'aurait-il pas été, simplement, plus opérant d'introduire les jurys des cours d'assises actuelles à la procédure correctionnelle par extension du champ encore en vigueur relatif à la composition et à la procédure devant la cour d'assises ?
Comme je l’ai dit, je m’en suis tenue au texte initial. C’est pourquoi je tiens, en conclusion, à adresser ma reconnaissance et mes remerciements au président et à l’excellent rapporteur de la commission des lois, qui se sont efforcés, dans la mesure du possible, d’atténuer les effets – les méfaits – d’un projet de loi décrié par les meilleurs professionnels du droit. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – Mme Josiane Mathon-Poinat et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous considérons que le présent projet de loi est irrecevable, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, rien ne justifie le recours à la procédure accélérée sur ce texte, monsieur le garde des sceaux, surtout si l’on se fie au nombre de sujets déclarés urgents par la Chancellerie avant votre prise de fonction et qui, depuis, sont devenus moins urgents, quand ils n’ont pas été simplement abandonnés.
Le présupposé est toujours le même et on le retrouve dans l’étude d’impact : les citoyens considèrent que « les décisions de justice ne prennent pas suffisamment en compte les évolutions de la société ».
C’est d’ailleurs ce que professe régulièrement le Président de la République, qui est boulimique de rapports sur la justice. Je n’en citerai que quelques-uns : les rapports Léger, Lamanda, Guinchard, Darrois, Varinard, Bockel... et maintenant le rapport Lachaud !
De ces rapports, le Gouvernement retient ce qui va dans le sens de ce qu’il veut démontrer, à savoir qu’il agit, et qu’il agit contre le laxisme des juges.
Nous voilà donc saisis aujourd’hui d’un projet de loi en procédure accélérée qui porte deux réformes – et même trois avec celle des cours d’assises – qui n’ont fait l’objet d’aucune concertation. Pourtant, nous le savons, les professionnels qui ont été auditionnés par le rapporteur de notre commission des lois ont largement manifesté leur inquiétude, tant sur les dispositions elles-mêmes que sur leur applicabilité. Mais apparemment, monsieur le garde des sceaux, vous n’en avez cure…
Ainsi, vous entendez introduire dans notre système judiciaire ce que vous appelez « le citoyen assesseur ». Je note tout d’abord que vous n’êtes pas à une incohérence près puisque, jusqu’à présent, vous avez favorisé le juge unique.
J’y vois une seconde incohérence, puisque vous vouliez créer une cour d’assises simplifiée, avec seulement deux jurés. Notre rapporteur s’est légitimement opposé à cette mesure. Néanmoins, le nombre de jurés serait ramené de neuf à six en première instance, ce qui aurait pour effet, il faut bien l’admettre, une moindre représentation de la société. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)
J’ajoute que le fait de justifier la cour d’assises simplifiée par une volonté de porter remède à la correctionnalisation de nombreux crimes me paraît très réducteur s’agissant des motifs pour lesquels on assiste à une telle correctionnalisation.
Monsieur le garde des sceaux, voilà longtemps que les citoyens participent, de manière pertinente, au fonctionnement de la justice. Ainsi, outre les cours d’assises, ils sont présents dans les conseils des prud’hommes, dans les tribunaux de commerce ou dans les tribunaux pour enfants, dans lesquels vous voulez d’ailleurs les supprimer. Leur présence se fonde sur leur expertise et ils sont désignés pour plusieurs années.
Mais ce que veut le Président de la République, c’est autre chose. Comme il le disait lors de ses vœux pour 2010 lorsqu’il évoquait l’ouverture des tribunaux correctionnels aux jurés populaires : « Ainsi c’est le peuple qui pourra donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l’exaspération du pays ». Ajoutons à cette déclaration ses propos sur l’immigration dans son discours de Grenoble sur la délinquance.
Monsieur le garde des sceaux, vous dites que la présence de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels n’a pas pour objet de renforcer les sanctions ; permettez-moi d’en douter. Tout d’abord, le juge correctionnel n’aura des citoyens assesseurs que dans certains cas. Comme vient de le rappeler le rapporteur – mais ce n’est pas acceptable pour autant –, si les peines prononcées en correctionnel deviennent plus lourdes, c’est parce que la loi pénale est toujours plus rigoureuse. La présence de jurés citoyens n’est pas en cause.
Par ailleurs, vous faites des comparaisons qui n’ont pas lieu d’être. (M. le garde des sceaux est dubitatif.) Comparaison n’est pas raison. D’abord, dans un procès d’assises, le parcours et le rôle du juré sont totalement différents, notamment parce qu’il dispose de temps pour écouter les parties – accusés et victimes –, peser la valeur des témoignages, prendre connaissance des informations que les professionnels ont à leur disposition. Par ailleurs, aux assises, la lourdeur des peines dépend des actes incriminés. Nous connaissons l’indulgence qui, souvent, prévaut pour les crimes passionnels.
Or, monsieur le garde des sceaux, la compétence du « tribunal correctionnel citoyen », telle que vous la préconisez, concerne largement les actes de violences aux personnes. Le rapporteur reconnaît que l’on cible de fait « une catégorie de délinquants qui, le plus souvent, se recrutent au sein d’une frange particulièrement démunie de la population ». Il ajoute que : « d’autres formes de délinquance moins sociologiquement “marquées” continueront de relever des […] magistrats professionnels ».
Vous avez vraiment du mal à cacher le contenu de classe de votre projet. Au fond, pour vous, les juges auraient besoin de la pression populaire pour sanctionner les vols et les agressions. En revanche, les jurés ne seraient pas capables d’avoir un avis – ou peut-être seraient-ils trop sévères ? – s’agissant des délits économiques et financiers, par exemple, pour lesquels, curieusement, depuis quelques années, on voit au contraire des tentatives de dépénalisation ou de réduction de la prescription.
Monsieur le garde des sceaux, il se pose ensuite une question incontournable, celle de l’applicabilité d’une réforme sur laquelle tous les professionnels s’accordent.
Les dispositions proposées induisent une modification en profondeur du fonctionnement des tribunaux correctionnels. Les jurés tirés au sort ne connaissant rien du dossier, la procédure sera inévitablement plus orale demain qu’elle ne l’est aujourd’hui, ce qui modifiera la pratique et la durée des audiences, comme l’a souligné le précédent orateur.
Vous prévoyez un doublement du nombre des audiences, mais ce sera beaucoup plus selon les professionnels. Or, non seulement les moyens seront insuffisants pour faire face à la multiplication du nombre des audiences, mais vous négligez en outre d’autres paramètres. Il en est ainsi des surfaces nécessaires pour la tenue des audiences, alors que, notamment avec la réforme de la carte judiciaire, les surfaces pouvant être affectées aux audiences ont plutôt tendance à diminuer. Mais peut-être les tribunaux siégeront-ils dehors ?
Encore une fois, la question, centrale, des moyens réels dont dispose la justice n’est pas au cœur du présent projet de loi, tant s’en faut.
Soyons clairs : ce texte contribue à la défiance, entretenue par le Président de la République, à l’encontre des juges. D’où, dans votre projet, la participation des jurés tirés au sort aux décisions de libération conditionnelle. Étrangement d’ailleurs, vous évincez, au second degré, les représentants d’association.
Dans ce domaine, les décisions demandent une professionnalité importante : sur la prévention, la réinsertion, les conditions de l’une ou l’autre... Quel sera le sens de l’intervention de jurés tirés au sort dans la prise de décision ? Disons-le clairement, vous jouez l’opinion publique, sans cesse sollicitée sur les faits divers, contre les magistrats.
Monsieur le garde des sceaux, si vous aviez recherché, comme vous l’affirmez, un rapprochement des citoyens de la justice, vous vous y seriez pris autrement.
D’abord, une concertation aurait dû être menée sur une participation plus durable des citoyens dans une instance judiciaire – ce que l’on appelle l’échevinage, pratique à laquelle nous sommes, pour notre part, favorables – ainsi que sur la proportion entre professionnels et citoyens et vous auriez aussi prévu que ces derniers puissent être éventuellement récusés. Or, ce n’est absolument pas ce que vous faites. Nous ne pouvons que refuser ce projet. Nous défendrons des amendements lors de l’examen des articles.
J’en viens à la réforme que vous voulez introduire dans la justice des mineurs.
Précisons que cette réforme n’était pas prévue à l’origine. Il est éminemment critiquable d’amorcer ainsi, en urgence, une déstructuration grave de la spécificité de la justice des mineurs instaurée par l’ordonnance de 1945.
Je considère pour ma part qu’il est au contraire nécessaire de refonder, dans des dispositifs législatifs cohérents, les principes de la justice des mineurs, qui sont déjà souvent écornés. Pourtant, depuis 1945, ces principes ont souvent été confirmés dans les engagements internationaux de la France, notamment dans la Convention internationale des droits de l’enfant ou dans les Règles de Pékin.
Ce qui ressort de ces principes, c’est précisément la distinction entre un mineur et un majeur, d’où la prévalence de l’aspect éducatif, la spécificité des procédures mais aussi des juridictions.
Votre logique, comme celle de vos prédécesseurs, est totalement inverse. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Le Président de la République déclarait le 10 février à la télévision : « un délinquant de 17 ans, 1,85 m, que l’on amène devant le tribunal pour enfants, ce n’est pas adapté […] Un mineur d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’était un mineur en 1950 ».
Ces propos, nous les entendons en toute occasion. Ils seraient risibles s’ils ne sous-tendaient pas une volonté politique éminemment critiquable. En effet, à chaque époque, les mineurs sont différents, comme le sont les majeurs, les institutions, les dirigeants. Mes chers collègues, nous sommes nous-mêmes très différents des législateurs de 1945.
Monsieur le garde des sceaux, vous soutenez que ce qui a changé depuis 1945, c’est le travail et la famille. Doit-on entendre que, lorsqu’il n’y a plus de travail pour les jeunes et que les familles sont en grande difficulté, il faut pénaliser les mineurs ? Là encore, je vois apparaître le caractère de classe de vos propositions.
D’ailleurs, je note que, selon votre logique, les enfants des classes populaires seraient très rapidement majeurs, alors que ceux des classes aisées pourraient rester mineurs plus longtemps puisqu’ils font des études. (M. le garde des sceaux marque sa désapprobation.)
L’affichage est toujours le même : tolérance zéro et risque zéro, si tant est que cela soit possible, voire simplement crédible, face au laxisme de la justice des mineurs… Vous prenez des risques !
Selon le rapport, sept mineurs sur dix ne réitèrent pas dans l’année suivant la fin de leur prise en charge. Le taux de réponse pénale est de 93 % pour les mineurs, 87 % pour les majeurs. Les mises en cause ont augmenté, entre 2002 et 2009, de 32 % pour les majeurs et 19 % pour les mineurs. Le laxisme de la justice des mineurs n’est donc pas prouvé.
À partir de votre objectif, vous bouleversez la cohérence de la justice des mineurs. Vous l’avez déjà fait en introduisant notamment une forme de comparution immédiate et les peines planchers pour les récidivistes. Vous avez déjà opéré un clivage entre la jeunesse en danger et la jeunesse délinquante, alors que l’on sait bien qu’il y a un lien direct entre les deux.
Vous confondez volontairement réponse rapide et jugement. Vous mettez donc en œuvre une justice plus expéditive axée sur la seule sanction pénale.
Le tribunal correctionnel pour mineurs, qui statuera dans des délais plus brefs que le tribunal pour enfants, est conçu pour les mineurs récidivistes de seize ans passibles d’une peine de prison de trois ans minimum. Or, le critère de récidive peut être facilement retenu pour des mineurs qui commettent souvent plusieurs délits dans un bref laps de temps. Le tribunal correctionnel pour mineurs concernera donc de nombreux cas. Dans les faits, l’unité de la justice des mineurs sera donc cassée.
Confier la présidence de ce tribunal au juge des enfants, comme le propose M. le rapporteur, ne changera rien, puisque ce dernier disparaît de l’audiencement, qui constitue pourtant un outil de travail avec les mineurs. Il jugera des jeunes qu’il ne connaîtra pas. Pourtant, sa spécificité est de piloter le processus, donc de pouvoir s’intéresser à la personnalité du mineur, de disposer de temps entre le moment où il lui est présenté et le moment où il sera éventuellement déféré devant un tribunal et jugé.
Contrairement à ce que vous voulez faire croire, les professionnels font observer que les mineurs entrés en délinquance préféreraient souvent passer rapidement devant un tribunal plutôt que d’être pris en charge. Précisément, notre responsabilité n’est pas les envoyer faire de petits séjours dans une prison d’où ils risquent fort de sortir plus ancrés dans la délinquance qu’ils ne l’étaient en y entrant. Notre responsabilité, c’est de les prendre en charge sur une longue période.
Le dossier unique de personnalité aurait pu faire l’objet d’un consensus. Mais si vous l’avez placé sous le contrôle du juge des enfants, vous l’avez aussi mis sous l’autorité du procureur ; vous y versez des éléments recueillis lors de procédures d’assistance éducative, donc relatives aux parents, à la fratrie du mineur,... ce qui aura pour effet de « marquer » celui-ci et par conséquent de le figer dans la fatalité sociale.
La convocation par officier de police judiciaire s’ajoute à la présentation immédiate et à la comparution à bref délai. Elle donne au procureur le pouvoir de décider des suites. La phase d’instruction devant le juge des enfants sera alors supprimée, le mineur ne le rencontrant qu’à l’audience.
Avec ce texte, vous accroissez encore les pouvoirs du procureur au détriment du juge des enfants.
Les mineurs de treize ans pourront être assignés à résidence sous surveillance électronique mobile. Alors que le bracelet électronique est difficile à mettre en œuvre pour les majeurs, croyez-vous vraiment qu’un mineur déscolarisé et en rupture familiale, par exemple, sera en mesure de s’y soumettre de façon qu’il ait une quelconque utilité ? En réalité, vous accélérez la case « enfermement », et vous le faites d’ailleurs avec tous vos dispositifs.
Ainsi, vous banalisez la détention provisoire et le placement en centre éducatif fermé, ou CEF, puisque vous étendez le champ du placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize ans.
Il est à craindre que les centres éducatifs fermés ne deviennent bientôt le passage obligé pour les mineurs délinquants.
Vous avez dit, monsieur le garde des sceaux, qu’il n’était pas question de toucher aux foyers non fermés. Mais vingt foyers éducatifs vont encore être transformés en centre éducatif fermé !
Or le fonctionnement de ceux-ci, l’absence de projet éducatif sur la durée, c’est-à-dire d’un « avant » et d’un « après », ont été critiqués par la Défenseure des enfants, autorité aujourd’hui en suspens, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport, et par les professionnels.
Vous n’attendez même pas les conclusions du rapport du groupe de travail sur l’évaluation des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs, les EPM, dont sont corapporteurs nos collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet.
Vous préférez stigmatiser les parents, toujours les mêmes, ceux que votre collègue Laurent Wauquiez accuse de fraude au revenu de solidarité active, le RSA, et de préférence pour l’assistanat : avec de tels propos destinés à être relayés dans l’opinion publique, quelle image auront d’eux leurs enfants, que ceux-ci soient ou non des délinquants ?
La meilleure façon de les impliquer dans le procès judiciaire est-elle de les amener au tribunal entre deux policiers ou gendarmes ? Est-ce là la « nouvelle économie de la sanction parentale » que prône notre collègue Jean-Marie Bockel dans le rapport que le Président de la République lui a demandé de rédiger ?
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu’il faille une « réponse » rapide à un acte commis par un mineur : oui. Mais « réponse » ne veut pas dire « sanction pénale systématisée » ; cela signifie « intervention rapide du juge des enfants ». De plus, si les délais de la réponse pénale sont souvent trop longs, c’est parce que vous refusez de donner aux magistrats et à la Protection judiciaire de la jeunesse les moyens de leurs missions.
M. le président. Il faut conclure, madame Borvo Cohen-Seat !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vais conclure, monsieur le président.
Avec ce texte, les mineurs récidivistes de seize ans seront traités comme des majeurs, et les mineurs de treize à seize ans comme les jeunes de seize à dix-huit ans aujourd’hui. Puisque vous aimez les comparaisons, je vous signale que c’est tout le contraire de l’Allemagne, qui traite les jeunes majeurs, entre dix-huit et vingt et un ans, comme les mineurs.
Je conclurai en disant que, le 9 mai, notre groupe a organisé un colloque intitulé : « Nos enfants ne nous font pas peur, mais le sort qu’on leur réserve nous inquiète ». Nous avons réuni des professionnels de la petite enfance, de l’éducation, de la justice... Tous ont fait part de leur inquiétude, des difficultés croissantes et de la souffrance qu’ils éprouvent dans l’accomplissement de leurs missions.
Comment en effet ne pas s’inquiéter quand les jeunes sont stigmatisés, et, qui plus est, dans la droite ligne de M. Bénisti, dès le plus jeune âge ?
Nous nous opposons donc à ce texte. Nous défendrons des amendements de suppression d’articles et des amendements destinés à annuler des aggravations que vous avez inscrites depuis dix ans dans la loi concernant la justice des mineurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le président du groupe de l’Union centriste, François Zocchetto, qui m’a permis d’intervenir plus tôt dans le débat afin que je puisse respecter une contrainte horaire.
Monsieur le garde des sceaux, en ce début de discussion générale, je voudrais vous faire part de mon étonnement, de mes doutes et de mon scepticisme face à la réforme que vous nous proposez.
J’avoue ne pas comprendre le pourquoi de cette réforme ni les raisons de cette procédure d’urgence, aujourd’hui appelée procédure accélérée.
À ma connaissance, en effet, une telle réforme n’a été demandée par personne : aucun justiciable, aucun avocat, aucun magistrat ne l’a suggérée ; aucun rapport, aucune étude, aucun colloque ne l’a préconisée.
M. Hervé Maurey. La réforme ne prétend d’ailleurs pas régler les principaux problèmes de notre justice en termes de délai ou d’efficacité, en termes de droit de la défense ou de modernisation de la justice, ou encore en termes de manque de moyens ou d’engorgement des prisons, alors que nous venons d’apprendre aujourd’hui même que nous avions atteint un chiffre record en la matière.
Alors pourquoi examinons-nous ce texte maintenant ?
Pourquoi continuons-nous à légiférer trop et trop vite, alors que le Président de la République avait dit que la fin de son quinquennat serait consacrée à faire un bilan des réformes engagées et à « délégiférer », pour reprendre son expression ?
Monsieur le garde des sceaux, vous avez appelé à la rescousse Libération et André Gide,…
M. Hervé Maurey. … et vous nous avez dit que cette réforme allait renforcer le lien entre la justice et les citoyens, et permettre aux décisions judiciaires de ne pas être déconnectées des évolutions de la société.
Mais en quoi mettre deux assesseurs aux côtés de trois magistrats permettra-il d’atteindre ces objectifs ? En quoi ces citoyens pourront-ils jouer un rôle réel dans l’élaboration de la décision, quand on sait que, dans les cours d’assises, où les magistrats sont pourtant minoritaires – trois magistrats pour neuf jurés –, leur poids est très souvent prépondérant en raison de leur connaissance du sujet et de leur expérience ?
Pensez-vous vraiment que deux assesseurs inexpérimentés, sans formation et sans motivation, joueront réellement un rôle ? Pensez-vous vraiment qu’ils permettront de renforcer, comme vous l’appelez de vos vœux, le lien entre la population et la justice, et qu’ils permettront que les décisions judiciaires ne soient pas « déconnectées des évolutions de la société » ? Très honnêtement, je ne le crois pas.
Il aurait fallu pour cela une vraie réforme, une réforme structurelle, une réforme de fond, et non une « réforme gadget » dont il n’était même pas question voilà seulement un an. (M. le garde des sceaux est dubitatif.)
Nous sommes en réalité, une fois de plus, dans la « réforme marketing », la gestion des conséquences d’un effet d’annonce non préparé, comme ce fut le cas à plusieurs reprises, je pense notamment à la suppression de la publicité à la télévision qui avait surgi, pareillement, à la plus grande surprise de la ministre concernée sans que personne n’ait rien demandé et alors que, là encore, il y avait bien d’autres priorités à régler !
Nous sommes en train, comme nous le faisons trop souvent, de « sur-réagir » à un fait divers tout à fait dramatique, le meurtre d’une joggeuse, qui a eu la faveur des médias voilà quelques mois. Nous sommes en train d’appliquer un théorème beaucoup trop fréquent : un drame, une loi ! Cela ne me semble pas, monsieur le garde des sceaux, la meilleure manière de légiférer.
Cette réforme non seulement ne résoudra aucun des problèmes que connaît la justice, mais elle en aggravera un certain nombre. Elle complexifiera l’organisation de la justice puisque nous aurons, à côté des tribunaux correctionnels à juge unique et des tribunaux correctionnels avec trois magistrats, une nouvelle catégorie de tribunaux correctionnels composée de trois magistrats et deux citoyens.
J’en profite, à ce moment de mon propos, pour remercier la commission des lois et son rapporteur, qui, grâce à leur travail remarquable, ont évité la création de « cours d’assises light » à côté des cours d’assises, ce qui aurait encore complexifié l’organisation judiciaire et paradoxalement réduit le rôle des citoyens dans l’exercice de la justice.
Cette réforme accentuera l’encombrement de la justice, puisque l’on sait que la présence des assesseurs nécessitera un délibéré plus long et conduira donc à traiter moins de dossiers par audience, sans parler de la nécessité de les initier aux rudiments de la procédure et de leur permettre d’accéder aux dossiers.
Elle aura également un coût, selon vos estimations qui ne sont certainement pas surévaluées : 33 millions d’euros d’investissement et plus de 8 millions d’euros par an en fonctionnement. Était-ce utile, monsieur le garde des sceaux, quand on connaît les difficultés budgétaires de la justice ? Ces crédits n’auraient-ils pas pu être mieux utilisés ?
Compte tenu du temps qui m’est imparti, je laisserai à mes collègues du groupe de l’Union centriste, et notamment à M. Yves Détraigne, le soin d’évoquer le titre II de ce texte et la question de l’application des peines.
Vous le voyez, monsieur le garde des sceaux, il faudra toute votre pédagogie, toute votre force de conviction et de persuasion pour nous convaincre de l’utilité et de l’intérêt de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous commençons aujourd’hui l’examen du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
Comme cet intitulé l’indique, le texte comporte deux volets distincts : d’un côté, la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et, de l’autre, l’amélioration de la procédure de jugement des mineurs.
Sur le premier point, le projet de loi instaure la présence de citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels, les juridictions de l’application des peines et les cours d’assises, afin de permettre une participation des citoyens à la justice pénale qui soit à la fois mieux adaptée et plus importante.
Comme cela a été dit, cette mesure, initiée par le Président de la République, répond à une préoccupation que partagent nombre de nos concitoyens, celle d’une justice rendue « au nom du peuple français », « par le peuple français », et qui soit comprise de nos concitoyens.
Il apparaît en effet aujourd’hui nécessaire de renforcer le lien entre la population et l’institution judiciaire. La participation des citoyens à la prise de décisions, souvent difficiles, améliorera la connaissance d’une institution complexe et largement méconnue.
L’intervention des citoyens assesseurs viendra, de plus, nourrir l’esprit civique de chacun, dans la mesure où juger est un acte de citoyenneté et d’implication dans la vie de la cité.
Il s’agit donc bien, comme vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, d’encourager l’appropriation par les citoyens des décisions de justice au nom des « exigences de cohésion sociale et du respect du pacte républicain ».
Dans le texte que nous allons examiner, deux objectifs sont visés : d’une part, assurer la représentation des citoyens dans les tribunaux correctionnels et les juridictions de l’application des peines, et, d’autre part, simplifier l’organisation de la justice, en matière criminelle, par le recours à une formation allégée de la cour d’assises.
Ce double objectif s’appuie sur la création d’une nouvelle catégorie de représentants des citoyens à l’œuvre de justice, que vous avez appelée « le citoyen assesseur ».
Actuellement, les citoyens participent déjà à l’œuvre de justice en tant que juré ou échevin. Le premier est non pas volontaire mais tiré au sort, le second est candidat et fait valoir sa compétence particulière dans un domaine donné.
Le citoyen assesseur va prendre une place intermédiaire entre le juré des cours d’assises que nous connaissons et le juge de proximité. Son mode de désignation, tel qu’il est élaboré, résulte à la fois d’une combinaison entre tirage au sort et sélection, fondée sur des critères d’aptitude.
Le citoyen assesseur est donc différent du juré, tel que certains le laissent entendre. Le mode de désignation est en effet la clé de voûte de leur représentativité et de leur fonction. Il était nécessaire, comme l’a proposé M. le rapporteur, de simplifier le dispositif de leur sélection. Cet exercice était délicat, mais la solution trouvée, combinant le tirage au sort et une sélection sur la base de critères d’aptitude qui doit être la plus légère possible, est équilibrée afin d’atteindre l’objectif visé.
Le Gouvernement proposait un mécanisme un peu complexe quant à la définition des critères d’aptitude et à la mise en œuvre de la procédure. Comme l’a suggéré M. le rapporteur, la suppression des critères autres que ceux qui sont fixés actuellement par le code de procédure pénale satisfait aux besoins de la procédure, tout comme la substitution d’un recueil d’information au questionnaire.
Afin de tenir compte des évolutions de la société, nous ne sommes pas opposés à l’abaissement de la condition d’âge de vingt-trois à dix-huit ans, qui correspond à la majorité civique. Il convient, de plus, d’exiger des citoyens assesseurs qu’aucune condamnation pour crime ou délit – cela peut paraître une évidence – ne figure au bulletin n°1 de leur casier judiciaire.
La participation des citoyens assesseurs sera limitée à huit journées d’audience dans l’année. Ils ne pourront être désignés pour siéger dans une juridiction située hors de leur département qu’avec leur accord. Les fonctions de citoyen assesseur constituent un devoir civique. L’amende sanctionnant le fait de se soustraire à ses obligations, une fois tiré au sort ou désigné pour participer à une audience, sera fixée par le pouvoir réglementaire.
La présence des citoyens assesseurs est prévue à différentes étapes de la justice pénale. Ils seront appelés à participer au jugement de certains contentieux particuliers en matière délictuelle et criminelle ainsi que dans le domaine de l’application des peines.
Tout d’abord, deux citoyens assesseurs feront partie du tribunal correctionnel et, en appel, de la chambre correctionnelle de la cour d’appel, pour le jugement de certains délits. Ces deux juridictions seront ainsi composées de trois juges professionnels et de deux citoyens. Les magistrats resteront donc majoritaires, ce que certains d’entre vous ont critiqué, tandis que d’autres ont considéré que les deux citoyens assesseurs – jurés correctionnels en quelque sorte –, étaient superflus. Je crois que les deux positions sont totalement inconciliables. La solution qui consiste à en prévoir deux pourra peut-être évoluer dans l’avenir, mais je pense qu’un certain équilibre a été trouvé, qui me paraît constituer une bonne base de départ.
Les délits concernés sont tous les délits d’atteinte aux personnes, à leur intégrité physique ou morale, à leur identité ou à leur environnement, sous réserve, dans chacun de ces cas, que la peine encourue soit supérieure ou égale à cinq ans.
Il était en effet nécessaire, et, là encore, au moins dans un premier temps, d’élargir le périmètre des compétences du tribunal correctionnel « citoyen ».
Sont en outre exclues les infractions relevant des formations de juge unique, ainsi que les délits d’atteinte aux personnes relevant du trafic de stupéfiants et de la criminalité organisée. Ceux-ci relèvent en effet de juridictions spécialisées.
Le projet de loi prévoyait également la présence de citoyens assesseurs au sein de la cour d’assises. Comme vous le savez, la cour d’assises comporte, selon la législation actuelle, un jury populaire. Le but recherché et affiché de la réforme que vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux, est de répondre à deux difficultés majeures rencontrées : l’engorgement des cours d’assises et la correctionnalisation des affaires criminelles.
Pour ce faire, vous nous proposiez de supprimer, dans certaines circonstances, les jurés, opérant ainsi une distinction dans la composition de la cour d’assises en fonction de la catégorie de crimes traitée. Ainsi, pour le jugement des crimes punis de quinze ou de vingt ans de réclusion, hors le cas de récidive légale, le jury de la cour d’assises aurait été remplacé par deux citoyens assesseurs. En revanche, cette cour d’assises allégée n’aurait pas été compétente pour les crimes ressortissant à la cour d’assises composée uniquement de magistrats, à savoir les crimes terroristes ou le trafic de stupéfiants.
La disparition des jurés et la possibilité d’être jugé par des cours d’assises qui auraient des modalités de fonctionnement différentes ont suscité un débat important au sein de la commission des lois du Sénat. À cet égard, on peut se réjouir que le travail de la commission des lois, et notamment de son rapporteur, dont je salue le travail minutieux, équilibré et particulièrement pondéré, ait permis la rédaction d’un texte qui répond à nos préoccupations, sans remettre en cause les principes de base voulus par cette réforme.
Il nous semble en effet préférable de maintenir le jury d’assises tel que notre droit positif le prévoit actuellement. Afin d’éviter un bouleversement procédural en matière criminelle, et des problèmes de frontières entre les compétences de deux chambres de cour d’assises, la commission propose de simplifier la composition de l’actuelle cour d’assises, dont le jury serait composé de six jurés en première instance, contre neuf actuellement, et de neuf jurés en appel, contre douze à l’heure actuelle, sans remettre en cause la prépondérance des jurés, ni les règles de majorité qualifiée pour procéder à une condamnation. Le groupe UMP adhère pleinement à cette proposition.
En outre, et nous nous satisfaisons de ces dispositions, le texte modifie le régime de la cour d’assises en améliorant la procédure de jugement des crimes sur deux points : tout d’abord, il simplifie le déroulement des audiences d’assises, en remplaçant la lecture de la décision de mise en accusation par un rapport oral du président, ce qui, dans certains cas, paraît effectivement très utile ; ensuite, il prévoit la motivation des arrêts d’assises, afin de permettre aux personnes condamnées de connaître les principales raisons par lesquelles la cour d’assises a été convaincue de leur culpabilité.
La commission des lois est, pour sa part, favorable au caractère obligatoire de la motivation de toutes les décisions criminelles, y compris d’acquittement. Il paraît, en effet, peu opportun d’exiger une motivation uniquement en cas de condamnation. J’attire votre attention sur le fait que cela signifie qu’en cas d’acquittement une motivation fondée sur le doute apparaîtra clairement. Or ce n’est pas tout à fait la même chose d’être acquitté sans commentaires et d’être acquitté au bénéfice du doute. (M. le garde des sceaux opine.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Laurent Béteille. Enfin, le projet de loi prévoit la présence de deux citoyens assesseurs au tribunal d’application des peines, en plus des trois juges de l’application des peines, pour les libérations conditionnelles concernant des peines privatives de liberté supérieures ou égales à cinq ans, ou pour le relèvement de périodes de sûreté. Par cohérence, il est prévu que la chambre de l’application des peines de la cour d’appel comportera également deux citoyens assesseurs lorsqu’elle statuera sur les jugements du tribunal de l’application des peines.
La progressivité de la libération conditionnelle a également été renforcée pour les condamnés à de très lourdes peines, afin de pouvoir mieux détecter le risque de récidive avant l’octroi d’une telle mesure.
La présence des citoyens assesseurs permettra de lever le doute sur les décisions du juge de l’application des peines qui fait trop souvent office de bouc émissaire lorsqu’une libération tourne mal. Le peuple ayant pris, en l’espèce, sa part de responsabilité par l’intermédiaire des assesseurs tirés au sort, cela évitera ainsi la stigmatisation des magistrats.
La mise en œuvre de cette réforme devra s’accompagner du recrutement de magistrats et de greffiers supplémentaires. Il serait bienvenu, monsieur le garde des sceaux, que vous nous apportiez quelques éclaircissements sur ce sujet important pour le bon fonctionnement de notre système judiciaire.
Le second volet de ce projet de loi est relatif au jugement des mineurs. Confrontés à une constante augmentation de la délinquance des mineurs, les pouvoirs publics s’efforcent, depuis plusieurs années, d’adapter les outils juridiques dont dispose l’autorité judiciaire pour faire face à l’évolution de cette délinquance, dans le respect des principes fondamentaux en la matière que sont la primauté de l’éducatif sur le répressif, le degré de responsabilité pénale en fonction de l’âge et la spécificité de la procédure pénale applicable aux mineurs.
Sans attendre l’écriture annoncée d’un nouveau code de la justice pénale des mineurs, le texte procède à plusieurs modifications de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, afin de permettre un traitement plus rapide et plus lisible de la délinquance des mineurs. Nous sommes en effet trop souvent confrontés – tous les praticiens présents dans cet hémicycle l’ont déjà constaté – à un problème de lenteur de cette justice spécifique. Il faut actuellement plus de dix-huit mois pour juger un mineur au tribunal pour enfants. Or, vous le savez, la rapidité de la sanction est nécessaire pour permettre à un mineur délinquant de prendre la mesure de son acte. Lorsque la sanction intervient au bout de dix-huit mois, la peine perd tout caractère éducatif. En effet, l’infraction a alors été oubliée depuis fort longtemps par le coupable, quand il n’est pas commis depuis d’autres faits délictueux. De plus, ce délai est difficilement compréhensible pour la victime qui attend réparation de son préjudice.
