M. le président. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 1110-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
La personne malade a droit au respect de sa liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au présent code, d'une assistance médicalisée à mourir.
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cet amendement a pour objet de reconnaître solennellement aux personnes malades le respect de leur ultime volonté de mourir dans la dignité.
Tout le monde sait que l’euthanasie est pratiquée en France clandestinement, illégalement et, parfois, dans la plus grande hypocrisie, sans que les patients ou leurs proches puissent donner leur avis.
La proposition de loi que nous examinons ce soir traduit l’évolution des mentalités dans notre pays et apporte une réponse à une question sociale et humaniste fondamentale. Elle permet de protéger, d’une part, ceux qui souhaitent mettre un terme à leurs souffrances – en leur reconnaissant le droit de vivre leur mort –, et, d’autre part, ceux qui ne le veulent pas.
Ce texte complète la loi Leonetti, qui a mis en avant l’importance du développement des soins palliatifs et de l’accompagnement des mourants et interdit tout acharnement thérapeutique jugé déraisonnable. Toutefois, le développement de tels soins ne peut résoudre la question de l’euthanasie et apporter une réponse à celles et ceux qui demandent l’assistance à une délivrance douce.
Tel est le sens de l’amendement que je vous propose d’adopter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Mon cher collègue, vous proposez de faire figurer, au côté du respect de la dignité de la personne malade, le principe du respect de sa liberté et d’inscrire dès lors la possibilité d’une assistance médicalisée pour mourir dans l’article L. 1110-2 du code de la santé publique. Vous rejoignez en cela les propositions de MM. Fouché et Fischer.
Cependant, si l’inscription du respect de la liberté du malade peut paraître intéressante, je reste réservé sur l’inscription, dans cet article, de la seule assistance médicalisée pour mourir. En effet, la mention d’un droit supposerait l’énumération des autres droits. Un tel libellé pourrait laisser entendre que l’assistance médicalisée pour mourir est une solution alternative à la liberté et à la dignité du malade.
En conséquence, puisque nous avons présenté un texte commun, je souhaiterais, si vous en êtes d’accord, que nous nous en tenions à ce texte commun. Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement. Dans le cas contraire, je serais au regret d’émettre un avis défavorable, ce qui serait dommage.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Collin, l'amendement est-il maintenu ?
M. Yvon Collin. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié est retiré.
Article 1er
L’article L. 1110-9 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, sur l’article.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cosignataire de l’une des trois propositions de loi, il me tenait à cœur d’intervenir, aujourd’hui, pour soutenir cette initiative courageuse.
La question de la fin de vie ne finit pas de nourrir les débats et de susciter les passions, nous l’avons à nouveau constaté ce soir. Elle dépasse les clivages politiques traditionnels et nous renvoie, bien souvent, à ce que nous sommes, et donc à notre éducation, nos valeurs, nos expériences ou notre religion. Ainsi, guidé par nos émotions, le débat sur cette question souffre bien souvent d’un manichéisme regrettable.
J’espérais que cette nouvelle proposition de loi éviterait cet écueil et nous aurait permis d’aborder ce débat avec le recul et la précaution nécessaires.
Malheureusement, je crains qu’à nouveau ce débat ne soit tronqué et ne nous laisse un goût d’inachevé : après son adoption la semaine dernière en commission, le texte a été totalement vidé de sa substance ce matin.
Cette décision est décevante à l’heure où la société française semble majoritairement favorable à une loi permettant de disposer dignement de la fin de sa vie. En effet, en mai 2009, un sondage avait révélé que 86,3 % des personnes interrogées s’étaient prononcées en ce sens.
Il est vrai que des sondages ont montré l’inquiétude qui pouvait être ressentie du fait des risques de dérive qu’une légalisation pourrait entraîner. Je peux comprendre ces arguments, car je les partage aussi.
Une loi d’une telle importance doit apporter toutes les garanties nécessaires pour éviter un quelconque glissement dans sa mise en œuvre. Pour ma part, je trouve que cette proposition de loi remplit parfaitement cette condition.