Les dispositions figurant dans ce projet de loi tendent, d’abord, à renforcer l’efficacité de la chaîne pénale, ensuite à accroître l’éventail d’outils à la disposition des magistrats, ce qui leur permettra de mieux adapter la réponse pénale à la personnalité du mineur, et, enfin, à inciter les parents défaillants à s’impliquer davantage dans la procédure.
Les modifications apportées par le texte à l’ordonnance de 1945 ont donc pour objet l’amélioration de la prise en compte de la personnalité du mineur, le renforcement de la lutte contre la récidive des mineurs, l’adaptation de la réponse pénale à l’évolution de leur délinquance et le renforcement de la responsabilisation des parents.
S’agissant de l’amélioration de la prise en compte de la personnalité du mineur, le projet de loi prévoit la création d’un dossier unique de personnalité, devant regrouper l’ensemble des éléments relatifs à la personnalité d’un mineur recueillis soit à l’occasion d’une procédure pénale, soit lors d’une procédure d’assistance éducative. Ce dossier, régulièrement actualisé et ouvert à la consultation de l’ensemble des intervenants à la procédure, permettra la connaissance la plus complète de la personnalité du mineur. Il est cependant important de renforcer la confidentialité des informations contenues dans le dossier.
Concernant le renforcement de la lutte contre la récidive des mineurs, le projet de loi crée un tribunal correctionnel pour mineurs. Il est ainsi prévu que les mineurs âgés de plus de seize ans seront jugés par un tribunal correctionnel pour mineurs, lorsqu’ils sont poursuivis pour un ou plusieurs délits punis de trois ans d’emprisonnement, commis en état de récidive. Nous soutenons l’idée du rapporteur de faire présider cette juridiction par le juge des enfants. Le projet de loi a par ailleurs prévu que le service de la protection judiciaire de la jeunesse serait obligatoirement consulté avant toute décision du tribunal correctionnel, ce qui constitue une garantie importante.
En outre, ce projet de loi permettra au juge des enfants de placer plus facilement un mineur en centre éducatif fermé. Créés il y a neuf ans, ces centres, qui proposent à des mineurs difficiles un encadrement renforcé, ont des résultats intéressants en matière de réinsertion et de prévention de la récidive.
Quant à l’adaptation de la réponse pénale à l’évolution de la délinquance des mineurs, il est prévu que la procédure de convocation par l’OPJ, officier de police judiciaire, devant le tribunal pour enfants ne pourrait être mise en œuvre qu’à l’encontre de mineurs ayant fait l’objet, au cours de l’année passée, de mesures d’investigations approfondies.
Le texte initial prévoyait également que les mineurs placés sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire encourant une peine d’emprisonnement d’au moins un an, pourraient être assignés à résidence sous surveillance électronique. Nous pensons qu’il est nécessaire de modifier cette disposition en prévoyant qu’elle ne sera applicable qu’aux mineurs de seize à dix-huit ans qui encourent une peine d’emprisonnement au moins égale à deux ans.
Sur le renforcement de la responsabilisation des parents, le projet de loi introduit le principe de l’information, par tout moyen, des parents et représentants légaux du mineur poursuivi des décisions de l’autorité judiciaire le concernant. Les juridictions pour mineurs pourront délivrer, à l’encontre des parents défaillants, un ordre de comparaître qui permettra de les contraindre à assister à l’audience, dans l’intérêt de leur enfant. En outre, les représentants légaux du mineur, poursuivis comme civilement responsables, seront jugés par jugement contradictoire à signifier, lorsqu’ils seront non comparants et non excusés, bien qu’ayant été régulièrement cités à personne.
Enfin, pour conclure, je précise que ce projet de loi n’oublie pas la situation des victimes, puisqu’il prévoit l’information systématique de la victime de la date de jugement du mineur, afin de permettre à cette dernière de se constituer partie civile et d’obtenir réparation.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe UMP estime que ce projet de loi améliore la procédure de jugement des mineurs en renforçant, pour l’essentiel, l’inscription des dispositifs proposés dans le socle des principes qui fondent notre droit pénal des mineurs. Ce texte constitue également une profonde réorganisation de la justice pénale, en instaurant une participation plus importante des citoyens. Je peux d’ores et déjà vous l’annoncer, le groupe UMP votera ce texte, avec conviction et confiance. (Mme Christiane Longère et M. Michel Magras applaudissent.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Quelle surprise !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on ne compte plus les projets de loi relatifs au fonctionnement de la justice et au droit pénal depuis 2002. Pour tout dire, on souhaiterait que la frénésie législative à l’œuvre depuis cette date, qui a conduit à un empilement de textes, sans évaluation préalable et sans concertation, cesse enfin. Elle n’a en effet apporté aucune amélioration !
La justice française n’a sans doute jamais connu crise aussi profonde et persistante. (M. Roland Courteau opine.) Le service public de la justice est sous-doté en moyens et en personnel. En toute occasion, à la faveur de chaque fait divers, les principes d’indépendance et de sérénité sont transgressés par le pouvoir politique, qui ne cesse d’intervenir et de déprécier le travail des magistrats.
Ce malaise, d’une ampleur rarement atteinte, a entraîné, au tout début de l’année 2011, une mobilisation massive des professionnels de la justice. Pour toute réponse à cette crise, le Gouvernement propose ce projet de loi, qui combine remise en cause du travail des magistrats professionnels, boucs émissaires d’une politique en échec, et durcissement du droit pénal des mineurs.
Mon collègue Alain Anziani a parfaitement décrit les ressorts et les objectifs politiques de la défiance du pouvoir politique en place à l’égard des magistrats professionnels.
Pour ma part je concentrerai mon propos sur deux points : les modifications de l’ordonnance de 1945 puis le suivi de l’application des peines.
L’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est révisée tous les ans, ou presque. Ce texte a été soumis au fil du temps à des modifications incessantes, au point qu’il est devenu difficilement lisible. Le législateur aurait-il ainsi oublié que le droit, et peut-être plus encore le droit pénal, ne saurait être sans cesse remanié, et qu’il nécessite une certaine stabilité pour être compris par nos concitoyens ?
Le Gouvernement répète à toute occasion que les mineurs d’aujourd’hui ne sont plus ceux de 1945. Mais aurait-il oublié que l’ordonnance a été révisée chaque année depuis 2007 ? En quoi un mineur de 2011 différerait tant d’un mineur de 2007 ou de 2008 ? Sans doute est-il le même.
Comment pouvez-vous être à ce point infidèle à l’ordonnance de 1945 et aux engagements internationaux plus récents de la France ? La société que vous imaginez et que vous organisez, bien loin d’offrir sa protection à tous les enfants, semble ne songer qu’à se protéger elle-même de nos enfants, en priorité des moins favorisés d’entre eux, comme s’ils étaient des sujets dangereux, voire irrécupérables.
Cette vision destructrice pour toute notre société va complètement à rebours de notre histoire et du long chemin parcouru au sortir de la Résistance, qui avait contribué à révéler à nombre de nos concitoyens la misère de nos prisons, mais aussi l’héroïsme dont certains « enfants » mineurs avaient fait preuve.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Catherine Tasca. Monsieur le garde des sceaux, vous avez estimé tout à l’heure que ce texte s’apparentait à un projet de « reconstruction » du droit pénal des mineurs. Pour nous, il s’agirait plutôt d’une entreprise de démolition ! (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Écoutez attentivement, monsieur Mercier !
Mme Catherine Tasca. Lorsqu’il s’agit de juger des enfants, la première préoccupation est, tout en formulant la sanction, de préparer le retour au respect de la loi, à l’autorité juste, ainsi que l’adaptation future à la société. Pour ces enfants, un mois ou une année peuvent faire changer tant de choses…
Le Gouvernement tente aujourd’hui, par ce projet de loi, de réintroduire les dispositions de la loi dite « LOPPSI 2 » censurées par le Conseil constitutionnel. L’habillage est quelque peu différent, mais la nature des dispositions et l’objectif du Gouvernement sont identiques : il s’agit bien d’aligner le droit pénal des mineurs sur celui des majeurs. (M. le garde des sceaux marque son désaccord.)
Aux termes des articles 13 et 17 du projet de loi, les mineurs de treize ans, pour les délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement, et les mineurs de seize ans, pour les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, peuvent être poursuivis par le procureur de la République devant le tribunal pour enfants en comparution immédiate. La grande majorité des délits commis par un mineur étant punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement, vous faites dès lors de la comparution immédiate la règle pour les mineurs.
Or, si le prononcé d’une réponse pénale dans des délais raisonnables est nécessaire, l’immédiateté, en revanche, se révèle négative et contraire aux objectifs de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation édictés par l’article 2 de l’ordonnance de 1945.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Catherine Tasca. La comparution immédiate réduit à sa portion congrue la phase présentencielle, qui fait la spécificité du droit pénal des mineurs et constitue le cœur de la mission du juge des enfants. Cette étape qui précède la sanction est, de l’avis des professionnels, essentielle au travail de réflexion du jeune sur son rapport à la loi et à l’autorité. Aussi, monsieur le ministre, de quels éléments, de quelles études disposez-vous pour considérer que cette phase présentencielle n’est pas utile à la lutte contre la délinquance et doit être supprimée ?
Vous faites le choix de la dépossession du juge des enfants au profit du parquet, et donc d’un réel déséquilibre au détriment des mineurs jugés.
J’en arrive au chapitre IV du titre Ier du projet de loi, relatif à l’application des peines. Faut-il que le Gouvernement méconnaisse à ce point le fonctionnement de l’institution judiciaire, ses exigences, ses difficultés pour choisir ainsi d’étendre la présence des citoyens assesseurs jusqu’au domaine de l’application des peines ?
Ainsi, aux termes de l’article 9 du projet de loi, le tribunal de l’application des peines comprendra, outre le président et deux juges assesseurs, deux citoyens assesseurs qui participeront aux décisions pour les libérations conditionnelles des personnes condamnées à des peines privatives de liberté supérieures ou égales à cinq ans et pour le relèvement des périodes de sûreté. La chambre de l’application des peines comptera également deux citoyens assesseurs lorsqu’elle statuera en appel.
On comprend bien la logique populiste qui guide ce choix : il s’agit de laisser croire aux Français que la présence de simples citoyens auprès de magistrats professionnels constituera un frein aux libérations conditionnelles et au relèvement des périodes de sûreté.
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. René-Pierre Signé. En dépit des dénégations de M. le ministre…
Mme Catherine Tasca. On comprend moins la logique judiciaire, en revanche. Si le législateur a introduit dans le code de procédure pénale les mesures d’aménagement de peines, le relèvement de la période de sûreté et la libération conditionnelle, c’est qu’il en connaît les bénéfices pour la bonne réinsertion du condamné et la lutte contre la récidive.
L’objectif du Gouvernement est de rendre moins fréquent le recours aux dispositifs qui permettent une sortie préparée du condamné. Mais de deux choses l’une, monsieur le ministre : soit vous pensez que ces dispositifs de sortie préparée sont inefficaces et, dans ce cas, il faut aller jusqu’au bout et les supprimer, soit vous les jugez utiles pour préparer la réinsertion du condamné et lutter contre la récidive, ce que je pense, et, dans ce cas, je comprends mal la raison d’être de ce projet de loi, qui vise l’objectif contraire.
L’application effective des peines, l’insertion et la lutte contre la récidive sont des enjeux majeurs pour notre société. En quoi l’association de non-professionnels permet-elle de répondre à ces enjeux ? L’application des peines, c’est un suivi de long terme du condamné, qui appelle des compétences techniques, juridiques, médicales et psychiatriques, ainsi qu’une connaissance du milieu pénitentiaire.
Actuellement, ces exigences sont remplies par la présence de deux membres de la société civile : un représentant d’une association d’aide aux victimes et un responsable d’une association de réinsertion des condamnés.
Je lis dans l’étude d’impact que l’impartialité de ces assesseurs serait contestable, notamment quand l’association de réinsertion représentée à l’audience est précisément celle avec laquelle le projet de sortie est envisagé. La critique me paraît légère et, au-delà de l’affirmation, rien n’indique que cette partialité vienne contredire l’objectif d’une réinsertion réussie. Qui plus est, je ne vois pas de griefs qui puissent être retenus à l’encontre des associations de victimes, que vous prétendez défendre alors que vous les évincer.
À la lecture de ce projet de loi, on s’interroge vraiment sur la cohérence des nouveaux dispositifs imaginés.
Quelle cohérence entre l’arrivée de « jurés populaires » en correctionnelle et leur disparition de la cour d’assises dite simplifiée, laquelle a heureusement été supprimée par la commission des lois ? Quelle cohérence entre des procédures qui, inéluctablement, alourdiront, ralentiront et renchériront le cours de la justice, alors que l’attente des citoyens est inverse ? Quelle cohérence, enfin, entre les nouveaux coûts à assumer et votre incapacité chronique à dégager les moyens budgétaires et humains susceptibles d’améliorer le fonctionnement des tribunaux et du système pénitentiaire ?
Et pourtant, il y a bien une cohérence, celle qui est dictée par la stratégie politicienne et électoraliste du Président de la République et de son gouvernement : diviser, dresser les Français les uns contre les autres, critiquer sans cesse et insinuer le doute sur la légitimité des « professionnels », au premier rang desquels figurent les magistrats, mais aussi les enseignants, les médecins et tant d’autres.
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Catherine Tasca. Le Président de la République remet volontiers en cause les « corporatismes », mais il est d’une grande mansuétude envers un corporatisme, celui des patrons et des financiers, si bien organisé et si proche de lui.
Pour ce qui est du texte qui nous occupe aujourd’hui, votre cible, ce sont bien évidemment les magistrats et, à leurs côtés, les experts, les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse et les associations investies dans ce domaine.
Vous offrez au grand public et à l’opinion, dont vous savez exploiter les interrogations, une solution qui n’est qu’un leurre, celle des jurés populaires, et une régression dramatique en ce qui concerne la justice des mineurs. C’est pourquoi, aux côtés des professionnels du droit, nous combattons ce projet de loi. Bien évidemment, nous voterons contre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le garde des sceaux, alors que je vous interrogeais, en commission des lois, sur l’urgence qu’il y avait à examiner un tel texte, vous m’aviez répondu avec tellement conviction que j’avais presque fini par être convaincu… (Sourires.)
Je ne m’attarderai toutefois pas sur ce point, monsieur le président, mes chers collègues, mon intervention portant principalement sur les dispositions du projet de loi tendant à modifier l’ordonnance de 1945.
Alors que l’attention médiatique et la communication du Gouvernement se sont concentrées sur la création de « citoyens assesseurs », appelés à participer au jugement d’affaires pénales dans des conditions qui paraissent, à ce stade, relativement incertaines, il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, que les deux tiers des articles de ce projet de loi visent à apporter des modifications substantielles à l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Pour reprendre les interrogations de Mme Tasca, quelle cohérence existe-t-il entre ces deux sujets, qui auraient mérité deux projets de loi séparés ?
Quelle est la cohérence de l’action du Gouvernement, qui avait pourtant préparé, il y a quelques mois à peine, un avant-projet de loi réformant l’ensemble du droit pénal des mineurs ?
Quelle est enfin la cohérence de cette vingtaine de dispositions éparses, qui modifient tout à la fois les procédures de poursuites, créent deux nouvelles juridictions chargées de juger les récidivistes et risquent de restreindre la qualité des prises en charge offertes par la protection judiciaire de la jeunesse ?
Trois dispositions ont notamment retenu notre attention.
Le dossier unique de personnalité, tout d’abord : il s’agit d’une bonne mesure, monsieur le ministre, qui favorisera la connaissance de la personnalité du mineur et contribuera à améliorer sa prise en charge par l’institution judiciaire.
Pourront être versées à ce dossier les investigations réalisées au pénal, tout comme celles qui auront été réalisées en assistance éducative : le Gouvernement reconnaît donc que certains mineurs délinquants sont également des mineurs en danger. D’après les informations qui nous avaient été communiquées l’année dernière, 15 % des mineurs délinquants ont précédemment été pris en charge au titre de la protection de l’enfance.
Or, depuis le début de cette année – vous le savez bien, monsieur le ministre, en votre qualité de président d’une grande collectivité territoriale –, l’État s’est totalement désengagé de la prise en charge des mineurs en danger, laquelle relève désormais des seuls conseils généraux.
Cela entraîne, pour ces mineurs qui relèvent à la fois du pénal et du civil, des ruptures de suivi et de prise en charge, la coordination entre les services de la PJJ et ceux de l’aide sociale à l’enfance étant souvent peu satisfaisante. Ces ruptures ont des effets particulièrement néfastes pour ces mineurs et ne sont pas de nature à favoriser leur réinsertion. Alors qu’il s’agit, à nos yeux, d’un élément central de la prévention de la récidive, le projet de loi est muet sur ce point.
J’en viens ensuite aux dispositions du projet de loi facilitant le placement en centre éducatif fermé, ou CEF, des mineurs délinquants.
J’ai visité plusieurs de ces centres. Certains d’entre eux offrent effectivement des modalités intéressantes de prise en charge et de réinsertion des mineurs les plus ancrés dans la délinquance. Néanmoins, à ma connaissance, aucune étude n’a encore permis de mesurer l’incidence des placements en CEF sur la réinsertion des mineurs.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue, a d’ailleurs dressé un tableau plutôt nuancé et mitigé des projets menés en CEF.
Aussi peut-on être étonné et relativement surpris de découvrir les informations contenues dans l’étude d’impact, qui vante sans détours les mérites de ces structures en termes de prévention de la récidive.
Peut-être, monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser les conditions dans lesquelles ces évaluations ont été réalisées, en particulier le nombre de mineurs interrogés et de centres concernés.
Par ailleurs, je rappelle que le placement en CEF est la modalité de prise en charge la plus chère financée par la protection judiciaire de la jeunesse : approximativement 600 euros – le rapporteur ne me contredira pas – par jour et par mineur en moyenne.
L’étude d’impact prévoit de transformer vingt établissements de placement éducatifs en CEF dans les prochaines années afin de réaliser les objectifs posés par le projet de loi.
Mais le budget de la PJJ diminue chaque année depuis trois ans, alors même que le nombre de mineurs pris en charge au pénal ne cesse d’augmenter.
Il y aura donc une conséquence inévitable : la systématisation du placement en CEF aura mécaniquement pour effet de diminuer les crédits disponibles pour financer les autres prises en charge, comme les réparations pénales ou les placements dans des foyers classiques.
Or tous les mineurs n’ont pas vocation à être accueillis en CEF, qui doit être – rappelons-le – la « dernière chance » avant l’incarcération.
Dès lors, je ne peux, monsieur le ministre, que manifester mon inquiétude sur les conséquences budgétaires de ces dispositions et les effets de la mise en œuvre de ce projet de loi sur la qualité des prises en charge.
Là encore, il me semble que le Gouvernement va à rebours de l’objectif affiché d’une meilleure prévention de la délinquance des mineurs.
Je terminerai en évoquant la création du tribunal correctionnel pour mineurs.
Avec les dispositions sur les citoyens assesseurs, on nous propose la création non pas d’une mais de deux nouvelles juridictions afin de juger les mineurs délinquants récidivistes.
Ces nouvelles juridictions auront pour principale caractéristique d’évincer les assesseurs près les tribunaux pour enfants, choisis en raison de leurs compétences, au profit de magistrats professionnels et de citoyens assesseurs, moins au fait des questions relatives aux mineurs. En quoi cela contribuera-t-il à la qualité de la justice rendue ? La question mérite d’être posée.
Désormais, un mineur qui commettra un délit pourra être jugé soit par le juge des enfants statuant en audience de cabinet, soit par le tribunal pour enfants s’il n’est pas en état de récidive, soit par le tribunal correctionnel pour mineurs s’il est en état de récidive légale et qu’il est âgé de plus de seize ans, soit enfin par un tribunal correctionnel complété de deux citoyens assesseurs si le délit entre dans le champ du nouvel article 399-2 du code de procédure pénale.
Gageons que ces nouvelles dispositions, monsieur le ministre, ne contribueront pas à améliorer la lisibilité de la justice des mineurs et la compréhension de la sanction par les délinquants.
En conclusion, je vous rappellerai ce qu’écrivait il y a neuf ans – ce propos a déjà été rappelé par le rapporteur, mais il me plaît de le répéter – la commission d’enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs : « La justice des mineurs en France n’est pas particulièrement laxiste. Elle est erratique ».
Je crains que le présent projet de loi, monsieur le ministre, ne contribue à aggraver encore cette situation. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
8
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil Constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le mardi 17 mai 2011 d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante sénateurs et plus de soixante députés de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants ; nous les reprendrons à dix-sept heures, pour les questions cribles thématiques sur l’apprentissage.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Questions cribles thématiques
l’apprentissage dans le cadre des douzièmes journées de l’apprentissage
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’apprentissage.
Cette séance a été précédée d’une réunion de travail organisée salle Clemenceau sous la coprésidence de Mme la présidente de la commission des affaires sociales et de M. le président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, dans le cadre des Douzièmes journées de l’apprentissage, avec la participation de plusieurs de nos collègues et d’un certain nombre d’apprentis, dont je salue la présence dans nos tribunes.
L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddéï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été disposés à la vue de tous.
La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec un taux de chômage qui culmine désormais à 25 %, la France fait partie des plus mauvais élèves de l’Union européenne en matière d’emploi des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans. Pour lutter contre ce fléau, le Président de la République a proposé un vaste plan de relance en faveur de l’apprentissage. Il faut s’en réjouir.
L’apprentissage est un atout dans la lutte contre le chômage des jeunes. Facteur incontournable du développement local, il répond à la fois au besoin de qualification et d’insertion professionnelle des jeunes et à la demande des entreprises qui souhaitent recruter des salariés qualifiés.
La mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, à laquelle j’ai participé, a d’ailleurs souligné l’importance de l’apprentissage, encore mal considéré en France. L’objectif des 500 000 apprentis fixé pour la fin de l’année 2009 n’est toujours pas atteint.
Madame la ministre, vous envisagez de porter le nombre d’apprentis à 390 000 en 2011, 800 000 en 2015 et, à terme, à 1 million. Mais les mesures que vous envisagez seront-elles suffisantes ?
Si nous voulons atteindre le niveau de l’Allemagne, où 60 % des entreprises ont recours à l’apprentissage, il est important de mettre en place une véritable réforme. Et cela nécessite de redoubler d’efforts pour aider principalement les 160 000 jeunes qui sortent de l’école sans diplôme et pour lesquels l’accès à l’emploi est particulièrement difficile.
Ne pourrait-on pas optimiser les contrats uniques d’insertion du secteur marchand en y introduisant un volet qui conduise le jeune à entrer en apprentissage ou à s’inscrire à une formation en alternance, comme le préconise le Centre d’analyse stratégique ?
Par ailleurs, l’illettrisme représente un des soucis majeurs du monde de l’apprentissage et les centres de formation y sont confrontés. Or la part de la taxe d’apprentissage destinée à financer les centres de formation d’apprentis, les CFA, devrait plafonner à 30 % ! Peut-on envisager la possibilité de la déplafonner ?
Madame la ministre, quelles réponses pouvez-vous apporter à mes deux propositions et quelles dispositions comptez-vous mettre en œuvre pour atteindre les objectifs annoncés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Monsieur le sénateur, il convient d’abord de rappeler que le taux de demandeurs d’emploi chez les jeunes a reculé en un an de près de 7 %. Nous devons continuer à faire baisser le chômage des jeunes.
Notre feuille de route est très claire : développer fortement l’alternance et parvenir à 800 000 alternants d’ici à 2015.
Le contrat unique d’insertion, que vous évoquez, est avant tout destiné à accompagner les publics les plus éloignés de l’emploi : chômeurs de longue durée, seniors, personnes handicapées. Rien n’empêche les jeunes d’y accéder et de bénéficier ainsi des formations prévues dans ce cadre.
En outre, le Gouvernement encourage les missions locales à orienter vers l’alternance les 160 000 « décrocheurs » dont vous avez parlé en formalisant les partenariats avec les chambres consulaires, les branches professionnelles et les entreprises.
L’objectif est de permettre à 50 000 jeunes d’intégrer l’emploi via un contrat d’apprentissage ou un contrat de professionnalisation.
Je tiens à vous rassurer sur le financement des CFA. À ce jour, on leur reverse 52 % de la taxe d’apprentissage, et un décret doit faire passer ce taux à 59 % d’ici à 2015 par un mécanisme qui préservera la part du hors-quota à sa valeur de 2011.
C’est bien la preuve que le Gouvernement est entièrement déterminé à doter les CFA de tous les moyens nécessaires afin de développer l’alternance.
En outre, j’ai engagé le tour des France des régions pour l’apprentissage. Comme vous le savez, nous sommes en train de négocier la deuxième génération des contrats d’objectifs et de moyens. L’État va y consacrer 1,7 milliard d’euros.
Il s’agit donc d’un objectif national partagé pour lequel État, régions, entreprises, chambres consulaires et organismes paritaires collecteurs doivent être mobilisés afin de développer la politique de l’alternance.
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall, pour la réplique.
M. Raymond Vall. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse et de vos engagements.
Je voudrais simplement insister sur le fait que les CFA doivent également faire face à une évolution technologique et qu’ils ne sont pas suffisamment aidés à cet égard. Par ailleurs, il faut faire des efforts pour améliorer l’image de l’apprentissage.
C’est un sujet que j’ai plaisir à évoquer. Après tout, je suis moi-même issu de l’apprentissage et, pourtant, je suis devenu sénateur.
M. René-Pierre Signé. C’est exemplaire !
M. le président. Le « pourtant » était de trop, mon cher collègue ! (Sourires.)
La parole est à M. Jean-Claude Carle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République, a réaffirmé sa volonté de développer la formation en alternance, fixant même comme objectif 600 000 apprentis d’ici à 2015.
Force est de le constater, cette volonté du Président, qui est largement partagée, a des difficultés à se concrétiser.
M. René-Pierre Signé. Et c’est lui qui le dit !
M. Jean-Claude Carle. En 2009, la mise en place de la réforme pleinement justifiée du baccalauréat professionnel a au contraire provoqué une baisse structurelle des contrats d’apprentissage de niveau V : 26 000 apprentis de moins qu’en 2008, soit une baisse de 16 %.
Plusieurs raisons expliquent une telle situation. Pour ma part, j’en retiendrai deux. D’une part, le jeune et sa famille hésitent à s’orienter vers des métiers qu’ils connaissent mal. D’autre part, les employeurs hésitent, eux, à signer un contrat sur trois ans.
Il est donc urgent d’engager des actions pour lever de telles réticences. Une mesure permet de le faire. Elle est déjà inscrite dans la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, sur l’initiative du Sénat. Le dispositif d’initiation aux métiers de l’alternance, le DIMA, prévoit que les CFA peuvent accueillir pour un an, et sous statut scolaire, les jeunes âgés de quinze ans pour leur faire découvrir l’apprentissage en approchant plusieurs métiers d’une même filière.
Cela permet aux jeunes de mûrir leur choix, aux employeurs de tester leur motivation, et ainsi de faire baisser le taux de rupture des contrats, qui peut atteindre 20 %.
Cette avancée du législateur a été, comme c’est souvent le cas, réduite par des contraintes réglementaires à un dispositif marginal sous tutelle de l’éducation nationale.
Il est donc indispensable de réformer et d’étendre le DIMA, afin de donner aux CFA la même souplesse de gestion des cursus qu’aux lycées professionnels.
Ainsi, à la sortie de la troisième, le jeune pourra suivre une année en DIMA, qui sera validée académiquement. Il poursuivra son apprentissage soit par une année en CAP, soit par deux années en baccalauréat professionnel. C’est le système dit du « un plus un » ou du « un plus deux ».
Madame la ministre, souhaitez-vous voir ce mécanisme du « un plus un » ou du « un plus deux » mis en place dans le cadre du texte qui viendra en débat au Parlement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre. Permettez-moi, avant de répondre à la question posée, de revenir un instant à l’adverbe « pourtant » dont vous avez vous-même relevé, monsieur le président, qu’il était bien inutile dans le propos de M. Vall. Nous sommes tous ravis que vous soyez sénateur, monsieur Vall. Oui, on peut être issu de l’apprentissage et devenir ingénieur, chef d’entreprise, sénateur ou même ministre : c’est le cas, par exemple, de M. Novelli !
Monsieur Carle, la réforme du baccalauréat professionnel en trois ans a été conçue de manière à augmenter le taux d’accès au baccalauréat professionnel pour les jeunes qui s’engagent dans la voie professionnelle et, par conséquent, à élever le niveau global de formation de l’ensemble de nos jeunes et donc de nos concitoyens.
Dans le régime antérieur, ces élèves étaient dirigés majoritairement soit vers le certificat d’aptitude professionnelle, ou CAP, soit vers le brevet d’études professionnelles, ou BEP. Le BEP était principalement la voie d’accès au baccalauréat professionnel en deux ans ; seulement 27 % des jeunes obtenaient le baccalauréat professionnel.
L’objectif de la rénovation de la voie professionnelle est d’amener le plus grand nombre de jeunes au niveau IV tout en sécurisant le parcours pour les diplômes intermédiaires.
D’après les échos que nous en avons, les effets d’une telle réforme sur l’apprentissage varient selon les régions et les acteurs. Il est vrai que certaines entreprises semblent parfois hésiter à recruter sur des contrats d’apprentissage menant au baccalauréat professionnel des élèves plus jeunes qu’auparavant et pour une durée de trois ans au lieu de deux.
Face à de telles données, nous devons réfléchir à la manière de mobiliser nos jeunes vers l’alternance.
Je le dis très clairement, la proposition que vous formulez doit être analysée dans ce cadre. La possibilité d’une première année de préparation d’un baccalauréat professionnel sous statut scolaire peut tout à fait être envisagée sans avoir besoin de modifier le DIMA, qui est conçu comme une année de découverte des métiers préparatoire à l’apprentissage.
Il s’agit tout à la fois de développer l’apprentissage et d’élever le niveau des diplômes obtenus par les jeunes engagés dans les formations professionnelles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, pour la réplique.
M. Jean-Claude Carle. Madame la ministre, je ne reviendrai pas sur le bien-fondé de la réforme du baccalauréat professionnel – je me suis déjà exprimé sur le sujet – et sur l’élévation du niveau de diplômes des jeunes. C’est une bonne réforme.
Cependant, force est de le constater, le taux d’insertion professionnelle varie de parfois plus de dix points selon que le même diplôme est préparé par la voie scolaire ou par la voie de l’apprentissage.
Ma proposition vise à réduire les réticences qui sont aujourd'hui celles du jeune et de l’entreprise. Et le DIMA va dans ce sens.
C’est pourquoi, madame la ministre, le Sénat apportera sa valeur ajoutée au texte dont il sera saisi sur le sujet dans quelques semaines. Car, j’en suis intimement convaincu, un apprenti en marche fait autant avancer la France qu’un philosophe assis ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.- Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, course aux diplômes, chômage, précarité, la jeunesse est souvent devenue synonyme de galères à répétition.
Avec la crise, près de 25 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans se trouvent au chômage ! Les missions locales peuvent en témoigner.
Dans ce contexte, une formation professionnelle adaptée est plus que jamais un atout pour pouvoir accéder à l’emploi.
D’ailleurs, une étude récente de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, confirme que près des deux tiers des jeunes sortis d’un contrat d’apprentissage avaient un emploi à l’issue de leur formation. Ils étaient même 86 % au bout de trois ans.
L’apprentissage est donc bien une voie efficace et d’avenir. C’est un précieux sésame pour les jeunes, une fois réglée la difficulté que constitue la recherche d’un maître d’apprentissage.
Or c’est là que les choses se compliquent ! Certains jeunes ne parviennent pas à trouver de maître d’apprentissage ou, du moins, rencontrent des obstacles pour y parvenir.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, la récente réforme du bac professionnel, qui passe de deux à trois ans, a suscité des doutes, sinon des interrogations parmi les artisans.
La difficulté à trouver un maître d’apprentissage s’explique aussi par la crise économique. C’est notamment vrai dans le secteur du bâtiment, où les difficultés de trésorerie encouragent les hésitations des artisans à embaucher des apprentis.
Dans ce contexte, votre gouvernement n’a mis l’accent que sur le développement quantitatif de l’apprentissage.
En effet, l’État a fixé de façon unilatérale aux régions un objectif d’accroissement de près de 50 % des jeunes en apprentissage à l’horizon 2015, soit 600 000 apprentis, contre 420 000 actuellement.