Tout d’abord, comme l’ont rappelé mes collègues, il faut bien avoir à l’esprit qu’en aucun cas nous n’ouvrons la voie à une euthanasie massive et dérégulée. Tels sont pourtant, bien souvent, les propos manichéens tenus par bon nombre de détracteurs qui se sont exprimés massivement ces derniers jours, et encore ce soir.
Cette proposition de loi ne saurait, non plus, remettre en cause la nécessité de développer et d’améliorer encore les soins palliatifs, bien évidemment !
Nous proposons aujourd’hui de donner la possibilité à certains patients, se trouvant dans des situations extrêmes, de pouvoir s’affranchir d’une souffrance et d’une détresse insoutenables et parfois inhumaines.
En aucun cas nous ne permettrons des dérives. Au contraire, nous proposons d’instaurer un cadre strict et réglementé. Je crois qu’il suffit de lire attentivement cette proposition de loi – notamment son article 1er – pour s’en rendre compte.
En effet, l’article 1er dispose que cette possibilité sera donnée à « toute personne capable majeure », c’est-à-dire en pleine possession de ses moyens intellectuels, que la pathologie devra être « grave et incurable », c’est-à-dire que la médecine actuelle ne pourra guérir le patient qui sera, de fait, malheureusement condamné. De plus, il faudra que cette souffrance ne puisse pas être apaisée ou, tout du moins, que la personne la juge « insupportable », c’est-à-dire que les soins palliatifs ne puissent plus apporter de soulagement au patient.
Ainsi, si et seulement si toutes ces conditions sont réunies, une personne pourra, de sa propre volonté, et en étant intellectuellement capable de le faire, demander une assistance médicalisée afin de soulager ses souffrances.
Cette demande sera ensuite transmise au médecin traitant, qui devra alors saisir deux de ses confrères praticiens n’ayant pas de lien avec le patient. Ensemble, ils devront examiner la demande et vérifier son caractère « libre, éclairé et réfléchi ». Dans le même temps, et dans un délai de huit jours, le patient pourra révoquer à tout moment sa demande.
La même procédure s’appliquera pour les directives anticipées.
Je ne vois donc pas où se trouvent les risques de dérive tant décriés.
Les médecins auront une responsabilité énorme et seront très vigilants, j’en suis convaincue, sur la nature et la recevabilité de la demande. Ils seront d’ailleurs en droit de refuser de participer à la procédure.
De plus, nous proposons d’instaurer une commission nationale de contrôle des pratiques relatives aux demandes d’assistance médicalisée pour mourir, qui viendra compléter ce dispositif déjà très restrictif et très encadré.
Il ne faut donc pas tomber dans la caricature, contrairement à ce que j’ai entendu ce soir. Non, cette loi n’instaure pas un droit de tuer !
Comme chacun sait, l’acte de donner la mort est déjà pratiqué en France, dans une totale clandestinité. Cette réalité doit nous mettre en présence d’une alternative simple : doit-on instaurer un cadre légal strict et restrictif autorisant, dans des cas extrêmes et bien définis, à soulager un patient qui en formule la demande expresse en toute connaissance de cause, ou doit-on laisser perdurer des pratiques clandestines, sans aucune règle et sans encadrement ?
Pour moi, le choix est clair : il faut voter cette proposition de loi !
En effet, mes chers collègues, si nous décidons, aujourd’hui, de ne rien faire, nous maintiendrons l’hypocrisie actuelle qui existe autour de la question de la fin de vie. Nous ne résoudrons pas ce problème, et le débat reviendra encore et encore sur la scène publique.
La loi du 22 avril 2005 a réussi à apaiser quelques craintes, mais n’a pas pour autant totalement répondu à cette question fondamentale, et beaucoup de Français jugent aujourd’hui qu’il faut aller encore plus loin dans la reconnaissance du droit à mourir dans la dignité.