Or, comme vous l’a récemment indiqué mon collègue François Patriat lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, l’apprentissage « ne se décrète pas ». Il « dépend des entreprises, des jeunes et des places disponibles dans les CFA ».
Pour leur part, les régions œuvrent pour renforcer l’attractivité de cette voie de formation en mettant l’accent sur la qualité des formations et des conditions matérielles. Elles ont également contribué à rénover les CFA et à développer des partenariats efficaces.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Ronan Kerdraon. Elles sont prêtes à assumer le pilotage d’un service public. Une réflexion sur la gestion de la taxe d’apprentissage mériterait d’être envisagée.
Je conclurai en citant Elie Wiesel : « Lorsque je rentrais de l’école, ma mère ne me demandait jamais : “As-tu bien répondu ?”, mais “As-tu posé la bonne question ?” »
Madame la ministre, posons-nous ensemble les bonnes questions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre. Monsieur le sénateur, la bonne question est d’abord de savoir si vous souhaitez relever ce défi. Vous avez l’air de reprocher au Gouvernement de vouloir prendre un pari trop ambitieux sur le nombre d’apprentis en France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Guillaume. C’est l’inverse !
Mme Nadine Morano, ministre. Voulez-vous que l’apprentissage soit un objectif national partagé ? Voulez-vous mener à nos côtés cette révolution culturelle ? Grâce à l’alternance, grâce au développement de l’apprentissage, et en conjuguant nos efforts, nous pouvons obtenir les mêmes résultats que l’Allemagne, pays qui a développé depuis des décennies la formation duale.
Je vous l’ai dit, l’État engagera au cours des quatre prochaines années 1,7 milliard d’euros en faveur des nouvelles générations de contrats d’objectifs et de moyens. Et nous allons plus loin, monsieur le sénateur, car nous devons moderniser l’outil de formation.
M. Guy Fischer. Toujours plus haut, toujours plus fort…
Mme Nadine Morano, ministre. Nous devons moderniser les CFA, les rendre innovants et efficaces afin que la formation qu’ils dispensent corresponde aux attentes des entreprises. Grâce au grand emprunt, l’État consacrera 500 millions d’euros à ce défi. Sur cette somme, 250 millions d’euros seront réservés à la création de 15 000 places d’hébergement. Pour que les jeunes se tournent vers l’alternance, nous avons aussi besoin qu’ils puissent se loger. L’absence de logement est quelquefois un frein majeur pour le choix de la formation en alternance.
Vous m’avez parlé des maîtres d’apprentissage. Vous n’ignorez pas que nous avons la volonté d’élargir leur vivier en prévoyant qu’ils n’aient plus à justifier que de trois années d’expérience professionnelle, contre cinq actuellement, à charge pour les branches de relever le seuil si elles le souhaitent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour la réplique.
M. Ronan Kerdraon. Madame la ministre, je ne relèverai pas vos propos caricaturaux sur la question que je vous ai posée.
L’État, effectivement, a fixé un certain nombre d’objectifs aux régions, mais sans tenir compte de la situation existante ni de la démographie des seize à vingt-cinq ans dans chaque région. Il ne s’est certainement pas soucié non plus des particularités régionales.
Les aménagements réglementaires que vous proposez ne correspondent pas aux ambitions affichées. Je rappelle que, depuis plus de dix ans, une loi chaque année en moyenne concerne l’apprentissage. Or les décrets d’application n’ont pas tous été publiés et les textes se révèlent peu efficaces. Par ailleurs, des modifications à répétition ont engendré de la confusion sur les responsabilités respectives de chacun des acteurs.
Au-delà des effets d’annonce, madame la ministre, il vaudrait mieux travailler de manière plus approfondie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. Guy Fischer applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Alors que le chômage touche un quart des jeunes de moins de vingt-cinq ans, que les recours aux emplois précaires, aux CDD et au temps partiel, se multiplient,…
M. Guy Fischer. C’est la vérité !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. … le Gouvernement, à grand renfort de communication, mise sur l’apprentissage, censé constituer le remède miracle face aux difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail ainsi qu’à l’orientation d’élèves mis au ban du système scolaire. Le Gouvernement annonce l’objectif de 800 000 apprentis en 2015 et de 1 million à terme, alors qu’il était de 425 000 apprentis en 2009.
Pour ce faire, loin, très loin, de revaloriser la rémunération des apprentis, le Gouvernement préfère centrer ses mesures d’incitation sur les entreprises. Ainsi, est mise en place une exonération de charges d’un an…
M. Guy Fischer. Une de plus !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. … pour toute nouvelle embauche en alternance dans les entreprises de moins de 250 salariés. Pour les entreprises de plus de 250 salariés, un système de malus est prévu si elles n’atteignent pas le nouveau quota d’apprentis, qui est passé de 3 % à 4 %. Un système de bonus de 400 euros par contrat et par an est également prévu pour celles qui franchiront le seuil des 4 % !
M. Guy Fischer. C’est comme pour l’emploi des personnes handicapées !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Enfin, si en effet un « vivier » de maîtres d’apprentissage est constitué, c’est au prix d’un abaissement des critères à satisfaire pour pouvoir exercer cette fonction, puisque vous faites passer de cinq à trois ans le nombre d’années d’expérience requises.
Si l’apprentissage, avec une rémunération comprise entre 25 % et 78 % du SMIC, réserve la portion congrue aux jeunes, que l’on se rassure, il profitera bien aux entreprises...
Le Gouvernement met en avant l’apprentissage de manière dogmatique,…
M. Guy Fischer. Idéologique !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. … sans s’interroger réellement sur ses effets pour ceux qui doivent en être les premiers bénéficiaires, à savoir les jeunes.
Madame la ministre, sur quels éléments concrets vous appuyez-vous pour étayer l’utilité de l’apprentissage pour les jeunes ? Plus précisément, quel est le taux de rupture des contrats d’apprentissage ? Combien de jeunes sortent effectivement diplômés de ces formations ? Enfin, quel est le taux d’insertion professionnelle post-apprentissage ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre. Madame la sénatrice, il n’y a pas de remède miracle ; il n’y a que des leviers puissants. Or personne dans cette assemblée ne peut contester que la formation en alternance soit l’un de ces leviers puissants qui permettent aux jeunes d’entrer sur le marché de l’emploi et dans l’entreprise.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
Mme Nadine Morano, ministre. Ma réponse intéressera également votre collègue Ronan Kerdraon, qui m’a interrogée à l’instant. Vous voulez des actes concrets ? Deux décrets d’application ont été publiés au Journal officiel ce matin : le décret relatif à l’aide à l’embauche d’un jeune sous contrat d’apprentissage ou de professionnalisation supplémentaire dans les petites et moyennes entreprises, qui prévoit zéro charge pour les apprentis de moins de vingt-six ans dans les entreprises de moins de 250 salariés, décret rétroactif au 1er mars 2011, et le décret relatif à l’aide à l’embauche des demandeurs d’emploi de quarante-cinq ans et plus en contrat de professionnalisation, aide qui s’élève à 2 000 euros.
S’agissant de l’apprentissage et de l’alternance, j’entends beaucoup dire lors de mes déplacements dans les CFA que ce n’est pas la rémunération qui compte pour les jeunes. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Ah bon ? Nous n’entendons pas la même chose !
Mme Nadine Morano, ministre. Ce qui est important pour eux, c’est de pouvoir entrer dans le monde de l’entreprise.
Vous l’avez de nouveau souligné, en ce qui concerne les maîtres d’apprentissage, nous avons décidé, après consultation des partenaires sociaux, de l’ensemble des acteurs et des branches professionnelles, de baisser le niveau d’expérience professionnelle requis dans certains secteurs, où une pratique de cinq ans ne se justifie pas. À charge pour les branches professionnelles concernées, si elles l’estiment nécessaire, de relever ce seuil.
Telle est la politique du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour la réplique.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je vous apporterai quelques éléments d’information chiffrés : plus d’un tiers des apprentis ne trouvent pas d’emploi à l’issue de leur formation ; les ruptures de contrat concernent environ un quart des apprentis chaque année et atteignent dans certains secteurs, comme l’hôtellerie et la restauration, 37 % ; le taux de réussite aux examens professionnels des apprentis est inférieur à celui des élèves ayant suivi la voie scolaire, respectivement de 5 points en CAP et de 6,5 points en BTS.
Par ailleurs, madame la ministre, l’une de mes préoccupations, en tant que rapporteure pour avis sur les crédits consacrés à l'enseignement professionnel, reste le financement annoncé. Depuis 2005, le financement de l’apprentissage s’est fait au détriment de l’enseignement professionnel, par transferts de fonds de l’un vers l’autre.
Or votre réforme de la taxe d’apprentissage renforcera encore ce déséquilibre en plafonnant la part de la taxe professionnelle affectée aux formations professionnelles initiales à 960 millions d’euros, le surplus étant alors reversé pour le financement des contrats d’apprentissage par fléchage des entreprises à la formation de leur choix, et ce alors même qu’il captait déjà 52 % du produit de la taxe ! Vous l’avez souligné, cette part va encore augmenter.
Selon nous, l’apprentissage est loin de pouvoir être érigé en modèle unique et absolu, surtout quand son développement irraisonné étrangle dans le même temps les lycées d’enseignement professionnel, qui ont tant besoin de participer à la valorisation de la voie professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la formation en alternance est malheureusement bien trop souvent victime de préjugés, certains la reléguant au second rang des formations. Or, nous le savons, elle est, bien au contraire, un véritable levier qui, par son efficacité, permet d’insérer rapidement et durablement les jeunes dans le monde du travail. C’est pourquoi il est impératif de travailler son image afin qu’elle soit perçue à sa juste valeur : la formation en alternance est une formation d’excellence.
Si, en termes de débouchés, nous pouvons nous féliciter que plus de huit jeunes sur dix trouvent un emploi à l’issue de leur formation, nous devons, en revanche, regretter que bon nombre de classes, et donc de métiers, disparaissent faute de vocation. Cette crise est avant tout la conséquence d’une information et d’une communication insuffisantes.
La création d’universités régionales des métiers de l’artisanat pourrait certainement rendre plus attractive et plus accessible la formation aux métiers de l’artisanat.
Je tiens à saluer les annonces du Gouvernement en faveur de l’apprentissage et la volonté qu’il manifeste en ce sens. Je pense, notamment, aux mesures prévues pour informer les chefs d’entreprise sur les avantages qu’ils auraient à embaucher en alternance afin de les inciter à opérer un tel choix.
Cependant, il est important de travailler également sur le statut de l’apprenti.
Aujourd’hui, les apprentis ne bénéficient pas des mêmes prestations sociales que les étudiants. Je pense, notamment, aux bourses, aux aides au logement, aux transports… Le Président de la République a annoncé que, désormais, les étudiants et les apprentis auraient le même statut. Je ne peux que saluer cet engagement.
Madame la ministre, dans quelle mesure ce changement interviendra-t-il ? Par exemple, les droits d’accès à une bourse seront-ils bien les mêmes ?
Je soulignerai par ailleurs l’insécurité financière à laquelle doit faire face l’apprentissage. En effet, malgré les contrats d’objectifs et de moyens, les conditions de financement varient fortement d’une région à l’autre. Le Gouvernement s’est engagé à réorienter les financements issus de la taxe d’apprentissage. Celle-ci pourrait être versée directement aux CFA.
Pourriez-vous, madame la ministre, nous donner plus de précisions quant à cette stabilisation du financement de l’apprentissage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre. Madame la sénatrice, les chiffres que vous citez sont essentiels et chacun devrait les connaître. Oui, 80 % des jeunes ont un emploi dans l’année qui suit la fin de leur formation par alternance. Vous avez également rappelé que l’apprentissage souffrait encore d’une mauvaise image auprès des jeunes et des familles, surtout en ce qui concerne la formation prébac. Il convient d’y porter remède.
À cette fin, nous avons lancé samedi dernier, et pour trois semaines, une campagne de communication sur toutes les chaînes de radio afin de valoriser et de revaloriser l’apprentissage ainsi que les formations par alternance, afin aussi de sortir du dogme des 80 % d’une classe d’âge au niveau baccalauréat.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
Mme Nadine Morano, ministre. Cela signifie qu’il faut multiplier les filières, notamment celles qui sont professionnalisantes. Ce sont elles qui permettront aux jeunes d’entrer sur le marché de l’emploi.
Cependant, j’ai voulu aller plus loin. Lors d’un séjour à Berlin, j’ai visité l’usine BMW. Je me suis rendu compte à cette occasion que beaucoup de patrons et de chefs d’entreprise en Allemagne avaient débuté comme apprentis, et cela comptait dans leur réputation, dans leur renommée. Aujourd’hui, ils dirigent des milliers de salariés ! Voilà pourquoi j’ai créé un club de l’apprentissage composé de personnalités ayant débuté de la sorte. Pourquoi un parlementaire ou un ministre n’en ferait-il pas également partie ?
Faire savoir que Franck Provost, Guy Savoy, Gérard Dorey, mais aussi l’ancien président pour la France du groupe Alstom, Robert Mahler, ont commencé par l’apprentissage est de nature à convaincre les jeunes et les familles de s’engager dans cette voie.
Nous travaillons donc, puisque c’était l’une des questions que vous m’avez posées, madame la sénatrice, sur le statut de l’apprenti, qu’il est légitime de revaloriser.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour la réplique.
Mme Françoise Férat. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le président, lors de cette réunion de travail organisée au Sénat dans le cadre des douzièmes journées de l’apprentissage, nous avons pu mesurer, s’il en était besoin, à la fois l’excellence des savoir-faire de ces jeunes, mais également leurs qualités personnelles.
J’insisterai, madame la ministre, sur l’information et l’orientation, car elles me semblent primordiales. L’intervention des artisans dans les collèges pour parler de leur métier, voire pour aiguiller les jeunes, dans le cadre des stages de découverte, au sein d’entreprises artisanales, est importante.
Or, aujourd’hui, les règles en vigueur au sein de l’éducation nationale, comme les objectifs de passage dans les lycées généraux, ne semblent pas permettre une meilleure orientation au niveau des collèges non plus que l’intervention des professionnels. Pensez-vous, madame la ministre, qu’un débat interministériel, que ce soit avec le ministère de l’éducation nationale ou avec celui de la recherche et de l’enseignement supérieur, permettrait de répondre à l’une des attentes fortes du premier employeur de France ?
M. le président. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Madame la ministre, nous nous réjouissons du programme exceptionnel de 500 millions d’euros pour la formation en alternance annoncé par le Gouvernement dans le cadre des investissements d’avenir, avec l’appui du grand emprunt. J’insisterai, néanmoins, sur une mesure essentielle qui pourrait rendre plus attractive encore la formation en alternance : je veux parler de la nécessaire égalité de traitement entre les apprentis et les étudiants.
Le développement de l’alternance implique aussi de rendre plus accessibles les formations en apprentissage en facilitant non seulement les conditions de transport des jeunes apprentis, mais également les conditions d’hébergement.
On s’est en effet aperçu que les apprentis étaient nombreux à avoir des accidents de cyclomoteur, notamment, lors de leurs déplacements pour rentrer chez eux lorsqu’ils n’étaient pas logés sur place.
Pour quelles raisons les jeunes apprentis ne peuvent-ils pas bénéficier des mêmes avantages que les étudiants ? Qu’il s’agisse des transports scolaires ou des transports publics, du logement, de la restauration, des bourses ou des activités culturelles, les apprentis n’ont pas droit aux mêmes aides que les étudiants et n’ont donc pas accès aux CROUS, les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires.
N’est-il pas temps, madame la ministre, d’instituer cette égalité de traitement entre les apprentis et les étudiants ? Ne s’agit-il pas également d’une forme de reconnaissance des formations en alternance et de considération pour elles ?
Dans le même ordre d’idées, n’est-il pas important, madame la ministre, de mettre en place un dispositif adapté à la formation des maîtres d’apprentissage que sont les formateurs d’apprentis, débouchant sur une véritable valorisation auprès des chefs d’entreprise pour leur investissement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison : ce changement de statut est le « plus » que nous voulons apporter dans cette politique de valorisation de l’apprentissage et de la formation par alternance.
Même si les apprentis gagnent de l’argent, ont un bulletin de salaire, nous voulons encore les valoriser, leur permettre d’accéder à un véritable statut pendant qu’ils apprennent un métier.
Dès la rentrée prochaine, tous les apprentis auront accès aux restaurants des CROUS au même tarif social que les étudiants.
Pour le logement, le conseil d’administration du CNOUS, le centre national des œuvres universitaires et scolaires, a voté une délibération le 1er avril dernier spécifiant que tous les apprentis ont désormais accès aux logements des CROUS.
S’agissant des cinémas et des autres enseignes commerciales, la carte d’apprenti délivrée par le CFA offre l’accès au tarif étudiant. Mais les avantages accordés aux étudiants dépendent de décisions unilatérales des commerçants. Il appartient donc à chaque région de négocier des tarifs préférentiels. Je vais très prochainement rencontrer l’ensemble des enseignes commerciales afin de m’assurer de leur implication.
L’important, c’est de voir des jeunes épanouis – et je sais que, comme moi, monsieur le sénateur, vous en rencontrez souvent –, qui ont conscience de leur avenir. Ils sont nombreux, aujourd'hui, à l’occasion de cette journée de l’apprentissage, que le Sénat a raison d’organiser, et je connais l’attachement du président de votre assemblée à ces rencontres.
À chaque fois, je suis frappée par la détermination de ces jeunes, qui ne sont pas « paumés », qui savent qu’ils sont en train de se former à un métier, qu’ils peuvent progresser, entrer dans l’entreprise, et même choisir d’aller s’installer à l’étranger pour valoriser le savoir-faire français.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils peuvent le faire, mais c’est très difficile !
Mme Nadine Morano, ministre. Et ces jeunes qui sont bien dans leur peau, nous avons le devoir de les accompagner au mieux vers le monde économique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Houel, pour la réplique.
M. Michel Houel. Madame la ministre, vos propos me confortent tout à fait. Hier, deux de mes collègues ici présents et moi-même, dans le cadre d’un déplacement dans les Vosges du groupe d’étude « artisanat et services » de la commission de l’économie, avons visité des CFA : nous y avons trouvé des jeunes épanouis et plein d’ambition.
Il est extraordinaire, lorsque l’on est étudiant, de savoir que l’on peut arriver un jour à être son propre patron. Être étudiant et apprenti : voilà le message d’espoir que nous devons leur transmettre et qui est tout à fait, madame la ministre, à porter à votre crédit.
Je rappelle que, sur les 970 000 entreprises artisanales qui existent en France, environ 400 000 emploient des apprentis. Il y a donc encore une marge de progrès ! J’ajoute que la moitié des chefs d’entreprise de ces 970 000 établissements sont à leur compte et qu’ils viennent du monde de l’apprentissage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’apprentissage est un dispositif de formation très efficace pour l’insertion professionnelle des jeunes. Il favorise à la fois l’autonomie, l’implication et la prise de responsabilité ; en ce sens, il offre aux jeunes les meilleures chances d’obtenir un emploi. Pourtant, en France, seulement 33 % des entreprises françaises déclarent y avoir recours, contre 60 % chez nos voisins allemands. Pourquoi ?
En mars dernier, le Président de la République a présenté une série de mesures destinées à favoriser la formation, notamment par l’alternance ; elles doivent nous permettre d’atteindre l’effectif de 800 000 apprentis en 2015. On pourrait accueillir cette annonce avec optimisme, mais cela fait dix ans que le Gouvernement promet de doubler les effectifs et les places en apprentissage, sans y parvenir.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Gisèle Printz. Parmi les outils proposés pour obtenir des résultats, les sous-préfets et les acteurs de l’emploi se verront fixer des objectifs ; les entreprises seront incitées à recruter en bénéficiant de nouvelles aides et un système de bonus-malus sera appliqué pour celles de plus de 250 salariés.
Ce système sera-t-il efficace ? Les CFA auront-ils des capacités d’accueil suffisantes ? Les enseignants seront-ils assez nombreux pour assurer les cours ?
Qu’allez-vous faire pour pallier ces manques ?
De plus, un effet d’aubaine est à craindre, car on risque de recruter des jeunes diplômés en contrat d’apprentissage. C’est pourquoi nous souhaitons savoir si le niveau du diplôme sera pris en compte dans le calcul de la rémunération.
Enfin, le système du bonus-malus ne corrige en rien le caractère fortement discriminatoire de ce type de contrat. Les jeunes de certains quartiers ont du mal à être recrutés, et on trouve seulement 30 % de filles en apprentissage. Quelles mesures le Gouvernement a-t-il prévues pour mettre fin à cette sélection ?
Nous recommandons aussi de travailler en partenariat avec les régions, grandes absentes du dispositif ; elles ont pourtant compétence en matière d’apprentissage depuis 1982.
M. le président. Veuillez conclure, madame Printz !
Mme Gisèle Printz. En Lorraine, par exemple, 69 millions d’euros sont consacrés à l’apprentissage, soit près d’un quart du budget de la région.
Pour conclure, nous regrettons que l’apprentissage à partir de quatorze ans refasse surface dans le débat. Nous l’avions dénoncé à l’époque du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, car il s’agit d’une remise en cause de facto du principe de la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans. Entendez-vous, madame la ministre, renoncer à cette mesure ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre. Madame la sénatrice, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous sommes face à un objectif national partagé.
Il y a l’État, sa mobilisation, son engagement, et il y a les régions, avec lesquelles nous travaillons. Dans le cadre du tour de France des régions pour l’apprentissage que j’ai engagé, je sens s’exprimer la volonté, chez de nombreux élus, de dépasser les clivages idéologiques pour construire avec nous des contrats d’objectifs et de moyens ambitieux afin de créer un maximum de places d’apprentis et d’outils à disposition des jeunes.
Vous avez cité l’exemple de l’Allemagne, où l’apprentissage est une tradition ancrée depuis des décennies. Cela signifie que, si nous voulons aller vite et réussir ce défi, c’est tous ensemble qu’il nous faut nous mobiliser : les principaux acteurs que sont l’État et les régions doivent s’engager mais également les grandes entreprises, celles de plus de 250 salariés.
Ne nous faites pas de procès d’intention, ne rejetez pas d’emblée nos propositions en disant que le système du bonus-malus ou l’augmentation des quotas ne marcheront pas. Notre objectif, c’est de réussir. Je sens, pour rencontrer les artisans, les représentants des branches professionnelles, une mobilisation très forte et une prise de conscience, car cela nous concerne tous, de la nécessité d’insérer les jeunes dans le milieu économique.
Je voudrais apporter une précision, qui intéressera certainement votre assemblée, en réponse à une question qui m’avait été posée par M. Houel – je n’ai pas pu tout dire en deux minutes – sur les maîtres d’apprentissage. Nous devons également les valoriser et travailler sur leur statut. Nous menons actuellement avec Xavier Bertrand une réflexion, en termes de compensation, sur la valorisation des acquis de l’expérience, la VAE, de manière, là aussi, à améliorer leur statut.
C’est donc une politique globale qui doit être menée pour réussir l’alternance, comme nous en avons l’ambition. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, pour la réplique.
Mme Gisèle Printz. Madame la ministre, je déplore que les entreprises rechignent à embaucher des jeunes. Ceux-ci ont beaucoup de difficultés à être pris comme stagiaires.
Vous ne m’avez pas répondu sur le fait que l’apprentissage pourrait se faire dès l’âge de quatorze ans.
J’ai moi-même débuté ma carrière professionnelle comme apprentie, à quinze ans, et cela n’a pas été facile. Je ne voudrais pas que d’autres jeunes subissent les mêmes épreuves que moi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, ma question porte plus globalement sur l’alternance.
L’alternance permet en même temps de préparer un diplôme et de se former à un métier. Elle concerne désormais tous les niveaux d’enseignement, du certificat d’aptitude professionnelle aux grandes écoles en passant par l’université. L’enseignement supérieur rassemble d’ailleurs 20 % des apprentis, donnant ainsi en quelque sorte ses lettres de noblesse à une pratique qui existe depuis toujours.
Un cinquième des jeunes qui ont signé un contrat d’alternance trouvent un emploi par ce biais.
C’est précisément cette efficacité que le Gouvernement souhaite en fixant des objectifs ambitieux pour 2011.
Cependant, l’alternance se heurte à un obstacle : trouver suffisamment d’entreprises et de maîtres de stages impliqués. (M. Pierre Martin applaudit.) Et si, comme nous le souhaitons, les formations en alternance se multiplient, il sera d’autant plus difficile pour les élèves et les étudiants de trouver un point de chute.
Lors de la discussion de la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, nous avons introduit une disposition qui permet aux apprentis de commencer à suivre les cours tout en disposant d’un délai de deux mois pour trouver un stage.
Nous devons maintenant, me semble-t-il, aller plus loin afin que chaque élève, chaque étudiant ne soit pas seul dans la recherche de son alternance.
Certains centres de formation, certaines écoles, publiques ou privées, certaines universités délaissent totalement les jeunes, en ne leur donnant – et encore, pas toujours ! – que les noms de quelques d’entreprises qui n’ont pas forcément la capacité de les accueillir.
Certains jeunes passent parfois même par des officines privées et payent pour obtenir ce fameux contrat afin de suivre la formation choisie. Je ne trouve pas cela normal : cela devrait être l’inverse !
Madame la ministre, serait-il possible, pour favoriser et valoriser la formation en alternance, d’obliger tous les établissements à présenter des listes d’entreprises avec lesquelles ils auraient, au préalable, passé des conventions ou négocié l’accueil effectif d’élèves ou d’étudiants en nombre au moins égal à celui des jeunes inscrits dans leur établissement ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nadine Morano, ministre. Madame la sénatrice, vous soulevez le problème récurrent – il faut bien le dire – de la recherche, par les jeunes, d’une entreprise ou d’un maître d’apprentissage.
La diminution de cinq ans à trois ans du nombre d’années d’expérience professionnelle requis, mesure que j’ai annoncée tout à l’heure, devrait permettre d’élargir le vivier de maîtres d’apprentissage et, donc, d’offrir de plus grandes potentialités.
Je me suis beaucoup interrogée à propos du problème que vous soulevez : les familles et les jeunes n’ont pas suffisamment d’outils à leur disposition pour trouver une entreprise. Tous les parlementaires, moi la première, ont été un jour sollicités par des parents qui souhaitaient qu’on les aide à trouver une entreprise.
Mme Catherine Procaccia. Effectivement, nous l’avons tous été !
Mme Nadine Morano, ministre. Je suis bien consciente du problème. C'est la raison pour laquelle nous avons créé, il y a quelques semaines, sur le réseau social professionnel Viadeo, un groupe dédié à l’apprentissage, ce qui n’existait pas auparavant. Voilà un nouvel outil à la disposition des familles.
Quant à obliger les CFA à tenir à la disposition des jeunes une liste d’entreprises… Je crois l’incitation préférable grâce à la mobilisation des chambres de commerce et d’industrie et de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat. Nous avons d’ailleurs évoqué le sujet avec M. Griset.
Je m’apprête à signer un accord extrêmement important portant sur 50 000 places supplémentaires en alternance d’ici à 2015.
Nous devons mobiliser localement l’ensemble des chambres consulaires, car il s’agit de faire « dans la dentelle », d’être proche et présent. De nombreux parents ne connaissent pas l’existence des CFA ou leur lieu d’implantation : l’information doit donc descendre au plus près du terrain.
Tel est l’objectif du service public de l’orientation tout au long de la vie que nous sommes en train de mettre en place, avec un portail dédié qui sera accessible aussi bien aux collégiens qu’aux lycéens, autant pour la formation initiale que pour la formation continue. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, je suis heureuse que vous soyez consciente des difficultés rencontrées par les jeunes, mais je n’en doutais pas !
Le portail est une bonne chose, mais, au-delà des CFA et des chambres de métiers et de l’artisanat, qui connaissent ces difficultés, il faut s’intéresser à ces écoles privées qui proposent des formations, mais on s’inscrit, on paye et, au bout du compte, on n’a rien !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’apprentissage.
Je vous remercie, madame la ministre, mes chers collègues, d’avoir participé à cette séance, qui vient clore une journée consacrée à l’apprentissage, organisée en lien avec l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat, présidée par M. Alain Griset. Avec les sénateurs du Val-d’Oise, nous avons visité ce matin l’Institut des métiers de l’artisanat de Villiers-le-Bel.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 17 mai 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-151 QPC).
Le texte de décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
11
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs
Suite de la discussion, en procédure accélérée, d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui contient des dispositions innovantes axées autour de deux thèmes principaux : l’introduction de citoyens assesseurs en correctionnelle, une réforme du droit pénal des mineurs.
Si cette dernière était annoncée depuis plusieurs années, l’introduction des jurés populaires est bien plus inattendue. Pourquoi cette proposition ? Beaucoup de monde se pose la question. L’introduction des jurés populaires en correctionnelle était-elle demandée par les praticiens du droit pénal ? Était-elle réclamée par les observateurs du monde judiciaire, ou par l’opinion publique elle-même ? Il me semble que non !
Va-t-on, avec cette mesure, simplifier la justice et accélérer son cours ? Je crains, hélas, que la formation préalable des citoyens assesseurs et la technicité de certaines affaires ne ralentissent ce dernier, au lieu de l’accélérer.
Je suis, depuis quelques années, rapporteur pour avis de certains programmes au sein de la mission « Justice », notamment concernant les services judiciaires. À ce titre, je m’interroge sur les moyens dont disposera la justice pour mettre en œuvre dans de bonnes conditions, c’est-à-dire sans que cela contribue à freiner son cours normal, les nouvelles dispositions prévues par ce texte.
Je crois profondément que notre justice a besoin de sérénité. Cela passe, d’abord, par une pause dans les réformes législatives et par l’expression, par les plus hautes autorités de l’État, de leur confiance dans cette institution, dans les femmes et les hommes qui la font vivre au quotidien.
Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie, à cet égard, d’avoir su, depuis votre prise de fonctions, exprimer cette confiance quand il le fallait.
François Zocchetto reviendra tout à l'heure sur le titre Ier de ce projet de loi. À défaut d’avoir réussi à en démontrer le caractère absolument indispensable, notre rapporteur, Jean-René Lecerf, a fait un excellent travail pour, au moins, le rendre applicable.
La réforme du droit pénal des mineurs qui nous est proposée est, elle aussi, inattendue, sur la forme comme sur le fond.
Sur la forme, d’abord, le projet de loi la lie de manière très artificielle à l’introduction de citoyens assesseurs en correctionnelle, alors que le seul point commun de ces deux mesures est de concerner le droit pénal. On aurait d’ailleurs pu intituler le texte « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre pénal », comme il en existait autrefois.
Force est de constater qu’il s’agit là d’une mauvaise manière de travailler. Elle est aggravée par l’urgence que le Gouvernement impose au Parlement en engageant la procédure accélérée.
La réforme du droit pénal des mineurs est également inattendue sur le fond, car, contrairement à l’introduction des jurés populaires en correctionnelle, le travail sur la justice pénale des mineurs remonte à plusieurs années. Mais, monsieur le garde des sceaux, les mesures que comporte le projet de loi sont bien loin de la création du code pénal des mineurs qui devait constituer la réforme d’ensemble de cette matière annoncée en 2008.
À l’époque, votre prédécesseur déclarait qu’une nouvelle réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 - en l’occurrence, la trente-deuxième ! - n’était plus envisageable. La complexité de ce texte fondateur était en effet devenue telle au fil des ans qu’elle nuisait à la clarté et à la compréhension de notre droit.
Comme beaucoup, je partage ce constat. Aussi, je ne comprends pas très bien la démarche retenue dans le texte dont nous débattons aujourd’hui : pourquoi avoir, de facto, enterré un projet de code pénal des mineurs dont le processus de conception était presque arrivé à son terme ?
Pourquoi avoir abandonné une vraie réforme d’ensemble sur un sujet de fond, au profit d’une énième « modification » de l’ordonnance de 1945 ?
Surtout, pourquoi avoir repris des mesures, comme l’institution d’un tribunal correctionnel des mineurs, qui avaient été écartées par les différents groupes d’experts s’étant penchés sur cette problématique ?
Sur le fond, je me limiterai à quelques observations sur deux mesures importantes du texte : la convocation par officier de police judiciaire pour les mineurs et le tribunal correctionnel des mineurs.
La justice des mineurs trouve sa spécificité dans l’existence du juge des enfants qui, grâce à sa double casquette – civile, lorsque l’enfant est en danger, et pénale, lorsqu’il se met en conflit avec la loi – réussit à avoir une vision globale et presque en temps réel du mineur qui va être jugé.
Ce magistrat spécialisé joue donc un rôle central dans la gestion d’un contentieux assez particulier.
Le projet de loi prévoit de compléter les modes de poursuites susceptibles d’être engagées à l’encontre d’un mineur, en permettant au procureur de la République, de convoquer par OPJ, devant le tribunal pour enfants, un mineur qui n’aura pas été présenté préalablement à un juge des enfants pour une phase d’instruction préparatoire.
Cette disposition est conforme à l’objectif de réduction des délais de jugement, qui est fixé depuis plusieurs années. Sur le principe, j’y souscris : pour être comprise par le mineur, la sanction doit être rapide.
Toutefois, la rédaction prévue par le projet de loi permettrait également la mise en œuvre de cette procédure à l’encontre de mineurs primo-délinquants ou n’ayant pas fait l’objet d’investigations récentes. Or, dans ces dernières hypothèses, l’application d’une telle procédure ne me paraît pas pleinement appropriée. C’est pourquoi j’ai déposé plusieurs amendements visant à faire évoluer le texte sur ce point.
Au-delà, et malgré les aménagements introduits en commission, je reste sceptique sur la constitutionnalité de cette disposition, qui nous avait déjà été présentée dans le cadre de l’examen de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ».
À l’époque, la commission des lois avait émis des doutes sur la constitutionnalité du dispositif, doutes justifiés puisque cette disposition avait finalement été censurée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011.
Or l’ensemble des personnes auditionnées par M. Jean-René Lecerf, et notamment le recteur André Varinard, qu’il a cité au début de la discussion générale, ont attiré son attention sur le fait que les dispositions de l’article 17 du projet de loi ne respectaient toujours pas entièrement les exigences formulées par le Conseil constitutionnel.
Le texte crée un tribunal correctionnel pour les mineurs âgés de plus de seize ans et poursuivis pour un ou plusieurs délits commis en état de récidive légale, lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans. Dans l’exposé des motifs, le Gouvernement justifie la création de ce tribunal par le fait que « la réponse pénale sera plus solennelle », et « de nature à prévenir la répétition des infractions ».
À cet égard, il me semble nécessaire de procéder à quelques rappels.
Tout d’abord, le tribunal pour enfants est composé d’un juge des enfants, qui préside, et de deux assesseurs représentant la société civile, spécialement compétents et au fait des problèmes de la jeunesse, par exemple des enseignants. Ensuite, tous les auxiliaires de justice sont en robe, à l’exception des deux assesseurs. Enfin, la salle d’audience est la même que celle du tribunal correctionnel pour majeurs.
Il est dès lors surprenant de considérer que la présence de deux nouveaux magistrats en robe suffirait à créer un tel surcroît de solennité qu’elle serait à elle seule de nature à limiter la récidive...
Plus généralement, je tiens à rappeler une nouvelle fois que cette idée du tribunal correctionnel des mineurs avait été examinée dès le début de la réflexion sur le code pénal des mineurs, pour finalement être abandonnée dans l’avant-projet de loi. Je suis donc étonné de la voir réapparaître dans le texte que nous examinons aujourd’hui, alors que de nombreux experts et professionnels l’avaient repoussée.
Monsieur le garde des sceaux, à travers ces quelques réflexions que m’inspire le projet de loi, vous l’aurez compris, je souhaite que le débat permette son amélioration. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à notre excellente collègue Mme Virginie Klès. (Sourires.)
Mme Virginie Klès. Peut-être excellente, monsieur le président, mais qui n’en pense pas moins beaucoup de mal de ce texte, comme d’autres ici qui se sont exprimés non seulement sur les travées de gauche, mais aussi sur certaines travées du centre.
Rapprocher le citoyen de la justice était pourtant une belle idée. On faisait déjà participer les citoyens à l’œuvre de justice, dans certaines juridictions spécialisées, avec des volontaires ayant des compétences particulières en matière d’application des peines et de justice des mineurs, et même s’agissant de la justice pénale, avec les jurés d’assises.
Cela fonctionnait très bien dans les juridictions spécialisées, un peu moins bien aux assises. On sait en effet que nombre de personnes tirées au sort tentaient, par tous les moyens, d’échapper à leur obligation et de ne pas aller siéger aux assises. Certaines, d’ailleurs, y parvenaient.
C’est, malgré tout, ce dernier modèle que l’on va copier, et mal copier, en introduisant le tirage au sort pour remplacer le volontariat. On va également démultiplier les jurés, mais on ne va surtout pas démultiplier les moyens mis en place pour leur permettre de se déplacer, pour les indemniser, les défrayer, ou pour compenser les pertes de salaires qu’ils auront subies.
Voilà ce que vous appelez « rapprocher le citoyen de sa justice », et tout cela avec en frontispice des formules sacrées : « au nom du peuple », « au nom du citoyen » !
Quels citoyens ? Tous ceux que vous avez fait descendre dans la rue depuis 2007 ? Les citoyens ne veulent pas de juges laxistes. On l’a entendu et réentendu. Cela a été dit et redit dans nombre d’interventions publiques. Nombre de critiques concernant les juges – et non pas la justice – ont été rapportées. Mais, sauf erreur de ma part, ces critiques émanaient non de citoyens quelconques, mais, pour la plupart, de certains ministres, et même du Président de la République.
Ce discours, qui nie que le premier responsable d’un acte de délinquance est son auteur, et non le juge, ne visait qu’à masquer votre impuissance à lutter efficacement contre la délinquance, et votre oubli du fait que la lutte contre la délinquance passe d’abord par la lutte contre les causes de cette délinquance.
Moi, ce que j’entends des citoyens, c’est qu’ils ne veulent pas d’une justice à deux vitesses, selon la nature du délit et le pouvoir d’influence du délinquant. Moi, ce que j’entends des citoyens, c’est qu’ils s’insurgent fortement contre toute la délinquance financière en col blanc ou contre la délinquance économique, qui les exaspèrent. Ce sont en effet ces procédures qui sont certainement les plus mal comprises et les plus suspectes d’interventions illégitimes.
Vous nous dites que ces procédures et ces actes de délinquance sont complexes, trop compliqués pour les citoyens, qu’ils ne vont pas les comprendre. En êtes-vous sûr, monsieur le ministre ? Peut-être pourrait-on les leur expliquer ?
Je pense, pour ma part, que les citoyens peuvent les comprendre. Vous nous dites qu’ils sont capables de comprendre les systèmes juridiques complexes, et que vous complexifiez de plus en plus. Vous nous dites qu’ils sont capables de comprendre les systèmes des peines planchers systématiques, aggravées, ainsi que la rétention de sûreté, les mesures alternatives et les aménagements de peine. Les citoyens seraient capables de comprendre tout cela en une journée de formation, mais pas le reste ?
Les citoyens sont capables aussi, nous dites-vous, de comprendre des subtilités dans la qualification des faits : préméditation, bande organisée, atteinte ou agression sexuelle, et même atteinte à l’intégrité physique ou morale, alors que, pour d’autres textes, vous soutenez qu’il est extrêmement difficile, y compris pour les experts, de prouver une atteinte à l’intégrité morale.
Mais les jurés, « au nom du citoyen », vont comprendre sans difficulté !
Au nom du citoyen…
Moi, j’entends que les citoyens veulent une justice capable de les protéger, de protéger la société et la démocratie. J’entends que les citoyens veulent une justice accessible à tous, quels que soient le lieu de résidence, les moyens financiers, le statut socioprofessionnel et le délit commis.
Moi, j’entends des citoyens exaspérés de voir les textes se chevaucher, se multiplier, avec des promesses d’efficacité toujours renouvelées et jamais tenues, mais en conséquence une désorganisation permanente, une surcharge des missions sans aucune concertation ni réflexion avec les professionnels des juridictions.
Au nom du citoyen…
Avez-vous pensé à informer ces citoyens des modalités du tirage au sort, des vérifications qui seront opérées sur leur personnalité et leur vie privée quand ils auront été désignés par le sort pour être jurés ? Quand leur direz-vous la vérité sur le coût de la réforme de la carte judiciaire, en immobilier, en moyens humains, en accessibilité de la justice ?
Monsieur le garde des sceaux, vous avez créé, nous dites-vous, les maisons de justice et du droit.
Mme Virginie Klès. Vous l’avez écrit, en tout cas !
Mais vous avez oublié de préciser aux citoyens que ce sont les collectivités territoriales qui payent le fonctionnement.
M. Charles Gautier. Très bien dit !
M. Jean-Pierre Michel. Exactement !
Mme Virginie Klès. Autrement dit, seuls les centres urbains et les collectivités riches seront dotés de maisons de justice et du droit : voilà pour l’amélioration de l’accessibilité de la justice !
Quand donc direz-vous la vérité aux citoyens sur les insuffisances informatiques, les budgets de l’aide juridictionnelle, les conséquences de la réforme de la représentation devant les cours d’appel ? Vous créez toujours plus d’injustice et renouvelez l’ancrage de la justice à deux, voire à quatre vitesses, selon que l’on est pauvre ou riche, rural ou urbain. Ne soyez surtout pas pauvre et rural, car vous n’aurez plus aucun accès à la justice !
Au nom du citoyen…
Le Président de la République veut nous faire croire qu’un mineur âgé de seize ans, mesurant 1,90 mètre et pesant 90 kilos, n’est plus un mineur ! Est-ce à dire que la maturité, la responsabilité, le passage de l’enfance à l’âge adulte se mesurent en centimètres et en kilos ?
Est-ce à dire qu’une personne handicapée mentale de 1,90 mètre pesant 90 kilos doit être considérée comme adulte, et non comme une personne vulnérable, protégée par une mesure de tutelle ou de curatelle ? Remarquez, ce serait le moyen de réduire un peu la charge de travail des juges des tutelles ! Comme ils ont, eux aussi, été récemment complètement désorganisés, peut-être verraient-ils cela d’un bon œil !
Est-ce à dire, monsieur le garde des sceaux, que si l’on ne dépasse pas 1,60 mètre et 50 kilos, on n’est jamais un adulte responsable et mature ? C’est là toute la connaissance que vous avez, toute l’utilisation que vous faites de l’éducation et de la définition d’un enfant en devenir ?
Au nom du citoyen…
On oublie qu’un enfant est un enfant. C’est un aspect que ma collègue Catherine Tasca a développé et sur lequel Alima Boumediene-Thiery interviendra certainement.
Le titre II du projet de loi, autrement dit les dispositions relatives au jugement des mineurs, est une catastrophe pour le droit des enfants, une catastrophe pour l’éducation, qui plus est masquée par l’écran de fumée que constitue le juré populaire.
Pourtant, beaucoup d’entre nous peuvent être concernés et directement confrontés, demain, à la justice. J’aimerais donc poser la question aux citoyens : ce jour-là, quelle justice souhaitez-vous ?
Est-ce une justice expéditive, systématique, qui prenne en compte uniquement l’acte et non ses circonstances, ni l’histoire et la personnalité de son auteur, qui refuse toute deuxième chance à un enfant ou à un adulte, qui préfère la rapidité d’un jugement à l’écoute de l’accusation comme de la défense ?
C’est pourtant cette justice-là que le projet de loi nous annonce.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Virginie Klès. Ou bien souhaitez-vous, citoyens, une justice sereine, indépendante, qui a les moyens de siéger dans des conditions décentes autorisant la réflexion, loin de l’émotion et de toute pression médiatique ou politique, une justice qui prend le temps d’écouter toutes les parties pour rendre un jugement équilibré, accessible à tous, car rendu dans le calme, et explicable aux citoyens par des avocats correctement rémunérés, quels que soient les moyens de leurs clients ?
La Justice avec un « J » majuscule, celle à laquelle je crois pour mon pays, c’est celle-là que je veux et pas celle que vous nous préparez ! Je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, associer les citoyens au fonctionnement de la justice n’est pas une idée nouvelle en France, puisque, dans les cours d’assises, les tribunaux pour enfants, les tribunaux de l’application des peines, nous trouvons déjà des citoyens aux côtés des magistrats professionnels.
Je vois trois avantages à renforcer ainsi les liens entre nos concitoyens et leur justice.
Tout d’abord, cette formule d’association permettra que soient mieux comprises les décisions rendues par les tribunaux.
Ensuite, je suis convaincu qu’elle renforcera l’autorité du magistrat professionnel et mettra celui-ci à l’abri des contestations. Que de fois n’avons-nous entendu des décisions de juges de l’application des peines contestées par nos concitoyens parce qu’elles n’étaient ni comprises ni, surtout, assumées par la société ?
Enfin, il s’agit selon moi d’une réelle avancée en matière de citoyenneté et de civisme. Le fait d’être tiré au sort dans son département, de participer pendant une semaine au fonctionnement du tribunal correctionnel est un acte fort qui marque une intégration à la société. Oui, c’est un acte fort que de participer au jugement et à la condamnation d’une personne, l’une des décisions les plus difficiles dans la République.
Ce texte aura en outre pour effet indirect, s’il est adopté, de lutter contre la pratique trop répandue de la correctionnalisation des crimes.
En tant que législateur, je suis très heurté par cette pratique. Le Parlement élabore et vote des lois. Comment accepter qu’en matière criminelle une large part des infractions ne reçoivent pas la qualification juridique qui s’impose ? Cette pratique remet de facto en cause le schéma de classification des infractions et l’échelle des peines que nous nous efforçons de définir.
Disons-le clairement : lutter contre la correctionnalisation des crimes est une bonne chose !
La solution proposée par le Gouvernement concernant les cours d’assises simplifiées était-elle la meilleure ? Le travail réalisé en commission a prouvé que non, la cour d’assises simplifiée risquant de créer une confusion avec la « véritable » cour d’assises. La composition du tribunal correctionnel citoyen et de la cour d’assises simplifiée aurait été identique, ce qui n’était pas souhaitable.
Par ailleurs, en matière criminelle, le principe selon lequel le jury prévaut sur les magistrats professionnels n’allait pas être respecté avec la formule imaginée par le Gouvernement.
Je salue donc la proposition du rapporteur d’exclure du texte cette « fausse bonne idée » des cours d’assises simplifiées.
Le rapporteur a également été bien inspiré d’élargir le périmètre des infractions entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel citoyen à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans. Le fait d’avoir ajouté les délits en matière d’environnement me paraît également pertinent.
Sur cette question du périmètre des infractions relevant du tribunal correctionnel citoyen, la rédaction à laquelle nous sommes parvenus me paraît bien plus cohérente que le texte d’origine.
Monsieur le garde des sceaux, il ne vous a pas échappé que des interrogations subsistent, notamment en ce qui concerne la formation des futurs citoyens assesseurs. L’amendement que notre groupe présentera à ce sujet sera, je l’espère, approuvé. Même si la formation des citoyens assesseurs relève du règlement, nous avons besoin de disposer d’un certain nombre d’informations pour nous déterminer.
Enfin, je ne doute pas des moyens qui ont été annoncés, mais certains, au sein de mon groupe, se demandent si ceux-ci n’auraient pas été plus utiles ailleurs - sous-entendu, utilisés d’une meilleure manière -, plutôt que pour une réforme menée par ailleurs à un rythme effréné.
C’est pourquoi je salue, à mon tour, le travail réalisé par la commission des lois et tout particulièrement par Jean-René Lecerf qui, dans ces circonstances quelque peu précipitées, n’a pas hésité à remanier profondément le texte lorsque cela était nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous n’en serez pas surpris, les sénatrices et sénateur écologistes sont profondément indignés devant le projet de loi qui nous est aujourd’hui présenté.
Par ce texte, monsieur le garde des sceaux, vous prétendez outrageusement opérer une augmentation de la participation des citoyens à la justice, ainsi qu’une révision de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, alors que ce texte ne brille malheureusement que par la bassesse de l’idée de la justice qu’il développe.
Sur la méthode, tout d’abord, monsieur le ministre, un tel chantier législatif aurait dû être entrepris dans le respect du débat parlementaire, mais vous avez fait le choix d’une procédure accélérée, cédant à l’urgence et à l’électoralisme.
Vous avez ainsi opté pour une procédure parlementaire prioritaire, nous privant d’une deuxième lecture sur un texte visant à réformer en profondeur notre procédure et notre droit pénal.
Par ailleurs, sous couvert de faire davantage participer les citoyens à la justice, vous en profitez pour procéder, dans le même texte, à une réforme du droit pénal des mineurs. Ce dernier thème, pourtant extrêmement important, a malheureusement été occulté par la presse, qui ne s’est fait l’écho que des fameux « jurés populaires ».
Je consacrerai l’essentiel de mon intervention au droit pénal des mineurs, mais je souhaiterais tout de même dire quelques mots du premier volet du texte.
Sous prétexte d’accroître la participation du peuple à l’œuvre de justice, vous souhaitez modifier la composition du tribunal correctionnel et de la chambre correctionnelle de la cour d’appel par l’ajout de deux « citoyens assesseurs ».
Je constate que, paradoxalement, monsieur le garde des sceaux, votre projet de loi vise également à modifier la composition du jury d’assises, en abaissant le nombre de jurés de neuf à six en premier ressort, et de douze à neuf lorsque la cour statue en appel ! Il ne s’agira donc, in fine, que d’un effet d’annonce trompeur sur une participation croissante de la population à la justice, alors que, bien au contraire, vous réduisez le nombre des citoyens qui pourront participer au jugement de certaines affaires pénales.
En associant à des magistrats professionnels ayant suivi une formation juridique de plusieurs années, et sanctionnée par des diplômes, des profanes ne connaissant pas la subtilité du droit et pour qui « rendre la justice » n’est pas un métier, vous remettez en cause le professionnalisme du corps de la magistrature.
Eu égard aux propos de M. Hortefeux qui, en septembre 2010, s’indignait « que des assassins ou des violeurs, condamnés par une cour d’assises, puissent sortir de prison avant la fin de leur peine parce que des magistrats professionnels l’ont décidé », je me demande si le Gouvernement ne s’applique pas, avec cette suspicion supplémentaire, à défier nos magistrats !
Ce projet de loi instaure une hiérarchie entre jurés populaires et magistrats professionnels, hiérarchie que vous essayez d’imposer au détriment de ces derniers. Or, outre cet effet d’annonce à visée purement électoraliste, le dispositif pose de nombreux problèmes d’application.
En premier lieu, vos « citoyens assesseurs » peuvent ne pas faire preuve du recul nécessaire. Ils risquent de se projeter dans l’affaire avec leur affect et d’afficher un manque de discernement gravement problématique, aussi bien pour la victime que pour l’accusé.
Il ne faut pas non plus négliger la durée des procès, du fait de la nécessité de former les nouveaux assesseurs, durée qui n’est pas déterminée par le texte. Les modalités de cette « formation » seront fixées par décret, soit, mais le Gouvernement doit d’autant plus nécessairement nous apporter des éclaircissements à ce sujet.
L’étude d’impact mentionne l’organisation d’une « information sur le fonctionnement de la justice pénale ». S'agira-t-il d’un texte distribué aux citoyens assesseurs, ou bien d’une réelle « formation » ? Dans ce dernier cas, durera-t-elle vingt-quatre, quarante-huit heures ? Il nous faut des réponses plus précises pour que nous soyons assurés que la formation de ces citoyens assesseurs ne sera pas bâclée.
Par ailleurs, vous annoncez le recrutement, qui ne peut qu’être bénéfique, de 155 magistrats supplémentaires et de 100 greffiers, pour un coût estimé par le Gouvernement de 50 millions d’euros pour le mobilier et de 20 millions d’euros supplémentaires par an pour le fonctionnement.
Alors que la réforme de la garde à vue va entraîner des coûts extrêmement importants, que l’aide aux victimes, qui devrait être prioritaire, nécessiterait 10 millions d’euros d’investissements, on peut légitimement se demander, monsieur le garde des sceaux, comment vous allez financer la réforme que vous nous présentez aujourd’hui.
Le second volet du projet de loi me paraît très important, puisqu’il tend à réformer presque entièrement l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Si les spécialistes – juges des enfants, personnel des services de la protection judiciaire de la jeunesse, universitaires – sont tout à fait effrayés par les dispositions de ce texte, il est regrettable que l’opinion publique n’en ait pas été davantage informée et que ce volet du projet de loi soit resté à ce point méconnu.
Tout d’abord, la délinquance juvénile apparaît comme une problématique ancienne, régie presque entièrement par l’ordonnance de février 1945, qui repose sur une dichotomie entre justice des mineurs et justice des majeurs et dont l’article 2 donne aux mesures éducatives la primauté sur les sanctions. L’article 1er de cette ordonnance dispose qu’un mineur doit être jugé par une juridiction spécialisée.
Or, depuis le début du xxie siècle, la réponse pénale n’a fait que croître, avec les lois dites « Perben I » et « Perben II », la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, puis la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. On assiste à un renversement de l’esprit de l’ordonnance de 1945 : l’enfant est désormais de plus en plus considéré comme un adulte.
La preuve en est que, d’une justice résolutive, nous en revenons, avec ce projet de loi, à une justice distributive, qui ne s’attache qu’aux faits. C’est dans cet esprit que vous proposez de simplifier les procédures de jugement rapide et de présentation immédiate, ce qui tend à rapprocher un peu plus le droit des mineurs de celui des majeurs.
Une telle accélération des procédures, par l’ouverture aux officiers de police judiciaire de la possibilité de convoquer des mineurs devant un tribunal pour enfants, est en contradiction avec la nécessité d’effectuer une étude approfondie de la personnalité de l’enfant. Le comble en la matière est atteint avec le « dossier unique de personnalité » prévu à l’article 14 et sorti tout droit d’un chapitre du rapport Varinard intitulé « Célérité de la réponse pénale ». L’objectif affiché d’accélérer le jugement des mineurs est évidemment très contestable !
Monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi ne laisse transparaître aucune volonté d’instaurer une continuité éducative. Au contraire, il tend à précipiter la réponse pénale à l’encontre des mineurs, sans tenir compte de leur jeune âge et des particularités qui en découlent.
Par ailleurs, les sénateurs écologistes contestent fermement les mesures prévues à l’article 21. Vous entendez placer les mineurs non récidivistes en centre éducatif fermé dès lors qu’ils auront commis un délit puni de cinq ans de prison. Or tous les délits commis avec circonstances aggravantes sont passibles d’une peine de cinq ans d’emprisonnement ! Dans la mesure où sont notamment considérées comme circonstances aggravantes la commission en réunion ou à proximité d’un établissement scolaire, ce que vous souhaitez finalement, c’est que les mineurs soient tous incarcérés à la première occasion ! (M. le garde des sceaux s’exclame.)
Votre réponse à la délinquance des mineurs ne passe, encore une fois, que par la répression, la détention, l’enfermement, au détriment de la prévention et des mesures éducatives.
En outre, ce projet de loi annonce la fin de la juridiction spécialisée pour les mineurs : il prévoit en effet qu’un jeune récidiviste sera jugé par un tribunal correctionnel pour mineurs, où le juge des enfants sera minoritaire par rapport aux autres magistrats. Certes, le texte résultant des travaux de la commission prévoit désormais que le juge des enfants présidera ce tribunal, mais cela n’est évidemment pas suffisant.
Je tenais également, monsieur le garde des sceaux, à vous faire part de mon indignation face à l’instauration de l’assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique des mineurs, et ce dès l’âge de 13 ans ! Comment une telle peine pourra-t-elle être rendue compatible avec l’obligation de scolarité jusqu’à l’âge de 16 ans ? Envisagez-vous de financer des cours à domicile pour les mineurs assignés à résidence ou comptez-vous assortir cette mesure d’heures de sortie autorisée afin de permettre au mineur de se rendre en cours ? Tout cela est particulièrement ridicule et inadapté à la personnalité et au mode de vie d’un enfant.
Enfin, si les mineurs d’aujourd'hui ne sont pas ceux de 1945, ils ne sont pas pour autant plus mûrs, plus responsables de leurs actes que ne l’étaient ces derniers. Notre jeunesse éprouve des difficultés infinies à trouver sa place dans la société. Les institutions et la justice doivent être de nouveau perçues comme protectrices, ce que ne permettra pas, tant s’en faut, votre réforme.
Si l’accroissement de la sévérité de la réponse judiciaire pouvait suffire à améliorer la situation, le taux de récidive, dont l’importance témoigne de l’échec de votre politique, ne serait pas plus élevé après un séjour en prison. Bien au contraire, les mesures répressives ont un effet négatif manifeste sur le comportement des jeunes délinquants, puisque ceux-ci sont confrontés, au cours de leur incarcération, à une violence bien plus grande que celle qu’ils ont eux-mêmes pu pratiquer.
On l’aura compris, les sénatrices et sénateurs écologistes sont consternés par ce texte et par votre volonté de le faire adopter à la va-vite, monsieur le garde des sceaux. Nous voterons contre ce projet de loi qui porte atteinte aux droits fondamentaux : lorsque les droits reculent, toutes les libertés régressent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais maintenant répondre aux intervenants dans la discussion générale, dont les contributions enrichissent la réflexion sur ce projet de loi.
Nombre d’entre eux, sur l’ensemble des travées, ont insisté sur le caractère précipité de cette réforme, que rien ne justifierait. Je ne partage nullement ce sentiment, et je vais m’en expliquer, en m’appuyant sur des faits.
Tout d’abord, pour tous ceux qui ont soutenu le candidat Nicolas Sarkozy dès le premier tour de l’élection présidentielle ou qui l’ont rejoint au second, cette réforme n’est pas une surprise : elle figurait expressément dans ses engagements de campagne. Je suis sûr que M. Maurey le sait parfaitement…
M. Hervé Maurey. Bien sûr ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … et qu’il s’attendait à ce que cet engagement soit tenu avant la fin du mandat de l’actuel Président de la République !
Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une idée nouvelle, comme le montrent les trois faits suivants.
Premièrement, dans les propositions du parti socialiste pour la campagne présidentielle de 1981, il était prévu « de restituer la justice au peuple français » et de « rapprocher la justice du peuple ». À cette fin, il était expressément indiqué que « les citoyens seront associés plus étroitement au fonctionnement des tribunaux […] par une participation directe aux décisions suivant le système de l’échevinage ». C’est l’objet même du présent projet de loi ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non ! Ce n’est pas la même chose !
M. Robert Badinter. Nous en reparlerons !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je comprends que cela vous ennuie, mais c’est exactement cela ! J’admets d’ailleurs tout à fait que certains récusent aujourd'hui un projet qu’ils avaient soutenu en d’autres temps : cela fait partie de la vie politique.
Deuxièmement, en 1989, à la suite des accords de Matignon, il a été prévu que, en Nouvelle-Calédonie, des assesseurs compléteraient le tribunal correctionnel de Nouméa. Je reconnais volontiers la particularité du cas de la Nouvelle-Calédonie, mais force est de constater que cela fonctionne parfaitement, et nous nous sommes inspirés de cet exemple.
Troisièmement, je rappelle que la loi Sapin-Vauzelle du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale prévoyait un échevinage pour les décisions de placement en détention provisoire. Cette réforme a certes été abrogée avant son entrée en vigueur, à la suite du changement de majorité, mais l’intention était là.
La réforme que nous vous soumettons aujourd'hui n’a donc rien de précipité. Ces idées existent depuis longtemps et la plupart d’entre nous les ont soutenues à un moment ou à un autre ; le temps est simplement venu de les mettre en œuvre.
On peut, naturellement, critiquer les modalités proposées. À cet égard, je suis tout à fait ouvert au débat : le Gouvernement ne se présente pas devant le Parlement avec un projet définitivement achevé, sur lequel il n’y aurait rien à dire. Nous avons d’ailleurs travaillé avec la commission des lois.
Ainsi, madame Escoffier, votre intervention, bien qu’extrêmement intéressante, était complètement anachronique, dans la mesure où elle portait sur le projet de loi initial ! Or, depuis la réforme constitutionnelle, c’est du texte issu des travaux de la commission dont il est débattu. Cela étant, vous connaissant bien, j’ai compris que critiquer la rédaction initiale du projet de loi, qui n’existe plus, était pour vous une façon indirecte de soutenir celle de la commission des lois du Sénat (Mme Anne-Marie Escoffier sourit), que d’ailleurs j’approuve moi aussi !
En ce qui concerne le recours à l’urgence, je rappelle que les règles ont changé : depuis la réforme constitutionnelle, la mise en œuvre de la procédure accélérée n’est pas décidée par le seul Gouvernement, mais résulte très largement d’un accord entre ce dernier et les deux assemblées. Tel est bien le cas en l’occurrence.
La participation des citoyens à la formation du tribunal correctionnel est ressentie comme un progrès par nos compatriotes. Même si je ne suis pas un inconditionnel des sondages, je dois souligner que ceux-ci en attestent. Renforcer le lien entre la population et l’institution judiciaire répond donc, comme l’a souligné M. Béteille, à une véritable demande des Français.
Certains d’entre vous se sont par ailleurs inquiétés du coût de cette réforme et de ses conséquences en termes d’organisation judiciaire.
Soyons clairs : il est bien certain que la participation de citoyens assesseurs aux audiences correctionnelles ralentira la procédure. Cependant, est-il nécessaire d’aller vite pour bien juger ? Je pense bien entendu que non. Sur ce sujet, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à lire le témoignage d’un juré dont fait état l’édition d’aujourd’hui du journal Libération. Je ne connais pas cette personne, mais ses propos expriment tout à fait ce que je pense : « Et si mettre des jurés en correctionnelle en ralentit le rythme pour laisser plus de place au débat lors de l’audience, tant mieux… »
Par ailleurs, il est exact que cette réforme coûtera cher. Cela étant, je ne connais pas de réforme qui n’ait pas un coût. C’est vrai pour la réforme de la garde à vue, c’est vrai pour celle que je vous présente aujourd'hui : toutes deux imposeront la création de postes de magistrats et de greffiers. Je considère que le rôle du ministre de la justice est d’essayer d’obtenir les postes et les crédits nécessaires.
Pour l’heure, j’ai déjà obtenu la création d’un certain nombre de postes de magistrats et de greffiers. À cet égard, je me rendrai dans quelques jours à Dijon, à l’École nationale des greffes, afin d’installer la plus importante promotion de greffiers qui aura jamais formée dans notre pays. Je n’en fais pas un titre de gloire, mais c’est une réalité ! Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur spécial du budget de la justice d’apporter au garde des sceaux un soutien sans faille pour la création des moyens nécessaires à la mise en œuvre des réformes votées par le Parlement.
Les juridictions ne seront pas désorganisées par cette réforme. En particulier, en matière d’audiences de comparution immédiate, l’équilibre proposé par M. Zocchetto, tendant à ramener à huit jours le délai de comparution devant la juridiction avec citoyens assesseurs, permet de concilier les impératifs d’organisation avec la nécessaire célérité du jugement, tout en garantissant que la durée d’incarcération provisoire soit la plus brève possible, ce qui constitue indéniablement un progrès.
D’autres critiques tenaient au fait que les citoyens ne seraient pas suffisamment formés et ne seraient donc pas aptes à juger. Or le propre d’un citoyen est d’être un généraliste, une personne qui s’intéresse à ce qui se passe dans son pays. Si nous devions former les citoyens assesseurs pour en faire des magistrats professionnels, ils perdraient ce qui les caractérise par rapport à ces derniers, et il serait alors complètement inutile de faire appel à eux ! Il en va de même pour les jurés d’assises !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n’a dit cela !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Bien sûr que si, mais peut-être ne vous en souvenez-vous pas !
Selon le juré que j’ai déjà cité, « le point de vue extérieur, non professionnel, déconnecté des arguties juridiques ne peut jamais nuire ». Ce témoignage mérite d’être pris en compte.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les procédures en vigueur dans les cours d’assises et les tribunaux correctionnels ne sont pas les mêmes !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne reviendrai pas sur la liste des infractions qui relèveront de ce nouveau tribunal ; il s’agit là d’un bon compromis trouvé par la commission des lois, d’un ensemble cohérent articulé autour de toutes les atteintes à la personne, que j’approuve tout à fait. L’idée d’une justice de classe, avancée par certains orateurs, me semble totalement erronée. En effet, peut-on considérer que les affaires de mœurs, de violences conjugales, les abus de faiblesse ne concernent que les milieux défavorisés ?
S’agissant du champ de compétence du nouveau tribunal, monsieur Anziani, je n’ai à aucun moment déclaré que les citoyens assesseurs n’interviendraient qu’en première instance, et pas en appel. Dès l’origine, le Gouvernement a prévu de faire intervenir les citoyens dans les deux degrés de juridiction.
Concernant l’application des peines, Mmes Borvo Cohen-Seat et Tasca ont critiqué la disparition de la formation comprenant des représentants d’associations de victimes ou d’associations de réinsertion. Ceux-ci seront cependant remplacés par d’autres représentants de la société civile, les citoyens assesseurs.
S’agissant des assises, je reconnais bien volontiers que la rédaction initiale du projet de loi pouvait susciter quelques interrogations. C'est la raison pour laquelle j’ai indiqué, dès ma première audition par la commission des lois du Sénat, que j’étais ouvert à la discussion sur ce point, mon seul objectif étant de réduire la correctionnalisation des crimes.
Comme l’a très justement souligné M. Zocchetto, il existe une inégalité flagrante entre les citoyens devant la justice selon leur département de résidence. En effet, la correctionnalisation des crimes intervient plus facilement dans un département très peuplé, où la juridiction d’assises est saisie d’un grand nombre d’affaires, que dans un département faiblement peuplé. Il y a là un véritable problème.