Il est donc de notre responsabilité, en tant qu’élus de la République, d’engager ce débat et d’œuvrer en ce sens en votant ce texte ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l’article.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le ministre, vous avez eu raison de le dire tout à l’heure, ce texte n’a rien de banal. En effet, ce débat est très important, passionné, presque passionnel. Il a même connu quelques dérapages lors de la discussion générale.
En tout état de cause, ce texte engage un processus sociétal et exige par conséquent que ce débat, éminemment politique, soit mené ici, au sein de la représentation nationale.
Je tiens également à indiquer que je m’écarte volontairement de l’approche qui consisterait à s’arc-bouter sur les sondages. En effet, le rôle du Parlement, et l’essence même du travail parlementaire, est d’éclairer l’opinion publique et d’être en avance sur elle. C’est, du reste, ce qui a été constaté à l’occasion du vote de textes de loi évoqués tout à l’heure, l’abolition de la peine de mort, mais également l’interruption volontaire de grossesse.
L’article 1er n’est pas ambigu, il est même terriblement précis. En effet, il a pour objet d’assurer à toute personne « capable et majeure » la possibilité de demander à un médecin une assistance médicalisée pour mourir, dans le cas où cette personne se trouverait « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».
Faut-il, messieurs les ministres, mes chers collègues, avoir une piètre opinion de l’humanité pour faire un « saut en avant » et spéculer, pour l’application de textes comme celui dont nous débattons, sur l’attitude qu’auraient les uns ou les autres par rapport aux personnes que l’on juge les plus fragiles et les plus vulnérables : les personnes âgées ! Nous ne partageons évidemment pas ce pessimisme !
Les dispositions destinées à assurer une mort rapide, décente et sans douleur n’ont d’autre but que de soulager des gens en fin de vie en préservant leur dignité.
En ce qui me concerne, j’ai la faiblesse de penser que la dignité ne répond pas à un standard, et que chacun a le droit de définir, par rapport à sa propre personne, ce que représente la dignité, tout simplement ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.) Cette question est donc une affaire personnelle.
Bien sûr, des réserves sont formulées et d’aucuns contestent l’opportunité de légiférer aujourd’hui sur l’aide active à mourir. Elles renvoient à des questions éthiques et religieuses, mais posent également la question des liens particuliers existant entre un patient et un praticien qui a par définition prêté le serment d’Hippocrate. Nous ne pouvons que respecter ces réserves.
Néanmoins, ne pas adopter ce texte aujourd’hui reviendrait à acter le fait que les Français ne sont manifestement pas égaux devant la mort. Certains de mes collègues ont eu le courage de dire que la pratique des injections létales – appelons les choses par leur nom – a lieu aujourd’hui en France, et de manière courante.
Ne restons donc pas sourds aux appels qui nous sont lancés par nombre de nos concitoyens, qui expriment tout à la fois une profonde détresse, une angoisse palpable et une détermination sans faille à faire évoluer la situation dans le bon sens.
Je le répète, ce problème taraude notre société et, paradoxalement, est lié aux progrès de la médecine.
Précisons, encore, toujours et une nouvelle fois, que l’aide active à mourir n’a aucunement vocation à se substituer aux soins palliatifs dont on a dit, sur toutes les travées, qu’ils étaient très insuffisants dans notre pays.
Les dispositions de la loi Leonetti constituent un progrès immense, mais elles ne vont manifestement pas assez loin. Parfois, il n’est tout simplement pas possible de se contenter d’arrêter un traitement curatif pour laisser la place au seul traitement antalgique, dont on connaît toutes les limites. Il est également des cas dans lesquels il est parfaitement inhumain de se « contenter » de laisser mourir les gens.
Le cadre juridique est donc nécessaire pour faire face à ce type de situation. Les familles y ont droit, les proches y ont droit, ainsi que les praticiens confrontés à ce problème.
Je le répète, l’aide active à mourir relève d’une logique différente de celle des soins palliatifs. En outre, cette loi comporte de multiples garanties, à la fois pour le patient, son entourage et le praticien.