Sur ce sujet, la commission des lois du Sénat a su élaborer un compromis, en proposant un double degré de juridiction avec six jurés en première instance et neuf jurés en appel, ce qui correspond, je le rappelle, à une préconisation émise en 1982 par le professeur Léauté.
MM. Jean-Pierre Michel et Jean-Pierre Sueur. Et alors ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je tiens à votre disposition la circulaire du garde des sceaux de l’époque, M. Badinter, soumettant cette proposition aux juridictions concernées.
M. Jean-Pierre Michel. Il avait tort !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Non, il avait raison de le faire ! Pour ma part, j’essaie aujourd’hui de mettre en œuvre la solution qui avait alors été envisagée.
M. Jean-Pierre Michel. Ajoutez « modestement » !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Très modestement, en effet ! C’est toujours cet esprit qui m’anime : qu’il s’agisse de décider le maintien de la maison d’arrêt de Lure ou d’essayer de réaliser des projets conçus par d’autres, l’important à mes yeux est que cela permette une meilleure administration de la justice !
Permettez-moi maintenant d’évoquer la justice des mineurs.
Tout d’abord, concernant le recentrage de l’action des services de la protection judiciaire de la jeunesse sur le pénal, Mme Tasca et M. Alfonsi ont tous deux regretté le désengagement des services de l’État dans le domaine de la protection de l’enfance. Je tiens à souligner que ce qu’ils appellent « désengagement » résulte de la clarification issue de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas une raison !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Comme vous le savez, ce texte a fait du président du conseil général le chef de file en matière de protection de l’enfance, le département devenant l’échelon de droit commun dans le domaine de l’intervention sociale. Dès lors, les services de la protection judiciaire de la jeunesse ont naturellement recentré leur activité sur l’intervention éducative auprès des mineurs délinquants, ainsi que sur les mesures d’investigation, tant dans le champ pénal qu’en matière d’enfance en danger.
Pour répondre à l’inquiétude exprimée par M. Alfonsi, j’indique que ce recentrage de l’action des services de la protection judiciaire de la jeunesse peut connaître des aménagements. Ainsi, dans un souci de cohérence, quand le mineur fait l’objet d’un suivi au pénal et au civil, un service de la protection judicaire de la jeunesse peut, lorsque le juge le souhaite, exercer les deux mesures.
En outre, je tiens à rappeler, madame Borvo Cohen-Seat, que la création du tribunal correctionnel des mineurs ne porte pas atteinte à la spécificité de la justice des mineurs. Son instauration respecte parfaitement la décision du Conseil constitutionnel de 2002. Nous allons même plus loin, puisque les deux conditions alternatives prévues par ce dernier devront être réunies : il s’agira d’un tribunal spécialement constitué et appliquant une procédure spécifique.
Cette juridiction, qui vise à apporter une réponse adaptée et graduée aux faits de délinquance les plus graves commis par les mineurs réitérants les plus âgés, devrait traiter environ 600 affaires, sur 30 000 décisions rendues chaque année par les juridictions pour mineurs.
Dans ce texte, nous avons fait le choix de conserver la majorité pénale actuelle en prévoyant une réponse pénale graduée en fonction de l’âge du mineur.
Pour ma part, j’étais extrêmement défavorable à une modification de l’âge de la minorité pénale, fixé à 18 ans. En effet, des conventions internationales portent sur ce point, et la majorité est fixée à cet âge par un certain nombre d’autres règles.
S’il n’était donc pas question pour moi de modifier l’âge de la majorité pénale, je souhaitais néanmoins que l’excuse de minorité n’ait pas le même poids lorsque le prévenu est âgé de 10 ans que lorsqu’il a 17 ans. La réponse pénale doit donc être graduée : tel est l’objet de la création du tribunal correctionnel des mineurs, qui répond parfaitement, je le répète, aux exigences constitutionnelles posées en matière de justice des mineurs.
Vous avez déploré, madame Borvo Cohen-Seat, que des éléments d’assistance éducative puissent être versés au dossier unique de personnalité. Pourtant, eu égard à la double compétence du juge des enfants, il importe que celui-ci connaisse le mineur dans sa globalité, afin que la cohérence de ses décisions soit renforcée.
Enfin, j’évoquerai brièvement les centres éducatifs fermés.
Je tiens tout d’abord à souligner qu’un centre éducatif fermé n’est pas une prison. C’est extrêmement différent !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Très différent ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous invite, madame la sénatrice, à venir visiter avec moi un centre éducatif fermé. Vous constaterez alors que c’est effectivement très différent d’une prison !
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’y suis déjà allée, monsieur le garde des sceaux, en compagnie d’ailleurs de M. le rapporteur ! Je n’ai pas vu la différence !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Elle est pourtant grande ! Peut-être vous faut-il effectuer une autre visite pour la constater ! Je puis vous dire que le centre éducatif fermé qui se trouve dans mon canton fonctionne bien et assure en permanence une mission de formation.
M. Yvon Collin. C’est un cas particulier !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pas du tout ! C’est parce qu’il s’agit d’une vraie réussite que je suis prêt à en ouvrir d’autres ailleurs, dans des départements largement confrontés à la délinquance des mineurs mais qui n’en sont pas encore dotés. Le centre éducatif fermé est, me semble-t-il, un bon outil.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous n’avons pas la même opinion !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Quelque 500 mineurs se trouvent actuellement en centre éducatif fermé, avec un flux entrant de 3 250 mineurs environ par an. Il existe aujourd'hui quarante-trois centres éducatifs fermés, et nous prévoyons d’en ouvrir vingt autres, en transformant certains établissements. Je pense que ces structures nous permettrons d’obtenir de bons résultats.
Tels sont les éléments de réponse que je tenais à vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs. La suite du débat me permettra de les compléter en tant que de besoin.
M. le président. Je suis saisi, par MM. Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (n° 490, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la motion. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les citoyens ne demandent pas à rendre la justice ; ils veulent qu’on la leur rende !
M. Yvon Collin. Belle formule !
M. Jacques Mézard. Vous leur attribuez, monsieur le garde des sceaux, des sentiments qui sont les vôtres, comme en témoigne cette citation figurant dans l’étude d’impact de votre projet de loi : « Les citoyens peuvent estimer que les décisions de justice ne prennent pas suffisamment en compte les évolutions de la société. » Quel camouflet pour les magistrats ! Quelle défiance à leur égard ! Sont-ils à ce point marginalisés, coupés du reste de la nation, si mal formés, si peu compétents, qu’ils soient incapables de rendre une bonne justice, donc d’appliquer la loi, et qu’il faille leur imposer la présence, dans les tribunaux correctionnels, de citoyens assesseurs ?
Citoyen ministre (Sourires), ce n’est pas un bon projet ! C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, que j’ai maintenant l’honneur de défendre devant le Sénat.
Monsieur le rapporteur, dans quelle galère s’est embarqué le grand spécialiste de la pénitentiaire que vous êtes !
M. Yvon Collin. Notre collègue est en forme ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, vous avez cité Gide ; je vous renvoie, pour ma part, à Balzac, selon lequel « se défier de la magistrature et mépriser les juges, c’est le commencement de la dissolution sociale ».
Aujourd'hui, bien davantage que le travail des magistrats, ce qui fragilise fondamentalement notre justice, c’est l’accumulation des lois et règlements que doivent appliquer les tribunaux, l’insuffisance des moyens qui leur sont alloués et la misère de l’accès au droit par l’aide juridictionnelle.
M. Jean-Pierre Michel. Bravo !
M. Jacques Mézard. La vérité est douloureuse et ressortit à une responsabilité collective : en matière de budget public alloué au système judiciaire, la France se classe maintenant au trente-septième rang sur quarante-trois pays, derrière l’Azerbaïdjan. Le budget total annuel alloué aux services judiciaires n’a augmenté, dans notre pays, que de 0,8 % entre 2006 et 2008, alors que la moyenne européenne est de plus de 17 %.
Quelle thérapie utilisez-vous pour traiter ce vrai problème ? Une inflation législative et réglementaire inégalée, axée sur des faits divers médiatisés.
La vérité, c’est que le Gouvernement submerge le Parlement de projets de loi pour modifier plusieurs fois par an notre législation pénale, créant lui-même l’insécurité juridique et, souvent, la contradiction, si ce n’est parfois l’incohérence. Il suffit d’ailleurs, pour s’en convaincre, de se reporter aux déclarations successives faites par vos prédécesseurs à cette même tribune depuis trois ans, l’arlésienne du nouveau code de procédure pénale n’étant qu’une péripétie parmi d’autres…
Suite à votre demande, monsieur le ministre, relative à l’affaire de Pornic, le 21 mars 2011, le Conseil supérieur de la magistrature vous adressait un avis dans lequel il notait l’accumulation de rapports divers depuis 2002, insistant sur le fait que « la majorité des recommandations proposées n’a pas été suivie d’effets ». Avec un certain humour, il recommandait qu’« une mission de suivi des propositions soit instituée », ajoutant que « la lutte efficace contre la récidive nécessite une stabilité législative ». Enfin, il insistait sur l’insuffisance des moyens matériels.
Stabilité législative, renforcement des moyens humains et matériels : c’est strictement l’inverse de votre politique !
Votre définition des objectifs officiellement visés est lapidaire : « Le projet de loi entend renforcer la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale. La cohésion sociale et le respect du pacte républicain ne pourront qu’en être renforcés. »
Au-delà de sa lourdeur grammaticale, le message n’est que médiatique, visant les délits qui portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population, et les décisions relatives à l’application des peines.
Soyons directs : le pays a-t-il connu un quelconque mouvement de citoyens manifestant pour la création de citoyens assesseurs ? Avons-nous été submergés de pétitions en ce sens ? Un seul syndicat de magistrats ou de membres des forces de l’ordre, un seul organisme représentatif des avocats a-t-il émis cette proposition, qui n’est pas davantage issue des travaux des assemblées ? Même le Conseil national des barreaux, le 14 mai, a demandé le report de ce projet et la mise en place d’une concertation.
Monsieur le rapporteur, vous avez auditionné en urgence et dans la solitude vingt-six personnes hors ministère. Quelle est la synthèse de leurs opinions ? Vous avez en effet indiqué dans votre rapport, à propos des jurés, que « leur présence dès le stade du tribunal correctionnel pose problème ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le moins qu’on puisse dire !
M. Jacques Mézard. La réponse, nous la connaissons tous : personne n’a demandé cette réforme ; elle est née du fait du prince, comme naquit le conseiller territorial…
Cela, nous pouvons l’entendre, car c’est une origine législative naturelle, mais nous devons rejeter la réforme projetée, car elle sera néfaste pour notre justice, source de complexité, de perte de temps et d’argent. De grâce, n’entretenez pas confusion et ambiguïté !
Qui dit vrai, monsieur le ministre ? Vous, lorsque, devant notre commission des lois, vous affirmez que l’objectif n’est pas de renforcer les sanctions et que « l’histoire montre que les sanctions prononcées par des citoyens sont plus douces que celles prononcées par des magistrats » ? Est-ce le Président de la République, quand il déclare, à l’inverse, le 31 décembre 2010, qu’il veut « protéger de la violence chaque jour plus brutale de la part de délinquants multiréitérants en ouvrant nos tribunaux correctionnels aux jurés populaires » ? Est-ce l’étude d’impact, selon laquelle il s’agit d’« éviter une érosion de la peine pour des délits graves » ? Où est la vérité entre ces trois affirmations ?
Qu’est-ce qui peut justifier le recours à la procédure accélérée pour un tel projet, l’absence quasiment totale de concertation avec les professionnels ? Certes, l’article 45 de la Constitution vous le permet, le veto de la conférence des présidents étant purement illusoire,…
M. Jacques Mézard. … mais le recours à l’urgence est fallacieux : c’est un passage en force profondément regrettable ; ce n’est pas bien, tout simplement !
Le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité est, lui, pleinement justifié, car nous considérons que votre projet est contraire à plusieurs dispositions constitutionnelles.
Tout d’abord, si le Conseil constitutionnel a déjà retenu que des non-professionnels peuvent siéger dans des juridictions répressives, il est indispensable que ce soit avec des garanties « permettant de satisfaire au principe d’indépendance ainsi qu’aux exigences de capacité qui découlent de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », ce qui fut considéré être le cas pour les juges de proximité, mais ne saurait l’être avec les dispositions que vous prévoyez pour sélectionner les citoyens assesseurs.
De façon encore plus évidente, le principe d’égalité est particulièrement malmené, les délits étant jugés par des juridictions composées de façon très différente, des ordonnances pénales sans audience à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à audience de pure forme, dont vous venez d’élargir le champ par la loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles. Le citoyen poursuivi pourra aussi être jugé, en matière de délits, par un tribunal correctionnel à juge unique ou collégial, avec trois magistrats professionnels ou avec cinq juges dont deux citoyens assesseurs.
Quel fatras procédural, qui justifierait une vraie loi de simplification, et surtout quelle remise en cause du principe d’égalité des citoyens devant la loi ! Le Conseil constitutionnel accepte que le législateur établisse une liste de délits relevant d’une procédure pénale spéciale si cette liste respecte les principes de légalité, par sa précision et sa clarté, et de proportionnalité. Ce n’est aucunement le cas de la liste prévue au nouvel article 399-2 du code de procédure pénale, dont on rappellera qu’elle commence par les homicides involontaires routiers, suivis des homicides résultant d’une agression commise par un chien – les médias se sont largement fait l’écho de tels faits divers ! –,…
M. Charles Gautier. Eh oui !
M. Jacques Mézard. … et qu’elle inclut notamment les violences urbaines, en écartant les infractions financières et économiques ainsi que les trafics de stupéfiants, considérés par vous, monsieur le ministre, comme délits non sensibles et ne portant donc pas atteinte à la cohésion sociale.
Ajoutons à cela le problème des infractions connexes, pour lesquelles l’étude d’impact révèle que 1 500 affaires relevant de la compétence d’attribution du tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs seront jugées par le tribunal correctionnel sans assesseurs, en fonction de l’existence d’infractions connexes, alors que le Conseil constitutionnel a déjà rappelé, à propos de la loi du 23 juillet 1975, que le principe d’égalité « fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ». Sans régler la question du statut du parquet, vous élargissez les possibilités, pour ce dernier, de choisir les juges !
Quant à l’expérimentation des tribunaux correctionnels citoyens dans au moins deux cours d’appels jusqu’en 2014, si vous la fondez sur l’article 37-1 de la Constitution, elle n’en est pas moins très contestable, car elle entraînera de facto une rupture d’égalité entre les justiciables : des personnes ayant commis à la même date la même infraction dans les ressorts de tribunaux différents ne seront pas jugées par la même catégorie de juridictions.
En ce qui concerne la justice des mineurs, pourquoi modifier pour la trente-cinquième fois l’ordonnance de février 1945, alors que le code pénal des mineurs est supposé être en préparation ? Dans ce domaine, monsieur le ministre, vous ne construisez pas, vous détruisez, au préjudice de nos plus grands principes !
Plusieurs points justifient pleinement le dépôt de notre motion, car le droit pénal des mineurs est strictement encadré constitutionnellement, avec la garantie de l’atténuation de la responsabilité pénale, la garantie de recherche du relèvement éducatif et la spécialisation des procédures et juridictions.
La convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants est une transposition de la mesure applicable aux majeurs que le Conseil constitutionnel, le 10 mars 2011, a censurée dans son application indifférenciée aux mineurs ; manifestement, votre projet de loi n’apporte pas de garanties suffisantes à cet égard.
Quant à la création du tribunal correctionnel des mineurs, cela constitue une brèche dans le principe de la spécialisation des juridictions. De plus, la composition de cette juridiction n’est pas conforme à ce principe, puisque le juge des enfants en sera le seul membre spécialisé. En fait, vous remplacez des assesseurs qui ne sont pas des magistrats professionnels, mais qui sont qualifiés eu égard à leur carrière et à leur expérience, par des citoyens assesseurs sans formation : c’est aberrant !
M. Alain Anziani. Très juste !
M. Jacques Mézard. Ce projet de loi est un énième texte sécuritaire qui ne veut pas dire son nom. En résumé, il est populiste, c’est un simple constat, et il malmène l’institution judiciaire, déjà terriblement fragilisée.
Or, qu’attendent les justiciables et les citoyens ? Une justice accessible à tous et égale pour tous, sur l’ensemble du territoire national, une justice plus rapide en matière civile et administrative, et une législation stable.
Qu’apporte ce nouveau projet ? Aucune réponse à ces attentes, bien au contraire : des délais allongés, des coûts supplémentaires non financés.
Il faut mettre fin à cette spirale négative de textes disparates, contradictoires, à cette absence d’une vraie politique pénale.
Les quelques exemples suivants sont révélateurs de la gravité de cette insécurité juridique créée par le législateur.
L’affaire d’Outreau a débouché sur la loi du 5 mars 2007, votée à l’unanimité, créant les pôles de l’instruction. Depuis, par deux amendements de cavalerie insérés au dernier moment, vous avez repoussé l’application de ce texte. L’exécutif a annoncé en janvier 2009 une vaste réforme de la procédure pénale incluant la suppression du juge d’instruction, en évoquant la suppression des jurys d’assises : aujourd’hui, on nous propose strictement l’inverse !
Monsieur le ministre, votre prédécesseur avait annoncé et mis en ligne sur internet un nouveau code de procédure pénale ; il s’est évaporé – je parle du texte ! (Sourires.)
Ces dernières années a été développée la compétence du juge unique, des conseillers rapporteurs, afin d’alléger les procédures, de les accélérer. Aujourd’hui, opérant un virage à 180 degrés, vous renforcez la collégialité,…
M. Jacques Mézard. … alors que vous venez d’élargir le champ de l’ordonnance pénale et de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Vous avez développé la procédure de la comparution immédiate pour abréger les délais de jugement, alors que, par ce texte, vous la rendez plus complexe et moins respectueuse des droits du prévenu.
Autre exemple : les juridictions de proximité furent mises en place en 2002 ; dès 2008, vous avez supprimé quantité de tribunaux d’instance au mépris de la proximité. Voilà quelques semaines, vous avez fait voter ici même la suppression des juridictions de proximité, en conservant des juges de proximité, destinés, monsieur Détraigne, à suppléer les magistrats professionnels dans les tribunaux correctionnels ; aujourd’hui, vous expulsez pratiquement ces juges de proximité des tribunaux correctionnels, pour y mettre des citoyens assesseurs : quelle incohérence !
La protection judiciaire de la jeunesse est dans une situation difficile en termes de moyens : votre réponse à cette situation, c’est la création du tribunal correctionnel des mineurs.
L’application des peines est un secteur en grande difficulté. Vous le savez, monsieur le ministre, vous qui aviez déclaré qu’exécuter des peines était pour vous un objectif prioritaire. Votre réponse, c’est d’installer des citoyens assesseurs dans des tribunaux de l’application des peines, à seule fin d’affichage médiatique, pour un coût évalué à 40 millions d’euros. Quel gâchis !
Ce projet, hors de la logique juridique, j’allais dire du simple bon sens, n’aboutira qu’à fissurer un peu plus notre justice, alors que, pour la conforter, tant dans son fondement que dans son appropriation par l’ensemble de nos concitoyens, la bonne politique est, à nos yeux, de faire moins de lois, et de prévoir plus de moyens. La bonne politique, c’est d’en changer, car rendre la justice au nom du peuple français ne saurait s’accommoder d’un populisme par essence médiocre. Le vote de notre motion y fera échec : je vous invite, mes chers collègues, à l’adopter ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je répondrai rapidement aux arguments subjectifs, avant d’en venir aux arguments d’inconstitutionnalité.
On nous a d’abord dit que ce projet de loi serait une marque de méfiance à l’égard des magistrats.
M. Charles Gautier. C’est vrai !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Très honnêtement, je ne le crois pas,…
M. Charles Gautier. Mais si !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … pour les raisons qui ont été exposées tout à l’heure : bien imprudent qui penserait pouvoir déterminer lesquels, des magistrats ou des citoyens assesseurs, seront les plus sévères. Cela variera certainement en fonction des situations. En tout cas, aux assises, les jurés semblent plutôt faire preuve d’une plus grande indulgence que les magistrats.
Par ailleurs, la stigmatisation de tel ou tel juge de l’application des peines dans des affaires de libération conditionnelle ayant débouché sur une récidive tout à fait horrible et inacceptable m’a semblé injuste. Je suis convaincu que lorsque des citoyens assesseurs seront présents auprès de ces magistrats, on n’entendra plus les mêmes critiques. En outre, le citoyen assesseur étant à mon sens tout à fait capable de comprendre l’utilité de la libération conditionnelle, son intervention ne limitera pas le recours à cette mesure.
Vous avez également prétendu, monsieur Mézard, que cette réforme trouverait son origine dans la seule imagination du Gouvernement et que nul ne l’aurait prônée auparavant. Or de grandes organisations représentatives des magistrats, notamment le Syndicat de la magistrature, appelaient depuis longtemps de leurs vœux une participation des citoyens dans les tribunaux correctionnels, souhait que partagent bon nombre de nos collègues parlementaires, quelle que soit leur sensibilité politique. En particulier, M. André Vallini s’est déclaré plutôt favorable à une association plus large des citoyens à l’expression de la justice pénale.
Je m’attarderai un peu plus longuement sur les arguments d’inconstitutionnalité qui ont été évoqués, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ayant fondamentalement pour objet de mettre en cause la conformité d’un texte à la Constitution.
S’agissant de la question des garanties d’indépendance présentées par les non-professionnels appelés à siéger dans des juridictions répressives, que notre collègue Jacques Mézard a abordée, j’observe que l’article 1er du projet de loi prévoit un certain nombre de filtres destinés à assurer l’impartialité des citoyens assesseurs.
Ainsi, la commission départementale, qui existe d’ores et déjà et réunit des magistrats, des conseillers généraux et le bâtonnier de l’ordre des avocats, examinera la situation des personnes et pourra procéder ou faire procéder à leur audition avant leur inscription sur la liste annuelle. Avant d’exercer leurs fonctions, les citoyens assesseurs prêteront serment de bien et fidèlement remplir celles-ci. En outre, ils pourront être récusés dans les mêmes conditions que les magistrats. Par ailleurs, le citoyen assesseur qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir pourra être remplacé. Il me semble donc que le projet de loi prévoit, en la matière, des garanties non négligeables.
De plus, j’attire l’attention sur le fait que les citoyens assesseurs seront minoritaires au sein de la formation de jugement, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel formulée dans sa décision du 20 janvier 2005. Il en va tout à fait autrement pour les cours d’assises, où les jurés peuvent être majoritaires, pour des raisons que j’ai développées au cours de la discussion générale.
S’agissant de la question de l’égalité des citoyens devant la justice, notre collègue fait probablement référence au recours à l’expérimentation prévu par le projet de loi.
Le recours à l’expérimentation en matière de libertés publiques est désormais possible, je le rappelle, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution. Cet article dispose en effet que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités – c’est bien le cas ici –, des dispositions à caractère expérimental ».
En outre, il ressort clairement des travaux parlementaires préparatoires que l’intention du constituant était d’autoriser le recours à l’expérimentation dans le domaine des libertés publiques.
Je le concède, le recours à l’expérimentation en matière pénale ne fait pas partie de nos traditions républicaines. Pour autant, notre Constitution l’autorise bel et bien désormais. En l’espèce, cette démarche permettra de mieux évaluer les éventuelles difficultés de mise en œuvre de la réforme avant de procéder à sa généralisation, si le Parlement le souhaite, en 2014. Cela me paraît, de surcroît, aller dans le sens d’une bonne administration de la justice.
J’ajoute enfin qu’en aucun cas il ne sera porté atteinte aux droits essentiels de la défense, en particulier au droit de tout accusé de bénéficier d’un procès juste et équitable.
S’agissant maintenant de la spécificité de la justice des mineurs, il me semble que le projet de loi, tel qu’il a été modifié par la commission des lois, s’inscrit pleinement dans le cadre des principes dégagés par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, le tribunal correctionnel des mineurs devra être présidé par un juge des enfants. Les débats auront lieu devant lui selon le principe de publicité restreinte, et les magistrats composant cette juridiction seront invités à prononcer en priorité des mesures éducatives, conformément au principe de primauté de l’éducatif sur le répressif. On retrouve là des dispositions de l’ordonnance de 1945 qui ont été constitutionnalisés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et auxquelles nul ne songe à porter atteinte.
Les procédures rapides de poursuite, notamment la convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants et la présentation immédiate, ne pourront être mises en œuvre que lorsque des investigations approfondies et récentes auront été réalisées à la demande du juge des enfants, et non au seul vu du recueil de renseignements socio-éducatifs, le RRSE. Sur ce point, la commission des lois a souhaité prendre des précautions supplémentaires, eu égard à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi LOPPSI 2.
Le dossier unique de personnalité sera tenu et conservé dans des conditions permettant de garantir la confidentialité des informations qu’il contient et, ainsi, de préserver la vie privée du mineur. Des amendements portant sur l’avenir de ce document ont été déposés ; la commission des lois y est plutôt favorable.
Enfin, les dispositions du projet de loi relatives au contrôle judiciaire s’inscrivent pleinement dans le cadre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui considère, je le rappelle, que cette mesure est susceptible, dans certains cas, de jouer un rôle dans le relèvement éducatif et moral des intéressés.
Pour l’ensemble de ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, de rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage très largement les observations formulées par M. le rapporteur.
Je le confesse, monsieur Mézard, je préfère Gide à Balzac ! C’est ainsi ! Il est assez paradoxal qu’un admirateur de Balzac tel que vous m’ait qualifié de « citoyen ministre » : on ne peut pas à la fois aimer l’écrivain de la bourgeoisie et vouloir lui couper la tête ! (Sourires.)
M. Charles Gautier. « Ci-devant ministre » !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. S’agissant du classement international que vous avez évoqué, qui place la France derrière l’Azerbaïdjan, j’essaie modestement, dans les fonctions qui sont les miennes, de faire progresser notre pays. S’il est vrai que la France ne figure pas au premier rang dans certains domaines, elle occupe toutefois la première place pour ce qui concerne l’accessibilité de la justice. Il faut tout de même aussi rappeler cette vertu de la justice française ! On se complaît volontiers à dire que tout va mal, mais nous devrions nous réjouir que notre justice soit gratuite, notamment en matière de contentieux familial. Il nous faut conserver ce petit trésor, ce qui n’est pas forcément évident. Il serait bon de souligner plus souvent cette caractéristique, qui doit être mise au crédit de notre service public de la justice.
Par ailleurs, monsieur Mézard, ce texte ne constitue nullement une marque de défiance envers les magistrats ! Depuis que j’ai été nommé garde des sceaux, je n’ai cessé de leur rendre hommage et de souligner à quel point leur métier est difficile. Juger est extrêmement difficile, et pour ma part je ne me sens pas capable d’être magistrat…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous jugerez en tant que citoyen !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne refuserais pas, le cas échéant, d’être juré ou assesseur. Cela étant, c’est pour l’heure impossible, ma fonction actuelle constituant une cause de récusation légale. Je parle donc pour l’avenir !
Je le répète, je soutiens les magistrats, qui exercent sans laxisme un métier très difficile. Mon rôle est notamment d’aider à l’aménagement des peines, qui constitue l’une des caractéristiques positives et dignes d’être saluées de notre justice. Particulièrement dans la période actuelle, il me semble utile de rappeler que, dans notre pays, il est tenu compte de la façon dont la peine est exécutée et il est possible d’aménager celle-ci. Les magistrats le font très bien.
Associer des citoyens aux magistrats professionnels constitue, je le crois, un vrai progrès. Certes, monsieur Mézard, personne n’a défilé dans les rues pour demander la création de citoyens assesseurs ! De la même manière, lorsque je me suis rendu à Aurillac, je n’ai vu aucune manifestation populaire en faveur du maintien de la prison, qui a pourtant été décidé ! Certaines choses doivent être faites sans qu’elles aient été demandées par les citoyens ! C’est la grandeur de notre rôle que de prendre des initiatives !
La participation des citoyens aux formations correctionnelles permettra de développer l’oralité des débats, ce qui représentera, me semble-t-il, une évolution positive. Cela permettra à l’accusé et à la victime de mieux comprendre le procès et les motivations du jugement, et d’en tirer les conséquences.
Enfin, j’ai veillé personnellement à ce que les dispositions constitutionnelles, notamment toutes les décisions du Conseil constitutionnel, en particulier celles du 20 janvier 2005, du 3 septembre 1986 et du 23 juillet 1975, soient respectées. De la même façon, s’agissant de la justice des mineurs, je me suis assuré du respect des décisions du 29 août 2002 et du 10 mars 2011. Si des points restent à améliorer à cet égard, je suis tout disposé à écouter le Sénat.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite moi aussi à rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, j’aime à la fois Gide et Balzac, et même Sartre ! (Sourires.)
Je soutiens la motion qui a été défendue par M. Mézard.
En matière d’égalité devant la justice, il me semble que vous avez écarté un peu vite, monsieur le garde des sceaux, le problème posé non seulement par l’expérimentation, mais aussi par l’existence de cinq formations correctionnelles différentes, qui soulèvera tout de même des difficultés.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la justice des mineurs, monsieur le garde des sceaux, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011, évoque en effet, avec la prudence qu’on lui connaît, des juridictions spécialisées et des procédures spécifiques, j’estime pour ma part, à l’instar de notre collègue Jacques Mézard, que votre projet de loi remet en cause les unes et les autres. Cette question devra sans doute être tranchée par le Conseil constitutionnel, à moins que vous n’entendiez dès à présent nos observations. Votre argument selon lequel les deux conditions posées par le Conseil constitutionnel ne sont pas cumulatives n’est pas recevable.
Première condition, les mesures concernant les mineurs doivent être « prononcées par une juridiction spécialisée ». Or la simple présence du juge des enfants dans la composition du tribunal correctionnel des mineurs ne suffit pas à faire de celui-ci une juridiction spécialisée.
La spécialisation du juge des enfants tient en effet à la spécificité de son mode d’intervention. Or cette spécificité n’apparaîtra plus lorsqu’il siégera au sein du tribunal correctionnel des mineurs. D’ailleurs, lorsque des juges des enfants sont conduits, comme cela leur arrive, à siéger au sein de certains tribunaux, ceux-ci ne deviennent pas pour autant des juridictions spécialisées ! En outre, confier au juge des enfants la présidence du tribunal correctionnel des mineurs, comme le propose M. le rapporteur, ne constitue nullement une garantie, dans la mesure où il ne disposera pas d’une voix prépondérante.
Il s’agit plutôt, en l’espèce, d’une neutralisation du juge des enfants, puisque son mode d’intervention ne sera plus celui que prévoit la justice des mineurs, d’autant qu’est proposée la suppression de la procédure de convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le juge des enfants aux fins de jugement. Il ne peut être recouru à cette procédure que dans les hypothèses où il existe, à l’encontre du mineur, des charges suffisantes. Cette solution est choisie par le procureur de la République dans le cas d’affaires simples, destinées à être jugées par le juge des enfants sans que des interrogations supplémentaires soient nécessaires à la recherche de la vérité. Le fait qu’il s’agisse d’une convocation à comparaître devant un juge des enfants est fondamental, car cela signifie que la convocation par officier de police judiciaire ne pourra en aucun cas déboucher sur le prononcé d’une sanction pénale. Or le dispositif proposé prévoit, je le répète, la suppression de cette procédure. En conséquence, ce projet de loi ne satisfait pas à l’exigence de spécialisation de la juridiction compétente pour juger les mineurs.
La seconde condition posée par le Conseil constitutionnel est que les mesures concernant les mineurs devront être prononcées « selon des procédures appropriées ».
L’article 17 du projet de loi tend à inscrire dans l’ordonnance du 2 février 1945 un nouvel article 8-3 autorisant le procureur de la République à faire convoquer par un OPJ un mineur de 13 ans directement devant le tribunal pour enfants. Il est prévu de transposer la même procédure au tribunal correctionnel des mineurs.
Les renseignements de personnalité exigés par la loi pourront se résumer à un simple recueil de renseignements socio-éducatifs, lequel résultera non pas d’une investigation, mais seulement d’une enquête rapide, qui ne permettra pas de prendre des mesures adaptées au parcours et à la personnalité du mineur concerné. La procédure prévue ne revêt donc pas le caractère de spécialisation requis.
Avec d’autres, je considère par conséquent que, du double point de vue de la composition de la formation et de la procédure applicable, le dispositif proposé n’est pas conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une du groupe UMP, l'autre du groupe du RDSE.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 215 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (n° 490, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Robert Badinter, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Robert Badinter. Mes chers collègues, c’est avec raison que M. le garde des sceaux a affirmé, tout à l’heure, son soutien à la magistrature et son estime pour les magistrats.
En effet, on ne saurait trop rappeler, à l’intérieur de nos frontières comme à destination de l’étranger, à quel point la magistrature française assume une fonction essentielle et avec quel courage elle s’en acquitte, compte tenu des difficultés auxquelles elle doit faire face. À cet égard, monsieur le garde des sceaux, il est bon que votre voix se fasse entendre.
Sur le fondement de ce constat, je considère que votre projet de loi va à l’encontre des intentions mêmes que vous exprimez.
J’appartiens au paysage judiciaire depuis près de soixante ans. Or, je vous le dis franchement : je n’avais jamais connu un pareil malaise au sein de la magistrature française !
L’analyse conduit à trouver deux causes à ce malaise.
La première réside dans le manque de moyens dont, nous le savons tous, souffre la magistrature, face à l’inflation toujours croissante des affaires et des tâches qui lui incombent.
La seconde tient au sentiment que la magistrature éprouve à juste titre de ne pas bénéficier, de la part non seulement des justiciables – cela, elle y est habituée –, mais aussi des plus hautes autorités de l’État, de la considération qu’elle mérite. Elle ressent cruellement cette situation. Certains propos désinvoltes, évoqués tout à l’heure avec talent, d’autres condescendants, certaines accusations malvenues, l’ont profondément blessée.
Je pense que la priorité, aujourd’hui, est de remédier à ce profond malaise. Or je regrette de devoir vous dire, monsieur le ministre, que votre projet ne va nullement dans ce sens.
Comme M. Mézard l’a très bien rappelé, personne, dans le monde judiciaire, ne réclamait cette réforme. Qu’elle ait pu être évoquée ici ou là, je l’admets : l’imagination est toujours au pouvoir, surtout, de façon générale, au sein du Syndicat de la magistrature, mais je ne pense pas que ce soit de ce côté-là que le Président de la République trouve ordinairement son inspiration…
Quoi qu’il en soit, pour bien connaître le monde judiciaire, je n’ai jamais remarqué, dans aucun colloque, dans aucune revue, dans aucune motion d’avocats, de magistrats ou d’auxiliaires de justice de quelque ordre que ce soit, que l’on ait réclamé la création du dispositif que vous proposez.
De quoi, au juste, s’agit-il ? D’une formule inédite de participation à la décision judiciaire que vous avez appelée d’un nom qui fleure bon les temps anciens de la grande Révolution : les « citoyens assesseurs »… Je ne me souviens pas que l’on ait, depuis fort longtemps, appelé « citoyen » quiconque détenant un pouvoir institutionnel ! Peut-être, ma mémoire fléchissant, me rappellera-t-on qu’en 1848 on parla, brièvement d’ailleurs, du citoyen-président Dupin…
Quelles que soient les dénominations, votre « citoyen- assesseur » est un être singulier : hybride, il n’est ni un juré, ni un échevin.
Il n’est pas un juré, parce que le propre du juré, comme son nom l’indique, est d’appartenir à un jury, et que le propre du jury – notre tradition à cet égard est constante depuis fort longtemps, au point d’être devenue un principe fondamental de notre justice – est de détenir un pouvoir de décision.
Cet état de choses a été conservé à travers toutes les variations successives, et ce principe toujours respecté : en définitive, les jurés peuvent s’opposer à toute demande qu’ils estimeraient infondée, en faisant jouer une minorité de blocage.
Aussi n’est-il pas de jurés sans pouvoir de décision ; or vos « citoyens assesseurs » n’en auront aucun… Si vous voulez leur donner un pouvoir de décision « citoyen », il faut prévoir le recours à la majorité qualifiée. Mais vous ne le proposez pas, puisque, dans les tribunaux correctionnels, il y aura trois magistrats et deux citoyens assesseurs.
Dans ces conditions, quelle sera la valeur ajoutée des citoyens assesseurs ? À quoi vont-ils réellement servir ?
Vous me répondrez que leur valeur ajoutée tient à la connaissance qu’ils auront de l’opinion publique, à ce fameux bon sens populaire qu’on leur prête volontiers…
Certes, mais cette vertu-là pourrait aussi bien être mise à profit à l’ensemble des niveaux de l’acte juridictionnel. Or, à ces citoyens assesseurs, vous reconnaissez non pas une compétence générale, mais seulement une compétence limitée, spécifique, que M. le rapporteur a souhaité élargir – je comprends pour quelles raisons, mais je le préviens tout de suite que je ne le suivrai pas, car les délits en matière d’environnement sont souvent extraordinairement complexes.
Les citoyens assesseurs sont cantonnés à un domaine spécifique qui exclut toutes les matières tenues pour difficiles, comme les infractions dans le domaine fiscal, les infractions de corruption ou la délinquance internationale organisée.
Alors, je vois bien l'argument : il faut exclure de leur champ de compétence les affaires qui nécessitent des connaissances juridiques et de l’expérience. Mais, monsieur le garde des sceaux, permettez-moi d’inverser les termes de la question : les magistrats éminents qui jugent des affaires complexes sont parfaitement à même de juger des affaires simples ; si celui qui est appelé à juger une affaire simple n'est pas toujours à même de juger une affaire complexe, l'inverse n'est pas vrai, en vertu du principe selon lequel celui qui peut le plus peut le moins. Ainsi, les magistrats capables de juger l’affaire Clearstream seraient tout à fait capables de juger ces voyous dont vous voulez confier en partie le sort aux citoyens assesseurs.
Par conséquent, cette réforme ne répondait pas à une nécessité.
Dans ces conditions, quelle est sa raison d'être, sachant que ce n’est pas la magistrature qui a réclamé ce renfort inédit ? Vous expliquez vouloir associer le peuple aux jugements. Ce n'est pas exact. Ce l’est d'autant moins que, dans votre texte initial, vous aviez prévu, monsieur le garde des sceaux, de réduire comme jamais cela ne s'est fait dans l'histoire de la justice française les pouvoirs des jurés ! Aussi extraordinaire que cela paraisse – et malgré la correctionnalisation judiciaire –, vous aviez prévu de confier 80 % des affaires criminelles à une cour d'assises non pas light, mais anorexique, formée de deux jurés et de trois magistrats. En réduisant à néant le pouvoir de décision des jurés, pouvoir essentiel propre à la cour d’assises, vous dénaturiez celle-ci et vous faisiez s’effondrer le principe du jury populaire. À cet égard, je salue la résistance qu’a, à juste titre, opposée la commission des lois à ce projet, dont je ne suis d’ailleurs pas certain qu’il n’eût pas été censuré par le Conseil constitutionnel.
Aussi, comment pouvez-vous maintenant évoquer devant nous la confiance que vous faites aux citoyens pour juger des affaires ?
J’ouvre ici une parenthèse pour formuler une remarque à l'attention de M. le rapporteur : les « six plus trois », j'ai connu cela tout à fait au début de ma carrière ; coïncidence malheureuse, c'est la formule qu'avait adoptée le régime de Vichy… Afin d’éviter ce rappel historique, dont je ne prétends aucunement qu’il vous ait inspiré de quelque façon que ce soit, monsieur le rapporteur, retenons plutôt « sept plus trois ». Cela ne changera rien.
J’en reviens à mon propos principal.
Monsieur le garde des sceaux, ne prétendez pas que vous avez foi en la justice des citoyens, alors même que vous aviez envisagé d’éradiquer l'essentiel du pouvoir des jurés citoyens, ou plus exactement des citoyens qui sont jurés.
Quelle est la valeur ajoutée de cette réforme ? Elle est nulle pour le fonctionnement de la justice. Je puis au contraire vous assurer que vous allez accabler celle-ci d’un nouveau fardeau, alors même que les magistrats des juridictions correctionnelles sont déjà submergés par la masse des affaires à juger !
Il faudra non seulement sélectionner ce que vous appelez les citoyens assesseurs, mais encore leur assurer un minimum de formation.
Il faudra, c'est indispensable, tenir compte du principe de l'oralité des débats.
Il faudra, c'est nécessaire compte tenu de la mixité de la procédure, permettre à ces citoyens assesseurs d’accéder au moins partiellement au dossier d'instruction, ce qui n'est pas le cas en cour d'assises, en raison de la pure oralité des débats.
Il faudra, ce qui n'est pas indifférent, leur permettre de poser des questions – et j’imagine déjà les avocats déposer des conclusions tendant à démontrer que le citoyen assesseur a manifesté son opinion.
Il faudra les associer au délibéré. À cet égard, je n’ai pas manqué de noter que votre projet de loi prévoit que, désormais, un délibéré interviendra au terme de chaque affaire. Je puis vous dire que cela ne facilitera pas la tâche de la justice. Je puis vous assurer que les audiences, qui se tiennent déjà souvent nuitamment, s'en trouveront encore prolongées. Je puis vous garantir que le nombre d'affaires traitées par audience – je ne parlerai jamais de productivité ou de rendement – va diminuer.
Différant ainsi les délais de comparution, vous allongerez la durée de la détention provisoire dans l’attente du jugement. Vous accroissez les charges de la justice au moment même où celle-ci succombe : telle est la conséquence de ce choix, choix dont la seule valeur est médiatique, je n'ose même pas dire politique, choix qui permet d’affirmer, avec un mouvement de menton, que la justice est rendue au nom du peuple, qu’on restitue au peuple sa fonction consistant à rendre la justice. Allons donc ! Laissons ces slogans de côté, et attachons-nous à la vérité : alors que la magistrature n'en peut plus, on va lui assigner de nouvelles tâches parfaitement inutiles ! Voilà pour ce qui est de l'économie de la justice.
J’en viens maintenant au second aspect des choses. J'ai dit que, en réalité, ces citoyens assesseurs n’étaient pas des jurés ; ils ne sont pas non plus des échevins.
Les échevins sont sélectionnés par l'élection, la formation, la compétence ou la spécialité. Il n'en est rien ici. On nous dit que les futurs assesseurs passeront des tests, répondront à des questionnaires, devront satisfaire à certains critères. Pour s’assurer de quoi ? On va s'assurer, ce qui est bien normal, qu’ils ont la qualité d'électeur. Mais comment va-t-on faire pour s'assurer non pas qu’ils sont compétents, mais qu’ils présentent toutes les garanties de moralité ? Recourra-t-on à des rapports de police, mènera-t-on des enquêtes auprès du voisinage, des employeurs ? Je ne suis pas certain que les citoyens assesseurs apprécieront !
Monsieur le garde des sceaux, comment s’assurera-t-on que les citoyens assesseurs présenteront toutes les garanties d'objectivité ou d'impartialité ? Cela fait bien longtemps que cette question se pose au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L'impartialité, très clairement, commande de ne pas juger l’un de ses proches. Pour le reste, il s’agit d’une vertu ; seules, s’agissant des magistrats, la formation professionnelle et la conscience qu’ils ont de leur état et de leurs devoirs peuvent permettre d’espérer qu’elle prévaudra. Qu’en sera-t-il avec les futurs citoyens assesseurs ?
Vous allez remplacer par ces citoyens assesseurs tirés au sort de véritables échevins, des assesseurs qui, dans leur domaine, présentent toutes les garanties, qu’ils siègent dans les tribunaux pour enfants ou dans les cours d’appel, s’agissant de l'exécution des peines. On sait qui ils sont et la manière dont ils sont sélectionnés offre toutes les garanties.
En revanche, est-ce en plaçant, dans le tribunal correctionnel des mineurs, auprès de deux magistrats ordinaires non spécialisés – et non plus un seul, grâce au président de la commission, comme cela était initialement prévu –, deux citoyens assesseurs, que vous comptez faire progresser les juridictions pour mineurs et respecter, ce qui est fondamental, leur spécialité ? Remplacer les assesseurs spécialisés dans le domaine de l'enfance par des citoyens assesseurs tirés au sort après un vague contrôle, à défaut de pouvoir faire mieux, constituera-t-il réellement un progrès ? Considérez-vous que vous respectez ainsi la spécificité profonde du droit des mineurs ? Pensez-vous que la magistrature ressentira cette mesure comme une aide ? Pensez-vous que cette réforme dissipera le malaise profond que celle-ci éprouve ?
Monsieur le garde des sceaux, vous êtes un homme de bon sens et vous savez bien ce qu’il en est. Qu’annonce cette juridiction ? Je ne vous donne pas rendez-vous, je le lirai plus tard dans les journaux. On commence par créer une juridiction compétente pour les mineurs de 16 à 18 ans, puis, dans la foulée, on élargit cette compétence. Dans le passé, on a connu plusieurs exemples d'institutions dont on nous disait d'un ton badin que leur création n’avait qu’une vocation limitée, expérimentale, et ne devait susciter aucune crainte. Au final, elles ont enflé, enflé, jusqu’à avoir toujours plus de pouvoir.
Je vous le dis clairement : vous ouvrez une brèche désastreuse au regard de la spécificité constitutionnelle et conventionnelle de la justice des mineurs. Ce projet de loi est un mauvais texte, qui intervient à un mauvais moment eu égard à l’état d’esprit actuel de la magistrature. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il est bien inconfortable pour moi de devoir répondre à notre collègue Robert Badinter, pour lequel chacun, dans cet hémicycle, éprouve admiration et estime.
Puisqu’il le faut bien, je vais néanmoins m’y essayer. Pour cela, j’invoquerai non pas Gide ou Balzac, comme certains l’ont fait, mais Alexis de Tocqueville, qui écrivait ceci dans De la démocratie en Amérique : « Le jury, qui semble diminuer les droits de la magistrature, fonde donc réellement son empire, et il n'y a pas de pays où les juges soient aussi puissants que ceux où le peuple entre en partage de leurs privilèges. »
La présence de représentants du peuple au sein des juridictions, loin de porter atteinte aux prérogatives des magistrats, est donc une manière, au contraire, d'affirmer leur autorité.
Je partage bien des propos tenus par M. Badinter, notamment sur la considération due aux magistrats. À cet égard, notre assemblée, me semble-t-il, n'a jamais failli, peut-être parce que ses membres, depuis déjà de nombreuses années, ont multiplié les stages dans les juridictions, ce qui leur a permis de se rendre compte des difficultés auxquelles les magistrats sont fort souvent confrontés. Au cours des auditions auxquelles j’ai procédé en tant que rapporteur de différents textes, combien de fois n’ai-je pas entendu des représentants d’organisations syndicales de magistrats affirmer que le Sénat appréhendait la situation de la magistrature différemment de l’Assemblée nationale ? Il m'est ainsi arrivé à de nombreuses reprises de conseiller à nos collègues députés d’effectuer eux aussi de tels stages.
Monsieur le garde des sceaux, la réforme que vous nous proposez aujourd’hui pourrait être un moyen de renforcer l’image des magistrats au sein de l'opinion.
Dans mon département du Nord, il existe une association des anciens jurés de la cour d'assises de Douai, à l’assemblée générale de laquelle je participe chaque année.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Très régulièrement, elle organise des conférences ouvertes à tous, au cours desquelles ses membres expriment leur fierté d'avoir été jurés, leur compréhension de la situation de notre justice. De fait, ils sont des instruments de réconciliation de celle-ci avec nos concitoyens.
Réconcilier nos compatriotes avec leur justice, c'est un peu le pari que nous faisons avec la réforme proposée. On peut certes nous objecter que les citoyens assesseurs, qui seront minoritaires au sein des formations correctionnelles, risquent fort d’être des assesseurs alibis. Mais c’est le Conseil constitutionnel lui-même qui impose que les juridictions pénales, hors cours d’assises, comprennent une majorité de magistrats professionnels.
Il ne faut pas non plus se tromper sur le sens à donner à la présence du citoyen assesseur dans les formations correctionnelles. Nous ne demandons pas plus à celui-ci qu’au juré d’avoir les compétences d’un magistrat professionnel. D’ailleurs, comment pourrait-il y parvenir ? Nous lui demandons d’avoir un autre regard, celui du citoyen. Je ne prétends certes pas que les magistrats soient dépourvus de bon sens, mais il peut parfois être utile de confronter celui du citoyen à la science juridique. Il me paraît tout à fait erroné d’opposer citoyens et magistrats. L’institution judiciaire tout entière tirera profit de la présence de citoyens en son sein.
Bien sûr, nous comprenons les inquiétudes qui se sont exprimées, notamment en ce qui concerne les moyens. De ce point de vue, monsieur le garde des sceaux, vous avez déjà annoncé avoir obtenu des moyens supplémentaires. Nous serons d’une extrême vigilance sur ce sujet. Bien qu’ils demeurent insuffisants, les crédits consacrés à la justice ont néanmoins augmenté dans une mesure importante, notamment depuis 2002 : je n’oserais même pas rappeler quelle part du budget était consacrée à la justice voilà quinze ou vingt ans ! Certes, les pourcentages de hausse ne sont pas significatifs, car nous partions de trop bas, mais nous serons sans doute tous d’accord pour reconnaître que nous devrons encore accroître les crédits de la justice si nous voulons que la situation française se rapproche de celle des pays voisins à cet égard.
Enfin, je le rappelle, la participation de citoyens assesseurs sera d’abord expérimentale. La généralisation du dispositif, proposée dans le projet de loi, exigera une nouvelle intervention du législateur, qui se déterminera en fonction des résultats de l’expérimentation.
Pour l’heure, la commission des lois, considérant que les précautions nécessaires ont été prises, invite le Sénat à rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’indique simplement que je partage l’opinion de M. le rapporteur. Je répondrai à M. Badinter au fil de la discussion des articles.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 216 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
Nous en sommes parvenus à l’examen de la dernière motion.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, d'une motion n°155.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (n° 490, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut engager la procédure accélérée pour l’examen d’un texte qui tend à modifier en profondeur l’organisation judiciaire de notre pays ! On ne peut non plus exiger des parlementaires un travail au rabais sur un texte quelque peu brouillon, pour lequel ce passage en force ne s’explique que par l’approche de l’échéance présidentielle.
Nous venons d’être invités par la commission des lois à visiter, les 23 et 26 mai prochains, plusieurs établissements pénitentiaires pour mineurs, ainsi que des centres éducatifs fermés, dans le cadre du groupe de travail sur l’évaluation de ces structures. Le bon sens dicterait d’attendre de connaître les conclusions de ce groupe de travail avant de durcir encore le traitement pénal de la délinquance juvénile.
Mais si le bon sens avait présidé à la rédaction du présent texte, il vous aurait amenés à constater sa précarité et l’impossibilité de le mettre en œuvre. Pour notre part, ce qui nous étonnerait aujourd’hui, c’est que vous sachiez préférer le bon sens aux impératifs de communication qui guident certaines de vos stratégies de campagne.
Ce texte, paraît-il, vise à faire en sorte que justice soit rendue « au nom du peuple français », alors même que vous vous attachez depuis un certain temps à mettre en place une justice à deux vitesses. Une telle flatterie pour un peuple que le Président de la République dit écouter, mais dont il ne tient pas compte, est bien lâche, et la manipulation sémantique est encore une fois bien trop grossière pour passer inaperçue.
En effet, ni M. Woerth ni Mme Bettencourt ne pourront être jugés par des citoyens tirés au sort, puisque vous avez pris la précaution d’exclure les délits économiques et financiers du champ des délits concernés.
Le véritable enjeu, en réalité, est de faire en sorte que la justice soit faite pour tous, et non pas qu’elle soit faite par tous.
Nous ne sommes évidemment pas contre l’association des citoyens à l’élaboration des décisions de justice. Un système d’organisation judiciaire tel que l’échevinage, dans lequel les affaires sont entendues et jugées par des juridictions composées à la fois de magistrats professionnels et de personnes issues de la société civile, élues par des organisations professionnelles ou syndicales, était une option viable.
Une réforme d’une telle ampleur justifierait la mise en place d’un certain nombre de modalités pratiques, par exemple prévoir du temps pour que les citoyens assesseurs prennent connaissance des éléments du dossier. Or il n’en sera rien, eu égard au volume des affaires traitées quotidiennement par les tribunaux correctionnels, d’autant que votre seule ambition, en introduisant ces jurés dans les formations correctionnelles, est qu’ils vous servent de contre-pouvoir aux juges, considérés comme trop laxistes.
Le pendant indissociable du principe selon lequel la justice est rendue au nom du peuple français est celui de l’égal accès à la justice pour tous.
Est-ce au nom d’une justice rendue au nom du peuple français que vous avez supprimé arbitrairement tant de tribunaux, au détriment encore une fois de ce second principe ? Faut-il rappeler qu’il y a en France environ neuf juges du siège pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de vingt et un ?
À l’aune des multiples réformes de la justice pénale intervenues ces dernières années, les professionnels manquent non pas d’outils juridiques répressifs, mais plutôt de moyens pour exercer correctement leur métier et mettre à exécution les décisions.
Bien que l’expérimentation soit désormais possible dans le champ des libertés publiques, il apparaît quelque peu surprenant que le domaine de la justice puisse être concerné. On ne peut pas envisager que, dans quelques tribunaux, la procédure et la formation de jugement ne soient pas les mêmes que sur l’ensemble du territoire. Il s’agit là d’une rupture d’égalité flagrante, passible d’une censure en bonne et due forme du Conseil constitutionnel !
Cela étant, malgré le récent coup de semonce de celui-ci, qui vous a sagement rappelé que le fait de gouverner n’impliquait pas que l’on puisse agir selon ses caprices en matière de réforme de la justice des mineurs, vous vous entêtez. Le toilettage superficiel des dispositions censurées de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ne trompe personne : il s’agit bien de la fin de la spécialisation de la procédure applicable aux mineurs.
L’ensemble des mesures que vous nous proposez ne reposent que sur des déclarations ubuesques assénées comme des vérités, selon lesquelles les mineurs d’aujourd’hui ne seraient pas les mêmes qu’en 1945… Certes, c’étaient alors les enfants de la guerre, qui avaient connu les restrictions et la violence.
Chiffres à l’appui, comme à l’accoutumée, vous tentez de nous faire croire que la délinquance des mineurs ne cesse d’augmenter. Bien entendu, fidèles à vos stratégies de communication, il vous fallait trouver un coupable et faire incarner la faute.
Cette faute incombait initialement au laxisme des parents, tous considérés comme démissionnaires. Vous les menacez alors de leur supprimer les allocations familiales, de les conduire à l’audience de leurs enfants menottés et de surveiller ensuite ceux-ci à leur place, au moyen de bracelets électroniques.
Mais c’est aujourd’hui doublement la faute de l’institution judiciaire, qui aurait été, de tout temps, trop clémente avec la jeunesse. Vous revenez donc sur l’excuse de minorité, avant de désosser, étape par étape, l’ordonnance de 1945, restant sourds aux cris d’alarme poussés par l’ensemble des associations et structures s’occupant de l’enfance, qui s’élèvent sans trêve contre la mutilation de cette dernière.
Monsieur le ministre, selon les chiffres exposés par votre prédécesseur, Mme Alliot-Marie, à la fin de l’année dernière, pour chauffer l’opinion à blanc à la veille de la réforme de la justice des mineurs, 204 000 mineurs auraient été mis en cause pour des faits graves – inflation dont tout le monde serait responsable, sauf vous.
Or, il faut reconnaître que le durcissement de la politique pénale et l’élargissement du filet pénal ont clairement étendu les critères de définition des infractions existantes, tout en aggravant les sanctions.
Lorsqu’on élargit la définition de la délinquance et que l’on donne pour consigne de poursuivre toutes les infractions, même les plus bénignes, cela a nécessairement un effet inflationniste sur le nombre de procès-verbaux dressés par les policiers et les gendarmes. Or la statistique policière est précisément un comptage de ces procédures administratives.
De plus, une part non négligeable des mises en cause débouchent sur des non-lieux, des classements sans suite, voire des relaxes. Enfin, le fait d’être mis en cause n’emporte en soi aucune notion de gravité.
On l’aura compris, les chiffres se manipulent aisément. Nous remarquons d’ailleurs que lorsque la conjoncture ou le temps électoral vous l’impose, vous ne manquez pas de vous féliciter de vos prétendus résultats en matière de sécurité.
Quoi qu’il en soit, une réforme aussi grave de la justice des mineurs aurait dû faire l’objet d’un texte spécifique, et non de quelques articles d’un projet de loi censé démocratiser l’institution judiciaire.
Reconnaissez d’ailleurs qu’il est quelque peu paradoxal qu’un texte visant à faire participer les citoyens à la justice marginalise les assesseurs des tribunaux pour enfants, représentants de la société civile qui contribuent au bon fonctionnement de cette justice.
La participation du juge des enfants dans la nouvelle formation du tribunal correctionnel des mineurs n’est qu’un écran de fumée, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la spécialisation du juge des enfants tient à la spécificité de son mode d’intervention. Dès lors, le simple fait qu’il soit présent ne garantit absolument pas la spécialisation du tribunal. De plus, malgré vos efforts, monsieur le rapporteur, qu’il soit président de la formation de jugement ne constitue nullement une garantie, puisqu’il ne disposera pas d’une voix prépondérante.
En effet, les magistrats effectuent un roulement selon leur tour de service, et un juge des enfants peut, en tout état de cause, se retrouver dans n’importe quelle formation de jugement en fonction de ce dernier. Sa présence n’a jamais emporté la spécialisation du tribunal concerné.
Le tribunal correctionnel des mineurs ne répond donc pas à l’exigence constitutionnelle de composition spécifique de la juridiction des mineurs.
Compte tenu de la surcharge actuelle des audiences correctionnelles, les jeunes concernés ne bénéficieront pas de l’examen attentif et complet de leur personnalité et de leur évolution auquel procèdent les juridictions pour mineurs.
Or, dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel a estimé que la priorité éducative ne permettait pas de généraliser des dispositions répressives telles que l’application des peines planchers aux mineurs, ce qui suppose de réelles investigations sur la personnalité des mineurs afin de rechercher les moyens propres à assurer leur éducation. Ici, par le biais du dossier unique de personnalité, le mineur pourra être jugé plus rapidement dès sa première infraction.
Ainsi, par le truchement des textes et l’utilisation malintentionnée de la possibilité de présentation immédiate, il sera désormais possible de juger un mineur le jour même de son déferrement. La comparution immédiate pour les mineurs, elle aussi censurée par le Conseil constitutionnel, est donc réintroduite.
Les investigations préalables nécessaires sur la personnalité du mineur ne seront pas effectuées. En outre, le fameux dossier unique de personnalité pose plusieurs problèmes majeurs, au regard tout d’abord des règles de confidentialité strictes encadrant l’accès aux pièces d’un dossier d’assistance éducative. En outre, les investigations menées au civil concernant le mineur et toute sa fratrie, il y a un réel danger de favoriser des raisonnements déterministes, comme celui qui a abouti à la conclusion que l’on pouvait repérer un futur délinquant dès l’âge de 3 ans. Enfin, rien ne justifie le double contrôle de ce dossier par le procureur de la République et le juge des enfants. La compétence de ce dernier est déterminée par la personne même de l’enfant. Le juge des enfants est seul apte à détenir les dossiers concernant le mineur, puisque, en tant que juge du siège, il est tenu par une procédure limitant l’accès au dossier, afin de protéger la vie privée des enfants et des personnes qui lui sont liées.
Vous entendez créer une justice des mineurs bicéphale, avec, d’un côté, le parquet, qui conduit les mesures prises dans le cadre de la troisième voie, soit la moitié des procédures, et qui reprendra la main s’agissant des mineurs les plus connus de la justice, et, de l’autre, un juge des enfants neutralisé et marginalisé en matière pénale. Le juge des enfants sera dessaisi de fait des situations les plus complexes, qui requièrent une réponse adaptée et justifient l’importance de la phase pré-sentencielle ; cela est tout à fait inadmissible.
Vous l’aurez compris, nous estimons que l’ensemble des dispositions de ce texte relèvent d’un leurre intellectuel sans précédent et sont motivées par un populisme bien réel. C’est la raison pour laquelle, « au nom du peuple français », je vous demande, mes chers collègues, d’adopter cette motion tendant au renvoi du présent texte à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Madame Mathon-Poinat, je ne partage pas votre jugement sur certains points, qui n’intéressent d’ailleurs cette motion que de manière accessoire.
Vous évoquez, par exemple, la proximité de la justice. Plus que dans le fait d’avoir un tribunal de l’autre côté de sa rue, cela consiste en une justice rendue de manière à la fois parfaitement cohérente et relativement rapide. En tant que sénateur du Nord, je me souviens de l’extrême brutalité de la refonte de la carte judiciaire : il ne reste plus que six tribunaux de grande instance après cette réforme « à la hache » sur les sept que comptait mon département.
Quoi qu’il en soit, je crois que ce projet de loi respecte les impératifs de proximité.
Par ailleurs, vous avez le droit de penser que cette expérimentation heurte notre tradition juridique en raison de la rupture d’égalité qu’elle induit. En revanche, comment pouvez-vous plaider l’inconstitutionnalité d’un tel dispositif, alors que nous avons justement modifié la Constitution pour rendre cette expérimentation possible ?
S’agissant de la situation des mineurs délinquants, je suis toujours un peu surpris que l’on considère a priori que toute procédure rapide leur serait nécessairement défavorable. Je ne suis pas certain qu’il soit bon pour un mineur délinquant d’attendre dix-huit mois entre la commission de l’infraction et le jugement du tribunal pour enfants. Ne parlons même pas des cinq années, en moyenne, qui séparent la commission de l’infraction de l’arrêt de la cour d’assises des mineurs en matière criminelle !
J’en viens à la demande de renvoi à la commission.
Je vous rappelle qu’une réforme globale de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est actuellement en cours d’élaboration. En toute hypothèse, il n’est pas possible de faire aboutir dans les prochains mois un travail qui ne peut être que long et complexe. Reste que nous avons tous conscience de la nécessité de mieux prendre en charge les mineurs qui en ont le plus besoin.
L’adoption des dispositions du présent projet de loi n’invaliderait absolument pas le travail en cours à la Chancellerie. Le texte ne fait qu’anticiper l’adoption de plusieurs mesures ayant vocation à figurer dans un futur code de la justice pénale des mineurs.
Je voudrais surtout appeler votre attention sur le fait que plusieurs dispositions du projet de loi ont fait l’objet d’appréciations très positives de la part des personnes que j’ai auditionnées : tel est notamment le cas du dossier unique de personnalité, qui a été unanimement salué comme un instrument de rationalisation des procédures au service d’une meilleure prise en charge du mineur ; tel est également le cas des dispositions tendant à permettre à la juridiction d’assortir une peine d’une sanction éducative, de la possibilité de convertir plus largement une peine de prison en peine de travail d’intérêt général dans le cadre de l’aménagement des peines ou encore de la possibilité de rendre un jugement qualifié de contradictoire à signifier à l’encontre des parents absents à l’audience.
Je remarque d’ailleurs que, sur certains points, aucun amendement de suppression n’a été déposé. Je pense, par exemple, à la conversion d’une peine d’emprisonnement en peine de travail d’intérêt général ou au fait d’aviser la victime de la date de l’audience de jugement.
Je rappelle en outre que la commission des lois a été particulièrement vigilante en ce qui concerne les investigations sur la personnalité du mineur. Elle a ajouté d’autres précautions à celles qu’avait déjà prises le Gouvernement.
Pour toutes ces raisons, il ne me paraît pas utile de renvoyer le présent projet de loi en commission.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’ai dans les mains le projet de loi, tel qu’il a été modifié par la commission. C’est bien la preuve que celle-ci a travaillé.
Il n’appartient probablement pas au pouvoir exécutif de s’immiscer dans les relations entre une assemblée et l’une de ses commissions permanentes, mais, puisque le président Fischer me demande mon avis, je me permets d’indiquer que le travail accompli par la commission des lois convient tout à fait au Gouvernement. Il n’a donc pas besoin d’être recommencé.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 155, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Titre Ier
DISPOSITIONS RELATIVES À LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux citoyens assesseurs
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 43, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° le troisième alinéa de l’article 398 est supprimé ;
2° L’article 398-1 est abrogé ;
3° Les troisième et quatrième alinéas de l’article 398-2 sont supprimés.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Préalablement à tout débat concernant une réforme de la justice pénale visant à élargir la participation des citoyens aux tribunaux correctionnels, il nous semble très important de revenir sur une procédure, normalement exceptionnelle, mais qui tend à devenir la norme : je veux parler des audiences correctionnelles à juge unique. Cette pratique va en effet à l’encontre de ce que chacun semble souhaiter ici.
La collégialité, nous semble-t-il, est une garantie du bon fonctionnement de la justice pour nos concitoyens. Alors que le projet de loi entend faire participer deux citoyens assesseurs, aux côtés de trois magistrats, aux audiences portant sur les délits d’atteinte à la personne, on ne peut que s’étonner du maintien du juge unique en matière correctionnelle.
La rupture d’égalité face à la justice devient abusive. Les prévenus amenés à comparaître pourront, selon le cas, être traduits soit devant un juge unique, soit devant un tribunal collégial composé de trois magistrats, soit devant un « tribunal correctionnel citoyen » composé de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs, sans compter les tribunaux correctionnels pour mineurs.