La volonté du malade doit être intégralement respectée, sous réserve qu’elle ait été exprimée, au préalable, dans des conditions de clarté et de lucidité. À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas, et reporter sans cesse l’adoption d’une loi, c’est laisser de trop nombreuses personnes dans une incertitude dramatique.
« Aimer la vie et regarder la mort d’un regard tranquille », c’est tout ce que demandent les personnes qui veulent, à nos côtés, faire progresser la loi.
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Je conclus, monsieur le président.
Telle est la définition que donnait Jean Jaurès du courage, dans son Discours à la jeunesse, prononcé en 1903, au lycée d’Albi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot, sur l'article.
M. Claude Jeannerot. Mes chers collègues, comment ne pas partager la finalité portée par cette proposition de loi : permettre aux personnes atteintes d’une affection incurable de bénéficier d’une mort sans douleur ? C’est dire la volonté humaniste qui est incontestablement à l’œuvre dans l’initiative qui nous est présentée.
On comprend par ailleurs le sens de cette proposition de loi comme venant prolonger la loi Leonetti du 22 avril 2005, qui prévoit la possibilité pour le malade d’obtenir l’arrêt des traitements et de recourir aux soins palliatifs.
Cette loi, chacun s’accorde à le reconnaître, a marqué un progrès dans la pratique médicale. Pourtant, l’actualité se fait périodiquement l’écho de cas particuliers auxquels la loi Leonetti ne semble pas apporter de réponse satisfaisante. Les médecins reconnaissent d'ailleurs aujourd’hui les limites de ce texte.
C'est pourquoi on peut être favorable à une évolution de la législation. Pour ma part, j’avais d'ailleurs approuvé le texte qui nous était présenté en commission des affaires sociales, afin de permettre l’émergence du débat public dans l’hémicycle.
Permettez-moi cependant de faire entendre ma différence.
Au regard des enjeux éthiques et philosophiques attachés à cette question – question qui, me semble-t-il, mérite mieux qu’une proposition de loi abordée succinctement au milieu de la nuit –, je souhaite que nous disposions d’un état des lieux exhaustif de la loi Leonetti et que nous puissions nous appuyer sur les travaux de l’Observatoire national de la fin de vie, menés par le docteur Régis Aubry, avec lequel je coopère au quotidien dans mon département.
Donnons-nous, chers collègues, le temps de la réflexion approfondie, à la lumière des observations qui ont été effectuées – et la démarche que je propose, croyez-le, n’a rien de dilatoire !
Des questions me paraissent aujourd'hui rester sans réponse. Comment garantir le caractère « libre, éclairé et réfléchi » de la demande d’aide à mourir lorsque le malade vient d’apprendre le caractère incurable et inexorable de son mal ? Comment comprendre, par ailleurs, le concept de « souffrance psychique » ? La souffrance psychique n’est-elle pas, au fond, constitutive de la nature humaine au moment d’apprendre que la fin est proche ? Et comment convient-il d’y répondre ? Comment faire en sorte, mes chers collègues, que l’aide active à mourir ne se substitue pas à la nécessité de promouvoir les soins palliatifs ?
Certes, il est juste de ne pas opposer soins palliatifs et aide active à mourir, mais on observe tout de même que, dans les établissements où ils sont particulièrement bien pris en charge, les patients ne réclament pas qu’il soit mis fin à leurs jours de manière active.
Dès lors, chers collègues, prenons le temps d’un vrai débat public, nourri par le bilan exhaustif de la loi Leonetti et par les constats de l’Observatoire national de la fin de vie, qui va rendre ses conclusions dans les prochains mois.
Notre premier devoir d’humanité, c’est d’aider les personnes en fin de vie et atteintes d’un mal incurable à vivre le mieux possible le temps qui leur reste. Avons-nous fait tout ce qui était possible ? Faut-il prévoir des réponses alternatives ?
Chers collègues, dans le doute, et dans l’attente de ce débat public que j’appelle de mes vœux, je m’abstiendrai sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. –Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l’article.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, naturellement, pour avoir été cosignataire de la proposition de loi présentée par mon ami Guy Fischer, je souscris à l’idée qu’il faille une évolution législative reconnaissant le droit, je dirais même la liberté pour celles et ceux qui le souhaitent de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
Il s’agit bien là d’une évolution – j’insiste sur ce terme –, puisque cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité de la loi de 2002 relative aux droits de malades et à la qualité du système de santé, et de la loi de 2005, dite loi Leonetti, qui a permis aux patients, du moins en théorie, d’accéder à des thérapeutiques destinées à alléger leurs souffrances physiques.
Les soins palliatifs, puisque c’est de cela qu’il s’agit, sont effectivement très efficaces contre la douleur physique, mais totalement inefficaces quant aux souffrances psychiques. Certains voudraient les circonscrire et les limiter à une souffrance de réaction issue du regard des autres. Si cela peut exister, notamment dans la situation de dépendance qui donne au malade le sentiment d’être une charge pour les autres, une conception si réductrice vise en réalité à écarter l’assistance médicalisée à mourir, comme si la seule solution résidait dans un changement de comportement des proches du patient, dans une meilleure acceptation de la mort.
Les choses sont évidemment bien plus complexes, et je suis convaincue qu’il ne faut pas minorer le sentiment de celles et de ceux qui, en fin de vie ou se trouvant dans un état pathologique très lourd et irréversible, ont tout simplement perdu ce qui est essentiel à tout malade : l’espoir.
Le malade va ainsi devoir progressivement passer, comme le souligne à raison Anne Cazier, psychologue au CHU de Rouen, « par le déni, la dénégation, la colère et la frustration, la dépression et la résignation ». Anne Cazier précise également que le malade devra faire une série de deuils successifs : « Le premier deuil à faire est celui de la vie d’avant, celle du bien portant, celle de l’individu actif professionnellement » et enfin le deuil de tout espoir, autrement dit faire, vivant, le deuil de sa vie. Ce deuil, chacun le comprendra, peut s’accompagner d’une accumulation d’angoisses : celle de la souffrance, de la diminution psychique et physique et, naturellement, celle de sa propre mort.
Les soins palliatifs sont alors inefficaces. Je voudrais d’ailleurs citer une déclaration du docteur Danièle Lecomte, que je partage entièrement et qui a contribué à me convaincre : « Il y a peut-être une confusion entre douleur et souffrance. La douleur est effectivement le plus souvent maîtrisable. Mais on ne peut pas réduire le vécu douloureux de la personne en fin de vie à une composante physique accessible aux médicaments. La question est plus complexe. C’est celle de la souffrance, qui inclut des dimensions psychiques, émotionnelles, existentielles. La souffrance, on peut l’écouter, l’accompagner, mais on ne peut pas véritablement la traiter ».
Dès lors, comment pourrions-nous raisonnablement refuser à des personnes atteintes de souffrances importantes et que rien ne peut réduire le droit d’arrêter de les endurer ? Comment pourrions-nous décider de refuser ce que l’autre nous demande, au motif que nous serions nous-mêmes opposés à un tel acte ? Au nom de quoi devrions-nous, sur des fondements moraux, continuer à imposer des souffrances à des femmes et à des hommes qui, en raison de leur état de santé, en ont déjà trop supporté ?
Rien ne le justifie. C’est pourquoi je voterai cet article, ainsi que la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Autain, sur l’article.
M. François Autain. Mes chers collègues, afin d’éclairer le vote que vous allez émettre sur l’article 1er de cette proposition de loi, je voudrais livrer à votre réflexion un témoignage qui nous est parvenu de Montpellier, dans un courriel daté du 17 janvier dernier qui m’a été adressé ainsi qu’à un certain nombre d’entre nous. Je vous en donne lecture :
« Madame la sénatrice, monsieur le sénateur,
« Par la présente, je viens vous demander de voter la loi pour l’aide active à mourir. Le Président de la République a exprimé en 2007 que “l’on ne devait pas rester les bras ballants devant la souffrance d’un être humain, tout simplement parce qu’il n’en peut plus” ; de nombreux Français à travers des sondages se sont exprimés en ce sens.
« Je vous demande donc de vous affranchir de tout corporatisme religieux, politique ou autre et de voter en tant qu’individu cette loi.
« Si demain, vous-même étiez confronté à la situation de Vincent Humbert, bloqué dans un lit, relié à des machines, sans pouvoir parler : que souhaiteriez-vous ?
« Depuis ma naissance, je lutte contre une maladie orpheline dont je ne suis même plus sûre du nom, une recherche génétique est entamée depuis deux ans. J’ai cinquante-deux ans, je n’ai marché qu’à sept ans et tous mes gestes ont été la résultante d’opérations et de rééducation. Ma vie se résume en un mot : “combats”.
« Tout a été à conquérir, tout a été difficile et compliqué. Rien n’est vraiment adapté spontanément et vivre avec un handicap n’est pas chose facile.
« Aujourd’hui, suite à un divorce, je viens de m’installer à Montpellier, ville que je pensais plus équipée et là encore je déchante ; je suis bloquée depuis plusieurs jours dans mon appartement, les transports sont insuffisants pour la demande et je ne peux même pas me divertir en allant une fois par semaine au cinéma.
« Je me sens prisonnière de mon corps et de mon appartement, si confortable soit-il.
« Je n’accepte pas l’isolement et de ne pas pouvoir parler avec quelqu’un en dehors de mes auxiliaires de vie qui interviennent deux heures par jour.
« Toutes les nuits, je suis raccordée à un appareil respiratoire et je sais que l’avenir est incertain, que demain je risque de devoir être assujettie en permanence à une machine, avec de l’oxygène, que je ne pourrai peut-être plus du tout marcher et même parler.
« Je n’accepte pas cette dégradation, je veux choisir mon destin. J’ai déjà enduré trop de souffrances, trop de douleurs. Alors oui, comme Jean-Luc Romero, président de l’ADMD, je vous demande de ne pas me voler mon ultime liberté !
« Je veux partir dignement, je ne veux pas de trachéotomie. Au-delà de la souffrance physique, il y a la souffrance morale et personne, je dis bien personne, n’est en droit de se substituer à moi pour mon choix de vie ou de mort.
« C’est mon corps et je dois pouvoir en disposer comme je l’entends. Mes proches, ma famille ne partagent pas forcément mon point de vue, ils voudraient me garder auprès d’eux, me voir sourire encore et encore, mais viendra un jour où je ne sourirai plus, où je ne serai qu’un magma de douleurs.
« Alors, il faudra qu’ils me lâchent la main, qu’ils me laissent m’envoler et qu’ils reconnaissent que j’ai mérité ce long repos.
« J’aurai donné le meilleur de moi, j’aurai reçu au centuple. Inutile de s’acharner stérilement, à quoi bon gagner quelques jours, lorsqu’il n’y a aucune perspective d’amélioration et que tout converge vers une déchéance ?
« Je vous remercie, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, pour le temps que vous venez d’accorder à la lecture de ma lettre. Je souhaite qu’elle reçoive un écho favorable dans votre cœur de femme ou d’homme, et qu’elle vous incite à voter cette loi, qui est une loi de bon sens, mais qui nécessite un certain courage de votre part.
« Je vous prie d’agréer, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, mes sincères salutations. »
Je pense qu’il n’y a rien à ajouter à cette leçon de vie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, sur l'article.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat de ce soir est non seulement intéressant, mais également poignant. Pour ma part, je me suis trop investi dans les services des soins palliatifs pour rester muet.
Monsieur le ministre, la mise en place des unités de soins palliatifs en France est encore trop lente ; nous avons un retard considérable par rapport à d’autres pays. Toutefois, c’est une première réponse face à l’urgence de démythifier la mort. Est-elle suffisante ? À mon sens, il faut aller plus loin et réapprendre à vivre avec les mourants, afin de leur restituer toute leur place parmi nous, en accordant un temps à la mort accompagnée, un temps pour les ultimes moments de la vie. Il faut assurer une mort dans la dignité, afin que celle-ci soit, comme le prétendait Mallarmé, « un peu profond ruisseau calomnié ».
Chateaubriand disait de la vieillesse, et des maux qu’elle induit, que « d’une dignité » elle était devenue « une charge ». C’est, hélas ! toujours vrai. Mais elle doit être distinguée de la dépendance totale, de la vie qui n’est plus une vie et qui serait seulement une plainte si on avait la force de l’exprimer.
L’agonisant n’est ni un intrus ni une charge. Il n’a pas besoin, et ses proches non plus, de mimer « la mort de celui qui fait semblant qu’il ne va pas mourir », selon l’expression de l’historien Philippe Ariès.
Une mort sereine et paisible, évidemment médicalisée, semble une exigence raisonnable de notre époque, car l’homme peut faire cesser la cruauté d’une agonie inexorable, lente et solitaire, donc indigne d’une époque qui se veut humaniste. Qu’une suite d’actes planifiés pour mettre en œuvre un geste aussi grave soit nécessaire est une évidence. C’est vrai pour le malade, pour son confort, pour la famille, qui est souvent culpabilisée, pour le médecin, pour les soignants, qui vivent l’inexorable drame, et pour la société, à laquelle ils redonnent confiance en la médecine et en son éthique.
Encore faut-il distinguer la douleur de la souffrance, qui, même si elle n’implique pas forcément la douleur physique, devient intolérable dans la mesure où elle inclut le mal de vivre, le non-vivre, l’inquiétude, la peur et l’insupportable compassion des autres, sans cesse renouvelée à en devenir lassante quand on est enfermé dans la plus angoissante solitude !
La mort accompagnée dans le cadre d’une assistance médicalisée – elle ne concerne que peu de cas, mais ils sont extrêmement douloureux –, c’est le temps réservé aux dernières confidences, aux derniers moments les plus vrais d’intimité, aux ultimes caresses. C’est le dernier service où l’on est admis avant la mort.
Mourir dans la dignité avec une assistance médicale dûment acceptée par le malade ou par la famille lorsque le malade ne peut pas s’exprimer, si le médecin juge l’acharnement thérapeutique inutile, c’est accepter que l’on arrive à la fin de sa vie dans une sorte de paix et de sérénité sans faire des services de soins palliatifs le passage plus ou moins obligé des mourants, puisqu’une large majorité de malades souhaitent mourir chez eux, entourés des leurs, tout en bénéficiant d’une hospitalisation à domicile.
Mais, au-delà du médecin, c’est toute l’équipe de soignants et des bénévoles formés à l’accompagnement de la fin de vie qui doit s’impliquer humainement et dépasser l’indispensable geste technique pour suppléer la famille dans les moments d’intense douleur et des dernières effusions. L’objectif n’est pas seulement contenu dans le traitement ; l’objectif, c’est le malade tout entier et l’aide que l’on peut lui apporter au moment le plus décisif de sa vie !
Il est temps pour la médecine de se souvenir qu’elle n’a longtemps été que palliative. L’impuissance ressentie par le soignant devant un diagnostic fatal doit faire repenser que la guérison n’est qu’un des deux aspects de sa mission, l’autre étant d’assurer le bien-être, y compris jusqu’à la mort.
En effet, monsieur le ministre, le droit à mourir sans être chosifié, le droit à être entouré de sollicitude et de compréhension face à la souffrance physique et à la terreur d’une perspective à la fois naturelle et impensable, c’est le droit de chacun à conserver sa qualité d’être humain jusqu’au bout !
Selon les termes de l’article 1er, toute personne « capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable » doit pouvoir demander à bénéficier d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. Cela sera reconnu un jour comme l’un des droits universels de l’homme !
C’est pourquoi je voterai avec la majorité des membres du groupe socialiste l’article 1er et, au-delà, cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)