Il paraît assez incohérent, d’une part, de multiplier les possibilités de recours devant un juge unique au nom d’une prétendue efficacité de la justice – et, surtout, il faut bien le dire, afin de réaliser des économies budgétaires – et, d’autre part, de créer une procédure complexe, coûteuse et lourde en prévoyant des citoyens assesseurs pour juger certains délits. Le Gouvernement fait ainsi la preuve qu’il sait trouver les moyens nécessaires pour servir un projet qui lui tient à cœur, alors qu’il ne sait pas trouver les crédits pour mettre fin à la procédure du juge unique et appliquer une collégialité que chacun estime souhaitable.
Je pense donc que vous aurez à cœur, mes chers collègues, d’adopter notre amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la formation du tribunal correctionnel statuant à juge unique. Cette formation a été instituée par la loi du 29 décembre 1972.
Le juge unique a une compétence déjà très encadrée : il ne peut prononcer des peines supérieures à cinq ans d’emprisonnement ; il n’est pas compétent si le prévenu est en détention provisoire lors de sa comparution devant le tribunal ; il n’a pas compétence si le prévenu est poursuivi selon la procédure de comparution immédiate.
La possibilité donnée au tribunal correctionnel de statuer à juge unique constitue en outre une condition indispensable pour éviter l’engorgement des juridictions correctionnelles.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout cela est très logique…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je rappelle que, chaque année, le juge unique rend à peu près 480 000 décisions. Il faudrait donc créer un certain nombre de postes de magistrats pour rendre la formation collégiale.
L’adoption de cet amendement reviendrait donc à imposer une dépense nouvelle au budget de l’État, ce qui est contraire à une certaine disposition constitutionnelle ! Plutôt que de l’invoquer, je préfère me contenter d’émettre un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes très favorables à l’amendement du groupe CRC-SPG. Vous devriez, vous aussi, monsieur le garde des sceaux, considérer que ces dispositions vont dans le bon sens, puisque, tout comme votre projet de loi, elles visent à accentuer la collégialité.
Je remarque que, dans un texte précédent, dont le rapporteur était notre excellent collègue M. Détraigne, vous aviez pourtant fait le contraire : vous aviez élargi les cas de recours à un juge unique, en permettant au parquet de prononcer des peines, alors que ce n’est pas une juridiction de jugement, et en augmentant le champ de l’ordonnance pénale.
Je constate ce soir que vous vous opposez finalement à la suppression du juge unique. Vous êtes dans l’incohérence la plus totale. J’allais dire : « Vous faites n’importe quoi ! ». En réalité, vous faites ce que l’on vous dit de faire compte tenu de vos moyens budgétaires.
Le groupe socialiste votera donc cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 43.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
Le titre préliminaire du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Dispositions générales » ;
2° Il est créé un sous-titre Ier intitulé : « De l’action publique et de l’action civile » comprenant les articles 1er à 10 ;
3° Il est ajouté un sous-titre II ainsi rédigé :
« SOUS-TITRE II
« DE LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU JUGEMENT DES AFFAIRES PÉNALES
« Art. 10-1. – Les citoyens peuvent être appelés, comme jurés, à composer le jury de la cour d’assises constitué conformément aux articles 254 à 267 et 288 à 305-1.
« Ils peuvent également être appelés, comme citoyens assesseurs :
« 1° À compléter le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels dans les cas prévus par les articles 399-2 et 510-1 ;
« 2° À compléter le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel dans les cas prévus par les articles 712-13-1, 720-4-1 et 730-1 ;
« 3° (Supprimé)
« Les règles relatives à la désignation des citoyens assesseurs sont fixées par les dispositions du présent sous-titre.
« Art. 10-2. – Il est établi annuellement, pour chaque tribunal de grande instance, une liste de citoyens assesseurs dont le nombre est fixé par arrêté du ministre de la justice.
« Art. 10-3. – Peuvent seules être inscrites sur la liste annuelle des citoyens assesseurs établie pour chaque tribunal de grande instance les personnes remplissant les conditions suivantes :
« 1° Ne pas avoir été inscrites la même année sur la liste annuelle du jury d’assises en application des articles 263 et 264 ;
« 2° Ne pas avoir exercé les fonctions de juré ou de citoyen assesseur au cours des cinq années précédant l’année en cours et ne pas avoir été inscrites, l’année précédente, sur une liste annuelle du jury ou sur une liste annuelle des citoyens assesseurs ;
« 3° Satisfaire aux conditions prévues par les articles 255 à 257 ;
« 4° Résider dans le ressort du tribunal de grande instance ;
« 5° (Supprimé)
« 6° (Supprimé)
« Art. 10-4. – Les citoyens assesseurs sont désignés parmi les personnes ayant été inscrites par le maire sur la liste préparatoire de la liste annuelle du jury d’assises établie, après tirage au sort sur les listes électorales, dans les conditions prévues par les articles 261 et 261-1.
« Les personnes inscrites sur la liste préparatoire en sont avisées par le maire qui les informe :
« 1° Qu’elles sont susceptibles d’être désignées soit comme juré, soit comme citoyen assesseur ;
« 2° Qu’elles peuvent demander au président de la commission prévue à l’article 262 le bénéfice des dispositions de l’article 258.
« Le maire adresse en outre aux personnes inscrites sur la liste préparatoire un recueil d’informations dont le contenu est fixé par décret en Conseil d’État. Les réponses au recueil d’informations sont adressées directement par les personnes concernées au président de la commission instituée par l’article 262.
« Art. 10-5. – La liste annuelle des citoyens assesseurs de chaque tribunal de grande instance est dressée, après établissement de la liste annuelle du jury d’assises, par la commission instituée par l’article 262. La commission est alors présidée par le président du tribunal de grande instance. Le bâtonnier siégeant au sein de la commission est celui de l’ordre des avocats de ce tribunal.
« La commission examine la situation des personnes figurant sur la liste préparatoire dans un ordre déterminé par le tirage au sort. La commission exclut les personnes qui ne remplissent pas les conditions prévues par l’article 10-3, celles auxquelles a été accordée une dispense en application de l’article 258, ainsi que celles qui, au vu des éléments figurant dans le recueil d’informations ou résultant de la consultation des traitements prévus par les articles 48-1 et 230-6, ne paraissent manifestement pas être en mesure d’exercer les fonctions de citoyens assesseurs. Elle peut procéder ou faire procéder à l’audition des personnes avant leur inscription sur la liste annuelle.
« La commission délibère dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l’article 263.
« La liste annuelle des citoyens assesseurs est arrêtée lorsque le nombre de personnes inscrites atteint celui fixé en application du second alinéa de l’article 10-2. Elle est alors adressée au premier président de la cour d’appel et aux maires des communes du ressort du tribunal de grande instance.
« Le premier président s’assure que la liste a été établie conformément aux exigences légales et avise les personnes retenues de leur inscription.
« Art. 10-6. – À la demande du président du tribunal de grande instance ou du procureur de la République, le premier président de la cour d’appel, après avoir convoqué le citoyen assesseur et l’avoir mis en mesure de présenter ses observations, se prononce sur son retrait de la liste annuelle :
« 1° Lorsqu’il se trouve dans l’un des cas d’incompatibilité ou d’incapacité prévus par la loi ;
« 2° Lorsque, sans motif légitime, il s’est abstenu à plusieurs reprises de répondre aux convocations l’invitant à assurer son service juridictionnel ;
« 3° Lorsqu’il a commis un manquement aux devoirs de sa fonction, à l’honneur ou à la probité.
« Si, en raison du nombre des retraits décidés en application du présent article ou des décès constatés, le bon fonctionnement de la justice se trouve compromis, le premier président convoque la commission mentionnée à l’article 10-5 afin de compléter la liste.
« Art. 10-7. – Le service des audiences de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l’application des peines est réparti entre les citoyens assesseurs par le premier président de la cour d’appel.
« Le service des audiences du tribunal correctionnel et du tribunal de l’application des peines est réparti entre les citoyens assesseurs par le président du tribunal de grande instance, siège de ces juridictions.
« Il est procédé à la répartition prévue aux deux premiers alinéas pour chaque trimestre. Les citoyens assesseurs doivent être avisés quinze jours au moins avant le début du trimestre de la date et de l’heure des audiences au cours desquelles ils sont appelés à siéger comme titulaires ou peuvent être appelés comme suppléants. Toutefois, le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance peut appeler à siéger sans délai, avec son accord, un citoyen assesseur soit en cas d’absence ou d’empêchement du titulaire et de ses suppléants, soit lorsque la désignation d’un citoyen assesseur supplémentaire apparaît nécessaire en application de l’article 10-8, soit en cas de modification du calendrier des audiences imposée par les nécessités du service.
« Art. 10-8. – Lorsqu’un procès paraît devoir entraîner de longs débats, le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance peut décider qu’un ou plusieurs citoyens assesseurs supplémentaires assistent aux débats. Ces citoyens assesseurs supplémentaires remplacent le ou les citoyens assesseurs qui seraient empêchés de suivre les débats jusqu’au prononcé de la décision.
« Art. 10-9. – Les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l’application des peines sont désignés parmi les citoyens assesseurs inscrits sur les listes annuelles des tribunaux de grande instance du département où la cour a son siège. En cas de nécessité, ils peuvent être désignés, avec leur accord, sur les listes annuelles des autres tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel. Le premier président informe les présidents des tribunaux de grande instance de son ressort des désignations auxquelles il a procédé.
« Les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein du tribunal correctionnel ou du tribunal de l’application des peines sont choisis parmi les citoyens assesseurs figurant sur la liste annuelle du tribunal de grande instance, siège de la juridiction. En cas de nécessité, ils peuvent être désignés, avec leur accord, sur la liste annuelle de l’un des tribunaux de grande instance limitrophes appartenant au ressort de la même cour d’appel. Le président de ce tribunal en est informé.
« Art. 10-10. – Chaque citoyen assesseur ne peut être appelé à siéger, y compris comme assesseur supplémentaire, plus de huit jours d’audience dans l’année.
« Toutefois, lorsque l’examen d’une affaire se prolonge au-delà de la limite prévue au premier alinéa, le citoyen assesseur est tenu de siéger jusqu’à l’issue du délibéré.
« Art. 10-11. – Avant d’exercer leurs fonctions, les citoyens assesseurs inscrits sur la liste annuelle prêtent serment devant le tribunal de grande instance de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations.
« Art. 10-12. – Les citoyens assesseurs désignés pour siéger à une audience ne peuvent être récusés que pour l’une des causes de récusation applicables aux magistrats.
« Cette récusation peut être demandée par le ministère public ou les parties avant l’examen au fond.
« Les trois magistrats de la juridiction statuent sur la demande de récusation.
« Le citoyen assesseur qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir le fait connaître avant l’examen au fond. Le président de la juridiction peut alors l’autoriser à se faire remplacer par un citoyen assesseur dans les formes prévues par l’article 10-7. En début d’audience, le président rappelle les dispositions du présent alinéa.
« Art. 10-13. – L’exercice des fonctions de citoyen assesseur constitue un devoir civique.
« Art. 10-14. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent sous-titre. Il précise, en particulier :
« 1° Les modalités selon lesquelles les citoyens assesseurs doivent bénéficier, avant d’exercer leurs fonctions, d’une information sur le fonctionnement de la justice pénale ;
« 2° Les modalités et le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des citoyens assesseurs ;
« 3° Les modalités de l’indemnisation des citoyens assesseurs. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, sur l'article.
M. Jean-Pierre Michel. Contrairement à ce qui a pu être dit tout à l’heure, je souhaite que la justice s’ouvre, qu’elle n’enferme pas dans une tour d’ivoire une caste de gens qui sauraient tout. Les citoyens doivent pouvoir participer à l’œuvre de justice, laquelle est rendue en leur nom – je remarque d’ailleurs que nombre d’entre eux y participent déjà –, mais pas n’importe comment, pas comme vous souhaitez le faire.
Selon l’exposé des motifs du projet de loi, la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale « assure que les décisions juridictionnelles ne sont pas déconnectées des évolutions de la société ». Voilà qui est aimable pour les magistrats ! Comme si les juges étaient complètement déconnectés des évolutions sociétales et rendaient leurs décisions n’importe comment ! Ils sont tout à fait ancrés dans la société, contrairement à ce que l’on reproche trop souvent à ces professionnels et à leurs organisations syndicales.
Je le répète, je suis pour la participation des citoyens à la justice, mais d’une autre façon. Ainsi, le système de l’échevinage me paraît bien meilleur. Les citoyens seraient également tirés au sort, mais ils participeraient aux juridictions de façon permanente, pendant un certain temps. Ils apprendraient ainsi à les connaître, ils verraient en quoi consiste l’action de juger et ils auraient préalablement accès aux dossiers. Ils ne seraient pas comme ces citoyens, arrivés d’on ne sait où, qui vont siéger, tenez-vous bien, huit jours par an seulement – encore heureux que la commission des lois ait prévu de leur interdire de siéger à la fois dans les tribunaux correctionnels et les juridictions de l’application des peines –, et pour qui il est prévu une procédure d’une lourdeur extraordinaire !
Tout cela pose de graves problèmes.
Le premier est celui de leur formation.
Vous parlez juste d’information. Un amendement déposé par le groupe centriste, sans doute par amabilité pour le Gouvernement et son ancien président de groupe, tentera de vous éviter de subir les foudres du Conseil constitutionnel en introduisant la question de la formation. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que les juges de proximité doivent être formés.
Comment va-t-on former des gens qui siégeront huit jours par an ? Seront-ce huit jours consécutifs ou alternatifs ? Nul ne le sait !
Le deuxième problème concerne leur serment.
Les citoyens assesseurs seront censés prêter un serment ad hoc, qui n’est pas encore prévu par le code de procédure pénale. Il ne s’agira ni du serment des magistrats professionnels – ils sont donc en dessous d’eux ! – ni du serment assez long prévu par le code de procédure pénale pour les jurés, qui rappelle leurs exigences par rapport à la société, aux inculpés et aux victimes. Ce sera un serment ad hoc très court. Il nous a été répondu qu’un serment plus long aurait pris trop de temps sur le déroulement de l’audience correctionnelle.
Enfin, se pose le problème du mode de désignation de ces assesseurs, sur lequel nous reviendrons peut-être tout à l’heure si notre amendement est examiné.
Tous nos collègues qui sont également maires savent que la liste des jurés d’assises est tirée au sort, chaque année au mois de juin, dans les mairies. Quelques noms sont retirés – même si on ne devrait pas le faire –, et le maire transmet une liste triple à la commission départementale, qui fait un tri objectif par rapport à la loi. Ces citoyens peuvent alors devenir jurés d’assises.
Mais pour juger les délits, il faudra présenter beaucoup plus de garanties que pour juger les crimes, car, en plus du tirage au sort, ces personnes devront encore faire l’objet d’une enquête. Sur quoi portera-t-elle ? Sur leur bonne moralité ? Tout cela n’a aucun sens ! Votre procédure est totalement boiteuse.
Pourquoi ne pas avoir prévu une procédure de récusation, comme en cour d’assises ? À en croire la fameuse étude d’impact, qui n’étudie rien du tout d’ailleurs, c’est parce que le fait de permettre, dans chaque affaire, aux avocats ou au procureur de récuser tel ou tel citoyen assesseur en fonction de son sexe ou de tout autre critère prendrait trop de temps.
À défaut de récuser, on trie. Mais de quelle manière ? Selon quels critères ? Faut-il conserver les notables, ceux qui sont « bien », et écarter ceux qui sont « mal » ? Tout cela n’est pas sérieux !
C’est en définitive une très mauvaise loi, qui, de la façon dont elle a été conçue, gâche totalement la grande idée qui consistait à permettre aux citoyens de participer plus nombreux, et de manière plus satisfaisante, aux jugements rendus et à l’œuvre de justice. Nous sommes en effet un certain nombre, y compris dans les rangs de l’opposition, à penser qu’il s’agissait d’une bonne idée. Il me semble malheureusement que ce texte handicapera sérieusement à l’avenir tout nouveau projet d’ouverture de la justice aux citoyens.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le mode de désignation des citoyens assesseurs, qui s’inspire de celui des jurés d’assises, sans tout à fait s’aligner sur ce dernier – il s’agit notamment de se prémunir d’un éventuel risque de ralentissement de la procédure –, pose évidemment problème.
Comme l’a dit Jean-Pierre Michel, ces citoyens tirés au sort sur des listes électorales seront le fruit d’une sorte de sélection opérée par le maire, chargé d’adresser aux personnes inscrites sur la liste préparatoire un « recueil d’informations ». Je précise en outre qu’ils ne prêteront pas un serment aussi complet que celui des jurés d’assises.
Cela étant, je souhaite surtout m’attarder sur une incohérence particulièrement notable : l’impossibilité de récuser ces citoyens assesseurs. En effet, seule l’une des causes de récusation applicables aux magistrats pourra leur être opposée.
Parce que les citoyens ne choisissent pas leur juge et que les magistrats professionnels présentent des garanties d’indépendance et d’impartialité, les possibilités de les récuser sont limitées et très encadrées.
Au contraire, les jurés d’assises, simples citoyens tirés au sort, peuvent être récusés par la défense et le ministère public au début de chaque affaire. Ils ne présentent en effet a priori aucune garantie d’impartialité. Ils peuvent parfaitement être impliqués de manière directe ou indirecte dans une affaire, ce qui pourrait influencer leur jugement.
Ainsi, loin de renforcer les liens entre l’institution judiciaire et le peuple et d’augmenter la légitimité démocratique d’une justice dont vous ne cessez d’affirmer qu’elle doit être rendue au nom du peuple français – elle l’est, en tout état de cause ! –, vous allez créer un climat de suspicion en favorisant une défiance envers les décisions rendues ainsi que des contestations sur la nouvelle institution elle-même.
Ce n’est pas en introduisant, en amont, un système mixte combinant le tirage au sort et la sélection que ce problème sera résolu, bien au contraire, puisque ce dispositif entérine des critères dont on dira, à tout le moins, qu’ils sont subjectifs.
Alliance de subjectivité et de partialité, on se demande bien comment ce nouveau dispositif, censé réaffirmer l’importance du peuple, pourra donner confiance en la justice.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.
Mme Catherine Tasca. Au moment où nous abordons l’article 1er de ce texte, je veux revenir sur l’introduction des jurés populaires à plusieurs stades de la procédure pénale.
Comme unique réponse à l’état de faiblesse de la justice en France, le texte du Gouvernement constitue, en dépit de vos dénégations, monsieur le garde des sceaux, un nouvel acte de défiance à l’égard des magistrats. Il est la traduction législative de la campagne politique de mise en cause systématique de leur travail.
Le Président de la République, toujours prompt à rejeter sur d’autres la responsabilité de ses propres échecs, a distillé dans l’opinion, à la faveur de plusieurs faits divers, l’idée selon laquelle les magistrats agiraient, par leurs décisions, contre la volonté des Français en matière de sécurité publique. À en croire Nicolas Sarkozy, tout irait mieux avec des jurés « citoyens » !
Je souhaite revenir sur les quatre raisons principales qui nous poussent à refuser ce dispositif.
La première est liée à sa complexité.
Aux termes du projet de loi, deux citoyens assesseurs, tirés au sort sur les listes électorales, siégeraient pour une semaine aux côtés des trois magistrats professionnels qui composent les tribunaux correctionnels. Ce « service judiciaire obligatoire » de huit jours n’est demandé ni par les magistrats ni par les justiciables. Ceux-ci ont pourtant en commun de subir en première ligne la dégradation du service public de la justice.
Ce dispositif créera des difficultés matérielles majeures, dont le Gouvernement semble vouloir se délester sur les magistrats et les élus locaux. Ainsi, les maires auront pour charge d’adresser aux personnes tirées au sort sur les listes électorales « un recueil d’informations ». Une commission, sur la base de ces recueils qu’elle devra traiter, dressera la liste annuelle des citoyens assesseurs pour chaque tribunal de grande instance. La justice française, d’ores et déjà engorgée, a-t-elle besoin qu’on lui impose ainsi de nouvelles lourdeurs administratives ?
La deuxième raison a trait à la charge financière du dispositif.
L’indemnisation de quelque 8 000 citoyens assesseurs appelés chaque année nécessitera des moyens financiers importants, évalués à plus de 20 millions d’euros. Sachant que l’institution judiciaire est déjà exsangue, au point qu’elle a des difficultés à payer les jurys d’assises et les juges de proximité, et que le budget du ministère de la justice, de par sa faiblesse, classe la France au trente-septième rang européen, tout cela n’est pas sérieux !
La troisième raison tient au risque de dégradation des conditions de jugement.
J’y insiste, l’introduction de citoyens assesseurs contribuera à dégrader un peu plus les conditions de jugement. Ces citoyens, novices en droit, devront prendre connaissance de l’intégralité des éléments des dossiers. Les délais de jugement, déjà longs du fait de l’encombrement des tribunaux, seront encore allongés. Le risque d’une paralysie du système est donc réel, au détriment des personnes jugées et des victimes. Sur ce point, je vous renvoie aux propos de M. Garraud, secrétaire national de l’UMP en charge de la justice.
Le Gouvernement a choisi de réserver à certains délits la présence de citoyens assesseurs, sans que l’on connaisse d’ailleurs les critères qui ont présidé à cette « sélection ». La commission a décidé d’inclure dans la liste les infractions au code de l’environnement passibles d’une peine égale ou supérieure à cinq ans, quand bien même celles-ci sont souvent d’une grande technicité et nécessitent une expertise juridique qui touche aussi bien au droit de l’environnement qu’au droit international ou européen. En revanche, les affaires liées à la délinquance en col blanc ont étonnement été exclues. Comment justifier que les citoyens assesseurs, présentés comme une panacée par le Gouvernement, en soient tenus à distance ?
La quatrième raison a trait à la question de la constitutionnalité du dispositif.
Le projet de loi instaure une justice à deux vitesses, comme l’ont souligné les auteurs des différentes motions de procédure. Nul doute que le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer sur la conformité à la Constitution de mesures qui portent atteinte à l’égalité entre les citoyens et à l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Les Français attendent de la justice qu’elle assure un traitement égal des citoyens devant la loi, qu’elle soit rendue dans des délais raisonnables et que ses décisions soient rapidement mises à exécution. Ce texte va à rebours de ces trois objectifs. Nous avons été nombreux à le dire, mais nous ne sommes manifestement pas parvenus à convaincre le Gouvernement pour le moment.
Pour conclure, je formulerai un grief supplémentaire à l’encontre de ce texte : nul ne peut ignorer aujourd’hui l’évolution de notre société et la part démesurée, mais malheureusement incontournable, que prennent la communication et les médias dans l’information et la désinformation de nos concitoyens.
Dès lors, comment peut-on croire que la présence de jurés « citoyens », ignorants du droit, et dont certains auront été extraits de chez eux à contrecœur, apportera une réelle plus-value au travail des magistrats ? Au mieux, ils seront dépendants des magistrats ; au pire, ils seront dépendants des médias et ils ne sauront exprimer qu’un état de l’opinion telle qu’elle peut être saisie dans l’instant.
On ne peut juger dans le sentiment ou dans le ressentiment. L’application de la loi doit rester notre commune garantie de justice et de liberté. C’est un métier et, comme l’a si bien dit notre collègue Jacques Mézard, le citoyen attend, non de rendre la justice, mais que justice lui soit rendue. Ce n’est vraiment pas la voie que vous empruntez. C’est pourquoi nous demanderons la suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est important pour nous de dire que l’article 1er nous semble ouvertement provocateur à l’égard des magistrats professionnels.
En voulant instaurer des citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels et des tribunaux de l’application des peines, le Gouvernement ne met en place qu’un mécanisme attentatoire au bon fonctionnement de la justice, de nature à semer la suspicion.
Monsieur le garde des sceaux, vous prétendez vouloir restituer la justice au peuple et, pour ce faire, vous souhaitez associer aux magistrats professionnels des « citoyens assesseurs ». Cette participation des citoyens ne nous paraît pas fondée.
En effet, le système que vous tentez de mettre en place ne fera que ralentir considérablement une justice française déjà à l’agonie par votre faute. Vous associez à des professionnels des citoyens qui ignoreront tout de la subtilité du droit et de la complexité des éléments constitutifs des délits.
À l’alinéa 44 de l’article 1er, vous avancez comme principal argument l’intégrité de ces citoyens assesseurs et le fait qu’ils auront prêté le serment de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations ». C’est tout simplement grotesque, car rien ne prouve que ce serment leur permettra de faire preuve de l’impartialité nécessaire à cette fonction.
Tout porte à croire que vous cherchez à défier les magistrats !
À l’alinéa 51, vous soulevez un problème auquel vous n’apportez pas de solution, à savoir celui de la formation de ces citoyens assesseurs. Selon le texte, « un décret en Conseil d’État » en fixera les modalités. Tout cela est fort obscur et ne laisse rien présager de bon.
Comme j’en ai formulé le souhait tout à l’heure, lors de la discussion générale, le contenu de cette formation doit être clairement énoncé. Il doit surtout répondre aux besoins liés à ce nouveau statut de « citoyen assesseur ». Ce dernier doit pouvoir faire preuve de la mesure et du discernement nécessaires pour mener à bien son « devoir civique », comme vous vous plaisez à le souligner à l’alinéa 49.
Enfin, un dernier aspect de cet article reste en suspens. Il concerne la façon dont le Gouvernement compte s’assurer de la présence de ces « jurés populaires » aux procès correctionnels.
Vous n’êtes pas sans savoir combien il est difficile de constituer un jury en cour d’assises. Or vous semblez penser que tous les citoyens désignés se précipiteront pour effectuer cette mission de huit jours par an, devant les tribunaux correctionnels comme devant les tribunaux de l’application des peines. Vous vous leurrez ! Vous vous heurterez en effet aux mêmes difficultés que devant les assises, lesquelles seront encore accentuées par un système de dispenses fort compliqué à mettre en œuvre.
Ainsi, il reste bien des points à élucider, bien des zones d’ombre dans ce projet de loi insipide qui relève, en effet, du populisme judiciaire. Nous avons besoin de réponses précises afin de ne pas mettre en place de nouveaux mécanismes qui ne feront que ralentir l’appareil judiciaire.
Dans l’intérêt de la justice pénale, nous ne pouvons que nous opposer fermement à cet article.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 44 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 91 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Alain Anziani. Trois raisons nous poussent à demander la suppression de ces fameux jurés citoyens.
Premièrement, l’article 1er contient une ambiguïté.
Depuis le début de l’après-midi, vous nous expliquez, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, que la création de ces jurés citoyens n’a strictement rien à voir avec la sévérité ou le laxisme des décisions de justice. C’est également ce qui ressort de l’exposé des motifs du projet de loi. Pourtant, le 31 décembre dernier, le Président de la République affirmait, avec sa vigueur habituelle, qu’il voulait protéger les Français de la violence chaque jour plus brutale des délinquants multiréitérants. De quelle manière ? En adjoignant des jurés populaires aux tribunaux correctionnels ! Le peuple pourrait ainsi donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l’exaspération du pays.
Mettez-vous d’accord ! S’agit-il de rendre les jugements plus sévères – les juges professionnels ne l’étant pas suffisamment aux yeux du Président de la République – ou s’agit-il d’autre chose ?
J’aurais plutôt tendance à m’en remettre aux propos du Président de la République.
M. Alain Anziani. Telle est en effet sa volonté !
Reste que le Président de la République a commis une magnifique erreur d’appréciation, comme cela lui arrive à l’occasion, ce qui explique l’embarras dans lequel vous vous trouvez aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux. Car, vous le savez bien, au fond, sa position n’est guère cohérente !
Rien ne prouve en effet, comme vous l’avez vous-même indiqué, et comme le souligne l’étude d’impact, que nos magistrats sont moins sévères que ceux des pays voisins. Un rapport du Conseil de l’Europe en fait d’ailleurs la démonstration, en procédant à une comparaison des décisions rendues dans les différents pays membres de cette organisation. Rien ne vient non plus étayer la thèse selon laquelle les jurés populaires se montreront plus sévères que les magistrats professionnels.
Deuxièmement, comme Mme Tasca vient de le rappeler, juger est un métier !
Avec votre texte, nous aurons, d’un côté, des gens ayant réussi un concours, après avoir suivi quatre à cinq années d’études universitaires, trente et un mois de formation et une formation continue, et, de l’autre, des gens ayant été tirés au sort. Les seconds donneront donc leur point de vue, voire s’opposeront aux premiers sans nécessairement avoir toute la qualification. Certes, me direz-vous, une formation leur sera dispensée. Cette formation d’une journée leur donnera certainement l’autorité et la qualification nécessaires pour aborder des questions difficiles …
Troisièmement, je veux relever un paradoxe sur lequel vous ne vous êtes pas beaucoup appesanti.
Votre texte a un effet magique : un citoyen chasse l’autre !
Les citoyens qui étaient jusqu’à maintenant présents dans les chambres de l’application des peines, qui sont membres d’associations de victimes ou d’associations de réinsertion, possédaient des compétences spécifiques. Or par qui allez-vous les remplacer ? Par des citoyens qui n’ont pas de qualification et qui n’ont manifesté aucun intérêt particulier pour ces questions ! (Mme Catherine Tasca applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 44.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai déjà expliqué au cours de la discussion générale et lors de mon intervention sur l’article les raisons qui nous poussent à demander la suppression de l’article 1er. Elles tiennent à la fois aux objectifs poursuivis, au mode de désignation et à la difficile applicabilité de ce dispositif, dont l’utilité semble dévoyée. En effet, qu’apporteront ces deux citoyens assesseurs, qui ne forment pas un jury, si ce n’est ce qu’en attend le Président de la République, qui est l’initiateur de cette réforme ?
Entendons-nous bien, nous considérons que la participation des citoyens à la justice est une bonne chose. En revanche, elle ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions.
Je le répète, nous sommes favorables à un système d’échevinage s’inspirant des assesseurs des tribunaux pour enfants ou des conseillers prud’homaux. Ces citoyens sont volontaires et, surtout, ils siègent au sein de ces juridictions en raison de leurs qualités, de leurs compétences professionnelles, de leur intérêt pour le sujet en cause. Ils peuvent, par exemple, appartenir à une association dont l’objet a un lien direct avec les problèmes traités par la juridiction.
Ce système a une grande utilité. Or vous supprimez les représentants des associations de victimes. Comme le disait Alain Anziani, ces citoyens, vous les chassez !
Pourquoi ne pas avoir choisi un dispositif qui a fait ses preuves au lieu d’opter pour un système relativement contre-productif, si je puis dire ? Ces jurés tirés au sort, qui ne seront pas vraiment des jurés, n’apporteront rien aux jugements en matière correctionnelle, voire ils les brouilleront.
Entre l’échevinage et le tirage au sort, vous avez choisi la méthode du tirage au sort, sans nous expliquer pourquoi. Sont-ce pour des raisons d’économie ? Pourtant, je ne crois pas que cela coûte plus cher. Est-ce parce que cette procédure ne correspond pas à ce que vous attendez de la présence de ces deux citoyens qui siégeront pendant huit jours dans un tribunal correctionnel ? Je crois plutôt que la réponse se trouve là.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 91 rectifié.
M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un amendement de suppression, le premier d’une longue liste.
Nous l’avons déjà dit : tout ou presque est à supprimer dans ce projet de loi. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Mme Catherine Tasca. C’est un bon point de départ !
M. Jacques Mézard. Nous sommes donc cohérents avec nos positions.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez peu répondu à nos questions, sauf par des artifices oratoires dans lesquels vous excellez. (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Vous n’aurez aucun mal, monsieur le garde des sceaux.
M. Jacques Mézard. Je vous remercie de ce compliment, qui me va droit au cœur.
À la question portant sur l’engagement de la procédure accélérée, vous avez donné pour seule réponse le fait que cela figurait dans le programme du Président de la République. Partant de là, il vous reste peu de temps pour accomplir le reste de son programme, en particulier « travailler plus pour gagner plus » ! Il y en a d’autres, je peux en faire une longue liste.
Nous savons tous qu’il n’existe aucune justification sérieuse à ce texte. Il ne s’agit que d’une opération de communication.
Je souligne en outre l’absence totale de concertation. Les représentants professionnels nous l’ont dit : ils n’ont vu que très rapidement la Chancellerie, au mois de décembre 2010.
Au vu de la cadence à laquelle ce dossier a été mené dans le débat parlementaire, on ne peut pas non plus parler de concertation, même si nous reconnaissons que le rapporteur, comme à son habitude, a fait son maximum dans le minimum de temps dont il disposait.
Monsieur le garde des sceaux, il faudrait nous faire connaître une bonne fois pour toutes les objectifs de ce texte. Est-ce la sévérité ? Est-ce l’aggravation des peines ?
M. Jacques Mézard. Dans ces conditions, vous êtes en contradiction avec le Président de la République. Vous êtes aussi en contradiction avec l’étude d’impact, puisqu’il y est écrit qu’il faut « éviter une érosion de la peine pour des délits très graves » !
M. Jacques Mézard. Votre opinion du travail parlementaire est très révélatrice …
Si je vous entends bien, l’objectif n’est pas l’aggravation des peines. Heureusement, puisque nous avons appris aujourd’hui qu’il y a 64 000 personnes dans les prisons françaises et que les records sont en train d’être battus, une nouvelle fois !
Un autre objectif possible est l’accélération du cours de la justice, même si nous avons eu ce soir la démonstration que cette réforme était le meilleur moyen de la freiner.
M. Jacques Mézard. Vous nous avouez donc que l’objectif est de freiner le cours de la justice et de prendre plus de temps. Dont acte ! Cela figurera au Journal officiel.
S’agit-il de diminuer le coût des procédures ? Nous savons tous que c’est l’inverse qui va se produire. Le dispositif que vous préconisez coûtera plus cher, comme le montre également l’étude d’impact.
On ne peut donc pas dire que vos objectifs représentent une solution merveilleuse pour un meilleur fonctionnement de la justice. Cela justifie pleinement la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces trois amendements identiques visent à supprimer l’article 1er, qui définit pour l’essentiel les modalités de désignation des citoyens assesseurs.
L’institution de citoyens assesseurs constitue l’un des volets essentiels de la réforme proposée par le projet de loi.
Dans son principe, la participation des citoyens aux juridictions pénales n’a pas suscité d’opposition de la part des interlocuteurs que j’ai auditionnés.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je dis bien « dans son principe » !
La participation des citoyens peut se prévaloir de l’expérience des jurés, dont les présidents de cours d’assises nous ont tous indiqué qu’elle était très fructueuse, tant pour les citoyens que pour les magistrats. J’ai d’ailleurs quelques difficultés à comprendre comment on peut être à la fois obstinément favorable aux jurés et obstinément défavorable aux citoyens assesseurs. Une certaine filiation existe malgré tout entre les responsabilités des uns et celles des autres.
Je ferai également observer que les critiques se sont plutôt cristallisées sur quatre aspects : le mode de désignation des citoyens assesseurs, le rôle qui leur serait confié pour le jugement des délits, notamment les catégories de délits qui leur seraient confiées, la substitution des citoyens assesseurs aux jurés pour la formation des cours d’assises dans leur composition simplifiée et enfin, bien sûr, la question des moyens nécessaires à la mise en œuvre de la réforme.
Pour les trois premiers points – la question des moyens est plus compliquée –, la commission a cherché, dans le texte qu’elle soumet au Sénat, à apporter des améliorations qui permettent de mettre fin à beaucoup de critiques.
Il reste effectivement le choix entre les échevins et les citoyens assesseurs. Pour sa part, le Gouvernement a penché pour les citoyens assesseurs plutôt que pour l’échevinage. J’avoue que la réflexion était ouverte. Il y a des avantages et des inconvénients à chaque solution.
Cela étant, je m’étonne que personne ne se pose la question, par exemple, de la présence des associations de victimes dans le cadre des juridictions de l’application des peines. J’ai énormément de respect pour les associations de victimes, qui savent prendre une hauteur remarquable dans leurs prises de position, mais est-ce réellement leur place ? J’avoue me poser la question.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je veux avant tout préciser que, depuis que j’ai été nommé garde des sceaux, je n’ai jamais remis en cause la capacité des magistrats, la difficulté de leur travail et leur façon de rendre la justice. Personne ne peut rapporter une phrase que j’aurais prononcée en ce sens. J’ai au contraire toujours veillé à apporter le soutien de la Chancellerie aux magistrats.
Je n’accepte donc pas l’argument selon lequel ce texte vise à mettre en doute la capacité des magistrats à bien juger. Pour ma part, je ne l’ai jamais employé et j’aimerais que l’on m’en donne acte !
Mme Catherine Tasca. Vous non, mais le Président de la République…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est moi qui suis ici, madame la sénatrice. Je vous demande donc de m’en donner acte et de cesser de m’opposer un argument qui est faux.
J’accepte tous les arguments dans le débat, à condition qu’ils soient vrais.
Mme Catherine Tasca. Vous représentez le Gouvernement !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour ma part, je n’ai pas le moindre problème avec le principe d’une participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale.
J’ai entendu M. Anziani parler de « simples citoyens ». Je me revendique « simple citoyen », comme beaucoup d’autres Français, et j’estime qu’on n’a pas besoin d’avoir fait cinq ans d’études pour pouvoir juger. On n’a jamais demandé à un seul membre d’un jury d’assises d’avoir fait cinq ans d’études !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il faut avoir de la considération pour les « simples citoyens ».
Il y a dans cette attitude des relents de monarchie de Juillet : il faudrait avoir certaines capacités pour pouvoir participer à l’œuvre de justice.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous mélangez tout !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’objectif poursuivi n’est en aucun cas d’aggraver les peines. Je le répète : les magistrats ne sont pas laxistes ; ils appliquent la loi telle qu’elle a été votée et beaucoup de personnes sont condamnées. Les citoyens assesseurs apporteront simplement une vision différente.
La recherche du Gouvernement est autre. En participant au jugement des délits les plus graves, nous voulons avant tout que les Français exercent leur citoyenneté. C’est tout, mais c’est déjà beaucoup. Dans notre société, les occasions sont en effet rares de montrer que l’on est un citoyen, que l’on est capable de participer à la vie en commun. Tel est l’objectif poursuivi par ce texte. Voilà pourquoi le plus grand nombre possible de citoyens doit participer à cette œuvre !
Je conçois parfaitement que l’on puisse ne pas être d’accord avec ce projet de loi, voire qu’on le condamne. Cela fait en effet partie du débat. Mais ne déformez pas les intentions de ses auteurs !
Je le reconnais, le nouveau système sera plus coûteux et la procédure sera plus longue. Les citoyens assesseurs auront sans doute besoin d’explications plus nombreuses, ce qui est susceptible d’allonger les débats. C'est la raison pour laquelle M. le Premier ministre a accepté la mobilisation de moyens supplémentaires. Je ne dis pas pour autant que ceux-ci seront suffisants.
Si nous avons recours à l’expérimentation, c’est pour procéder à des vérifications. Nous voulons savoir si le dispositif fonctionnera correctement ou s’il sera nécessaire d’apporter des mesures correctives avant sa généralisation en 2014.
Dans une société où les individus se côtoient de plus en plus, mais où le « vivre-ensemble » se délite, il est indispensable de renforcer l’esprit de citoyenneté. Saisissons donc toutes les occasions qui vont dans ce sens !
Certes, on peut toujours discuter des modalités d’application du système proposé et chercher à les perfectionner. Comme je l’ai indiqué, je suis prêt à entendre tous les arguments. Mais je n’accepte pas que l’on m’accuse de critiquer les magistrats. Je ne les ai jamais critiqués ! Mon seul objectif est de faire participer les citoyens à la vie collective.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je souhaite répondre à l’interrogation de notre éminent rapporteur, qui affirme ne pas comprendre que l’on puisse être favorable aux jurés et défavorable aux citoyens assesseurs.
Je constate en tout cas que lui perçoit très bien la distinction. Grâce à lui, nous avons un amendement qui modifie le dispositif initialement prévu dans le projet de loi pour la composition des jurys d’assises !
En outre, puisque certains se réfèrent aux grands principes, je rappelle que, si la justice est effectivement rendue « au nom du peuple français » – dans les grands pays démocratiques, la justice est toujours rendue au nom du peuple ! –, c’est selon deux modalités.
La première est très ancienne et jouit d’une sacralisation quasi religieuse. Tout citoyen peut participer à l’administration de la justice, par exemple en faisant partie d’un jury. Les procédures d’élimination qui existent relèvent essentiellement de la responsabilité de la défense. Il n’y a pas de réelle sélection. Or le projet de loi prévoit que les citoyens assesseurs devront passer devant une commission chargée de vérifier s’ils ont bien la capacité de remplir leurs tâches. Avouez que c’est tout de même un peu curieux !
La seconde modalité se fonde sur le recrutement de magistrats professionnels ayant passé des concours ou des examens professionnels pour pouvoir rendre la justice au nom du peuple français.
En l’occurrence, vous instituez un système « intermédiaire ». Nous ne comprenons pas ce qui justifie une telle innovation. À mon avis, c’est là que réside le problème principal, en plus des aspects qui ont déjà été soulignés, notamment sur la lourdeur de la procédure. Pensant combiner les avantages respectifs des deux systèmes existants, les promoteurs de la réforme vont surtout ajouter des inconvénients.
En réalité, l’alternative est très simple : soit on souhaite que les citoyens participent à l’administration de la justice, et il faut recruter des jurés sans leur faire passer d’examens, soit on refuse qu’ils puissent se prononcer sur des délits, a priori moins graves que des crimes, et il faut confier cette mission à des magistrats professionnels. Mais nous ne comprenons pas le mélange que vous voulez nous imposer !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, je ne comprends pas pourquoi vous semblez croire que nous vous mettons en cause personnellement.
Nous nous réjouissons que vous soyez présent pour défendre votre projet de loi. Votre démarche est sans nul doute préférable à celle de votre collègue ministre du travail, qui nous a récemment envoyé une secrétaire d’État ne connaissant strictement rien au texte dont elle devait assurer la défense devant la Haute Assemblée ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Vous, au moins, vous connaissez vos textes et vous assumez vos responsabilités.
Mais vous êtes membre du Gouvernement et, à ce titre, vous en êtes solidaire ! Dès lors, ce que vous pensez à titre personnel ne nous intéresse pas. Nous connaissons vos idées, mais cela n’a aucun intérêt dans le débat.
Ce qui nous importe, c’est ce que disent le Président de la République et le Gouvernement. Malheureusement pour vous, la lecture de l’exposé des motifs et de l’étude d’impact qui accompagnent le projet de loi confirme nos dires.
Je vous renvoie aussi aux propos du Président de la République et du ministre de l’intérieur de l’époque. De deux choses l’une : ou bien vous êtes solidaire de ces déclarations ou bien vous ne l’êtes pas. Dans cette dernière hypothèse, il faut en tirer les conséquences ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il me semble que c’est bien cela, la continuité de l’État !
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Permettez-moi de vous faire part de quelques remarques, questions ou réflexions.
Tout d’abord, M. le rapporteur s’est interrogé sur la place des associations de victimes en matière d’application des peines. Mais elles ont évidemment leur place ! Il y a un équilibre avec les associations d’insertion !
Ensuite, nous sommes bien entendu favorables à la constitution de jurys incluant des citoyens. Nous n’avons d’ailleurs jamais dit que nous y étions opposés. Ce qui nous interpelle, ce sont les méthodes et le calendrier de mise en œuvre de modifications aussi profondes !
Monsieur le garde des sceaux, nous avons demandé quels étaient les objectifs précis du projet de loi. À ce jour, vous ne nous avez toujours pas répondu. Or une réforme ne peut se concevoir que si elle est mise au service d’un objectif précis, concret et compris par tous.
Enfin, vous avez fait référence aux « cinq années d’études ». Ce n’est ni moi ni mon groupe qui nous sommes abrités derrière un article du journal Libération relatant la joie d’un enseignant de vingt-quatre ans de participer aux jurys citoyens.
Mme Virginie Klès. Peu importe son âge ; lui avait bien les cinq années d’études !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez demandé à plusieurs reprises de vous « donner acte » que vous ne mettiez pas en cause les magistrats. Soit ! Nous vous en donnons acte.
Mais cela n’empêche nullement de constater qu’il y a une crise dans la magistrature.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle ne date pas d’aujourd'hui !
M. Alain Anziani. Les magistrats et l’institution judiciaire s’estiment méprisés par le pouvoir en place. Il n’est qu’à observer les mouvements menés ici ou là par les professionnels pour protester contre le sort qui leur est réservé.
À votre tour de nous donner acte d’une réalité. Quand il compare les magistrats à des « petits pois » – je reprends l’expression que j’avais citée tout à l’heure –, le Président de la République met en cause la magistrature et l’institution judiciaire ! Quand l’ancien ministre de l’intérieur Brice Hortefeux stigmatise, parce qu’elle n’a pas l’heur de lui plaire, une décision d’un tribunal du Bobigny condamnant des policiers, il met en cause la magistrature !
Je vous le dis en toute amitié, nous regrettons que, dans ces moments-là, le garde des sceaux reste aussi silencieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 44 et 91 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de vingt amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 92 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 12
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, que les choses soient claires : je ne vous ai jamais accusé au cours de ce débat de ne pas défendre les magistrats. J’imagine mal en effet un garde des sceaux faisant le procès de la magistrature. Cependant, nous avons parfaitement le droit de considérer que la volonté de l’exécutif, telle qu’elle se manifeste dans le présent projet de loi, est de mettre en cause le travail des magistrats professionnels de notre pays.
Rassurez-vous, nous avons bien compris que vous étiez là pour assurer un équilibre entre les propos excessifs du Président de la République et des membres de l’exécutif – ils viennent d’être excellemment rappelés par notre collègue Alain Anziani – et la nécessité de respecter notre magistrature.
L’amendement n° 92 rectifié vise à supprimer les alinéas 7 à 12, qui créent les citoyens assesseurs en leur permettant de compléter le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels ainsi que le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel.
Comme vous avez bien voulu le reconnaître voilà quelques minutes, cette nouvelle procédure allongera la durée des audiences et coûtera plus chère !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle permettra que la justice soit mieux rendue !
M. Jacques Mézard. Étant très attaché aux principes traditionnels de la République, je respecte profondément les citoyens. Mais, pour avoir plaidé dans de nombreuses affaires devant la cour d’assises, je puis vous certifier, même si cela ne correspond pas à l’opinion générale, que les jurés ne sont pas la panacée. Encore une fois, en disant cela, je pense être fidèle à mes convictions.
Vous auriez très bien pu limiter le nouveau dispositif au tribunal correctionnel, mais il a fallu que vous y ajoutiez la chambre des appels correctionnels, puis le tribunal d’application des peines et la chambre d’application des peines de la cour d’appel. Disons-le clairement, votre objectif était de répondre à des interpellations de l’opinion à la suite de certaines libérations ayant occasionné des drames, comme cela se produit inévitablement.
Certes, on peut toujours faire mieux. Mais il est indécent d’utiliser de tels drames à des fins d’affichage médiatique pour prendre des options sécuritaires au lieu d’adopter les mesures qui s’imposent.
Au sein du tribunal d’application des peines et, plus encore, de la chambre d’application des peines, il y a des personnes qui, sans être des magistrats professionnels, disposent d’une expérience et d’une compétence. Or vous voulez les remplacer par des citoyens assesseurs dépourvus de toute formation. Allez-vous au moins donner à ces femmes et à ces hommes une formation sur la réalité de l’univers carcéral et sur les processus de réinsertion ? À défaut, comment voulez-vous qu’ils puissent se forger une opinion qui tienne debout et prendre de bonnes décisions ?
Vous le voyez, la suppression des alinéas 7 à 12 s’impose. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Je partage ce qui vient d’être dit par M. Mézard, et je souhaite ajouter un élément qui est un peu différent.
Avons-nous tous bien conscience que ce qui nous est proposé changera la nature profonde de la procédure d’audience devant le tribunal correctionnel ?
Aujourd'hui, au tribunal correctionnel, nous avons un ou plusieurs magistrats qui maîtrisent parfaitement leur dossier, parce qu’ils y ont travaillé avant l’audience. Les avocats aussi ont eu accès au dossier. Nous avons donc des personnes qui connaissent la totalité des pièces, témoignages ou expertises et l’ensemble des déclarations.
Demain, si la réforme proposée est adoptée, nous aurons un nouveau système, un système de l’oralité.
Il faudra que le président lise un certain nombre de papiers et que les jurés citoyens demandent des explications ; ils pourront même, paraît-il, accéder aux pièces.
Nous le voyons bien, tout cela aura des conséquences sur le temps consacré à la procédure. La difficulté est précisément que nos institutions judiciaires, déjà surchargées, manquent de temps. Et vous voulez leur imposer des délais encore plus longs !
Le grand perdant d’une telle réforme sera à l’évidence le justiciable.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement a le même objet que le précédent, mais il concerne l’application des peines.
Mes chers collègues, nous avons eu un débat extrêmement difficile, mais, dans le même temps, très constructif, lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire. Je salue d’ailleurs une nouvelle fois notre collègue Jean-René Lecerf, dont les apports à ce texte ont été considérables, à tel point que certains ont même pu parler d’une « loi Lecerf ».
L’un des objets précis de cette loi était d’essayer de faire en sorte que la prison soit non seulement un lieu de répression et de sanction – elle doit l’être –, mais également un lieu de préparation à la réinsertion. Évidemment, l’un des outils de cette politique est l’application des peines et la libération conditionnelle.
Or vous nous proposez ici, tout d’un coup, d’introduire des jurés citoyens dans le circuit. Tout cela va-t-il dans le même sens ? En effet, une telle proposition sous-tend une critique implicite : si vous voulez modifier le système actuel, c’est parce qu’il ne fonctionne pas.
Monsieur le rapporteur, vous qui avez suivi les débats de près, je vous interroge : la juridiction de l’application des peines ne fonctionne-t-elle pas correctement aujourd'hui ? Est-elle dangereuse pour le citoyen ? Ne donne-t-elle pas des résultats satisfaisants pour la personne qui a été condamnée ? Réalisons plutôt un diagnostic, établissons une évaluation et voyons ensuite quelles sont les mesures nécessaires !
En l’état, le seul événement ayant justifié la création des jurés citoyens – pourquoi se cache-t-on à chaque fois la vérité ? – est la récidive d’une personne remise en liberté. Pour un seul cas, va-t-on modifier l’ensemble du système ? C’est un risque tout à fait inutile, mais c’est un risque très important dans la mesure où il met en péril la réinsertion de personnes qui, demain, quoi qu’il en soit, retrouveront la liberté.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 12 à 53
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Nous demandons que les citoyens assesseurs soient désignés exactement comme les jurés d’assises et que l’on applique à la chambre correctionnelle la procédure de récusation en vigueur dans les cours d’assises.
Nous ne voulons pas qu’il soit possible de choisir – on ne sait d’ailleurs sur quels critères – parmi les jurés d’assises ceux qui pourraient être assesseurs dans les tribunaux correctionnels et ceux qui ne seraient que jurés d’assises.
Je souhaite également poser une question annexe à M. le garde des sceaux : prévoit-il un décret, une circulaire ou un arrêté afin d’augmenter la liste des jurés dans chaque département ? Au vu de leur nombre actuel, il ne sera pas si simple de composer des sessions d’assises, entre les citoyens qui siégeront pour les tribunaux correctionnels, ceux qui siégeront pour les tribunaux pour enfants de seize à dix-huit ans et ceux qui siégeront pour les tribunaux de l’application des peines. Aujourd’hui, il n’est déjà pas évident de s’assurer de la présence de jurés d’assises, qu’il faut quelquefois aller chercher chez eux, qu’en sera-t-il demain si leur nombre reste identique ?
M. le président. L'amendement n° 93 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, par souci de cohérence, je présenterai en même temps les amendements nos 94 rectifié, 95 rectifié, 96 rectifié et 97 rectifié.
M. le président. L'amendement n° 94 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 14 à 20
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 95 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 21 à 25
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 96 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 26 à 30
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 97 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 31 à 35
Supprimer ces alinéas.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. Ces cinq amendements, dont certains sont de coordination, ont trait aux dispositions relatives à l’établissement des listes de citoyens assesseurs.
Selon l’étude d’impact, la mise en œuvre du dispositif des citoyens assesseurs nécessitera la mobilisation de 9 000 personnes supplémentaires par an sur l’ensemble du territoire, toutes juridictions confondues, soit 54 400 vacations.
Tous les magistrats vous le diront, à condition d’accepter de les entendre, il est déjà aujourd’hui très complexe de satisfaire les besoins en jurés d’assises, besoins qui s’élèvent à près de 25 000 personnes par an. On ne compte plus le nombre de personnes tirées au sort qui cherchent tous les prétextes – certificats médicaux à l’appui – pour échapper à leur obligation de siéger et dont le manquement pour motif illégitime est puni par une amende. Nous connaissons cette situation depuis des années. On peut comprendre ces personnes, par exemple au vu de la faible indemnisation journalière qui leur est versée.
Quoi qu’il en soit, les mêmes causes appellent les mêmes effets : assurer un chiffre de 9 000 citoyens assesseurs par an, c’est mobiliser deux à trois fois plus de personnes par tirage au sort, ce qui paraît presque impossible au bout de quelques années de mise en œuvre. Nous pensons particulièrement aux tribunaux correctionnels siégeant dans le même ressort qu’une cour d’appel.
Par ailleurs, il est heureux que la commission des lois ait supprimé le dispositif initial du projet de loi pour l’article 10-4 du code de procédure pénale, lequel prévoyait d’adresser à la personne un questionnaire où elle établissait elle-même sa moralité. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, me direz-vous ! Il est néanmoins anormal que le Parlement ne puisse connaître au minimum le contenu des informations destinées à être recueillies.
Parallèlement, la seule journée de formation initiale prévue pour les citoyens assesseurs sera très insuffisante. Sur un plan pratique, qui assurera cette formation et pour quel coût ? À raison de 158 tribunaux correctionnels siégeant cinquante-deux semaines par an, la formation des citoyens assesseurs nécessitera 8 200 journées de travail, au détriment des fonctions de jugement. Il eût sans doute été préférable d’organiser des formations spécifiques pour chaque type d’intervention susceptible de concerner les citoyens assesseurs.
Une fois de plus, tout cela témoigne de la précipitation avec laquelle a été élaboré ce texte. Nous risquons d’aboutir à un monstre juridique et politique, impraticable, qui déréglera un système judiciaire n’en ayant absolument pas besoin.
M. le président. L'amendement n° 98 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 36 à 38
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 99 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 39
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Ces deux amendements visent à supprimer les articles 10-7 et 10-8 nouveaux du code de procédure pénale, qui fixent les conditions dans lesquelles sont affectés les citoyens assesseurs. Cette compétence d’affectation relèvera du président de la juridiction, chargé d’édicter des ordonnances de roulement. Bien entendu, il s’agira pour lui d’une charge particulièrement lourde, dans la mesure où, contrairement aux cours d’assises, les tribunaux correctionnels siègent en permanence. Les chefs de cour n’avaient certainement pas besoin de cette charge nouvelle, d’autant qu’aucune compensation n’est prévue.
Rien n’est précisé sur les modalités de convocation des citoyens assesseurs, alors que la non-présentation est civilement répréhensible, il faut le rappeler. Or l’envoi de lettres recommandées aura, lui aussi, un coût.
Quel sera le résultat au final ? Nous assisterons à un ralentissement de la procédure et à une désorganisation de la cour, surtout en fin de session. Il eût certainement été plus utile de mobiliser les 8 millions d’euros que coûte cette réforme en année pleine pour recruter des greffiers, dont on sait qu’ils font cruellement défaut.
De plus, comme nous le rappelions tout à l’heure, il sera très difficile de trouver des citoyens assesseurs en nombre suffisant, en particulier quand les débats seront amenés à durer et nécessiteront l’appel de citoyens supplémentaires. Nous avons tous annoncé, y compris vous, monsieur le garde des sceaux, que, avec cette réforme, les audiences dureraient beaucoup plus longtemps. Je rappelle que les citoyens assesseurs, normalement, pourront être appelés huit jours dans l’année. Il s’agit donc d’un système d’une complexité terrible, beaucoup plus grande que celui des jurés d’assises. Il déséquilibrera nos juridictions et leur posera des problèmes de fonctionnement importants.
M. le président. L'amendement n° 100 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 40 et 41
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 101 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 42 et 43
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Ces deux amendements soulèvent une nouvelle fois la question de la disponibilité des citoyens assesseurs. La commission a partiellement tenté de pallier cette difficulté en abaissant de vingt-trois ans à dix-huit ans l’âge à partir duquel on peut être tiré au sort. Il n’est cependant pas certain que cette modification soit suffisante. D’abord, parce que ne peut être citoyen assesseur celui qui a exercé cette fonction durant les cinq années précédentes. Ensuite, parce que peuvent prétendre à une dispense les personnes de plus de soixante-dix ans. Or les retraités sont en général les personnes les plus disponibles.
Plus généralement, tout donne l’impression que, à aucun moment de la rédaction de ce projet de loi, n’a été posée la question de l’essence même de la notion de jury populaire. Cet acquis, dont il est possible de discuter, peut difficilement être remis en cause s’agissant des assises. Néanmoins, juger son prochain n’est pas une tâche anodine qui relèverait d’un simple devoir citoyen. L’impact psychologique peut être éprouvant. Il suffit d’avoir assisté à des audiences de cour d’assises pour se convaincre de leur dureté, notamment lorsqu’un juré est appelé à connaître d’une affaire ayant pour lui une résonance très personnelle. On sort rarement indemne d’une telle expérience, qu’il s’agisse de juger un crime aujourd’hui ou de juger un crime demain.
Dès lors, prévoir la possibilité de passer du statut de juré populaire à celui de citoyen assesseur fait disparaître tout ce qui fait l’essence même du juré d’assises, à savoir l’intime conviction. Si les citoyens assesseurs doivent connaître demain entre six et dix dossiers par audience – on nous dit qu’ils en traiteront plutôt quatre –, c’est-à-dire siéger au moins huit heures d’affilée, il est évident que l’avis des magistrats sera prééminent, a fortiori sur les matières les plus techniques.
Tout concourt donc à enrayer la sérénité de la justice. Celle-ci est certes imparfaite, mais rien ne nous oblige à aller encore davantage vers l’imperfection !
M. le président. L'amendement n° 152 rectifié bis, présenté par MM. Maurey, Détraigne, Zocchetto et Amoudry, Mme Morin-Desailly, MM. Merceron et Biwer, Mme Férat et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 42
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Au cours de cette période, les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d’une chambre des appels correctionnels ou d’un tribunal correctionnel ne peuvent être appelés à siéger au sein d'une chambre de l'application des peines, d’un tribunal de l'application des peines ou d'un tribunal correctionnel pour mineurs. Les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d'une chambre de l'application des peines ou d’un tribunal de l'application des peines ne peuvent être appelés à siéger au sein d’une chambre des appels correctionnels ou d’un tribunal correctionnel ou d'un tribunal correctionnel pour mineurs. Les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d'un tribunal correctionnel pour mineurs ne peuvent être appelés à siéger au sein d'une juridiction correctionnelle pour majeurs ou d'une juridiction de l'application des peines.
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Cet amendement vise à éviter la dispersion du citoyen assesseur entre divers types de juridictions sur les huit jours pendant lesquels il sera mobilisé.
Il tend à prévoir que le citoyen ne pourra pas participer alternativement durant ces huit jours à des juridictions de jugement, à des juridictions traitant de l’application des peines, ou encore à un tribunal correctionnel pour mineurs.
Si j’osais, je dirais qu’il s’agit de viser l’efficacité maximale et de « rentabiliser » le recours au citoyen assesseur.
M. le président. L'amendement n° 102 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 44
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’alinéa dont nous demandons la suppression tend à imposer aux citoyens assesseurs de prêter serment de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations ». Nous aurons l’occasion de revenir sur la question du serment lors de l’examen de l’article 3 du projet de loi.
Pour l’heure, nous nous étonnons que ce serment soit, à quelques nuances près, le même que celui que prêtent les juges de proximité et les assesseurs des tribunaux pour enfants. Or ces deux catégories d’assesseurs sont recrutées sur des critères stricts et précis, et présentent des garanties de formation, d’expérience, bien plus importantes qu’un simple citoyen – cette expression, monsieur le garde des sceaux, n’a absolument rien de péjoratif – ayant seulement été tiré au sort. Nous défendrons donc à l’article 3 un amendement visant à établir un dispositif mieux adapté. En attendant, la suppression de cet alinéa s’impose.
M. le président. L'amendement n° 104 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 45 à 48
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement a trait au problème de la récusation, qui vise par essence à garantir l’impartialité objective et apparente de la juridiction de jugement. Devant une cour d’assises, cette procédure est ouverte au ministère public et à l’accusé, qui peuvent en faire usage sans motivation.
Tout autre est le système qui est ici proposé, puisque les motifs et les conditions de récusation applicables aux citoyens assesseurs sont ceux qui valent pour les magistrats et qui sont limitativement énumérés à l’article 668 du code de procédure pénale.
Or les magistrats ont été formés pour juger et présentent par nature des garanties d’indépendance renforcée. Ils connaissent le droit et peuvent naturellement se déporter en cas d’incompatibilité. On ne peut transposer ce raisonnement pour des citoyens étrangers aux arcanes du droit et qui peuvent sans malice ne pas se déporter par eux-mêmes.
En tout état de cause, il faut être cohérent, aller au bout de la logique, garantir l’impartialité de la formation de jugement en instaurant un véritable système de récusation. Je pense en particulier au ressort des tribunaux les plus petits où, bien évidemment, des problèmes extrêmement importants risquent de se poser du fait que, dans nombre de villes moyennes, tout le monde se connaît. Donc, même si cela prend du temps, ce système de récusation est nécessaire. En s’abstenant de le mettre en place, on prend des risques et manifestement, là aussi, on va au-devant de graves difficultés.
M. le président. L'amendement n° 105 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 45 et 46
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
« Art. 10-12. - Avant l’examen au fond, les citoyens assesseurs désignés pour siéger peuvent être récusés par le prévenu ou son avocat d’abord, le ministère public ensuite.
« Ni le prévenu, ni son avocat, ni le ministère public ne peuvent exposer leurs motifs de récusation.
« L’accusé ou son avocat non plus que le ministère public ne peuvent récuser plus de deux citoyens assesseurs chacun.
« S'il y a plusieurs prévenus, ils peuvent se concerter pour exercer leurs récusations ; ils peuvent les exercer séparément.
« Dans l'un et l'autre cas, ils ne peuvent excéder le nombre de récusations déterminé pour un seul prévenu.
« Si les prévenus ne se concertent pas pour récuser, le sort règle entre eux le rang dans lequel ils font les récusations. Dans ce cas, les citoyens assesseurs récusés par un seul, et dans cet ordre, le sont pour tous jusqu'à ce que le nombre des récusations soit épuisé.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement de repli a pour objet de créer un véritable système de récusation des citoyens assesseurs, largement inspiré par celui qui est en vigueur devant la cour d’assises et qui n’est pas ouvert à la victime, contrairement à l’article 10-12. Le problème de la récusation, je l’ai déjà dit tout à l'heure, est extrêmement important, surtout dans les petites et moyennes juridictions.
M. le président. L'amendement n° 106 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 49
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. S’agissant de cet alinéa 49, nous approuvons la modification apportée par la commission. Le texte initial de l’article 10-13 instituait en contravention de cinquième classe, punie de 1 500 euros d’amende, l’absence non justifiée ou illégitime d’un citoyen assesseur dûment convoqué. Un minimum de cohérence est en effet indispensable, dès lors que la même absence s’agissant d’un juré d’assises est constitutive d’une amende civile de 3 750 euros.
Cependant, la commission aurait dû aller plus loin et supprimer cet article 10-13 en entier. Exercer les fonctions de citoyen assesseur serait un devoir civique : cet alinéa est surtout une pure déclaration symbolique à portée non normative. En ces temps où de nombreuses catégories d’intérêts revendiquent sans arrêt de nouveaux droits au détriment de l’intérêt général, il convient de ne pas affaiblir la portée de la notion de devoir en l’utilisant de façon déraisonnable ou inappropriée, comme c’est le cas dans cet article.
À notre sens, il convient de revenir à l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont le préambule énonce que « cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ». En d’autres termes, il convient de cultiver la parcimonie ...
M. le président. L'amendement n° 107 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 50 à 53
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un amendement de pure coordination.
M. le président. L'amendement n° 149 rectifié, présenté par MM. Maurey, Détraigne et Zocchetto, Mmes Gourault et Morin-Desailly, MM. Merceron et Biwer, Mme Férat et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Alinéa 51
Remplacer le mot :
information
par le mot :
formation
La parole est à M. Yves Détraigne
M. Yves Détraigne. Dans le droit fil de l'amendement n° 152 rectifié bis, que j’ai présenté voilà quelques minutes, le présent amendement a pour objet de permettre aux citoyens assesseurs appelés à siéger de disposer, non d'une simple information sur le fonctionnement de la justice pénale, mais plutôt d'une formation de manière qu’ils soient plus efficaces dans les fonctions qu’ils vont devoir exercer.
M. le président. Mes chers collègues, l’ensemble de ces amendements en discussion commune ayant été présentés, je vous propose, à cette heure, de renvoyer la suite de la discussion à la prochaine séance. (Assentiment.)
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 18 mai 2011, à quatorze heures trente et le soir :
- Suite du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (Procédure accélérée) (n° 438, 2010-2011).
Rapport de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois (n° 489, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 490, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART